Séance du 21 juin 2000






GENS DU VOYAGE

Adoption d'un projet de la loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 352, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'accueil et l'habitat des gens du voyage. [Rapport n° 412 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d'abord d'excuser M. Louis Besson, retenu en cet instant à l'Assemblée nationale par une question d'actualité. Il rejoindra le Sénat dans quelques minutes, vraisemblablement avant la fin de la présente discussion. Je vais donc le suppléer en attendant son arrivée.
Ce projet de loi sur l'accueil et l'habitat des gens du voyage a déjà fait l'objet de deux lectures complètes par l'Assemblée nationale et par votre Haute Assemblée, suivies d'une commission mixte paritaire qui est restée infructueuse, puis d'une troisième lecture à l'Assemblée nationale.
Ces examens successifs ont permis de clarifier les positions, d'enrichir le texte, de faire préciser ou évoluer les positions du Gouvernement. Le nombre d'amendements déposés et la qualité du travail effectué en commission confirment à la fois l'intérêt suscité par ce sujet et la plus-value du travail parlementaire.
Ces lectures successives permettent aussi de faire le point sur les objectifs de ce projet, sur les constats qui le fondent, sur les solutions qui ont fait l'objet d'un accord, mais aussi sur les points de désaccord qui subsistent, dont certains correspondent à des questions de fond.
L'objectif est partagé, semble-t-il, par la quasi-totalité des parlementaires qui sont intervenus dans les débats : il s'agit de la cohabitation harmonieuse des différentes catégories de la population, que leur mode de vie soit sédentaire ou nomade.
Le mode de vie des gens du voyage itinérants doit donc pouvoir s'exercer, mais dans le respect des règles. Pas plus que la voie de fait ne peut être admise, il ne saurait être question d'envisager une sédentarisation qui ne serait pas voulue par les gens du voyage eux-mêmes.
Pour que le mode de vie des itinérants puisse s'exercer, il faut une offre de places de caravanes répondant aux besoins. Il faut donc développer les aires d'accueil tout en renforçant les moyens juridiques dont disposent les maires qui ont réalisé de telles aires, afin qu'ils soient mieux armés pour lutter contre les stationnements illicites.
Les tensions actuelles viennent surtout d'une insuffisante mise en application de cette logique générale : de fortes tensions continuent d'exister dix ans après le vote de l'article 28 de la loi du 31 mai 1990, dont l'objet était de développer les aires d'accueil. Le nombre actuel de places pour l'accueil des caravanes d'itinérants a augmenté, mais il ne répond pas aux besoins ; il faudrait multiplier le nombre de places par six pour y répondre.
Cet échec relatif de l'article 28 tient à plusieurs causes.
Tout d'abord, la concertation préalable de tous les acteurs concernés pour évaluer les besoins et définir les solutions locales n'a probablement pas toujours été suffisante. Les solutions d'accueil des gens du voyage doivent, vous le savez, reposer sur un fort partenariat.
L'article 28 ne prévoyait pas, par ailleurs, de solutions intercommunales, lesquelles sont pourtant une des clés des problèmes à traiter.
Les subventions apportées par l'Etat pour l'investissement n'étaient, ensuite, que de 35 % du coût des travaux et il n'existait pas d'aide à la gestion alors que nous nous accordons tous à reconnaître qu'une aire non gérée ou mal gérée risque de connaître une dégradation rapide.
Les moyens mis à la disposition des communes qui ont réalisé une aire pour lutter contre les stationnements illicites se sont révélés, en outre, insuffisants.
Enfin, il n'était prévu dans la loi de 1990 ni délai de mise en oeuvre ni sanction ou moyen de contrainte lorsqu'une commune ne réalisait pas l'aire que la loi lui imposait.
L'ensemble de ces raisons a abouti à ce qu'un quart seulement des communes de plus de 5 000 habitants se sont dotées d'une aire.
Certaines de celles qui ont aménagé une aire ont connu un afflux plus important de gens du voyage et, par voie de conséquence, de nouveaux stationnements illicites, et l'inaction de certaines communes a parfois abouti à ce qu'elles se défaussent sur celles qui ont respecté la loi, ce qui a contribué à donner le sentiment d'un problème sans solution.
Le projet de loi, tel qu'il vous est soumis, prend en compte ce bilan de l'article 28 et le Gouvernement vous propose des solutions pour remédier aux difficultés.
