SEANCE DU 6 DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la décentralisation.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des crédits alloués à la décentralisation vient à une heure fort peu propice à de longs développements, d'autant que le Sénat a déjà consacré deux longues séances sur cette question. A cet égard, monsieur le ministre, nous ne pouvons que regretter que la procédure budgétaire ne vous ait pas permis d'être présent au banc du Gouvernement auprès de Mme Parly, la semaine dernière. Recommencer aujourd'hui le débat est quelque peu délicat.
Je serai donc bref, pour être agréable à M. le président,...
M. le président. Je vous en sais gré !
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. ... pour éviter les redondances et faire en sorte de ne pas lasser nos collègues avec ces questions relatives aux collectivités locales.
Monsieur le ministre, comme vous l'avez dit, voilà quelques minutes, à M. le rapporteur général, la comptabilité n'est pas tout. Sans vouloir trop insister sur les chiffres, je souhaiterais néanmoins revenir sur quelques questions de principe à propos des crédits alloués aux collectivités locales.
Dans cette assemblée, nous sommes attachés au principe de la décentralisation, c'est-à-dire la décentralisation au nom d'une République territoriale. Nous pensons que la décentralisation est probablement la chance de la République, au moment où l'on va organiser de plus grands ensembles et au moment où s'organise, notamment en cette fin de semaine, à Nice, la construction d'une Union européenne élargie. Sous quelle forme allons-nous construire l'Europe ? La République y aura-t-elle toute sa place ? Ce sont là des questions fondamentales. Nous pensons que, si cette République est territoriale, elle pourra en effet être l'un des acteurs de la construction européenne.
A ne considérer que les chiffres, on pourrait penser que les collectiviés locales sont comblées. Plus de 44 milliards de francs supplémentaires, c'est le pactole, monsieur le ministre !
Mais nous savons, les uns et les autres, que cela ne reflète pas la réalité. L'augmentation des crédits en faveur des collectivités locales n'est que la compensation d'impôts locaux supprimés et remplacés par des dotations d'Etat ; ce sont 6,4 milliards de francs qui constituent les crédits supplémentaires.
Je voudrais simplement redire à cette tribune quel doit être le rôle de l'Etat face aux collectivités locales.
C'est d'abord la confiance qui doit prévaloir dans les relations entre l'Etat et les collectivités locales. Or, chaque année, le Gouvernement propose de supprimer des impôts locaux et de les remplacer par des dotations de l'Etat : est-ce là un signe de cette confiance ? Que le Gouvernement veuille supprimer des impôts devenus archaïques ou impopulaires est tout à fait normal, mais alors, qu'il les remplace par des impôts transférés ! Cela traduirait une vraie relation de confiance entre les collectivités locales et l'Etat.
Les collectivités locales auront donc désormais essentiellement des dotations à dépenser. Quand on sait qu'en plus on leur indique très largement comment elles doivent les dépenser - contrats de plan, règlements d'aide sociale - on peut se demander où est la responsabilisation des collectivités locales.
Le rôle de l'Etat en matière de décentralisation, dès lors qu'il fait confiance aux collectivités locales et qu'il leur délègue des impôts, est, bien entendu, d'assurer une relative justice financière entre les diverses collectivités locales et une égalité de chances entre celles qui ont beaucoup de ressources fiscales et celles qui en sont démunies. L'Etat doit donc essentiellement jouer un rôle péréquateur.
Or nous nous apercevons que, d'année en année, ce rôle péréquateur que devrait jouer la dotation globale de fonctionnement est de plus en plus secondaire.
Certes, cette dotation augmentera cette année de 3,42 %. Il s'agit d'une forte progression qui résulte, d'ailleurs, de la stricte application de la loi, et nous n'allons pas nous réjouir de voir le Gouvernement appliquer la loi : c'est bien normal ! Mais la dotation de solidarité urbaine n'augmentera pas. Sans les abondements exceptionnels, cette dotation aurait même diminué.
