SEANCE DU 28 MARS 2001


M. le président. « Art. 7. - L'article L. 2212-8 du même code est ainsi modifié :
« 1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l'intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l'article L. 2212-2. » ;
« 2° Les deux derniers alinéas sont supprimés. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Au-delà de l'impérieuse nécessité d'impulser une véritable politique d'information et d'éducation à la sexualité et à la contraception, nous devons également nous attacher à permettre aux femmes optant pour une interruption volontaire de grossesse de la subir dans les meilleures conditions possibles.
A cet égard, il est capital de rappeler avec force la nécessité, à la fois, de laisser à un médecin la faculté de faire jouer la clause de conscience lorsqu'il refuse de pratiquer une IVG, et de faire en sorte que l'invocation de cette clause ne fasse jamais obstacle à l'application de la loi. Tout comme nous devons respecter le choix du praticien de se soustraire à l'exercice de cet acte, le médecin doit respecter le choix de la femme d'avoir recours à cette intervention.
Or, à l'heure actuelle, l'article L. 2212-8 du code de la santé publique prévoit qu'un chef de service peut refuser d'organiser cet acte dans son service en invoquant la clause de conscience. L'article 7 du présent projet de loi vise à supprimer les deux derniers alinéas de l'article L. 2212-8, obligeant ainsi tout chef de service d'un hôpital public à assumer l'organisation de la pratique de l'IVG, si cela a été décidé par le conseil d'administration.
Cet article ajoute par ailleurs à l'obligation, pour le médecin, d'informer la femme désirant interrompre sa grossesse de son refus de pratiquer l'IVG, celle de communiquer à l'intéressée le nom de praticiens susceptibles de réaliser l'acte.
Ces dispositions me paraissent tout à fait justifiées en ce qu'elles tendent à réaffirmer le caractère de véritable mission de service public que constitue l'accès à l'IVG, sur les plans tant qualitatif que quantitatif. L'IVG doit être accessible à toutes les femmes, à n'importe quelle période, dans n'importe quelle région du territoire français.
Je le réaffirme hautement, la notion de service public implique un élément essentiel : la continuité. La continuité du service public est, vous le savez, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un devoir impératif de l'Etat et, pour les citoyens, un droit imprescriptible. Cette continuité est d'autant plus indispensable en ce qui concerne l'IVG, il s'agit de situations d'urgence et de profonde détresse.
Or, ce qui est au premier chef en cause dans la continuité de ce service public, ce sont les critères et le mode de recrutement des médecins qui le mettent en oeuvre. Supprimer la faculté pour un chef de service de faire barrage à toute possibilité d'IVG dans son service est nécessaire ; mais je crois tout aussi nécessaire d'inciter très vivement les hôpitaux publics comme les structures privées à recruter des médecins ne refusant pas a priori de pratiquer des IVG. Une unité, un service, un centre d'IVG ne peuvent fonctionner - et tous les praticiens concernés le reconnaissent très volontiers - qu'avec des personnels animés de la volonté d'y assurer un service et des prestations de qualité. Si l'on ne peut imposer à un médecin, chef de service ou non, la pratique de l'interruption volontaire de grossesse, il faut au moins veiller à ce qu'un nombre suffisant de praticiens acceptent, dans chaque centre d'IVG, de pratiquer cet acte.
Mon propos est d'autant plus pertinent que la situation actuelle révèle précisément, sur ce point comme sur d'autres, des disparités, tout à fait inadmissibles entre les différents services accueillant des femmes ayant choisi d'interrompre une grossesse, notamment selon la localisation de ces services.
Auditionné le 9 jenvier 2001 par la délégation aux droits des femmes, le Dr. Daniel Prévost, praticien hospitalier au centre d'orthogénie de Roubaix, s'est élevé, comme d'ailleurs nombre de ses collègues, contre les profondes inégalités qui existent entre les centres d'IVG selon leur région d'implantation, mais aussi selon leur régime juridique.
En période de vacances - et plus encore en période estivale - et dans certaines régions plus que dans d'autres, le recours à l'IVG peut se transformer en véritable parcours du combattant. Le rapport du Pr Nisand, remis à Mme Martine Aubry au mois de mars 1999, pointe d'ailleurs très clairement la fermeture, l'été, de certaines structures accueillant les femmes souhaitant une interruption volontaire de grossesse. Nul n'ignore qu'un tel état de fait entraîne précisément des grossesses non désirées, des dépassements des délais légaux, des départs à l'étranger, c'est-à-dire de véritables drames !
Bien entendu, je n'ignore pas que, l'an dernier, un abondement budgétaire supplémentaire de 12 millions de francs à permis des recrutements supplémentaires de personnels médicaux, avec, notamment, un accroissement des vacations médicales. Porté à 15 millions de francs pour 2001, cet effort est louable, mais insuffisant. Il doit être poursuivi et accru car, vous ne l'ignorez pas, de nombreux centres d'IVG demeurent en difficulté faute de moyens suffisants en personnels.
