SEANCE DU 3 AVRIL 2001


SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Décès d'un ancien sénateur (p. 1 ).

3. Questions orales (p. 2 ).

droit du travail et activités des maîtrises
de chant et de musique (p. 3 )

Question de M. Bernard Fournier. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Bernard Fournier.

4. Souhaits de bienvenue à une délégation du Parlement hongrois (p. 4 ).

5. Questions orales (suite) (p. 5 ).

usage abusif du droit de réquisition
des médecins généralistes de dordogne (p. 6 )

Question de M. Xavier Darcos. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Xavier Darcos.

devenir de l'association solidarité enfants sida (p. 7 )

Question de M. Robert Bret. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Guy Fischer, en remplacement de M. Robert Bret.

effets de seuil
de la couverture maladie universelle (p. 8 )

Question de M. Fernand Demilly. - MM. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire ; Fernand Demilly.

couverture du département de l'orne
par les réseaux de téléphonie mobile (p. 9 )

Question de M. Daniel Goulet. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Daniel Goulet.

diminution des effectifs des perceptions
des pyrénées-orientales (p. 10 )

Question de M. Paul Blanc. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Paul Blanc.

accès forfaitaire à internet (p. 11 )

Question de M. Jean-Paul Hugot. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Jean-Paul Hugot.

développement des nouvelles technologies
en zone rurale (p. 12 )

Question de M. René-Pierre Signé. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. René-Pierre Signé.

conséquences de la professionnalisation
de l'armée (p. 13 )

Question de M. Alain Gournac. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Alain Gournac.

situation des titulaires d'un doctorat
bénéficiant d'un emploi-jeune (p. 14 )

Question de M. Louis Souvet. - Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget ; M. Louis Souvet.

remise en circulation du tunnel
de sainte-marie-aux-mines (p. 15 )

Question de M. Jean-Louis Lorrain. - Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement ; M. Jean-Louis Lorrain.

concession de terrain faite par la sncf
à une entreprise privée de concassage industriel
sur la commune de montigny-le-bretonneux (yvelines) (p. 16 )

Question de M. Nicolas About. - Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement ; M. Nicolas About.

financement du réseau d'eau potable (p. 17 )

Question de M. Bernard Piras. - MM. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Bernard Piras.

situation des locataires taxis (p. 18 )

Question de Mme Nicole Borvo. - M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Mme Nicole Borvo.

délinquance et dépénalisation du cannabis (p. 19 )

Question de M. Jacques Donnay. - MM. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer ; Jacques Donnay.

recours excessif à la procédure
de mise à disposition des agents publics (p. 20 )

Question de M. Jacques Oudin. - MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Jacques Oudin.

conséquences de la crise de la vache folle
en charente (p. 21 )

Question de M. Henri de Richemont. - MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Henri de Richemont.

Suspension et reprise de la séance (p. 22 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

6. Eloge funèbre de Pierre Jeambrun, sénateur du Jura (p. 23 ).
MM. le président, Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Suspension et reprise de la séance (p. 24 )

7. Rappel au règlement (p. 25 ).
Mme Nicole Borvo, M. le président.

8. Candidature à une commission. (p. 26 ).

9. Prime pour l'emploi. - Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 27 ).
Discussion générale : MM. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances.

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

MM. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ; Michel Sergent, Gérard Braun, Philippe Nogrix, François Trucy, Roland Muzeau.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.
Clôture de la discussion générale.

Article unique (p. 28 )

Mmes Marie-Claude Beaudeau, le secrétaire d'Etat.
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. Michel Charasse. - Adoption par scrutin public.
Amendement n° 5 de M. Philippe Nogrix. - MM. Philippe Nogrix, Gérard Braun, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances ; Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Amendement n° 4 de M. Claude Huriet. - MM. Philippe Nogrix, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 6 de M. Philippe Nogrix. - MM. Philippe Nogrix, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 2 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, MM. Charles Descours, Michel Charasse. - Adoption.
M. Bernard Angels.
Adoption de l'article unique modifié.

Intitulé du projet de loi (p. 29 )

Amendement n° 3 de la commission. - Adoption de l'amendement modifiant l'intitulé.

Vote sur l'ensemble (p. 30 )

M. Philippe Adnot.
Adoption du projet de loi.

10. Nomination d'un membre d'une commission (p. 31 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 32 )

11. Loi d'orientation sur la forêt. - Discussion d'un projet de loi (p. 33 ).
Discussion générale : MM. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche ; Philippe François, rapporteur de la commission des affaires économiques ; Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Yann Gaillard, Philippe Richert, Ladislas Poniatowski, Bernard Joly, Gérard Le Cam, Jean-Marc Pastor, Gérard Braun, Jean-Paul Amoudry, Xavier Pintat, Bernard Dussaut, Guy Vissac, Bernard Barraux, Marcel Vidal.
Renvoi de la suite de la discussion.

12. Transmission d'un projet de loi (p. 34 ).

13. Dépôt de propositions de loi (p. 35 ).

14. Transmission d'une proposition de loi (p. 36 ).

15. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 37 ).

16. Dépôt d'un rapport (p. 38 ).

17. Dépôt d'un rapport d'information (p. 39 ).

18. Ordre du jour (p. 40 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. Mes chers collègues, c'est avec une très grande émotion que nous avons appris le décès, le 27 mars dernier, de notre ancien collègue André Fosset.
Sénateur de la Seine, puis des Hauts-de-Seine, André Fosset fut un grand parlementaire.
Elu plus jeune conseiller municipal de Paris en 1945, André Fosset entra à la toute fin de la IVe République au Sénat, où il fut un parlementaire dynamique, actif et très apprécié de ses collègues.
S'il fut ministre de la qualité de la vie en 1976, dans le gouvernement de Jacques Chirac, c'est parmi nous qu'il exerça les fonctions les plus éminentes : questeur, président du groupe centriste, président de la délégation du groupe français de l'union interparlementaire.
En 1995, il prit la décision de se retirer, au terme d'un demi-siècle d'une carrière publique bien remplie, commencée dans la Résistance.
Au nom du président du Sénat et du Sénat tout entier, j'exprime à son épouse, à ses enfants, à toute sa famille, ainsi qu'aux membres du groupe de l'Union centriste, notre sympathie attristée et nos sincères condoléances.

3

QUESTIONS ORALES

M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

DROIT DU TRAVAIL ET ACTIVITÉS
DES MAÎTRISES DE CHANT ET DE MUSIQUE

M. le président. La parole est à M. Fournier, auteur de la question n° 982, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Bernard Fournier. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question s'adresse à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les maîtrises de musique et de chant, en assurant un enseignement artistique sur notre territoire, remplissent une mission fondamentale au regard de l'éveil musical de nos enfants.
Cependant, ces maîtrises rencontrent de manière récurrente de graves difficultés, qui ont pour origine l'interprétation des textes relatifs au travail des enfants.
On a vu récemment le président d'une maîtrise importante mis en examen pour emploi de main-d'oeuvre irrégulière, comme un vulgaire employeur de travailleurs clandestins. En effet, les maîtrises semblent tomber sous le coup de la législation lorsqu'elles assurent des spectacles dans lesquels les enfants font valoir leurs talents musicaux.
La loi, dans toute sa rigueur, semble prohiber ces pratiques lorsque les concerts font l'objet d'un droit d'entrée pour les auditeurs, car la présomption légale découlant de l'application de l'article L. 762-1 du code du travail confère alors aux maîtrises le statut d'employeur.
Il faut rappeler ici que l'enseignement dispensé par les maîtrises est gratuit. Il n'est donc pas erroné de parler de service public de l'enseignement musical. Quant au concert il est, on peut le dire, une sorte de cas pratique grandeur nature.
Des indications ont été demandées aux inspections académiques et aux directions du travail sans qu'il puisse en ressortir d'éléments suffisamment éclairants pour permettre tant aux élèves qu'aux enseignants de connaître incontestablement le régime juridique applicable.
Cette insécurité juridique qui naît de l'application stricte du droit du travail est de nature à entraver les efforts déployés durant de longues années par les écoles de musique.
Il n'est naturellement aucunement question de revenir sur la prohibition du travail des enfants. Il conviendrait néanmoins que le cadre légal dans lequel les maîtrises pourront continuer à donner des concerts avec des enfants soit précisé. Les concerts publics constituent non pas un travail des élèves, mais bien un élément fondamental de la formation de ces jeunes chanteurs et musiciens, parmi lesquels se trouve bien souvent l'élite musicale future.
C'est pourquoi je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir m'indiquer, d'une part, le cadre légal applicable, selon le droit du travail, à ces prestations et, d'autre part, les perspectives d'assouplissement si la présomption de travail aux termes de l'article L. 762-1 s'appliquait intégralement.
M. le président La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. Monsieur le sénateur, vous posez la question des conditions d'application des textes relatifs au travail des enfants aux maîtrises de musique et de chant qui organisent des concerts dans lesquels des enfants se produisent et celle de l'insécurité qui, selon vous, résulterait d'une application trop stricte de ces textes.
Je vous rappelle, tout d'abord, que l'emploi par une entreprise de spectacle d'enfants qui ne sont pas dégagés de l'obligation scolaire est subordonné à une autorisation individuelle préalable accordée par le préfet, après avis conforme d'une commission spécialisée.
Les organismes qui dispensent à des mineurs un enseignement musical et qui assurent des spectacles d'enfants payants dans lesquels ces enfants se produisent ne doivent tirer aucun bénéfice de la prestation des enfants autre que celui leur permettant de couvrir les frais d'organisation du spectacle. La participation bénévole des enfants peut, à ce titre, être admise.
S'agissant de la situation particulière de certaines maîtrises participant à des activités à caractère lucratif et des suites données aux constats qui ont pu être dressés par les services de l'inspection du travail, il appartient à l'autorité judiciaire de se prononcer.
Cela étant, les services de Mme Guigou ont entrepris, avec ceux du ministre de la culture, une réflexion sur une évolution éventuelle de ce cadre législatif applicable aux maîtrises de musique et de chant pour essayer d'éviter les situations comparables à celles que vous avez signalées.
M. Bernard Fournier. Je demande la parole.
M. le président. la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous avez bien voulu m'apporter. Je note plus particulièrement qu'une réflexion est actuellement en cours concernant le problème que je viens de soulever. Je serai très attentif aux travaux de la commission qui est mise en place.

4

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE
DÉLÉGATION DU PARLEMENT HONGROIS

M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une délégation du Parlement hongrois.
Elle est conduite par le président de la commission de la santé, le docteur Mihaly Kökeny.
Cette délégation est venue analyser notre système de santé et préparer l'entrée dans l'Union européenne de la République hongroise. Nous saluons ses membres et souhaitons que leurs travaux soient particulièrement fructueux. Au cours de cette journée, ils rencontreront nos collègues de la commission des affaires sociales. (M. le secrétaire d'Etat, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

5

QUESTIONS ORALES (suite)

M. le président. Nous reprenons les réponses à des questions orales.

USAGE ABUSIF DU DROIT DE RÉQUISITION
DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES DE DORDOGNE

M. le président. La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 1017, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Xavier Darcos. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans la semaine du 23 décembre au 2 janvier derniers, le droit de réquisition a été utilisé à l'encontre de cent vingt des quatre cents médecins généralistes que compte le département de la Dordogne.
Pour justifier sa décision, le préfet en exercice de ce département s'est fondé sur une loi du 11 juillet 1938 portant sur l'organisation générale de la nation en temps de guerre, sans la moindre concertation préalable avec la profession, qui l'avait pourtant réclamée.
Les médecins périgourdins réquisitionnés ont été soumis à des conditions de travail inacceptables, avec deux cent vingt-huit heures consécutives d'injonction de travail, ce qui a pu mettre en danger non seulement leur santé, mais aussi la vie de leurs patients.
De telles pratiques sont en contradiction avec la politique du Gouvernement, qui oeuvre pour l'allégement des rythmes de travail et défend le principe de précaution.
Pourriez-vous donc, monsieur le secrétaire d'Etat, me donner des explications sur les raisons qui ont pu conduire à ces conditions exceptionnelles de réquisition, lesquelles ne correspondent aucunement aux pratiques en usage dans les secteurs d'activité mettant en jeu la responsabilité ou la sécurité collective ?
Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour réparer le préjudice subi par ces médecins réquisitionnés ?
Par ailleurs, je souhaiterais aborder un thème plus général, celui du maintien d'un service public minimum en cas de grève dans les secteurs ou les entreprises remplissant une mission de service public.
En 1997, une proposition de loi portant le numéro 451 avait été déposée sur le bureau du Sénat. Elle visait à inviter les partenaires sociaux et les employeurs, au sein des services publics, à négocier des accords sur la prévention des conflits. Le 3 février 1999, la commission des affaires sociales du Sénat a examiné cette proposition de loi, par un rapport remarquable de M. Huriet portant le numéro 194 et annexé au procès-verbal de la séance du jour, en insistant sur les insuffisances du dialogue social en France. Ces observations confirmaient un avis précédent, en date du 11 février 1998, adopté par le Conseil économique et social et qui mettait opportunément l'accent sur la nécessité de développer des procédures de conciliation, de médiation ou d'arbitrage dans les conflits du travail, car trop souvent ceux-ci sont traités à un échelon inadéquat, et les conséquences en sont lourdes lorsque l'intérêt général est en cause.
Le Sénat, souvent précurseur dans les domaines de la vie économique et sociale ou de l'éthique, avait suggéré que le service minimum soit envisagé comme une solution ultime dans l'hypothèse d'un échec du dialogue social.
Si les propositions de la Haute Assemblée relatives à l'obligation de négociation avaient été prises en considération, le conflit intéressant les médecins généralistes de Dordogne ne se serat jamais déroulé dans les conditions inacceptables et périlleuses que je viens de rappeler. Monsieur le secrétaire d'Etat, la France est, avec le Royaume-Uni, le seul pays de l'Union européenne à ne pas avoir adopté des règles pour qu'il ne soit recouru à la grève qu'en cas d'échec du dialogue social. Quelles mesures concrètes le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour relancer ce dialogue ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. Monsieur le sénateur, je répondrai tout d'abord à la première partie de votre question, et j'en viendrai ensuite à la seconde, qui était moins prévisible.
Vous avez souligné les difficultés ayant été engendrées par l'usage, que vous estimez abusif, du droit de réquisition à l'encontre des médecins généralistes du département de la Dordogne durant la période du 23 décembre 2000 au 2 janvier 2001.
D'une part, la loi du 11 juillet 1938, que vous avez évoquée, pose en son article 31 le principe de l'obligation de déférer aux réquisitions de l'autorité publique, y compris en temps de paix, des sanctions étant prévues en cas de refus. La loi susvisée demeure à ce jour le texte de référence en matière de réquisition.
D'autre part, il ressort de l'examen détaillé des faits intervenus au cours de la période concernée que le conseil départemental de l'ordre des médecins a, conformément à sa mission de service public consistant à réglementer l'exercice de la profession, tenté, mais sans succès, d'effectuer un recensement des médecins grévistes. Il a alors été procédé à réquisition par les services de la DDASS, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, sur le fondement des dispositions précitées. C'est de propos délibéré que les réquisitions ont concerné de nombreux praticiens sur l'ensemble de la période, afin que ceux-ci s'organisent entre eux et que la charge effective pour chacun soit allégée. Dans un souci de concertation, la DDASS a alors organisé, avec l'ensemble des syndicats médicaux, une réunion dont l'objet était de proposer la levée partielle des réquisitions, sous réserve que le service minimum soit assuré. Les syndicats ont refusé cette proposition, laquelle a néanmoins été mise en oeuvre.
Dans ces conditions, les services de l'Etat ont déployé le maximum d'efforts afin de concilier la nécessité d'assurer la continuité de la prise en charge sanitaire de la population, laquelle impliquait des réquisitions, et le principe de la liberté d'exercice.
Je crois qu'il s'agit de cas tout à fait exceptionnels et, pour élargir mon propos, puisque vous-même l'avez fait, monsieur le sénateur, j'indiquerai qu'il faut hiérarchiser les situations. Certes, il est évident que nous vivons dans un pays où nous devons, les uns et les autres, travailler à enrichir le dialogue social et à dégager des consensus pour éviter de déboucher sur des conflits. Cela étant, ne pas pouvoir prendre un train le matin est une chose, être gravement malade et ne pouvoir trouver aucun médecin qui soit disponible dans un périmètre raisonnable en est une autre.
Il faut donc, c'est une évidence, oeuvrer en faveur du dialogue social et respecter les libertés fondamentales, notamment l'exercice du droit de grève, mais aussi, quand c'est nécessaire, prendre les mesures qui s'imposent dans des situations d'exception.
Vous avez affirmé, monsieur le sénateur, que le nombre d'heures de travail fournies par les médecins requis a mis en danger la santé des praticiens et celle des patients ; mais croyez-vous que la situation aurait été meilleure si aucun médecin n'avait été disponible ? Pour ma part, je crois que non.
M. Xavier Darcos. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse. Cela étant, s'il est vrai que la situation était exceptionnelle, je persiste à penser qu'il est contradictoire et inacceptable que l'on puisse réquisitionner les médecins alors que, lorsque le service public est en grève, on ne peut réquisitionner personne.
Je pense qu'il y a deux poids deux mesures. Dans le cas d'espèce que j'ai cité, on a requis des médecins tandis que, lorsque le service public se trouve désorganisé pour des motifs dérisoires, égoïstes et reflétant des intérêts purement privés, le Gouvernement paraît subitement muet. (M. About applaudit.)
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat. Monsieur le sénateur, il est toujours aisé de dire que les raisons qui conduisent telle ou telle catégorie de personnes à décider de se mettre en grève sont dérisoires et égoïstes. Ceux qui liront les comptes rendus de nos débats apprécieront vos propos. Pour ma part, j'estime que de tels commentaires peuvent amener à vouloir s'attaquer progressivement au droit de grève lui-même. Nous avons sans doute, sur ce dossier, des points de vue très différents.
M. Nicolas About. Les moyens d'aller travailler sont plus importants que la télévision ! Or, à la télévision, un service minimum est organisé !

DEVENIR DE L'ASSOCIATION
« SOLIDARITÉ ENFANTS SIDA »

M. le président. La parole est à M. Fischer, en remplacement de M. Bret, auteur de la question n° 1028, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Guy Fischer. Monsieur le secrétaire d'Etat, courant octobre 2000, Robert Bret avait attiré l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur le devenir de l'association Sol en Si, qui connaissait, et connaît toujours, de sérieux problèmes financiers pouvant être lourds de conséquences.
En effet, l'association se trouvait dans une situation financière telle qu'elle risquait d'être amenée à envisager des restructurations, dans chacun des sept centres d'accueil qu'elle gère, allant de la fermeture d'accueils de nuit à des licenciements économiques, restructurations qui auraient remis en cause, bien évidemment, le fonctionnement des divers services de soutien mis en place pour répondre aux besoins des enfants et de leurs parents touchés par le sida.
Mais, à l'heure où je parle, la situation semble avoir évolué, puisque je crois savoir que le Gouvernement a décidé de débloquer des fonds, ces derniers devant permettre, dans un premier temps, de parer au plus urgent.
Force est de constater que nos diverses interventions n'auront pas été vaines, et nous nous en félicitons. Nous estimons, en effet, qu'il incombe à l'Etat, au titre de la lutte contre les exclusions et les inégalités en matière de santé, de contribuer au financement des actions visant à lutter contre le sida à l'échelon des collectivités, des institutions et surtout des associations. Il n'était que temps de reconnaître enfin le bien-fondé de l'activité de Sol en Si et de lui permettre, dès lors, d'exister pleinement.
Créée en 1990 et reconnue d'utilité publique par décret du 5 juillet 1996, l'association Sol en Si a pris son essor et affirmé sa raison d'être à une époque où les familles touchées par le sida se trouvaient face à un grand vide. Il serait inconcevable et inacceptable de voir ce réseau d'aide péricliter, à l'heure où l'efficacité des nouveaux traitements permet à de nombreuses familles de pouvoir enfin envisager l'avenir non plus à court terme, mais selon des échéances un peu plus lointaines.
L'association, qui a toujours fonctionné, pour l'essentiel, grâce à des fonds privés, et, pour un tiers, grâce à des fonds publics, a vu ses moyens financiers baisser de façon très inquiétante.
Pourtant, le sida frappe toujours et l'efficacité des nouveaux traitements a modifié le rôle et le fonctionnement de Sol en Si, qui apporte un soutien psychologique, moral et matériel, dans la durabilité dorénavant.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous préciser quelles sont les intentions de l'Etat et à quelle hauteur celui-ci compte s'engager pour subvenir aux besoins de cette structure et mettre fin à cette crise financière.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. Monsieur le sénateur, l'association « Solidarité Enfants Sida », plus connue sous le nom de Sol en Si, mène une action tout à fait exemplaire en matière d'aide et de solidarité au profit des familles et des enfants touchés par le sida. A cette fin, elle a créé et développé des lieux d'accueil, de rencontre, d'échange ouverts aux enfants et aux adultes concernés. Elle y organise des actions permettant de leur apporter un soutien à la fois matériel, social et psychologique.
Depuis l'origine, c'est-à-dire depuis 1990, elle est financée en majeure partie par l'appel aux dons, par la vente de disques et par d'autres ressources permises notamment par un fort investissement d'artistes soutenant son action. Les pouvoirs publics, les collectivités territoriales intéressées et les organismes sociaux financent également l'activité de Sol en Si dans l'optique de leurs compétences respectives : sur un budget prévisionnel global de l'ordre de 26 millions de francs au titre de l'année 2000, les subventions ont ainsi représenté plus de 7,5 millions de francs, près de la moitié de cette somme provenant du ministère de l'emploi et de la solidarité.
Toutefois, comme vous l'avez souligné, monsieur Fischer, l'association a fait état de difficultés de trésorerie au cours de cet exercice. Ses responsables ont été reçus au cabinet de Mme la ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées. Dans l'immédiat et pour faire face à l'urgence, une subvention de 50 000 francs lui a été allouée, sur sa demande, pour l'aider à affronter des problèmes conjoncturels. Le dossier est suivi de près, afin d'étudier plus précisément comment la situation pourrait être complètement assainie, de manière que cette association, qui accomplit un travail tout à fait remarquable, ne disparaisse pas du « paysage » français, ce qui serait dommageable à tout point de vue.
M. Guy Fischer. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le secrétaire d'Etat, je me réjouis qu'une somme de 50 000 francs ait été allouée à Sol en Si. Cela dit, je doute encore que ce montant soit à la hauteur des attentes et surtout des difficultés, d'autant que cette association a fait ses preuves, et ce depuis des années, remplissant une mission de service public grâce au mécénat, au bénévolat et à d'autres formes de volontariat.
Du devenir de l'association Sol en Si dépend bien évidemment le bon fonctionnement des divers services de soutien mis en place pour répondre aux besoins des enfants et de leurs parents touchés par le sida, d'où l'impérieuse nécessité de débloquer des fonds, qui à mon avis devraient être plus importants que les 50 000 francs annoncés aujourd'hui, afin que cette association puisse mener à bien la tâche qu'elle s'est fixée et que la seule bonne volonté ne suffirait pas à remplir.
Le Gouvernement doit accentuer le travail effectué par les volontaires et bouleverser le principe ancré peu à peu qui veut que les associations et les bénévoles se suffisent à eux-mêmes.
Bien des choses restent à faire si l'on veut que l'accès aux soins ne demeure pas hors de portée de la majorité des personnes vivant avec le sida, et l'on sait que ce sont les plus exclus qui sont confrontés à cette situation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat se doit d'être un partenaire à la hauteur, aujourd'hui et dans les années à venir.

