Séance du 28 juin 2000







« Cette journée est fixée au 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vélodrome d'hiver à Paris, si ce jour est un dimanche ; sinon, elle est reportée au dimanche suivant.
« Chaque année, à cette date, des cérémonies officielles sont organisées aux niveaux national et départemental, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. »
Par amendement n° 1, M. Charasse propose de rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
« Il est institué une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et des crimes contre les personnes à raison de leurs engagements politiques, syndicaux, philosophiques ou religieux commis par l'autorité de fait se disant "Gouvernement de l'Etat français" ou avec son concours et d'hommage aux "Justes" de France et aux patriotes qui ont recueilli, protégé ou défendu, au péril de leur propre vie et sans aucune contrepartie, une ou plusieurs personnes menacées d'arrestation, d'emprisonnement, de déportation, de mort ou d'extermination dans le cadre d'un génocide ou des actions dirigées contre les organisations républicaines et celles de la résistance ou contre les personnes défendant les libertés républicaines et oeuvrant pour la libération de la France. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, à la lecture du texte de l'article unique que nous a transmis l'Assemblée nationale, je ne cache pas au Sénat que je ressens, pour bien des motifs, un sentiment de malaise. Non pas tant au regard de cet hommage tardif et plus que mérité vis-à-vis des personnes qui sont concernées par le texte de la proposition de loi de M. Le Garrec, mais en raison du caractère trop restreint, selon moi, de ce texte. En effet, s'il répare effectivement un oubli ou une injustice, je pense qu'il en crée d'autres.
Je laisserai de côté le problème que peut poser ce texte au regard du principe de laïcité de la République, puisqu'il introduit finalement dans une loi de la République une notion purement religieuse en faisant référence à une expression qui rappelle les trente-six Justes de la Bible, et j'en passe...
M. Jean-Jacques Hyest. Cela fait partie de la culture !
M. Michel Charasse. Peut-être, mais un jour viendra où les saints seront nommément désignés dans les lois !...
M. Jean-Jacques Hyest. Au moins saint Michel ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois que les lois de la République piétineront ce principe !
Pour réparer un oubli, il n'en reste pas moins que ce texte aboutit à créer d'autres injustices à l'égard de tous ceux qui, à des titres divers, ont été eux aussi courageux et déterminés sans se faire connaître ou reconnaître après la guerre et sans solliciter honneurs, faveurs ou reconnaissance, qui sont eux aussi anonymes et qui ne sont toujours pas reconnus par la République. Au demeurant, ils ne demandent rien !
J'appartiens à une région, l'Auvergne, et je suis conseiller général d'un canton, celui de Chateldon, près de Vichy, qui évoqueront sans doute beaucoup de choses à un certain nombre de nos collègues, car s'y sont déroulés bien des événements.
Je voudrais aussi que l'on n'oublie pas ce que nous devons à la postière qui a écouté clandestinement les communications des Allemands pour alimenter en renseignements les maquis du Vercors, des Glières, du mont Mouchet ; au curé dont le presbytère était devenu un véritable camp retranché avec des Résistants, des Juifs, des patriotes ; au paysan qui, la nuit, ravitaillait les maquis ; à celui qui portait le message d'un fuyard ou d'un mourant ; au médecin ou à l'infirmière qui prenaient des risques pour panser les plaies de celui qui avait été blessé par balles, du parachutiste anglais qui s'était mal reçu, de l'agent de renseignements qui s'était perdu et blessé.
Je n'aurai garde d'oublier les membres du corps préfectoral parce que, si l'on pense trop souvent à Papon, il y en a quand même eu d'autres : ainsi, quarante membres du corps préfectoral ont été tués par l'occupant à des titres divers - je pense en particulier, dans ma région, au sous-préfet de Brioude - et certains membres de ce corps, lorsqu'ils n'ont pas été tués, ont rendu mille et un petits services ici et là.
Je pense à ceux qui ont caché des Juifs, bien sûr, et dont nous célébrons le mérite aujourd'hui, mais aussi à ceux qui ont caché des Arabes, des Noirs, des Tziganes, des homosexuels, des communistes, des partisans, des francs-maçons, des ennemis de l'occupant et du Gouvernement de Vichy.
