SEANCE DU 3 OCTOBRE 2000


ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE
ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Suite de la discussion d'une proposition de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous avoue que je ne sais comment considérer le fait de discuter une proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en ce premier jour de notre session parlementaire 2000-2001. Faut-il s'en réjouir et l'interpréter comme un signe d'espoir ou faut-il y voir un sujet de désolation ?
Voilà en effet plusieurs décennies que les femmes ont pleinement intégré le monde du travail, notamment le salariat. Les femmes constituent aujourd'hui près de la moitié du monde du travail, contre seulement le tiers dans les années soixante.
De même, actuellement, 60 % des femmes adultes travaillent, et ce taux atteint 80 % chez les femmes âgées de vingt-cinq à quarante-neuf ans.
Pourquoi, dans ces conditions, devons-nous encore intervenir pour favoriser ce qui devrait aller de soi, à savoir un traitement égal entre les hommes et les femmes sur le plan professionnel ?
Le recul du temps permet de constater qu'il n'existe pas de pente naturelle vers l'égalité.
Mais il y a plus grave : alors que la France s'est dotée, en 1972, puis en 1975, et surtout en 1983, année où fut votée la loi Roudy, de textes qui ont en principe accru les droits des femmes salariées, force nous est de reconnaître que ces lois sont peu et mal appliquées.
L'emploi féminin reste concentré dans des secteurs et des métiers spécifiques ; cette situation tend même à s'aggraver. En 1983, les six catégories professionnelles les plus féminisées rassemblaient 52 % de femmes ; elles en concentrent aujourd'hui 61 %.
Le chômage touche aussi beaucoup plus les femmes que les hommes. Alors que les femmes représentent 45 % des actifs, elles constituent 51 % des demandeurs d'emploi. Leur taux de chômage reste en outre plus élevé de trois points que celui des hommes.
Enfin, elles sont les premières victimes de la précarité, puisque 80 % des emplois à temps partiel - un temps partiel le plus souvent subi - sont occupés par des femmes. Elles ont également à supporter des conditions de travail difficiles à concilier avec leur vie familiale, par exemple dans la grande distribution ou les centres d'appel.
J'ajoute que leurs salaires sont, bien entendu, inférieurs à ceux des hommes, de 23 % en moyenne.
Même s'il faut tenir compte du passif sérieux que créent, dans le domaine salarial, des différences à la base en matière de formation, d'ancienneté ou de secteur d'activité, il n'explique pas une inégalité aussi considérable. Ce sont les discriminations en matière d'avancement et de formation, ainsi que la simple discrimination salariale injustifiable, qui expliquent pour l'essentiel cette inégalité.
L'accès aux postes de responsabilité est aussi moins ouvert aux femmes qu'aux hommes, et cela dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Bien qu'elles soient depuis déjà longtemps plus nombreuses à réussir de longues études, elles auront, à diplôme égal, moins de chances qu'un homme de devenir cadre. C'est vraiment le comble de l'injustice !
On pourrait estimer que, comme on le dit couramment, « les choses évoluent ». Si tel est le cas, cette évolution est infiniment lente ! Et elle s'est trouvée fortement contrecarrée par la crise économique, dont les femmes ont été particulièrement victimes, souvent en raison de leur faible qualification, mais aussi parce qu'il était tentant de diminuer les statistiques du chômage en renvoyant les femmes à leurs casseroles et aux soins des enfants ou des vieillards.
Les femmes ne sont jamais aussi admirables que quand elle se dévouent - gratuitement ou presque - à leur famille ou qu'elles remplissent des activités bénévoles. Elles ont ainsi un rôle de catalyseur social et forment une abondante main-d'oeuvre invisible, et qui ne coûte pratiquement rien, alors même qu'elles accomplissent des tâches indispensables.
Je crains malheureusement que l'on ne puisse exiger des femmes, surtout si elles assurent seules la charge d'une famille, ou si leur compagnon gagne lui-même un salaire modeste, qu'elles se contentent de cela. Combien de femmes voyons-nous dans nos permanences, qui se sont laissé enfermer dans le piège d'une longue interruption d'activité !
Elles découvrent, surtout après un veuvage ou une séparation, qu'elles sont déqualifiées et que leurs annuités de retraite seront insuffisantes.
Il est donc indispensable d'agir pour mettre enfin en place sur le terrain les conditions de l'égalité professionnelle entre femmes et hommes. Le principe « à travail égal, salaire égal » relève de l'évidence, même s'il n'est pas respecté, à ceci près que les femmes n'accomplissent pas le même travail que les hommes. Elles ne sont pas majoritairement présentes dans les mêmes branches, elles occupent rarement des fonctions de cadre, elles sont reléguées dans des emplois précaires et le salariat d'exécution. De plus, la reconnaissance - et d'abord en termes financiers - de la valeur professionnelle des métiers qu'elles occupent majoritairement est très dévaluée.
Il faut donc revenir au point de départ : la formation.
Lorsque nous avons été saisis de cette proposition de loi, j'ai tenu à rencontrer dans mon département, la Moselle, ce qu'il est convenu d'appeler des « acteurs de terrain », pour évoquer avec eux les questions ainsi soulevées. Tous, formateurs, syndicalistes, employeurs, disent la même chose : l'égalité professionnelle passe par la formation. Avec la reprise économique, des métiers intéressants et bien rémunérés peuvent accueillir des femmes, mais on ne les y prépare pas. Pis : elles ne prennent pas elles-mêmes l'initiative d'aller vers ces métiers.
Entendons-nous bien : je ne prétends pas que la situation des femmes peut miraculeusement s'améliorer parce qu'elles accéderont davantage aux emplois dits « masculins ». Dans les branches où les femmes sont majoritaires, il faut aussi négocier pour améliorer les salaires et les conditions de travail, et il y a un effort important à réaliser de la part des employeurs, dont les profits augmentent continuellement.
Cependant, on constate, à Longwy par exemple, de même qu'à Saint-Nazaire - mais ma collègue Marie-Madeleine Dieulangard vous en parlera mieux que moi -, où des expériences concluantes sont menées, que les femmes déclarent vivre mieux parce qu'elles sont mieux payées et que leurs conditions de travail sont meilleures.
Cela peut sembler paradoxal, s'agissant des conditions de travail, mais il faut garder à l'esprit que le montage des composants électroniques, le nettoyage industriel, le travail d'aide soignante ou de caissière sont physiquement épuisants, et souvent pratiqués en horaires décalés.
De plus, on observe une tradition revendicative plus forte dans les métiers « masculins », qui a porté ses fruits pour les salariés. Sans doute les femmes doivent-elles s'en inspirer plus fortement.
Il est donc indispensable, par la formation et l'évolution des esprits, d'ouvrir plus largement aux femmes l'éventail des professions.
Il faut aussi leur faciliter l'accès à la formation continue, domaine dans lequel elles sont systématiquement défavorisées. C'est, en effet, un cercle vicieux : les personnels les mieux formés au départ accèdent prioritairement à la formation continue ; moins formées au départ, les femmes y accèdent donc moins.
Devrons-nous en arriver à l'exigence de quotas ? Je ne le souhaite pas, bien entendu, mais j'espère que les négociations qui s'ouvrent en ce moment même sur la formation n'oublieront pas cet aspect des choses.
S'agissant de la vie familiale, je partage avec notre rapporteur le souci de permettre aux femmes de mieux harmoniser leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Ce n'est pas le sujet qui nous occupe aujourd'hui, mais il faut bien constater que l'organisation de la vie familiale repose encore essentiellement sur la femme. Cela est évidemment accentué lorsqu'il y a de jeunes enfants au foyer. Il convient donc tout à la fois de favoriser le retour sur le marché du travail des femmes qui ont pris un congé parental et d'améliorer les modes de garde.