J'en viens à l'intercommunalité, sorte de révolution au quotidien. Les choses bougent beaucoup dans ce pays, et c'est bien.
Je rappelle que la loi du 12 juillet 1999 a fait l'objet d'un large consensus, puisqu'elle a été adoptée par les deux assemblées. Cependant, il faut bien le reconnaître, l'intercommunalité n'est pas véritablement financée. Des efforts ont été réalisés l'an dernier ; d'autres le sont cette année. Mais il ne s'agit que de bouts de ficelle. Et nous ne connaissons pas le coût réel de l'intercommunalité. Le Gouvernement, monsieur le ministre, ne devrait-il pas soutenir franchement ce grand mouvement qui anime les élus locaux ? Le succès de la loi du 12 juillet 1999 atteste la volonté des communes de se regrouper. De ce fait, les communautés de communes, les communautés d'agglomération ainsi que les communautés urbaines vont devenir les formes nouvelles d'action de proximité sur le territoire.
Ne pas prévoir un réel financement tout en ignorant si les crédits figurant dans le projet de budget vont suffire et aller « piocher » dans la DCTP pour financer l'intercommunalité, c'est condamner cette dotation, instaurée à l'origine pour compenser des pertes de taxe professionnelle, puis transformée en variable d'ajustement du contrat de croissance et de solidarité, à diminuer encore plus cette année, alors que la situation économique devrait au contraire produire des ressources supérieures, notamment de taxe professionnelle, pour les collectivités locales.
Je voudrais, enfin, vous interroger sur le contrat qui lie de façon quasi traditionnelle les collectivités et l'Etat pour le financement de celles-ci sur une durée de trois ans. Vous nous avez annoncé que le contrat en cours sera prorogé. On pourrait, à première vue, s'en féliciter et estimer qu'il s'agit d'une bonne nouvelle pour les collectivités locales. Cependant, cela va engendrer deux problèmes.
D'abord, le fait de proroger d'une année le contrat posera en quelque sorte un problème de date. En effet, 2001 est la dernière année qui permettra au Gouvernement de financer l'intercommunalité sur la DCTP. Il y aura donc un hiatus à gérer. Comment allez-vous procéder ?
Cette prorogation posera un second problème. Qu'allez-vous faire de ce contrat ? En 2002, ce contrat sera-t-il le même qu'en 2001, alors que nous avions pris l'habitude de voir le Gouvernement faire des efforts, certes à pas comptés, pour prendre en compte l'accroissement de la richesse nationale dans la détermination du taux d'accroissement des concours de l'Etat aux collectivités locales ?
Prorogation veut-il dire que l'on va cesser de prendre, chaque année, un peu plus en compte l'accroissement de la richesse nationale, ou allez-vous passer de 33 % à 50 % pour l'année supplémentaire du contrat ? Nous souhaitons que vous nous répondiez sur ce point.
Telles sont les questions que je souhaitais poser en cette fin de matinée.
J'ai d'abord posé une question de principe : le moment ne vous paraît-il pas venu de donner un second souffle à la décentralisation, de donner des signes forts de confiance aux collectivités locales, de cesser d'octroyer des dotations, de transférer de vraies responsabilités, de faire en sorte que l'Etat assume le rôle qui est en l'occurrence le sien, à savoir assurer la péréquation entre les collectivités locales ? J'ai ensuite posé deux questions : comment financer l'intercommunalité et comment sera prorogé le contrat qui lie financièrement l'Etat et les collectivités locales ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois s'est d'abord préoccupée de l'effort de modernisation des préfectures, engagé depuis plusieurs années, qu'elle reconnaît. Beaucoup d'élus souhaitent que, face à la complexité croissante de la règle de droit, les préfectures leur apportent une plus grande expertise juridique.
Quant à la déconcentration administrative, nous constatons qu'elle se poursuit, mais d'une manière laborieuse. Or elle ne sera effective que dans la mesure où le préfet sera le véritable représentant interministériel de l'ensemble des services de l'Etat.