Et comment ne pas rappeler dans cette assemblée celles et ceux qui, en Auvergne, dans le Cantal, ont aidé Gaston Monnerville, d'abord en le protégeant parce que sa couleur de peau en faisait un ennemi désigné de l'occupant, ensuite parce qu'ils l'ont caché, qu'ils l'ont amené dans les maquis, qu'ils l'ont soigné parce qu'il a été blessé ? De plus, dans son cas, la couleur - mon cher collègue Georges Othily ne m'en voudra pas - ne facilitait pas les choses, surtout sur le blanc de la neige du Cantal.
Alors, mon premier amendement a pour objet - je ne veux naturellement pas troubler la bonne entente qui règne sur ce sujet ce matin - d'abord, de me permettre d'évoquer ceux-là, ensuite, de demander au Gouvernement si l'on va attendre que ceux-là aient tous disparu pour penser à eux, comme on le fait à l'égard de celles et de ceux, anonymes - ma région était concernée aussi parce que le Chambon-sur-Lignon, ce n'est pas très loin de chez moi, pays protestant - qui ont sauvé des Juifs, eux qui, à leur manière, ont aussi servi la France, la liberté, la République, en n'étant pas forcément à droite, à gauche, orientés politiquement, engagés dans les maquis, mais simplement ne supportant pas l'occupant, ne supportant pas le régime de Vichy et mettant tout en oeuvre, au péril de leur sécurité et de leur vie personnelle, pour contribuer à ce qui allait enfin, un jour, devenir la victoire.
Je suis un peu gêné, face à ce texte, parce que je le trouve trop court, trop restreint, même s'il couvre un phénomène horrible, un phénomène général.
C'était d'ailleurs - je le dis au passage - ce qu'avait voulu rappeler le décret de 1993 du président Mitterrand, dont je ne voudrais pas - ce sera ma conclusion sur ce point, monsieur le président - qu'on le dévie de sa portée. J'ai été de très près associé à sa rédaction, plus près même que vous ne l'imaginez.
C'est sciemment que le président Mitterrand a employé l'expression : « autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français" », qui figure dans l'ordonnance de 1944.
C'est sciemment qu'il a voulu que le 16 juillet, ou le dimanche le plus proche, soit le jour d'hommage aux victimes de tous les racismes mis en place par le régime de Vichy ou avec son concours. Et c'est parce que, au nombre des actes raciaux, qui ont concerné aussi les Arabes, les Noirs, toutes les populations étrangères possibles et imaginables, le plus horrible et le plus massif a concerné les Juifs, qu'il a décidé que ce serait le 16 juillet, date de la commémoration de la rafle du Vel'd'Hiv.
Mais ne donnons pas le sentiment que, pour honorer une catégorie de Français qui ont bien servi l'idée que nous nous faisons de la République et des libertés, nous ignorons délibérément toute une catégorie d'autres Français, qui, eux, permettez-moi de le dire, ont bien mérité de la patrie. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. La commission a été quelque peu embarrassée à l'examen du texte proposé par M. Charasse, dont elle a reconnu la générosité, la très grande qualité et la pertinence des motifs.
Elle a en effet observé que le présent texte était relativement sélectif et que l'amendement sortait donc de son cadre strict.
Aussi, voulant éviter tout risque de remise en cause du processus d'élaboration de ce texte, dont il faut ne pas allonger démesurément la discussion, elle a préféré s'en tenir à la position que j'ai évoquée tout à l'heure, à savoir un vote conforme du texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.
Puis-je ajouter, à titre personnel, que je suis tellement sensible aux propos de M. Michel Charasse, que, s'il y avait un autre texte, qui réponde parfaitement aux souhaits qu'il a exprimés, je serais personnellement très honoré d'en être aussi le rapporteur. (Applaudissements.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Bien entendu, je comprends tout à fait l'intention exprimée par Michel Charasse, qui est, finalement, dans cette oeuvre de commémoration que nous faisons, de n'oublier personne, de faire en sorte que toutes celles et tous ceux qui ont permis à des personnes innocentes d'échapper à des persécutions puissent être reconnus par la nation.
