SEANCE DU 6 DECEMBRE 2000


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'éducation nationale : I. - Enseignement scolaire.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues ; pour la première fois succédant à mon collègue M. Delong, je vais présenter les crédits de l'enseignement scolaire. Je tenterai de le faire de manière brève et dynamique.
Monsieur le ministre, vous gérez la plus grande entreprise nationale : un budget de 332 milliards de francs 959 000 emplois budgétaires et 12,5 millions d'élèves dans les différents niveaux d'enseignement.
En 2001, votre projet de budget progresse à nouveau de 2,82 % en valeur réelle et à périmètre constant, et prévoit 13 000 créations d'emplois.
A ce moment de mon exposé, je souhaite, à la fois au nom de la commission des finances et en mon nom personnel, car je connais bien le secteur de l'éducation, rendre hommage à l'effort fantastique accompli depuis des années par tous les enseignants et tous les chefs d'établissement face à la démocratisation de l'enseignement.
Nous avons réellement, en France, un enseignement de qualité.
Monsieur le ministre, quel contraste dans le style et dans l'action entre votre prédécesseur et vous-même ! A des réformes annoncées de manière parfois jugées provocatrices, à des déclarations jugées parfois excessives par les partenaires de l'éducation, ont succédé une volonté et un réel effort de concertation, de dialogue et d'écoute. Toutefois, certains ont pu y voir aussi de l'indécision, de l'attentisme, peut-être dans la perspective des un ou deux ans qui nous séparent d'échéances électorales, c'est-à-dire dans une phase qui n'est sans doute pas la plus propice à des réformes de l'éducation.
Ce contraste dans le style et dans l'action des deux ministres de l'éducation nationale successifs s'inscrit pourtant dans un contexte qui, lui, est le même. C'est d'ailleurs ce qui va conduire la commission des finances à proposer le rejet de votre budget, comme nous l'avions fait l'année précédente.
M. Jean-Louis Carrère. Ah !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Je vois déjà mon collègue Jean-Louis Carrère réagir, lui qui, depuis cinq ans, apporte, dans ce débat, la contradiction et l'ironie...
M. Jean-Louis Carrère. Il y a de quoi !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. ... depuis les travées du groupe socialiste, lorsque je présente mon rapport sur le budget de l'éducation. (Sourires.)
Ce contexte est toujours marqué par une baisse des effectifs : 270 000 élèves de moins en cinq ans. Ce nombre est quand même significatif, mais ne croyez pas, car ce serait caricaturer notre position, que nous en tirions la conséquence automatique qu'il faut, de ce fait, réduire les effectifs d'enseignants, non ! Nous estimons simplement que cette baisse des effectifs d'élèves est l'occasion de réfléchir sur les objectifs généraux de l'éducation nationale, qui doivent devenir de plus en plus qualitatifs, de travailler à une meilleure gestion prévisionnelle, à une meilleure mobilité des enseignants et à une meilleure place des enseignants par rapport aux élèves. Ce phénomène de réduction des effectifs d'élèves va d'ailleurs très vraisemblablement se poursuivre au cours de la prochaine décennie.
Par ailleurs, le diagnostic sur l'école n'a pas réellement changé. Tous s'accordent à reconnaître que l'enseignement à l'école maternelle et à l'école élémentaire, malgré ses succès, n'arrive pas encore à donner à tous les élèves des possibilités de maîtriser les savoirs fondamentaux. Tous continuent à dire que de grandes difficultés existent au collège et que beaucoup d'enfants s'adaptent très mal la première année. Tous, enfin, espèrent que les réformes du lycée vont se poursuivre.
M. René-Pierre Signé. Il y a des progrès !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. En fait, on pourrait dire, s'agissant du milieu éducatif, qu'il souffre d'une sorte de malédiction de la réforme.
D'une part, lorsque la réforme est amorcée, il arrive que le ministre soit changé ; d'autre part, quand la réforme est décidée, elle se heurte, semble-t-il, à une résistance que certains qualifient de corporatiste, mais qui provient, en réalité, de toute la machine, de sorte que l'on est conduit soit à présenter la réforme, mais en renvoyant sans fin à des commissions et à des personnalités pour en étudier tel ou tel aspect, soit, devant la menace de manifestations, à prudemment la remiser dans les cartons du grand ministère de l'éducation nationale.
Donc, face à cette véritable malédiction, nous souhaiterions être assurés, monsieur le ministre, de votre volonté de poursuivre les réformes et de les mener à bien.
Le contexte étant posé, j'en arrive maintenant à trois questions fondamentales, que j'ai extraites du rapport.
S'agissant, premièrement, du plan pluriannuel de recrutement, nous approuvons la démarche prévisionnelle qui doit vous conduire à prévoir les départs, nombreux, des enseignants au cours des décennies qui viennent et à pourvoir de manière programmée, discipline par discipline, à leur remplacement.
En revanche, nous regrettons que l'on ne prenne pas mieux en compte les conclusions à tirer des rapports successifs de la Cour des comptes et de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de personnels enseignants. Y a-t-il vraiment 10 000, 15 000, 20 000 ou 30 000 enseignants qui ne sont pas devant les élèves ? Si cela est vrai, il faut trouver en priorité des méthodes de gestion qui remettent ces personnels en situation d'enseigner.
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Deuxièmement, avant même de lancer des recrutements supplémentaires, qui seront de l'ordre, pour les niveaux d'enseignement dont nous parlons maintenant, de 7 300 par an, il faut mettre au point leur gestion, leur mobilité, leur spécialisation et améliorer leur système d'affectation, de mutation et de mobilité.
Car annoncer ainsi le plan de recrutement demandé par les syndicats, mais qu'ils jugent aujourd'hui insuffisant, c'est s'exposer à des risques de dérive, les recrutements successifs des années 2002 ou 2003 venant démentir les pronostics.
Vous avez, de manière d'ailleurs relativement raisonnable, limité la proposition à 7 300 recrutements par an pour ces niveaux d'enseignement, mais je crains que cette logique quantitative et non qualitative de la gestion ne vous amène à être l'objet de pressions pour que les effectifs soient encore augmentés, avec toutes les dérives possibles.
Vous me répondrez qu'une telle démarche est encouragée par l'opinion publique et qu'un sondage montre que plus de 80 % des Français approuvent le recrutement d'effectifs supplémentaires. Mais c'est évident ! Si on demande aux Français s'il faut plus de policiers, ils répondront par l'affirmative. Si on leur demande s'il faut plus d'agents hospitaliers, ils répondront encore par l'affirmative. Et si on leur demande s'il faut plus d'enseignants, ils répondront toujours par l'affirmative ! Dans tous ces domaines, un sondage de cette nature ne peut absolument pas changer notre point de vue. Il faut améliorer la gestion des effectifs.
Nous souhaiterions donc un effort original et novateur de réforme des méthodes et des structures de gestion qui combinerait déconcentration, pour la partie de gestion administrative, et décentralisation, pour les établissements publics.
Nous vous posons ainsi la question, monsieur le ministre : avez-vous la volonté de faire progresser les méthodes de gestion et la diffusion de l'éducation dans notre pays en combinant de nouvelles mesures de déconcentration et de nouvelle mesures d'autonomie et de décentralisation pour les établissements ?
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes devenu un champion de la décentralisation !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Troisièmement, s'agissant des aides-éducateurs qui, hors enseignement supérieur, sont au nombre de 70 000, nous vous interrogeons sur leur formation et sur leur chance de sortir du système éducatif pour aller dans d'autres secteurs de l'économie et exercer d'autres activités. Nous nous posons la question fondamentale de leur devenir.
Nous redoutons que la tendance naturelle ne soit à la pérennisation des emplois en leur donnant une forme de contrat administratif. Nous redoutons aussi que les titulaires de ces emplois ne soient installés dans leurs emplois.
Il faut donc distinguer l'emploi du sort de son occupant actuel. Nous souhaiterions, monsieur le ministre, connaître vos intentions, à cet égard.
Aujourd'hui, ces 70 000 aides-éducateurs représentent aussi 7 milliards de francs. Nous souhaitons qu'il n'y ait pas de dérive budgétaire, de dérive financière, et nous espérons que ces emplois nouveaux ne deviendront pas permanents pour les trente ans à venir.
Nous nous inquiétons également de la situation personnelle de ces jeunes, qui ont fait un effort et dont le rôle de médiateur et le rôle d'appui à la diffusion des nouvelles technologies dans le secteur éducatif sont reconnus par tous. Nous ne contestons ni leur mission ni la manière dont ils l'ont remplie, mais nous nous interrogeons sur leur devenir.
Telles sont, messieurs les ministres, les quelques observations et les trois questions que nous souhaitions formuler devant vous aujourd'hui.
Il y a une logique quantitative. Beaucoup d'inégalités subsistent. Nous ne pensons pas que la maîtrise de la gestion soit réellement assurée. C'est ce qui a conduit la commission des finances, comme elle l'avait fait l'an dernier, à proposer le rejet de votre budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé. Nous avons l'habitude !
M. le président. La parole est à M. Bernadaux, rapporteur pour avis.
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, l'éducation nationale, première ligne budgétaire, représente, en incluant l'enseignement supérieur, près du quart du budget total de l'Etat.
Pour leur part, les crédits du seul enseignement scolaire s'élèvent à près de 332 milliards de francs en 2001, ce qui représente une progression de 2,82 % à structure constante, c'est-à-dire de 9 milliards de francs.
Convient-il de se féliciter d'une telle évolution, qui permettrait de renforcer l'encadrement des élèves, dont le nombre est d'ailleurs en baisse continue depuis dix ans ? Faut-il, au contraire, s'en inquiéter en considérant qu'un tel effort budgétaire reste vain s'il ne s'accompagne pas de réformes pédagogiques ou structurelles de notre système éducatif ?
Je voudrais aussi rappeler que les dépenses de rémunérations représentent 95 % de ce budget et que près de 4 milliards de francs supplémentaires seront affectés aux pensions de retraite.
S'agissant de la ventilation des crédits, le coût de la création des 12 838 emplois annoncés, qui représentent les deux tiers des emplois créés dans le projet de budget, est de 1,9 milliard de francs.
Les mesures catégorielles s'élèveront, pour leur part, à 2,2 millions de francs, consacrés en particulier à la poursuite du plan d'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles.
Les crédits de fonctionnement et d'intervention augmenteront de près de 1 milliard de francs, 90 millions de francs étant consacrés à la mise en oeuvre des nouvelles technologies et 60 millions de francs, à l'apprentissage des langues vivantes et à la rénovation de l'enseignement des sciences en primaire.
Je rappellerai pour mémoire que le dernier collectif budgétaire avait prévu une rallonge de 1 milliard de francs, affecté principalement à l'enseignement professionnel et à la prévention de la violence.
Pour en revenir aux quelque 13 000 emplois annoncés, la commission des affaires culturelles tient à préciser que les véritables créations d'emplois ne concernent, en fait, que 800 professeurs des écoles et 600 enseignants ou assimilés du second degré.
Dans le même temps, 600 emplois de certifié et 400 emplois de PLP 2 seront créés par transformation de 18 000 heures supplémentaires ; 1 338 postes d'enseignant du second degré en surnombre seront consolidés et 3 000 emplois seront financés au titre de la résorption de l'emploi précaire. J'ajouterai que 4 125 emplois de professeur des écoles stagiaire seront créés pour anticiper les départs en retraite.
Dans le droit-fil des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion des personnels de l'éducation, qui avait constaté, au cours des dix dernières années, une forte croissance des emplois et, dans le même temps, une réduction importante des effectifs d'élèves, la commission des affaires culturelles s'est interrogée sur le bien-fondé des créations d'emplois massives prévues pour 2001, qui répondent sans doute aux voeux des organisations syndicales et qui procèdent d'ailleurs davantage d'une consolidation que d'une véritable création.
S'agissant notamment des 3 000 emplois créés en application du plan de résorption de la précarité, on peut estimer que les modalités des concours réservés ne garantissent pas nécessairement la qualité de l'encadrement des élèves.
La commission tient en revanche à souligner la création de 1 675 emplois de personnel non enseignant, qui devrait permettre de renforcer l'encadrement des établissements, notamment de ceux qui sont difficiles, mais force est de constater que cet effort reste très insuffisant pour les médecins scolaires, en dépit d'une augmentation du nombre des vacations.
Je ne dirai qu'un mot du plan de programmation pluriannuelle annoncé par M. le ministre : la commission a souhaité qu'il ne s'appuie pas exclusivement sur des données quantitatives et permette de mieux calibrer les concours de recrutement en fonction d'orientations pédagogiques précises.
Comme vous le savez, ce plan devrait permettre de créer 33 200 emplois entre 2001 et 2003, tandis que le plan de recrutement sur cinq ans permettrait de recuter 62 000 nouveaux professeurs des écoles ainsi que 88 000 enseignants du second degré.
Je rappelle, également pour mémoire, que le récent rapport Vallemont évalue le nombre des départs en retraite des enseignants à 430 000 jusqu'en 2010, soit 47 % des effectifs, ce qui imposerait de recruter environ 28 000 fonctionnaires par an pour le premier degré et le second degré.
J'évoquerai ensuite brièvement l'état des réformes engagées pour chaque niveau d'enseignement.
S'agissant de la réforme de l'école primaire, qui constitue votre priorité, monsieur le ministre, je ne puis que m'étonner d'une mise en oeuvre aussi tardive des nouveaux programmes, notamment pour la lecture, alors que les tests réalisés lors de la dernière journée d'appel de préparation à la défense révèlent encore une trop forte proportion de jeunes confrontés à de graves difficultés de lecture. La responsabilité de l'école et du collège en ce domaine paraît évidente.
Je noterai également les réticences exprimées par les professeurs des écoles, comme le révèle une enquête récente, pour enseigner des matières non scolaires et non évaluées, y compris les langues étrangères. Je ne peux, enfin, que constater la modestie des mesures envisagées pour améliorer la liaison entre l'école et le collège.
Concernant les langues vivantes à l'école primaire, je voudrais rappeler que 70 % des classes de cours moyen sont d'ores et déjà concernées, mais aussi que les enseignants du premier degré ne représentent qu'un peu plus de la moitié des intervenants, et que l'anglais est enseigné dans les trois quarts des classes.
Il y a donc un effort à mener pour généraliser l'apprentissage de ces langues à la rentrée prochaine, et pour améliorer la formation des futurs professeurs des écoles dans une perspective de diversification linguistique, telle que celle-ci a été préconisée par une mission d'information de notre commission, présidée par notre collègue M. Jacques Legendre, dont vous connaissez, je crois, les conclusions.
Pour en terminer avec le primaire, j'indiquerai que la commission a exprimé des réserves sur le principe de l'inclusion obligatoire de l'enseignement de la langue corse dans l'horaire scolaire des écoles de l'île.
Je souhaiterais, enfin, monsieur le ministre, que vous précisiez vos intentions sur la généralisation de l'aménagement des rythmes scolaires, qui intéresse tout particulièrement les élus locaux que nous sommes. J'aborderai ensuite la rénovation du collège, qui a été engagée par Mme Ségolène Royal, et qui est aujourd'hui recentrée autour de quelques priorités.
Comme vous le savez, l'inspection générale a établi un bilan mitigé de ce plan de rénovation et les enseignants ont émis des réserves à son endroit, ce qui conduit à formuler des interrogations sur la pertinence du collège dit unique.
A cet égard, la commission suivra avec attention la reflexion confiée à M. Joutard sur la réforme du collège « unique, mais non uniforme » et sur les perspectives d'une orientation plus précoce des collégiens en difficulté.
S'agissant de la réforme controversée du lycée, engagée par votre prédécesseur, monsieur le ministre, celle-ci a été sensiblement infléchie.
Si vous avez maintenu certaines mesures, comme l'aide individualisée et les travaux personnels encadrés, vous avez renforcé les horaires dans les matières générales, vous avez, à bon droit, privilégié la filière littéraire ainsi que l'enseignement des langues vivantes.
Au total, la commission qui avait accueilli avec une certaine inquiétude le projet de « lycée allégé » ne peut que se féliciter d'une réhabilitation des savoirs fondamentaux au lycée, dont la maîtrise commande largement la réussite dans l'enseignement supérieur.
J'évoquerai, en dernier lieu, trois dossiers préoccupants, et d'abord le problème de la désaffection à l'égard des fonctions de directeur d'école et de chef d'établissement. Aujourd'hui, 10 % des écoles maternelles et des écoles élémentaires ne disposent pas de directeur et 400 postes de chef d'établissement sont vacants dans le secondaire : cette désaffection ne touche d'ailleurs pas de la même manière les lycées cotés de centre-ville, les établissements difficiles et les petits collèges en zone rurale isolée.
Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, à l'issue de la concertation en cours, pour rendre ces responsabilités plus attrayantes, pour clarifier les missions de ces personnels et pour mieux reconnaître leur fonction ?
S'agissant du problème de la violence scolaire, force est de constater que les six plans de prévention engagés depuis 1992 par les ministres qui se sont succédé n'ont enregistré que des résultats décevants : selon les dernières statistiques, 240 000 déclarations d'incidents de toute nature sont transmises chaque trimestre par les collèges et les lycées et 6 300 incidents graves sont signalés au parquet.
Si les faits graves ont baissé dans les sites expérimentaux, il faut noter que la situation continue à se dégrader, notamment dans la région parisienne, où les agresseurs sont en outre de plus en plus jeunes. Une mobilisation de tous les instants s'impose à l'évidence.
Je terminerai en disant un mot des emplois-jeunes. Certes, le projet de budget ne prévoit aucun recrutement, mais le coût de quelque 70 000 aide-éducateurs a représenté 7 milliards de francs en 2000.