EFFETS DE SEUIL DE LA COUVERTURE
MALADIE UNIVERSELLE

M. le président. La parole est à M. Demilly, auteur de la question n° 1025, adressée à M. le ministre délégué à la santé.
M. Fernand Demilly. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le ministre délégué à la santé et concerne les effets de seuil de la couverture maladie universelle, la CMU.
Le plafond des ressources arrêté par les pouvoirs publics à 3 600 francs pour bénéficier de la CMU complémentaire entraîne des cas d'exclusion, notamment celle des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés et de ceux du minimum vieillesse.
Les caisses primaires d'assurance maladie demandent aux départements de s'associer à une action d'incitation et de soutien envers ces personnes, dont le revenu est compris entre 3 600 francs et 3 800 francs, ce qui correspond au seuil de pauvreté, et qui n'adhèrent pas à un organisme complémentaire.
Les crédits consacrés par le département à la prise en charge de l'aide médicale au profit des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés et du minimum vieillesse ont été prélevés sur la dotation globale de fonctionnement et restitués à l'Etat. Or, aujourd'hui, les départements sont sollicités pour consacrer de nouveaux crédits à l'aide facultative destinée à pallier les effets de seuil induits par la loi.
Une telle mesure viendrait contredire le caractère universel de la CMU et aurait pour conséquence d'introduire une nouvelle aide individuelle attribuée après appréciation de la situation particulière des intéressés et variant selon les départements.
Je demande donc au Gouvernement quelles mesures il compte prendre pour ne pas solliciter une fois encore les deniers des collectivités pour un programme centralisé.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire. Monsieur le sénateur, à la fin de janvier 2001, près de 5,1 millions de personnes bénéficiaient de la CMU. Cela représente une augmentation de 50 % par rapport aux 3,4 millions de personnes qui percevaient, avant le 1er janvier 2000, l'aide médicale gratuite des départements. Sous ce seul aspect quantitatif, en ayant permis d'accorder un droit à la couverture complémentaire maladie à plus de 1,7 million de personnes supplémentaires, la loi du 27 juillet 1999, qui a institué la CMU, est un grand succès.
Sur le plan qualitatif, il faut noter que, bien souvent, l'aide médicale gratuite des départements permettait l'accès à un panier de soins moins complet que celui qui est offert par la CMU ; en outre, une partie des bénéficiaires de l'aide médicale gratuite y étaient admis partiellement, moyennant une participation financière.
Ces améliorations quantitatives et qualitatives sont la conséquence de la décision prise par le Gouvernement, au début de l'année 2000, de faire de la CMU un dispositif national, dont les prestations doivent être les mêmes sur l'ensemble du territoire. C'est donc très logiquement que l'Etat a repris la compétence d'aide médicale obligatoire qui incombait auparavant aux départements, ainsi que les crédits correspondants, au moyen d'une diminution, à proportion de ces crédits, des dotations globales de fonctionnement.
Mais la CMU est un dispositif jeune. Nous devons veiller à ce qu'il grandisse sans heurts. Une évaluation en est d'ailleurs prévue pour la fin de cette année.
L'une des interrogations les plus fréquentes porte sur le seuil de ressources qui a été retenu pour l'ouverture du droit à la CMU, soit 3 600 francs par mois pour une personne seule. Il est difficile pour une personne d'admettre que, pour un dépassement de quelques francs de ce seuil, elle soit privée de tout droit à la couverture complémentaire maladie.
Certes, la loi a prévu que tous les bénéficiaires de l'aide médicale gratuite avant le 1er janvier 2000 obtiendraient automatiquement à cette date le droit à la CMU. Ce droit a ensuite été prolongé à deux reprises et, dernièrement, jusqu'au 30 juin 2001. Mais à prolonger encore ce droit, on prendrait le risque de laisser se créer une inégalité entre personnes de revenu identique selon qu'elles ont été ou non bénéficiaires de l'aide médicale gratuite avant le 1er janvier 2000. Il faut donc trouver une solution générale à ce problème de l'effet de seuil de la CMU.
D'ores et déjà, le Gouvernement a décidé d'affecter 400 millions de francs aux fonds d'action sanitaire et sociale des caisses primaires d'assurance maladie pour la prise en charge des personnes dont les revenus dépassent le plafond de ressources fixé pour l'ouverture du droit à la CMU complémentaire. Il entre dans les compétences des caisses primaires de rechercher les moyens de réaliser une coordination de leur intervention avec celles d'autres partenaires, comme les organismes dispensateurs de couvertures maladie complémentaires ou les départements.
S'agissant des départements, il y a lieu de souligner qu'ils conservent une compétence générale en matière d'aide sociale facultative, laquelle trouve parfaitement à s'exercer dans le domaine de l'aide au maintien de la couverture maladie des personnes qui sortent de la CMU. Certains département, comme l'Essonne ou le Val-de-Marne, mais aussi l'Ille-et-Vilaine, ont d'ores et déjà noué des partenariats locaux avec les caisses primaires d'assurance maladie, et je ne vois que des avantages à ce qu'une partie des difficultés inhérentes à l'effet de seuil de la CMU puisse être résolue au niveau local.
Toutefois, l'ampleur du problème qui se posera le 30 juin prochain avec l'arrivée à son terme du droit automatique à la CMU des anciens bénéficiaires de l'aide médicale gratuite - plusieurs centaines de milliers de personnes -, engage directement la responsabilité de l'Etat.
Le Gouvernement annoncera prochainement des mesures importantes qui garantiront que toute personne dont les ressources sont à peine supérieures au plafond de la CMU se verra proposer le maintien d'une couverture maladie de qualité à un prix supportable par elle.
M. Fernand Demilly. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de m'avoir apporté la réponse de M. le ministre délégué à la santé. Mais cette réponse n'est guère satisfaisante.
En effet, malgré les effets bénéfiques de la loi, que vous avez rappelés, demeure le problème de l'inégal accès aux soins des plus démunis.
Parmi les prestations sociales, cinq minima sociaux ont été revalorisés de 2,2 % au 1er janvier 2001.
Le revenu minimum d'insertion atteint maintenant 2 608,50 francs, l'allocation de solidarité spécifique, 2 613 francs et l'allocation d'insertion, 1 840 francs.
Il n'y a donc pas de problème pour ces trois minima.
En revanche, le montant de l'allocation aux adultes handicapés et celui du minimum vieillesse s'élèvent désormais à 3 654,50 francs.
Il y a donc un problème pour 54,50 francs, problème qui n'existait pas avant la revalorisation du 1er janvier dernier.
Il conviendrait donc, pour maintenir le caractère universel de la CMU accordée « aux plus modestes » et ne pas introduire une nouvelle aide individuelle différenciée selon les situations particulières et les départements, que les conditions d'accès soient simplement relevées au niveau du seuil de pauvreté, soit 3 800 francs par mois, ce qui règlerait le problème des personnes dont le revenu est compris entre 3 600 francs et 3 800 francs, et qui n'adhèrent pas à un organisme complémentaire.
Au demeurant, on ne peut pas solliciter à nouveau les départements, car les crédits qu'ils consacraient à la prise en charge de l'aide médicale des bénéficiaires de l'AAH et du FNS ont été prélevés sur la dotation globale de fonctionnement et restitués à l'Etat.
Obliger les départements à affecter de nouveaux crédits à une aide facultative destinée à pallier les effets de seuil introduits par la loi reviendrait, en fait, à faire payer les départements deux fois, ce qui n'est pas convenable.
J'ai bien noté, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement entendait prendre des mesures prochainement. J'en attends l'annonce avec beaucoup d'intérêt.

COUVERTURE DU DÉPARTEMENT DE L'ORNE
PAR LES RÉSEAUX DE TÉLÉPHONIE MOBILE

M. le président. La parole est à M. Goulet, auteur de la question n° 989, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Daniel Goulet. Madame le secrétaire d'Etat, comment expliquer les dysfonctionnements persistants des réseaux de téléphones portables, voire leur absence totale, dans le département de l'Orne ? Des zones entières sont ainsi dépourvues de couverture. J'en cite quelques-unes : le sud du Perche, des communes comme Tourouvre, Vimoutiers, Sées et Carrouges, le bocage normand.
S'agit-il, madame le secrétaire d'Etat, de difficultés techniques, de difficultés financières ou des deux à la fois ?
Au moment où les attributions d'autorisations pour les téléphones dits « de la troisième génération » sont en cours de négociation, nous pouvons légitimement, vous en conviendrez, madame, nous interroger. Quelles solutions doivent être mises en oeuvre pour mettre fin à des situations devenues intolérables pour les usagers ?
Si l'Etat et les opérateurs sont démunis, je vous demande, madame le secrétaire d'Etat, en ma qualité de premier vice-président du conseil régional de Basse-Normandie, si les collectivités territoriales doivent s'impliquer et, dans l'affirmative, dans quelles conditions.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Vous soulevez, monsieur le sénateur, une question effectivement importante, dont nous avons déjà débattu à l'automne dernier, lors de l'examen du projet de loi de finances. Néanmoins, permettez-moi de rappeler les points suivants.
Dans le cadre de leur stratégie commerciale, les opérateurs mobiles poursuivent leurs programmes d'investissement destinés à étendre leur réseau et à améliorer la qualité de service dans les zones déjà couvertes. C'est ainsi que, dans le département de l'Orne, l'un des opérateurs GSM a installé six nouveaux relais en 2000.
Parmi les quatre communes que vous avez citées, Vimoutiers et Sées bénéficient d'un relais couvrant leur territoire. En 2001, quelques améliorations ponctuelles seront apportées dans ces zones, mais la couverture ne sera pas pour autant totale.
Les cahiers des charges des exploitants de réseaux de téléphonie mobile prévoyaient, à l'origine, que ceux-ci devaient assurer une couverture de 90 % de la population. Sous la pression de la concurrence, les trois opérateurs ont très largement dépassé cette obligation et la couverture totale des réseaux de téléphonie mobile dépasse aujourd'hui 99 % de la population et 90 % du territoire.
Toutefois, les zones restant à couvrir se révélant peu ou pas rentables pour les opérateurs, on peut penser que la couverture n'augmentera plus guère sans intervention des pouvoirs publics.
Dans ce contexte et compte tenu de l'importance prise par la téléphonie mobile dans la vie de nos concitoyens, le Gouvernement s'est fixé pour objectif d'assurer une couverture par la téléphonie mobile de l'ensemble des lieux de vie permanents et occasionnels.
Dans cette perspective, il prépare actuellement un rapport au Parlement sur la question. Ce document présentera un état de la couverture actuelle des réseaux de téléphonie mobile et formulera des propositions en vue d'achever la couverture du territoire par la téléphonie mobile. Parmi celles-ci, le Gouvernement étudie notamment des solutions de partage d'infrastructures et de cofinancement entre les opérateurs et les pouvoirs publics pour diminuer les coûts d'extension de couverture du territoire.
Monsieur le sénateur, j'espère avoir contribué à éclairer le problème que vous avez soulevé.
M. Daniel Goulet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet. Madame le secrétaire d'Etat, j'ai bien pris note des éclaircissements que vous nous avez donnés et je vous en remercie. Je précise qu'effectivement les propos que j'ai tenus au sujet du département de l'Orne valent également pour d'autres départements.
Quoi qu'il en soit, lorsque vous utilisez le terme de « rentabilité », madame, cela signifie-t-il que ce sont les départements démunis qui, encore une fois, devront fournir tous les efforts ?
Ce n'est pas la peine de vous rappeler que le département de l'Orne, enclavé sur le plan des infrastructures routières et autoroutières, l'est également s'agissant du téléphone, dont l'extension en milieu rural a posé quelques problèmes. Ce n'est pas pour autant que la solidarité doit jouer une fois de plus dans un département dont vous savez - je l'ai expliqué la semaine dernière - qu'il a été, lui aussi, frappé par des « séismes » à répétition qui sont venus aggraver sa situation.
Ne serait-il pas possible, d'étudier dans quelles conditions - puisque vous évoquez la rentabilité et la situation relative des différents intervenants - les départements évoqués pourraient, à la lumière du rapport qui sera présenté, bénéficier d'un supplément de soutien au nom de la solidarité ?
Quoi qu'il en soit, je vous remercie des indications que vous m'avez données.
Ensemble - je le souhaite - nous allons assurer un suivi de ce dossier, dont le traitement est primordial pour le département de l'Orne.

DIMINUTION DES EFFECTIFS DES PERCEPTIONS
DES PYRÉNÉES-ORIENTALES

M. le président. La parole est à M. Blanc, auteur de la question n° 1029, adressée à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Paul Blanc. Je suis très heureux d'adresser ma question à Mme la secrétaire d'Etat au budget, puisqu'il s'agit d'un dossier qui la concerne tout particulièrement.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, nous constatons une diminution des effectifs, notamment du cadre B et du cadre C, qui touche plus spécialement les perceptions du milieu rural.
Si mes informations sont exactes - et je crois qu'elles le sont - la situation prévisionnelle des effectifs au 1er août 2001 montrerait que les perceptions les plus affectées par le manque d'agents du cadre B sont celles du milieu rural. Je citerai plusieurs d'entre elles : à Elne, le déficit serait de 0,5 poste, comme à Saint-Laurent-de-la-Salanque ; il serait de 0,7 poste à Prades, de 0,5 poste à Saillagouse, ou encore à Arles-sur-Tech et à Bourg-Madame ; il serait de 1 poste à Prats-de-Mollo et à Estagel.
A l'évidence, une telle situation entrave fortement le fonctionnement des services, car il s'agit d'établissements où les effectifs sont déjà peu nombreux et où un déficit d'un demi-poste est beaucoup plus préjudiciable qu'un déficit de deux ou trois postes dans une perception plus importante.
Je me pose la question de savoir si, au fond, on n'est pas en train d'utiliser ce qui était jadis la méthode de supplice des Andorrans : le garrot. Cette méthode consistait à appliquer un garrot autour du cou des suppliciés et à tourner petit à petit, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Je crains fort que la diminution des effectifs n'annonce la suppression, un jour, des perceptions en milieu rural.
Madame la secrétaire d'Etat, ma question est très simple : allez-vous remédier rapidement à cet état de fait ? Pouvons-nous avoir quelque assurance sur la survie de nos perceptions en milieu rural ? Je sais que les percepteurs ne sont pas toujours très bien vus, mais pour nous, les maires, ils sont un élément indispensable de la vie en milieu rural.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, je tiens tout d'abord à vous rassurer : je ne suis pas venue avec un garrot, et je vais essayer de vous le démontrer ! (Sourires.)
Il est vrai que les effectifs des treize trésoreries des Pyrénées-Orientales qui sont en milieu rural sont, au 1er mars 2001, de quarante-huit agents, soit un déficit - je ne vais pas compter en dixièmes d'agent - d'un peu moins de trois agents équivalent temps plein.
Cette situation s'explique, pour une large part, par le nombre élevé de fonctionnaires bénéficiant - à leur demande, bien entendu - du régime de travail à temps partiel, régime qui est, par nature, plus délicat à compenser immédiatement dans les trésoreries de petite taille, notamment en milieu rural. Cet état de fait concerne principalement les catégories B et C, vous avez raison de le souligner, monsieur le sénateur.
A l'occasion du prochain mouvement de mutations, le 1er avril 2001, chaque départ d'agent du Trésor public hors du département sera compensé par l'affectation concomitante d'un fonctionnaire. En outre, une des vacances d'emploi actuelles sera comblée par la nomination d'un agent au 1er juin 2001 ; c'est un premier point.
Par ailleurs, la direction générale de la comptabilité publique et le trésorier-payeur général des Pyrénées-Orientales sont très attentifs au maintien des effectifs dans chacune de ces trésoreries. Ils peuvent également recourir à l'équipe départementale de remplacement ou, plus ponctuellement, à des crédits d'auxiliaires.
Je puis donc vous assurer que les services du Trésor public dans les Pyrénées-Orientales disposent des moyens nécessaires pour accomplir l'intégralité de leurs missions et pour maintenir - c'est important - le niveau de qualité du service public auprès tant des collectivités locales que des usagers.
Au-delà de cette situation conjoncturelle, j'attirerai votre attention sur le fait que non seulement nous ne pratiquons pas la « politique du garrot », mais que nous avons fait progresser de 10 % en dix ans le nombre des agents affectés dans les services déconcentrés du Trésor des Pyrénées-Orientales. Je pense que nous sommes - heureusement - loin des méthodes que vous décriviez à l'instant !...
M. Paul Blanc. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc. Madame la secrétaire d'Etat, je me réjouis de votre réponse, à laquelle, en toute franchise, je m'attendais un peu...
Je crois toutefois que l'intérêt des questions posées au Gouvernement, c'est de faire parfois avancer les choses.
Je m'explique : immédiatement après le dépôt de cette question, voilà plus de deux mois, vos services ont, du moins je le suppose, alerté la Trésorerie générale des Pyrénées-Orientales puisque, depuis, un gros effort a effectivement été fait pour pourvoir très rapidement un certain nombre de postes.
L'intérêt d'interroger le Gouvernement, c'est donc de donner une impulsion aux dossiers, et je m'en réjouis. Je ne doute pas que, grâce à votre réponse d'aujourd'hui, toutes les perceptions rurales des Pyrénées-Orientales seront rapidement dotées du nombre d'agents nécessaires à leur bon fonctionnement.
M. le président. Cela démontre combien M. Blanc est un parlementaire attentif ! (Sourires.)

