Séance du 27 juin 2000







M. le président. La parole est à M. Braye, auteur de la question n° 837, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'article 124 de la loi de finances de 1991 a institué une taxe au profit de Voies navigables de France. Cette taxe doit être acquittée par les collectivités locales qui rejettent ou prélèvent de l'eau dans le domaine public fluvial.
Il est évident que le principe de cette taxe ne saurait être discuté, dans la mesure où elle sert à alimenter le budget d'un établissement public, dont chacun reconnaît l'efficacité et l'utilité, à l'heure où la préservation de nos voies navigables est une préoccupation pour tous nos concitoyens et où le transport fluvial devrait être privilégié en tant que mode de transport propre et économique.
Les collectivités des Yvelines, riveraines de la Seine, lorsqu'elles captent et ou rejettent de l'eau dans le fleuve, sont donc naturellement redevables de cette taxe. C'est le cas, notamment, du syndicat intercommunal d'assainissement de Meulan-Hardricourt-Les Mureaux, qui a signé en mars dernier une convention d'occupation temporaire du domaine public fluvial pour « prise et rejet d'eau » avec Voies navigables de France, VNF, et rejette les eaux traitées par sa nouvelle station d'épuration des eaux usées. Les élus de ces communes, mais aussi beaucoup d'autres, m'ont alerté sur les dispositions qui président au calcul de cette taxe, car elles leur semblent totalement inéquitables.
En effet, ce mode de calcul, défini par deux décrets successifs, à savoir le décret n° 91-797 du 20 août 1991 et le décret n° 98-1250 du 29 décembre 1998, est fondé sur les notions de « volume prélevable » et de « volume rejetable ». En effet, ces textes édictent que « le volume prélevable et/ou rejetable est le volume maximal annuel prélevable et/ou rejetable par l'ouvrage, tel qu'il résulte de la capacité physique de prélèvement ou de rejet de l'ouvrage et des quantités susceptibles de transiter par celui-ci ». Cela signifie que la taxe est calculée non pas sur les volumes effectivement prélevés ou rejetés, mais sur le potentiel de captation ou de rejet des conduites, sans qu'il soit tenu compte des volumes réels prélevés ou rejetés.
Dans le cas précis du syndicat intercommunal que j'évoquais au début de mon propos, la différence entre ces deux mesures fait que le volume pris en compte pour le calcul de la taxe est de 7,2 millions de mètres cubes, c'est-à-dire bien plus du double du volume réellement constaté en sortie de l'ouvrage d'épuration en Seine, qui est de 3,4 millions de mètres cubes. A 2,13 centimes par mètre cube, comme le prévoit le décret, le montant de la taxe est de 153 360 francs, soit une charge non seulement très lourde pour ces communes du Val-de-Seine, mais surtout ne tenant aucun compte ni du volume effectivement rejeté ni de la qualité des eaux rejetées.
Ce qui est encore plus grave, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est que ces dispositions vont à l'encontre des objectifs de la loi sur l'eau de 1992, qui, en exigeant la mise en conformité des installations et des ouvrages existants, imposent aux collectivités d'anticiper sur les besoins à venir, ce qui se traduit naturellement toujours par un surdimensionnement des installations par rapport aux besoins immédiats, tout simplement pour préserver l'avenir, et donc par souci de bonne gestion.
Le décret de 1991 étant antérieur à la loi sur l'eau, qui date de 1992, il est évident qu'il ne pouvait pas tenir compte de ces objectifs. En revanche, le décret de 1998 aurait dû intégrer cet impératif de mise en conformité des ouvrages, mentionné aux articles 10 et 11 de la loi, qui s'est traduit depuis 1993 par des réalisations importantes.
Les collectivités qui, par souci de protection de l'environnement, ont choisi de faire ces investissements, en construisant de telles installations dont la capacité dépasse toujours leur besoin de captation ou de rejet immédiat, sont donc gravement pénalisées par ce mode de calcul.
A l'inverse, les collectivités qui ne manifestent aucun empressement et n'ont pas encore réalisé ces investissements, pourtant si nécessaires, trouvent dans les dispositions de ce décret un argument de poids pour renvoyer à plus tard - je dirai même aux calendes grecques - la construction ou la rénovation de leurs installations, en mettant toujours en avant auprès de leurs contribuables leur souci de ne pas leur imposer de nouvelles charges. Elles seront, dans un second temps, poussées à investir dans des ouvrages calibrés strictement sur la quantité d'eaux résiduaires qu'ils rejettent aujourd'hui, ce qui, vous en conviendrez, ne manquera pas de poser rapidement de réels problèmes.
En conséquence, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, ce que vous comptez faire pour modifier ce mode de calcul que tous les élus et défenseurs de l'environnement trouvent injuste et surtout contraire à l'objectif visé.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Comme vous l'avez souligné dans votre propos, la taxe hydraulique affectée à Voies navigables de France, établissement public à caractère industriel et commercial, est très utile. Son produit annuel représente 525 millions de francs et permet de financer les dépenses d'entretien des voies navigables.
Juridiquement, l'article 124 de la loi de finances pour 1991, qui a créé cette taxe, indique que l'assiette de la taxe hydraulique intègre le volume prélevable ou rejetable par l'ouvrage, et les dispositions réglementaires confirment ce principe.