Ce que je lui dirai simplement, c'est qu'en l'espèce l'intention est précisément de mettre l'accent sur les personnes qui ont été victimes du génocide. D'où la nécessité de cette mesure particulière. Ce qui n'empêche pas, bien entendu, que d'autres initiatives puissent être prises pour rendre hommage à d'autres catégories de persécutés. Mais, encore une fois, je pense vraiment que les victimes du génocide méritent ce traitement spécifique.
J'ajoute qu'il conviendrait également que cette proposition de loi, qui fait l'unanimité, puisse être adoptée avant la fin de la session. Ce serait un très bon signal.
Je ne suis donc pas favorable à l'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je m'exprime contre l'amendement pour me réserver le droit d'intervenir éventuellement pour explication de vote.
Mes chers collègues, ce que nous a dit Michel Charasse est-il faux ? Bien sûr que non ! Qui, parmi nous, peut nier tout ce qu'il a dit à l'instant ? Qui peut nier ce qui est écrit dans son amendement ? Personne !
Je dirai toutefois à Michel Charasse que son amendement est un peu hors sujet, car nous examinons une proposition de loi qui a un caractère spécifique. Mme la ministre vient de le rappeler à l'instant, il s'agit de faire son devoir de mémoire en commémorant l'horrible rafle du Vél d'Hiv le 16 juillet.
Je sais, comme certains autres ici, la part qu'a prise Michel Charasse dans l'élaboration du décret de 1993, et nous nous sommes réjouis de ce que le président Mitterrand a fait alors.
Vous avouerai-je aussi que, le 23 février dernier, j'ai eu l'occasion de dire au Président de la République, à Jacques Chirac, combien j'avais, à titre personnel, apprécié ce qu'il avait fait en 1995 ? Je le lui ai dit personnellement, car je me devais, au moment où je l'ai rencontré, avec le bureau du Sénat, de lui dire à quel point j'avais apprécié son geste.
Aujourd'hui, il s'agit de commémorer la rafle du Vél d'Hiv. Dans cette rafle, qui y avait-il ? Des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards ! Quel était leur crime ? Quel était leur délit ? Quelle faute avaient-ils commise ? Aucune ! Le seul crime qu'on leur reprochait, c'était d'être juifs, et c'est parce qu'ils étaient juifs qu'il fallait les exterminer.
Voilà le devoir de mémoire qui nous est imposé aujourd'hui !
L'appellation « Justes » est d'origine hébraïque...
M. Michel Charasse. Pas hébraïque, religieuse !
M. Guy Allouche. Non, la Bible, l'hébreu... ! L'expression Yad Vashem signifie « Justes parmi les nations », car elle couvre tous ceux qui, à travers le monde, ont sauvé de nombreux Juifs de l'extermination. En l'espèce, cette proposition de loi tend à rendre hommage aux « Justes » de France. C'est le terme qui a été retenu ; on aurait pu en trouver un autre, mais c'est celui qui a été repris parce que c'est le terme biblique.
M. Hilaire Flandre. C'est de la culture !
M. Guy Allouche. Oui, c'est de la culture, ce n'est pas moi, qui ai appris l'hébreu, qui vais vous dire le contraire !
C'est le terme le plus noble qui puisse être trouvé en la circonstance.
Voilà pourquoi je me suis inscrit contre l'amendement de mon ami Michel Charasse et voilà pourquoi, rejoignant ce qu'a dit Mme la ministre, je m'adresse à lui pour lui demander de le retirer, afin que nous préservions les uns et les autres l'unanimité qui est requise en la circonstance. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, mes chers collègues, vous imaginez bien que j'avais fait état de mes préoccupations d'ordre moral sur cette affaire à mes amis du groupe socialiste, en particulier à Guy Allouche, qui ne s'est donc pas étonné - je l'en remercie - de ce que j'ai dit, comme je ne me suis pas étonné de ce qu'il a dit à l'instant.