Je citerai d'abord la concertation et la réflexion partagée pour l'élaboration des schémas départementaux. Le niveau départemental est en effet le bon niveau pour la connaissance des problèmes et la définition de solutions adaptées.
J'évoquerai ensuite le soutien affirmé aux solutions intercommunales et la définition de deux délais successifs communs à tous les acteurs, à savoir dix-huit mois au plus pour l'adoption du schéma départemental et deux ans maximum pour la réalisation des aires, après l'adoption du schéma.
Par ailleurs, l'Etat consent un important effort financier. C'est ainsi que 1,7 milliard de francs seront consacrés en quatre ans aux subventions à l'investissement. En effet, le taux de subvention double, passant de 35 % à 70 % du coût des travaux. En outre, 300 millions de francs seront consacrés, à terme, à l'aide à la gestion créée par le présent projet de loi, soit 10 000 francs par place et par an.
Enfin, le projet de loi prévoit le renforcement des moyens juridiques mis à la disposition des communes qui ont réalisé des aires de stationnement.
Globalement, les solutions que je viens de décrire brièvement ont fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées.
Certaines questions continuent cependant de faire débat.
Ainsi, le Gouvernement et l'Assemblée nationale souhaitent maintenir une obligation spécifique pour les communes de plus de 5 000 habitants, qui devront toutes aménager ou cofinancer l'aménagement d'une aire. Il s'agit de créer une garantie pour que, si une solution intercommunale n'est pas trouvée, des réponses soient néanmoins apportées.
Le texte qui vous est soumis prévoit, en outre, que le préfet aura les moyens de faire respecter les obligations posées par la loi. Si, au terme d'un délai de dix-huit mois, le schéma n'a pas été conjointement adopté par le préfet et le président du conseil général, le préfet pourra l'adopter seul.
Si, au terme d'un délai de deux ans après l'adoption du schéma, une commune n'a pas aménagé l'aire prévue au schéma, le préfet pourra procéder à l'aménagement de cette aire au nom et pour le compte de cette commune.
L'expérience de l'article 28 nous montre qu'il est nécessaire que ces dispositions existent. Le souhait du Gouvernement est naturellement que le préfet n'ait pas à les mettre en oeuvre, mais le simple fait qu'elles existent pourra y aider...
Aboutir à une solution concrète permettant le respect de la loi par la concertation et la discussion est évidemment préférable à toute décision autoritaire, mais il reste que l'Etat doit avoir les moyens de garantir le respect de la loi.
Ce texte est attendu par tous les acteurs concernés, afin que, dans un délai rapide, soient aménagées en nombre suffisant des aires d'accueil répondant aux besoins des gens du voyage. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie d'avoir fait un récapitulatif complet du parcours de ce texte et d'avoir mis le doigt sur les points d'accord et de désaccord.
Cette loi est effectivement très attendue, car l'absence de règle crée des tensions de plus en plus vives sur le terrain. Le texte proposé par le Gouvernement et voté par l'Assemblée nationale n'atténue cependant pas les inquiétudes des élus quant à l'efficacité de l'action publique, car nous croyons plus au respect de la loi par la concertation que par la capacité de contrainte.
Nul ne peut contester l'obligation d'offrir un nombre de places suffisant pour désamorcer la tentation des gens du voyage d'occuper de force un espace libre. Le constat est unanime entre les deux assemblées. Toutefois, la localisation de l'aire d'accueil, communale ou intercommunale, et la préservation de ce patrimoine doivent relever de la solidarité nationale et d'un partenariat fort, d'où notre revendication que l'on augmente l'aide forfaitaire et que l'on intègre dans la partie de l'investissement la capacité de restaurer ou de réparer.
Nous pouvions nous mettre d'accord sur un certain nombre de points. En faisant un effort, les uns et les autres, nous aurions pu nous entendre sur le schéma national, auquel le Sénat est très attaché, et qui permet de responsabiliser l'Etat sur les grands déplacements. Nous pouvions nous entendre sur la coopération interdépartementale, voire interrégionale. Nous pouvions, moyennant une augmentation de la dotation forfaitaire de fonctionnement, nous entendre sur le partenariat financier, et nous avons d'ailleurs souligné l'effort qu'a fait le Gouvernement en augmentant de façon sensible les subventions.