ACCÈS FORFAITAIRE À INTERNET

M. le président. La parole est à M. Hugot, auteur de la question n° 1018, adressée à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Jean-Paul Hugot. Notre collègue vient de rappeler que l'intérêt des questions posées au Gouvernement était de faire bouger les choses. C'est à ce titre que, au sein de cette assemblée, je reprends la question de l'accès forfaitaire à Internet.
M. le secrétaire d'Etat à l'industrie avait estimé, le 8 décembre 2000, que l'accès forfaitaire à Internet devait être effectif au début de 2001 et que son coût serait financé par France Télécom. Or, dans la réponse à une question écrite parue le 8 mars dernier, il est indiqué, d'une part, que les offres forfaitaires d'accès illimité ne seraient proposées au public que l'été prochain - nous perdons une saison ! - d'autre part, que les tarifs seraient inférieurs à 200 francs par mois - la référence à cette somme fait donc son chemin - ce montant étant comparable au tarif existant au Royaume-Uni.
Il est donc demandé à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie : s'il estime que le nouveau délai annoncé pourra être respecté ; si une offre fixée à 200 francs répond au souhait d'un tarif se rapprochant du coût réel, souhait exprimé par le ministre de l'économie et des finances lors de la dernière fête de l'Internet ; si le Gouvernement estime ce montant assez incitatif pour favoriser la démocratisation d'Internet ; enfin, comment s'explique le fait que France Télécom ait pu mettre en place au Royaume-Uni, en tant que fournisseur d'accès, un tarif de l'ordre de 130 francs, sensiblement plus modeste.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, vous avez attiré l'attention sur l'accès, pour les internautes, à une offre commerciale aussi intéressante que possible sur les plans tant de la durée que des tarifs.
Actuellement, les offres commerciales d'accès à Internet via le réseau téléphonique se présentent sous la forme soit de forfaits d'heures de connexion, soit de communications à la durée, à des tarifs par minute voisins de ceux qui sont appliqués aux communications locales. Pour réduire les coûts, les internautes souhaitent disposer d'un accès illimité à Internet, c'est-à-dire quelle que soit la durée de connexion, à un tarif forfaitaire.
Mon collègue Christian Pierret avait indiqué au Parlement, en novembre dernier, qu'il était indispensable que de tels forfaits d'accès illimité à Internet voient le jour en France, et cela dès 2001. Pour y parvenir, il était nécessaire que France Télécom propose aux opérateurs entrants une offre de raccordement à la capacité, en complément de son offre d'interconnexion actuelle à la durée, ce que Christian Pierret a demandé au président de France Télécom de faire.
France Télécom a été en mesure de mettre en place l'offre de raccordement à la capacité en février dernier. Celle-ci a été présentée à l'Autorité de régulation des télécommunications, laquelle a aussitôt créé un groupe de travail regroupant France Télécom, l'ensemble des opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d'accès à Internet.
Bien entendu, la mise en place de cette offre nécessitera des investissements sur le réseau de France Télécom, afin d'assurer la qualité technique du service téléphonique.
L'offre de raccordement à la capacité sera disponible en cours d'année.
Comme le Premier ministre l'avait indiqué lors de la fête de l'Internet, les internautes pourront ainsi bénéficier d'offres forfaitaires d'accès illimité à Internet, et cela dès l'été prochain.
Une telle évolution est conforme à la volonté du Gouvernement d'assurer l'égalité de toutes les parties du territoire, des entreprises et des particuliers pour l'accès à Internet, et participe au mouvement de baisse des tarifs d'Internet qui est en cours depuis trois ans.
M. Jean-Paul Hugot. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hugot.
M. Jean-Paul Hugot. Madame la secrétaire d'Etat, je note que vous confirmez les informations dont nous disposions, sans que soit clairement exprimé dans votre réponse le souhait, d'intérêt national, que l'accès à Internet ne soit à l'origine d'aucune rupture sociale, sans non plus que soit prise en compte la problématique du coût de l'abonnement, qui me semble très importante si l'on veut parvenir à une véritable démocratisation d'Internet.
J'attire votre attention sur cette exigence, madame la secrétaire d'Etat, et je vous remercie de votre réponse.

DÉVELOPPEMENT DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
EN ZONE RURALE

M. le président. La parole est à M. Signé, auteur de la question n° 1026, adressée à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. René-Pierre Signé. Madame la secrétaire d'Etat, nous allons beaucoup parler d'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les NTIC !
Je voulais attirer votre attention sur les nouvelles technologies, domaine dans lequel il semble que le discours soit sensiblement en avance sur la mise en oeuvre des technologies elles-mêmes. Est-il besoin de préciser que cet état de fait est plus vrai encore en zone rurale ? Loin de moi, cependant, l'idée de nier les changements radicaux entraînés par l'introduction des nouvelles technologies de l'information dans nos sociétés.
Internet, notamment et surtout, mais aussi les autoroutes de l'information permettent en effet de modifier en profondeur les méthodes de productivité, puisqu'ils abaissent fortement le coût de l'échange de l'information entre les acteurs économiques.
Les changements ne se limitent cependant pas à la sphère marchande, puisque les citoyens voient, eux aussi, leurs rapports avec les administrations évoluer vers plus de transparence et d'accessibilité. Internet est donc le vecteur d'une transformation essentielle de l'organisation de notre économie et de notre société. C'est précisément ce qui doit nous inciter à fournir cette technologie à l'ensemble de la population, donc sur tout notre territoire.
Or, les opérateurs n'investissent pas là où il n'y a pas de réseau dense d'entreprises, pas assez de population : il s'agit avant tout, évidemment, des zones rurales. Les nouvelles technologies sont donc loin de constituer la panacée pour le désenclavement de nos campagnes. La responsabilité des pouvoirs publics est ici clairement engagée.
En somme, quelles actions peuvent être menées afin d'éviter l'affaiblissement annoncé des zones rurales, puisqu'elles semblent exclues de la dernière révolution technologique ? Moins radicalement, n'y a-t-il pas des mesures qui pourraient inciter les opérateurs à investir dans nos campagnes ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage, bien entendu, votre analyse sur les bouleversements considérables liés au développement des services de télécommunications en général, et d'Internet en particulier.
Le Gouvernement a toujours considéré que l'accès dans de bonnes conditions aux réseaux et aux services de télécommunications était un enjeu majeur en termes de développement économique et d'intégration de tous à la société de l'information.
A cet égard, je tiens d'abord à rappeler que l'accès à Internet est disponible sur l'ensemble du territoire français par le réseau téléphonique commuté à un tarif faisant l'objet d'une péréquation.
En matière de services de télécommunications à haut débit, le Gouvernement a toujours mené une politique favorisant l'aménagement du territoire, tout en maintenant un souci de neutralité technologique, seule garante d'une concurrence équitable et d'une couverture maximale du territoire.
Aujourd'hui, cinq technologies permettent d'accéder à Internet à haut débit : la fibre optique, l'ADSL, la boucle locale radio, les réseaux câblés et le satellite. L'ADSL couvrira plus de 60 % de la population à la fin de l'année 2001 et 80 % dans quelques années. Les technologies de la boucle locale radio, qui sont plus particulièrement destinées aux petites et moyennes entreprises, sont aujourd'hui en cours de déploiement par les opérateurs qui se sont engagés à couvrir une part significative de la population française. Potentiellement, tout le territoire peut être atteint par le satellite, mais, compte tenu de la présence d'autres systèmes sur certains segments de marché, le satellite devrait plutôt s'adresser à des besoins spécifiques et en particulier ceux des zones non couvertes par l'ADSL, la boucle locale radio ou le câble.
Le Gouvernement compte sur la complémentarité qui existe entre ces cinq technologies pour assurer une couverture complète du territoire et pour offrir des services à l'ensemble des utilisateurs. Cependant, il est à craindre que le seul jeu de la concurrence ne soit pas suffisant pour donner à tous les bassins de vie l'accès à ces réseaux à haut débit. C'est pourquoi le Gouvernement continuera d'étudier avec la plus grande attention toutes les solutions permettant de favoriser « l'irrigation numérique » des zones rurales.
A cet égard, la modification du code des collectivités territoriales qui est intervenue en 1999 permet aux collectivités locales d'investir dans des infrastructures de communication en cas de déficience de la part du marché. Les conditions de cette intervention seront assouplies dans le cadre du projet de loi sur la société de l'information.
Par ailleurs, le développement de la couverture du territoire par les réseaux de mobiles GSM est, bien sûr, un des facteurs favorisant le développement économique et participant au désenclavement des zones défavorisées ; nous en avons parlé. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement prépare un rapport au Parlement sur l'état de la couverture de la téléphonie mobile et sur les différentes solutions pouvant être mises en oeuvre pour remédier aux problèmes résiduels de couverture.
M. René-Pierre Signé. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse. Vous avez développé de justes raisons, que j'apprécie.
Toutefois je me permets d'insister sur ce que je signalais tout à l'heure, à savoir le fait que nous devons faire face à une véritable aporie : les opérateurs disent qu'Internet se développera quand l'usage se sera répandu ; les opérateurs viendront d'eux-mêmes, en quelque sorte.
Mais que répondre quand on nous demande si les nouvelles technologies permettront d'enrayer le déclin des zones rurales ? Les investissements technologiques portent avant tout, je le répète, sur les zones déjà développées, donc équipées et bien dotées en capital humain. On achoppe ici sur la limite principale de l'allocation des ressources dans un système qui fait de la compétitivité des territoires le principal critère de répartition : seuls les territoires les mieux dotés - pour l'instant tout au moins ; mais, à cet égard, votre réponse est encourageante - peuvent espérer attirer les richesses. D'où une véritable inquiétude, que j'ai essayé de vous exprimer, et je vous remercie de l'avoir écoutée.

CONSÉQUENCES
DE LA PROFESSIONNALISATION DE L'ARMÉE

M. le président. La parole est à M. Gournac, auteur de la question n° 1011, adressée à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Alain Gournac. Madame le secrétaire d'Etat, je suis persuadé que vous allez pouvoir répondre à ma question.
Je suis inquiet s'agissant du personnel qui est mis à la disposition de nos ambassades et de nos consulats. En effet, ce dispositif comprenait un nombre d'appelés important. C'était d'ailleurs une bonne chose pour eux, car ils apprenaient à travailler au service de la France à l'étranger et acquéraient ainsi une première expérience pour se lancer dans la vie.
Or, avec la réorganisation de nos armées et à la suite de la loi du 28 octobre 1997, tout cela n'est plus organisé.
Certes, une phase de transition est prévue jusqu'en 2002. Cependant, je souhaiterais avoir des précisions sur les conditions dans lesquelles ces appelés pourront venir travailler dans les ambassades. Je sais bien que la nouvelle loi offre aux jeunes Français de dix-huit à vingt-six ans la possibilité d'effectuer un volontariat militaire et que ce dispositif a été mis en cohérence avec les emplois-jeunes sur le plan de la rémunération. Je voudrais savoir comment les choses vont s'organiser pour que nos ambassades et nos consulats puissent bien fonctionner.
Si je pose cette question, madame le secrétaire d'Etat, c'est parce que je reviens de Géorgie, dans le Caucase, beau pays, que vous connaissez. Mme l'ambassadeur de France en Géorgie et ses services ne semblent pas savoir comment les choses vont se dérouler. Cet exemple me fournit l'occasion de vous demander des informations afin de pouvoir les diffuser. Peut-être M. le ministre des affaires étrangères pourrait-il veiller à ce qu'elles soient bien diffusées à nos ambassades et consulats dans le monde entier ? Tel est l'objet de ma question.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, depuis la création, en 1965, des formes civiles de service national, plus de 150 000 jeunes appelés ont servi au titre de la coopération : 7 000 d'entre eux environ sont actuellement encore en poste dans le monde, dont 4 300 en entreprises et 2 700 en administration, dans des établissements d'enseignement, de recherche ou en coopération. Près de 2 000 d'entre eux relèvent du ministère des affaires étrangères : 530 sont affectés dans les services ou établissements de coopération et d'action culturelle, 90 dans les chancelleries diplomatiques, 600 dans le cadre de notre administration ou d'organismes étrangers, 500 en qualité de chercheurs dans des laboratoires étrangers et 270 au service d'organisations non gouvernementales, au titre de missions humanitaires.
L'importance de la place de ces jeunes appelés dans notre dispositif de coopération a conduit le Gouvernement à anticiper les conséquences de la loi du 19 décembre 1996 en mettant sur pied un nouveau système qui est celui du volontariat civil international destiné à s'y substituer et dont les principes figurent dans la loi du 14 mars 2000.
Ce volontariat international vise en effet à reconduire toutes les formes actuelles du service national en coopération, en l'ouvrant à un plus large public et en l'adaptant aux besoins de la vie civile. Il s'adresse aux jeunes gens et aux jeunes filles âgés de dix-huit à vingt-huit ans, Français ou Européens en règle avec les obligations du service national, qu'ils soient étudiants, à la recherche d'un emploi ou exerçant déjà une activité, de tous niveaux de formation.
Les missions à l'étranger pourront s'effectuer au sein d'un service de l'Etat, d'une entreprise, d'une organisation non gouvernementale ou d'un organisme étranger et durer de six à vingt-quatre mois.
Un centre d'information sur le volontariat international a été créé conjointement, en octobre dernier, par le ministère des affaires étrangères et le secrétariat d'Etat au commerce extérieur pour assurer la promotion du volontariat civil et centraliser les dossiers de candidature. La création assez récente de cet organisme explique peut-être le défaut d'information que vous avez pu constater sur le terrain. La promulgation des décrets et des arrêtés d'application à l'automne dernier a permis de recruter, dès le début de 2001, les premiers jeunes volontaires. Une vingtaine d'entre eux auront rejoint leur poste avant la fin de ce mois.
J'espère, monsieur le sénateur, avoir répondu à votre question.
M. Alain Gournac. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac. Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie de toutes ces informations. Le centre d'information sur le volontariat international ayant été créé au mois d'octobre, le message n'était sans doute pas encore passé en décembre. Toutefois, ce centre étant situé en France, je vous demande de conseiller à votre collègue chargé des affaires étrangères de rassurer nos ambassadeurs et nos consuls et de leur indiquer que les choses vont se faire petit à petit.
Vous avez précisé que vingt jeunes volontaires auront rejoint leur poste avant la fin du mois. Ce n'est pas beaucoup.
Un dispositif est prévu pour nos jeunes âgés de seize ans à vingt-huit ans, j'en suis heureux. Il est très important que ceux qui le souhaitent puissent être confrontés aux réalités quotidiennes de la représentation de notre pays à travers le monde.
Madame le secrétaire d'Etat, les informations que vous m'avez données répondent à l'inquiétude que j'avais exprimée et je vais m'efforcer de les diffuser.

SITUATION DES TITULAIRES D'UN DOCTORAT
BÉNÉFICIANT D'UN EMPLOI-JEUNE

M. le président. La parole est à M. Souvet, auteur de la question n° 1004, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale.
M. Louis Souvet. Avant de développer ma question, madame la secrétaire d'Etat, je voudrais vous faire un compliment : j'admire votre éclectisme. Je vous ai en effet entendu répondre à M. Paul Blanc sur la diminution des effectifs dans les perceptions rurales, ce qui, comme chacun le sait, relève bien de votre compétence, mais aussi à M. Jean-Paul Hugot sur l'accès forfaitaire à Internet, à M. René-Pierre Signé sur les nouvelles technologies, à l'instant, à M. Alain Gournac sur la professionnalisation des armées, et vous vous apprêtez à répondre sur la situation des titulaires d'un doctorat occupant un emploi-jeune. Vous l'avez compris, madame la secrétaire d'Etat, je traduis là notre inquiétude. Les parlementaires se déplacent pour avoir en face d'eux un interlocuteur au fait des problèmes. Si la situation de ce matin devait se généraliser, nous n'aurions plus qu'à envoyer nos assistants, ce qui ne serait pas très convenable. Je souhaite vraiment que les ministres fassent un effort pour répondre aux questions pointues que nous leur posons. Il s'agit effectivement de questions particulières. S'il s'agissait de questions générales, nous les poserions sous la forme de questions écrites et le tour serait joué.
Cela étant dit, j'en viens à ma question. Madame la secrétaire d'Etat, le nombre des intéressés - une soixantaine sur le plan national - pourrait inciter à traiter cette question sur le mode anecdotique. En fait, ce problème résume à lui seul les limites d'un tel dispositif, ainsi que le double langage du Gouvernement. Ce qui rajoute à l'absurdité de cette problématique, c'est le fait que, contrairement à d'autres emplois-jeunes, le Gouvernement a besoin de l'expérience et du travail de ces titulaires d'un doctorat, notamment pour aider au fonctionnement des IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres.
Dès le départ, le Gouvernement savait quelle serait l'issue des emplois proposés, à savoir un retour sur le marché du travail avec, certes, une expérience supplémentaire, mais une expérience très spécifique dans le domaine de l'enseignement, expérience peu en phase avec les attentes des entreprises privées. Ce marché de dupes, il convient de le dénoncer, a donné de faux espoirs. Vous êtes bien consciente, madame la secrétaire d'Etat, que la réorganisation préconisée par vos conseillers - j'aurais dû dire « par vos conseillers, monsieur le ministre », car c'est bien sûr au ministre de l'éducation nationale que je m'adresse - vers le secteur privé n'est viable que sur le papier. Dans la réalité, il s'agit d'une pure chimère. En effet, en trois ans seuls 2 % des jeunes titulaires d'un doctorat ont réussi par eux-mêmes cette conversion. Vous savez aussi que le ministère échoue depuis bientôt quatre mois dans sa promotion forcée des jeunes titulaires d'un doctorat.
Passé l'effet d'annonce, ne nous occupons pas des conséquences à long terme pour ces jeunes, tel pourrait être le mot d'ordre ayant présidé à cette mise en place. « Coïncidence » heureuse, les contrats finiront pour la plupart après les échéances législatives. Ces jeunes titulaires d'un doctorat vous demandent des comptes et veulent du concret. Même si la ministre initiatrice du projet n'est plus au Gouvernement, celui-ci doit assumer les conséquences de ces actes.
Ces jeunes ont le désavantage d'avoir pour bagage universitaire huit années d'études au minimum après le baccalauréat et, de surcroît, de ne pas travailler par exemple pour le ministère de l'intérieur, où les titularisations poseront moins de problèmes, au grand dam des fonctionnaires suivant un cursus classique ; mais il s'agit là d'un autre problème !
Madame le secrétaire d'Etat, demande au moins à votre collègue de recevoir ces jeunes docteurs, de ne pas les mépriser compte tenu du travail qu'ils ont consacré au profit de l'éducation nationale, et d'étudier les propositions qu'ils formulent.
Ces jeunes titulaires d'un doctorat se proposent de participer au développement de l'enseignement universitaire à distance, via notamment Internet. Leur mission actuelle au sein des IUFM les a préparés à ce programme. Cette démarche est innovante et permettrait de réinvestir immédiatement les compétences des jeunes docteurs tout en offrant à ces derniers une intégration légitimée par ces compétences requises pour un « learning universitaire ».
Il est vrai, madame le secrétaire d'Etat, que leur nombre relativement réduit ne plaide pas électoralement en leur faveur. Mais si rien n'est fait, ils représenteront, tout autant qu'ils sont, les conséquences humaines d'un dysfonctionnement grave d'un système dont la pérennité a été assurée pour partie par le ministère de l'éducation nationale.
En refusant d'écouter les arguments de ces jeunes docteurs, vous les placez en porte-à-faux à l'égard de la communauté tout aussi précaire des emplois-jeunes ; vous savez pertinemment, en effet, que la bonne conscience de ces diplômés les empêche de se désolidariser de leurs camarades dont le niveau d'études est évidemment très inférieur.
A travers vous, madame le secrétaire d'Etat, je demande donc à M. le ministre de l'éducation nationale de recevoir personnellement ces jeunes titulaires d'un doctorat, car, sans son aval, les services ne leur proposeront aucune solution pérenne.
Vous me permettrez d'ajouter que ce n'est pas le seul problème de ce type. L'actualité met en effet en relief l'association des médecins nouveau régime avec diplôme interuniversitaire de spécialisation, le DIS, comme nombre de médecins ayant suivi leur cursus de formation dans des universités à l'étranger. Mes collègues et moi-même sommes très fréquemment saisis de demandes émanant de ces médecins qui, pour des raisons diverses, ne peuvent exercer. Il serait temps, me semble-t-il, de clarifier les positions.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le sénateur, M. le ministre de l'éducation nationale m'a demandé d'apporter à la question que vous venez de poser la réponse suivante.
Parmi les 70 000 contrats d'emplois-jeunes mis à la disposition du ministère de l'éducation nationale, ce dernier a décidé de recruter 400 jeunes docteurs destinés à aider au développement des nouvelles technologies dans les instituts universitaires de formation des maîtres.
Une centaine de recrutements a été réalisée et soixante-dix jeunes docteurs toujours en fonction s'inquiètent pour leur avenir au terme de leur contrat de cinq ans.
Ces recrutements ont été réalisés dans une période de difficulté d'insertion de certains jeunes docteurs et à un moment où le ministère de l'éducation nationale voulait développer les NTIC, ou nouvelles technologies de l'information et de la communication, dans les IUFM.
Cette convergence d'intérêt n'a malheureusement pas rencontré le succès escompté, puisqu'il n'y a eu qu'une centaine de recrutement parmi les quatre cents recrutements programmés.
Si la situation des jeunes docteurs présentait des spécificités quant à l'exercice de leur fonction, ces jeunes sont néanmoins dans la même situation que tous les emplois-jeunes au regard de leur insertion professionnelle.
La spécificité des jeunes docteurs résidait à la fois dans le montant de leur rémunération, très supérieur au SMIC, dans la nécessité de posséder un doctorat dans le domaine des technologies de l'information et de la communication et dans une définition précise d'activités d'agents de développement des NTIC.
S'agissant de la question de l'insertion professionnelle, les jeunes docteurs sont, au terme du contrat de cinq ans, dans une situation semblable à celle de tous les titulaires d'un emploi-jeune puisqu'ils doivent chercher à être recrutés dans la fonction publique ou dans le secteur privé.
Il est vrai que la quasi-totalité d'entre eux désirerait accéder à l'enseignement supérieur soit en qualité de maître de conférence, soit en qualité d'ITARF, ou ingénieur et personnel technique et administratif de recherche et de formation.
Dans ces deux situations, la procédure est identique : dans un premier temps, il faut que l'IUFM réserve l'un de ses emplois vacants pour le recrutement d'un maître de conférence ou d'un ITARF correspondant à la spécialité du jeune docteur ; dans un second temps, le jeune docteur doit se présenter aux épreuves de sélection correspondantes.
Au cours de ces dernières années, les IUFM n'ont pas pu dégager les emplois qui auraient permis de réaliser le recrutement de ces jeunes docteurs.
Il n'existe pas dans la fonction publique, en particulier dans l'enseignement supérieur, de mesure de titularisation automatique comme pourraient le souhaiter les jeunes docteurs.
Il est donc indispensable que les jeunes docteurs diversifient les recherches d'emplois qu'ils sont amenés à conduire. Pour les aider, le ministère de l'éducation nationale noue actuellement des contacts avec le syndicat professionnel Syntec qui regroupe les sociétés d'informatique et les sociétés de conseil. Il s'agit d'entreprises qui recrutent des personnels de haut niveau.
Par ailleurs, la pénurie de main-d'oeuvre dans le domaine informatique devrait constituer un élément très favorable à l'insertion de ces jeunes. Ceux-ci possèdent en effet, en plus d'un doctorat, une expérience de plus de trois ans dans le domaine informatique qu'ils devraient pouvoir valoriser auprès des entreprises de ce secteur professionnel. Le ministère de l'éducation nationale mettra tout en oeuvre pour accompagner ces démarches.
M. Louis Souvet. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Je tiens à vous remercier de votre réponse, madame le secrétaire d'Etat. Néanmoins, je soulignerai que vous avez tenu exactement les propos que j'ai développés dans ma question, à savoir que ces jeunes ont une formation tellement spécifique qu'ils ne peuvent pas trouver un emploi dans le secteur privé et que, par ailleurs, les IUFM n'ont pas pu dégager les emplois nécessaires pour les employer.
J'ai bien entendu que, pour les aider, le ministère de l'éducation nationale avait noué des contacts avec le syndicat professionnel Syntec et était prêt à consentir des efforts. Je le souhaite vivement, car ce serait un comble que des diplômés ayant fait des études d'un tel niveau - ce sont des docteurs ! - soient sans emploi et restent affectés à des emplois-jeunes longtemps encore. Ce serait vraiment, me semble-t-il, la faillite d'un système. Je compte donc beaucoup sur le ministère de l'éducation nationale pour apporter une solution à leur problème.