Nous devons tendre, me semble-t-il, vers une obligation de formation ou au moins de mise à niveau à l'issue du congé parental lorsque celui-ci a duré trois ans ou plus.
S'agissant des modes de garde, les problèmes sont multiples, et les élus locaux que nous sommes savent qu'ils ne se résolvent pas gratuitement. Les instruments existent ; il nous appartient de nous en saisir pour les développer et surtout les assouplir, qu'il s'agisse des modes de garde ou des horaires d'accès aux crèches.
A cet égard, madame la secrétaire d'Etat, ne serait-il pas possible, surtout pour les salariés qui sont à temps partiel ou ont des horaires atypiques, d'envisager la création de « tickets halte-garderie », de même qu'il existe des tickets-restaurant ? Les parents auraient ainsi accès à ces structures où leurs enfants seraient pris en charge et bénéficieraient d'activités d'éveil. Une telle innovation, d'ailleurs modeste, permettrait sans doute de réduire les gardes que je qualifierai d'informelles.
Nous le savons bien, en effet, les tarifs - pourtant étudiés - de nos crèches sont souvent encore trop élevés pour de nombreuses familles. Aussi les enfants sont-ils confiés à des personnes qui n'offrent pas toujours les compétences et les garanties indispensables. Peut-on, madame la secrétaire d'Etat, étudier la faisabilité de cette proposition ?
Avant de conclure, je dirai un mot de l'amendement déposé par le Gouvernement sur le travail de nuit.
Sur un plan strictement juridique, nous comprenons pleinement la nécessité pour le Gouvernement, menacé d'une astreinte quotidienne de plus de 900 000 francs par jour, alors même que nous sommes sous présidence française, de régler cette question pendante depuis plus de dix ans.
Sur le fond, l'autorisation, en France comme ailleurs, du travail de nuit des femmes est logique. On peut le regretter et réclamer, d'une manière générale, l'interdiction du travail de nuit. Malheureusement, le travail de nuit, pour les hommes comme pour les femmes, existe déjà, avec des restrictions.
L'exigence d'égalité professionnelle qui est la nôtre implique que l'on revienne sur cette différence, que certaines femmes considèrent d'ailleurs comme un obstacle à l'évolution de leur carrière. C'est une réalité : nous devons en assumer les conséquences et les contraintes.
Simplement, il nous paraît nécessaire d'encadrer soigneusement l'exercice du travail de nuit pour les hommes et les femmes.
Même s'il est moins épuisant que le travail posté, le travail de nuit reste plus fatigant que le travail diurne. Il induit des difficultés dans la vie quotidienne, notamment familiale, et provoque des troubles du sommeil. Il est prouvé que le sommeil de jour ne correspond pas aux rythmes biologiques, qu'il est plus court et plus irrégulier. Les salariés qui sont contraints au travail de nuit doivent donc bénéficier d'une protection spécifique. Nous défendrons, à cette fin, plusieurs amendements.
Je dois vous le dire, madame la secrétaire d'Etat, le cas des femmes enceintes travaillant de nuit pose, selon moi, un sérieux problème. Les conditions d'application de votre texte devront être examinées avec la plus grande vigilance, afin de protéger la santé de la future mère et celle de l'enfant.
Cette proposition de loi, madame la secrétaire d'Etat, constitue un pas parmi d'autres sur le chemin de l'égalité entre hommes et femmes. La loi ne peut pas tout, surtout dans le domaine de l'égalité professionnelle, mais elle participe au changement. Il faut avoir la volonté de la faire appliquer et il faut aussi que les partenaires sociaux s'en emparent pour la faire vivre. Nous soutenons vos efforts, madame la secrétaire d'Etat, et vous pouvez compter sur le vote du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Le Breton applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi une petite incursion dans l'histoire.
En 1791, Olympe de Gouges, femme de lettres et révolutionnaire française qui réclamait déjà l'émancipation des femmes, a rédigé une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, dont l'article 1er posait le principe suivant : « La femme naît libre et demeure égale à l'homme en droit. » Olympe de Gouges finira sur l'échafaud en 1793. L'égalité républicaine a été respectée... devant la guillotine.
Condorcet, pour sa part, a écrit : « Les droits de l'homme résultent uniquement de ce que les hommes sont des êtres sensibles susceptibles d'acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées. Ainsi, les femmes, ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits ou tous ont les mêmes. »
L'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes constitue, il est vrai, un beau défi. Comment ne pas répéter ce qui a déjà été dit et écrit à ce sujet ? Et comment se fait-il que l'on ne parvienne pas à la mise en place concrète de ce qui se réduit, la plupart du temps, à de pieuses intentions ?
Certes, il y a eu des avancées. On nous l'a rappelé, les femmes sont 11,5 millions à travailler, soit deux fois plus qu'en 1960. Elles représentent maintenant 46 % des salariés. Près de 80 % des femmes entre vingt-cinq et quarante-neuf ans ont une activité professionnelle. Lentement mais sûrement, sans marche arrière possible, je l'espère, elles grimpent dans la hiérarchie. Elles représentent aujourd'hui un tiers des cadres et professions intellectuelles supérieures et occupent 54 % des emplois dans les activités financières.
Cependant, l'égalité avec les hommes est loin d'être acquise. Le taux de chômage moyen des femmes est de 30 % supérieur à celui des hommes et 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Est-ce supportable encore très longtemps ?
La discrimination salariale reste également très importante : selon l'INSEE, le salaire moyen des femmes est inférieur de 20 à 35 % à celui des hommes. Six pour cent de cet écart s'expliquent par des effets de structure - acceptons-le ! - les emplois féminins étant concentrés dans les secteurs les moins rémunérateurs, et 6 % par des différences dans l'expérience professionnelle ; 11 % restent inexpliqués. Peut-on l'admettre sans chercher à équilibrer ces différences ?
Madame la secrétaire d'Etat, pour réellement faire progresser l'égalité entre les deux sexes dans notre société, il convient d'abord de garantir un même salaire à responsabilités et compétences identiques, et, ensuite, de promouvoir l'égalité de progression dans le plan de carrière.
A lire les statistiques, la marche de la moitié de l'humanité vers l'égalité des chances et des droits semble encore bien longue ! Les femmes restent majoritaires dans les postes peu qualifiés et faiblement rémunérés. Souvent victimes d'un emploi à temps partiel que, pour la plupart, elles n'ont pas choisi, elles ont formé et forment encore les bataillons des bas salaires des temps modernes.
Or, puisque les femmes constituent près de la moitié du marché du travail, pourquoi sont-elles toujours cantonnées à un petit nombre de métiers ?
Le travail, il est vrai, a toujours été très sexué. Notre société connaît très peu de professions mixtes, très peu d'emplois ouverts aussi bien aux hommes qu'aux femmes. Les choses changent, mais elles restent très connotées sexuellement. Si les femmes sont absentes de certains métiers, ce n'est pas seulement une question de tradition ou de formation : le marché du travail lui-même fonctionne avec des procédures d'embauche extrêmement sélectives, discriminantes envers les femmes - comme envers les hommes, d'ailleurs. Les entreprises et l'administration ont une image très cloisonnée de ce qu'est le travail masculin et de ce qu'est le travail féminin, différence de plus en plus marquée, parfois, au moment de l'embauche.