Notre excellent collègue M. Alain Gournac propose, dans son rapport, des mesures intéressantes pour préparer la sortie de ceux qui ont un contrat s'achevant en 2002, pour modifier leur statut juridique, pour renforcer leur formation qui a été négligée et pour relancer la contractualisation avec les entreprises afin de faciliter leur sortie de la fonction publique.
Tout en partageant l'essentiel de ses observations et propositions, je noterai cependant que le rôle des aide-éducateurs a pu également se révéler positif dans les établissements du second degré. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous éclairer sur leur avenir.
Au total, je dirai que ce projet de budget, en dépit de l'augmentation de ses crédits, manque d'orientations claires, comporte des mesures trop disparates, ignore la plupart des propositions pourtant réalistes de la commission d'enquête du Sénat sur l'éducation et, surtout, prévoit des créations d'emplois au-delà des besoins induits par les départs en retraite.
Sous réserve de ces observations, la commission a émis un avis défavorable sur les crédits de l'enseignement scolaire pour 2001. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère. Pas toute la commission, sa majorité !
M. le président. La parole est à Mme Luc, rapporteur pour avis.
Mme Hélène Luc, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour l'enseignement technique. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en raison d'une croissance économique enfin retrouvée, rarement les besoins en formation qualifiée ont été aussi importants : c'est donc avec une certaine satisfaction que la commission des affaires culturelles constate que l'enseignement professionnel bénéficiera, en 2001, d'un train de mesures nouvelles qui se traduisent par un effort budgétaire important.
Cet élan nouveau est marqué, en particulier, par une rénovation pédagogique, par la première étape du plan pluriannuel de recrutement d'enseignants, ainsi que par la revalorisation attendue depuis longtemps du statut des professeurs de lycée professionnel, les PLP.
La commission tient à remarquer que ces engagements reprennent plusieurs propositions qu'elle formule depuis plusieurs années à l'occasion de l'examen des crédits de l'enseignement technique.
Cependant, de nombreux secteurs d'activité éprouvent aujourd'hui de grandes difficultés pour recruter une main-d'oeuvre jeune et qualifiée, et les besoins sont tels que certains employeurs n'hésitent plus à embaucher des jeunes en cours de formation, en complétant leur qualification au sein de l'entreprise.
Convient-il de se satisfaire d'une telle situation ? Je ne le pense pas. L'enseignement professionnel a un rôle capital à jouer pour répondre à ces besoins et à l'émergence de nouveaux métiers ; il doit ainsi nécessairement moderniser ses formations offertes à tous les niveaux et créer de nouveaux diplômes en concertation avec les professions.
Dans ces conditions, comment ne pas s'inquiéter de la très préoccupante désaffection des élèves à l'égard de la filière professionnelle, alors que celle-ci assure pourtant le plus souvent à ses diplômés un taux d'embauche élevé ?
En dépit des efforts engagés, force est de constater que la voie professionnelle souffre encore d'un problème d'image et, je le souligne, qu'elle ne peut, à elle seule, comme le voudraient certains, remédier au problème de l'échec scolaire qui prend en fait naissance à l'école et qui se perpétue au collège, noeud de toutes les difficultés.
Par ailleurs, une étude récente de l'INSEE sur les facteurs de réussite scolaire a mis en évidence le poids prédominant du revenu et des conditions de vie des familles par rapport à l'influence de l'organisation du système éducatif et des réformes pédagogiques. L'enseignement professionel a donc un rôle capital à jouer pour réduire ces inégalités persistantes, notamment en mettant en place une politique sociale d'envergure en faveur de ses élèves et de leurs familles. Je pense notamment aux 10 % de nos concitoyens dont la situation relève du seuil de pauvreté.
Après ce préambule, j'indiquerai que l'enseignement professionnel bénéficiera, en 2001, d'un milliard de francs de mesures nouvelles, somme qui sera consacrée, pour l'essentiel, à la création de quelque 2 500 emplois nouveaux de professeur de lycée professionnel et à des crédits d'heures d'enseignement.
Ces emplois nouveaux se répartissent ainsi : 180 création nettes d'emplois, 400 emplois créés par la transformation d'heures supplémentaires, 1 150 emplois destinés à résorber l'emploi précaire, 300 emplois de chef de travaux et une consolidation de 380 emplois en surnombre.
Par ailleurs, l'enseignement professionnel semble devoir bénéficier du quart des 1 300 nouveaux emplois de personnel ATOS, administratif, technicien, ouvrier et de service, crées dans le second degré. Pourriez-vous confirmer ce point, monsieur le ministre délégué ?
Les quelque 550 millions de francs de crédits d'heures d'enseignement devraient permettre de réduire de vingt-trois heures à dix-huit heures l'obligation de service des professeurs de lycée professionnel qui dispensent un enseignement pratique, de financer le suivi pédagogique des stagiaires en entreprise, ainsi que les heures de soutien dans les matières générales.
J'ajouterai que plus de 30 millions de francs permettront de doubler le montant de la prime d'équipement des élèves, qui passera à 2 200 francs.
Je voudrais souligner l'importance de cet effort budgétaire, en rappelant, en outre, que quelque 600 millions de francs de crédits nouveaux ont déjà été accordés à l'enseignement professionnel dans le dernier collectif.
Pour en terminer avec les emplois, monsieur le ministre délégué, je souhaiterais vous demander des explications sur l'utilisation et l'affectation des emplois au sein de l'éducation nationale, en prolongeant en quelque sorte les travaux de la commission d'enquête du Sénat sur la gestion des personnels de l'éducation. Selon certaines organisations, que j'ai d'ailleurs reçues, plusieurs milliers de postes de professeur de lycée professionnel auraient été transférés dans le cadre d'une globalisation des moyens du second degré, pour recruter plus de certifiés et d'agrégés et dégager des supports pour les rémunérer ; dans le même temps, les concours de professeur de lycée professionnel auraient été sous-calibrés depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, ce qui aurait contribué à entretenir une trop forte précarité de l'emploi - de l'ordre de 18 % - dans les lycées professionnels.
Pouvez-vous apporter des éclaircissements sur ce problème, monsieur le ministre, et indiquer au Sénat la part qui reviendra à l'enseignement professionnel pour les emplois annoncés au titre du plan pluriannuel ?
J'évoquerai, ensuite, le problème très préoccupant de l'évolution des effectifs dans les lycées professionnels, qui ont perdu près de 50 000 élèves lors des deux dernières rentrées scolaires, soit trois fois plus que les filières générales.
La commission s'est interrogée sur les raisons de ce mouvement de reflux des orientations vers l'enseignement professionnel, qui risque de se poursuivre jusqu'en 2005.
Cette évolution est d'autant plus inquiétante qu'elle s'inscrit dans une conjoncture de croissance des embauches : en effet, aujourd'hui, 400 000 ou 800 000 offres d'emplois, selon les sources, ne seraient pas pouvues et plus de la moitié des industriels feraient état de difficultés de recrutement.
Sauf à assister en spectateur à la reprise économique et à laisser les employeurs assumer eux-mêmes la qualification de leurs salariés, l'enseignement professionnel doit être plus réactif aux besoins de l'économie : une réflexion devrait sans doute être engagée sur ses finalités, en liaison d'ailleurs avec celle qui est menée sur l'école et le collège.
Je dirai maintenant quelques mots des orientations pédagogiques annoncées, qui se traduiront notamment par un allégement des horaires des élèves et par l'introduction des projets pluridisciplinaires à caractère professionnel, les PPCP, qui devraient permettre de développer le travail des enseignants en équipe.
Par ailleurs, l'effort engagé en faveur de la formation générale des élèves se traduira par une aide individualisée en mathématique et en français, ainsi que par une extension des cours d'éducation civique aux élèves qui préparent un certificat d'aptitude professionnelle, un CAP, ou un brevet d'études professionnelles, un BEP.
Je noterai également que 300 millions de francs seront consacrés à l'amélioration du suivi des stagiaires en entreprise, ce qui était particulièrement nécessaire.
S'agissant des aides sociales, celles-ci devraient représenter au total 1,5 milliard de francs : je rappellerai à cet égard que 38 % des lycéens professionnels sont boursiers, contre 17 % dans la filière générale ; le doublement de la prime d'équipement, déjà évoqué, qui s'ajoute à la prime de qualification et aux parts supplémentaires des bourses, traduit l'effort engagé en faveur de ces lycéens.
Vous avez par ailleurs évoqué, monsieur le ministre délégué, le principe d'une généralisation de la rétribution des stages, qui fait actuellement l'objet d'une négociation : la commission y est évidemment favorable, une telle formule devant en effet permettre d'assurer une égalité de traitement entre les lycéens professionnels et les apprentis ; elle estime cependant que cette solution ne doit pas avoir pour conséquence de réduire le nombre des stages proposés par les entreprises, ce qui suppose un financement adapté.
J'en reviens au problème de la reconnaissance attendue de la fonction des professeurs de lycée professionnel : j'ai déjà évoqué l'alignement de l'obligation de service pour l'ensemble de ces enseignants, quelle que soit la discipline enseignée, alignement qui répond à une revendication ancienne.
La commission des affaires culturelles s'est cependant étonnée que les enseignants du premier degré détachés en sections d'enseignement général et professionnel adapté, SEGPA, restent à l'écart de cet alignement horaire : pouvez-vous nous indiquer les raisons d'une telle discrimination et quand ces enseignants verront leur obligation de service ramenée à dix-huit heures, monsieur le ministre ?
Cette reconnaissance de la fonction se traduira également par la titularisation de 1 150 maîtres auxiliaires, contractuels et vacataires, en application du plan de résorption de la précarité dans la fonction publique, ainsi que par une revalorisation statutaire.
J'en terminerai par quelques commentaires relatifs aux mesures annoncées pour conforter l'enseignement professionnel comme voie de réussite, commentaires qui concernent d'abord l'orientation positive des élèves.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre délégué, la mise en place expérimentale d'un entretien dit « de plan de carrière » à quinze ans, afin de réduire les sorties du système éducatif sans qualification ni diplôme. Une telle mesure serait en effet utile, puisque 96 000 élèves sortent encore chaque année sans aucun diplôme, et 60 000 sans aucune qualification.
Mais il faut prendre garde au risque d'orientations qui forceraient la main aux familles les plus fragilisées ou les moins au fait des arcanes du système éducatif.
La commission des affaires culturelles souhaiterait par ailleurs que vous précisiez le rôle des futures classes d'orientation, dont vous avez annoncé la création dans chaque lycée professionnel, ainsi que leur articulation avec les classes de quatrième et de troisième technologiques existantes, que vous envisagez de rénover. Auront-elles vocation à dispenser une telle formation générale dans le cadre de la scolarité obligatoire ou seront-elles des structures autorisant une orientation professionnelle précoce ?
M. le président. Il vous faut conclure, madame le rapporteur pour avis !
Mme Hélène Luc, rapporteur pour avis. J'en ai fini, monsieur le président.
Vous avez également annoncé la création de « lycées des métiers thématiques » et le regroupement des diverses formations professionnelles sur un même site pour améliorer la lisibilité et la fluidité de la filière professionnelle, ainsi que la mise en place de passerelles afin de faciliter la poursuite des études.
Je rappellerai que 17 % seulement des diplômés professionnels accèdent à l'enseignement supérieur. Tout doit être fait pour que les diplômés de BEP puissent accéder à un « bac pro » dans la même filière, puis à des études supérieures via un baccalauréat technologique. Je rappellerai cependant que les bacheliers professionnels peuvent, d'une part, être tentés par un emploi immédiat, ce qui est la vocation même de leur diplôme, et, d'autre part, être dissuadés de poursuivre leurs études via des classes de transition, du fait de leur âge plus élevé.
Sous réserve de ces observations, et compte tenu de l'effort budgétaire prévu et des perspectives annoncées, la commission des affaires culturelles qui, vous le savez, accorde une grande importance à l'enseignement professionnel, a donné, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption des crédits de l'enseignement technique pour 2001. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - M. Pelletier applaudit également.)
M. Jean-Louis Carrère. C'est une victoire !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 42 minutes ;
Groupe socialiste, 24 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 19 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 13 minutes.
Je vous rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Mes chers collègues, je vous indique qu'un dépassement de 30 % des temps de parole prolongerait la discussion budgétaire jusqu'à Noël. Je serai donc très vigilant et n'hésiterai pas à vous rappeler à l'ordre !
Par ailleurs, messieurs les ministres, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour quarante minutes.
M. Jack Lang, ministre de l'éducation nationale. Nous ferons plus court, monsieur le président !
M. le président. Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le budget de l'enseignement scolaire augmente de 2,82 %, c'est-à-dire de près de 9 milliards de francs. Il s'établit à 331,9 milliards de francs et reste le premier budget de l'Etat.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, qu'il s'agissait d'un effort « sans précédent depuis dix ans ». Vous avez affiché ces chiffres avec satisfaction : « Une progression aussi forte n'a été enregistrée, en francs constants, qu'une seule fois depuis le budget que j'avais moi-même fait adopter en 1993 », avez-vous déclaré. Avec 14 438 nouveaux emplois budgétaires, vous bénéficiez de près de 60 % des emplois créés par l'Etat l'année prochaine.
Le temps du dogme affirmé, mais en réalité jamais respecté, du gel de l'emploi public est donc bien révolu.
Ce projet de budget pour 2001 affiche comme priorité la création d'emplois, avec 12 838 emplois nouveaux dans l'enseignement scolaire.
J'en dresserai un rapide inventaire.
Dans l'enseignement primaire, aux 800 créations d'emplois nouveaux de professeurs d'écoles s'ajoute la création de 4 125 emplois de stagiaires.
Dans l'enseignement secondaire, le budget prévoit 900 nouveaux emplois. Par ailleurs, 1 000 emplois sont créés par la transformation de crédits jusque-là consacrés aux heures supplémentaires d'enseignement. Enfin, 700 postes d'assistants de langues étrangères sont créés.
Dans le cadre de la résorption du plan de lutte contre la précarité, 3 000 enseignants sont titularisés.
S'agissant des personnels non enseignants, 1 675 nouveaux emplois sont créés.
Vous affichez, par ailleurs, quelques priorités.
L'apprentissage des langues vivantes et la rénovation de l'enseignement des sciences à l'école primaire font l'objet d'un effort particulier : l'objectif affiché est de généraliser l'enseignement d'une langue en CM 1 à la rentrée 2001 et, d'autre part, d'étendre l'opération pédagogique d'enseignement des sciences « la main à la pâte ». Enfin, la formation artistique et culturelle obtient 263 millions de francs de crédits nouveaux.
En ce qui concerne la lutte contre les exclusions en milieu scolaire, le plan « handiscol » prévoit de porter à 50 000 le nombre d'enfants et d'adolescents handicapés accueillis en milieu scolaire.
Les bourses destinées aux élèves méritants sont étendues à la classe de première : 10 000 bourses seront financées. Les mesures sociales inscrites au budget de l'enseignement scolaire pour 2001 s'élèvent à près de 212 millions de francs.
Malgré ces points positifs, votre budget n'est pas très innovant. Il s'inscrit dans le cadre de la poursuite des réformes pédagogiques entamées par votre prédécesseur.
Ainsi, en ce qui concerne le collège, les dispositifs d'aide personnalisée aux élèves sont confirmés et étendus. La principale innovation concerne l'instauration, à titre expérimental, de travaux croisés en classe de quatrième. Ces travaux en petits groupes autour de plusieurs matières devront permettre aux élèves de mieux percevoir la cohérence des différents enseignements. Dès cette année, les élèves de troisième devront passer un brevet informatique et Internet.
Au lycée, la réforme engagée en 1998 se poursuit doucement : consolidation des réformes mises en place l'an dernier et mise en oeuvre de mesures concernant les classes de première, dont la généralisation des travaux personnels encadrés.
Quant au lycée professionnel, la charge hebdomadaire de cours est allégée. La principale innovation pédagogique porte sur le projet pluridisciplinaire professionnel.
Mais ce budget présente des interrogations persistantes.
L'ensemble des mesures en faveur du personnel absorbe la quasi-totalité de la hausse du budget. De ce fait, seule une petite partie de ces fonds est consacrée au financement des réformes pédagogiques mises en place par votre prédécesseur.
L'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication mobilise 90 millions de francs de crédits supplémentaires. Ces crédits s'inscrivent dans le cadre du plan triennal de développement de l'information et de la communication dans l'enseignement.
Cependant, les chiffres publiés par votre ministère cachent une réalité souvent difficile.
Il manque en effet aux professeurs la formation indispensable pour intégrer les outils multimédias et Internet dans l'enseignement de leur discipline. Au-delà de la maîtrise des bases de l'informatique, ce sont bien les méthodes d'intégration des nouvelles technologies qui semblent faire le plus cruellement défaut.
L'autre point noir reste la médecine scolaire. Le Gouvernement se targue, cette année, d'avoir fait un effort sans précédent en inscrivant dans le budget la création de 300 personnels de santé, dont 50 médecins et 150 infirmières. Cela reste, en tout état de cause, largement insuffisant au regard, d'une part, de leur nombre particulièrement faible et, d'autre part, de l'accroissement de leurs responsabilités. On peut s'interroger sur la pertinence de ces choix budgétaires, alors que le Parlement a voté une proposition de loi donnant de nouvelles responsabilités aux infirmières scolaires.
Cette proposition de loi risque de rester lettre morte si le Gouvernement ne se donne pas les moyens de sa politique. Actuellement, le nombre des infirmières scolaires est de 5 700, réparties sur 7 500 collèges et lycées publics ainsi que 5 500 établissements primaires. Une infirmière est en charge en moyenne de 2 240 élèves. A cela s'ajoute la nécessité de leur donner une formation spécifique.
Cette politique, monsieur le ministre, est, pour nous, une politique d'affichage des moyens, mais elle semble en négliger la finalité, c'est-à-dire l'amélioration de la qualité de l'enseignement, laquelle vous tient sans doute autant à coeur qu'à nous.