Vous considérez, monsieur le sénateur, que ce principe pénalise les collectivités, et vous proposez de modifier cette disposition en retenant le volume effectivement projeté ou rejeté.
Cette modification, qui nécessiterait une disposition législative, pose une difficulté importante. Elle suppose en effet que l'installation d'appareils de mesures des débits rejetés ou prélevés ainsi que des modalités de contrôle sont concrètement possibles. Un tel système serait lourd et complexe. Il a donc été retenu de prendre en compte le volume prélevable ou rejetable, qui correspond à la capacité effective totale des canalisations de l'ouvrage, et de limiter le taux de la taxe appliquée, qui est d'ailleurs très faible actuellement puisqu'il est fixé à 2,13 centimes par mètre cube.
Une modification de l'assiette supposerait en contrepartie une hausse du taux afin de ne pas pénaliser Voies navigables de France, EPIC dont nous nous accordons à reconnaître l'utilité et pour lequel la ressource dont nous parlons est absolument essentielle, puisqu'elle conditionne sa vie et son action.
Par ailleurs, contrairement à ce que vous avez indiqué, monsieur le sénateur, je ne pense pas que cette taxe pénalise financièrement les collectivités locales, puisque ces dernières ont la possibilité, en application d'un décret du 27 mars 1993 relatif aux conditions dans lesquelles le montant de la contre-valeur de la taxe due à Voies navigables de France par les titulaires d'ouvrages pourra être mis à la charge des usagers des services publics de distribution d'eau et d'assainissement, de répercuter son montant dans des conditions très acceptables, la répercussion de cette taxe ne représentant que 0,25 % environ du prix de l'eau facturé à l'usager.
Par conséquent, malgré la situation particulière que vous évoquiez dans le département que vous représentez, monsieur le sénateur, il ne me paraît pas opportun de modifier l'assiette de la taxe hydraulique. C'est un système qui fonctionne bien au bénéfice de l'ensemble des collectivités locales, lesquelles - je le souligne une nouvelle fois - ne sont pas pénalisées grâce à la possibilité qui leur est ouverte par le décret du 27 mars 1993.
M. Dominique Braye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Vous imaginez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre réponse ne peut me satisfaire puisque, de toute façon, vous n'avez apporté aucun élément nouveau.
Je souhaite vous répondre plusieurs choses.
Tout d'abord, j'avais bien compris - je l'ai d'ailleurs indiqué dans ma question - que l'argument avancé par les collectivités locales qui ne rénovent pas leurs installations était bien de ne pas en répercuter le coût sur les contribuables ou les usagers, et donc de ne pas imposer de nouvelles charges à ces derniers. De toute façon, tous les élus, ici, savent bien que le prix de plus en plus insupportable de l'eau tient non pas tant à l'eau prélevée qu'à l'addition des taxes.
Par ailleurs, si je suis tout à fait d'accord pour considérer qu'il ne faut pas remettre en cause ni même diminuer les crédits affectés à l'EPIC Voies navigables de France, je ne comprends cependant pas que, en tant que membre du Gouvernement, vous n'ayez pas plus le souci de l'équité, et donc d'une juste répartition de la taxe entre les collectivités locales, cette taxe devant, à mon avis, porter d'abord sur les collectivités locales qui rejettent réellement de gros volumes d'eau ou de l'eau de mauvaise qualité, plutôt que sur celles qui ont mis en place des installations nouvelles et, préjugeant l'avenir, des canalisations importantes, et qui, pour l'instant, ne renvoient dans les fleuves ou les cours d'eau que de petites quantités d'eau. Voilà qui inciterait les collectivités locales à rénover leurs installations !
Pour ma part, je suis en train d'étudier, pour la collectivité que j'administre, la possibilité de faire poser au bout des canalisations allant à la Seine des réducteurs, afin d'adapter aux besoins le calibre des canalisations et donc le potentiel de rejet des conduites, potentiel auquel est liée la taxe !
On en arrive ainsi à des situations ubuesques, voire imbéciles, puisque, de toute façon, le système de calcul de cette taxe - et cela n'est contesté par personne ! - est inéquitable, injuste et va à l'encontre de l'objectif recherché.
Je dirai une dernière chose, monsieur le secrétaire d'Etat : il n'y a aucun problème technique pour calculer les volumes rejetables dans les voies navigables. Envoyez-nous des membres de vos services pour que nous leur expliquions et que nous leur montrions sur le terrain comme on les calcule ! Personnellement, je déclare régulièrement, pour la collectivité que j'administre, des volumes précis. Et mon collègue des Mureaux, qui a mis en place une station d'épuration très moderne, est capable de dire qu'il renvoie 3,4 millions de mètres cubes par an, volume qui n'est contesté par aucun des services de l'Etat. C'est donc un faux argument que de mettre en avant la difficulté de mesurer le volume d'eau rejeté.
De toute façon, monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse non seulement ne satisfera pas les élus de la vallée de la Seine qui ont construit des installations d'une capacité supérieure à leurs besoins actuels, mais, de plus, elle n'incitera pas les collectivités voisines des nôtres à se mettre aux normes. En effet, si elles tardent à le faire, c'est en avançant l'argument que, cette taxe étant de toute façon mauvaise, ils épargnent ainsi à leurs contribuables des impôts inéquitables, qui sont toujours trop lourds, même si vous, vous les estimez trop légers, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. le président. L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)