A l'heure de la mixité de l'école, qui remonte déjà à plus d'un siècle, à l'heure où les femmes représentent la moitié du monde du travail, nous nous trouvons, mes chers collègues, face à un anachronisme.
Sans action volontariste, sans impulsion politique, sans un dialogue social engagé et respecté, rien ne bougera en matière d'égalité professionnelle. Tout effort qui va dans le sens de la mixité est donc bon pour notre société. Mais faisons attention à ne pas envoyer les femmes là où les hommes ne veulent plus aller, à ne pas les renvoyer vers les secteurs en déclin, vers les emplois peu qualifiés, peu valorisés, ou vers les postes à temps partiel dont personne ne veut plus.
La diversification des métiers ne doit pas se faire vers le bas ; s'il doit en être ainsi, rien ne changera. Aujourd'hui, l'essentiel de l'emploi féminin se concentre dans le salariat d'exécution. Or, ce sont des postes de travail qui ne sont pas reconnus socialement. Quand on parle de diversification des métiers et de mixité, la question fondamentale est, en fait, celle de la reconnaissance de la valeur sociale du travail.
La qualification est non pas une donnée objective, mais un jugement social : c'est la société qui décide de ce qui a de la valeur et de ce qui n'en a pas. Comment se fait-il que la plupart des métiers « féminins » sont dits non qualifiés, lorsque d'autres activités, masculines, elles, sont définies comme qualifiées ? La reconnaissance d'une capacité professionnelle est toujours beaucoup plus évidente quand il s'agit de travail masculin. Pourquoi donc ?
Le marché du travail fonctionne toujours de manière extrêmement rigide, avec des métiers pour les femmes et des métiers pour les hommes. Est-ce une vision moderne de la société du xxe siècle finissant ?
Traditionnellement, les poids lourds sont conduits par des hommes, les poussettes par les femmes. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) Mais lorsque les hommes ne veulent plus s'asseoir derrière le volant, les femmes s'y glissent ! Face à la pénurie, les métiers aujourd'hui « boudés » par les hommes représentent une aubaine pour certaines femmes, car elles y sont mieux payées que lorsqu'elles étaient confinées dans le nettoyage industriel. Mais, même si les femmes de ménage sont devenues des « techniciennes de surface » - c'est déjà ça ! - les salaires n'ont pas suivi et restent encore à des niveaux peu élevés.
Or, de nos jours, les couples divorcés sont de plus en plus nombreux, et les femmes qui se retrouvent seules ont besoin de vrais salaires leur procurant un niveau de vie décent et leur ouvrant toutes possibilités pour l'éducation de leurs enfants.
En France, les femmes ont incontestablement été l'objet de discriminations regrettables, et ce depuis longtemps. Leur intégration se fait lentement, mais réellement et sans possibilité de retour en arrière, y compris dans les lieux de pouvoir. Tant mieux !
Mais, aujourd'hui, beaucoup reste encore à faire.
Ajoutons que la mise en oeuvre effective du principe d'égalité entre hommes et femmes ne dépend pas seulement d'une modification des règles de droit. La loi ne peut prévoir que des mesures d'incitation. Il faut ensuite que les mentalités évoluent et que les résistances sociologiques et psychologiques disparaissent peu à peu. Cela ne peut se faire en un jour. Le dialogue social doit jouer tout son rôle, et il faut lui laisser le soin de définir l'organisation des places de chacun dans les entreprises.
Les conceptions sur la place et le rôle des femmes au travail, véhiculées au sein des structures familiales ou à l'école, sont profondément ancrées dans des schémas sociologiques dépassés, dans lesquels la notion sexuée de l'exercice du pouvoir ou de certaines professions, dans les sphères tant publiques que privées, reste très présente. Le chemin à parcourir sera long. C'est par étapes progressives que nous arriverons à changer mentalités et comportements.
La proposition de loi de Mme Génisson qui est soumise aujourd'hui au vote du Sénat nous laisse malheureusement un peu sur notre faim. Nous sommes bien d'accord avec notre rapporteur : il aurait été sans doute plus judicieux de faire mieux appliquer la loi Roudy et de susciter des négociations actives dans les entreprises. Celles-ci ne peuvent aujourd'hui que reconnaître les changements accélérés de la structure sociale, qui réclame plus d'égalité et plus de partage dans la hiérarchie en matière de travail.
Le Sénat, en l'examinant, ne pourra qu'enrichir ce texte, et le groupe de l'Union centriste apportera tout son soutien aux propositions tout à fait pertinentes de notre excellente collègue Annick Bocandé, rapporteur de ce texte au nom de la commission des affaires sociales, ainsi que de notre collègue René Garrec, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Les collègues de mon groupe regrettent, comme d'autres, que l'amendement portant sur le travail de nuit soit venu si tard à notre connaissance.
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Philippe Nogrix. Il aurait nécessité, lui aussi, un débat plus long en commission,...
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Philippe Nogrix. ... car il faut préserver dans notre législation les règles du jeu de la négociation dans les entreprises, après avoir fixé, c'est notre rôle, quelques orientations s'agissant de la protection des salariés appelés à travailler de nuit. Bien évidemment, il faut des compensations, que nous aurions aimé pouvoir examiner en commission. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le texte que nous examinons a été adopté à l'Assemblée nationale le 7 mars dernier, la veille de la journée internationale des droits des femmes.
Il a pour objet de mettre fin à une situation qui n'a que trop duré - l'inégalité professionnelle entre les hommes et les femmes - et, ainsi, de procéder à une réaffirmation plus large et plus contraignante de la loi Roudy de 1983.
En effet, en dépit d'une devise, inscrite aux frontons de nos édifices républicains, qui consacre les principes de notre République - en dépit, notamment, du deuxième de ces principes, l'égalité - notre pays reste profondément marqué par une inégalité entre les hommes et les femmes qui n'est plus supportable aujourd'hui.
Le bilan est connu, tristement même. Et si l'ensemble de la classe politique s'en émeut, bien peu, ces dernières années, a été fait pour mettre un terme à une réalité qui perdure aujourd'hui : en dépit de l'inscription dans différents textes des principes d'égalité en matière de salaires, de formation, de non-discrimination fondée sur le sexe dans la relation salariale, la réalité reste celle des inégalités persistantes.
Alors que les femmes constituent près de la moitié du salariat - 45,5 % - elles représentent un peu moins du quart des salariés les mieux rémunérés. Selon une enquête de l'INSEE réalisée en 1998, l'écart moyen des salaires entre les hommes et les femmes demeure de 25 %.
Je citerai encore d'autres chiffres : 80 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, qui, de fait, forment aujourd'hui une main-d'oeuvre en situation d'extrême précarité, voire de pauvreté. Trop souvent victimes d'un temps partiel non pas choisi, mais subi, elles représentent 80 % des salariés gagnant moins de 3 600 francs par mois.
Le chômage des femmes atteint en moyenne 11,5 %, contre 8,5 % pour les hommes ; à qualification égale, elles restent plus longtemps au chômage et ont moins accès à la formation continue ; elles ne représentent que 7 % des cadres dirigeants des premières entreprises françaises. Tout cela a été dit ce matin, madame la secrétaire d'Etat.
De plus, une énorme majorité de femmes est concernée par la double journée travail-foyer : aujourd'hui encore, 80 % de la production domestique repose sur les femmes. Il convient d'ajouter que seulement 8 % des enfants de moins de trois ans ont une place en crèche et que les dépenses publiques annuelles pour l'allocation parentale d'éducation représentent 18 milliards de francs - contre 12 milliards de francs pour les crèches.
