SEANCE DU 8 NOVEMBRE 2000


ÉPARGNE SALARIALE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 11, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne salariale. [Rapport n° 63 (2000-2001) et avis n° 61 (2000-2001).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur l'épargne salariale, que j'ai l'honneur de vous présenter avec mes collègues Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, ici présent, et François Patriat, qui va nous rejoindre dans quelques instants et qui est désormais secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la consommation, succédant à Mme Lebranchu, ce projet, dis-je, est un élément important et, je le crois, novateur de la politique économique et sociale du Gouvernement.
Il s'inscrit pleinement dans le projet global qui est le nôtre depuis maintenant trois années. Une croissance réformatrice, une solidarité durable, une volonté de retour au plein emploi, tel est le programme qui, depuis le début de cette législature, anime notre action. Il a non seulement contribué à faire reculer le chômage et la précarité - les derniers chiffres publiés en témoignent - mais il y a également, et je sais que vous y êtes très attachés, aidé à renforcer l'esprit d'initiative et l'activité, les deux étant évidemment liés.
S'il y a près d'un million de chômeurs de moins, si le chômage de longue durée a reculé, si le nombre de RMIstes, indicateur malheureusement assez fiable de l'exclusion, décroît pour la première fois depuis la création de cette allocation, c'est bien parce que les conditions nécessaires à la création d'un million deux cent mille emplois ont pu être rassemblées.
C'est précisément parce que ce bilan économique est, dans l'ensemble, positif qu'il serait absurde de changer de cap. Il convient de maintenir le cap de la croissance, de l'emploi et de la solidarité, tout en évitant les déséquilibres budgétaires et sociaux qui mettraient en cause cette croissance et menaceraient l'emploi.
Qui, d'ailleurs, serait assez inconséquent pour ne pas se soucier à la fois du pouvoir d'achat des Français et du dynamisme de nos entreprises ? Personne, j'imagine ! Où a-t-on inventé qu'une politique positive à la fois pour la demande et pour l'offre ne serait pas de gauche ? Nous ne devons redouter ni la transparence, ni la durabilité, ni la cohésion européenne, bien au contraire. C'est donc une politique de croissance réformatrice et de solidarité durable, une politique économique de l'emploi, que nous menons et que nous devons continuer à mener.
A cet égard, des éléments essentiels, vous le savez, sont la maîtrise des dépenses, la réduction des déficits et de la dette, l'allégement et la justice des impôts, dont nous débattrons bientôt avec le projet de budget, de même qu'est très important le chapitre des nouvelles régulations, dont nous avons discuté ici même voilà moins d'un mois. Tout cela participe à un climat où confiance et croissance se renforcent, où le soutien de la demande est opportunément épaulé par l'encouragement de l'offre. Favoriser et l'une et l'autre est un des objectifs de notre majorité.
Ce texte y contribue en cherchant à agir de trois façons : en développant et en généralisant l'accès à l'épargne salariale ; en facilitant le financement des entreprises pour favoriser l'emploi et l'innovation ; enfin, en renforçant et en modernisant la négociation collective.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'épargne salariale est un des axes d'une gestion démocratique du social.
En fixant un cadre juridique, en ouvrant des possibilités financières, en donnant un cap, l'Etat, qui se veut un partenaire et non pas un prescripteur arbitraire, est pleinement dans son rôle. Nous savons que le dirigisme est dépassé, de même que l'impuissance publique est à prohiber.
Dans les entreprises comme pour les individus, la politique du laisser-faire /laisser-aller conduit plus souvent au développement des inégalités, aux catastrophes environnementales qu'à la prospérité.
Inversement, le dialogue social est une condition nécessaire du développement harmonieux de notre économie. La loi comme le contrat peuvent y contribuer. Ce projet de loi illustre la conception d'une articulation juste, profitable à tous, entre le législatif et le conventionnel.
Partons des faits. La santé économique de notre pays, l'amélioration des résultats de nos entreprises ne profitent pas encore suffisamment aux salariés qui ont contribué à créer ces richesses nouvelles. Certes, le partage des fruits de l'expansion entre la rémunération du travail et la rémunération du capital n'oublie pas les salariés, heureusement ! - on l'observe à travers l'évolution du pouvoir d'achat.