En opérant ces choix, vous ne faites que renforcer une certaine rigidité du budget de l'éducation nationale. Les exemples européens nous montrent pourtant que la qualité de l'enseignement ne va pas nécessairement de pair avec un budget pléthorique. On peut, en effet, s'interroger sur la pertinence d'un tel choix dans un contexte de baisse du nombre d'élèves, du fait de l'évolution démographique.
Par ailleurs, la hausse des crédits, principalement orientés vers les dépenses en personnel, est contestable. Une réflexion est d'autant plus urgente à mener que plus de 80 % des crédits sont des dépenses de personnel, ce qui fait de ce budget l'un des plus rigides.
Le projet de budget pour 2001 conforte l'argument discutable selon lequel la priorité accordée à l'éducation nationale doit nécessairement se traduire par une augmentation des crédits, alors que c'est surtout une meilleure répartition des moyens et un souci de l'efficacité qu'il faut, en réalité, encourager.
Au-delà des discours d'intention, force est de constater que les réformes difficiles mais primordiales semblent, pour l'essentiel, repoussées au profit de groupes de travail, de comités de suivi divers et variés. Le grand chantier de la rénovation du collège fait l'objet d'une consultation. Du coup, la question de la lutte contre l'échec scolaire paraît être reportée. Or, chaque année, on estime à 57 000 le nombre de jeunes qui sortent de l'enseignement secondaire sans qualification ni diplôme.
On ne peut que faire le constat d'un échec de l'école sur ce point. Même si la démocratisation de l'enseignement est réelle, il reste que, selon un récent rapport de l'INSEE, « le risque d'accumuler du retard scolaire dans le primaire ou au collège est trois fois plus élevé pour les familles les plus modestes que pour les familles les plus aisées ».
Les décisions en matière d'enseignement technologique ne sont annoncées que pour la prochaine rentrée. Un conseil national de l'innovation pédagogique a été créé. Concernant le sport à l'école, là aussi une mission a été constituée. Mais, l'abondance de consultations ne peut masquer éternellement l'attente d'actions.
Les grands discours sur la nécessité de réformer de l'intérieur l'éducation nationale semblent abandonnés. Ainsi, il semble que le projet de réforme des instituts universitaires de formation des maîtres, engagé par Claude Allègre, n'est plus d'actualité.
Pourtant, le constat est quasi unanime pour reconnaître les lacunes de cette formation, notamment en matière de professionnalisation. Comment réformer la pédagogie sans initier d'abord à la pratique pédagogique ? De même, la question de l'évaluation du corps professoral, pourtant lagement reconnue comme insuffisante, n'est pas abordée.
D'autres questions demeurent sans réponse, notamment les revendications des directeurs d'école en matière de statut. Ces directeurs se recrutent d'ailleurs de plus en plus difficilement, en raison du poids des responsabilités.
En matière de lutte contre la violence scolaire, la création d'un comité national de lutte contre la violence scolaire, dont l'une des missions sera de surveiller onze sites expérimentaux, nous a été annoncée le 24 octobre dernier. Nous en prenons acte. Toutefois, la représentativité politique de ce comité national n'est pas des plus percutante.
La situation sur le terrain, loin de s'améliorer, tend plutôt à s'aggraver. Si l'on prend en compte l'ensemble des établissements, le nombre total d'actes de violence signalés a progressé de 15,5 %.
Pour avoir étudié de façon très approfondie les problèmes de la violence scolaire, je ne me risquerai pas à tenir des propos lapidaires sur ce sujet, il est trop profond, trop vaste. En tout cas, je vous l'accorde, monsieur le ministre, il ne faut pas s'arrêter aux constats.
Un budget de l'éducation nationale doit avoir un sens et il nous semble devoir répondre à de grandes missions.
La transmission du savoir profite actuellement à une élite, au prix de combats féroces entre les meilleurs, pouvant conduire à leur destruction - je vous renvoie, à cet égard, aux problèmes de santé mentale chez de nombreux adolescents, en particulier dans les classes préparatoires.
L'orientation scolaire reste le résultat d'un tri face à une impuissance à mettre en valeur le potentiel de chaque individu et à lui accorder un avenir.
Donner des signaux, monsieur le ministre, vous savez le faire !
Vous avez encouragé l'enseignement précoce des langues en traitant avec les collectivités. En Alsace, nous vous en sommes reconnaissants.
Vous avez mis en oeuvre notre souhait commun - nous l'émettions avec vous depuis longtemps - d'une éducation à la sensibilité face aux violences. C'est important, au niveau du discours.
La santé scolaire ne relève pas de propos incantatoires et d'annonces quantitatives. Elle nécessite non pas de nouveaux diagnostics de situation mais une volonté politique d'organiser une véritable médecine du travail pour nos enfants, sans oublier les aspects éducatif et préventif.
Mais le sens, c'est aussi la confiance. C'est répondre aux inquiétudes des directeurs d'école, aux difficultés de recrutement des principaux d'établissement.
Le sens, c'est encore la sécurité des personnes.
Redonner du sens passe par une démarche de qualité. Bien sûr, la satisfaction des besoins élémentaires est nécessaire afin de vivre autre chose que l'urgence. Mais cette démarche de qualité implique également une prise en compte d'une évolution qui ne nous est pas obligatoirement inspirée par le haut. Je pense au processus d'auto-évaluation, qui devrait être bien conduit.
Enfin, une véritable politique de changement passe par une démarche de régionalisation. Le rectorat peut, entre autres, être l'agence régionale des établissements et l'acteur d'une véritable habilitation après évaluation.
Au lieu d'un centralisme administratif coûteux sur le plan budgétaire, nous proposons une déconcentration régionale qui ne doit pas dupliquer, par sa rigidité, les structures du modèle national.
L'enseignement scolaire a besoin d'une réforme s'inscrivant dans une logique qualitative. Le budget pour 2001 ne nous semble pas s'inscrire dans une telle logique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Darcos
M. Xavier Darcos. Monsieur le ministre, le 13 novembre dernier, vous avez déclaré, lors de la présentation à l'Assemblée nationale de votre projet de budget - en augmentation de 2,8 %, à structure constante, pour 2001 - que vous étiez fier et heureux d'appartenir à un Gouvernement dirigé par un Premier ministre qui a eu à coeur, à contre-courant des tendances dominantes, de donner à nos maîtres les moyens d'accomplir pleinement leur belle mission.
Concernant ces derniers, vous vous exprimiez en ces termes : « Pour ne froisser personne, je me garderai de revenir sur la façon dont leur mission a été "maltraitée", ou plutôt "mal traitée", au gré des budgets et des non-décisions au cours des quinze dernières années. » Qu'ils aient été mal traités par votre prédécesseur, nul ne le contestera, surtout pas eux-mêmes ! Mais prétendre que rien n'a été décidé pendant les quinze dernières années est sans doute plus discutable.
Vous me permettrez, au cours de ce bref exposé, plutôt que de revenir sur un certain nombre de domaines qui ont été largement évoqués, d'indiquer quelque pistes qui peuvent être utiles à notre réflexion commune.
Vous avez dit que la situation, ce n'était pas Apocalypse Now . C'est vrai, mais sans doute les blocages sont-ils nombreux. En préambule, j'en citerai un, tout simple : les réponses aux questions que les parlementaires posent à votre ministère.
Quand il a été mis fin au gouvernement Juppé, en 1997, le nombre des questions de sénateurs auxquelles il n'avait pas été répondu dans les délais réglementaires s'élevait à 45.
Dans une circulaire publiée au Journal officiel du 7 juin 1997, relative à l'organisation du travail gouvernemental, M. Lionel Jospin, devenu Premier ministre, exigea, d'abord, la participation du Gouvernement aux séances des questions au Gouvernement, mais aussi, de ses ministres, le respect du délai d'un mois pour répondre aux questions écrites qui leur étaient posées, le délai accordé d'un mois supplémentaire devant rester exceptionnel.
Or, fait sans précédent dans l'histoire de la République, le nombre de questions écrites auxquelles le Gouvernement de M. Jospin n'a pas répondu dans les délais réglementaires s'élève à ce jour à près de 5 000 pour le seul Sénat. En ce qui concerne votre département ministériel, leur nombre a plus que doublé par rapport à 1997.
Cet exemple est sans doute secondaire, mais il me paraît significatif de la complexité des problèmes, de l'inquiétude des élus, qui vous harassent de questions, peut-être de l'hésitation de vos services à trouver les bonnes réponses ou de la surcharge d'un ministère que je sais très occupé. Mais peut-être montre-t-il tout simplement que, moins que d'un personnel supplémentaire, ce ministère a surtout besoin d'une doctrine.
Pour ce qui est de l'éducation comme pour le reste, il faut donc faire preuve d'une grande prudence dans les déclarations tant que les problèmes persistent, et ce malgré les belles augmentations budgétaires.
J'évoquerai maintenant deux sujets : le personnel et les cadres enseignants, d'abord, l'enfant ou l'élève, ensuite.
Pour ce qui concerne le personnel enseignant, j'ai noté que le budget avait prévu, pour 2001, des emplois d'enseignants tant dans le premier degré que dans le second. Je ne reviens pas sur les chiffres. D'ailleurs, je l'avoue, je ne compte pas m'en plaindre. Tout le monde a intérêt à ce que l'école française soit le mieux encadrée possible.
Je constate aussi que, dans un protocole signé le 10 juillet dernier, vous avez accru le nombre de titularisations d'agents non titulaires.
Enfin, vous avez annoncé un plan triennal relatif aux emplois qui prévoit la création de 33 200 emplois, dont 17 675 créations nettes correspondant à l'embauche de personnels supplémentaires dans les premier et deuxième degrés, pour un coût de 4 milliards de francs.
Ne faisons pas la fine bouche, même s'il est faux de dire qu'aucune programmation n'a jamais été faite en termes de recrutement des enseignants. Je vous renvoie, à cet égard, à la loi qui instituait un « nouveau contrat pour l'école ».
Je vous félicite donc, monsieur le ministre, de l'effort accompli en matière budgétaire. Mais, en même temps, je m'interroge.
Lorsqu'il était ministre de l'économie et des finances, M. Arthuis, pour connaître le nombre de fonctionnaires de son département ministériel, avait fait procéder au décompte des lignes téléphoniques.
L'éducation nationale n'a même pas cette chance. En dix ans, les crédits ont augmenté de 100 milliards de francs. Depuis vingt ans, le nombre d'enseignants a augmenté de 40 %, alors que les effectifs scolaires ont diminué de 17 %. Cette situation peut-elle s'éterniser, sachant qu'une enquête du Sénat fait apparaître, par ailleurs, que quelque 30 000 enseignants ne se sont jamais présentés devant des élèves ?
Des analyses qualitatives, des recherches logistiques doivent être effectuées ; une meilleure utilisation de vos propres ressources est sans doute possible.
Nous sommes bien là au coeur de l'immense débat qui agite chaque rentrée scolaire : là des classes surchargées, ailleurs des classes que l'on ferme ; ici, des professeurs surchargés par les heures supplémentaires, ailleurs, des professeurs qui n'ont jamais vu un élève de leur vie ! Personne n'y trouve son compte. Vous le verrez en préparant la prochaine rentrée et la carte scolaire 2001-2002.
Certes, il faut améliorer la situation des instituteurs. Le général de Gaulle, en 1958, avait considéré que c'était la première priorité de l'éducation nationale. Il voyait dans ce métier le meilleur métier du monde puisqu'il avait pour ambition de former les jeunes.
Mais ces instituteurs, ces professeurs ne sont plus seulement instituteurs et professeurs. Pour prendre un exemple, estimez-vous normal que des instituteurs dirigent des établissements médicaux hospitaliers accueillant des enfants gravement atteints, qui ne seront jamais scolarisés, nécessitant exclusivement des soins hospitaliers ou de maternage, alors même qu'il existe, à cet effet, des associations remarquables comme les Papillons blancs, l'UNAPEI, les Paralysés de France, etc. ?
L'éducation nationale ne devrait-elle pas cibler plus précisément ses missions ?
S'agissant des lieux d'enseignement, je distinguerai plusieurs types de situations.
Il y a d'abord - cela a été évoqué, dans son excellent rapport budgétaire, par notre collègue Jean Bernadaux - ces 4 500 écoles qui ne disposent pas aujourd'hui d'un directeur. Est-ce vrai ? Est-ce possible ? Cela peut-il durer ?
Dans le second degré, 400 postes de direction sont encore vacants.
Or, vous le savez, monsieur le ministre, et votre administration le sait également depuis longtemps, c'est par l'intermédiaire des personnels de direction que le pilotage national prendra vie sur le plan territorial. Il nous faut des chefs d'établissement de grande qualité, bien rémunérés, ayant des perspectives de carrière, sinon rien ne réussira, ni au niveau de la classe ni au niveau de l'académie.
M. André Maman. Très bien !
M. Xavier Darcos. Je m'interroge sur ce que vous comptez faire des aides éducateurs recrutés en octobre 1997 pour répondre à des besoins immédiats ou non satisfaits. Aujourd'hui, ils se sont déjà constitués en lobby pour obtenir des titularisations. Que fera-t-on des emplois-jeunes lorsque leur contrat arrivera à expiration ? Avez-vous l'intention de les transformer eux aussi en maîtres-auxiliaires voués à la titularisation ?
En ce qui concerne la gestion des personnels, le dernier rapport de l'inspection générale de votre département ministériel exprime les ambitions et les illusions de la direction des ressources humaines au ministère de l'éducation nationale. Les pages 76 et 77 de ce rapport me semblent essentielles. Elles se référent à la complexité des méthodes de gestion prévisionnelle, que nous connaissons bien, à la sous-estimation des blocages corporatistes, à l'injustice d'un système qu'il faut réviser.
Permettez-moi d'en citer un extrait : « Ainsi, les référentiels de compétences ne sont guère utilisés pour le recrutement et la formation ; les instruments d'évaluation sont parfois mis au point, mais aucune conséquence n'en est tirée en matière de rémunération et de promotion. »
Est-il normal, monsieur le ministre, que le professeur qui habite à cinquante mètres de son lycée et qui arrive toujours en retard le matin, devant des élèves donc démotivés, ait la même carrière que celui qui se passionne pour son métier et qui se donne à ses élèves avec un dévouement admirable ?
Certes, le corps enseignant doit être soutenu, considéré et équitablement rémunéré, mais l'avance à l'ancienneté, au grand et au petit choix, ne peut plus suffire. Il faut la compléter par d'autres formules. Les responsabilités doivent être définies autrement.
MM. Patrick Lassourd et Jacques Legendre. Très bien !
M. Xavier Darcos. A la suite de la publication d'un petit livre que j'ai écrit récemment, j'ai reçu beaucoup de lettres de professeurs. Ce qui m'a frappé, c'est que, bien loin d'exiger, comme ils le faisaient naguère, des salaires ou une reconnaissance sociale plus grande, ils font surtout appel à un pilotage clair. Ils ont le sentiment d'être aujourd'hui, au sein des établissements, dans une sorte de barbarie tranquille où l'école s'enfonce doucement, d'être confrontés à la violence, au désoeuvrement, à un environnement déshumanisé et, finalement, d'être peu écoutés.
J'ai vu dans ces lettres, essentiellement, le message de professeurs qui attendent du Parlement et de la nation non seulement des crédits, non seulement des budgets, mais un véritable projet éducatif.
J'en terminerai en évoquant les réformes que vous souhaitez mettre en place, monsieur le ministre.
Vous insistez sur l'école primaire, et vous avez raison. Elle doit faire l'objet de toute notre attention. Il est en effet inacceptable qu'en France, en 2001, 15% des élèves qui arrivent en classe de sixième ne sachent ni lire, ni écrire, ni compter.
Comment peut-on se satisfaire de cette situation ?
Mais le collège unique risque de prolonger cette situation. Je sais que vous avez confié un rapport au recteur Joutard portant sur cette question. Je sais que vous réfléchissez aussi à la réorganisation des programmes, pour laquelle vous aviez confié un rapport à M. Boissinot.
Tout cela est bien, mais il me semble que nous n'en sommes plus au temps des réflexions générales. Il y a une réelle volonté de changer la structure elle-même, d'autant que l'école jamais n'a été aussi inégalitaire.
En effet, les enfants d'ouvriers et d'employés sont de moins en moins nombreux à intégrer les grandes écoles, qu'il s'agisse de l'Ecole polytechnique, de l'Ecole nationale d'administration ou de l'Ecole nationale supérieure des mines de Paris. Certes, telle n'est pas forcément la finalité de l'école, mais cela constitue cependant, pour les milieux populaires, un recul considérable. Peut-être l'école devrait-elle, plutôt que d'aligner des chiffres sans cesse en augmentation, s'interroger sur sa mission ? N'a-t-elle pas perdu de vue la métaphore si juste du maître et du père de famille que nous devons à Jules Ferry ? Ne devrait-elle pas viser à être une structure solide, encouragée par les pouvoirs publics, imposant le travail et la discipline, loin de la turbulence extérieure ? Ne devrait-elle pas avoir pour ambition de permettre aux meilleurs de réussir, de se faire valoir par leurs propres mérites et par leurs efforts personnels et d'accéder, quelle que soit leur origine sociale, aux plus hauts degrés de la société française ?
Telle est l'école que nous voulons, une école de l'effort, du mérite, avec des objectifs clairs. Le Parlement et la nation attendent de vous, messieurs les ministres, que vous vous attaquiez aux problèmes de fond.
Avant de conclure, je voudrais insister une fois encore sur le thème de la violence, qui est implicitement présent dans mon intervention et à propos duquel beaucoup de questions vous sont régulièrement posées.
Comme vous le savez, mes chers collègues, il ne suffira pas de rédiger des rapports pour remédier à la situation présente : il faudra accepter de reconnaître que l'école doit rester à l'écart de la turbulence extérieure.