Certes, il y a la loi. Mais il y a aussi cette réalité pesante, à ce point alarmante qu'un récent rapport de l'ONU fait état des terribles discriminations dont sont victimes les femmes partout dans le monde. Le constat dressé par l'ONU fait apparaître que les coûts économiques et sociaux de la discrimination sexuelle sont tout aussi incalculables que les souffrances induites chez des millions de femmes.
C'est ce contexte qu'il nous faut avoir à l'esprit quand nous examinons la proposition de loi de notre collègue députée Catherine Génisson.
Le dispositif présenté par la proposition de loi prévoit l'élaboration d'un bilan permettant « une analyse de la situation de l'égalité des femmes sur la base d'indicateurs pertinents ». Il vise en outre à introduire et à rendre obligatoire dans les négociations la recherche de l'égalité professionnelle, en imposant ce thème dans les discussions entre partenaires sociaux.
Le titre II concerne l'égalité professionnelle dans la fonction publique, volet qui ne figure pas dans la loi Roudy de 1983. Il fixe notamment l'objectif d'une représentation équilibrée des deux sexes au sein des commissions administratives paritaires et des comités techniques paritaires.
L'ensemble de ces dispositions nous paraît être de nature à consolider l'égalité professionnelle, même si, ici ou là, le dispositif peut être renforcé.
C'est le cas pour la périodicité de la négociation nécessaire à l'élaboration de l'accord sur l'égalité dans l'entreprise, périodicité que nous souhaitons bisannuelle et non trisannuelle.
De même, nous pensons que la reconnaissance des qualifications professionnelles et des salaires mériterait également de figurer parmi les indicateurs de la négociation sur l'égalité professionnelle ; le bilan des inégalités que je dressais en préambule nous invite très instamment, me semble-t-il, à intégrer ces données dans les négociations.
Par ailleurs, l'obligation de résultat telle qu'elle a été définie dans le cadre de la négociation sur les 35 heures aurait, elle aussi, mérité de figurer dans la proposition de loi qui nous est soumise, afin de donner plus de vigueur au dispositif proposé.
Enfin, le renversement de la charge de la preuve devrait, selon nous, également compter au nombre des mesures de nature à favoriser un rééquilibrage des inégalités professionnelles constatées entre hommes et femmes, en permettant aux victimes d'inégalités de demander à l'employeur de faire la preuve d'un traitement égalitaire des personnels de son entreprise.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, ainsi enrichie par les propositions du groupe communiste républicain et citoyen, pourrait permettre à notre pays de rattraper son retard en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
J'aborde à présent un volet qui transforme profondément le texte tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale et dont la presse s'est largement fait l'écho. Il s'agit bien entendu de l'amendement proposé par le Gouvernement et qui concerne le travail de nuit.
Tout d'abord, permettez-moi, madame la secrétaire d'Etat, une remarque de forme. L'introduction par voie d'amendement d'une disposition d'une telle importance dans un texte qui traite de l'égalité professionnelle ne nous paraît pas tout à fait pertinente.
M. Gérard Cornu. Ah ! Très bien !
Mme Odette Terrade. En effet, sous couvert d'égalité, et pour mettre notre droit en conformité avec les directives européennes, cet amendement entend nous faire légiférer sur le travail de nuit. Or, vous l'avez rappelé ce matin, madame la secrétaire d'Etat, devoir travailler la nuit ne représente pas une avancée sociale pour les salariés, qu'ils soient des hommes ou des femmes.
M. Bernard Murat. Très bien !
Mme Odette Terrade. Lever, au nom de l'égalité professionnelle, l'interdiction faite aux femmes de travailler la nuit va, nous semble-t-il, à l'encontre de l'attitude que le Gouvernement avait adoptée lors du débat sur la parité et que mon groupe avait activement soutenue. En effet, nous avions alors admis que le principe d'égalité n'interdisait pas, au contraire, d'avoir recours à des discriminations positives pour parvenir à l'égalité partout.
Pour en revenir au travail de nuit, c'est à partir du constat juste que le travail de nuit, de manière générale, ne fait pas l'objet, dans notre code du travail, d'une attention particulière du législateur que le Gouvernement a été amené à nous proposer cet amendement qui concerne un « remodelage » complet du travail de nuit dans notre pays, pour transcrire la directive européenne 93/104 et, par là même, en se soumettant à l'obligation d'égalité entre les hommes et les femmes prévue par la directive 76/207.
Bien entendu, nous partageons ce constat d'absence de protection suffisante pour les salariés de nuit. Toutefois, cette situation, en même temps qu'elle peut pénaliser les salariés qui occupent un emploi permanent ou occasionnel de nuit, reflète l'aspect d'exception que revêt le travail de nuit dans l'esprit de notre code du travail. En effet, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, le travail de nuit n'est pas synonyme de progrès social. Il va d'ailleurs complètement à l'encontre de la philosophie contenue dans la loi sur les 35 heures et de l'aspiration générale à mieux vivre, largement partagée par nos concitoyens.
La réalité du travail de nuit réside, pour l'essentiel, dans sa nocivité. Le travail de nuit, chez les femmes comme chez les hommes, est responsable de nombreux troubles.
Des études démontrent que, après vingt ans d'exercice de leur travail la nuit, les travailleurs postés perdent sept années d'espérance de vie. Le travail de nuit a également des conséquences négatives sur la vie de famille, la vie sociale... Lorsqu'il est préféré au travail de jour, c'est, dans la majorité des cas, pour trouver une solution à un salaire insuffisant ou à un problème de garde d'enfants dans la journée. Dans ces conditions, il faut bien parler d'un volontariat tronqué, et non d'un réel engouement des salariés pour cette forme de travail.
Le travail de nuit des hommes et des femmes n'est qu'un outil supplémentaire du patronat au service d'une flexibilité toujours accrue. On comprend mieux alors quelle formidable occasion représentent les femmes salariées pour élargir encore cet objectif libéral si cher au MEDEF, le Mouvement des entreprises de France.
Pour notre part, nous pensons que le travail de nuit ne devrait être autorisé que lorsqu'il s'impose pour des raisons sociales ou pour des impératifs techniques, à l'exclusion de toute référence à des raisons économiques.
S'agissant de l'exception qui était faite dans le code du travail pour les femmes à propos du travail de nuit et qui date de 1892, nous n'ignorons pas, bien sûr, qu'elle avait aussi pour objet, au-delà de l'aspect consistant à leur éviter les travaux pénibles dans les mines, les manufactures et les carrières, d'encadrer l'émancipation professionnelle des femmes en conciliant leur vie professionnelle avec leur vie familiale. En effet, comme le disait Marguerite Duras, « ce sont les femmes qui sont dans les maisons ».
Aujourd'hui, de nombreuses femmes ont investi des filières professionnelles qui étaient jusqu'à présent occupées par des hommes. Si, dans bien des secteurs, les machines ont heureusement supplée la force humaine, nous ne sommes pas non plus insensibles à l'argument de certaines femmes qui s'opposent au fait que les femmes soient traitées comme des êtres plus faibles que les hommes, qu'il faudrait davantage protéger.
Pour autant, nous ne pouvons accepter de généraliser une disposition qui nous semble foncièrement mauvaise pour la santé de l'être humain et qui ne correspond pas à notre conception de la modernité. Bien au contraire, nous pensons qu'il faut faire converger les énergies afin de limiter au maximum le recours au travail de nuit, pour les femmes comme pour les hommes, et ce dans tous les secteurs.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen confirme son opposition au travail de nuit. C'est pourquoi nous proposons au Sénat d'adopter notre amendement n° 50, qui vise à encadrer le travail de nuit, tout en pérennisant l'interdiction de son recours pour les femmes.