Nous avons fait une proposition très réaliste, au Sénat, pour augmenter l'efficacité de la procédure judiciaire, avec l'introduction d'une procédure de référé d'heure à heure, et nous restons attachés, comme le Gouvernement, mais contrairement à l'Assemblée nationale, au maintien des compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire.
Grâce à des échanges, à des réflexions, nous pouvions parvenir à un accord sur les moyens nécessaires à mettre en oeuvre pour pallier ce que vous appelez les « insuffisances » de l'article 28 de la loi de 1990 : augmentation des subventions, appui à la négociation à l'échelon départemental, moyens judiciaires pour lutter contre le caractère illicite.
Ces outils constituent - nous en convenons - une avancée par rapport à la loi de 1990. Pourquoi, alors, mettre en doute leur pertinence, voire leur efficacité, en prévoyant d'agir par la contrainte au motif que les élus refuseraient d'appliquer la loi ? C'est un procès injuste, et c'est là où nos raisonnements divergent grandement.
Le ministre lui-même a reconnu que cet article 28 avait été introduit dans un texte qui ne concernait pas les gens du voyage. Ainsi donc, par définition, de par sa nature, il ne pouvait répondre aux problèmes posés par les gens du voyage.
Vous aviez listé toute une série de problèmes qui, effectivement, étaient posés et auxquels vous apportiez des solutions. Et, paradoxalement, au moment où vous apportez des solutions, vous dites qu'elles ne pourront pas être appliquées sur le terrain.
Quelle réflexion peut-on tirer de l'examen de la situation actuelle, de l'attitude des maires face à l'article 28 et à l'obligation qui leur a été faite ? Les élus ont-ils un comportement de résistance ?
A voir l'exemple de celles et de ceux qui se sont engagés dans cette politique, qui ont réalisé des aires de stationnement pour les gens du voyage, on se rend bien compte qu'ils sont totalement isolés.
Isolés, ils le sont vis-à-vis de leurs collègues, vous avez raison, certains se réjouissant qu'il existe des aires d'accueil parce qu'ils ne veulent pas en créer eux-mêmes. Ils le sont aussi vis-à-vis de la justice et de l'Etat parce qu'ils ont sur les bras un problème quasiment insoluble : le temps de faire le financement, de mener l'action de justice, de mobiliser l'action de l'Etat, les gens du voyage se déplacent de quelques centaines de mètres, et le problème n'est toujours pas réglé. Enfin, ils sont isolés financièrement parce qu'il doivent prendre en charge le coût des dégradations.
Tout cela existe encore aujourd'hui. Vous palliez ces inconvénients en accordant des moyens financiers. Nous, nous avons proposé une procédure judiciaire adaptée à l'urgence, à savoir le référé d'heure à heure. Si l'efficacité de ces procédures est révélée, les maires réaliseront les aires d'accueil, pas forcément de gaieté de coeur, mais pour pouvoir faire appliquer la loi dans les zones d'interdiction, car, là, il y a une contrepartie.
A partir du moment où l'Etat fait un effort d'accompagnement dans la réalisation des aires, où, en même temps, il met en place des actions permettant le respect de l'interdiction du stationnement illicite, à l'évidence la contractualisation, aux yeux de la population, est équilibrée et l'on peut inciter les élus à s'engager dans cette politique.
Mon inquiétude - sur ce point, je ne partage pas votre analyse - n'est pas liée à la résistance des élus à l'échelon départemental ; les solutions seront trouvées. Elle n'est pas liée non plus au référé d'heure à heure. Mon inquiétude, exprimée par les élus, tient à la volonté réelle ou la capacité de l'Etat d'appliquer avec détermination et diligence les décisions de justice.
Mon regret est de ne pas avoir vu augmenter l'effort financier pour la participation au fonctionnement de la gestion des aires.
Pour vous faire une confidence - ce sentiment est d'ailleurs confirmé par l'impression que m'ont donnée les représentants du corps préfectoral - je ne crois pas un seul instant à la capacité de contrainte du préfet. Cela favorisera, au contraire, une explosion de contentieux, qui allongera la durée de réalisation. Cela permettra à certains - c'est tout à fait contraire au pacte républicain - de mobiliser les citoyens contre l'Etat, en augmentant les risques de rejet d'une minorité au moment où l'intégration est au coeur de nos préoccupations et où l'Etat doit jouer l'unité de la nation et non la division entre communautés.