Sur ce phénomène de violence se greffent des problèmes de santé. Ainsi, la couverture médicale et sociale de nos jeunes présente d'immenses lacunes et nous manquons d'infirmiers et de médecins, la coordination des services étant insuffisante.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Xavier Darcos. L'école doit donc se concentrer sur ces tâches de portée limitée, mais remplir toute sa mission. Les postes ne feront rien à l'affaire si un pilotage nouveau et ambitieux n'est pas clairement proposé à la nation. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a limité à dix minutes le temps de parole imparti à chaque orateur. Il faut le respecter !
La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le budget alloué à l'enseignement scolaire est en constante augmentation depuis un certain nombre d'années. Parallèlement, les effectifs des enfants scolarisés ne cessent de diminuer. Le moment est donc opportun pour optimiser l'action du ministère, notamment en ce qui concerne l'enseignement scolaire.
Le siècle à venir sera, nous le savons tous, encore plus exigeant que celui-ci quant à la formation, qui devra s'adapter constamment aux techniques nouvelles. C'est pourquoi je me réjouis de l'augmentation des crédits consacrés au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication à l'école primaire.
Il y a de moins en moins d'élèves dans nos écoles, et je serais tenté de dire que c'est tant mieux, car les moyens qui leur seront affectés pourront être d'autant mieux répartis et profiter prioritairement à ceux qui en ont le plus besoin.
L'école doit en effet, aujourd'hui plus encore qu'hier, jouer son rôle de promotion sociale et culturelle. Il nous faut, encore et toujours, démocratiser l'école, consacrer des efforts très importants à la lutte contre l'échec scolaire, qui doit être menée dès le plus jeune âge, faire davantage pour les élèves qui, socialement ou culturellement, sont les plus démunis. Ceux-ci n'ont pas les mêmes chances que les autres au départ, nous le savons bien, et un système qui ne leur permet pas de combler leur retard est un mauvais système, car il ne fait que reproduire le même schéma social, les mêmes disparités et les mêmes échecs.
Permettez-moi, messieurs les ministres, d'aborder quatre domaines qui m'apparaissent prioritaires : l'enseignement en milieu rural, l'enseignement primaire et la nécessaire mise à niveau de tous les élèves avant leur arrivée au collège, l'éducation physique et sportive et, enfin, l'enseignement des langues étrangères.
Tout d'abord, l'école est bien souvent le dernier service public présent en milieu rural ; elle se trouve donc au coeur de l'indispensable projet de dynamisation de nos campagnes. Pourtant, face à la dépopulation constante de certains cantons, deux logiques s'affrontent depuis longtemps : la logique du ministère, qui, à dessein de « rentabiliser » le service public, ferme de nombreuses écoles en milieu rural, et celle des élus locaux, acteurs de terrain, qui souhaitent conserver à tout prix leurs écoles.
Il nous faut, je le crois, adopter une position nuancée, trouver un juste milieu entre les impératifs budgétaires et la nécessaire vitalisation du milieu rural.
Certes, le maintien d'écoles rurales s'accompagne, bien souvent, d'un regroupement des élèves dans des classes de même niveau, mais il subsiste de nombreuses classes à plusieurs niveaux. Des études ont montré que, globalement, la coexistence dans une même classe d'élèves de niveaux différents pouvait être bénéfique pour les uns et les autres, mais cela n'est plus vrai quand certains élèves du groupe sont en difficulté scolaire.
Le critère fondateur de notre école, c'est-à-dire l'égalité des chances, ne peut pas, dans ce cas, être respecté. Nous devons donc réfléchir à une amélioration de l'enseignement en milieu rural, en privilégiant les regroupements intercommunaux avec des niveaux homogènes.
Quel bilan peut être dressé, messieurs les ministres, pour nos écoles rurales dans ces différents domaines ?
Je voudrais maintenant insister sur l'inadaptation scolaire de nombreux jeunes qui arrivent en classe de sixième. Quel est le pourcentage de jeunes, messieurs les ministres, qui achèvent le cycle de l'école primaire sans posséder les bases indispensables : 10 %, 15 %, davantage encore ? Nous connaissons les disparités qui se font jour à l'issue de la classe de troisième, mais elles ne sont que le prolongement d'une situation qui remonte à l'entrée au collège. Si la plupart de ces jeunes sont voués à un échec certain au collège, que dire de leurs difficultés futures ! Ils sont condamnés au chômage et au RMI.
Le projet de budget pour l'enseignement scolaire témoigne de ce que ce problème a été pris en considération. Cependant, il n'y est répondu que ponctuellement, par l'octroi de crédits au soutien scolaire et à la remise à niveau des collégiens, et ce dès la classe de sixième. C'est bien, mais n'est-ce pas déjà trop tard ? Des heures de remise à niveau sont prévues : cet encadrement me paraît intéressant, mais il devrait débuter, à mon sens, dès l'école primaire.
En effet, certains jeunes traînent des lacunes depuis le cours préparatoire, c'est-à-dire depuis leur apprentissage de la lecture et de l'écriture. Ne vaudrait-il pas mieux ventiler les crédits que le ministère a alloués au soutien scolaire au collège en élargissant l'application de ce dispositif à l'école primaire ? C'est en amont qu'il faut agir, et je souhaiterais donc savoir si une augmentation des crédits a été envisagée afin de financer l'encadrement et le suivi scolaire dans le primaire.
Sur ce point aussi, des solutions peuvent être trouvées. Je pense, par exemple, à l'aide aux devoirs : peut-être pourrions-nous encourager de jeunes retraités volontaires à se consacrer, à raison d'une ou de deux heures par semaine, au suivi scolaire de jeunes en difficulté ?
Par l'initiation à une langue vivante dès le cours élémentaire première année, mise en place en 1989 et en 1995, le ministère souhaite préparer activement la vie future de nos jeunes au sein d'un monde où l'usage des langues étrangères sera une priorité.
A cet égard, nous savons tous, hélas ! dirais-je, que la langue véhiculaire du troisième millénaire sera l'anglais. Je regrette beaucoup que ce ne soit pas le français, mais je crois qu'il faut regarder la vérité en face et accepter le fait que, sans s'opposer aux langues nationales ou régionales, la pratique de cette langue est un préalable aux échanges.
Monsieur le ministre, vous souhaitez qu'une langue vivante étrangère soit enseignée dès le cours préparatoire. Je m'en félicite, mais je m'interroge sur la possibilité d'étendre cet enseignement indispensable à la totalité de nos écoles primaires, au premier rang desquelles nos écoles rurales. Il faudrait pourtant y parvenir très rapidement, en souhaitant que cet enseignement puisse aussi être dispensé par les professeurs d'école, qui doivent être formés à cet effet.
Dans le même ordre d'idée, je m'interroge également sur la présence réelle, partout en France, de l'enseignement de l'éducation physique et sportive, ô combien important pour l'équilibre corporel et intellectuel de l'enfant. Or, bien trop souvent, nos communes rurales sont les laissées-pour-compte de l'application des directives du ministère.
Pour conclure, le budget de l'enseignement scolaire me paraît globalement bon. Il devrait permettre de remplir les missions que je viens d'évoquer rapidement, et j'émets donc un avis favorable à son adoption, mais avec l'appréciation suivante : « doit faire ses preuves ». (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'occasion de l'examen de ce quatrième projet de budget de l'enseignement scolaire présenté par le gouvernement de la gauche plurielle, je veux souligner une augmentation des crédits s'inscrivant dans le prolongement des années précédentes et des mouvements sociaux de l'an passé.
Avec dix milliards de francs supplémentaires, ce budget est en hausse de 2,82 % et permet de financer 12 838 nouveaux emplois budgétaires, ce à quoi invite également une croissance économique revenue. Une nouvelle ère d'écoute et de dialogue a été ouverte, qui peut redonner confiance dans le travail individuel et collectif, en vue d'une transformation réelle.
La priorité donnée à l'éducation nationale répond aux attentes profondes d'une majorité de la population, des parents et des enseignants, soucieux de l'avenir des enfants.
Ainsi, dans mon département du Val-de-Marne, mais également dans d'autres, ces attentes sont très fortes, puisqu'il s'agit d'obtenir la mise en oeuvre d'un plan d'urgence réclamé haut et fort l'année dernière pour simplement rattraper les retards et respecter l'équité dans l'affectation des moyens.
Je salue donc, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, les créations de postes et les transformations d'heures supplémentaires et de contrats précaires en postes statutaires, permière étape d'une rupture avec le dogme du gel de l'emploi public.
Notre appréciation favorable est renforcée par l'annonce d'un plan pluriannuel, dont nous avions demandé la mise en oeuvre à plusieurs reprises dans cet hémicycle. Cette projection dans l'avenir nous paraît en effet essentielle pour sortir d'une logique de gestion dans l'urgence.
L'augmentation de 20 % à 50 % dans les cinq années à venir du nombre de postes aux concours d'enseignement est indispensable pour faire face au phénomène massif des départs en retraite entre 2001 et 2008.
Toutefois, ces annonces seront-elles suffisantes pour accompagner les évolutions indispensables à l'amélioration de la qualité, qu'il s'agisse de la suppression des classes surchargées, de la prise en charge individuelle des élèves en difficulté, du travail en équipe des personnels enseignants et non enseignants - je pense particulièrement ici à la création d'équipes pluridisciplinaires incluant des médecins, des psychologues, des infirmières, des personnels ATOS, dont le nombre doit absolument être revu à la hausse - de la résorption de la précarité, qui est un véritable problème, ou de l'allégement de la charge de travail des personnels de l'éducation nationale, qui ont encore trop d'heures supplémentaires à effectuer ?
Les organisations représentatives des enseignants et des parents que j'ai reçues expriment des préoccupations très fortes dans ce domaine. Il faut les écouter, messieurs les ministres, ainsi d'ailleurs que les directeurs d'école.
Par ailleurs, il faut absolument diversifier le recrutement et mieux professionnaliser la formation. Pour cela, il serait bon d'envisager rapidement un prérecrutement, comme celui auquel il est procédé dans les IPES, les instituts de préparation aux enseignements du second degré, et de redéfinir et d'adapter les missions des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres.
J'attire également l'attention sur la situation des surveillants, qui ne sont pas assez nombreux et qui quittent prématurément le système, faute de temps et de reconnaissance, ainsi que sur celle des titulaires d'emploi-jeune, qu'il s'agisse de leur formation ou de leurs perspectives d'obtenir des postes stables dans l'éducation nationale.
Par ailleurs, je voudrais évoquer la situation de l'éducation physique et sportive à l'école, en particulier la nécessité de renforcer les horaires dans cette discipline pour les collégiens et les lycéens. Peut-être ce point sera-t-il discuté lors des assises nationales du sport, qui doivent se tenir, me semble-t-il, vers le mois de mars.
Est également positif tout ce qui va dans le sens d'un allégement des charges financières pour les familles : le doublement de la prime d'équipement versée aux parents des élèves des lycées professionnels, la gratuité du carnet de correspondance au collège, qui doit être étendue au lycée, ou le plan Handiscol visant à améliorer l'accueil en milieu scolaire ordinaire d'enfants et d'adolescents handicapés.
Je m'arrêterai quelques instants sur certaines priorités et finalités du système éducatif.
Ainsi perdure avec force la question de l'interdépendance des inégalités sociales et de l'école. Une étude récente de l'INSEE souligne le poids prédominant du revenu et des conditions de vie des familles sur la réussite scolaire, par rapport à l'organisation du système éducatif et des réformes. Il y a trois fois plus de risques d'échec scolaire pour les enfants des familles les plus modestes que pour les enfants des familles les plus aisées. Ce n'est pas tolérable, il faut y remédier, c'est une obligation nationale.
Pour la part dépendant de votre action, monsieur le ministre, il y a incontestablement matière à une politique et à des mesures sociales d'envergure, ainsi qu'à une réelle gratuité de l'école, pour réduire, en vue de l'annuler, l'inégalité des chances à l'école.
A cet égard, nous attendons beaucoup des conclusions du rapport sur ce sujet, des décisions et des mesures fortes qui s'en suivront, je l'espère. C'est un chantier essentiel pour les années à venir et je vous demande de l'engager avec force et conviction, monsieur le ministre.
Mais, dans le même temps, d'un point de vue interne, l'école est en elle-même génératrice d'inégalités. De nombreux travaux montrent que l'inégalité n'est pas seulement présente à l'entrée de l'école, mais aussi à la sortie. Des expériences menées au sein des établissements peuvent renforcer ou au contraire réduire les inégalités.
Ainsi, d'une école à l'autre, dans le même milieu social et dans la même région, les taux d'échec et les taux de violence peuvent varier considérablement, comme si la manière d'aborder les élèves, en petits groupes, individuellement, en partant de ce qu'ils sont, de leurs identités différentes, en gommant leur appartenance sociale et culturelle, en bridant leur individualité, pouvait changer les choses ; je crois qu'elle le peut.
Ce problème de la manière dont on aborde aujourd'hui les élèves, issus de milieux différents et allant vers des milieux différents, n'est pas seulement un problème pédagogique, mais aussi une question de contenu des savoirs, de contenu de la laïcité, de mesures inégalitaires prises pour les aider.
Quelle diversité des savoirs, quelle variété des langues, quel lien entre toutes les disciplines convient-il d'introduire dans l'enseignement, pour que l'enfant connaisse et comprenne mieux d'où il vient, pour promouvoir une ouverture d'esprit, bref pour qu'il se structure et optimise ses potentiels personnels ?
Je veux rappeler notre attachement à favoriser, au-delà des dépenses, les efforts faits pour développer l'apprentissage des langues et de l'informatique avec les moyens nécessaires.
D'évidence, l'école n'est à l'abri ni des évolutions ni des dérives du monde. Que deviennent les rapports éducateurs-éduqués dans un monde où tout serait jugé bon à vendre ou à acheter ? Ce problème concerne tous les acteurs de l'école mais, au-delà, toute la société, et ce n'est pas virtuel, comme en témoigne l'ordre du jour de la réunion intergouvernementale européenne.
Cette libéralisation prend le visage de l'article 133 du traité d'Amsterdam, dont la réforme est programmée dans la plus grande discrétion au sommet européen de Nice. Ce qui est en jeu dans ces négociations et dans cette réforme du traité d'Amsterdam, c'est « la mise en concurrence sur une base commerciale » des services d'éducation dans le monde entier, un marché de 1 000 milliards de dollars en dépenses publiques pour l'ensemble du monde, 50 millions d'enseignants et plus de 1 milliard d'élèves, répartis dans des centaines de milliers d'établissements scolaires.
Je suis solidaire des citoyens qui manifestent aujourd'hui à Nice et, s'il n'y avait pas la discussion budgétaire, je serais là-bas à leur côté.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel. Merci de le dire !
Mme Hélène Luc. Avec toutes celles et tous ceux qui ont à coeur une vision humaniste, nous devons dire haut et clair que « l'école n'est pas une marchandise ».
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Très juste !
Mme Hélène Luc. Une autre dimension de la société qui pénètre de plein fouet l'école, c'est la violence, et pas seulement dans les zones d'éducation prioritaire. Alors se posent avec force la nature et la taille des remèdes. Comment dépasser la seule réponse répressive à un phénomène encouragé par un climat délétère où le langage de la force, de la haine, de l'instinct primaire, de l'intérêt personnel l'emporte trop souvent sur celui du droit, de la raison, de la paix, du « vivre ensemble », de l'intérêt général ? Comment faire pour que l'école soit, au contraire, un lieu de respect des autres, d'échanges, de rapports humains solidaires, de valorisation de la personnalité de l'enfant ?
Je salue, à cet égard, la mise en place du comité national de lutte contre la violence à l'école, qui devra mener une large réflexion et une action préventive contre la violence.
Je souhaite également rappeler, parce que des mutations et des enjeux majeurs sont devant nous, le besoin qui se manifeste d'un vaste débat national sur la construction de l'avenir du système éducatif, y compris au Parlement, monsieur le ministre.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, et pour la raison principale que le budget de l'éducation nationale est en hausse de 10 milliards de francs, qu'il reste le premier budget de l'Etat et qu'il s'inscrit comme la première étape d'un plan pluriannuel, pour la raison qu'il peut prendre place dans un projet de transformation globale de l'école, le groupe communiste républicain et citoyen le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le budget des enseignements scolaires, qui concernent les écoles, les collèges et les lycées, c'est-à-dire le plus grand nombre de familles, d'élèves et de personnels, reste, avec 332 milliards de francs, le premier budget de l'Etat et constitue la concrétisation d'une priorité politique indiscutable.
Si la progression moyenne du budget global s'affiche à un peu plus de 1 %, le budget de l'enseignement scolaire progresse, lui, à structures constantes, de 2,8 %, ce qui correspond presque à 9 milliards de francs supplémentaires, bien que la population scolaire continue de diminuer sensiblement.
Je note également avec satisfaction l'abandon du dogme du plafonnement des effectifs de l'emploi public qui constitue selon moi une réponse à ce que demandait M. le rapporteur spécial, une meilleure réponse aux besoins, et surtout une meilleure transparence dans la gestion des personnels, ce que peu de ministres ont réussi à faire. Peut-être est-ce la bonne voie ?
En termes d'emplois, sont créés 800 postes de professeur des écoles, ainsi que 4 125 postes de professeur des écoles stagiaires. Dans le second degré, je note la création de 900 emplois d'enseignant et de personnel d'éducation auxquels il faut ajouter 600 postes de certifié et 400 de professeur de lycée professionnel, fruit de la transformation maintes fois réclamée d'heures supplémentaires. Viennent s'y ajouter 3 000 titularisations d'enseignants précaires, ce qui avait fait l'objet d'une forte demande de notre part, et 1 338 consolidations d'emplois en surnombre.