Pour les professions qui ont impérativement besoin de recourir au travail de nuit, il est bien entendu nécessaire d'introduire dans le code du travail des mesures spécifiques, notamment pour les femmes en matière de maternité. C'est l'objet de plusieurs de nos amendements qui visent à enrichir le texte du Gouvernement sur plusieurs points, tels que la négociation, les contreparties et la prise en compte de la maternité. Par ailleurs, nous serons bien sûr favorables à tout amendement visant à améliorer les conditions de travail et la protection des salariés qui sont contraints d'exercer leur profession la nuit.
Nous avons bien entendu votre argument, madame la secrétaire d'Etat, sur la contrainte que la directive 76/207 impose à notre pays. C'est pourquoi nous proposons que la France, alors qu'elle préside l'Union européenne, soit à l'initiative d'une dynamique européenne afin de généraliser aux pays de l'Union l'exception du recours au travail de nuit pour les femmes comme pour les hommes.
Voilà, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, les réflexions du groupe communiste républicain et citoyen au sujet de la proposition de loi de Catherine Génisson, telle qu'elle résulte des travaux de l'Assemblée nationale, et de l'amendement sur le travail de nuit dont je tenais à vous faire part. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est patent : l'inégalité professionnelle entre les femmes et les hommes est toujours une réalité.
Alors même que l'activité des femmes est en constante progression, que leur niveau de formation s'accroît, qu'il est maintenant reconnu, en particulier grâce aux travaux de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano, que leur travail est bénéfique pour l'économie et la richesse de notre pays, les discriminations dont elles sont victimes ne régressent pas.
Les femmes subissent plus durement que les hommes le chômage, la précarité de l'emploi, le temps partiel imposé, les salaires minorés, les professions dévalorisées. Elles accèdent très rarement aux postes de responsabilité, et ce aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public.
Dans le même temps, elles continuent d'assumer davantage que les hommes les charges domestiques et familiales.
Ce constat n'est contesté par personne - il a d'ailleurs été repris à cette tribune depuis ce matin - et, lors des différents débats sur la parité en politique, tous les intervenants l'ont unanimement dénoncé en insistant sur la nécessité d'améliorer cette situation.
C'est à cet objectif, que nous avons, les uns et les autres, appelé de nos voeux, que répond la présente proposition de loi présentée par Mme Catherine Génisson.
Une loi répondant au même souci existe depuis bientôt vingt ans, mais cette loi, dite loi Roudy, n'a pas été effectivement appliquée, en dépit des dispositifs incitatifs qui étaient prévus. Les raisons de cet insuccès sont multiples.
Je crois que, la crise économique se développant, l'objectif d'égalité n'a plus figuré dans les priorités.
A cet égard, il nous faut le reconnaître, les gouvernements, de droite comme de gauche, ont manqué d'une volonté politique ferme et d'une continuité dans l'action.
Il nous faut admettre également que les organisations syndicales ne se sont pas approprié ce texte et n'ont pas saisi les outils légaux qui leur auraient permis d'agir dans la négociation au sein des entreprises.
Les syndicats ne se sont pas mobilisés. On peut y voir, là aussi, les effets néfastes de la crise, mais il ne faut pas minorer la prégnance d'une culture syndicale fortement masculine.
Enfin, les chefs d'entreprise et leurs organisations patronales ont délibérément ignoré cette loi qui ne servait pas leurs intérêts. En effet, la sous-rémunération des femmes n'est pas sans conséquences sur le plan économique et financier.
Au fil du temps, cette sous-rémunération a manifestement encouragé le développement de l'emploi féminin et conduit à la féminisation, parfois totale, de certains métiers.
L'Etat lui-même, je regrette d'avoir à le dire, n'a pas toujours été exemplaire.
M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat. Ça vient !
Mme Dinah Derycke. Ainsi, à propos des « demoiselles des PTT », dont les salaires étaient inférieurs de plus de la moitié à ceux de leurs collègues masculins, le rapport Pelloutier, rédigé en 1990, observe : « Ce système résout d'ailleurs si heureusement le problème budgétaire qu'au commencement de 1894 l'administration décidait de féminiser la moitié des bureaux de Paris. » Aujourd'hui encore, ce schéma, même s'il doit être nuancé, reste valable.
Vers les années 1970-1980, François Mitterrand, considérant leur situation inégalitaire, qualifiait les femmes « d'immigrées de l'intérieur ». L'image était forte. Elle se voulait interpellation mais, au fond, elle était juste.
L'existence d'un volant presque illimité de main-d'oeuvre sous-payée, sous-qualifiée, vouée aux emplois précaires et partiels a pesé et pèse encore sur la situation globale de l'ensemble des salariés.
Le « mythe » du salaire d'appoint a été, en ce sens, bien utilisé par le patronat. Il s'agissait d'affirmer, dans un premier temps, que, le salaire de l'homme couvrant les besoins vitaux de la famille, la femme ne travaillait que pour agrémenter l'ordinaire ! Cette théorie, bien que contredite dans les faits, justifiait alors la faible rémunération du travail des femmes.
Petit à petit, ce prétendu salaire d'appoint a été agrégé aux ressources du foyer. Le revenu du ménage provenant des deux salaires, obligatoirement plus élevé, était jugé suffisant pour couvrir les besoins élémentaires du ménage. Point n'était besoin d'augmentation !
Oui, la faiblesse des salaires féminins a tiré et tire encore à la baisse l'ensemble des salaires.
D'aucuns déplorent les déséquilibres sociétaux engendrés par la féminisation excessive de certaines professions.
Force est de constater que si l'attirance des femmes pour certaines missions, en particulier de santé ou d'éducation, est bien réelle, elle ne suffit pas à expliquer le clivage entre métiers féminins et métiers masculins.
Les raisons de cette situation doivent beaucoup aux conditions de travail, aux bas salaires et à la moindre valorisation de ces métiers.
De ce fait, établir l'égalité entre les hommes et les femmes non seulement répond à une exigence de justice mais constitue aussi une nécessité pour l'ensemble du monde salarial et, au-delà, pour la société tout entière.
Il est donc utile de légiférer, puisque, depuis le développement du salariat féminin, les partenaires sociaux n'ont pas su régler cette question.
Les dispositifs prévus par la loi Roudy pour encourager la négociation sont restés inutilisés. Mais cette loi ne prévoyait aucune sanction, aucune contrainte.
Mme et M. les rapporteurs nous disent que, dans le cadre de la refondation sociale, cette problématique devrait être enfin abordée et traitée par les partenaires sociaux. Fort bien ! Mais l'exemple actuel des difficiles négociations sur l'UNEDIC, l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, montre bien qu'il ne faut pas tout en attendre.
La loi doit fixer le cap, montrer le chemin. L'Etat, en sa qualité d'employeur, porte une responsabilité dans la situation inégalitaire subie par les femmes. A cet égard, je rappellerai le rapport de Mme Colmou.
Nos fonctions publiques ne connaissent qu'un principe : l'égalité de tous les citoyens, qui ne seraient jugés que sur leurs capacités, leurs vertus et leurs talents. Mais entre le droit et les faits, le fossé est profond. Et, dans toutes les fonctions publiques, les femmes ne font pas les mêmes carrières que les hommes.