Je regrette que l'esprit de la décentralisation soit ainsi bafoué, car l'Etat ne manifeste pas, dans ce texte, sa confiance dans la capacité des élus à appliquer la loi républicaine. J'ai même entendu un membre du Gouvernement, constatant la résistance des maires à appliquer partout sur le territoire français la loi républicaine, dire qu'il ne pouvait pas accepter cette inégalité des citoyens devant la loi républicaine.
M. Nicolas About. Il n'a qu'à gérer une commune !
M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur. Dans ce cas, monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi ne pas ouvrir le débat dans les deux sens ? Pourquoi ce procès est-il instruit uniquement contre les collectivités locales ? Si l'on pose le problème de l'égalité des citoyens face à l'application de la loi républicaine par les collectivités locales, posons aussi le problème de l'égalité des citoyens face à son application par l'Etat. Pourquoi ne pas mettre des policiers, des lits d'hopitaux, des médecins, des services publics en nombre partout ?
Si l'on ouvre ce procès, personne n'y gagnera ! (M. About applaudit.) C'est contraire à l'esprit des lois de décentralisation, qui doit privilégier le partenariat pour renforcer l'efficacité de l'action publique et l'égalité des citoyens devant la loi.
Je ne comprends pas ce mauvais procès fait aux élus locaux, mauvais procès dû à l'insuffisance des textes et à l'incapacité de l'Etat à faire appliquer les décisions de justice. C'est donc le doute qui freinait la décision des élus.
Par ailleurs, je suis très étonné, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'au moment où, très justement, vous soulignez les insuffisances de l'article 28 de la loi de 1990 et où, très légitimement, vous nous proposez des solutions pertinentes, financières et judiciaires, pour pallier ces insuffisances, vous estimez qu'elles ne seront pas corrigées puisque vous remettez les solutions en doute en faisant jouer la contrainte. Pourquoi, alors, les proposer ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, sur un sujet aussi difficile que celui des gens du voyage, il faut jouer la confiance et non le doute, et ce texte aurait donc dû être fondé sur la confiance.
La spécificité de la France repose sur un contrat entre les collectivités locales et l'Etat, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays européens. Nous avons l'habitude de voir ce contrat écorné sur le plan financier ; nous le voyons, aujourd'hui, écorné sur le plan des compétences.
Prenons garde que cela ne se retourne pas contre les gens du voyage, qui ont aujourd'hui besoin d'intégration, de place, de respect, mais aussi d'une incitation forte à respecter les lois de la République, afin d'être en mesure d'exiger que celle-ci les accueille. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les incidents entre populations nomades et habitants des communes, bien souvent « envahies », sont de plus en plus fréquents.
La presse ne cesse de s'en faire l'écho, à la faveur, bien sûr, des traditionnels pélerinages des gens du voyage, mais aussi à l'occasion des pérégrinations intercommunales dans l'ensemble de nos régions.
C'est la « pagaille semée à l'université de Grenoble par un campement illégal ».
Ce sont des habitants excédés par les problèmes que pose l'arrivée de 150 caravanes à Sophia et à Villeneuve-Loubet.
C'est un maire agressé et hospitalisé à Ville-la-Grand, c'est un autre maire blessé à Maurepas, alors qu'ils tentaient de faire appliquer la loi.
C'est encore l'annulation, au dernier moment, d'un tournoi de football, en raison des risques pour la sécurité des enfants.
C'est la remise en état de zones saccagées - éclairage, sanitaires, structures d'accueil - comme à Saint-Quentin-en-Yvelines, les années précédentes.
Ces cas ne sont pas isolés. Ils ne sont pas inventés. Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat : c'est la réalité ! Il ne faut pas se la cacher, car elle engendre, au quotidien, un climat d'exaspération.
Il ne s'agit pas, ici, de condamner le mode de vie des gens du voyage. Mais reconnaissons que, comme le notait un quotidien, « s'octroyer sans vergogne un terrain privé, se brancher sans autorisation sur l'eau de la commune et sur le réseau électrique » - quand on n'enlève pas les câbles ! - « n'est pas forcément la meilleure des solutions pour être accueilli à bras ouverts ».
Qu'ils soient de droite ou de gauche, les maires constatent leur impuissance face à ces situations, de plus en plus mal supportées par les populations.