Par ailleurs, je regrette l'absence, dans le projet de loi, de toute mention concernant les moyens en appareils médicaux que l'allongement des délais de l'IVGn certes bienvenu, nécessite. Le Pr Michel Tournaire, chef du service de gynécologie obstétrique à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul et président du groupe de travail de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, sur l'IVG - vous le savez, madame la secrétaire d'Etat - de même que le Dr Clara Pélissier, présidente de la société française de gynécologie, ont souligné, avec d'autres, que les techniques d'IVG pouvaient être différentes selon l'état d'avancement de la grossesse et que la fixation du délai à douze semaines de grossesse devrait nécessairement s'accompagner d'un aménagement technique de la plupart des centres d'IVG et d'une formation adpatée de leurs personnels médicaux et non médicaux.
J'espère vivement, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, qu'un effort financier réel sera engagé par l'Etat pour que soient appliquées ces nouvelles dispositions. Elles permettront à plusieurs milliers de femmes de ne pas partir à l'étranger pour interrompre une grossesse non désirée.
La clé fixant le tarif d'une IVG - actuellement K 30 - devra également être modifiée, du fait de la nature des IVG réalisés entre dix et douze semaines. Sans augmentation de la clé, c'est évident, le nombre de médecins acceptant de pratiquer des IVG sera réduit à la portion congrue. Emergera alors à coup sûr, dans chaque centre, une politique restrictive de quotas d'IVG.
Cette idée de déterminer un nombre maximum d'IVG afin de ne pas dépasser les budgets menace les droits de celles que le projet de loi se donne justement pour objectif d'aider. Ne laissons pas les suites financières données à cette loi devenir un piège et déboucher sur un contresens !
Enfin - et ce sera le dernier point de mon intervention - je tiens à souligner que, si les moyens du service public de l'IVG sont, notamment de l'avis des praticiens concernés eux-mêmes, très insuffisants, on observe également une crise nette de l'engagement médical au service des interruptions volontaires de grossesse.
Activité éprouvante n'offrant guère de motifs de satisfaction et relativement méprisée par une partie du corps médical, l'IVG fait l'objet de rémunérations on ne peut moins attractives : de 200 à 400 francs, par exemple, par demi-journée de présence dans le service pour les praticiens contractuels !
Les générations de médecins militants qui ont combattu pour la loi Veil ne sont pas remplacées par des praticiens plus jeunes, que rien n'attire dans cette activité.
Un phénomène de démographie médicale, en chute libre, se fait donc jour dans cette branche, menaçant gravement la continuité et la qualité du service public de l'IVG et affectant durement la réalité du droit des femmes à l'interruption volontaire de grossesse.
Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, le projet de loi répond à une situation pour laquelle une solution doit être trouvée : 7 000 femmes sont obligées d'aller hors de France, dans un autre pays européen, pour interrompre une grossesse. Cela n'est plus tolérable !
M. le président. Veuillez conclure, je vous prie, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'en termine, monsieur le président !
Il est donc indispensable que des moyens financiers et en personnels soient alloués à nos centres hospitaliers pour que les femmes, toutes celles qui le souhaitent, puissent exercer leur liberté de choisir l'interruption volontaire de grossesse, avec toutes les garanties médicales auxquelles elles ont droit, et de le faire le plus tôt possible, dès les premières semaines de la grossesse et, en tous les cas, dès qu'elles le désirent.
M. le président. Par amendement n° 47, Mmes Campion, Dieulangard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de remplacer le dernier alinéa (2°) de l'article 7 par deux alinéas ainsi rédigés :
« 2° Les deux derniers alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les établissements hospitaliers appartenant aux catégories mentionnées à l'alinéa précédent, chaque fois que le nombre d'interruptions de grossesse et le volume de l'activité orthogénique le nécessitent, le responsable du service organise en son sein une unité fonctionnelle. Celle-ci doit comprendre à la fois une activité de planification de contraception et d'interruptions volontaires de grossesse. »
La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Cet amendement vise à assurer l'existence d'unités fonctionnelles et à mieux les identifier.
En effet, il apparaît clairement que, lorsqu'elles existent, ces structures sont celles qui fonctionnent le mieux et réalisent dans de bonnes conditions un nombre d'IVG répondant à la demande.
En effet, les huit cent unités fonctionnelles réparties sur notre territoire jouent, du fait de leur organisation et de leur statut, un rôle extrêmement important.
Rappelons qu'elles sont composées d'équipes plus soudées et plus à l'écoute, car ce sont des personnes volontaires. Rappelons encore qu'elles sont les protagonistes du développement de techniques nouvelles, comme la méthode médicamenteuse, par exemple. Soulignons enfin que ce mode de fonctionnement permet de ne pas mélanger au sein du même service les femmes qui viennent pour une interruption de grossesse et celles qui viennent pour un accouchement.