REMISE EN CIRCULATION
DU TUNNEL DE SAINTE-MARIE-AUX-MINES

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, auteur de la question n° 1021, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean-Louis Lorrain. La loi des séries ayant récemment frappé avec les incendies de tunnels - celui du Mont-Blanc, le 24 mars 1999, et celui de Tauen en Autriche, le 29 mai suivant -, une enquête a conclu que certains tunnels, dont celui de Saint-Marie-aux-Mines, présentaient trop de risques et devaient être fermés à la circulation des poids lourds.
Cette décision a entraîné un certain nombre d'inconvénients, dont les principaux sont la gêne occasionnée aux riverains par le flux des camions sur des routes voisines et la croissance exponentielle de la circulation sur la RN 415 - le col du Bonhomme -, la RN 59 - Sainte-Marie-aux-Mines - et la RN 420 - vers Schirmeck. Il est d'ailleurs fréquent de restreindre ou d'interdire de jour et/ou de nuit le passage dans certains cols, obligeant voitures particulières et poids lourds à des détours astreignants.
Deux solutions se présentent aux décideurs : soit la construction d'un second tunnel chiffrée à 2 milliards de francs, soit la construction d'une galerie de sécurité servant de passage technique et d'évacuation des usagers, évaluée entre 400 millions de francs et 700 millions de francs, suivant les options choisies.
Le concessionnaire du tunnel, la SAPRR, ou société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, les collectivités territoriales concernées, c'est-à-dire les régions Alsace et Lorraine, le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, les Vosges et la Meurthe-et-Moselle, ainsi que l'Etat y participeraient. Mais la clé de répartition est toujours en attente et le poids des contraintes pour les usagers riverains comme pour les transporteurs routiers se fait de plus en plus lourd à supporter.
Le quotidien L'Alsace du 6 février dernier rapportait que la direction des routes du ministère a souligné que « près de 600 millions de francs de travaux vont être engagés » pour la réalisation de la galerie parallèle d'évacuation du tunnel. Les Dernières Nouvelles d'Alsace du 25 février stipulait via le secrétaire d'Etat à l'industrie, M. Pierret, qui connait bien la région, qu'un « calendrier des modalités de réalisation et des propositions de financement » serait proposé au printemps.
Cette négociation de répartition était déjà annoncée pour décembre 2000. Elle n'a toujours pas eu lieu et nous redoutons les 250 millions de francs par an d'impact économique, ajoutés aux nuisances sur les routes - les bandes d'arrêt d'urgence dans la descente des cols du Bonhomme et de Sainte-Marie-aux-Mines sont toujours en attente -, nuisances que la population dénonce, on le comprend, avec de plus en plus de véhémence.
Comme l'avait déjà remarqué le député Marc Dumoulin dans son intervention d'octobre 2000, le rôle stratégique de cette traversée centrale des Vosges implique des responsabilités : est-il concevable d'indemniser les entreprises pénalisées par la fermeture du tunnel ?
Quand donc verrons-nous, monsieur le ministre, le « bout du tunnel » (sourires) pour cette opération ? A quelles dates prendrez-vous, avec votre ministère, une décision quant à la clé de répartition des financements - je suis responsable des finances du département du Haut-Rhin, et je m'interroge fortement à cet égard - et quand débuteront ces travaux que nous attendons ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, je voudrais tout d'abord vous demander de bien vouloir excuser l'absence de M. Jean-Claude Gayssot, qui est aujourd'hui à Berlin pour des entretiens avec son homologue allemand, M. Bodewig, sur un certain nombre de dossiers relatifs à la construction de l'Europe des transports. M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement m'a donc demandé de vous communiquer la réponse qu'il a préparée à votre intention.
Le Gouvernement a décidé de faire effectuer la mise en sécurité du tunnel Maurice-Lemaire, à Sainte-Marie-aux-Mines. Il a prévu d'assurer sa réouverture aux poids lourds dans les délais les plus courts permis par les études et les procédures.
M. Gayssot a examiné les différentes solutions techniques que vous avez d'ailleurs évoquées. Dès l'automne 2000, il a retenu le choix de la réalisation d'une galerie parallèle au tunnel pour faciliter une éventuelle évacuation et permettre d'améliorer la ventilation et l'extraction des fumées.
Conformément aux engagements pris de favoriser un début rapide des travaux de réparation du tunnel, la société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, concessionnaire de l'ouvrage, a présenté un planning calé au plus serré pour répondre à cet objectif.
Les études détaillées sont en cours et le ministre de l'équipement, des transports et du logement donne rendez-vous aux élus des régions concernées dans les prochaines semaines pour leur présenter les travaux envisagés, assortis du calendrier et des modalités de leur réalisation. Les élus seront également consultés sur le plan de financement des importants travaux à réaliser dont le coût, de l'ordre de 700 millions de francs, est proche de celui que vous indiquiez, mais tout de même supérieur de 100 millions de francs.
D'ici là, des dispositions seront prises comme l'hiver dernier, lorsque le col de Sainte-Marie-aux-Mines était bloqué par la neige : des convois sécurisés de poids lourds locaux pouvaient alors emprunter le tunnel, sous escorte.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement est conscient de l'importance du tunnel Maurice-Lemaire pour les populations et l'activité des vallées qu'il relie, et qu'il fera tout son possible pour une réouverture rapide et en toute sécurité.
M. Jean-Louis Lorrain. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, je dois avouer que je suis profondément déçu.
J'aurais pu exposer ce problème lors d'une séance de questions d'actualité au Gouvernement. Mais je m'y suis refusé compte tenu de l'aspect « spectacle » de ces séances. J'ai donc privilégié la formule des questions orales, mon objectif étant d'être sérieux et d'obtenir des réponses sérieuses et directes.
Madame le secrétaire d'Etat, j'apprécie le fait que vous vous soyez déplacée et que vous ayez pris sur votre temps pour me répondre.
Je note néanmoins que, lorsque j'ai interrogé pour la première fois M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement - la question portait alors sur l'aéroport de Bâle-Mulhouse -, il n'était pas présent dans l'hémicycle pour me répondre.
Aujourd'hui, s'agissant d'une question sur le tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines, M. le ministre, très occupé, est encore absent.
Je lui ai adressé une troisième question, sur le TGV Rhin-Rhône. Quand cette dernière sera inscrite à l'ordre du jour, les choses seront vraisemblablement les mêmes : M. le ministre sera absent !
Une telle situation finit par être pénible !
Tout ce que vous m'avez dit, madame la secrétaire d'Etat, je le savais ! Nous dire simplement que l'on s'occupe de nous et qu'un calendrier nous sera présenté dans les prochaines semaines n'est pas la réponse que j'attendais.
Je voulais aussi savoir quelle part vous prévoyiez de demander aux collectivités locales. Vous me dites que le coût des travaux sera supérieur de 100 millions de francs au chiffre que j'avais indiqué. Cela veut donc dire que les collectivités locales devront participer encore un peu plus !
M. Nicolas About. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain. S'agissant du calendrier, nous aurions eu le temps, depuis le mois d'octobre, de fixer des échéances. Mais il y avait bien sûr les élections !
Dire que l'on s'occupe de nous, c'est très bien, et je veux bien le croire ! Mais, j'y insiste : nous ne pouvons plus nous suffire, dans l'Est, de réponses courtoises et bienveillantes !

CONCESSION DE TERRAIN FAITE PAR LA SNCF À UNE ENTREPRISE PRIVÉE DE CONCASSAGE INDUSTRIEL SUR LA COMMUNE DE MONTIGNY-LE-BRETONNEUX (YVELINES)

M. le président. La parole est à M. About, auteur de la question n° 1027, adressée à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Nicolas About. Permettez d'abord à un ancien médecin des cheminots de regretter de ne pas pouvoir s'adresser au ministre cheminot pour lui parler de la SNCF !
Le 9 janvier dernier, la SNCF a annoncé que, pour la première fois depuis plus de quinze ans, tous ses comptes seraient positifs à l'issue de l'exercice 2000. M. Louis Gallois, son président, s'est même félicité d'avoir vécu une « année de croissance historique ».
Or, parallèlement, la SNCF continue, pour se faire un peu d'argent, de concéder les terrains qu'elle possède le long des voies - qu'elle n'utilise plus - à des entreprises privées qui mènent des activités bien peu compatibles avec ce que l'on est en droit d'attendre d'un tel service public et sans aucun rapport avec les activités de la SNCF.
Ainsi, la société Ypréma, implantée sur la commune de Montigny-le-Bretonneux, dans les Yvelines, exploite un centre de recyclage de matériaux de démolition sur un terrain qui se trouve le long des voies ferrées, au coeur de la ville.
A aucun moment le concessionnaire public ne s'est interrogé sur les risques sanitaires que cette société faisait courir à la population en acceptant une telle activité industrielle sur ses propres terrains. Sait-on si, parmi les milliers de mètres cubes de poussières et de particules générées dans l'atmosphère - je tiens à la disposition de M. le ministre un certain nombre de clichés photographiques - aucun résidu d'amiante ou de produits toxiques n'a jamais été dispersé, au gré des vents, jusqu'aux habitations voisines, depuis de si longues années ? Je vous rappelle qu'il s'agit de matériel de démolition.
En tant que maire de cette commune, en attendant l'arrêt dans les plus brefs délais de cette activité, je réclame la visite immédiate des services de santé et d'hygiène sur les lieux de cette exploitation. Il est impératif que des prélèvements soient effectués dans l'air ou dans les matériaux stockés, afin d'évaluer en toute impartialité les nuisances et les risques sanitaires que cette activité industrielle fait courir aux populations riveraines. Et je ne parle pas des poussières.
Ma question est simple : est-il normal, madame la secrétaire d'Etat, qu'en dépit d'un tel excédent financier une entreprise publique continue de gagner de l'argent en louant ses terrains à une entreprise privée de concassage industriel, en plein coeur de ville, au mépris des pollutions atmosphériques que ces activités sont susceptibles d'engendrer pour la population, sans même s'inquiéter des retombées qu'elles peuvent avoir sur la santé publique de nos concitoyens ?
Que comptez-vous faire, madame le secrétaire d'Etat, pour obtenir de la SNCF la fermeture de ce site de concassage dans les délais les plus brefs ?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, comme je viens de le faire pour votre collègue, je vous communique la réponse de M. Gayssot, dont je rappelle qu'il est en voyage officiel auprès de son homologue allemand pour parler de l'Europe des transports. La question des tunnels et des trafics de part et d'autre de la frontière, notamment, ne devrait pas laisser insensibles nos collègues alsaciens et vosgiens.
Votre question, monsieur le sénateur, reprend les termes d'une question écrite que vous aviez déposée au mois d'octobre 1999, me semble-t-il.
M. Nicolas About. Et que je reposerai l'année prochaine !
Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat. Le ministre de l'équipement, des transports et du logement rappelle que la société Ypréma est concessionnaire depuis 1992 de ce terrain qui relève du domaine public ferroviaire. Elle y dépose des matériaux de construction recyclés, après un tri sélectif.
Il convient de signaler que la concession de terrains ferroviaires est couramment pratiquée par la SNCF dans le cadre de la gestion du patrimoine qui lui a été confié. Comme toute entreprise, la SNCF s'efforce de valoriser son patrimoine, afin de dégager les ressources nécessaires à son développement et notamment de financer l'acquisition de locomotives qui lui font cruellement défaut actuellement du fait de la croissance importante de trafic qu'elle connaît.
Bien évidemment, il va de soi que la société Ypréma relèverait de la législation sur les installations classées dans l'hypothèse où son activité serait à l'origine de nuisances graves pour l'environnement. Il revient en effet au système des installations classées de veiller, quels que soient le propriétaire ou le lieu d'implantation d'une activité, à ce qu'elle soit conforme aux règles de l'environnement, de la santé et de l'hygiène de nos concitoyens.
A cet égard, la SNCF, que M. Gayssot a interrogée, lui a confirmé que la société Ypréma se conforme aux conditions générales d'occupation d'emplacement de fret, lesquelles rappellent, notamment, le caractère préalable de la procédure d'autorisation au titre des installations classées que je viens d'évoquer.
En toute hypothèse, la SNCF a indiqué à M. Gayssot qu'elle demeurait attentive à l'utilisation qui est faite de ce terrain.
M. Nicolas About. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Madame le secrétaire d'Etat, je tiens à dire sans passion la honte que m'inspire votre réponse.
En effet, en 1992, la société Ypréma s'est implantée à Montigny-le-Bretonneux pour faire du stockage, et ce n'est qu'en 1998 que, subrepticement, le concassage a commencé sur ce site, si bien qu'un nuage de poussière s'étend sur notre commune.
Le profit ne peut tout justifier !
Et ce n'est pas pour construire des locomotives que la SNCF se met à concasser, par exemple, des éléments de récupération de routes au coeur de nos villes. Il ne faut pas se moquer du monde ! On ne peut accepter de telles réponses de la part d'un gouvernement ! Quel mépris pour les citoyens d'une ville nouvelle considérée comme une réalisation d'intérêt national que l'implantation d'une société de concassage qui dégage des poussières polluantes !
La SNCF est le premier propriétaire foncier de France. Elle a acheté ces terrains grâce aux impôts, c'est-à-dire grâce à l'argent des Français, des habitants de ces communes.
La SNCF a uniquement pour mission de transporter des personnes et non d'organiser la pollution de nos cités.
Le ministre est comptable des réponses qu'il apporte. Je réitérerai ma question, afin d'obtenir une autre réponse digne d'un ministre.

FINANCEMENT DU RÉSEAU D'EAU POTABLE

M. le président. La parole est à M. Piras, auteur de la question n° 1015, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Bernard Piras. Je souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le financement du réseau d'eau potable.
La plupart des collectivités distributrices d'eau potable, syndicats intercommunaux ou communes, ont recours à la perception d'un droit fixe de branchement en accueillant les nouveaux abonnés.
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies fait part, dans sa lettre n° 161, d'une décision du Conseil d'Etat mettant en cause le versement d'un droit de branchement à l'occasion d'un nouveau raccordement au réseau de distribution d'eau potable.
Les collectivités publiques, dès les années cinquante, ont entrepris une oeuvre considérable en dotant les milieux ruraux de réseaux d'eau potable. Certes, des subventions des pouvoirs publics ont été obtenues, mais la majeure partie de ces importants investissements a été assurée par des emprunts à long terme. Le principe des droits de branchement est alors apparu comme une obligation pour honorer la charge de la dette.
A ce jour, ces collectivités se trouvent encore lourdement endettées. Par ailleurs, elles doivent faire face à ce coûteux investissements pour se conformer dans les meilleurs délais aux normes européennes.
La perte éventuelle de la ressource des droits de branchement entraînerait une augmentation substantielle du prix de l'eau et ferait ainsi supporter aux abonnés, ayant déjà financé cette partie de l'investissement, une deuxième contribution, ce qui paraît injuste et violerait le principe de l'équité des usagers devant le service public.
Il est à noter que l'article L. 35-4 du code de la santé publique autorise la perception d'un droit de branchement pour le raccordement aux réseaux d'eaux usées.
L'application de cette même mesure aux réseaux d'eau potable semble découler de la même politique. S'il en est autrement, on peut redouter de graves conséquences sur les équilibres financiers et les projets d'investissement des collectivités distributrices d'eau potable.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, de me faire part de votre sentiment sur ce problème.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le sénateur, votre question me permet en effet de rappeler, au nom du Gouvernement, un certain nombre de points de droit concernant le financement de l'adduction d'eau potable. Ces indications sont utiles à la fois à nos concitoyens et à nos collectivités.
L'arrêt du Conseil d'Etat que vous citez dans l'énoncé de votre question rappelle, effectivement, que l'extension des réseaux d'eau potable ne peut donner lieu au versement d'un droit de branchement forfaitaire.
S'agissant de constructions existantes, le financement de ces travaux relève du budget annexe du service de distribution d'eau, puisque l'extension du réseau est réalisée sur l'initiative de la collectivité locale ou du maître d'ouvrage délégué.
Compte tenu de son caractère d'équipement public, l'extension du réseau ne constitue pas une prestation pouvant légalement donner lieu à l'institution d'une redevance pour services rendus. Toutefois, les propriétaires intéressés à la réalisation des travaux peuvent, s'ils le souhaitent, s'engager à verser une contribution financière grâce à la technique de l'offre de concours.
La liste des contributions exigibles pour le financement d'un réseau d'eau potable revêt un caractère limitatif. Il ne peut en être exigé d'autres. Aucun texte, en effet, n'autorise une collectivité à percevoir un droit de branchement forfaitaire pour le raccordement des immeubles au réseau, à l'instar de ce qui existe pour l'assainissement.
Aussi, la décision par laquelle une commune aurait instauré des contributions ne répondant pas aux prescriptions du code de l'urbanisme me semble-t-elle dénuée de base légale.
En revanche, s'agissant de l'extension des réseaux de distribution d'eau induite par des projets de constructions nouvelles, le code de l'urbanisme prévoit plusieurs dispositifs de participation au financement.
En effet, il relève des dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains du 13 décembre 2000 que le conseil municipal peut instituer une participation pour le financement de tout ou partie des voies nouvelles et des réseaux réalisés pour permettre l'implantation de nouvelles constructions. Ainsi, ce dernier arrête par délibération, pour chaque voie nouvelle et pour chaque réseau réalisé, la part du coût des travaux mise à la charge des propriétaires riverains.
S'agissant des voies et réseaux compris dans les programmes d'équipements d'une zone d'aménagement concerté ou dans les programmes d'aménagement d'ensemble tels qu'ils sont visés au code de l'urbanisme, la participation que je viens d'évoquer ne sera pas due. Dans ces situations, ce sont les constructeurs qui ont à assurer le financement de la totalité des équipements publics rendus nécessaires par un ensemble de nouvelles constructions, quelle que soit la localisation de ces équipements.
J'espère, monsieur le sénateur, avoir pu contribuer à éclaircir ces questions complexes et délicates pour l'ensemble des élus locaux.
M. Bernard Piras. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras. Monsieur le secrétaire d'Etat, je ne suis pas pleinement satisfait. Pour tout vous dire, c'est la deuxième fois que je pose la question et que la même réponse m'est faite.
Si l'on ne clarifie pas la situation, les collectivités locales concessionnaires des réseaux d'eau vont connaître des difficultés. Je souhaite donc que le ministère de l'intérieur intervienne, de façon que les collectivités locales puissent assumer le remboursement de leurs investissements. Sinon, elles risquent d'être mises en cessation de paiement et de se voir contraintes d'augmenter les tarifs du mètre cube d'eau de façon excessive, ce qui serait préjudiciable à l'usager.