C'est ainsi que les problèmes ne font que se déplacer sans jamais être résolus.
Les maires déplorent l'inapplication de la loi, des procédures d'expulsion, toujours lentes et compliquées, toujours inefficaces à court terme puisque, à peine partis, les revoilà ! Au final, tout cela représente un coût très élevé pour la collectivité.
Le texte que le Sénat avait adopté lors des précédentes lectures tenait compte de la plupart de ces aspects.
A la suite de l'excellent travail de notre rapporteur, il préservait un équilibre entre les droits et les obligations de chacun ; un véritable partenariat entre l'Etat, les départements, les communes, les représentants des gens du voyage était organisé ; enfin, et surtout, tous les moyens étaient recherchés pour permettre au maire d'assurer l'évacuation de campements sauvages dans les plus brefs délais.
Or, par un texte inapproprié, on va placer, une fois de plus, les élus dans des situations délicates, les préfets étant privés du pouvoir d'expulsion et n'ayant pas l'obligation d'accorder le concours de la force publique de façon systématique.
Tous, nous reconnaissons la nécessité d'aménager plus d'aires d'accueil. Mais ne nous leurrons pas !
Obligé de construire et d'aménager des aires d'accueil, le maire se verra reprocher celles-ci par les habitants du fait des troubles généralement occasionnés par les campements.
En contrepartie, nous réclamons donc que les gens du voyage respectent la loi et se la voient appliquer comme tous les citoyens français, ni plus ni moins, que les zones de campement ne soient pas des zones de non-droit, que la police y ait accès, qu'elles soient à dimension humaine pour pouvoir être gérées par les collectivités.
Comment, en effet, ne pas comprendre ce propriétaire, dans son bon droit, indigné d'être traité en « sous-citoyen », qui se demande pourquoi il payerait des frais d'huissier pour récupérer son terrain - sans parler du coût des éventuelles détériorations que son bien aura subies ! - alors qu'il est confronté à un campement illicite ? Sa révolte est légitime. Elle l'est d'autant plus que l'Etat, lui, fuit ses responsabilités dans cette affaire.
Combien de fois le maire se retrouve-t-il seul, après le refus du préfet d'accorder l'appui de la force publique ?
Comment accepter que des gens qui ne remplissent pas de déclaration d'impôts ou qui ne sont pas imposables, mais qui perçoivent souvent le RMI - pour avoir fait partie d'une commission d'attribution du RMI, j'ai été surpris de voir que même l'insertion ne pouvait pas se faire parce qu'ils étaient partis en pèlerinage ! - parviennent tout de même à acquérir des véhicules de plus de 500 000 francs et des caravanes haut de gamme que la majorité de nos concitoyens n'aura jamais les moyens de s'offrir, même après une vie de labeur ?
Cette réalité, nos concitoyens ne la comprennent pas et c'est bien normal !
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, je vous interroge : le Gouvernement fera-t-il appliquer la loi ? Le Gouvernement est-il prêt à payer les aires d'accueil ? Le Gouvernement est-il disposé à gérer ou à faire gérer ces aires d'accueil par des organismes adaptés et non par les collectivités ?
Je sais bien que les solutions gouvernementales s'appuient toujours, et dans tous les domaines, sur les collectivités locales.
Nous observons que le débat démocratique a ses limites. Les navettes parlementaires n'ont servi à rien puisque le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale est sensiblement le même que celui qu'elle nous avait transmis en première et en deuxième lecture. Malheureusement, nous en sommes là !
Alors, sans agressivité ni xénophobie, l'homme politique doit tenir compte de son devoir d'accueillir dignement les gens au mode de vie différent, mais il doit aussi apprécier les réalités. Le Gouvernement se gargarise de morale mais pas toujours des réalités. Les difficultés sont pour les collectivités : il leur laisse le soin d'accueillir une population toujours grandissante, mais il les laisse seules dans la tourmente, et ce ne sont pas quelques subventions qui leur donneront le sentiment de recevoir un réel appui de l'Etat !