Faut-il en conclure que les femmes auraient moins de capacités, moins de vertus ou moins de talents que les hommes ? Je ne le crois pas. Ce sont les modalités de recrutement, le déroulement et la gestion des carrières qui sont en cause. Il est donc nécessaire de les modifier, et le Conseil d'Etat a jugé que la loi seule pouvait le faire.
Les mesures préconisées par la proposition de loi, qu'il s'agisse de la transposition de la loi du 13 juillet 1983 sur la discrimination en raison du sexe, de l'abus d'autorité en matière sexuelle ou de l'institution d'un rapport de situation comparée dans la fonction publique, du renforcement de la mixité au sein des organismes consultatifs, jurys ou comités de sélection, nous paraissent pertinentes.
Pour autant, il est évident que la loi ne peut, seule, résoudre une question qui trouve ses origines dans les mentalités et le rôle social trop longtemps imposé aux femmes.
Les lois sur la parité en politique, la loi sur l'inégalité professionnelle, les programmes d'action gouvernementaux sur l'accueil des petits enfants participent à cette mobilisation nécessaire.
Je conclurai en rappelant que, pour faire évoluer positivement la situation des femmes dans le monde du travail, la loi est utile, mais qu'elle ne saurait suffire. Il nous faudra agir sur la formation, sur l'éducation, sur la coparentalité, bref dans tous les domaines qui touchent à la vie des femmes. Mais il nous faudra aussi et surtout une continuité dans l'action ainsi qu'une ferme volonté politique. Je suis persuadée, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, que le gouvernement auquel vous appartenez est tout à fait prêt à faire preuve de cette volonté politique. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quelles sont les mesures à prendre selon vous pour assurer une meilleure égalité entre les hommes et les femmes ? » A cette question posée par la CFDT en mars 2000, 79 % des personnes interrogées ont cité « l'égalité salariale à poste égal » et 55 % « l'égal accès aux responsabilités ».
Nous sommes aujourd'hui, en France, confrontés à un vrai paradoxe ! Trop longtemps lanterne rouge de l'Europe en politique, la France se retrouve à l'avant-garde des législations paritaires grâce au volontarisme du gouvernement de Lionel Jospin ! A l'inverse, en tête des pays du monde occidental depuis le début du siècle par le nombre de femmes actives, notre pays est toujours à la recherche de solutions pour concrétiser l'égalité professionnelle.
Pourtant, vous le savez comme moi, mes chers collègues, les Françaises ont fait du droit au travail leur revendication majeure, avant même les droits politiques. En 1907, elles obtiennent le droit de percevoir directement leur salaire, en 1965, celui d'exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari, en 1972, la reconnaissance de l'égalité salariale. Dans les années 1965-1970, elles investissent massivement le monde du travail. Nous sommes aujourd'hui plus de 12 millions à travailler, c'est-à-dire 80 % des femmes entre vingt-cinq et cinquante-cinq ans.
Mais le combat n'est pas gagné, en France comme partout en Europe.
Enfermées dès le plus jeune âge dans la « maison de verre », pour reprendre votre expression, madame la secrétaire d'Etat, les femmes choisissent de moins en moins leur métier. D'après l'INSEE, l'emploi féminin, loin de se diversifier, n'a cessé de se concentrer depuis une trentaine d'années. Ainsi, 60 % des femmes actives sont cantonnées dans six petites catégories, qui ne représentent que 30 % de l'emploi total. Ce n'est pas une surprise, on les trouve majoritairement dans les emplois sous-qualifiés : employées de la fonction publique, employées des entreprises, employées du commerce, personnels de service aux particuliers, institutrices et professions intermédiaires de la santé.
On sait que l'orientation scolaire est déterminante. C'est pourquoi, madame la secrétaire d'Etat, vous avez signé le 25 février 2000 une convention avec l'éducation nationale « pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons dans le système éducatif ». Nous devrons veiller à ce que des résultats concrets sur les décisions d'orientation apparaissent rapidement.
Les femmes subissent, par ailleurs, ce que l'on a appelé le « plafond de verre », c'est-à-dire l'impossibilité d'accéder aux postes élevés. Pourtant - autre paradoxe - elles sont très présentes dans l'enseignement supérieur : lorsque 105 étudiants entre à l'université, 120 étudiantes y accèdent également. Mais on ne compte que 34,2 % de femmes parmi les cadres, contre 76 % parmi les employés. Dans les 5 000 premières entreprises françaises, les femmes ne représentent que 7 % des cadres dirigeants, et 14 % seulement des entreprises de plus de dix salariés sont dirigées par des femmes.
Ce n'est pas mieux en Europe. En Suède, par exemple, 42,7 % des députés sont des femmes, mais seulement 8 % des salariées ont le statut de cadre. En fait, seulement 250 femmes occupent les plus hautes responsabilités dans les grandes entreprises européennes. La sphère publique n'est d'ailleurs pas épargnée. En France, alors que les femmes sont majoritaires dans la fonction publique, elles ne sont que 19 % dans la haute administration pour 22,4 % en Italie et 15 % en Espagne ou au Portugal... En fait, plus on monte dans la hiérarchie, moins les professions sont féminisées, à quelques exceptions près, comme la magistrature, où les femmes représentent 52 % des effectifs en France, et de 30 à 35 % en Espagne, au Portugal et en Italie.
Mais, comme je l'ai déjà dit, le plus scandaleux pour tous les Français et toutes les Françaises tient à l'inégalité salariale. A travail égal, l'écart salarial entre les hommes et les femmes est actuellement de 25 % en moyenne.
J'arrête là ce sombre tableau pour en venir à la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, sur l'initiative de Catherine Génisson. A ceux qui se posent la question de l'utilité de cette loi, comme c'est le cas de notre rapporteuse, je répondrai que, dans la sphère professionnelle comme ailleurs, les femmes ne peuvent compter sur l'évolution spontanée des mentalités et des comportements. Ainsi, dès son arrivée au pouvoir en 1981, la gauche s'était attaquée au problème, avec la loi de 1983, dite « loi Roudy ». Malheureusement, la plupart des dispositions de cette loi n'étant qu'incitatives, ce texte a été très peu appliqué par les entreprises.
Catherine Génisson nous propose donc, dans un premier volet, de durcir la loi Roudy et, dans un second volet, de l'élargir à la fonction publique. Ma collègue et amie Dinah Derycke a présenté à l'instant les mesures préconisées dans le secteur public, comme la féminisation des jurys de concours et de sélection. Je m'en tiendrai, pour ma part, au secteur privé.
Les entreprises seront désormais obligées de négocier l'égalité professionnelle chaque année, sous peine de sanction pénale. En ce qui concerne les branches, le texte renforce cette obligation déjà présente dans le code du travail, en fixant une périodicité de trois ans. Par ailleurs, la dimension de l'égalité entre les hommes et les femmes devra être prise en compte dans toutes les négociations globales annuelles.
En amont des négociations, le contenu du rapport annuel obligatoire sur la situation comparée des hommes et des femmes deviendra plus opérationnel. Il comportera des « indicateurs pertinents », fixés par décret. J'espère que cela obligera les chefs d'entreprise à produire des statistiques sexuées sur l'accès à la formation, à la promotion ou sur les salaires.
On l'aura compris, cette proposition de loi vise à généraliser la négociation de plans d'égalité dans toutes les entreprises. Encouragés depuis 1983, puisque l'Etat aidait les plus innovants, ils ont été totalement ignorés par les entreprises. Comme vous l'avez rappelé ce matin, madame la secrétaire d'Etat, seulement trente-quatre « plans d'égalité » ont été signés, plans qui se sont concentrés essentiellement sur la formation !