Néanmoins, le développement de l'épargne salariale constituerait un puissant appui à ce mouvement. Il permettrait de mieux répartir la valeur ajoutée générée par la croissance. Actuellement, 97 % des salariés des PME ne sont pas concernés par les dispositifs existants. La participation, l'intéressement, un tiers seulement des salariés du secteur privé peuvent y prétendre. Ces chiffres témoignent autant de l'insuffisance du système actuel que de la nécessité de le rendre plus équitable.
Démocratiser l'accès à l'épargne collective est donc le premier but de ce projet de loi. Sur la base du volontariat, des centaines de milliers de salariés supplémentaires auront désormais la possibilité d'accroître leur rémunération globale et, pour eux, pour leur famille, de concrétiser des projets que leur seul salaire n'autorisait pas toujours : par exemple, acheter un logement, prendre le temps d'une formation, aider les enfants dans leurs études ou financer un projet personnel.
L'entreprise, elle aussi, maîtrisera sans doute mieux son destin, puisque le nouveau dispositif lui permettra de renforcer ses fonds propres, condition nécessaire au remplacement, à la modernisation, voire à l'accroissement, de son appareil de production.
Les sociétés françaises, dont près de 40 % des capitaux sont désormais étrangers, y trouveront des outils pour mieux affirmer leur indépendance, leur stabilité, leur solidité. Les petites et moyennes entreprises, qui connaissent souvent des difficultés pour financer leurs investissements, leurs innovations, alors qu'elles sont un des moteurs essentiels de notre économie, se verront offrir une ressource simple et nouvelle qui devrait contribuer à dynamiser leur développement.
Les instruments dont nous proposons la création seront, nous l'espérons, un atout dans la compétition internationale pour nos grandes entreprises, qui ont vocation à devenir des « numéros un » européens, voire des champions mondiaux, et un motif supplémentaire de conserver leurs centres de décision à l'intérieur du territoire hexagonal.
Consolidation de nos industries de biens et de services, avantages nouveaux pour le salarié, c'est dans une meilleure allocation des ressources du pays, équitablement répartie au profit des salariés et des entreprises, que résident la logique et la légitimité de ce projet.
S'y ajoute une dimension spécifique que j'évoquais au début de mon propos. A l'obligation annuelle de débattre de la durée et de l'organisation du travail, s'ajouteront désormais, en vertu des dispositions qui vous sont soumises, une obligation de négocier annuellement pour la mise en place de l'épargne salariale, une plus grande fréquence de discussion de l'actionnariat salarié en assemblée générale des actionnaires, un pouvoir accru des salariés dans les conseils de surveillance des fonds de gestion de cette épargne.
Ainsi, le rôle renforcé et le champ étendu de la négociation collective contribueront au développement de droits nouveaux et, dans certains cas, tout simplement à l'apparition du dialogue social. La qualité des relations entre salariés et dirigeants est un élément déterminant de la productivité des entreprises, de la satisfaction des salariés et des entrepreneurs. Dès lors que chacun peut mieux peser sur son présent, sur son futur, ce projet de loi ne crée pas seulement un ensemble de droits et de devoirs, il peut être aussi, nous l'espérons, une chance pour tous ceux qui font l'économie de notre pays.
Un mot, enfin, avant de passer à l'analyse proprement dite du texte.
Nous ne serions pas parvenus à ce projet sans l'esprit de transparence ni la volonté de concertation. C'est sous ce double signe qu'ont travaillé notamment, et je veux les en remercier, MM. de Foucauld et Balligand, qui, dans un remarquable rapport, ont établi juridiquement et financièrement le bilan du possible et du souhaitable. Etat de la situation française et des expériences étrangères, analyse précise et précieuse des conditions nécessaires à l'émergence d'une véritable épargne salariale, conséquences du nouveau dispositif, leur travail d'expertise et d'évaluation a constitué le socle de nos premières réflexions.
Un projet de loi qui donne une place centrale à la négociation collective n'aurait pas pu, bien entendu, se passer d'une discussion approfondie avec les partenaires sociaux. Avant l'été, alors que notre texte n'existait que sous la forme d'un premier canevas, et au moment même où j'arrivais au ministère, j'ai rencontré les responsables des confédérations syndicales et des organisations patronales représentatives. J'ai écouté leurs remarques, leurs critiques. De nombreuses réunions organisées par les services et par mon cabinet ont prolongé ces échanges. Cette démarche s'est poursuivie auprès des différentes formations politiques de la majorité, ainsi qu'avec celles de l'opposition lorsque leurs responsables le souhaitaient. Le débat en a été certainement enrichi.