Si nous dénonçons la manoeuvre, nous ne refusons pas le défi. C'est pourquoi les membres du groupe des Républicains et Indépendants voteront les amendements que nous présentera notre excellent rapporteur, M. Delevoye ; en revanche, ils ne voteront le projet de loi que dans la mesure où ces amendements auront été adoptés. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons à nouveau le projet de loi relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage. En effet, après les deux lectures dans chacune des deux chambres, la commission mixte paritaire, réunie au Sénat le 9 mai dernier, n'est pas parvenue à un accord sur les dispositions de ce texte. Il est vrai que l'esprit qui a prévalu à l'Assemblée nationale, et que mon groupe partage, ne semblait guère compatible avec l'approche privilégiée au Sénat, tout au long des différentes lectures.
La principale opposition de la majorité sénatoriale porte sur le pouvoir de substitution que le texte accorde au représentant de l'Etat dans le département, tant en matière d'approbation du schéma départemental qu'en matière de réalisation des aires d'accueil par les communes figurant dans ce schéma.
Sous couvert de respect du principe de décentralisation, nos collègues des travées de droite ont longuement vanté les avantages du maintien d'une législation contractuelle et incitative, sans contrainte pour les collectivités locales qui refuseraient d'appliquer les dispositions de la loi.
Ce choix suscite deux remarques principales.
D'abord, je vous rappelle que c'est la logique qui a guidé la loi du 31 mai 1990, en particulier son article 28. Si cette loi a permis des avancées considérables, son bilan n'en demeure pas moins insatisfaisant. En effet, faute de contrainte et d'obligation de délai, nous connaissons une pénurie aiguë d'aires d'accueil.
Faute de contrainte - M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé tout à l'heure - ce sont les communes qui ont respecté la loi et qui se sont dotées d'aires d'accueil qui sont aujourd'hui pénalisées, car elles subissent des pressions énormes de la part de la communauté des gens du voyage pour qui ces places ne suffisent pas. Trois quarts des communes de plus de 5 000 habitants n'ont pas encore aménagé d'aires d'accueil, malgré l'obligation légale.
M. le secrétaire d'Etat l'a rappelé, il faut multiplier par six le nombre de places pour parvenir aux 30 000 qui sont nécessaires.
Dans ces conditions, que devient le droit de choisir son mode de vie, droit qui, bien entendu, mais je préfère le rappeler, vaut aussi pour les gens du voyage ?
Ma seconde remarque porte sur la conception qu'a la majorité sénatoriale de la décentralisation.
A vous entendre, mes chers collègues, vous en seriez les seuls garants. Mais le moins que l'on puisse dire, c'est que vous en faites une étrange interprétation. En effet, l'article 72 de notre Constitution prévoit que la libre administration des collectivités locales s'effectue « dans les conditions prévues par la loi » et que le représentant de l'Etat « a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». En aucun cas, la décentralisation ne doit être un moyen ou un prétexte pour ne pas appliquer la loi.
Une autre opposition de la majorité sénatoriale porte sur la volonté exprimée dans le projet de loi de faire du schéma départemental la référence en matière d'accueil des gens du voyage.
Mon groupe continue, pour sa part, à préférer la solution proposée une nouvelle fois par l'Assemblée nationale. Contrairement à un schéma national, les schémas départementaux nous semblent plus souples, moins complexes, davantage liés à la réalité du terrain, d'autant que, par ailleurs, la responsabilité de l'Etat en matière de grands rassemblements est établie.
S'agissant du financement, les rapports du Sénat ne manquaient pas de souligner l'effort consenti. En effet, une circulaire du 16 septembre 1992 du ministère de l'équipement prévoit un financement des investissements par l'Etat à hauteur de 35 %. Le présent projet de loi porte la prise en charge de l'Etat à 70 % des dépenses. La progression est notable, même si mon groupe aurait préféré un déplafonnement de cette aide afin que celle-ci corresponde effectivement à 70 % des dépenses réelles engagées. Ce plafonnement peut avoir pour effet de tirer vers le bas les coûts et donc la qualité des aires réalisées.
L'Assemblée nationale avait prévu une bonification accrue de la dotation globale de fonctionnement pour les communes ayant construit une aire et connaissant de fortes difficultés sociales et financières. Le Sénat n'a pas retenu cette disposition réintroduite en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale et que mon groupe soutient tant elle lui semble équitable.
Le dernier point de désaccord concerne les mesures d'expulsion. Aujourd'hui, comme lors des précédentes lectures, la majorité sénatoriale ne partage pas la préférence de l'Assemblée nationale pour l'unification de la compétence contentieuse au profit du juge civil. Or ce choix ne me semble pas prendre en considération la complexité de la jurisprudence relative à la définition même du domaine public dont découle la compétence du juge. Mon groupe approuve donc le retour aux dispositions initiales, opéré par l'Assemblée nationale.