Pourtant, la dynamique des négociations peut aller beaucoup plus loin, comme cela a été le cas, par exemple, dans l'entreprise Happich, spécialisée dans l'équipement automobile en Lorraine. Outre un meilleur accès à la promotion et un rééquilibrage des salaires, un accord sur le temps partiel choisi a été trouvé pour permettre aux hommes et aux femmes d'assumer la charge de leurs enfants. On ne peut que souhaiter voir une telle expérience se multiplier en France !
Enfin, je ne peux conclure sans revenir, comme je l'ai souvent fait dans cet hémicycle, sur la principale cause des inégalités entre les hommes et les femmes : je veux parler de l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
Tant que les femmes assumeront 80 % des responsabilités familiales et des tâches domestiques, il leur sera bien difficile, sauf à les obliger à devenir des superwomen , de soulever le « plafond de verre » !
Dans ce domaine, si le combat culturel est important, l'action volontariste et les impulsions politiques le sont aussi pour favoriser « la parité domestique et familiale ». De ce point de vue, je me réjouis que le Gouvernement, à la suite de la conférence de la famille, en juin dernier, ait décidé de dégager 10 milliards de francs pour développer sensiblement les modes de garde pour la petite enfance et inciter les pères à prendre en charge les enfants. Les entreprises elles-mêmes devront proposer des solutions, comme le font déjà certaines d'entre elles, et je pense en particulier à la RATP, avec l'espace Pimprenelle.
Je laisserai le mot de la fin au Premier ministre, qui déclarait le 8 mars 2000 : « La cause des femmes est universelle surtout parce qu'elle n'est pas seulement celle des femmes. Elle est aussi celle des hommes, en tous cas de ceux qui reconnaissent pleinement la mixité du genre humain. » (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Othily applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai ce propos, comme m'y a invitée notre collègue Gisèle Printz, en évoquant ce qui se passe actuellement sur le bassin d'emploi de Saint-Nazaire, qui, à la faveur du développement de l'aéronautique et, surtout, de la relance de la construction navale, connaît une reprise de l'emploi, voire une pénurie sur certains créneaux.
L'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, a donc formé trente soudeuses et quarante tuyauteuses ; elles ont été immédiatement intégrées au sein des Chantiers de l'Atlantique et de l'Aérospatiale.
L'originalité de cette démarche a été saluée par les médias, montrant à l'évidence que, si des obstacles psychologiques majeurs pour l'insertion professionnelle des femmes tombent progressivement, le fait même d'en souligner le caractère exceptionnel démontre qu'un long chemin reste encore à parcourir sur ce plan. Les chantiers refusent aujourd'hui les visites de personnes voulant voir comment les choses se passent dans l'entreprise.
Ce matin, nous avons engagé un débat sur l'égalité professionnelle ; nous le mènerons à la lumière des enseignements tirés de la mise en oeuvre de la loi Roudy, adoptée voilà dix-sept ans, et des mutations profondes qu'a connues notre société depuis plus de trente ans.
Une évidence s'impose, en effet : les femmes, les jeunes générations surtout, appréhendent naturellement leur avenir en y intégrant l'exercice d'une activité professionnelle. Celle-ci contribue à forger une identité, à garantir une certaine autonomie ; elle favorise une évolution positive au sein du couple ; elle est également dictée par des impératifs économiques.
Il est par ailleurs démontré que l'insertion des femmes dans le monde du travail est un puissant facteur de développement, les pays où l'écart entre l'activité professionnelle masculine et féminine est le plus faible étant ceux qui enregistrent des taux de chômage les moins importants.
La reprise économique que nous connaissons depuis trois ans doit nous permettre de combattre plus efficacement les noyaux de précarité, laquelle frappe principalement les femmes, les blocages sur le plan de l'accès à la formation, ainsi qu'une certaine cécité concernant le choix des orientations ; je sais que vous y êtes particulièrement attachée, madame la secrétaire d'Etat.
Les constats dressés notamment par les délégations parlementaires aux droits des femmes attestent que des difficultés spécifiques demeurent, et que de nouvelles étapes doivent être franchies.
Face à ce texte, la majorité sénatoriale s'interroge : est-il nécessaire de légiférer au détriment des partenaires sociaux ? Les propositions de l'Assemblée nationale ne sont-elles pas trop exigeantes au regard des réalités quotidiennes des entreprises ? Ne faut-il pas appréhender la question dans sa globalité au regard de la nécessaire conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ?
Ces questions sont mises en exergue dans le rapport de la commission des affaires sociales ; permettez-moi de faire quelques observations à cet égard.
S'agissant des partenaires sociaux, nous pouvons constater - notre rapporteuse elle-même en convient d'ailleurs -...
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Notre « rapporteuse » ? C'est insultant !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... que, depuis dix-sept ans, ils ne se sont pas véritablement emparés de cet enjeu de société alors que la loi Roudy proposait des outils visant à inciter au dialogue sur ce thème, au niveau interprofessionnel ou à l'échelon des entreprises, dans le cadre des plans d'égalité en particulier.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui vise précisément à relancer cette négociation collective. Elle introduit de nouveaux rendez-vous périodiques, chaque année au sein de l'entreprise en l'absence d'un accord collectif, tous les trois ans quand il existe une convention de branche ou un accord professionnel.
Or je relève que, face à la proposition de l'Assemblée nationale tendant à prévoir une négociation de branche tous les trois ans, la majorité de la commission des affaires sociales du Sénat, pourtant soucieuse d'encourager le dialogue social, repousse cette périodicité à cinq ans.
Sur un autre plan, alors que la proposition de loi prévoit une sanction en cas de refus évident de l'employeur d'engager de discussions avec les représentants du personnel, la commission des affaires sociales rejette toute idée de pénalisation en supprimant cette disposition, et se contente de réaffirmer un principe qui existe déjà dans le code du travail, à savoir l'ouverture de discussions à l'issue de douze mois en cas d'inertie de l'employeur.
Vous jugez par ailleurs inutile le renforcement des indicateurs permettant des évaluations plus fiables de la situation des femmes au sein de l'entreprise.
Pourtant, une sociologue de l'université de Nantes, Mme Dussuet, vient de mettre en évidence que les rares entreprises qui respectent l'obligation légale d'établir un rapport ne mettent pas suffisamment en perspective les chiffres qu'elles produisent, que ce soit en termes d'accès à la formation ou de comparaison des salaires, laquelle est de plus en plus difficile dès lors que l'individualisation de la relation de travail s'accroît, rendant de ce fait inexploitables les données.
Enfin, nous partageons tous la même conviction selon laquelle l'égalité des femmes et des hommes dans la sphère professionnelle sera d'autant mieux garantie qu'elle intégrera la dimension « vie familiale ».
C'est pour tenir compte de cette donnée que les initiatives prises par le gouvernement de Lionel Jospin et la majorité depuis plus de trois ans abordent justement le problème de l'emploi dans cette double dimension.
La réduction du temps de travail n'est-elle pas une occasion de mieux partager les responsabilités familiales au sein des couples ? Vous vous êtes, il est vrai, opposés à cette réforme.
Nous avons souhaité moraliser le recours au temps partiel, pratique qui concerne pour 80 % les femmes, par la réglementation de l'amplitude des journées et des pauses.
Nous mettons en place des passerelles vers une activité professionnelle pour les femmes bénéficiaires de l'allocation de parent isolé, ou pour celles qui, ayant opté pour un congé parental d'éducation, peuvent éprouver des difficultés pour retrouver « leurs marques » sur le marché du travail.