L'examen du texte en première lecture à l'Assemblée nationale a permis d'en préciser certaines dispositions sans en altérer l'équilibre. Je pense que c'est également l'ambition de votre assemblée.
Je veux souligner la qualité du travail effectué par le rapporteur de votre commission des finances, M. Ostermann, et par le rapporteur pour avis de votre commission des affaires sociales, M. Chérioux. Je veux les remercier. J'en ai pris connaissance avec grand intérêt, tout comme j'ai suivi avec attention les différentes opinions que les réunions de vos commissions ont permis de formuler.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous présenter rapidement les différents volets d'un texte qui vise à donner à chacun une part de la croissance, à favoriser le développement et l'emploi, la consommation et l'investissement, bref l'économie et la solidarité, la concertation et la négociation, en offrant aux salariés une ressource nouvelle, aux entreprises des fonds stables et solides, au dialogue social un cadre modernisé.
Le premier objectif de ce texte est de faciliter l'accès de tous les salariés de toutes le entreprises à l'épargne salariale, notamment ceux des PME qui, jusqu'à présent, en étaient exclus de fait.
Pour cela, nous proposons la création d'un nouvel instrument, le plan d'épargne inter-entreprise, le PEI. Il aura toutes les caractéristiques du plan d'épargne d'entreprise, mais il pourra être créé entre plusieurs sociétés par accord collectif au sein d'une branche professionnelle sur une base territoriale ou par regroupement volontaire.
En permettant la création de cet instrument collectif, ou plutôt communautaire, auquel les salariés pourront adhérer quand bien même leur entreprise s'en tiendrait éloignée, nous levons les obstacles qui rendent aujourd'hui impossible l'accès d'une majorité de salariés des PME aux plans d'épargne. Par leur travail, cinq millions d'hommes et de femmes contribuent à l'activité de la nation et à la productivité des petites et moyennes entreprises. Pourquoi seulement 3 % d'entre eux bénéficieraient-ils des facilités offertes aux salariés des grands groupes ? Cela n'était pas juste.
Des mesures fiscales incitatives seront donc mises en place pour encourager la participation et l'intéressement dans les PME. Pour celles qui auront conclu des accords de ce type avant le deuxième anniversaire de la promulgation de la loi, la provision pour investissement en franchise d'impôt sera portée de 25 % à 50 %. Cet avantage bénéficiera également aux entreprises de moins de cent salariés au sein desquelles sera conclu un accord d'intéressement. Dirigeants, entrepreneurs individuels et mandataires sociaux pourront user également de ces dispositions, et je pense que c'est un ajout important.
Deuxième objectif pour étendre au plus grand nombre l'épargne sociale ; le nouveau système sera ouvert aux salariés précaires ou mobiles.
L'Assemblée nationale a estimé préférable de porter à trois mois la durée minimale d'ancienneté initialement fixée à deux mois, qui sera demandée à ces femmes et à ces hommes pour entrer dans le dispositif. Le Gouvernement a approuvé cette modification. Pour ne pas pénaliser les salariés qui changent d'entreprise, notre texte prévoyait de transférer sans pénalités, s'ils le souhaitaient, leur plan d'épargne d'une société à une autre ; l'Assemblée nationale a étendu cette possibilité de transfert aux sommes détenues au titre de la réserve spéciale de participation. J'espère que vous vous accorderez sur ce point.
Le troisième objectif de ce texte est le plan partenarial d'épargne salariale volontaire, le PPESV. Intéressement, participation, plans d'épargne d'entreprise, ces dispositifs ont leur logique et leur utilité. Ils peuvent cependant paraître insuffisants. Insuffisants parce que, concernant des effectifs et des montants réduits, parce que datant pour la plupart des trente glorieuses, c'est-à-dire un contexte différent, inégalitaires aussi compte tenu des différences de rendements d'une société à l'autre, et parce que, réservés aux « happy few » des grands groupes, peu compréhensibles enfin parce que superposés, alambiqués ou juxtaposés, ils ont découragé les entreprises et les employés. Ils doivent être complétés par un produit d'épargne de moyen terme qui, par la durée de ses placements, pourra à la fois donner au salarié la juste rémunération de son épargne et contribuer au financement de l'économie.