J'ai pu constater combien la majorité sénatoriale était exigeante en matière de répression du stationnement illicite des gens du voyage. J'aurais aimé qu'elle le soit autant pour ce qui concerne la réalisation effective des aires d'accueil.
Je souhaite néanmoins vous redire, mes chers collègues, que l'interdiction de stationnement sur le territoire communal n'est possible que si la collectivité a rempli ses obligations en matière de réalisation d'aires d'accueil. Il est donc urgent que ce texte soit adopté, afin que le nombre de places disponibles augmente significativement et que les situations de tension puissent enfin se résoudre.
Bien entendu, comme lors des précédentes lectures, le groupe communiste républicain et citoyen appelle de ses voeux le dépôt d'un projet de loi relatif aux gens du voyage qui soit plus global, dépassant la seule question de leur accueil. Il est urgent de réformer la loi de 1969, notamment l'obligation du carnet de circulation, qui fait des membres de cette communauté des citoyens à part, ne jouissant pas des mêmes droits que les sédentaires.
Le texte que nous propose l'Assemblée nationale concilie le droit de choisir son mode d'habitat avec la libre circulation, dans un rapport équilibré entre les droits et les devoirs de chacun. Cette approche nous agrée, car nous souhaitons que les gens du voyage soient des citoyens à part entière, soumis bien entendu aux mêmes devoirs que les autres, mais jouissant également des mêmes droits.
Mon groupe ne soutiendra pas les amendements de la majorité sénatoriale et ne pourra donc pas voter le texte après qu'il aura été ainsi modifié. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je voudrais tout d'abord prier la Haute Assemblée de bien vouloir m'excuser de ne pas avoir pu assister au début de la discussion. En effet, une obligation me retenait à quinze heures à l'Assemblée nationale. Je vous ai rejoints aussi tôt que possible, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous remercie d'avoir bien accueilli mon collègue Jean-Pierre Masseret, qui m'a suppléé dans cette circonstance.
Je n'ai pas pu bénéficier de la totalité du contenu des interventions, mais M. Masseret m'en a néanmoins entretenu, en me signalant tout particulièrement, monsieur le rapporteur, votre analyse qui vous conduit à réfuter la volonté du Gouvernement de prévoir des mesures coercitives - employons le terme - en cas de non-application spontanée de la loi par les collectivités locales.
L'Etat est enclin à penser que l'immense majorité des maires sera de bonne volonté. Confrontés à ces problèmes difficiles, ni l'Etat ni la représentation nationale ne doivent, pour reprendre l'expression de M. About, « fuir leurs responsabilités ». Mieux vaut que les élus de bonne volonté qui se heurteront à des incompréhensions de voisinage puissent s'appuyer sur une loi qui, certes, leur crée des obligations mais qui leur donne aussi des moyens. Les élus, dès lors qu'il seront de bonne volonté, apprécieront cette possibilité d'ultime recours.
J'ai entendu l'intégralité de l'intervention de Mme Terrade. Le Gouvernement partage sa conception républicaine de la décentralisation : le fait que notre territoire soit fractionné en collectivités ne doit pas être une cause d'échec de l'application de cette loi sur la totalité de l'Hexagone. La clarté de son exposé m'évitera de revenir sur cet aspect.
Monsieur About, je ne pense pas que l'on puisse accuser le Gouvernement de se gargariser de morale et de laisser les difficultés aux collectivités. Les membres du Gouvernement sont, dans une proportion assez élevée, des élus locaux et ils ont tous bien conscience, monsieur le sénateur, que leur mission au Gouvernement est plus temporaire que les responsabilités qu'ils peuvent avoir à assumer sur le terrain. Donc, ils n'iraient pas dans ce sens, faute de quoi ils nourriraient leur propre déception.
Je crois, en tout état de cause - c'est l'honneur mais aussi la charge, voire la servitude de la fonction locale - que la collectivité a la maîtrise des territoires, ce qui n'est pas le cas de l'Etat lui-même.