La dernière conférence sur la famille a été l'occasion pour le Gouvernement d'annoncer la création d'une aide spécifique permettant aux femmes au chômage de faire garder leurs enfants, ainsi que l'amélioration et la diversification des capacités de garde afin que 70 000 enfants de plus puissent être accueillis de façon collective ou individuelle.
Je terminerai en évoquant l'amendement déposé par le Gouvernement, dont l'objectif est d'encadrer l'exercice du travail de nuit et de supprimer l'interdiction de principe du travail de nuit des femmes.
Nous le savons, la Cour de justice des Communautés européennes a déclaré, en 1991, que la directive du 9 février 1976 sur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, et singulièrement son article 5, étaient suffisamment « précis pour créer, à la charge des Etats membres, une obligation de ne pas poser en principe législatif l'interdiction du travail de nuit des femmes, même si cette obligation comporte des dérogations, alors qu'il n'existe aucune interdiction du travail de nuit pour les hommes ».
La Cour avait alors rejeté les arguments d'ordre social tendant à intégrer dans sa réflexion que les femmes étaient plus exposées aux risques de violence et aux surcharges de travail liées aux responsabilités familiales. Pourtant, il s'agit d'une réalité bien tangible !
Il n'en demeure pas moins que le travail de nuit présente des risques accrus d'altération de la santé, que ce soit pour un homme ou une femme.
Les enquêtes effectuées chez les travailleurs de nuit démontrent un effort supplémentaire, et donc une fatigue plus importante. On a d'ailleurs pu constater une fréquence des accidents du travail supérieure à la moyenne, en particulier dans la métallurgie et l'industrie minière. La récupération par un sommeil en journée est, on le sait, moins efficace. On enregistre également une augmentation des troubles nerveux consécutifs à une mauvaise articulation des rythmes de sommeil, au surmenage, ainsi que l'apparition de troubles digestifs.
La loi du 3 janvier 1991 avait prévu que les employeurs et organisations de salariés devaient négocier des compensations au travail de nuit, notamment sous forme de repos compensateur ou de majoration de rémunération, voire, comme l'avaient proposé les socialistes dans un amendement, selon les deux formes conjuguées.
Le Gouvernement nous propose aujourd'hui de mieux définir ce qu'est le travail de nuit, en se fondant notamment sur la convention n° 171 de l'Organisation internationale du travail, qui date de 1990.
Ce dispositif prévoit que sa mise en place ou son extension repose sur la négociation d'un accord collectif ou, à défaut, sur l'autorisation de l'inspection du travail.
Nous sommes conscients que ce travail de nuit est une réalité ! Selon l'INSEE, en 1995, les femmes représentaient 20 % des salariés en trois/huit, malgré l'interdiction formelle figurant à l'article L. 213.
Compte tenu de l'extrême sensibilité de cette question et des risques potentiels d'abus que présente une telle forme d'aménagement du temps de travail, les sénateurs du groupe socialiste, s'appuyant sur ce nouveau dispositif, présenteront des amendements visant à renforcer la protection des salariés travaillant la nuit et à leur permettre de meilleures conditions de récupération.
Nos propositions porteront principalement sur l'affirmation de la nécessité de recourir obligatoirement à une compensation sous forme de repos, à une limitation des heures supplémentaires susceptibles d'être accomplies sur un cycle de douze semaines, sur le renforcement du contrôle médical en direction de ces salariés, sur l'élargissement de la période au cours de laquelle une femme enceinte ou ayant accouché ne peut être affectée à un travail de nuit, ainsi que sur les suites éventuelles du refus d'un salarié de passer à un horaire de nuit.
Madame la secrétaire d'Etat, nous souscrivons pleinement à votre analyse selon laquelle le travail de nuit n'est bon ni pour les hommes ni pour les femmes, et nous ne souhaitons pas que la modification proposée concernant le travail de nuit se traduise sur le terrain par une banalisation de ce type d'organisation du temps de travail en considération des seules pressions économiques. C'est pourquoi nous avons déposé ces amendements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la société évolue rapidement. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de corriger les dérives que certaines mutations engendrent, de proposer les nouvelles pistes et les nouveaux instruments dont pourront se saisir les partenaires sociaux.
La proposition de loi déposée par notre collègue Mme Génisson est une étape vers plus d'égalité entre les hommes et les femmes. Elle constitue un élément de la démarche plus globale engagée par la majorité plurielle. Et nous sommes présents pour poursuivre ce combat qui anime depuis des décennies notre engagement politique ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Delaneau, président de la commission. Monsieur le président, je proteste contre les conditions dans lesquelles se déroule la présente discussion : l'amendement relatif au travail de nuit des femmes, qui ne compte pas moins de trois pages, vient d'être rectifié une nouvelle fois, alors même que l'on nous a déjà saisis aujourd'hui de plusieurs rectifications de ce même texte. Nous ne pouvons travailler dans ces conditions !
M. Gérard Cornu. C'est scandaleux !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne répondrai pas à chacun d'entre vous, vous voudrez bien me le pardonner ; mais cela ne signifie pas que j'ai été sourde à un certain nombre de vos propos !
Sur la forme, j'ai bien noté ce matin - et je vous en donne acte ! - une certaine irritation devant le dépôt tardif des textes, même si la procédure a toujours été respectée. Quant à la nouvelle rectification de l'amendement n° 1 dont vous venez d'être saisis, nous verrons tout à l'heure ce qu'il en est.
Par ailleurs, il a été dit que, sur un sujet aussi sérieux que le travail de nuit, un amendement n'était peut-être pas la forme la plus adaptée. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui ont motivé le dépôt de cet amendement, je m'en suis assez longuement expliquée ce matin lors de mon intervention, en plaidant l'urgence.
Sur le fond, il est frappant de constater que, les uns et les autres, vous êtes unanimes pour reconnaître que les inégalités professionnelles sont réelles et qu'elles sont lourdes, qu'il s'agisse des salaires, des carrières ou du niveau de formation : vos interventions et vos analyses ont rapporté des faits et des données concrètes qui nourriront ma réflexion.
Madame la rapporteuse, vous m'avez demandé si je maintenais la position que j'avais adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale, à savoir que, si les partenaires sociaux, dans le cadre de la négociation sur la refondation sociale, formulaient des propositions nous permettant d'avancer sur le chemin de l'égalité professionnelle, je serais preneuse en les intégrant dans le présent texte avant la dernière lecture. Je m'y étais engagée devant l'Assemblée nationale, et je réitère aujourd'hui, bien évidemment, cet engagement.
J'ai entendu vos propositions, dont certaines étaient parfois originales. Je citerai ainsi Mme Gisèle Printz - même s'il ne faut citer personne, ou alors tout le monde... - et son « ticket halte-garderie » : c'est une idée très concrète qui me semble correspondre tout à fait aux réflexions que nous menons sur cette nécessaire articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle.
J'ai bien noté aussi, sur ces sujets, quelques réticences, et nous retrouvons là le clivage habituel entre celles et ceux qui disent qu'il faut laisser faire les choses naturellement, attendre que les mentalités évoluent, et ceux qui pensent que, quand les choses ne vont pas bien naturellement, la volonté politique doit s'exprimer au travers de décisions législatives, voire, parfois - c'est vrai -, au travers de contraintes ou de sanctions.
Mais nous allons pouvoir revenir sur tous ces points en abordant maintenant la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DISPOSITIONS
MODIFIANT LE CODE DU TRAVAIL

Article 1er