Le PPESV, que certains ont appelé malicieusement le « plan Fabius », vise à pallier cette carence. Souplesse, simplicité, praticabilité, justice et pondération, tels sont les objectifs que nous essayons d'atteindre. Abondé d'un côté par le salarié et de l'autre par l'entreprise pour des sommes trois fois supérieures à celles qui seront versées par son employé sous un plafond annuel de 30 000 francs, le PPESV aura une durée minimale de dix ans, avec des possibilités de déblocage anticipé pour faire face aux imprévus de la vie. Cette épargne ne sera pas dirigée vers un seul placement, notamment pas vers la seule société où travaille le salarié, surtout si elle est de taille réduite, pour des raisons évidentes d'équilibre des risques, mais elle sera mutualisée dans un fonds à la fois pour parvenir à la masse critique et, en étendant l'espace de collecte, pour prévenir tous les risques ou éventuels conflits d'intérêts. Sécurité globale des placements pour les salariés, développement local de l'accès aux capitaux pour les entreprises, les deux objectifs, à travers le PPESV, seront conciliés.
Le quatrième objectif, c'est que nous avons voulu, dans ce projet de loi, créer les outils qui permettront à l'épargne salariale de soutenir et d'accompagner le développement de l'économie solidaire. M. Hascoët développera en particulier ce point. Juste répartition des pouvoirs et des gains, libre adhésion, refus du primat absolu de l'aspect financier, insertion par l'économie, telles sont les valeurs véhiculées par les entreprises de ce secteur. On peut entreprendre assurément pour gagner de la considération ou de l'argent, pour réussir, pour inventer, pour conquérir un marché, pour développer un service, un produit, un marché. Tout cela est parfaitement respectable. On peut aussi le faire pour partager et pour donner. La solidarité, la protection de l'environnement, la cohésion d'un territoire, le resserrement du lien social peuvent être même l'oeuvre d'une vie. Ce sont de justes et nobles causes défendues le plus souvent par des personnes dont le désintéressement, l'altruisme, le dévouement forcent l'admiration, faisant contrepoint à un certain individualisme très développé dans notre société.
Dans le cadre du PPESV, l'épargne salariale pourra être investie dans des fonds de placement solidaires. L'actif de ces fonds spécifiques devra être composé pour une part entre 5 % et 10 % de titres émis par des entreprises solidaires. Afin de favoriser tout particulièrement cette orientation, une provision pour investissement au taux de 100 % sera accordée aux entreprises sur le montant de leurs abondements aux sommes investies en titres d'entreprises solidaires qui, dans l'acception retenue par le projet de loi, sont celles qui accueillent dans leurs effectifs une large proportion de personnes ayant connu des difficultés d'accès à l'emploi, dont les dirigeants sont élus par les salariés, les adhérents ou les sociétaires, et dont les salaires sont volontairement plafonnés. Ce dernier critère, supprimé par les députés, nous semble devoir être rétabli pour garantir l'efficacité et la justice du dispositif. Le projet de loi qui vous est soumis veut en effet épauler spécialement les petites structures qui rencontrent de réels obstacles pour accéder à certains financements et non les grandes organisations qui peuvent connaître des problèmes, mais évidemment pas du même type.
C'est une philosophie de l'entraide, de l'humanité en somme que nous voulons, même modestement, encourager en offrant des avantages fiscaux aux fonds solidaires. Nous estimons, en effet, que le dynamisme d'une société se mesure aussi à sa capacité d'accompagner et d'accueillir toutes les initiatives qu'elle suscite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur l'épargne salariale a suscité un certain nombre d'interrogations. Les débats à l'Assemblée nationale ont permis de clarifier et de dissiper quelques-unes d'entre elles. Vos travaux, j'en suis sûr, y contribueront également.
Je vous apporte une première précision : ce projet de loi traite bien de l'épargne salariale. Sa logique, son dispositif, les nouveaux outils qu'il crée tendent vers cet objectif.
Votre rapporteur propose d'en faire également un instrument destiné à financer les retraites. C'est un choix, mais c'est évidemment une autre approche. Au-delà de nos différences sur les moyens de consolider les régimes sociaux qui existent, de nos divergences sur la question des fonds de pension, qui sont connues, je crois qu'il faut, si nous voulons rendre service à l'épargne salariale, que nous souhaitons tous, je l'espère, encourager et développer, éviter d'entretenir trop la confusion. Nous aurons l'occasion, au cours du débat, de revenir sur ce sujet.