Ce que je voulais faire, c'était appeler l'attention du Gouvernement et celle du Sénat sur la nécessité de ne pas oublier les autres.
J'entends bien que l'on me dit aujourd'hui que ce texte est spécifique à une situation, particulièrement horrible.
J'ai bien entendu ce qu'a dit Mme le garde des sceaux, que je remercie d'avoir rappelé ce que le président François Mitterrand avait fait en 1993.
Simplement, je voudrais avoir l'assurance que, si une proposition de loi allant dans le sens de ce que j'ai demandé venait à être déposée, le Gouvernement aurait à l'égard de ce texte la même bienveillance que celle qu'il a eue à l'égard de la proposition de loi de M. Le Garrec.
Je vais retirer mes amendements, ne vous en faites pas, mes chers collègues. Je ne veux pas gêner les uns et les autres dans un vote qui serait pénible pour tout le monde. Mais si Mme le ministre pouvait m'assurer que, très rapidement, nous pourrons compléter le dispositif de devoir de mémoire ou d'hommage à l'égard de celles et ceux dont j'ai parlé tout à l'heure, je serais pleinement satisfait.
Quant au décret de 1993 - Guy Allouche a rappelé que j'avais quelque raison de le connaître un peu - je veux simplement préciser qu'il commémore non pas la rafle du Vél d'Hiv mais ce pic de l'immonde pour que nous pensions les uns et les autres, ce jour-là, à tous les crimes racistes qui ont été commis sous l'autorité de Vichy, et notamment, bien sûr, la poursuite systématique de ceux qui avaient le seul tort d'être Juifs, comme disait Guy Allouche tout à l'heure, poursuite qui a été particulièrement horrible et particulièrement massive.
Cela étant dit, monsieur le président, je retire les amendements n°s 1 et 2, tout en souhaitant, je le répète, que le Gouvernement me confirme que, si une proposition de loi était déposée allant dans le même sens mais dans une terminologie différente, elle aurait les mêmes faveurs de sa part que celle-ci. (M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent.)
M. le président. L'amendement n° 1 est retiré.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je veux dire en cet instant quelle a été la position de la commission des lois.
Nous sommes saisis, depuis un certain temps, d'un certain nombre de textes dont le caractère normatif soulève - c'est le moins que l'on puisse dire - quelques questions et qui font s'engager des débats parfois inutiles : texte sur les Arméniens, texte sur l'esclavage et, maintenant, texte sur le génocide.
Il n'est dans l'esprit de personne, cela va de soi, de ne pas participer aux sentiments à la fois de honte, de regret et de compassion qui habitent tout un chacun lorsque l'on évoque ces faits horribles. Aussi la commission des lois n'a-t-elle pas voulu entrer dans un débat qui aurait peut-être conduit à apporter des correctifs, donc à déposer des amendements, car nous tenons à ce qu'il y ait un vote unanime.
Toutefois, quelque chose me choque dans ce texte, et je le dis. Ce n'est même pas un mot, ce sont des guillemets, ceux qui entourent le mot « Justes ». En effet, on dirait que l'on s'adresse à une catégorie particulière, normalement honorée, d'ailleurs, mais honorée seule, et sur l'initiative de qui ? Sur celle d'un Etat étranger, l'Etat israélien. En effet, pour être qualifié de « Juste », il faut avoir été reconnu comme tel par l'Etat israélien.
Je ne sais combien de Français se sont vu reconnaître cette qualité, mais, fort de mon expérience familiale, en tout cas, je peux vous assurer que le nombre de « Justes » oubliés est infiniment plus grand que celui des « Justes » honorés. C'est une remarque que je tenais à faire.
Bien entendu, nous voterons cette proposition de loi, dans laquelle nous n'avons pas voulu - certains y avaient songé comme moi - supprimer les guillemets qui entourent le mot « Justes ».
M. le président. Par amendement n° 2, M. Charasse propose de compléter in fine le dernier alinéa de l'article unique par les mots : « et, dans l'attente de ce décret, par le décret n° 93-150 du 3 février 1993 instituant une journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'Etat français". »
Cet amendement a été précédemment retiré par son auteur.

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