Je note également avec satisfaction la création de 1 675 emplois de personnels ATOS. Ce n'est pas encore tout à fait suffisant : les régions font de tels efforts pour construire des lycées, les conseils généraux pour construire des collèges qu'ils sont confrontés à un accroissement des besoins. Mais c'est un point tout de même très positif.
Les crédits consacrés à la formation continue, aux TIC, les technologies de l'information et de la communication, aux langues et aux sciences, à l'enseignement artistique dans le premier et le second degré enregistrent également des progressions substantielles traduisant une volonté politique claire qui s'inscrit dans le double objectif, messieurs les rapporteurs, de répondre aux besoins quantitatifs mais également aux besoins qualitatifs.
Parmi plusieurs mesures à caractère social, trois ont retenu mon attention, très satisfaite : le plan Handiscol, évoqué par Hélène Luc précédemment, je n'y reviens pas, la création de 10 000 bourses supplémentaires pour les classes de première et le doublement de la prime d'équipement des élèves des lycées d'enseignement professionnel.
Monsieur le ministre délégué, c'est très bien ! La région Aquitaine, d'ailleurs, vous accompagnera dans cet effort et, à la rentrée scolaire, nous ferons en sorte d'assurer la gratuité de la caisse à outils pour tous les élèves entrant en LEP.
S'ajoutent également nombre de mesures conjoncturelles.
Dans le premier degré, 20 735 postes d'instituteur sont transformés en postes de professeur des écoles ; c'était une demande très forte eu égard à la contrainte des mouvements « en sifflet » qui ne permettait pas une accessibilité assez grande des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles. Je note également 500 créations d'emploi hors classe pour les professeurs des écoles.
Dans le second degré, je relève l'achèvement de l'intégration des conseillers d'éducation dans le corps des conseillers principaux d'éducation ; l'accroissement de la hors classe des professeurs d'enseignement général de collèges, les PEGC, et des CE d'éducation physique et sportive avec plus 190 emplois pour les uns et 30 emplois pour les autres ; et, pour les autres corps, la transformation de 1 428 emplois en hors classe pour atteindre les 15 % statutaires. Ce sont des mesures attendues, nécessaires et intelligentes.
Cette longue énumération confirme les avancées très positives de votre projet de budget. Cependant, quelques questions sérieuses demeurent et je tiens à vous les indiquer. Je n'aborderai ni la question des aides-éducateurs, ni celle, très importante, de la nécessaire évolution des instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, mon collègue Serge Lagauche en traitera.
Simplement, s'agissant du plan pluriannuel, je vous poserai deux questions.
Ne craignez-vous pas, messieurs les ministres, que le recours à la liste complémentaire ne puisse représenter un petit danger de contractualisation de l'enseignement pour des raisons que je vous indiquerai concrètement ?
Ne manque-t-il pas, par surcroît, une orientation plus facilement identifiable à ce plan pluriannuel ? Le plan, c'est très bien ; les moyens financiers, c'est très bien. Mais il me semble que les enseignants cherchent ce souffle qui pourrait être impulsé par une tonalité clarifiée.
Maintenant, je vous poserai quatre brèves questions.
S'agissant de l'application des 35 heures, où en est-on ? Qu'est-il prévu dans ce budget ?
Qu'en est-il de la réforme des rythmes scolaires, et des zones d'éducation prioritaire, les ZEP ?
Y aura-t-il assez de créations de postes de directeur d'école pour permettre d'augmenter les décharges ?
A quand l'amélioration de l'indemnisation ?
Qu'adviendra-t-il du protocole Sapin et de la résorption des emplois précaires et avec quel financement, même si j'ai noté avec satisfaction la résorption d'un grand nombre de ces emplois ?
Néanmoins, messieurs les ministres, votre projet de budget reste très largement positif, et nous le soutiendrons avec enthousiasme.
M'adressant aux rapporteurs, en conclusion, j'aurais préféré qu'ils s'inspirent des conclusions de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Chers amis de la majorité du Sénat, quand le bon exemple vient de l'Assemblée nationale, de grâce, suivez-le plutôt que de faire des contorsions à haut risque que vous renouvelez tous les ans lors du débat budgétaire. Vous n'y parviendrez pas ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je suis surpris de la tournure de ce débat. Le budget de l'enseignement scolaire représente plus de 330 milliards de francs et nous allons en survoler l'examen en moins de trois heures. Vous me direz que c'est mieux que l'an passé, puisque nous en avions débattu un dimanche après-midi.
C'est un paradoxe car l'éducation nationale est le premier budget de la nation, l'éducation étant la priorité des priorités, nous en sommes tous d'accord. Mais on se rend compte finalement que le Parlement n'en parle qu'une fois par an, lors de ce débat budgétaire. Peut-on d'ailleurs parler de débat alors que 95 % des crédits sont consacrées aux salaires ? Quant à l'essentiel, c'est-à-dire la politique éducative de la France, il échappe totalement au regard de la représentation nationale.
A partir de là, monsieur le ministre, j'ai deux manières de concevoir mon intervention, soit un balayage rapide de l'ensemble des sujets que vous écouterez avec la courtoisie qui vous caractérise et que vous noierez dans une réponse globale, soit de considérer que c'est la seule occasion qui nous est donnée de débattre au fond des vraies questions. Cela suppose, je vous le concède, de ne pas tomber dans la caricature...
Mme Hélène Luc. Si vous ne disposez pas d'assez de temps de parole, prenez-vous en à la conférence des présidents !
M. Jean-Claude Carle. ... moi dans la caricature de l'opposant qui ne trouve aucune qualité à votre budget, vous, monsieur le ministre, dans la caricature du ministre qui prétend conduire une « révolution pacifique de l'enseignement », qui affirme que critiquer l'éducation nationale, c'est s'attaquer aux enseignants.
Ce genre de débat, monsieur le ministre, nous l'avons eu trop souvent pour continuer à nous jouer la comédie. Si nous voulons que ce débat serve à quelque chose, il faut tomber les masques.
Au fond, quel est votre argument ? C'est de nous dire que l'on ne peut pas voter contre un budget qui augmente de près de 3 %, « une des plus fortes augmentations depuis le budget que j'avais présenté en 1993 », avez-vous même ajouté.
Monsieur le ministre, un budget en augmentation n'est pas forcément un bon budget. Vous disposez de moyens supplémentaires, encore faut-il s'en servir efficacement pour répondre à de nouveaux besoins.
Plusieurs de nos collègues ont cerné les limites de l'exercice, il n'est pas besoin que j'y revienne.
M. René-Pierre Signé. En bref, c'est un mauvais budget !
M. Jean-Claude Carle. Permettez-moi de m'en tenir à quelques considérations simples.
Depuis dix ans, le budget de l'éducation nationale a augmenté de 42 % en volume. Avec 100 francs par jour et par élève, la France est l'un des pays qui fait le plus.
Dans ces conditions, comment expliquer que les jeunes, les enseignants et, maintenant, les parents descendent ensemble dans la rue ?
Comment expliquer que, en 1998, 20 % des élèves de sixième ne maîtrisaient pas la lecture, contre 17 % en 1997, et qu'aujourd'hui 38 % des élèves ne maîtrisent pas le calcul ?
Comment expliquer que, malgré 18 000 créations de postes depuis 1997 et la diminution de près de 300 000 élèves, 30 000 enseignants, comme l'a dit M. Xavier Darcos, ne sont pas devant les élèves, ces élèves perdant une demi-année de cours entre la sixième et la terminale ?
Comment expliquer que, dans un nombre croissant de départements, y compris dans des départements défavorisés, une famille sur deux opte désormais pour l'enseignement privé à un moment ou à un autre de la scolarité de ses enfants ?
Mme Hélène Luc. C'est l'héritage que vous nous avez laissé !
M. Jean-Claude Carle. Comment expliquer que l'Etat soit obligé de faire entrer la force publique dans l'école pour protéger la communauté éducative ?
Comment expliquer que les élites de la République fuient l'enseignement, pourtant l'une des plus belles missions ?
M. René-Pierre Signé. C'est vous qui défendez l'école laïque !
M. Jean-Claude Carle. Que nous le voulions ou non, l'école traverse une crise.
Crise morale des jeunes, qui affirment de plus en plus que l'école n'est pas celle qu'ils attendent, des jeunes, que l'on met, par manque de courage, en situation d'échec et qui deviennent agressifs à l'égard du système éducatif.
M. René-Pierre Signé. C'est vous qui le critiquez !
Crise d'identité des enseignants, qui ne croient plus que l'école peut réduire les inégalités, des enseignants, qui considèrent toujours le mérite comme une valeur fondatrice du système scolaire, mais qui ne retrouvent plus cette valeur dans l'école d'aujourd'hui, des enseignants guettés par la lassitude.
Enfin, crise de confiance des familles, qui s'interrogent sur le choix à faire, des familles partagées entre la volonté de protéger leurs enfants et le souhait de les voir dans les meilleurs établissements.
Monsieur le ministre, ce n'est pas rendre service à la France que de nier la crise dans laquelle se trouve notre système éducatif.
M. René-Pierre Signé. Excessif !
M. Jean-Claude Carle. Cessons de nous retrancher derrière des réponses toutes faites qui sont autant de faux-fuyants : celles qui consistent à céder aux corporatismes ; celles qui consistent à se comparer avec les pays étrangers ; celles, enfin, qui rendent hommage au travail admirable des enseignants dans les discours pour mieux les oublier dans les actes.
M. René-Pierre Signé. Oh ! là ! là !
M. Jean-Claude Carle. Cette crise est latente ; elle dépasse le monde de l'enseignement pour toucher la société dans son entier. Ne pressentez-vous pas que le système va exploser ?
M. René-Pierre Signé. Il faut raison garder !
M. Jean-Claude Carle. Pardonnez-moi de m'exprimer sous forme de questions. Si les choses vont aussi mal, c'est aussi parce que nous ne posons plus, depuis longtemps, les bonnes questions.
Votre projet de budget en témoigne comme les précédents : vous ne savez répondre qu'en termes de moyens.
Avant de nous demander « comment », posons-nous d'abord la question essentielle du pourquoi ?
M. Xavier Darcos. Très juste !
M. René-Pierre Signé. C'est faux !
M. Jean-Claude Carle. L'enseignement, pour quoi faire ?
Qu'est-ce qu'un élève qui réussit ? Un bac + 6 sans emploi ou un CAP avec un vrai métier ?
Qu'avons-nous à proposer aux jeunes d'aujourd'hui comme espérance, comme conception de l'homme et de la société ?
Enfin, une même école pour tous reste-t-elle encore possible ? (Mme Hélène Luc proteste.)
Poser ces questions, c'est s'interroger sur le rôle et les missions de l'école, sur la cohérence entre le projet et la réalité de chaque établissement. C'est non seulement transmettre à l'enfant des connaissances, mais aussi l'aider à développer ses potentialités. C'est oser ouvrir le débat sur l'idée de l'égalité des chances, sorte de sanctuaire inviolable au nom duquel on impose un moule unique à tous les enfants. Idée généreuse, je vous l'accorde, mais idée pervertie !
Messieurs les ministres, la France n'est pas l'addition d'individus tous identiques et interchangeables. L'égalité n'est pas l'uniformité. A raisonner ainsi, la démocratisation apparente de l'école a abouti à laisser nombre de jeunes sur le bord du chemin.
Promouvoir une véritable égalité des chances, c'est permettre à chaque personne de s'épanouir et de réussir sa vie au mieux de ses propres capacités, de ses propres talents et, parfois aussi, de ses propres handicaps. C'est prendre conscience que chaque élève est en soi « une aventure personnelle ». C'est faire comprendre à un jeune que, quels que soient ses résultats scolaires, il a un avenir, et qu'il sera utile demain dans la société.
Repenser l'éducation de nos enfants dans un monde qui change, ce doit être le « pourquoi » de notre débat. Reste maintenant le « comment ».
Je pense qu'avant de dépenser à nouveau nous devrions d'abord faire le point sur l'existant, en clair, évaluer l'éducation nationale dans toutes ses dimensions.
Quand nous votons plus de 350 milliards de francs de budget pour l'éducation nationale, vérifions-nous suffisamment où va cet argent et quelle est son efficacité ? C'est pourtant notre tâche principale, et tout citoyen est en droit de nous demander des comptes.
C'est ce qu'a fait le Sénat en évaluant la gestion des personnels de l'éducation nationale. A cette occasion, nous avons mesuré la difficulté d'évaluer le fonctionnement de cette grande administration.
Pour beaucoup d'enseignants, être évalués ce serait être jugés. De là, sans doute, la répulsion naturelle et l'absence de culture française en matière d'évaluation des politiques publiques.
Dans le prolongement de l'action de votre prédécesseur, monsieur le ministre, vous avez institué un Haut conseil de l'évaluation de l'école. Le Sénat m'a désigné pour le représenter au sein de cette nouvelle instance.
Je vous dis « Chiche » monsieur le ministre ! Evaluons. Evaluons de manière indépendante et objective. Faisons en sorte que le Haut Conseil ne soit pas un cache-sexe de la direction de la programmation et du développement.
Evaluons les moyens, les structures, les programmes, les politiques engagées, en intégrant les conséquences de la décentralisation des compétences en matière d'éducation et d'enseignement supérieur. Nous le faisons depuis six ans dans la région Rhône-Alpes, je peux vous dire que c'est infiniment profitable.
Evaluons aussi les enseignants, non pour les juger ou les sanctionner, mais au contraire pour témoigner la considération que nous portons à leur travail et à leur mission.
Quand je vous entends dire, monsieur le ministre, qu'il existe pour cela une inspection générale, je ne peux m'empêcher de sourire. Vous savez mieux que personne comment ce système fonctionne et quelles sont ses limites.
M. René-Pierre Signé. Alors, il n'y a plus de débat !
M. Jean-Claude Carle. Quand vous évoquez les indicateurs de performance de l'éducation nationale, je vous concède qu'ils ont le mérite d'exister. Mais quel crédit accorder à des données aussi complexes émanant de votre propre administration ?
M. René-Pierre Signé. Assez !
M. Jean-Claude Carle. Les parents eux-mêmes ont du mal à s'y retrouver et vont chercher ailleurs l'information. Témoin le succès des palmarès et autres classements des lycées publiés dans la presse. (M. le ministre délégué marque son étonnement.)
En l'occurrence, c'est bien parce que les parents ont de moins en moins confiance qu'ils veulent se faire leur propre jugement et faire leur propre évaluation.
Comme l'a écrit Bernanos : « Quand la jeunesse claque des dents, le monde entier a froid ». Demain, si le Gouvernement et le Parlement ne prennent pas les mesures nécessaires pour résorber la crise de confiance et d'adaptation que traverse l'école, ce sont les enseignants, les élèves et les parents qui s'en chargeront.
C'est pourquoi nous ne ferons pas longtemps l'économie d'un débat national, non pas d'un simple débat sans vote au Parlement, mais d'un vrai débat qui permette aux Français de s'emparer du sujet et de s'exprimer.
Ces remarques me conduisent à présenter deux propositions.
En premier lieu, dans le cadre de l'augmentation de la mission du Parlement, je souhaite que le budget de l'éducation nationale fasse l'objet d'un débat d'orientation budgétaire dès l'année prochaine. C'était d'ailleurs l'une des propositions de la commission d'enquête parlementaire.
En second lieu, je crois qu'il faut organiser un référendum sur l'école, afin que se dégagent des priorités nationales autour de l'éducation pour les prochaines années.
M. Daniel Eckenspieller. Très bien !
M. René-Pierre Signé. N'importe quoi !
M. Jean-Claude Carle. Vous craignez la réponse du suffrage universel, mon cher collègue ? La Constitution le permet.
Au nom de l'égalité des chances, cessons de nous retrancher derrière une « éthique de façade » pour nier les réalités.
Une crise n'est pas forcément une mauvaise chose, monsieur le ministre, le débat et l'affrontement des idées non plus. D'un mal, il peut en sortir un bien et des solutions d'avenir.
Tel n'est pas le cas du projet de budget que vous nous proposez et qui se situe dans la logique des budgets passés. C'est pourquoi les Républicains et Indépendants voteront contre. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. René-Pierre Signé. On s'en doutait.
M. le président. La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon. Monsieur le ministre, votre cabinet à bien voulu nous transmettre les résultats d'un sondage. La question centrale était : « Le ministre de l'éducation nationale, Jack Lang, va annoncer un plan pluriannuel de recrutement d'enseignants et de personnels. Approuvez-vous ou désapprouvez-vous cette décision ? » La réponse est sans appel : 87 % des Français approuvent un tel plan.
Dans un premier temps, j'ai pensé qu'il n'était pas sérieux de lancer un sondage sur une action forcément plébiscitée sans même l'ombre du début d'une explication sur le pourquoi et le comment de l'action.
Dans un deuxième temps, je me suis quand même dit qu'il ne faudrait surtout pas rater l'exécution de ce plan pluriannuel. Annoncer c'est bien ; réaliser avec succès, c'est mieux, c'est même fondamental.
Monsieur le ministre, en tant que parlementaire qui n'a pas été consulté et alors que le budget de l'éducation nationale mériterait, à mon sens, un débat d'orientation avant la discussion de la loi de finances, ma question est : « quels sont les objectifs visés par ce plan pluriannuel ? »
Ce plan va-t-il permettre de diminuer les résultats négatifs encore trop importants de notre système éducatif ? Je rappelle qu'à l'entrée en CE 2, 23 % des élèves ne maîtrisent pas les connaissances fondamentales de la lecture, et qu'à l'entrée en sixième les résultats ne sont guère meilleurs : 33 % des élèves n'ont pas les connaissances de base du calcul. Ces chiffres, ils ont été publiés par le ministère de l'éducation nationale et ils figurent dans le rapport de la commission d'enquête du Sénat !