Le PPESV n'est donc pas un système de fonds de pension qui avancerait masqué pour mettre en péril le financement de l'assurance vieillesse. Cela serait d'autant plus absurde que, face à l'élévation de l'âge moyen de la population et au défi démographique que cette évolution constitue et qui existe partout en Europe - nous en discutions encore hier à Bruxelles - le Gouvernement veut agir résolument en faveur de la consolidation des régimes de retraite par répartition, notamment en décidant d'affecter au fonds de réserve des retraites une partie des recettes tirées de la vente des licences des mobiles de troisième génération, dits UMTS.
Autorisant des versements pendant dix ans, permettant des abondements plafonnés à 30 000 francs par an, le PPESV ne peut en aucune manière être considéré comme une sorte de cheval de Troie. La possibilité initialement prévue d'opter pour une sortie en rente à l'issue du PPESV était parfois évoquée comme source de confusion entre ce produit d'épargne salariale et un produit d'épargne retraite ; nous avons souhaité dissiper cette ambiguïté. Les députés ont, dans cet esprit, choisi de privilégier trois types de sorties en capital, laissées à la libre appréciation du salarié, soit de manière fractionnée, soit échelonnée, soit encore en bloc. Si un salarié souhaite transformer son capital en complément de retraite, il pourra, à l'échéance de son plan, négocier la transformation de celui-ci en rente auprès de n'importe quel organisme financier.
La deuxième question que les débats à l'Assemblée nationale nous ont permis de clarifier est celle de la supposée exonération de cotisations sociales dont bénéficierait l'abondement patronal au PPESV et, de ce fait, l'éventuelle substitution de ce dernier aux augmentations de salaires. Sur ce point, j'ai toujours été étonné d'un certain manque de confiance en la représentation des salariés qui gérera ces fonds, négociera une fois par an sur le principe même de l'épargne salariale avec le patronat et continuera de défendre quotidiennement les intérêts des employés. Ne créons pas de danger imaginaire : loin de se substituer au salaire, l'épargne salariale devrait s'y ajouter et constituer un atout pour les salariés, singulièrement pour les plus modestes d'entre eux.
Quoi qu'il en soit, puisque ce débat a été soulevé, je veux rappeler que CSG et CRDS s'appliqueront ici selon le régime de droit commun. Pour autant, il serait contradictoire de soumettre un nouveau dispositif, dont la nécessité est admise par tous, à des prélèvements plus importants que ceux qui s'appliquent aux produits qu'il est censé remplacer ou compléter : je pense notamment au PEE. Une solution ingénieuse, me semble-t-il, a été adoptée par l'Assemblée nationale. Elle prévoit d'appliquer aux abondements patronaux du PPESV le régime fiscal et social du plan d'épargne entreprise jusqu'au plafond de 15 000 francs et, au-delà, de les soumettre à un prélèvement social de 8,2 % dont le produit sera versé au fonds de réserve des retraites. Cette solution apparaît raisonnable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais en conclusion vous remercier les uns et les autres du travail qui a déjà été fait en commission et du travail qui sera fait dans cet hémicycle, visant à améliorer ce projet de loi et, pour ceux d'entre vous qui le voteront, pour le soutenir.
En quinze articles, ce projet de loi cherche à concilier le mieux possible l'efficacité économique et la justice sociale. Améliorer l'autonomie financière des entreprises, accroître le bien-être des salariés, renforcer la dimension solidaire de notre économie et développer la négociation entre les partenaires sociaux, tels sont les quatre objectifs et les quatre avantages du présent texte. Les salariés, les dirigeants, les actionnaires et les partenaires, tous à leur façon, apportent à notre économie leur contribution. Dès lors, il est normal qu'il en bénéficient.
Il s'agit non pas d'abolir la distinction entre travail et capital - nous savons qu'elle existe - leur opposition même parfois, mais de favoriser la codiscussion. Je ne connais personnellement qu'une seule sorte d'accord vraiment durable, ce sont les accords, comme on dit maintenant, « gagnant-gagnant » au service de l'activité et de la solidarité, de la croissance et de l'emploi. Par ce texte, le Gouvernement vous demande tout simplement de rendre ce type d'accord possible. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Joseph Ostermann, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « enfin ! » est le premier mot qui me vient à l'esprit pour caractériser ce projet de loi. « Seulement ! » est le second. « Enfin », car votre projet de loi, monsieur le ministre, est le fruit d'une longue histoire. « Seulement », car, comme tous les textes ballottés entre compromis, concessions et compromissions, il est bien loin des ambitions initiales et des espoirs suscités.