M. Nicolas About. Si, par la loi, au contraire !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. L'Etat peut aider, accompagner, se montrer clair sur les principes de son action et les objectifs qu'il se fixe. Ce texte en est un exemple : il apporte des solutions claires et, pour la première fois, me semble-t-il, financées, à un problème qui se pose.
Certes, madame Terrade, l'aide de l'Etat est plafonnée mais, de l'avis général, les dépassements ne devraient être qu'exceptionnels. Je vous précise que le doublement du taux de la subvention de l'Etat ne fait pas obstacle à des financements croisés. D'ailleurs, des caisses d'allocations familiales, des conseils régionaux ou généraux apportent déjà leur contribution aux côtés des villes, ce qui est appréciable. Avec un taux de 70 %, on peut néanmoins considérer que l'essentiel du chemin est fait, si vous me permettez cette expression.
Ce qui est surtout très important à mes yeux, c'est l'aide au fonctionnement qui pourra être effective dès le 1er janvier 2001 et qui, à hauteur de 10 000 francs annuels par place, permettra d'assurer, nous semble-t-il, ce qui la plupart du temps ne se faisait pas, c'est-à-dire la gestion, le gardiennage et la maintenance des aires d'accueil.
En effet, nombre de maires ont vu leurs efforts ruinés, certes parce qu'ils ont été trop peu nombreux à y consentir, mais aussi parce qu'ils se trouvaient seuls à assumer les charges induites par la réalisation d'une aire. Nous pallions, je crois, cette carence, et ce sera une grande avancée.
En fait, ce n'est qu'une mise à parité car l'aide au fonctionnement qui sera apportée par l'Etat annuellement, et qui sera répétitive, est, d'une certaine manière, l'équivalent de l'allocation de logement temporaire, l'ALT, pour les structures d'accueil que constituent les foyers. Il est clair qu'une aire d'accueil ne peut pas vraiment s'assimiler à l'habitat traditionnel. Il fallait donc trouver une équivalence et c'est ce que nous avons cherché.
Monsieur About, je souhaite vous avoir convaincu qu'il n'y a pas de manoeuvre. J'ai été l'un des membres du Gouvernement à indiquer que, si les citoyens le souhaitent, j'assumerai à nouveau des fonctions locales, et je n'ai nullement l'intention de me piéger moi-même, croyez-moi !
M. Nicolas About. Très bien !
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je souhaite vous avoir quelque peu rassuré sur ce point.
Les dispositions qui vous sont proposées, et qui renforcent les possibilités de lutter contre les occupations illicites, constituent des avancées incontestables. Vous y avez contribué.
Je pense au référé d'heure et à heure à votre souhait que l'exécution soit possible sur simple transmission de la décision, sans que soient mis en oeuvre les processus complexes de notification parfois délicate et pouvant mettre en échec la communication de l'information.
Je pense aussi aux dispositions ouvrant au juge la possibilité, par injonction, de décider que le territoire de la commune devra être quitté pour éviter la répétition de procédures.
Je pense enfin, car j'ai compris que, sur ce point, le Gouvernement ne serait pas entendu, à l'unification de la juridiction compétente : que les terrains soient publics ou privés, vos collègues de l'Assemblée nationale souhaitent que la juridiction civile soit seule compétente. Bref, nous sommes dans une logique de simplification, de recherche d'efficacité.
Dans cette optique, mon collègue ministre de l'intérieur m'associera à une prochaine réunion des préfets, qu'il s'agit de sensibiliser à la nécessité d'accorder le concours de la force publique lorsque les collectivités locales sont elles-mêmes respectueuses de la loi, comme souvent les juridictions le font remarquer. Ma collègue garde des sceaux donnera, par ailleurs, toutes instructions utiles pour qu'il soit fait diligence dans l'instruction des instances qui pourraient être engagées à ce sujet.
J'espère donc que nous aboutirons à ce texte équilibré, qui nécessite des prises de conscience permettant de surmonter les points d'incompréhension majeurs qui existent entre les diverses composantes de la population du pays.
Les gens du voyage qui, fautes d'aires d'accueil, sont souvent « invités » à aller ailleurs nous disent souvent : « Nous sommes déjà dehors et on veut encore nous mettre dehors ! » C'est, quelque part, une vérité.
L'essentiel, c'est que les aires aménagées soient en nombre suffisant pour que tous disposent d'une place adaptée, convenable, et qu'ainsi la vie dans nos collectivités retrouve un caractère paisible. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er