SITUATION DES LOCATAIRES TAXIS

M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 1016, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est la troisième fois que, moi aussi - décidément, ce matin, tout le monde se répète - j'interpelle le Gouvernement au sujet de l'exploitation extrême subie par les locataires taxis.
Au début de 1998, les parlementaires de mon groupe ont déposé une proposition de loi relative à l'accès à l'activité de conducteur et à la profession d'exploitant de taxi. Cette proposition prévoit deux modes d'exploitation des taxis seulement : ou par le propriétaire ou par le salarié. Elle élimine donc le système de la location que tous qualifient d'hybride et qui est pourtant fréquent à Paris et à Lyon, puisqu'il concerne 6 000 chauffeurs parisiens sur un total d'environ 16 000.
Or, la Cour de cassation, dans un arrêt du 19 décembre 2000 - c'est donc assez récent - qui se fonde sur le principe de réalité, c'est-à-dire sur la reconnaissance du lien de subordination qui existe dans tous les contrats de location entre le loueur et le locataire quoi qu'en disent les patrons de taxis, requalifie en contrat de travail un contrat de location de véhicule équipé taxi.
Cet arrêt de la Cour de cassation conforte donc notre analyse, à savoir qu'il faut abolir un système quasi féodal qui, étant donné le niveau de la redevance - plus de 16 000 francs par mois - conduit les locataires à travailler sept jours sur sept et douze à treize heures par jour, au mépris de la sécurité et de la réglementation pour espérer gagner leur vie, et ce en général de façon très médiocre.
De plus, le contrat de location aboutit à exonérer le loueur de toutes les responsabilités qu'un employeur normal devrait assumer et à priver le locataire, qui n'est ni salarié ni artisan ni travailleur indépendant, de tout droit social. Lors de la rupture du contrat, il ne peut prétendre ni à indemnités ni à allocations chômage et, lorsqu'il travaille, il ne peut exiger ni repos hebdomadaire ni congés payés.
Je dois dire que ce système d'exploitation était déjà en oeuvre au début du siècle et au cours de la grande grève de taxis de 1911-1912 - je vous renvoie à la lecture des Cloches de Bâle d'un certain Louis Aragon. Il a été aboli par le Front populaire, puis rétabli en 1973 par la droite et consacré, en 1995, par Charles Pasqua, alors ministre de l'intérieur.
J'émets le voeu que le changement d'ère à Paris et à Lyon s'accompagne de certaines mesures significatives, dont l'abolition de la location fait à mon avis partie.
C'est pourquoi, sans être particulièrement attachée à notre proposition de loi, je souhaiterais connaître la position du Gouvernement et savoir s'il va suivre l'arrêt de la Cour de cassation pour s'acheminer vers l'abolition - peut-être définitive cette fois-ci - d'un système d'exploitation d'un autre siècle.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Madame la sénatrice, j'espère que la réponse du Gouvernement permettra cette fois-ci de satisfaire quelques-unes des attentes que vous avez très justement exprimées ce matin.
A la suite de l'arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 décembre 2000 qui requalifie, en contrat de travail, un contrat de location d'un véhicule équipé taxi, vous souhaitez - vous avez rappelé qu'il s'agit d'un débat ancien - que la situation des locataires de taxis soit réexaminée.
Il convient tout d'abord de rappeler au Sénat que la location, forme reconnue d'exercice de la profession, est un système hybride qui présente néanmoins certains avantages tels que l'autonomie complète, la libre disposition du véhicule. C'est pourquoi nombre de chauffeurs locataires non titulaires d'une autorisation de stationnement le préfèrent au salariat.
Toutefois, il est prévu d'encadrer de façon très stricte ce type de location. Le ministère de l'intérieur s'est donc attaché, au cours des dernières années, à ce qu'un contrat-type soit élaboré dans le cadre de nombreuses réunions de travail entre l'administration et les organisations représentatives de loueurs et de locataires.
Ce contrat-type a été envoyé par circulaire à tous les préfets pour diffusion auprès des maires sans constituer un document juridiquement contraignant. Le ministre de l'intérieur a souhaité que l'autorité qui délivre une autorisation de stationnement gérée sur un mode locatif s'inspire de ce modèle pour délivrer cette autorisation.
Les principales sources d'insécurité que pouvaient ressentir certains chauffeurs et dont vous vous êtes fait justement l'écho ce matin ont été réglées par ce contrat-type.
En effet, l'aspect précaire des contrats mensuels a été supprimé, la durée minimale étant d'un an. Certains loueurs concluent même avec leurs locataires des contrats de trois, voire de quatre ans alignés sur la durée de vie présumée du véhicule. Les craintes des locataires de voir les tarifs de location s'accroître alors que l'activité ne progresse que modestement sont écartées, l'ajustement de la redevance étant calculé proportionnellement aux indices INSEE relatifs à l'achat de véhicules automobiles et au taux horaire de main-d'oeuvre.
De nombreuses autres mesures favorables aux locataires ont été introduites, telles que le mois de gratuité annuel à titre de prime de fidélité et la mise à disposition obligatoire d'un véhicule de remplacement en cas d'immobilisation du véhicule principal avec paiement d'indemnités journalières par le loueur qui ne s'acquitterait pas de cette obligation dans les cinq jours.
Enfin, et c'est essentiel, la résiliation de ces contrats ne peut intervenir que pour des motifs graves : retrait du permis de conduire ou de la carte professionnelle, conduite en état d'ivresse, non-paiements importants et récurrents des sommes dues, excès de sinistres, tous motifs qui conduiraient d'ailleurs un artisan à cesser son activité.
Les éléments ayant fondé la démarche de requalification par la Cour de cassation ne figurent pas dans le contrat-type ainsi élaboré et dans les nouveaux contrats de location signés en 1997 par la plus importante société de taxis et par la chambre syndicale des loueurs d'automobiles avec plusieurs organisations syndicales représentatives des taxis. Ces derniers ne paraissent pas normalement visés par l'arrêt de la Cour de cassation.
J'espère, madame la sénatrice, avoir contribué, sinon à apaiser toutes vos craintes - et plusieurs sont légitimes - du moins à vous indiquer que le Gouvernement souhaite oeuvrer utilement pour cette profession.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette réponse ne me satisfait pas entièrement, d'autant plus que je sais que les loueurs sont souvent soumis à de fortes pressions et qu'en général ils sont surexploités - mais je n'en dirai pas plus.
Je relève que le contrat dont vous avez parlé n'est pas contraignant et qu'il ne met pas fin à un système complètement hybride.
Or, la revue Le droit et les juges a souligné qu'au-delà du cas d'espèce c'est l'ensemble des faux travailleurs indépendants - parce que c'est cela la réalité - qui sont visés par l'arrêt de la Cour de cassation. Il faudrait donc essayer de ne pas décevoir l'espoir qu'a fait naître la jurisprudence s'agissant de situations qui sont absolument anormales.
J'ajoute que si l'on clarifiait le statut juridique de ces chauffeurs de taxi, s'ils devenaient des salariés, par exemple, cela créerait des emplois. Il faudrait des chauffeurs relais puisque les chauffeurs de taxi travaillent beaucoup trop dans la journée et sur l'année. Clarifier leur statut juridique permettrait également de leur assurer une couverture sociale et de faire entrer des cotisations dans les caisses de la sécurité sociale et de l'UNEDIC. Ces modifications sont d'autant plus envisageables que, à l'heure actuelle, les loueurs réalisent des profits assez considérables.

DÉLINQUANCE ET DÉPÉNALISATION DU CANABIS

M. le président. La parole est à M. Donnay, auteur de la question n° 1022, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jacques Donnay. Je souhaite attirer l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la situation de la délinquance dans le département du Nord et sa possible évolution, après la dépénalisation du cannabis en Belgique.
En effet, la récente publication des chiffres de la délinquance en France, pour l'année 2000, soulèvent de nombreuses inquiétudes.
Le Nord - Pas-de-Calais n'échappe pas à la tendance nationale et affiche des pourcentages parfois étonnamment élevés. Lille accuse une recrudescence de la délinquance de 3,31 %, Roubaix de 6,62 %, Tourcoing de 7 %, Douai de 4 %, Dunkerque de 2,32 %, Valenciennes de plus de 2 % et Cambrai de 5 %.
Dans ce contexte, il est à craindre, au lendemain de l'annonce de la dépénalisation de l'usage du cannabis en Belgique, que l'exemple belge ne tarde pas à avoir une influence certaine sur les deux maux nordistes très présents : la délinquance croissante des mineurs et le trafic des stupéfiants.
Le Nord était déjà l'une des régions les plus touchées par ce dernier phénomène en raison de sa proximité avec le marché libre des Pays-Bas, qui n'est situé qu'à 100 kilomètres du département. Que va-t-il désormais en être puisque l'offre va incontestablement croître avec le cannabis qui circulera librement de l'autre côté d'une frontière avec la Belgique de 200 kilomètres, qui, pratiquement, n'existe pas ?
Inéluctablement, cette nouvelle situation va entraîner une augmentation des trafics générateurs d'économie souterraine, une augmentation des trafics de stupéfiants, une augmentation des phénomènes de violence et, plus généralement, une montée de la délinquance dans les villes, les milieux périurbains et les zones rurales.
En conséquence, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, face au risque d'une telle spirale et d'une montée en puissance de la délinquance dans le département du Nord, quel plan d'action vous entendez mettre en oeuvre.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer. Monsieur le sénateur, tout d'abord je tiens à souligner que l'évolution de la délinquance dont vous faites état pour le département du Nord au cours de l'année 2000 doit être appréciée objectivement. Nous verrons ensuite bien sûr comment le Gouvernement entend y répondre.
Si les faits constatés dans les grandes villes du département ont légèrement augmenté, les infractions de voie publique ont nettement régressé au sein de ces agglomérations durant la même période. On enregistre une diminution de 5 % à Roubaix, de 13 % à Douai, de 6 % à Valenciennes et de 6 % à Cambrai.
Il en va de même en matière de stupéfiants : certes, le département du Nord a enregistré en 2000 une hausse de l'ordre de 5 % des faits constatés, mais les services de police ont mis en oeuvre de nouveaux modes d'action pour lutter plus efficacement contre ces fléaux.
Ainsi, les opérations d'envergure contre le trafic organisé sont allées de pair avec le développement de l'occupation de la voie publique par les policiers en tenue, afin de ne laisser aucun répit aux dealers et aux trafiquants.
L'activité déployée par les services de sécurité publique du Nord a permis, au cours de l'année 2000, de procéder à de nombreuses saisies de produits stupéfiants et de récupérer plus d'un million de francs provenant de ces commerces illicites.
De même, pour lutter contre les trafics itinérants dans le cadre de la coopération Schengen, des opérations ponctuelles sont mises en place aux frontières, sur des axes déterminés, par les services de la police française - police judiciaire et sécurité publique -, les services de la gendarmerie nationale et leurs homologues belges et hollandais, auxquels sont associés les services des douanes. Régulièrement, les contrôles opérés aboutissent à des saisies.
Parallèlement, l'action de prévention des services de police du Nord s'est développée et la campagne de prévention au sein des établissement scolaires a été particulièrement intensifiée.
Quant à la politique menée en Belgique en matière de stupéfiants, il convient de préciser que la légalisation de la vente ou de la production n'a pas eu, pour l'heure, de traduction législative. De plus, cette proposition ne fait pas l'unanimité chez nos voisins : le projet pourrait, en effet, se révéler en contradiction avec les conventions internationales ratifiées par la Belgique en matière de stupéfiants.
S'agissant de la lutte contre la délinquance des mineurs, les Conseils de sécurité intérieure des 8 juin 1998 et 30 janvier 2001 ont défini les grandes lignes des mesures destinées à assurer une présence effective dans les quartiers et les lieux sensibles, de nature à lutter contre l'impunité, à améliorer la prise en charge des mineurs délinquants et à instituer le partenariat avec les différents acteurs de la sécurité au travers des contrats locaux de sécurité qui réunissent en effet les services de l'Etat, mais aussi - c'est indispensable - les collectivités locales.
Sur le plan opérationnel, les circonscriptions de sécurité publique du département du Nord disposent de sept brigades des mineurs opérant au sein des services d'investigation.
Dans chacune des circonscriptions, un correspondant local « police-jeunes » a été désigné. Son action est coordonnée, au niveau départemental, par un « référent-jeunes ». Ces policiers ont pour mission d'être les interlocuteurs privilégiés des jeunes au sein de chaque service et d'assurer, par le recueil d'informations, mais aussi par le dialogue avec les différents partenaires, la mise en oeuvre d'actions ciblées ou personnalisées dans la lutte contre la délinquance des mineurs. Ce dispositif permet une meilleure individualisation et une plus grande rigueur du suivi judiciaire, éducatif et social des mineurs délinquants, notamment des récidivistes, grâce à la transmission d'une information plus complète aux magistrats.
Enfin, j'ajoute que, pour assurer une action éducative continue auprès des jeunes du département, quatre centres de loisirs ont été mis en place par la sécurité publique dans les communes de Dunkerque, Grande-Synthe, Petite-Synthe et Valenciennes ; ils ont accueilli, en 2000, cinq cent quatre-vingt treize jeunes issus des quartiers sensibles.
Au travers de ces informations, monsieur le sénateur, je souhaitais, si besoin était, vous rassurer sur l'ampleur du dispositif mobilisé par le ministre de l'intérieur et par les représentants de l'Etat dans le département du Nord pour lutter, avec beaucoup de ténacité, contre toutes les formes de délinquance que vous avez rappelées.
M. Jacques Donnay. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Donnay.
M. Jacques Donnay. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous sommes néanmoins très inquiets. Une étude de l'observatoire régional de la santé publiée récemment, en octobre 2000, précisait qu'un jeune de moins de vingt-cinq ans sur deux s'était déjà vu proposer du cannabis et qu'un sur cinq en avait consommé.
De plus, on peut, malheureusement, craindre une augmentation de ces proportions, car - vous le savez - la Belgique est en train de copier quelque peu les Pays-Bas, ce qui est naturellement très dommageable.
J'admets volontiers que l'action menée par le préfet du Nord, qui prend conscience de cette dérive, est bénéfique. Il m'apparaît cependant qu'il faudrait augmenter les actions de prévention et, surtout, développer l'information de façon substantielle.

RECOURS EXCESSIF À LA PROCÉDURE
DE MISE À DISPOSITION DES AGENTS PUBLICS

M. le président. La parole est à M. Oudin, auteur de la question n° 1020, adressée à M. le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
M. Jacques Oudin. Monsieur le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur le recours excessif à la procédure de mise à disposition d'agents publics par nos administrations - je précise : toutes nos administrations.
Cette pratique a été facilitée par les lois des 11 et 26 janvier 1984, du 9 janvier 1986 et du 26 juillet 1991, qui, au demeurant - je l'indique sans esprit polémique - sont toutes l'oeuvre de gouvernements socialistes.
Cette pratique est un obstacle majeur à la transparence des comptes publics et à la connaisance des effectifs de la fonction publique.
Les personnes concernées sont réputées occuper un emploi dans une administration ou un établissement public, alors qu'en fait elles exercent leurs fonctions dans un autre organisme, qu'il soit de statut public ou privé.
Les administrations ou établissements publics d'origine continuent à les rémunérer, le plus souvent sans bénéficier de contreparties financières. Leurs moyens d'action sont donc diminués d'autant, alors même qu'ils ont, à leur demande, bénéficié de dotations budgétaires ou obtenu des ressources financières pour assurer des missions qu'ils ne remplissent pas.
Quant aux organismes ou administrations bénéficiaires, ils disposent ainsi de moyens supplémentaires qui échappent à tout le moins au contrôle du législateur.
La pratique des mises à disposition fausse donc de façon particulièrement grave la sincérité et la transparence des comptes publics, comme l'a souvent dénoncé la Cour des comptes sans que ses remarques aient été suivies de la moindre action correctrice.
De surcroît, ces pratiques rendent encore plus difficile, voire impossible, la connaissance des effectifs réels occupés par la fonction publique, comme l'ont montré la lenteur, l'imprécision des réponses, voire l'absence de réponse, aux questions écrites que j'ai posées à ce sujet aux différents ministres dont les administations sont concernées par ces errements.
En conséquence, dans le cadre des préoccupations manifestées par le Parlement pour la réforme de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, je souhaite connaître les intentions du Gouvernement, les vôtres et celles de M. le ministre de la fonction publique pour réduire ces pratiques, modifier les textes qui les autorisent et engager une plus grande moralisation de la gestion des effectifs de la fonction publique.
Je souhaite, enfin, savoir si le Parlement pourra disposer très rapidement des tableaux exhaustifs et précis faisant apparaître la totalité des effectifs concernés par ces pratiques et indiquant à la fois les administrations ou organismes d'origine et ceux qui bénéficient de ses mises à disposition.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui est retenu en ce moment même au Conseil supérieur de la fonction publique.
Vous avez appelé son attention sur les mises à disposition de fonctionnaires. Vous avez d'ailleurs déposé, au mois de décembre 1999, une proposition de loi visant à restreindre cette pratique qui est autorisée par plusieurs lois, notamment par celle du 11 janvier 1984, à laquelle vous faisiez allusion il y a un instant.
Les mises à disposition constituent effectivement, s'agissant de la fonction publique de l'Etat, une exception au principe de spécialité budgétaire, qui implique que le Parlement se prononce chaque année sur la variation des emplois affectés à tel ou tel département ministériel, conformément au cadre défini par l'ordonnance portant loi organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Cette pratique est, en fait, très loin de constituer, comme vous le laissez entendre, une dérive menaçant de façon grave les conditions dans lesquelles le Gouvernement exécute l'autorisation budgétaire qui lui est donnée par le Parlement. Le phénomène est en effet marginal. Il concernait 0,3 % des effectifs des ministères, soit 5 403 agents, au 31 décembre 1998.
Je peux vous donner des chiffres sur la constitution de ce phénomène. Deux ministères sont principalement à l'origine des mises à disposition : le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, avec 1 629 agents - c'est celui qui accorde le plus de mises à disposition - et le ministère de l'éducation nationale, avec 1 347 agents. Ce sont les organismes associatifs à mission d'intérêt général qui accueillent la part la plus importante de fonctionnaires mis à disposition - environ 40 %.
Compte tenu de ces indications, qui font d'ailleurs l'objet d'une étude statistique publiée tous les deux ans par les services du ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, M. Michel Sapin ne pense pas que la pratique des mises à disposition dénature l'autorisation budgétaire en emplois approuvée chaque année par le Parlement. Elle est même conforme au statut général des fonctionnaires.
Etre transparent en matière d'emplois publics, c'est disposer d'un outil statistique permettant, d'une part, de rendre compte au Parlement de l'utilisation des crédits et des emplois mis à disposition des services et, d'autre part, à chaque gestionnaire de crédits de connaître précisément les effectifs réellement employés dans les services dont il a la responsabilité.
En ce sens, le passage d'un vote portant sur les créations ou les suppressions d'emplois à un vote portant sur un stock d'emplois par ministère, toutes catégories confondues, comme le prévoit la proposition de réforme de l'ordonnance de 1959, constitue une évolution que le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat juge particulièrement positive.
Le contrôle de l'exécution budgétaire, s'agissant de ce stock d'emplois, est un élément tout aussi essentiel pour éclairer la discussion sur le projet de loi de finances à partir de comptes rendus produits notamment à l'appui des projets de loi de règlement.
L'observatoire de l'emploi public, que le ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat a installé en septembre dernier, a, entre autres, pour mission de présenter chaque année au Parlement un état statistique annuel des effectifs de la fonction publique de l'Etat. Il a souhaité que ce travail soit coordonné dans le temps avec la confection du projet de loi de règlement et qu'il comporte toutes les précisions nécessaires quant à la position statutaire des intéressés.
Evidemment, ce travail sera progressivement adapté à la nomenclature budgétaire qui sera issue de la réforme de l'ordonnance organique de 1959.
Voilà, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je peux vous faire au nom de M. Michel Sapin.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le ministre, je ne m'attendais pas à une réponse très différente de celle que vous m'avez faite. Cette réponse est à la fois surprenante et quelque peu décevante.
Surprenante, car, au moment où la nation, où le Parlement réclament, en matière de comptes publics, la plus grande clarté, la plus grande transparence, au moment, d'ailleurs, où le Parlement est en train de voter une réforme profonde de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 - elle a déjà été examinée en première lecture à l'Assemblée nationale et nos collaborateurs l'étudient en ce moment même à la commission des finances - il est étonnant d'entendre dire que ce phénomène est marginal et que cette pratique ne dénaturerait pas la sincérité des comptes.
Monsieur le ministre, je me suis simplement reporté à votre ministère. Je vous avais posé une question écrite en 1999 ; vous y avez répondu le 25 mai 2000. Au 31 décembre 1999, 613 agents étaient mis à disposition sans contrepartie financière, ce qui représentait, à l'époque, 222 millions de francs. Les chiffres sont variables puisque le ministère de la fonction publique en comptabilisait 582 au 31 décembre 1998. Au total, les agents mis à disposition étaient au nombre de 5 032 en 1998. Globalement, on atteint tout de même une somme qui avoisine 2,5 ou 3 milliards de francs.
Je veux bien qu'on dise à la nation que ces 3 milliards de francs, c'est marginal !
En fait, il se pose un problème de moralité publique dont les pouvoirs publics sont d'ailleurs parfaitement conscients. Ainsi, dans votre propre ministère, une convention de 1997 avec le CEMAGREF, le centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, tend à résorber petit à petit ces mises à disposition. La même convention est en cours de préparation entre le ministère des affaires sociales et le ministère des finances, puisque j'ai dénoncé le fait qu'il y avait au ministère de la santé 630 emplois mis à la disposition de la direction des hôpitaux ou de la direction de la santé. Et par qui sont occupés ces emplois ? Par des directeurs d'hôpitaux ou des cadres de la sécurité sociale, payés par la sécurité sociale, donc par les cotisants et non par les contribuables, qui font office de contrôleur des mêmes hôpitaux dont ils sont issus.
Ce système, monsieur le ministre, est impraticable, il est amoral et je pense donc qu'il faut y mettre un terme.
A ce propos, je viens de recevoir une télécopie - ma question était posée sur Internet - qui provient d'un organisme que je ne connais pas et qui s'appelle « Formation-Pargo ». Je lis le texte de cette télécopie ; « France Télécom contraint des milliers de fonctionnaires à se mettre à disposition de ses filiales - Wanadoo, Orange, Global One, etc. - et ce en toute illégalité. Nous vous sommes reconnaissants de votre intervention sur le sujet ». Je joins cette pièce au dossier, bien entendu.
Quant à l'observatoire de la fonction publique, qui vient d'être créé parce que certains se sont émus de ces pratiques, je lui souhaite bonne chance. Tous les rapports qui ont été rédigés, dans cette maison comme à la Cour des comptes, ont montré qu'il était impossible de connaître avec exactitude les effectifs de la fonction publique. Je pense que le « Mammouth » a bon dos !