« Enfin et seulement », car il manquait à la majorité plurielle un texte fondateur sur la grande oeuvre de la participation. Au lieu de quoi nous devons nous contenter d'une juxtaposition de mesures techniques, pas toujours très finies, sans souffle et surtout sans réponse aux questions ouvertes. Mais le Sénat contribuera à améliorer le texte.
La participation est une grande ambition, un concept théologique devenu principe économique élevé au rang de philosophie politique, troisième voie vers la réconciliation des intérêts - contradictoires aux yeux de certains - des deux principaux facteurs de production que sont le capital et le travail. La participation est un outil de modernisation sociale et économique, un facteur de croissance économique, l'élément central d'un nouveau contrat social, bref une « vaste mutation sociale », pour reprendre les termes du général de Gaulle.
Ce n'est pas rien de toucher à la participation. Ce n'est pas rien de prétendre remplacer la participation gaulliste, héritière de l'idée d'association entre capital et travail, des théories proudhoniennes directement puisées dans la doctrine chrétienne par le nouveau concept d'épargne salariale. Ce n'est pas rien de vouloir, car tel était votre but, de proposer de l'épargne longue dans le cadre de la participation. La tâche était rude. Vous vous êtes arrêtés à mi-chemin.
Certes, les objectifs avancés par le Gouvernement ne manquent pas d'ambition et rejoignent les soucis de votre commission : relancer les dispositifs existants, particulièrement vers les petites et moyennes entreprises, revoir la place des salariés actionnaires, ouvrir l'épargne salariale vers des placements solidaires, créer un produit d'épargne longue.
Mais la réalité du projet de loi est plus abrupte, plus technique, plus décevante, je dois l'avouer.
La commission des finances a souhaité adopter une position pragmatique. Elle a été animée, dans son travail mené en étroite concertation avec notre excellent collègue M. Jean Chérioux et la commission des affaires sociales, par un double souci : le premier, c'est de perfectionner et de simplifier le texte transmis par l'Assemblée nationale ; le second, c'est de répondre à l'attente des Français, de calmer leur inquiétude sur une préoccupation qui vient de détrôner le chômage dans la liste de leurs craintes, à savoir la retraite.
Avant d'aborder ces deux temps de mon propos, je souhaiterais m'arrêter un instant sur la méthode du Gouvernement.
Le Premier ministre a fait de la concertation et du dialogue une apparente méthode de gouvernement. Mais qu'en est-il sur le sujet qui nous préoccupe aujourd'hui ?
En octobre 1999, le Sénat a adopté une proposition de loi sur l'épargne retraite. En décembre 1999, le Sénat a adopté une proposition de loi sur l'actionnariat salarié. Il avait été dit à l'occasion de ces deux discussions que le Gouvernement amorcerait une large concertation sur le sujet de l'épargne salariale en vue d'un projet de loi. Cela a débouché sur le rapport de MM. Balligand et de Foucauld, sur un premier projet de loi, sur de nouvelles concertations, puis sur un second texte, celui que nous examinons aujourd'hui.
Un an d'attente pour voir venir devant le Parlement un projet de loi qu'il doit examiner en urgence, bien sûr. Il y aurait donc urgence sur ce sujet pour lequel le ministère des finances n'était pas pressé il y a un an.
Je ne manque pas de m'étonner une nouvelle fois de voir que, quand le Parlement se saisit d'un sujet en amont, le Gouvernement se bouche les oreilles puis lui demande, un an après, de statuer dans l'urgence. Je ne manque pas de m'étonner de voir que le Gouvernement se targue de concertation et choisit le moyen de procédure le plus expéditif au Parlement. Je ne manque pas de m'étonner que le Gouvernement estime ainsi que les discussions en dehors des représentants de la nation valent mieux que celles qui se tiennent avec eux.
J'en viens maintenant au texte même.
Les liens partenariaux allant au-delà de la relation salariale, ils peuvent prendre des formes multiples.
C'est, d'abord, l'intéressement, qui est facultatif et qui permet au salarié de bénéficier des performances de l'entreprise. C'est, ensuite, la participation, pour partie obligatoire, et qui donne au salarié une partie du bénéfice. C'est encore l'actionnariat salarié, libre et encouragé, qui le fait bénéficier de la rémunération du capital.
M. le président. Permettez-moi de vous interrompre, monsieur le rapporteur.

3