Ce plan va-t-il améliorer le maillon faible de l'enseignement scolaire qu'est le collège, avec son cortège de dysfonctionnements dus à une évolution parfois dangereuse de la société, que nous connaissons bien et qui inquiètent à juste titre les Français ?
Dans le fond, qu'attendent les Français de l'éducation nationale ? Les Français veulent tout simplement que leurs enfants réussissent grâce à l'école.
M. Jean-Louis Carrère. C'est plutôt bien !
M. Francis Grignon. Eu égard à l'importance de son budget, qui s'élève à 332 milliards de francs cette année, je crois qu'ils sont en droit d'exiger des résultats de cette très grande administration.
Certes, l'école peut apporter la connaissance, la maîtrise du raisonnement et un ensemble de valeurs qui vont permettre à l'individu de se réaliser et de se socialiser. Mais son rôle est, au premier chef, de permettre l'acquisition et l'assimilation des connaissances.
J'ai du mal à imaginer des enfants bien intégrés dans la société sans qu'ils maîtrisent des savoirs fondamentaux. On ne peut construire un raisonnement et des valeurs que sur des bases solides. Or ces savoirs se construisent en classe.
Revenons à la classe, tout le monde en parle ! Parlons donc des enseignants, des élèves et des programmes.
Les enseignants, tout d'abord : ils doivent à mon sens être les plus qualifiés et les plus compétents possibles. Des progrès significatifs sont encore à faire dans ce domaine.
Nous avons donc présenté des propositions dans les conclusions de la commission d'enquête. Je cite quelques-unes d'entre elles qui me semblent importantes : le renforcement des exigences des concours permettant de titulariser les maîtres auxiliaires ; la reconversion disciplinaire des maîtres auxiliaires en surnombre par une formation complémentaire en IUFM ; un recrutement plus sélectif des vacataires, privilégiant ceux qui se destinent à l'enseignement, assorti d'une formation pédagogique ; un calibrage plus fin des concours dans le cadre d'une véritable programmation pluriannuelle des recrutements prenant en compte les départs massifs en retraite des enseignants attendus dans les années à venir.
Très important : votre plan va-t-il modifier la nature des recrutements en fonction des besoins réels ?
Je citerai encore : un « cadrage disciplinaire » annuel des IUFM et un contrôle sur le nombre de leurs étudiants acceptés en première année ; une redéfinition des modalités de recrutement des chefs d'établissement, une revalorisation de leur fonction, un développement de leurs prérogatives à l'égard de leur équipe éducative et un élargissement de leur recrutement en dehors du monde enseignant, dans une perspective de professionnalisation et, enfin, des possibilités de réorientation des enseignants confrontés à des difficultés pédagogiques, pour permettre leur reconversion dans d'autres administrations.
J'ajoute, au-delà de ces propositions, que nous sommes à un tournant crucial concernant la qualification des enseignants. Sur les 83 000 emplois-jeunes, beaucoup risquent d'être intégrés à l'éducation nationale. Si c'était le cas, ne ratons pas leur qualification, de même que celle des milliers d'emplois qui devront être intégrés à la suite de votre plan pluriannuel et en fonction des départs massifs à la retraite.
Dans l'entreprise, ce qui condamne à la qualité, c'est la concurrence. Dans l'éducation nationale, il n'est pas question de concurrence, alors imposons les concours les plus solides possible, pour avoir les meilleurs enseignants, par respect pour tous ceux qui ont pris la peine d'être qualifiés d'abord, mais aussi pour donner les meilleures chances de réussite à nos enfants.
Après les enseignants, dont nous pouvons programmer les qualifications et les compétences, j'en viens aux élèves dont nous ne changerons pas la diversité. Il y aura toujours des bons et des moins bons.
La commission d'enquête a fait des propositions très concrètes pour prendre en compte cette diversité.
Elle a notamment proposé que soit établi un bilan complet des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, faisant apparaître les résultats des élèves, l'évolution de leur scolarité et le coût réel du dispositif, qu'un usage approprié des redoublements soit fait, que soient développées des formules d'aide et de remédiation permettant de s'assurer de l'acquisition des disciplines fondamentales des élèves pour chaque cycle pédagogique de l'école et du collège, qu'une formation pédagogique modulée, soit dispensée dans les IUFM pour répondre à la diversité des besoins des élèves dans les établissements, qu'un suivi des élèves tout au long de leur scolarité soit assuré dans le cadre des bassins de formation, que soient mises en oeuvre, à partir de la classe de cinquième, des séquences consacrées à l'orientation, enfin que soit assurée une diversification des personnels chargés de cette éducation dans la perspective d'une orientation « positive », notamment vers une voie professionnelle revalorisée.
Je m'arrête là pour ne pas prolonger le débat. Car ce rapport comporte quarante-quatre propositions. J'ai personnellement mis un point d'honneur à réaliser la mission qui m'avait été confiée sans agressivité et de la façon la plus objective et la plus constructive possible.
M. René-Pierre Signé. Très bien !
M. Francis Grignon. Alors, messieurs les ministres, qu'a-t-on fait de ces propositions ? Est-on prêt à en débattre ? Qu'attend-on pour les appliquer ? J'aimerais bien des réponses précises à ces questions.
Dans la classe toujours, après les enseignants et les élèves, il y a les programmes.
Il est impossible d'entrer dans le détail, tellement la matière est vaste et variée, mais, de grâce ! évitons les bouleversements intempestifs. Une heure de changement de programme dans les collèges touche 100 000 divisions et demande la création ou la suppression de 5 000 emplois, emplois qui, si on les veut qualifiés, demandent des années de préparation et sont là pour des dizaines d'années.
A cet égard, je me demande comment vous allez pouvoir gérer les deux heures de travaux personnels encadrés dans les collèges et lycées. Laissons les enseignants enseigner, non pas encadrer !
Voilà en quelques mots, messieurs les ministres, et sans entrer dans le détail, quelques-unes des questions que je me pose à l'occasion de l'examen du budget de l'enseignement scolaire, à défaut d'un débat parlementaire plus approfondi et plus complet que j'appelle de mes voeux, sachant qu'en aval il faudrait peut-être associer plus largement les parents d'élèves de façon à les motiver dans leur rôle de premier éducateur afin que nos enfants disposent d'un maximum d'atouts pour réussir dans la vie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. Grignon vient d'évoquer la commission d'enquête qui avait été chargée d'examiner la situation et la gestion des personnels des écoles et des établissements du second degré. Ayant été l'un des rapporteurs de cette commission, je peux témoigner de son objectivité et de l'important travail qu'elle a réalisé.
Ce travail, monsieur le ministre, a été présenté à votre prédécesseur, qui s'était engagé à reprendre, tout au moins partiellement, nos observations et nos suggestions. Nous avions notamment proposé, comme certains de nos collègues ce soir, d'instaurer un débat d'orientation budgétaire concernant l'éducation nationale. Allez-vous donc, monsieur le ministre, reprendre un certain nombre de ces observations et suggestions ? Allez-vous organiser enfin, l'année prochaine, un débat d'orientation budgétaire sur l'éducation nationale, débat qui nous permettra de discuter plus longuement, dans des conditions différentes de celles qui nous sont imposées aujourd'hui ?
En considérant simplement la baisse structurelle des effectifs d'élèves, la commission a mis en lumière la dérive du budget de l'éducation nationale, puisqu'il apparaît que la décroissance démographique n'a aucun effet budgétaire. Ce fait a été relevé. Je n'y reviens pas, sinon pour faire remarquer que, depuis la rentrée de 1996-1997, les effectifs des enfants scolarisés se sont réduits de 176 000 dans le primaire et de 93 000 dans le secondaire, que l'enseignement scolaire a bénéficié de la création de 7 700 emplois budgétaires nouveaux, dont 6 000 d'enseignants. Cette tendance n'est pas près de s'inverser, puisque, selon les prévisions du ministère pour les trois prochaines années, 30 000 emplois devraient être créés alors que le chiffre de 200 000 élèves de moins est annoncé par vos services pour les cinq prochaines années. Je constate que le coût budgétaire d'un élève a augmenté de près de 13 % au cours des dernières années et qu'il devient peu à peu l'un des plus importants au monde.
Dans ce contexte, sans doute n'est-il pas vain de s'interroger sur la situation réelle de cette hausse de crédits. Traduit-elle une priorité ou, plus prosaïquement, n'est-elle pas le reflet de l'impuissance du Gouvernement face à des difficultés de gestion qui le dépassent ?
La hausse des crédits n'est pas condamnable en elle-même, dans la mesure où elle repose sur l'idée selon laquelle la priorité accordée à l'éducation nationale doit nécessairement avoir une traduction financière mais elle est préoccupante en ce que la dépense semble loin d'être optimisée.
La commission sénatoriale a enquêté sur la gestion des personnels des écoles et des établissements professionnels. Elle a notamment démontré qu'une gestion inadéquate des moyens, plus qu'une véritable pénurie d'emplois, expliquait largement les dysfonctionnements qu'elle a pu constater.
Cela a été signalé tout à l'heure, mais la commission l'a déjà relevé : 30 000 enseignants sont aujourd'hui sans responsabilité éducative.
Dès lors, force est de considérer que le choix du Gouvernement traduit une certaine fuite en avant budgétaire, puisqu'il laisse croire que les difficultés de l'éducation nationale pourront être réglées par une simple augmentation de crédits.
Pour ma part, je suis convaincu que la plupart des difficultés relèvent surtout de problèmes structurels. Puisqu'il me reste très peu de temps, je ne citerai qu'un seul exemple pour appuyer mon propos : celui de la gestion des maîtres auxiliaires.
Depuis plus de vingt ans, les rectorats pouvaient recruter des maîtres auxiliaires lorsqu'ils manquaient d'enseignants dans certaines matières. La crise du recrutement d'enseignants titulaires, de 1985 à 1992, a entraîné un recours massif aux maîtres auxiliaires.
La crise terminée, de nombreux maîtres auxiliaires se sont retrouvés au chômage, souvent après de nombreuses années d'enseignement. Afin de régler ce problème social aigu, le ministère a décidé leur réemploi, mais il a précisé que tout recours à de nouveau maîtres auxiliaires était exclu.
Les rectorats ne peuvent donc plus utiliser cet élément de souplesse qui permettait aux établissements d'assurer toutes les heures d'enseignement prévues, dans quelque discipline que ce soit. La situation est bien souvent ubuesque, puisque l'on trouve des enseignants titulaires en surnombre dans certaines matières alors que d'autres cours ne peuvent plus être assurés faute de personnel qualifié.
Sans doute le réemploi des maîtres auxiliaires était-il socialement une bonne chose, mais il ne faudrait pas que l'arrêt du recrutement de nouveaux maîtres auxiliaires, qui vous amène à recruter des vacataires ne pouvant exécuter plus de 200 heures par an, ce qui ne recouvre pas l'intégralité de l'année scolaire - autre situation ubuesque - il ne faudrait pas, dis-je, que l'arrêt du recrutement des maîtres auxiliaires laisse la place à un auxiliariat encore plus précaire.
Conséquence sans doute de cette mauvaise gestion, conséquence sans doute de la rigidité des strutures, conséquence sans doute de la centralisation excessive il apparaît qu'un nombre non négligeable d'élèves - de 15 % à 20 % - ne maîtrisent pas encore les connaissances de base à l'entrée du cours moyen deuxième année, voire de la sixième.
En un mot, monsieur le ministre, suffit-il d'engraisser le mammouth pour régler les dysfonctionnements de l'éducation nationale ? Permettez-moi de penser que c'est peut-être nécessaire mais que ce n'est sûrement pas suffisant. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout en saluant la qualité du rapport de notre collègue Hélène Luc, dont je partage les appréciations et les conclusions, je souhaiterais brièvement intervenir dans les trois minutes de temps de parole qui me restent sur l'enseignement professionnel, domaine de notre ex-collègue M. Mélenchon et, plus précisément, sur le devenir des formations professionnelles qui ont, durant de très nombreuses années, permis à de multiples jeunes, issus souvent de milieux défavorisés, d'accéder à une formation qualifiante.
Aujourd'hui, la formation professionnelle peine à recruter des jeunes, peine à recruter des enseignants dans un contexte de reprise économique.
Vous avez évoqué, messieurs les ministres, la fluidité des formations. C'est là une question qui nous semble essentielle.
En effet, l'enseignement professionnel se doit de tout mettre en oeuvre, avec l'enseignement général d'ailleurs, pour favoriser les passages d'un enseignement à l'autre.
Le contenu de la formation est ensuite extrêmement important ; on méconnaît bien trop souvent les efforts réalisés ces dernières années par les équipes d'enseignants professionnels confrontés à des publics scolaires très hétérogènes.
La culture, la culture scientifique naturellement, mais aussi l'ensemble des arts doivent pénétrer davantage dans les lycées professionnels et techniques. Il faut briser bien des mythologies qui ont la vie longue ; la place de la culture et des arts est un élément qui nous semble essentiel pour ce faire.
Au titre de la valorisation de l'enseignement professionnel et de ses jeunes, la rémunération des jeunes stagiaires nous paraît devoir faire l'objet d'un véritable encadrement.
Nous souhaiterions donc que s'engage dans la prochaine période une véritable réflexion sur l'enseignement professionnel, en liaison avec l'enseignement général. Nous savons que les personnels, les jeunes, mais aussi les représentants des entreprises ou des syndicats ont, en la matière, de véritables propositions à formuler.
Votre budget, messieurs les ministres, marque bien des avancées, même s'il convient de poursuivre la réflexion, l'information, pour donner à l'enseignement professionnel la place qui lui revient dans notre système éducatif.
En attendant, nous avons une raison de plus de voter ce budget.
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en hausse constante depuis 1997, le budget de l'enseignement scolaire connaît pour l'année 2001 une augmentation de 2,82 % et atteint presque les 332 milliards de francs. Cette progression confirme évidemment la priorité accordée par le Gouvernement à l'éducation nationale.
Cependant, dans son rapport, M. Bernadaux se demande s'il ne faut pas déplorer cette augmentation dans la mesure où l'évolution démographique des élèves dans l'enseignement scolaire est à la baisse depuis plusieurs années, mais aussi dans la mesure où les créations d'emplois sont vaines si elles ne s'accompagnent pas de réformes pédagogiques ou structurelles.
Les sénateurs du groupe socialiste souscrivent totalement à l'idée que les créations d'emplois doivent s'accompagner de réformes substantielles et ils mesurent, parallèlement, l'ampleur de celles qu'a lancées le Gouvernement.
Sur ce point, le rapporteur pour avis ne nous dément absolument pas, puisque, dès les premières pages de son rapport, il détaille les montants alloués aux dernières réformes pédagogiques de M. le ministre, montants qui viennent compléter ceux qu'a mis en place votre prédécesseur.
Ainsi, les nouvelles technologies de l'information et de la communication bénéficient de 90 millions de francs supplémentaires pour la mise en oeuvre du brevet informatique et Internet. L'apprentissage des langues et la modernisation de l'enseignement des sciences voient leurs crédits doubler. De nouveaux crédits, à hauteur de 263 millions de francs, sont débloqués pour la formation artistique et culturelle.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Serge Lagauche. Ces éléments démontrent, s'il en était encore besoin, que la hausse du budget de l'enseignement scolaire est loin d'être vaine. Votre objectif à travers ce budget, monsieur le ministre, est bien d'accompagner et de rendre effectives sur le terrain les réformes engagées depuis 1997 par un effort en termes de créations d'emplois, de crédits de fonctionnement et d'interventions.
Au cours des dix prochaines années, la moitié du personnel de l'éducation nationale sera renouvelée. Ces derniers temps, au sein du personnel enseignant, pourtant acquis à la nécessité de moderniser notre système éducatif, certains ont été heurtés par l'ampleur des réformes : ils ont besoin de temps pour les assimiler et se les « approprier ».
L'arrivée de nouveaux professeurs sera l'occasion de mieux faire prendre à l'ensemble du corps enseignant le virage de la modernisation. C'est tout l'objectif du plan pluriannuel de programmation des moyens, très attendu par les acteurs du système scolaire, même si, pour l'instant, il se heurte aux exigences de l'ordonnance de 1959. La voilà, cette meilleure gestion prévisionnelle des moyens tant attendue, notamment par la majorité sénatoriale. Vous êtes donc entendus, messieurs ! Mais cela ne vous empêche pas de reprocher maintenant une anticipation excessive des besoins futurs...
Au demeurant, les créations d'emplois prévues n'absorbent pas à elles seules l'augmentation du budget pour 2001. D'un coût de 1,126 milliard de francs, elles sont comparables à l'augmentation des crédits de fonctionnement et d'intervention destinés au financement des réformes pédagogiques, des mesures à caractère social en direction des élèves et de l'amélioration des moyens de fonctionnement. On ne peut pas vouloir que nos enfants maîtrisent mieux, et plus tôt, les langues étrangères ou les nouvelles technologies de l'information et de la communication sans dégager de moyens supplémentaires pour cela !
Malgré l'ampleur des créations d'emplois programmées sur trois ans, vous n'êtes pas sans le savoir, monsieur le ministre, les syndicats enseignants expriment des inquiétudes : d'abord sur le nombre de créations nettes d'emplois, ensuite sur les conditions du recrutement.
Le contexte de croissance, dont nous nous réjouissons par ailleurs, rendra les recrutement plus complexes, tout particulièrement ceux de spécialistes pour l'enseignement professionnel. N'y aura-t-il pas là des difficultés ?
Le fort renouvellement générationnel à venir doit également s'accompagner d'une réforme significative de la formation initiale des futurs professeurs, afin de l'adapter aux nouvelles ambitions pour l'école définies depuis 1997.
Actuellement, les stagiaires ressentent une coupure forte, sinon un fossé, entre la formation dispensée à l'IUFM et le vécu sur le terrain. Il convient de prendre aussi en compte leurs attentes pour répondre aux principales difficultés qu'ils rencontrent une fois placés devant des classes.