Pour toutes ces raisons, je voudrais, madame la secrétaire d'Etat, monsieur le ministre, qu'on ne les oublie pas et que le Gouvernement nous assure qu'elles disposeront des moyens nécessaires pour continuer le travail remarquable qu'elles font.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Francis Giraud, rapporteur. La commission souhaiterait entendre d'abord l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est, dans ces conditions, l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je me sens extrêmement important. (Sourires.)
M. le président. Mais vous l'êtes !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. M. le président est trop bon ! (Nouveaux sourires.)
Je ne commencerai pas par la réponse. Mais, de vous à moi, madame, je voudrais, moi aussi, pouvoir disposer de l'argent dont j'ai besoin, notamment pour transformer en profondeur notre système de soins !
La difficulté, c'est que, dans notre système, il y a, d'un côté, la dépense et, de l'autre, l'argent, qui vient d'ailleurs.
Mme Hélène Luc. C'est parce que nous voulons vous aider !
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Je vous demande de continuer, car je ne suis pas au bout de mes peines !
Si j'avais l'argent, je vous le donnerais tout de suite ! Seulement, voilà : l'argent est celui des Français, il circule dans un autre système, il est bloqué dans une enveloppe fermée tous les ans, etc. C'était là un aparté.
J'en viens maintenant à la réponse officielle.
Dans les établissements de pensée publique... Quel lapsus, car je voudrais précisément un établissement de pensée publique pour la santé publique !
Dans les établissements publics de santé, voulais-je dire, qui sont tenus d'assurer une activité d'IVG, le conseil d'administration doit organiser cette activité, comme toute autre activité médicale, conformément aux dispositions du 5e alinéa de l'article L. 6143-1 et des articles L. 6146-1 à L. 6146-8 du code de la santé publique qui fixent l'organisation médicale de droit commun des établissements publics de santé, laquelle est nécessairement constituée en unités fonctionnelles, services ou départements, voire en structures libres.
L'organisation proposée, qui regroupe activités d'orthogénie et activités d'IVG, est logique. Mais, en tout état de cause, il appartient au chef de service ou de département d'assurer la conduite générale du service ou du département et d'organiser son fonctionnement technique, dans le respect de la responsabilité médicale de chaque praticien et des missions dévolues à chaque unité fonctionnelle par le projet de service ou de département, comme le précise l'article L. 6146-5 du code de la santé publique.
Pour ce qui est de l'activité d'orthogénie elle-même, elle est assurée par les organismes de planification, d'éducation et de conseil familial. Les établissements publics de santé qui assurent les IVG doivent obligatoirement comporter un centre d'éducation familiale ou de planification agréé, aux termes de l'article 2 du décret n° 88-59 du 18 janvier 1988 pris en application des articles L. 2212-8 et L. 2212-9 du code de la santé publique.
Afin d'améliorer l'organisation de l'activité des centres d'orthogénie, des crédits d'un montant total de 12 millions de francs, destinés à créer des postes de praticiens dans les établissements publics, ont été accordés à l'ensemble des régions en fin d'année 1999. Cet effort sera poursuivi à hauteur de 15 millions de francs en 2001. Je note au passage que lesdits praticiens sont horriblement mal payés et qu'ils ont vraiment du mérite à continuer d'exercer !
Permettez-moi de rappeler que le budget total alloué cette année à l'ensemble du dispositif de soins et de santé publique dans notre pays est de 900 milliards de francs ; vous pouvez, à cet égard, vous reporter à l'excellent document sur la santé publique que j'ai publié hier. Là, nous en sommes à 15 millions de francs. Vous voyez l'effort...
De surcroît, un groupe national d'accompagnement et d'appui des centres d'IVG sera mis en place dès la publication de la loi. Composé de responsables hospitaliers, de médecins, d'infirmières et de personnalités qualifiées, il sera chargé de proposer les mesures nécessaires à l'amélioration de l'organisation des activités d'IVG.
J'ai donc le regret, madame, de devoir être contre votre amendement, mais, aux termes de la loi, il ne peut en être autrement.
M. Francis Giraud, rapporteur. Très bien !
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean Delaneau, président de la commission. La commission a souhaité que M. le ministre donne son avis avant qu'elle n'indique le sien, mais elle aurait pu exprimer celui-ci dans les mêmes termes.
Les unités fonctionnelles peuvent figurer dans les projets que font les chefs de service. Ensuite se déroule une discussion avec les agences régionales de l'hospitalisation, qui disposent éventuellement, dans le cadre de la dotation régionale, d'un certain nombre de crédits supplémentaires - vous avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, que ces 12 millions de francs étaient répartis au niveau régional.
Dès lors, cette question n'est pas du ressort de la loi.
M. le président. Madame Campion, l'amendement n° 47 est-il maintenu ?
Mme Claire-Lise Campion. Non. Nous le retirons, et nous remercions M. le ministre de ses explications.
M. le président. L'amendement n° 47 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7 bis