M. Christian Bonnet. Vieille affaire !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis. Nos travaux ont été consacrés, pour l'essentiel, aux concours de l'Etat et à leur évolution. A ce propos, nous faisons cinq constatations.
Première constatation : les collectivités locales ne sont pas suffisamment associées aux fruits de la croissance, à laquelle elles apportent pourtant une contribution majeure,...
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis. ...ce qui, évidemment, se répercute sur la DGF.
Deuxième constatation : le contrat de croissance et de solidarité ne prend pas en compte les charges des collectivités locales. Or ces charges sont fortement évolutives, souvent sous l'effet de décisions prises unilatéralement par l'Etat.
Troisième constatation : l'ajustement de l'enveloppe normée par le biais de la DCTP aboutit, année après année, à une amputation très forte de cette dotation pourtant destinée à compenser les pertes de recettes fiscales.
Quatrième constatation, qui rejoint le constat de la commission des finances : le prélèvement de 1,2 milliard de francs pour financer les communautés d'agglomération est-il suffisant pour faire face à l'augmentation du nombre de ces structures ? Cette année, on recense trente communautés d'agglomération supplémentaires. La même question se pose en ce qui concerne la progression du nombre des communautés de communes. Or, monsieur le ministre, les engagements pris dans le cadre de la loi du 12 juillet 1999 doivent être incontestablement respectés pour accompagner ce mouvement nécessaire vers l'intercommunalité.
Cinquième et dernière constatation : la multiplication des abondements dits exceptionnels, le poids croissant des compensations d'exonérations de fiscalité locale affectent les objectifs de prévisibilité et de lisibilité.
A la suite de ces cinq constats, la commission des lois s'est encore consacrée - c'est ma conclusion - à trois questions essentielles qui portent sur l'avenir.
La première, c'est le problème du statut, ou ce qui en tient lieu, des élus. A cet égard, des progrès ont été accomplis sur le plan de la sécurité juridique, à la suite du vote de la loi Fauchon. Ces progrès doivent être amplifiés par l'élaboration d'un véritable statut. Cette volonté s'exprime d'ailleurs avec le livre blanc de l'Association des maires de France et l'annonce, par M. le président du Sénat, de l'inscription à l'ordre du jour, en janvier prochain, d'une proposition de loi de notre collègue M. Vasselle.
La deuxième question de fond concerne tout ce qui a trait à l'intercommunalité. Le mouvement de renforcement de la coopération intercommunale doit être poursuivi à partir de la libre volonté des communes dans un cadre juridique simplifié et ménageant la souplesse nécessaire. Le défi du financement de l'intercommunalité devra être relevé selon des modalités respectant les dotations existantes.
Enfin, la troisième et dernière question concerne l'avenir du système de financement local, qui suscite, comme d'habitude, allais-je dire, des inquiétudes légitimes.
Les recettes fiscales représentent actuellement moins de la moitié des ressources globales des collectivités. Le Sénat a souhaité mettre un coup d'arrêt à ce qu'il pense être une dérive, à travers l'adoption de la proposition de loi constitutionnelle présentée par M. le président Poncelet. La commission Mauroy, dont plusieurs d'entre nous faisaient partie, s'est elle-même prononcée très clairement pour la préservation du principe de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
La modernisation de la fiscalité locale doit donc constituer une priorité. En outre, les incertitudes actuelles sur les nouvelles règles d'évolution des concours de l'Etat qui seront appliquées à l'échéance du contrat de croissance et de solidarité, lequel sera prolongé d'une année, devront être levées.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis. Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques-unes des observations, des interrogations et des questions d'avenir sur lesquelles la commission des lois s'est penchée. S'agissant des grandes questions de principe, notre commission des lois n'a jamais failli à la solidarité avec les propositions de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) .
M. le président. Messieurs les rapporteurs, je vous remercie de votre précision et de votre concision !
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)