Il s'agit, non pas d'ajouter des modules à ceux qui existent déjà, comme cela a été fait régulièrement, mais bien de revoir l'ensemble de la formation pour lui donner plus de cohérence et mieux l'articuler avec la formation continue. Nous devons réfléchir à ce que l'on attend d'un enseignant en début de carrière et prendre à bras le corps, sans hypocrisie ni faux-semblants, la question de la première affectation. (M. Carrère applaudit.)
Enfin, j'aimerais aborder un dispositif important pour l'évolution de notre système scolaire et pour ses bénéficiaires : les emplois-jeunes. Ils sont très nombreux dans l'éducation nationale - près de 62 000 - et remplissent des missions très utiles mais aussi très diverses, ce qui rend plus difficile leur professionnalisation.
Or la formation des aides-éducateurs, prévue dès le lancement du dispositif à hauteur de 200 heures annuelles au maximum, pèche par son manque de mise en oeuvre effective. L'accent doit être mis sur l'élaboration d'un véritable projet professionnel indidivuel : n'oublions pas que l'échéance est pour 2003 !
Parallèlement, il faut intensifier les efforts en matière de validation des acquis et de reconversion professionnelle, à l'instar de ce qui est prévu dans les huit accords nationaux passés entre votre ministère et de grandes entreprises. Tous ceux qui bénéficient d'un emploi-jeune au sein de l'éducation nationale n'ont pas vocation à y rester. D'ailleurs, les débouchés n'y seraient pas suffisants. Or, avec la croissance, ce sont les plus diplômés qui sortent prioritairement du dispositif.
En vérité, j'ai du mal à comprendre l'avis défavorable de la commission des affaires culturelles dans la mesure où ses critiques ne portent pas sur le fond des réformes engagées : au contraire, elle préconise plutôt leur approfondissement. Nous partageons, me semble-t-il, à gauche comme à droite, les mêmes objectifs : favoriser la réussite scolaire de tous les élèves et mieux répondre aux défis du futur.
Concernant l'école primaire, vous approuvez, monsieur le rapporteur pour avis, la priorité donnée aux acquis fondamentaux, le développement des pratiques d'évaluation, la rénovation de l'enseignement des sciences et de la technologie, le développement de l'éducation artistique et culturelle comme de l'apprentissage des langues vivantes, ainsi que l'intégration des nouvelles technologies dans les apprentissages.
Nous souhaitons, comme vous, l'amélioration de la liaison entre école et collège, à travers la polyvalence des professeurs, et des éclaircissements sur l'avenir de l'aménagement des rythmes scolaires.
S'agissant du collège, après avoir titré : « Une réforme introuvable », vous reconnaissez son recentrage sur cinq orientations, du fait même d'un manque de hiérarchisation des objectifs, voire d'implication des inspecteurs d'académie : aide personnalisée aux élèves, maîtrise des langages, pratiques interdisciplinaires, enseignement de la technologie et exercice de la citoyenneté au collège. Là aussi, vous souhaitez simplement la levée des incertitudes sur l'avenir du collège unique, grâce au rapport demandé à l'inspecteur général Philippe Joutard.
Vous reconnaissez le maintien d'un grand nombre de mesures concernant le lycée - aide individualisée, travaux personnels encadrés, éducation civique, juridique et sociale - et vous vous félicitez de « la fin du lycée allégé ».
Enfin, vous approuvez le protocole d'accord pour les chefs d'établissement du secondaire et attendez des mesures similaires pour le primaire, tout en précisant qu'une réflexion est en cours. Vous relevez les effets contrastés des plans de lutte contre la violence, tout en affirmant que l'association de tous les personnels, y compris les aides-éducateurs, des parents d'élèves et des délégués d'élèves permet de meilleurs résultats.
Si les réformes ne sont pas formulées dans le cadre de la loi scolaire souhaitée par certains dans cet hémicycle, elles en ont l'ampleur.
A considérer ce catalogue de vos appréciations, monsieur le rapporteur pour avis, on est obligé de reconnaître qu'il ne s'agit pas, de votre part, sur ce budget, d'une opposition catégorique, justifiée par l'existence de deux points de vue antinomiques - j'en prends pour preuve le compte rendu qu'a fait la presse des récentes rencontres nationales pour l'éducation de vos amis du RPR -, mais que ce n'est qu'un simple positionnement politique, intenable sur le fond, et qui n'est assorti d'aucune proposition alternative.
Alors, monsieur Bernardeaux, vous qui, comme de nombreux membres de la commission des affaires culturelles, êtes enseignant et connaissez bien le milieu scolaire, comment pouvez-vous soutenir un avis défavorable sur ce budget ? Au contraire, vous devriez inviter tous les membres de la majorité sénatoriale à applaudir ce budget et, par là même, l'excellente proposition de notre ministre de l'éducation nationale, M. Jack Lang, soutenue par tout le Gouvernement, à l'invitation du Premier ministre, M. Lionel Jospin. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat est attaché depuis longtemps au pluralisme linguistique. Il l'a montré en 1993-1994 en créant une mission d'information sur l'enseignement des langues, qui a, hélas ! constaté - mais sans surprise - le décalage chaque année plus grand entre les intentions affichées par le ministère - un large choix de langues proposé aux élèves - et la triste réalité : l'hégémonie de l'anglais en langue vivante 1, la prépondérance de l'espagnol en langue vivante 2 et le recul régulier de l'allemand.
Ainsi, la France et l'Allemagne qui, ensemble, construisent l'Europe, se parleront bientôt en anglais...
Notre mission d'information a également constaté l'abandon de l'italien, le naufrage du russe, du portugais, du néerlandais, du polonais ; et je ne parle pas de langues non européennes, aussi importantes que l'arabe, le chinois ou le japonais !
Est-ce ainsi que nous préparons ce pays à s'ouvrir au monde, à ses cultures, dans leur richesse et leur diversité ?
Comment pouvons-nous militer officiellement pour le plurilinguisme en Europe et défendre chez les autres l'enseignement du français si nous montrons le mauvais exemple en assurant, chez nous, à l'anglais cette situation de monopole ?
M. Xavier Darcos. Très bien !
M. Jacques Legendre. Le Conseil de l'Europe, où je représente le Sénat, a décrété que 2001 serait l'année européenne des langues. Allons-nous, une fois de plus, célébrer la diversité tout en encourageant la réduction à la langue étrangère unique, ou presque, l'anglais ?
Votre prédécesseur, monsieur le ministre, semblait s'enchanter du bilinguisme français-anglais. Nous attendons de vous une réelle rupture avec de tels errements.
A l'unanimité, en 1994, la mission du Sénat avait adopté des propositions tendant à favoriser la diversité dans l'apprentissage des langues en France. M. Bayrou, puis M. Allègre n'en ont guère tenu compte. Accepterez-vous de vous en inspirer ?
Ces propositions sont maintenant reprises par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui les a adoptées, elle aussi, à l'unanimité.
En France, il nous reste bien du chemin à parcourir. A juste titre, le ministère de l'éducation nationale veut développer l'apprentissage précoce des langues étrangères. M. Hagège, qui en est l'ardent propagandiste, s'inquiétait toutefois de la propension à commencer toujours par l'anglais. Il préconisait, lui, de ne jamais commencer par l'anglais et de faire de cette langue, effectivement quasi indispensable, la deuxième langue étrangère enseignée.
Bien entendu, cette proposition n'est pas réaliste, car il faut tenir compte du choix des parents d'élèves. Cependant vous devez vous attacher, monsieur le ministre, à mettre en place, dans le primaire, une véritable sensibilisation des parents au choix linguistique, en leur rappelant en particulier que, lors des recrutements professionnels, ce qui fera la différence, c'est moins la bonne connaissance de l'anglais - elle se banalise - que la connaissance d'une autre langue.
Ainsi pourra être un peu corrigée la situation que me décrivait, voilà quelques semaines, M. le recteur de l'académie de Lille. L'académie de Lille est confrontée à une modification, lente mais continue, de la demande des familles en ce qui concerne le choix de la première langue vivante ; une baisse régulière du choix de l'allemand est ainsi constatée, au profit de l'anglais.
Actuellement, 90 % des parents d'élèves de sixième souhaitent que leur enfant étudie l'anglais en première langue, les autres langues enseignées dans l'académie n'intervenant que de façon négligeable dans le choix des familles. La diversité linguistique semble donc se réduire inéluctablement pour ce qui est de la première langue. Si le choix de la seconde langue est plus ouvert, il tend lui aussi à un déséquilibre, avec une baisse progressive de l'allemand au bénéfice de l'espagnol et, plus modestement, de l'italien. On notera que, même dans le Nord, il n'est question ni du polonais, ni du portugais, ni de l'arabe, malgré les origines d'une partie de la population.
Je vous donne acte bien volontiers, monsieur le ministre, de la sensibilité nouvelle et bienvenue dont vous témoignez à l'égard de ces problèmes. Je suis néanmoins tout proche du constat dressé le 25 octobre 2000 par certains syndicats et par les associations de spécialistes de langues. Il me faut ici livrer leurs conclusions :
« Jamais il n'y a eu décalage plus grand entre le discours officiel et la réalité dans les établissements. Jamais la dégradation n'a été aussi grande.
« L'absence jusqu'ici de politique claire des langues vivantes dans le premier degré n'a pas favorisé, au collège, une diversification des langues vivantes, déjà réduite depuis plusieurs années.
« Au collège, la gestion locale des horaires - "les fourchettes" - se traduit, pour les langues, dans la majorité des cas, par une amputation horaire qui rogne les quelques moyens qui permettaient encore de mieux prendre en charge la diversité des rythmes des élèves.
« Au niveau du lycée, la quotité horaire attribuée aux langues vivantes est en deçà du seuil minimum d'efficacité.
« Le décalage entre langue vivante 1 et langue vivante 2 est accru : la langue vivante 2 n'est démarrée qu'en quatrième, la langue vivante 1 est commencée en primaire. Par ailleurs, l'amputation des horaires de langue vivante 2 en lycée est sensiblement plus forte qu'en langue vivante 1 : l'horaire de l'élève se trouve réduit à deux heures hebdomadaires.
« A tous les niveaux, les effectifs restent très supérieurs au seuil de quinze élèves.
« Enfin, l'ensemble des mesures prises depuis trois ans par le ministère continue de peser fortement et de façon négative sur le choix des langues par les familles, condamnant de fait l'enseignement d'un certain nombre de langues vivantes, en réduisant d'autres à une présence toute symbolique, posant de graves problèmes d'emploi pour les personnels concernés, alors que, dans le même temps, les classes d'anglais et d'espagnol continuent de s'alourdir. Il devient d'ailleurs difficile de trouver les personnels pour assurer les remplacements dans ces deux dernières langues tout particulièrement. »
Certes, monsieur le ministre, les spécialistes de langues reconnaissent que votre discours a évolué et eux aussi en prennent acte. Mais il faut, bien sûr, aller au-delà. Ce que nous attendons maintenant de vous, c'est la concrétisation d'une volonté politique, telle que soit enfin offert à tous les jeunes Français un véritable plurilinguisme, c'est-à-dire une authentique ouverture sur le monde (Très bien ! et aplaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le budget de l'enseignement scolaire est le premier budget de l'Etat : il représente, cette année, 331,04 milliards de francs, soit une augmentation de 7,63 %, ce qui est considérable. Mais nous savons combien est grande l'inertie de ces masses budgétaires, composées à plus de 90 % par les dépenses de salaires et pensions des personnels.
La question centrale est donc : quelles sont les marges ? En quoi ce budget peut-il contribuer à faire reculer l'échec scolaire et à moderniser l'éducation nationale, sans affaiblir ce qui est son rôle historique : donner à l'école des moyens tels qu'elle soit l'école de tous, au service de la nation ?
Rappelons qu'en 1998, selon des statistiques peut-être contestables, 20,7 % des élèves arrivaient en classe de sixième sans maîtriser la lecture et 38 % n'avaient pas atteint le niveau minimal nécessaire en mathématique.
Comment améliorer les performances du système éducatif sans baisser le niveau d'exigence ? Tel est le pari.
Or votre arrivée à la tête du ministère s'est faite dans un climat de crise : des enseignants du second degré en rébellion ouverte ; des professeurs d'école et des instituteurs désarçonnés par les à-coups de la gestion précédente et placés devant des situations très inégalitaires en matière d'encadrement des enfants et de recrutement. D'où l'ampleur du mouvement de grève qui, durant le premier semestre 2000, a entraîné, dans le Gard et dans l'Hérault, des occupations d'école et d'importantes manifestations.
Messieurs les ministres, dans ma commune, j'ai vécu au rythme de l'école occupée pendant près de deux mois. Deux mois, c'est long ! J'en ai tiré quelques leçons. Aujourd'hui, l'atmosphère s'est détendue et vous avez su restaurer le dialogue. C'est un succès qu'il faut porter à votre crédit. Ce n'était pas évident !
Mais les problèmes de fond demeurent. Je voudrais en énumérer quelques-uns.
Dans le premier degré, il y a eu un déficit d'explications et de gestion du personnel, se greffant sur un manque ponctuel de postes lié à la croissance démographique des académies du pourtour méditerranéen. Qu'en est-il du plan pluriannuel de création de postes, notamment dans les départements du Languedoc-Roussillon ?
Plus particulièrement, comment répondre aux demandes accrues en personnel spécialisé dans le soutien aux élèves en difficulté ? Aura-t-on recours à un nouveau contingent d'aides éducateurs, à partir des emplois-jeunes, alors que certains groupes scolaires à dix classes n'ont pas reçu la moindre affectation depuis 1997 ? Tel est le cas de ma commune.
Quels sont vos objectifs en matière d'accueil des enfants de deux ans à l'école maternelle ? L'ambition de socialiser les jeunes enfants dès que possible représente un effort important en termes de postes et de locaux. Quel objectif cherchez-vous à atteindre ?
Il faut aussi mentionner la grève des directeurs d'école, qui se poursuit, affaiblissant l'ensemble de l'institution. Où en est la négociation que vous avez ouverte ? Peut-on espérer une détente avant que des solutions de fond soient apportées, bien sûr, à moyen terme ?
S'agissant du second degré, c'est le collège qui nous préoccupe d'abord. Il est l'objet des tensions les plus fortes. Les enseignants, de même que les personnels administratifs et techniques, y assument une mission d'une exceptionnelle importance pour l'intégration de nos jeunes à la société républicaine. Il faut leur rendre hommage, comme vous l'avez fait, et donner un soutien sans équivoque à tous ceux qui innovent dans leur approche pédagogique, malgré le scepticisme général.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, ce que vous attendez du conseil de l'innovation pédagogique que vous avez mis sur pied ? Allez-vous favoriser le transfert des initiatives et, surtout, donner des moyens accrus à ceux qui, courageusement, sortent des sentiers battus ? Ce serait une révolution !
Vous avez voulu remettre à l'honneur l'enseignement professionnel. Cette orientation est d'autant plus juste qu'il s'agit d'une voie empruntée par les enfants des classes populaires qui recherchent un métier stable et qualifié.
L'enseignement professionnel est aujourd'hui la source la plus importante d'augmentation du nombre de bacheliers à l'échelon national. C'est la voie du succès, mais l'opinion publique ne le sait pas encore. On constate ainsi une baisse du nombre d'élèves s'orientant dans cette voie.
Désireux de réagir vous avez décidé, entre autres, l'allégement des horaires hebdomadaires moyens des élèves, ainsi que la création de projets pluridisciplinaires à caractère professionnel dans toutes les formations conduisant aux brevets d'études et aux baccalauréats professionnels.
En outre, vous avez institué le principe de la rétribution des élèves en période de formation dans les entreprises. C'est une idée que j'avais préconisée dès 1982 et, aujourd'hui, en période de croissance, on peut espérer que cette mesure sera mise en oeuvre. Ce sera une grande avancée. Encore faudra-t-il que l'enseignement professionnel et technique soit implanté de façon à peu près uniforme, égalitaire allais-je dire, sur le territoire national.
Tel n'est pas le cas. A la richesse des enseignements professionnels dans les régions anciennement industrialisées correspond une pénurie en ce domaine là où le tissu économique est émietté, fait essentiellement de très petites entreprises plus tournées vers les services que vers la production.
M. Paul Blanc. C'est vrai !
M. Gérard Delfau. Peut-on espérer, là encore, un plan pluriannuel ? Ne pourrait-on, à cette occasion, lancer des structures expérimentales associant formation initiale et formation continue et s'articulant avec d'autres structures d'animation économique sans que, bien entendu, l'éducation nationale y perde son indépendance, ou, surtout, se soumette à des intérêts privés ? Bref, peut-on, en ce domaine aussi, innover ?
Il faut citer, enfin, parmi les nombreuses mesures positives, l'augmentation significative du nombre des personnels ATOS. C'est une heureuse inversion de tendance par rapport à des années de disette. Il est temps de rendre aux personnels techniques la place qui leur revient dans la communauté éducative. Le sourire du concierge ou de la concierge à l'entrée de l'établissement le matin est un élément du bon fonctionnement de l'éducation nationale ; on l'avait oublié.
M. René-Pierre Signé. Ce sont des petites choses comme celles-là qui font plaisir !
M. Gérard Delfau. Voilà quelques considérations, trop rapides, eu égard à l'ampleur du budget - le premier de la nation - et à son objectif, puisqu'il s'agit d'éduquer nos enfants pour en faire des citoyens.
Les sénateurs radicaux approuvent l'effort du Gouvernement et vous félicitent de l'excellence de votre gestion. Ils voteront avec plaisir votre budget. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. René-Pierre Signé. Et vous ne serez pas les seuls !
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'aimerais ouvrir mon intervention par une remarque et une observation.