CONSÉQUENCES DE LA CRISE DE LA VACHE FOLLE
EN CHARENTE

M. le président. La parole est à M. de Richemont, auteur de la question n° 1030, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Henri de Richemont. Monsieur le ministre, c'est il y a quelques semaines que je me suis inscrit pour vous poser cette question sur les conséquences de la crise de la vache folle et de la fièvre aphteuse pour les éleveurs de bovins et d'ovins de la région Poitou-Charentes, et plus particulièrement du département de la Charente, qui représente 20 % du cheptel régional - vous aviez d'ailleurs déjà entendu les éleveurs de mon département lors de votre visite à Confolens, il y a quelques mois.
Je ne pensais pas, alors, que le jour où je poserais cette question les éleveurs de mon département connaîtraient un cas très douloureux. Samedi dernier, en effet, lorsque, avec M. Raffarin, nous avons fait le tour des éleveurs de la région et du département de la Charente, nous avons appris qu'en raison d'un cas de vache folle en Charente un troupeau de 250 montbéliardes devait être très prochainement détruit.
A ce propos, monsieur le ministre, l'arrêté du 30 mars 2001 semble durcir les conditions d'indemnisation des éleveurs dont le troupeau a fait l'objet d'un abattage total sur ordre de l'administration, en fixant un montant de base et un montant majoré par catégorie. Or, d'après cet arrêté, si l'estimation est supérieure au montant majoré, elle ne pourra être retenue qu'à titre exceptionnel, ce qui allongera encore les délais d'indemnisation. Je serais donc heureux de savoir dans quel délai interviendra l'indemnisation accordée à l'éleveur dont le troupeau a été abattu.
D'une manière générale, c'est toute la filière qui est touchée, monsieur le ministre, aussi bien les abattoirs, qui, pour certains d'entre eux, perdent 5 millions de francs par semaine, que les transporteurs et, plus encore, les éleveurs, privés de rentrées de trésorerie puisque les jeunes bovins, les taurillons et les broutards ne se vendent pas.
Certes, monsieur le ministre, vous avez obtenu l'accord de Bruxelles pour une mesure dérogatoire consistant en une indemnisation à hauteur de 1,4 milliard de francs à l'échelon national, qui se traduira par une enveloppe de 46 millions de francs pour notre région et de 7,334 millions de francs pour le département de la Charente. La région a majoré le montant de votre aide d'une somme de 5 millions de francs, dont 750 000 francs au bénéfice du département de la Charente, étant précisé que le conseil général accompagnera la démarche par le biais d'un versement d'un montant identique. On aboutit ainsi à un total de 8,884 millions de francs pour mon département.
Cela étant, Jean-Pierre Raffarin et moi-même avons rencontré samedi dernier un éleveur qui subit une perte de 2 000 francs par jeune bovin : si l'on applique le plafond que vous avez retenu, il touchera 1 500 francs. Atteindre ce plafond supposerait que l'on puisse engager, pour l'ensemble du département, une somme de 13,7 millions de francs, or, comme je viens de l'indiquer, nous ne disposons que de 8,884 millions de francs. Serait-il possible, monsieur le ministre, que l'Etat consente un effort supplémentaire, afin que les éleveurs puissent recevoir une indemnisation égale à leur préjudice ?
Une autre préoccupation porte sur le seuil de chargement. Comme vous le savez, au-dessus de 1,4 unité de gros bétail - UGB - à l'hectare, l'éleveur ne touche plus la prime à l'herbe de 300 francs par hectare. Or, aujourd'hui, le taux d'occupation, à la suite de la rétention d'animaux due à la mévente des jeunes bovins et des broutards, est de 1,8 UGB par hectare. Cette situation entraîne également une diminution des montants versés au titre du complément extensif et de l'indemnité compensatrice des handicaps naturels. Certes, la direction départementale de l'agriculture nous a indiqué qu'elle peut appliquer un abattement de 20 %, afin de ramener le taux de chargement de 1,8 à 1,6, voire 1,4, mais êtes-vous sûr, monsieur le ministre, que l'Union européenne nous laissera pratiquer cet abattement, qui permettrait d'éviter que les éleveurs ne soient pénalisés ?
Un autre problème tient à la mise aux normes des bâtiments d'élevage dans l'optique du PMPOA, le programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole. En Charente, soixante-quinze éleveurs sont concernés du fait de leur spécialisation, mais ils n'ont pas aujourd'hui les moyens d'effectuer les travaux nécessaires. Or, s'ils ne les réalisent pas avant la fin de l'année, ils devront acquitter la taxe anti-pollution et, de surcroît, ils perdront le bénéfice des subventions. Sur ce point, avez-vous fait le nécessaire, monsieur le ministre, pour que l'Union européenne accorde un moratoire ?
Enfin, au-delà du préjudice économique, il existe à mon sens une crise plus grave, à savoir la crise morale qui atteint les éleveurs. Ceux-ci se sentent abandonnés et incompris, et je pense que la nation devrait leur manifester davantage de solidarité. Quelles mesures entendez-vous prendre à cet égard ? Je crois, je suis même persuadé que régions et départements seraient prêts à vous accompagner dans une démarche visant à redonner confiance aux éleveurs. Si l'on ne s'engage pas dans cette voie, monsieur le ministre, nos campagnes françaises, en tout cas les campagnes de la région Poitou-Charentes, se transformeront soit en un désert, soit en un horrible champ de maïs !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, je voudrais d'abord vous dire que je rejoins totalement votre constat : l'addition des crises de l'ESB et de la fièvre aphteuse représente un véritable sinistre pour la filière de l'élevage dans notre pays, en particulier pour l'élevage bovin. Face à cette situation, j'estime, tout comme vous, que les éleveurs ont droit à la solidarité nationale, celle-ci pouvant et devant s'exprimer sous une forme financière - j'y reviendrai dans un instant - mais aussi sur le plan moral, psychologique, je dirais presque affectif.
En effet, bon nombre d'agriculteurs, et plus particulièrement d'éleveurs, se trouvent aujourd'hui dans une situation de désespérance, de détresse. Ils s'interrogent même, tout simplement, sur leur métier, se demandant à quoi bon continuer si tout doit se terminer par ces crises alimentaires, cette défiance des consommateurs, ces bûchers ou ces charniers que l'on montre à longueur de journaux télévisés, d'une manière qui me paraît inutile et excessive.
Par conséquent, je partage les préoccupations profondes des éleveurs français et européens, et nous devons trouver tous les moyens de leur affirmer notre solidarité, qui ne peut pas n'être que financière, mais qui doit être affective au plein sens du terme.
Vous avez posé de nombreuses questions, monsieur le sénateur, sur la façon dont nous traitons ces dossiers et sur les modalités de la traduction de notre solidarité financière à l'égard des éleveurs.
Au mois de décembre dernier, nous avons annoncé un premier train de mesures comprenant des prêts à taux bonifiés, des reports de charges et la mobilisation du fonds d'allégement des charges. En outre, voilà un peu plus d'un mois, à la suite de l'échec de la négociation européenne, c'est-à-dire après que l'Union européenne, ayant constaté que ses caisses étaient vides, eut refusé d'accorder des aides européennes aux éleveurs concernés, mais nous eut autorisés, sous conditions, à mettre en place des dispositifs nationaux, j'ai présenté un plan d'aides directes mobilisant 1,4 milliard de francs. Parallèlement, nous avons essayé de mettre en oeuvre à l'échelon national, aussi efficacement que possible, des mesures de gestion des marchés, lesquelles présentent une importance extrême.
En effet, si la crise sanitaire due à l'ESB va encore durer, le dispositif est maintenant presque arrêté au plan européen, et il n'est guère possible de faire davantage que tout ce que nous avons déjà mis en place : interdiction des farines animales, allongement de la liste des matériaux à risques spécifiés, pratique des tests systématiques. L'Europe s'est alignée sur toutes les demandes de la France, au plus haut niveau de sécurité sanitaire, et nous avons fait le maximum de ce point de vue. Quant à la crise sanitaire due à la fièvre aphteuse, je n'ose affirmer ici qu'elle est derrière nous, mais c'est en tout cas mon espoir et ma conviction à certains égards. En revanche, nous ne sortirons de la crise économique que subissent les éleveurs et la filière française de l'élevage que le jour où nous aurons retrouvé les équilibres de marché. Or nous sommes loin, bien loin du compte, à cause notamment de la sous-consommation liée à la défiance des acheteurs. Il existe des stocks, en particulier sur pied, dans les exploitations, qu'il nous faut purger.
Par conséquent, les dispositions d'intervention publique, de retrait et de destruction pour les bovins de plus de trente mois sont des mesures essentielles pour assainir le marché et lui permettre de recouvrer ses équilibres. La France se bat, à l'échelon communautaire, pour que ces dispositions soient adaptées et complétées à hauteur des enjeux. J'ai d'ailleurs obtenu, vendredi dernier, une levée des contraintes de poids pour l'intervention publique au titre des jeunes bovins. L'essentiel des offres françaises a donc été accepté lors de la dernière adjudication, et je pense que cela permettra de soulager le marché.
Je m'efforce aussi d'obtenir, toujours au plan communautaire, que des mesures soient prises afin de purger le marché par le retrait de très jeunes animaux. Nous devons continuer dans cette voie, et je voudrais, à cet égard, répondre plus précisément à votre question sur les broutards, les mesures adoptées prenant en compte, à mon sens, le problème spécifique posé par ces animaux. Ainsi, l'effectif du troupeau allaitant a pesé pour moitié dans la répartition entre les départements de l'enveloppe des aides directes, et les broutards peuvent faire l'objet de l'intervention publique. Des dispositifs particuliers de dégagement ont été mis en place, et j'ai demandé à mes services de dresser un bilan de la situation des broutards, afin de proposer au Gouvernement, le cas échéant, de nouvelles mesures. Je n'hésiterai pas à le faire parce que je suis convaincu, monsieur le sénateur, que le problème des broutards demeure la clé de la gestion du marché.
En ce qui concerne le dépassement des seuils de chargement, j'ai obtenu, à l'échelon communautaire, qu'un coefficient réducteur soit appliqué sur le taux de chargement pris en compte pour l'attribution du complément extensif de la PMTVA, la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes. Compte tenu de la durée de la crise due à l'ESB et à la fièvre aphteuse, je demanderai à la Commission européenne que l'application de cette mesure, qui portait initialement sur la période allant du 15 octobre 2000 au 15 mars 2001, soit prolongée.
En revanche, s'agissant de la mise en oeuvre des programmes de mise aux normes des bâtiments d'élevage, décider un moratoire général me semblerait, à ce stade, constituer un signal négatif à l'adresse de nos concitoyens, alors que ceux-ci manifestent précisément leur souci à la fois d'une meilleure qualité des produits et d'un plus grand respect de l'environnement. Je tiens cependant, en réponse à votre remarque pertinente, à prendre ici l'engagement que la situation des éleveurs qui se trouveraient confrontés à des difficultés en raison d'une obligation de mise aux normes de leurs bâtiments sera examinée au cas par cas.
En ce qui concerne le problème de l'indemnisation du cheptel abattu à la suite de la découverte d'un cas d'ESB ou de fièvre aphteuse, je puis vous assurer que le montant proposé prend en compte la valeur réelle du troupeau. Ainsi, les chiffres qui ont été annoncés, soit 5 000 francs par bovin, représentaient non pas des plafonds, mais des planchers au-delà desquels nous prenons en considération la valeur réelle du troupeau, y compris au regard de son potentiel génétique. Nous ne connaissons d'ailleurs pas de problème d'indemnisation dans les cas d'ESB, parce que les montants sont calculés de façon très large, afin d'inciter les éleveurs à ne pas dissimuler la maladie. De ce point de vue, nous faisons donc le maximum.
S'agissant enfin d'abonder l'enveloppe nationale de 1,4 milliard de francs d'aides directes au motif que les enveloppes départementales ne sont pas suffisantes, je vous répondrai, monsieur le sénateur, que les efforts consentis ne sont jamais suffisants. Mon obsession aujourd'hui est surtout de faire en sorte que ces aides soient versées rapidement et qu'elles parviennent sur les comptes des éleveurs le plus vite possible. J'ai pris l'engagement que les premiers chèques seraient remis à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai : c'est pour moi une priorité absolue. Au-delà, je n'ose faire des promesses presque démagogiques selon lesquelles nous pourrions abonder cette enveloppe de 1,4 milliard de francs, car nos possibilités sur ce plan ont leurs limites, liées à ce que les autres catégories socio-professionnelles de France sont prêtes à concéder pour un nouvel effort en faveur des éleveurs, et aussi à l'importance des crédits que les autres ministères accepteront ou toléreront de redéployer au bénéfice du ministère de l'agriculture. Dans l'optique des arbitrages interministériels, cette question n'est pas simple du tout, et je ne sais donc pas si nous abonderons l'enveloppe des aides directes. J'ai conservé une petite réserve pour répondre, çà et là, aux besoins les plus criants et les plus choquants, mais ce qui me paraît le plus important - et c'est ce vers quoi tendent tous mes efforts - c'est de verser très rapidement les aides, car les éleveurs en ont grand besoin.
M. Henri de Richemont. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier des précisions que vous m'avez apportées. Elles étaient attendues non seulement par les éleveurs de ma région, mais aussi par l'ensemble des éleveurs bovins français.
J'ai pris acte avec satisfaction de votre volonté de verser rapidement les aides : c'est incontestablement une réponse aux préoccupations et aux inquiétudes des éleveurs. Ceux-ci continuent toutefois à subir des pertes importantes de trésorerie et je crains malheureusement que certains d'entre eux ne soient confrontés à des difficultés risquant de mettre en cause la pérennité de leur exploitation.
Je me réjouis également que vous ayez obtenu l'accord de Bruxelles à propos de l'abattement de 20 % pour le taux de chargement et que vous ayez pris l'engagement d'examiner au cas par cas la possibilité d'un moratoire lorsque les éleveurs auront été dans l'impossibilité, compte tenu de leurs problèmes de trésorerie, de réaliser les travaux rendus nécessaires par la mise en oeuvre du PMPOA.
Enfin, je me félicite, au nom des éleveurs, de ce que la nation marque son affection et sa solidarité à une profession qui, aujourd'hui, se sent particulièrement mal comprise. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'Etat et les collectivités doivent se rassembler pour les soutenir, dans l'intérêt du pays.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

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ÉLOGE FUNÈBRE DE PIERRE JEAMBRUN,
SÉNATEUR DU JURA

M. le président. Mes chers collègues, je vais prononcer l'éloge funèbre de Pierre Jeambrun. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
Figure familière de notre assemblée, notre collègue et ami Pierre Jeambrun nous a quittés le 7 février dernier.
Pierre Jeambrun était un homme curieux des autres.
Grand observateur de la vie politique, il la considérait avec lucidité et affection.
Son parcours politique porte la marque de la fidélité : fidélité à un homme, Edgar Faure, et fidélité à une terre, le Jura.
Pierre Jeambrun est né le 4 juin 1921 à Lons-le-Saunier, dans une famille jurassienne de longue date. C'est à Lons-le-Saunier que Pierre Jeambrun grandit et qu'il fit des études brillantes marquées par un prix au concours général en histoire.
De sa jeunesse lédonienne, Pierre Jeambrun se plaisait à évoquer les visites à la préfecture, où travaillaient sa mère et sa grand-mère. D'un températement curieux, Pierre Jeambrun acquiert, à l'occasion de ces visites, une familiarité précoce avec la vie politique locale et avec le radicalisme, qui sera l'engagement de toute sa vie.
« A cette époque, écrit-il dans l'un de ses ouvrages, le radicalisme était notre lait maternel, l'élu était la courroie de transmission directe avec le pouvoir. Il plongeait dans le peuple dont il était issu. »
La nécessité d'être à l'écoute de ses concitoyens et de répondre à leurs aspirations seront la ligne de conduite indéfectible de Pierre Jeambrun.
Après des études de droit à Lyon, notre collègue entame, en 1941, une carrière de fonctionnaire des finances, dans les services de l'enregistrement, qui le conduira dans les Vosges.
Docteur en droit, après une thèse sur le droit de préemption du fisc, l'affectation vosgienne de Pierre Jeambrun ne lui fait cependant pas oublier son cher Jura, dont il rédigera une magistrale géographie politique qui retiendra l'attention d'Edgar Faure.
C'est ainsi que Pierre Jeambrun entre, en 1950, au cabinet d'Edgar Faure, alors ministre du budget, pour s'occuper des questions jurassiennes. Chargé de mission recruté pour six mois, il restera aux côtés d'Edgar Faure durant quelque vingt-quatre années.
De 1950 à 1957, notre collègue suit Edgar Faure à la justice, à la présidence du Conseil, aux finances, aux affaires étrangères, accumulant ainsi une connaissance précieuse et diversifiée du fonctionnement de l'Etat.
En 1958, Pierre Jeambrun reprend sa carrière de fonctionnaire comme receveur des finances, chef d'un important service de la loterie nationale. Rappelé en 1968 auprès d'Edgar Faure à l'éducation nationale, il devient, en 1973, lors de l'élection d'Edgar Faure à la présidence de l'Assemblée nationale, son directeur adjoint de cabinet au Palais-Bourbon.
Cet attachement à un homme traduit une fidélité rare, très rare.
Sa grande admiration pour les capacités intellectuelles d'Edgar Faure allait de pair avec un regard lucide, parfois décapant, mais toujours bienveillant, dont témoignent les confidences publiées en 1998 sous le titre Les Sept Visages d'Edgar Faure .
L'année 1974 introduit une rupture dans ce parcours d'homme politique de l'ombre. Pierre Jeambrun est brillamment élu, dès le premier tour, sénateur du Jura. Il sera réélu en 1983 et en 1992.
Un lien très fort unissait, dès l'origine, Pierre Jeambrun à sa terre natale. Son goût pour la chose publique, son expérience de l'Etat, sa connaissance des caractères, des habitudes et des terroirs rendaient naturelle cette orientation nouvelle.
Nommé à la commission des affaires économiques, Pierre Jeambrun s'attache plus particulièrement à la défense du monde rural. Plusieurs années rapporteur du budget des industries agricoles et alimentaires, il intervient dans la discussion des grandes orientations de la politique agricole française.
Dans le même temps, de 1974 à 1983, Pierre Jeambrun est un pilier de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes du Sénat, où son expérience de l'Etat, son bon sens et sa formation de fonctionnaire des finances constituent des apports précieux et appréciés.
Financier averti, Jeambrun est aussi un bon vivant. Conviés par lui à une session de commission en Franche-Comté, en octobre 1979, des parlementaires de l'Assemblée de l'Union de l'Europe occidentale garderont un souvenir ému des vendanges en Arbois.
Européen convaincu, Pierre Jeambrun fut vice-président du groupe sénatorial du Mouvement européen. La construction européenne sera une dimension importante de son action et de sa réflexion.
Désigné aux assemblées de l'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, et du Conseil de l'Europe en qualité de suppléant dès 1974, puis de titulaire de 1977 à 1998, Pierre Jeambrun est, en 1978, élu président de la commission des relations avec les parlements nationaux de l'UEO et, de 1986 à 1998, vice-président de la délégation française aux assemblées du Conseil de l'Europe et de l'UEO. Il dépose à ce titre plusieurs rapports d'information sur les activités de sa délégation.
Hostile à toute idée de conflit, Pierre Jeambrun croyait dans les relations interpersonnelles pour garantir la paix.
Ses talents de conciliateur déploient toute leur mesure au sein de son groupe politique, la gauche démocratique devenue Rassemblement démocratique et social européen, mais aussi sur tous les bancs de cette assemblée, où il est une personnalité reconnue comme très consensuelle. C'est ainsi qu'il est élu juge titulaire à la Haute Cour en 1997.
Collectionneur passionné et éclectique, aimant plus la quête de l'objet que sa possession, il n'hésitait pas à céder, lorsqu'il les jugeait achevées, ses collections d'objets familiers pour en entreprendre d'autres.
C'est dans le même esprit de curiosité qu'il se livre à la recherche de témoignages et de pièces historiques qui fournissent la matière de ses livres. Biographe de Jules Grévy, de Charles Dumont, puis d'Edgar Faure, il s'attache à montrer leur apport en politique, mais aussi - d'une façon très humaine - comment les nécessités de la politique ont façonné ces hommes, portraits croisés de la France et des hommes politiques jurassiens au travers des républiques, qu'il dresse avec talent.
Pierre Jeambrun aimait passionnément la politique.
Il aimait à en comprendre les ressorts. Il considérait la politique comme exemplaire de l'action humaine. Il la connaissait à merveille. Et le charmeur qu'il était savait nous enchanter par la malice de ses récits consacrés à la politique.
La grande humanité et l'humour de Pierre Jeambrun nous manqueront.
Au nom du Sénat tout entier, j'assure son épouse, ses deux filles et son fils, de notre sympathie sincèrement attristée. A ses collègues de la commission des affaires culturelles et à ses amis du groupe du RDSE, j'adresse nos sincères condoléances.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je veux m'associer à l'hommage que vous rendez à Pierre Jeambrun.
Membre du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, le sénateur Jeambrun était, parmi vous, le représentant des hommes et des femmes du Jura, dont il avait une connaissance personnelle, presque familiale.
Elu, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, à trois reprises au Sénat, il était, je le sais, un parlementaire apprécié de tous.
C'est par une étude remarquée sur la géographie électorale du Jura qu'il entra en politique. Il était alors inspecteur de l'enregistrement, poste envié, en ce temps, au sein de l'administration des finances. Il se mit au service du président Edgar Faure et y resta pendant toute la vie de celui-ci, d'abord dans différents cabinets ministériels, puis à la présidence du Conseil, et dans d'autres ministères encore, dont celui des finances. Il fut ensuite directeur adjoint de son cabinet à la présidence de l'Assemblée nationale.
Pierre Jeambrun a été avant tout un ami fidèle, fidèle à celui qu'il surnomma affectueusement « l'homme aux sept visages », fidèle à une certaine conception de l'Europe et de la République que, précisément, Edgar Faure incarnait.
Les longues heures de travail, les allers et retours dans les trains, les permanences, les épreuves, mais aussi les satisfactions : telle est la vie des élus du peuple, la vie de leurs collaborateurs, la vie des femmes et des hommes qui donnent leur temps, leur énergie et leur volonté au service des autres, de leur région et de leurs convictions.
Au nom du Gouvernement de la République, je veux adresser à l'épouse de Pierre Jeambrun, à ses trois enfants ainsi qu'à ses proches mes condoléances les plus sincères.
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous invite à observer, à la mémoire de Pierre Jeambrun, une minute de silence. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence.)
Mes chers collègues, selon la tradition, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants pour me permettre de saluer la famille de Pierre Jeambrun.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

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RAPPEL AU RÈGLEMENT

Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 du règlement.
Hier Michelin, aujourd'hui Danone-Lu, Marks & Spencer, demain, peut-être, AOM - Air Liberté... la liste des restructurations accompagnées de licenciements secs dans les grandes entreprises ne cesse malheureusement de s'allonger.
Le taux de chômage en baisse, la croissance retrouvée, ne doivent pas faire oublier que, paradoxalement, la précarité persiste sur le marché du travail et que les plans sociaux se multiplient.
Les sénatrices et sénateurs de mon groupe s'associent pleinement à la colère et à l'indignation de ces femmes et de ces hommes, salariés de Marks & Spencer, qui ont appris la fermeture de tous les magasins du groupe en France, et ce au mépris du code du travail et des procédures d'information et de consultation.
Au-delà de cette indignation légitime, nous, parlementaires communistes, entendons mettre en avant l'indécence de ce choix, dicté par le seul critère de la rentabilité financière. Une fois encore, des emplois sont sacrifiés pour assurer le bien-être maximum des actionnaires.
Le groupe Marks & Spencer a annoncé un résultat d'exploitation bénéficiaire pour l'année 2000, et le nouveau président de l'entreprise a décidé de verser cash deux milliards d'euros supplémentaires de dividendes - c'est-à-dire plus de treize milliards de francs - à ses actionnaires d'ici à 2003.
Nous avons pris acte de l'engagement du Premier ministre de porter plainte pour délit d'entrave. Nous émettons le voeu que tout soit mis en oeuvre afin que l'entreprise suspende sa décision et engage avec ses salariés une concertation sur des solutions alternatives à la fermeture des sites concernés. Nous souhaitons que des tables rondes soient organisées sur le plan local, parisien, comme à l'échelle nationale et européenne, avec le concours des pouvoirs publics, afin de contribuer à préserver l'emploi.
Plus globalement, nous entendons agir concrètement pour prévenir les licenciements pour motif économique, pour faire de ces derniers un ultime recours, pour responsabiliser les employeurs.
Nous appelons donc le Gouvernement non seulement à étudier le contenu de notre proposition de loi anti-licenciements, la discussion pouvant s'engager lors de l'examen par le Sénat du projet de loi de modernisation sociale, mais aussi à prendre sans tarder les décrets d'application de la loi dite « Hue » relative au contrôle des fonds publics. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Hamel applaudit également.)
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Acte vous est donné, madame, de votre rappel au règlement et du voeu que vous avez exprimé.

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CANDIDATURE À UNE COMMISSION

M. le président. J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Bertrand Delanoë, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.