Il ne serait peut-être pas inutile de rappeler en effet que le budget n'est pas seulement une histoire de sous, mais qu'il renvoie à des orientations politiques concrètes, à des priorités gouvernementales qui, derrière les chiffres, indiquent de véritables choix de société.
Cette remarque étant faite, force est d'observer que le projet de budget pour l'éducation et l'enseignement approche le quart des dépenses de l'Etat. Avec plus de 332 milliards de francs en crédits de paiement, sa progression avoisine les 2,8 %. Il s'agit d'un choix résolu en faveur de l'avenir des jeunes, d'un choix qui a pris acte de la nécessité de réussir notre passage dans la société du savoir et qui a pris bonne note de la bataille de l'intelligence.
Penchons-nous sur quelques mesures qui traduisent les priorités.
On ne peut manquer de saluer, d'emblée, le fait que, malgré la quasi-stabilité des effectifs, le dogme du plafonnement des emplois publics se craquelle à la faveur d'un « dégel ». Ainsi, 90 % des dépenses sont consacrés au personnel. De même, l'enseignement scolaire bénéficie de la création de 4 375 emplois budgétaires, qui correspondent à une progression nette des effectifs employés dans les services académiques et les établissements : 800 professeurs d'école, 1 900 enseignants du second degré et 1 675 non-enseignants.
Le budget prévoit, en outre, la transformation de 18 000 heures supplémentaires en 1 000 emplois. Notons également que, dans le cadre de la résorption de la précarité, quelque 3 000 emplois sont disponibles pour les enseignants non titulaires déjà en poste.
Derrière ces créations de postes, c'est, en fait, toute une politique éducative qui apparaît. En effet, le budget, par le biais des crédits de fonctionnement, accompagnera solidement les réformes pédagogiques prévues. Ainsi, 90 millions de francs sont alloués aux nouvelles technologies et un « brevet informatique et Internet » va voir le jour d'ici à 2003.
Le recours aux technologies nouvelles est plus qu'une nécessité, c'est un impératif égalitaire, un impératif qui relève des collectivités locales. Elles attendent votre soutien, dans leurs initiatives, monsieur le ministre ; elles sont prêtes à s'y impliquer ; c'est d'ailleurs de l'intérêt des zones rurales comme la Nièvre.
L'apprentissage des langues vivantes n'est pas en reste, tout comme l'enseignement des sciences, qui bénéficie de 60 millions de francs.
L'ouverture d'esprit et l'enseignement le plus large seront favorisés, puisque les crédits consacrés à la formation artistique et culturelle augmentent sensiblement, avec 263 millions de francs. Les contrats éducatifs locaux sont une initiative heureuse, avec l'obligation, ligne infranchissable, de limiter les compétences des bénévoles ou autres associations à un encadrement périscolaire sans rapport, bien entendu, avec tout enseignement.
Je parlerai maintenant de l'enseignement professionnel. Cet enseignement doit être renforcé et « rationalisé » dans le sens d'une meilleure continuité entre BEP et bac professionnel. Les débouchés existent, mais doivent être plus articulés avec la formation. C'est toute l'idée qui anime le projet de « lycée de métier », chère à M. Mélenchon.
Saluons, dans un autre registre, la création du plan « Handiscol », doté de 57 millions de francs, qui prévoit de porter en trois ans à 50 000 le nombre d'enfants et d'adolescents handicapés accueillis en milieu scolaire non spécialisé.
Un grand pays comme la France ne peut-être en retard par rapport aux pays scandinaves sur le chemin de l'insertion des jeunes handicapés.
Pourtant, quelques problèmes restent en suspens : la mise en oeuvre des 35 heures - M. Jean-Louis Carrère l'a évoquée - et la délicate question des directeurs d'école.
Les 4 500 directions vacantes depuis la rentrée 2000 nous renseignent sur l'ampleur des difficultés rencontrées. Les requêtes ne concernent pas seulement des problèmes statutaires mais, au-delà, la question des décharges de service fait référence aux modalités du travail des directeurs d'école.
Autre point sensible, je veux parler du futur professionnel des emplois-jeunes, les aides éducateurs. Il s'agit là d'un problème important. Ces jeunes méritent d'être rassurés sur leurs perspectives d'emploi, ne serait-ce que pour marquer la reconnaissance du travail accompli au sein de l'éducation nationale.
Au total, messieurs les ministres, des éléments très largement positifs me conduisent à voter, avec l'ensemble du groupe socialiste, cet excellent budget qui donne une priorité claire et volontariste à l'éducation. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Paul Blanc. Trop, c'est trop !
M. le président. La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller. « Ne manque pas de moyens, devrait faire mieux. »
Cette formule, qui apparaît bien souvent sur le livret scolaire de nos élèves, situe bien, aussi, me semble-t-il, le contexte dans lequel se place le débat budgétaire de ce jour. (M. le ministre délégué sourit.)
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au fil des ans, et par-delà les alternances politiques, l'éducation nationale a vu croître ses dotations financières.
Cette année encore, et nous le reconnaissons volontiers, l'effort est significatif. Il l'est d'autant plus que le nombre d'élèves accueillis est en baisse sensible et continuera de régresser au cours des années à venir.
La question qu'il convient, dès lors, de se poser est celle de savoir si un accroissement des moyens a nécessairement pour corollaire une amélioration des résultats.
L'expérience des dix dernières années montre que, si la mise en oeuvre de moyens appropriés est, certes, une condition nécessaire, elle ne saurait en aucune manière constituer une condition suffisante.
Le constat est, à cet égard, accablant. Il a suffisamment été évoqué au cours de ce débat pour que je ne le rappelle pas une fois de plus. Plus préoccupant encore, la situation a tendance à s'aggraver plutôt qu'à s'améliorer.
Depuis des décennies, les réformes ont succédé aux réformes, déstabilisant enseignants, parents et élèves. Il y a lieu de revenir à des objectifs simples, clairs, mais ambitieux et rigoureux, comme il est dans leur contenu nécessaire pour la mise en oeuvre des actions.
La même réflexion devra présider à l'organisation des collèges, où se conjuguent actuellement le niveau insuffisant d'un grand nombre d'élèves et tous les désordres d'une société en déshérence dont, précisément, les adolescents de 12 à 16 ans portent les signes les plus visibles.
Le collège devra impérativement échapper aux conceptions inadéquates qui président à son organisation actuelle, conceptions largement inspirées par des considérations plus dogmatiques et démagogiques que véritablement pédagogiques.
Il conviendra également de mieux sensibiliser les élèves de nos collèges à l'utilité de leur travail, afin de leur rendre la motivation qu'ils ont perdue.
A cet égard, il me paraît tout à fait essentiel que l'orientation soit conçue d'une manière continue tout au long de la scolarité au collège et largement ouverte sur le monde économique, avec ses exigences, mais aussi avec ses potentialités d'insertion et de promotion sociales.
Je salue la volonté exprimée par M. le ministre délégué à l'enseignement professionnel de revaloriser comme il le mérite cet enseignement envers lequel la société nourrit de si fortes attentes.
Je suis persuadé que la multiplication des visites d'entreprises, petites et grandes, et de courts séjours de découverte des métiers ouvrirait à nos jeunes, plus sans doute que les énormes forums, des horizons nouveaux, ranimant ainsi une motivation perdue du fait de l'échec scolaire et de l'absence de perspective.
On a beaucoup parlé des revendications lancinantes des directeurs d'école en faisant état de la modicité de leurs indemnités de fonction et du relatif arbitraire qui préside à l'attribution des décharges de service.
Il me semble que ce sont là les aspects les plus visibles d'un malaise beaucoup plus profond, qui concerne l'ensemble des maîtres de l'enseignement préscolaire et élémentaire.
Ce malaise tient à l'avalanche de circulaires qu'ils ont à lire, à interpréter, à transmettre et à mettre en oeuvre. Il tient à l'insécurité juridique qui entrave leurs initiatives. Il tient au rôle de médiateur et d'intervenant social qu'ils ont de plus en plus souvent à jouer. Il tient à la tension extrême dans laquelle trop souvent ils exercent leur métier.
Nous connaissons tous des enseignants « brisés » par leurs conditions de travail et pour lesquels chaque jour de classe est vécu comme un véritable cauchemar.
Ils ont impérativement besoin que leur soit restituée la sérénité sans laquelle il n'y a pas de communication possible entre eux et leurs élèves.
Je me réjouis de la volonté d'intégrer, autant qu'il est possible, les enfants handicapés dans un milieu scolaire dit normal. Il convient cependant de souligner ici que les 57 millions de francs consacrés au plan Handiscol représentent une somme dérisoire par rapport aux besoins correspondant à cette ambition. Aujourd'hui, ce sont, pour l'essentiel, des associations qui assurent, avec le concours financier des communes, l'accompagnement des élèves accueillis en milieu ouvert. Il ne faudrait pas que dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, la charge la plus importante du plan Handiscol finisse par peser surtout sur les collectivités locales.
M. Jean-Louis Lorrain. Très bien !
M. Daniel Eckenspieller. Dans le même ordre d'idées et pour terminer, je voudrais évoquer les déclarations que vous avez faites, monsieur le ministre, à la suite de votre prédécesseur, concernant l'initiation de nos élèves aux nouvelles technologies de communication, notamment l'accès aux possibilités offertes par Internet. Quelle est la réalité ?
Face à la carence de l'Etat, ce sont les collectivités territoriales qui équipent les écoles, qui les connectent, qui paient les abonnements et les communications.
M. Paul Blanc. Eh oui !
M. Daniel Eckenspieller. Ma ville a dépensé, en 1999 et 2000, environ un million de francs pour ouvrir l'accès aux nouvelles techniques de communication aux élèves de ses sept écoles élémentaires et de ses neuf écoles maternelles.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. C'est bien !
M. Jean-Louis Carrère. Très bien ! Il faut continuer !
M. Daniel Eckenspieller. Outre le fait que cela ne semble pas conforme à la répartition des compétences respectives de l'Etat et des collectivités locales, cette situation conduira inévitablement à d'importantes inégalités territoriales, alors qu'il appartient précisément à l'école de donner les mêmes chances à tous.
Le chantier que vous avez devant vous, monsieur le ministre, est considérable, et ses enjeux sont vitaux pour la nation. Les moyens ne vous ont pas été comptés. Il ne serait pas admissible que le dogmatisme, la démagogie et la prééminence du verbe sur l'action empêchent de mener avec courage et réalisme la véritable révolution dont notre système éducatif a tant besoin. (Très bien et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l'année dernière et les années précédentes, le budget scolaire est en augmentation. Cette augmentation pour satisfaisante qu'elle soit, attirant les félicitations des uns et des autres, est-elle la seule voie pour améliorer le fonctionnement de l'éducation nationale ? J'aurai tendance à répondre non !
M. Paul Blanc. Eh oui !
M. Pierre Martin. A l'occasion du centenaire du corps de contrôle des assurances, M. le ministre de l'économie et des finances ne disait-il pas que la France avait besoin de faire des progrès par rapport à « la culture du toujours plus de dépenses ». Ce dernier, dans son souci de réformer l'Etat, précisait que notre pays avait besoin d'accomplir des progrès indispensables vers le toujours plus, mais le toujours plus d'efficacité !
Pour ces dépenses, la solidarité est indispensable mais, pour être durable, la charge ne doit pas être reportée sur les générations futures, ce serait une solution de facilité.
Je ne serai pas de ceux, comme vous l'avez mentionné, monsieur le ministre, à l'Assemblée nationale, qui trouvent que l'éducation nationale regorge de moyens et de crédits jusqu'à frôler l'apoplexie. Je ne serai pas non plus de ceux qui affirment qu'elle en manque toujours.
L'homme de terrain que j'ai été dans l'enseignement scolaire et mes attaches au monde rural m'ont donné, du moins je l'espère, un certain sens de la mesure. J'ai appris par expérience qu'il fallait toujours essayer de faire mieux à partir de ce que l'on avait, avec, parfois, un peu d'imagination.
M. Jean-Louis Carrère. Il n'est pas normal qu'il soit chiraquien ! (Sourires.)
M. Pierre Martin. Disposant de plus, si l'opportunité se présentait, on ne pouvait, compte tenu des bonnes habitudes acquises, que faire encore mieux.
Est-il réaliste d'affirmer, comme ceux qui se contentent de raisonner d'une façon simpliste concernant l'éducation nationale, que « baisse d'effectifs égale baisse de moyens » ou « augmentation des problèmes dans l'enseignement scolaire, donc augmentation des crédits » ? L'objectivité doit toujours nous conduire à réfléchir pour dégager une solution ménageant un équilibre entre le quantitatif et le qualitatif et des solutions adaptées.
Il est patent que des problèmes existent dans nos écoles. Ils se multiplient même. Qu'attendez-vous, monsieur le ministre, pour lancer une véritable, une vraie réforme de l'éducation national que beaucoup attendent, une réforme qualitative.
Cette institution, cette vieille dame pleine de noblesse, notre école républicaine, lorsqu'elle offre à nos enfants la possibilité d'apprendre à apprendre, d'apprendre à lire, à compter, à écrire, d'apprendre à connaître, d'apprendre à savoir jouer un rôle dans notre société, elle remplit sa mission.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. C'est ce qu'elle fait !
M. Pierre Martin. A travers les propositions et les solutions que vous avez retenues, pensez-vous que vous accordez à l'éducation nationale les moyens d'assurer sa vocation ?
M. Jean-Louis Carrère. Oui ! (Sourires.)
M. Pierre Martin. Vous vous félicitez de quelque 12 838 emplois supplémentaires pour créer, notamment, des emplois de stagiaires, pour résorber la précarité de l'emploi dans le second degré. Les manques ont-ils vraiment bien été ciblés, quand on sait qu'un enseignant sur trois n'enseigne pas ?
Que penser des titulaires remplaçant en sureffectif dans les lycées...
M. Jean-Louis Carrère. C'était sous Bayrou !
M. Pierre Martin. ... - dix-sept professeurs dans un lycée de mille deux cents élèves,...
M. Paul Blanc. C'est vrai !
M. Pierre Martin. ... cinquante dans un lycée de deux mille à trois mille élèves - qui n'ont aucune obligation pédagogique, qui attendent, disent-ils, tranquillement chez eux qu'on les appelle et qui, avec le temps, créent une certaine démotivation chez les titulaires, en trouvant bien sûr à s'occuper par ailleurs ? Plutôt que l'Etat gérant, ne vaudrait-il pas mieux, monsieur le ministre, parler de l'Etat garant du service public ?
Ces 332 milliards de francs de crédits que vous nous demandez de voter aujourd'hui nous font immanquablement penser aux remarques formulées dans le rapport de la commission d'enquête présidée par M. Adrien Gouteyron et dont le titre était Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir. Redonner sens à l'autorisation budgétaire.
M. Jean-Louis Carrère. Il aurait pu les faire à l'inspection générale !
M. Pierre Martin. Cette politique inflationniste ne précise aucunement les contreparties qui pourraient être demandées aux enseignants et ne fixe aucun cap précis pour réformer l'éducation nationale. S'évertuer à décrocher des moyens nouveaux devrait entraîner une réflexion sur une nouvelle politique éducative. Je ne la décèle pas trop. Aussi faut-il espérer que l'objectif poursuivi n'est pas à usage uniquement électoraliste.
Le nombre des enseignants a augmenté de 40 % ces vingt dernières années, alors que les effectifs d'élèves, eux, n'ont progressé que de 17 %, laissant supposer une évolution vers une politique plus qualitative.
M. Jean-Louis Carrère. C'est vrai !
M. Pierre Martin. Les résultats montrent que ce n'est pas le cas. La démonstration est donc faite que des moyens supplémentaires n'ont pas toujours les effets attendus sur l'échec scolaire. Créer des postes, augmenter les crédits, c'est bien ! Savoir à quoi cela servira, c'est mieux !
N'oublions pas également que ces crédits importants sont abondés par des participations considérables des collectivités locales sans qu'il y ait un véritable partenariat entre ces dernières et l'Etat, sur la façon d'aborder les problèmes de l'éducation nationale. De nouvelles relations pourraient exister grâce à une poursuite de la décentralisation.
La réussite scolaire est peut-être à ce prix, mais elle est avant tout l'affaire de tous - parents, professeurs, élus et bénévoles - qui doivent être en droit d'émettre leur avis sur tous les sujets sans exclusive. Incontestablement, elle est fonction des ressources humaines de l'éducation nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué. Il faudrait savoir !
M. Pierre Martin. Monsieur le ministre, qu'en est-il de ces emplois-jeunes, aides-éducateurs dont on n'a toujours pas défini les horaires exacts ni mis sur pied et réalisé la formation réglementaire promise ? Plus inquiétant, les années passent, les questions surgissent et l'on s'interroge sur leur avenir en créant des observatoires académiques.
Devant le manque d'enseignants volontaires pour assumer les postes de direction, là aussi, monsieur le ministre, des questions se posent. Dans l'équipe pédagogique, l'esprit de groupe indispensable existe-t-il encore ? Supporte-t-on la présence d'un capitaine, le directeur ? Les enseignants ont-ils la volonté d'être des exemples, des interprètes, des acteurs qui méritent d'être imités ? La formation en IUFM prépare-t-elle à cela ? J'en doute !
M. René-Pierre Signé. Ils apprécieront !
M. Pierre Martin. Offrir aux enseignants le plaisir d'enseigner, le plaisir d'exercer certes une profession difficile mais un beau métier, c'est peut-être aussi, au-delà d'une reconnaissance certaine, leur donner le plaisir de voir leurs élèves réussir aux examens, pour autant qu'ils existent encore. Mais c'est certainement contribuer à la réussite scolaire des enfants, car un maître épanoui est une assurance et bien souvent une garantie pour l'épanouissement de ses élèves, nos enfants. Soyons toujours à la recherche de cette assurance qui, elle, sera une garantie pour éviter d'« apprendre à ignorer ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

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