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PRIME POUR L'EMPLOI

Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 217, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour l'emploi [Rapport n° 237 (2000-2001) et avis de la commission des affaires sociales.]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Florence Parly et moi-même retrouvons avec plaisir votre assemblée, après l'interruption des travaux parlementaires pour cause d'élections.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est un élément important et novateur de la politique économique de l'emploi mise en oeuvre par le gouvernement de Lionel Jospin.
Vous connaissez notre stratégie, qui cherche à concilier l'efficacité économique et la solidarité durable. Elle a déjà permis, il faut le reconnaître, de réduire de un peu plus de un million le nombre des chômeurs, grâce à la création de 1,5 million d'emplois depuis 1997. Elle a permis également d'augmenter le revenu des ménages - même si cela est moins vrai pour 2000, mais le redeviendra fortement en 2001 et en 2002 - de soutenir la consommation, de consolider l'investissement des entreprises, de maîtriser l'inflation - la France est heureusement, et il faut en remercier les Français, celui des grands pays d'Europe où l'inflation est la moins forte - et d'afficher des comptes publics en amélioration, même si Mme Parly et moi-même estimons que ce n'est pas encore suffisant.
Cela ne signifie pas pour autant, on vient de le dire, que tout soit parfait, loin de là. Il reste encore beaucoup d'injustices à réparer et beaucoup de progrès à réaliser. L'écoute, la modestie, la réforme, sont plus que jamais nécessaires.
Nous devons maintenir le cap pour une croissance robuste, durable et riche en emplois. Ce faisant, il s'agit non pas de se plier à je ne sais quel dogme économique, mais de privilégier la constance et la vigilance. La constance, parce que les résultats obtenus sur le front du chômage montrent le bien-fondé des choix de la majorité plurielle ; la vigilance, parce que, s'il ne faut pas être prisonnier du court terme ni « sur-réagir », le ralentissement de l'économie américaine, la crise boursière des valeurs technologiques, la dégradation générale de l'environnement international, nous rappellent, s'il en était besoin, que la croissance n'est jamais définitivement acquise. La conjoncture a ses aléas : il ne faut pas les occulter, car ils peuvent, même à la marge, faire varier les prévisions.
Le scénario désormais retenu pour 2001, vous le savez, se situe entre 2,7 % et 3,1 % de croissance. Mais, que l'on retienne l'hypothèse haute ou l'hypothèse basse, quelle que soit la décimale, la croissance française reste solide.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie développe l'emploi et l'emploi renforce l'économie. Ce cercle positif de la croissance repose en réalité sur trois fondements. Comme en février 2001, où il est passé sous la barre des 9 %, le chômage va poursuivre sa décrue, et je peux dire devant cette assemblée que le mur des 2 millions de chômeurs pourra être brisé avant le printemps 2002. Par ailleurs, le revenu des ménages, qui a marqué une pause, l'année dernière, sous l'effet de la hausse des prix du pétrole, devrait augmenter d'environ 3 % en 2001 et en 2002. Enfin, les baisses d'impôts que nous avons engagées, pour un montant de 120 milliards de francs d'ici à 2003, donnent de l'oxygène aux consommateurs et aux entreprises.
Instrument de lutte pour le travail, facteur d'accroissement du pouvoir d'achat, innovation dans notre système fiscal, le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi sera donc positif pour les Français.
Le débat que nous allons avoir a une histoire.
On pourrait en fixer le commencement aux années 70 ; car, depuis environ trente ans, la lutte contre le chômage est un défi pour notre nation. Reportons-nous simplement au débat d'orientation budgétaire qui s'est déroulé, ici même, en mai dernier et durant lequel, je le crois, nous nous étions largement retrouvés sur un constat : le gain net, pour un foyer allocataire du RMI, est de seulement 4 francs par heure lorsque l'un des deux conjoints reprend un emploi à plein temps. Ce n'est pas ainsi, assurément, que l'on encourage un retour à l'activité, même s'il ne faut pas oublier - ce serait leur faire injure - que les personnes qui, malheureusement, n'ont pas de travail font le maximum pour en trouver un.
La situation qui a fait l'objet du constat partagé que je viens d'évoquer a entraîné, les récents travaux de l'INSEE l'ont rappelé avec force, la constitution de ce que l'on appelle les « pièges à chômage », les « pièges à pauvreté ». Nous savons qu'il y a là un système à contre-emploi qui est socialement injuste, économiquement inefficace et politiquement choquant.
Le projet de prime pour l'emploi a donc une origine : la volonté du Gouvernement et de la majorité plurielle - volonté partagée sans doute plus largement - de réduire ce que les économistes appellent le « coin fiscal » entre la richesse produite et la rémunération du travail, de consolider l'activité et de réinstaller le travail au fondement du lien collectif, non seulement pour le revenu qu'il procure, mais parce qu'il offre dignité humaine et identité sociale. La mise en place d'une ristourne dégressive de CSG, contribution sociale généralisée, et de CRDS, contribution pour le remboursement de la dette sociale, contenue dans l'article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, visait précisément à amplifier notre arsenal social et fiscal en faveur de l'emploi. Elle se combinait avec la possibilité offerte par la loi de lutte contre les exclusions de conserver le RMI et les droits qui l'accompagnent en même temps qu'un certain revenu d'activité. Elle s'ajoutait à la réforme des dégrèvements de taxe d'habitation votée dans le collectif budgétaire du printemps dernier, à celle des allocations logement engagée à l'issue de la conférence de la famille qui s'est tenue en juin 2000 et à celle de l'impôt sur le revenu approuvée par le Parlement dans la loi de finances pour 2001, qui conjugue l'exonération de deux millions de foyers supplémentaires et la réduction sensible des effets de seuil grâce à l'amélioration de la décote.
Chacun sait ce qu'il advint. Saisi par des parlementaires de l'opposition, le Conseil constitutionnel a annulé, le 19 décembre dernier, cette mesure applicable dès le mois suivant et attendue par plusieurs millions de Français. Soucieux du bon fonctionnement de notre démocratie et respectueux des décisions de la haute juridiction, le Gouvernement a pris acte de cette décision, qui l'a surpris. Critère déterminant, l'égalité devant l'impôt ne lui semblait, en effet, pas remise en cause en cette affaire puisque le Conseil constitutionnel, lui-même, avait, par une jurisprudence établie, toujours admis auparavant que ce principe n'empêchait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories de contribuables dès lors que ce choix répondait aux objectifs assignés par le législateur, en l'espèce le retour à l'emploi.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement s'est remis très rapidement au travail afin, à l'intérieur de la même enveloppe financière, de ne pas décevoir l'attente des bénéficiaires dont beaucoup avaient déjà anticipé la mesure censurée. Plusieurs solutions de remplacement ont été examinées, y compris, je dois le reconnaître, de la part des annulateurs eux-mêmes. Je pense notamment à la proposition de crédit d'impôt d'activité votée par la majorité sénatoriale lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001, puis revotée - mais je ne vois là qu'un hasard du calendrier - lors de la nouvelle lecture du projet de loi de finances rectificative quarante-huit heures après la décision des juges constitutionnels.
En moins d'un mois, le Premier ministre s'est déterminé pour la prime pour l'emploi, le texte a été préparé, la mesure annoncée et le Conseil d'Etat consulté. Le projet de loi a été adopté par le conseil des ministres le 31 janvier, débattu et voté par l'Assemblée nationale le 6 février et présenté à votre commission des finances mardi dernier.
Votre assemblée n'examinant le texte qu'aujourd'hui et le Gouvernement ne pouvant présager le vote de la représentation nationale, nous avons dû agir très vite. Les services de l'administration fiscale se sont mobilisés pour informer au maximum les contribuables, pour les aider à remplir leur déclaration de revenus, notamment les deux cases nécessaires à l'octroi de la prime, et, dans les semaines à venir, ils relanceront d'une façon amiable et volontariste toutes celles et tous ceux qui auraient omis de le faire avant hier soir. Déjà, selon les chiffres qui ont été communiqués à Mme Parly et à moi-même, 60 % à 70 % des ayants droit ont souscrit leurs déclarations. Nous prenons les dispositions nécessaires pour aller vers 100 %, afin que - car là est l'essentiel - chacune et chacun des bénéficiaires reçoive effectivement sa prime pour l'emploi au 15 septembre. Que les millions de personnes éligibles à cette prime se rassurent : en dépit des difficultés, elles bénéficieront de ce droit.
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Mesdames, messieurs les sénateurs, la prime pour l'emploi, que l'article unique du projet de loi énonce, est d'abord une mesure destinée à ceux qui travaillent ou retournent vers le travail. Elle devrait les aider à faire face aux coûts supplémentaires et aux contraintes nouvelles que peut causer paradoxalement l'emploi retrouvé, notamment pour les femmes, et elle donnera un plus à ceux qui travaillent et ont des ressources très modestes.
La prime pour l'emploi cible plus particulièrement le travail à temps plein, et je crois que le contraire n'aurait pas été admis facilement. Elle concerne les salariés comme les non-salariés, agriculteurs, artisans, commerçants, professionnels libéraux, qui ne recueillent pas toujours assez les fruits de leurs initiatives et de leurs efforts. Pour répondre aux critiques que votre majorité sénatoriale avait articulées devant le Conseil constitutionnel, cette prime n'est accordée, d'une part, que si les revenus tirés du travail sont faibles et, d'autre part, que si le montant des autres revenus du foyer n'est pas non plus élevé.
Elle prend en compte la situation familiale de trois points de vue au moins : le niveau maximal de revenu augmente s'il y a des enfants à charge ; la prime sera majorée à raison de ces mêmes enfants à charge, et elle le sera davantage s'ils sont à la charge de parents isolés dont la situation est plus difficile ; enfin, elle augmentera pour les ménages où un seul des deux conjoints travaille. Il faut, en effet, tenir compte de cette situation, qui est moins favorable, mais en veillant à un nécessaire équilibre, la prime pour l'emploi devant dans tous les cas offrir de meilleures perspectives à ceux qui font le choix du retour à l'activité.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale, qui réduit l'impôt dû ou se traduit par une restitution aux contribuables.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est un crédit d'impôt !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cette innovation pour notre architecture fiscale emporte deux conséquences : d'abord, elle implique l'administration des impôts et, ce faisant, elle a pour point de départ la déclaration de revenus ; ensuite, et cela est important, elle est traitée en dehors du champ même de l'employeur qui, dans notre conception, n'a pas à savoir si son salarié en bénéficie ou non, ce qui est une garantie pour l'employé.
Le dispositif sera évolutif, et je réponds là à une question qui m'a été posée récemment. Le projet de loi dont vous êtes saisi prévoit de créer la prime pour l'emploi et de l'appliquer dès cette année. Le projet de loi de finances pour 2002 comportera la tranche suivante et, comme l'a indiqué le Gouvernement, la prime pour l'emploi devrait monter en puissance sur trois ans. A terme, elle devrait atteindre 4 500 francs par personne au niveau du SMIC à temps plein, soit, par exemple, 9 400 francs par an pour un foyer avec deux enfants où les deux conjoints travaillent et sont rémunérés au SMIC.
Ainsi conçue, la prise pour l'emploi se distingue d'autres mesures, notamment celles qui ont pu être suggérées par la majorité sénatoriale, même si je me réjouis que, sur certains points, cette dernière ait rejoint l'analyse du Gouvernement...
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est le contraire !
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... dans sa détermination à remédier aux insuffisances de la rémunération du travail. (Sourires au banc des commissions.)
Comme je l'ai précisé devant la commission des finances du Sénat qui nous auditionnait, Mme Parly et moi-même, la semaine dernière, le crédit d'impôt d'activité que vous aviez voté n'aurait, si l'on est logique, lui non plus, pas échappé à la censure du Conseil constitutionnel et, de surcroît - j'insiste sur ce point - il n'aurait pas touché un public aussi large, la prime pour l'emploi concernant normalement environ 8 millions de foyers et 10 millions de personnes.
Par ailleurs, la proposition du revenu minimum d'activité qui a été adoptée par la majorité sénatoriale présente des différences assez nettes qui ne peuvent emporter l'adhésion du Gouvernement : il nous semble, en effet, qu'on ne peut pas accepter de « disqualifier », comme le laisse entendre ce texte, la valeur d'un travailleur qui ne serait pas suffisante pour que l'employeur la rémunère justement, ce qui nécessiterait que l'Etat le subventionne en versant de l'argent à l'entreprise. Ce serait aussi - chacun doit y réfléchi - une menace pour le SMIC.
La prime pour l'emploi offre, au contraire, des garanties complémentaires pour les salariés. En effet, le SMIC a progressé de près de 11 % entre 1996 et 2000. De 1970 à 1997, son pouvoir d'achat réel a plus que doublé. Il protège et, à notre avis, doit continuer de protéger les travailleurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me résume : ceux qui voteront la prime pour l'emploi, participeront donc à une évolution significative de notre droit fiscal, mais, surtout, ils apporteront leur contribution à la politique économique de l'emploi. C'est pourquoi je vous demande de voter la prime pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes presque au terme d'un calendrier déjà bien long. En effet, cette mesure que l'on nous appelle à voter en urgence et qui a déjà été appliquée par nos concitoyens lorsqu'ils ont rempli leur déclaration de revenus trouve son origine dans les annonces faites l'été dernier - le 30 août exactement - par vous-même, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans le cadre de ce que vous aviez à l'époque qualifié de « plan de baisses fiscales » le plus ample depuis - combien de temps aviez-vous dit ? - trente ans ou cinquante ans, figurait une mesure phare, qui était l'essentiel vis-à-vis des catégories moyennes ou défavorisées, je veux parler de la ristourne dégressive de contribution sociale généralisée. Dans le paramétrage de votre programme de baisse d'impôts et de prélèvements obligatoires, compte tenu des tensions internes à votre majorité dite plurielle, cette mesure était absolument essentielle puisqu'elle vous permettait de faire agréer par ailleurs des baisses, même symboliques, du taux marginal de l'impôt sur le revenu ou, dans certaines conditions, du taux de l'impôt sur les sociétés. Nous étions donc à la fin de l'été 2000 et vous annonciez ce programme global.
Depuis, les choses ont cheminé d'une façon assez curieuse. Je ne résisterai pas, dans cette brève introduction, au plaisir de dire que le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a réalisé une véritable performance : alors qu'il a annoncé sa volonté de « rendre » en quelque sorte, en quelques années, 120 milliards de francs de fiscalité et de prélèvements obligatoires, apparemment, si j'en crois les résultats des élections cantonales et municipales qui ont eu lieu les 11 et 18 mars dernier, il n'en a tiré aucun avantage significatif. Cela semble montrer que vos mesures, monsieur le ministre, ont été très peu perçues par l'opinion publique, sans doute parce qu'elles ne sont pas suffisamment claires et lisibles. La commission des finances du Sénat l'a dit à plusieurs reprises : votre plan coûte cher et vous n'en tirez qu'un faible bénéfice sur le plan politique et au regard de l'évolution de l'activité car il est beaucoup trop dilué à travers une multitude de dispositifs qui se juxtaposent, voire se contredisent.
Je reviens à la baisse de la contribution sociale généralisée que vous aviez envisagée. Je rappellerai que, dès le 14 novembre 2000, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, nos rapporteurs ont formulé une série d'objections que vous auriez été bien inspiré d'écouter plus attentivement. Quand je parle de nos rapporteurs, j'évoque le rapporteur au fond de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, M. Descours, et le rapporteur pour avis de la commission des finances sur ce même projet de loi, plus spécialement chargé des comptes sociaux, M. Oudin.
Nous vous avions dit que vous faisiez une erreur de parcours et que la contribution sociale généralisée ne pouvait pas être le support de votre dispositif car celui-ci, supposant une individualisation et une « familialisation », était peu comptable avec la nature même de la CSG, qui est un prélèvement forfaitaire s'appliquant à toutes les catégories de revenus.
Nous avions ajouté, dès ce moment-là, que, à nos yeux et selon nos analyses, trois motifs d'inconstitutionnalité pouvaient surgir : en premier lieu, l'inégalité de traitement entre les couples monoactifs et biactifs ; en deuxième lieu, l'inégalité de traitement entre les couples avec ou sans enfant ; en troisième lieu, l'inégalité de traitement entre les actifs et les pluriactifs.
Tout cela figure dans nos différents rapports. J'ai encore présente à l'esprit la conférence de presse commune qu'ont tenue la commission des affaires sociales et la commission des finances, au cours de laquelle nous avons exposé notre contre-proposition par rapport à l'ensemble des objections dirimantes qui nous semblaient pouvoir être faites à l'égard du projet du Gouvernement.
Nous avions voulu être constructifs et imaginatifs et nous avons donc esquissé les grandes lignes d'un mécanisme alternatif, à savoir un mécanisme de crédit d'impôt. Dès la discussion en séance publique du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en novembre dernier, cette question avait été débattue avec votre collègue Mme Elisabeth Guigou, qui avait réfuté notre approche, considérant cette dernière comme trop complexe. Détaillant son argumentation, elle avait indiqué que, selon elle, il faudrait au crédit d'impôt quinze mois pour entrer en vigueur, et que tout cela nécessiterait un grand luxe de déclarations que l'administration fiscale aurait la plus grande peine du monde à traiter. Mieux valait donc - mais c'est moi qui l'ajoute - que le système soit géré par les employeurs plutôt que par les fonctionnaires de l'Etat.
Un peu plus tard, le 24 novembre très exactement, nous avons procédé à l'examen du projet de loi de finances pour 2001. Considérant que notre approche était la bonne, le rapporteur général que je suis a présenté au Sénat l'amendement visant à créer le crédit d'impôt. Nos collègues se souviendront sans doute du débat qui a opposé les membres de la commission des finances et Mme le secrétaire d'Etat au budget.
Vous m'avez en effet répondu, madame le secrétaire d'Etat, qu'il y avait entre nos deux approches - celle de la ristourne de CSG, défendue par le Gouvernement, et celle du crédit d'impôt, défendue par la commission des finances - un différend d'ordre politique et non pas d'ordre technique.
Vous avez également refusé le crédit d'impôt en reprenant certains des arguments qui, logiquement, avaient déjà été avancés par Mme Elisabeth Guigou, mais en y ajoutant un autre, que l'on peut retrouver au Journal officiel : vous nous avez en effet déclaré qu'il n'était pas opportun que ce mécanisme favorise les familles, et que ce n'était pas sa vocation.
Le 19 décembre - M. le ministre y a fait allusion - le Conseil constitutionnel, saisi par nos soins, annulait la ristourne dégressive de CSG. Vous nous dites, monsieur le ministre, en avoir été étonné ; pas nous, bien au contraire, car nous avons estimé logique de retrouver, dans l'analyse du Conseil constitutionnel, les trois raisons que nous avions nous-mêmes subodorées : les inégalités entre couples monoactifs et biactifs, les inégalités entre couples avec enfants et les couples sans enfants, et les inégalités entre actifs et pluriactifs. Cela nous semblait absolument incontournable.
Si la décision du Conseil constitutionnel ne nous a pas étonnés, il n'en a pas été de même, je l'avoue, de la manière dont celle-ci a été accueillie par vous-même et par l'ensemble du Gouvernement. En effet, nous avons entendu évoquer sur les médias pendant un certain nombre de jours le comportement vraiment irresponsable des parlementaires de l'opposition qui décidaient de déférer au Conseil constitutionnel un dispositif aussi avantageux pour vos clientèles électorales. C'est en tout cas ainsi que j'ai compris les déclarations dont vous-même, monsieur le ministre, et vos collègues du Gouvernement ou camarades de parti n'avez pas été avares sur les différentes ondes.
Pour ce qui nous concerne, et comme vous le savez bien, nous utilisons les moyens constitutionnels qui sont à notre portée ; et c'est l'Etat de droit qui autorise soixante parlementaires, quels qu'ils soient, à saisir le Conseil constitutionnel. Il ne nous semble pas convenable, monsieur le ministre, de mettre en cause, pour des raisons d'opportunité, l'exercice de ce droit constitutionnel qui est partie intégrante de l'Etat de droit tel que nous le pratiquons sous la Ve République.
Enfin, deux jours après la décision du Conseil constitutionnel, soit le 21 décembre 2000, nous avons offert au Gouvernement, en quelque sorte, une « session de rattrapage » (M. le ministre rit), à l'occasion de l'examen du collectif budgétaire ; nous avons alors dit à Mme le secrétaire d'Etat que nous avions la solution pour lui permettre de résoudre la difficulté grave devant laquelle le Gouvernement s'était lui-même placé : il s'agissait de voter le dispositif proposé par la commission des finances et la commission des affaires sociales du Sénat, afin de permettre une mise en oeuvre rapide et logique, avant la fin de l'exercice 2000, au bénéfice des Françaises et des Français et de toutes les personnes qui peuvent escompter en profiter, de ce que vous appelez « la prime pour l'emploi » et que nous persistons, pour notre part, à appeler « le crédit d'impôt ».
Malheureusement, madame le secrétaire d'Etat, vous avez tout simplement refusé d'examiner notre proposition en invoquant, cette fois-ci, non plus une opposition politique, non plus des motifs de fond, mais des raisons de procédure. Vous avez en effet argué de la jurisprudence constitutionnelle - et là, c'est vous qui évoquiez la casuistique constitutionnelle - pour considérer que nous excédions les limites du droit d'amendement. De notre point de vue, ce n'était absolument pas fondé, car il ne s'agissait pas d'une mesure complètement nouvelle. En outre, notre proposition était finalement une simple mesure de coordination justifiée par la décision que venait de rendre le Conseil constitutionnel.
Il s'est écoulé trois semaines, monsieur le ministre, avant que vous présentiez à la presse votre solution, laquelle n'est autre que notre proposition, assortie d'un nom de baptême différent et d'un coût sensiblement plus élevé. Ce dispositif a été adopté par le conseil des ministres, examiné par la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui a disposé, si je ne me trompe, d'une nuit pour étudier le texte, puis adopté fidèlement par l'Assemblée nationale le 6 février dernier.
Après l'examen du dispositif par l'Assemblée nationale, deux séries d'événements sont intervenues : d'une part, et selon le calendrier électoral démocratique, les élections locales nous ont conduits les uns et les autres à reprendre le chemin de nos communes et de nos départements, et le Parlement a alors suspendu ses travaux ; d'autre part, votre administration, monsieur le ministre, a été confrontée à la nécessité de mettre en place les procédures permettant d'établir l'assiette de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, la machine administrative, qui se décline sous forme de déclarations de revenus, de logiciels de traitement informatique et de notices d'information, sans cesse plus complexes bien sûr, destinées au contribuable, s'est mise en route sans texte législatif.
Cette réalité administrative et quotidienne a permis de découvrir qu'une majorité des bénéficiaires potentiels ne rempliraient pas les cases prévues dans les documents, cases au demeurant sibyllines...
M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est faux !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et dont la présentation se révèle quelque peu complexe aux yeux des contribuables.
Dès lors que de graves difficultés se présentaient devant les réactions syndicales des agents concernés au sein même de votre administration, des agents qui ne voulaient pas « payer les pots cassés » en quelque sorte de toute cette impréparation, le Gouvernement a fait ce qu'il lui restait à faire : il a lancé une grande campagne de communication, et ce sur un dispositif qui n'a pas encore force de loi, puisque nous l'examinons aujourd'hui, même si vous allez nous prier tout à l'heure, monsieur le ministre, de n'adopter aucun amendement, puisqu'il est sans doute difficile de modifier un dispositif qui figure déjà dans les déclarations de revenus et dans les traitements informatiques, et qui a déjà créé des droits, de par vos promesses, auprès d'un très grand nombre de contribuables.
A la vérité, monsieur le ministre, vous auriez pu beaucoup mieux faire. Si les amours-propres administratifs n'avaient pas joué, si nous nous étions placés dans la position de pouvoirs publics constitutionnels coopérant dans le même objectif, vous auriez pu tout simplement, le cas échéant avec quelques adaptations, en rester à ce que nous proposions dès le mois de novembre et que nous avions voté à plusieurs reprises, qui aurait permis d'éviter cette situation étrange de déclarations que l'on remplit sans y être obligé, mais qui n'ont pas été conçues dans le cadre de l'état du droit positif adopté par le Parlement.
Je voudrais maintenant rappeler, mes chers collègues, ce que comporte la mesure en elle-même. Cette mesure est ouverte à tous les foyers fiscaux sous une double condition : d'une part, ne pas dépasser un plafond global de revenus fixé, selon les cas, entre 1,5 et 3 SMIC ; d'autre part, ne pas dépasser, par personne active, un plafond de revenus tirés des activités professionnelles compris, selon les cas, entre 1,4 et 2,1 SMIC.
La prime se compose de deux volets : en premier lieu, la prime de base, qui dépend des revenus d'activité et du temps de travail dans l'année, ces éléments devant faire l'objet de déclarations et, en second lieu, la majoration de la prime par personne à charge de façon forfaitaire - 200 ou 400 francs par personne selon le cas. Quant au jeu financier de ce mécanisme, c'est l'imputation sur l'impôt à acquitter et, le cas échéant, la restitution au contribuable le 15 septembre par chèque du Trésor public du trop-perçu éventuel.
Monsieur le ministre, ce dispositif, par son mécanisme, est bien un crédit d'impôt - nous y reviendrons tout à l'heure. D'ailleurs, le projet de loi que vous nous soumettez comporte un élément qui nous permet, sans aucune incertitude, de qualifier ainsi ce dispositif.
Ce dispositif et la mesure adoptée par le Sénat présentent, c'est vrai, un certain nombre de différences, non pas dans la technique - crédit d'impôt de chaque côté et variation selon les revenus d'activité et le temps de travail - mais dans le champ d'application. Cela se comprend, car la disposition gouvernementale représente, la première année, un coût de 8,5 milliards de francs, alors que la mesure du Sénat se limitait à 5 milliards de francs. Il est facile d'apparaître plus généreux quand on dépense 70 % de plus, c'est tout à fait clair ! Aujourd'hui, les arguments financiers ne sont peut-être pas au premier plan, mais lorsque l'on sait, monsieur le ministre, que le coût de cette mesure à plein régime, en 2003, atteindra plus de 25 milliards de francs, on ne peut quand même pas manquer de s'interroger sur la conjoncture que nous connaîtrons à ce moment-là, sur l'état des finances publiques et sur la réalité des marges de manoeuvre. Quand seront additionnés la prime pour l'emploi, le dénouement des emplois-jeunes, le financement des 35 heures, les mesures de revalorisation salariale de la fonction publique ou le financement des régimes de retraite des fonctionnaires, votre successeur aura bien des soucis à se faire si la croissance n'est plus au rendez-vous et si le monde international est plus contrasté qu'aujourd'hui !
Faire ainsi des chèques sur le compte des successeurs, peut-être est-ce agréable en période préélectorale dans l'esprit de ceux qui recevront ces chèques, mais ce n'est sans doute pas une attitude qui dénote un sens aigu des responsabilités.
S'agissant toujours des différences par rapport à nos préconisations, il convient de rappeler, monsieur le ministre, que, dans la version proposée par le Sénat, le crédit d'impôt ne réformait pas l'impôt sur le revenu. Il favorisait, c'est vrai, les concubins, qui auraient bénéficié de deux crédits d'impôt par rapport aux couples mariés, qui, eux, n'en auraient eu qu'un seul ; vous nous l'avez dit en commission des finances et vous y avez fait de nouveau allusion dans votre propos tout à l'heure.
Mais je conteste l'affirmation selon laquelle cet état de chose eût été anticonstitutionnel. En effet, si tel était le cas, monsieur le ministre, c'est toute mesure touchant l'impôt sur le revenu qui serait inconstitutionnelle puisque nous avons utilisé, en quelque sorte, la matrice de l'impôt sur le revenu sans la modifier en quoi que ce soit pour imputer notre crédit d'impôt. Nous n'avions procédé, en novembre et en décembre, à aucune modification portant sur le régime légal de l'impôt sur le revenu.
Dans le dispositif que vous nous présentez aujourd'hui, vous introduisez, il est vrai, une innovation en matière d'impôt sur le revenu en distinguant les revenus de chaque actif du ménage, ce qui permet d'éviter de favoriser les concubins par rapport aux couples mariés. Je vous en donne bien volontiers acte. Mais l'argument de constitutionnalité que vous avez évoqué pour le plaisir d'en débattre, monsieur le ministre, n'aurait pas pu prospérer.
Cette disposition - je terminerai par cet aspect des choses, mes chers collègues - est inspirée de soucis que nous partageons : favoriser l'emploi et le retour à l'activité, abaisser les prélèvements et majorer le pouvoir d'achat. Qui pourrait, au demeurant, contester de tels objectifs ? Mais, monsieur le ministre, nous ne nous y prendrions pas tout à fait de la même manière que vous si nous avions véritablement à assumer aujourd'hui des responsabilités autres que celles qui sont liées à nos charges de parlementaires.
Dans l'esprit de la commission des finances et de la majorité sénatoriale, deux mesures sont directement liées : d'une part, le revenu minimum d'activité visant à inciter un nombre aussi important que possible de personnes qui se trouvent en situation d'assistance à revenir dans le circuit de la vie active et des responsabilités ; d'autre part, le crédit d'impôt tendant à assurer la promotion par le travail et par de meilleures rémunérations des personnes qui se trouvent dans la vie active.
Les deux dispositifs ne doivent pas être opposés l'un à l'autre, comme vous l'avez fait tout à l'heure, monsieur le ministre, lorsque vous nous avez affirmé que la prime pour l'emploi était préférable au revenu minimum d'activité, le RMA, que nous proposions. Vous n'avez pas présenté les choses selon la logique qui inspire les travaux de la commission, c'est le moins que je puisse dire, car, pour cette dernière, la proposition de loi relative au revenu minimum d'activité, que le Sénat a adoptée le 8 février dernier, sur la suggestion tant d'Alain Lambert, président de la commission des finances, que de moi-même, est complémentaire du dispositif relatif au crédit d'impôt. Le RMA est le socle sur lequel il nous semble utile de faire reposer le retour à l'activité et la promotion de l'activité professionnelle.
Il sera utile, mes chers collègues, demain et après-demain, pour les combats futurs qui animeront la vie politique, de revenir sur ces sujets et de dire à nos concitoyennes et concitoyens que le taux de chômage très élevé dans notre pays, on ne peut pas s'en satisfaire, que la situation d'assistanat durable dans laquelle se trouvent des catégories beaucoup trop importantes de notre population, on ne peut pas s'en satisfaire, et qu'il est indispensable de trouver dans l'entreprise, par la création de vrais emplois, les moyens de rendre équilibre et espoir à de très nombreuses familles. Tel est l'objet du revenu minimum d'activité.
Bien entendu, il est tout aussi nécessaire, mais complémentaire, de lutter contre les trappes à pauvreté, c'est-à-dire les trop faibles rémunérations. C'est le dispositif du crédit d'impôt qui peut, au-delà du socle auquel je faisais allusion, jouer ce rôle. Mais si l'on ne pose pas le socle avant de construire l'étage supérieur, on crée une situation où la logique est pour le moins très incomplète.
Enfin, monsieur le ministre, j'évoquerai les deux amendements que la commission des finances s'apprête à proposer à nos collègues de la Haute Assemblée.
Tout d'abord, nous pensons, c'est un vieux précepte, qu'il vaut mieux appeler un chat un chat, et accessoirement Rolet un fripon, comme disait Boileau. En l'occurrence, ce qui est un crédit d'impôt doit s'appeler « crédit d'impôt » et non pas « prime pour l'emploi », même si la formulation « prime à l'emploi » vous semble être politiquement plus correcte vis-à-vis de telle ou telle des sensibilités qui vous soutiennent. Les autres crédits d'impôt ne s'appellent pas « primes », et nous ne voyons pas pourquoi il faudrait ici faire une exception. Ce mot est ambigu, et il convient de lever l'ambiguïté.
Par ailleurs, un problème pratique, qui préoccupe, à juste titre, nos concitoyens contribuables, nous semble devoir être traité.
Monsieur le ministre, vous le savez, tant que la loi n'est pas publiée, les contribuables ne sont pas obligés de remplir les cadres relatifs à cette mesure dans leur déclaration et, au demeurant, des personnes jusqu'ici non imposables à l'impôt sur le revenu peuvent être très peu motivées pour remettre des déclarations. A l'inverse, lorsque la loi sera publiée, ces contribuables seront obligés de remplir les cadres prévus dans les déclarations pour bénéficier de la mesure, mais ils risquent de ne plus le pouvoir. A la vérité, selon une interprétation stricte des pratiques administratives ou des textes, ils ne le pourraient plus depuis hier, puisque le délai limite pour remettre les déclarations est déjà dépassé.
Pour éviter de tomber dans cette contradiction véritablement kafkaïenne, la commission des finances propose un amendement « pragmatique », selon le terme que vous avez bien voulu utiliser vous-même, monsieur le ministre, lors de la réunion de la commission, le 27 mai dernier.
Sous réserve de l'adoption de ces deux amendements, mes chers collègues, la commission vous propose d'émettre un vote favorable sur le projet de loi qui nous est soumis, et qui est en très grande partie issu de nos idées, de nos propositions et de nos travaux. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de sa réunion du 8 février dernier, la commission des affaires sociales a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi et elle a bien voulu me confier le soin de vous présenter cet avis oral.
Tout d'abord, pourquoi la commission des affaires sociales a-t-elle souhaité émettre un avis sur ce projet de loi ? Comme vient de le rappeler notre excellent rapporteur Philippe Marini, cet avis trouve son origine dans le dispositif de ristourne dégressive de CSG et de CRDS, que le Gouvernement avait souhaité introduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
Je voudrais donner à ce débat un aspect un peu plus social - que la commission des finances me le pardonne - en insistant notamment sur ce que nous pensons de la nature de la CSG, laissant les discussions relatives à l'impôt sur le revenu à la commission des finances. Monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, j'espère que vous voudrez bien vous intéresser à ce côté plus social des débats que nous menons habituellement avec certains de vos collègues.
La commission des affaires sociales s'était opposée au dispositif de ristourne dégressive de CSG et de CRDS proposé par le Gouvernement pour deux raisons.
La première raison avait trait à la cohérence des finances sociales.
Nous avions constaté que, au travers de cette mesure, la loi de financement de la sécurité sociale avait acquis « le statut peu enviable d'instrument d'une politique fiscale improvisée ».
Nous avions souligné - et cela est très important, au-delà des majorités et des gouvernements - que, si nous voulions maintenir le système de sécurité sociale tel que nous le connaissons depuis cinquante ans, à moins d'engager une réforme de fond, la ristourne de CSG bouleversait les fondements mêmes du financement de la protection sociale, que le Gouvernement portait atteinte au principe d'universalité de la CSG et qu'il entamait le démantèlement de cette contribution. Depuis sa création sous le gouvernement Rocard, les gouvernements qui se sont succédé ont tous participé à améliorer abondamment, comme l'on dit, cette contribution, qui avait été qualifiée par Nicole Notat « d'impôt simple et citoyen ».
Le fait que l'assiette de ce dispositif porte sur l'ensemble des revenus - d'ailleurs, cela était demandé surtout par la gauche de votre majorité plurielle, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat - nous paraissait tout à fait judicieux puisque les revenus du travail représentent une fraction de plus en plus étroite de la richesse nationale.
Enfin, cette mesure accentuait la dépendance de la sécurité sociale à l'égard des compensations d'exonération, dont nous savons aujourd'hui à la lumière de notre expérience qu'elles doivent être suivies avec une vigilance tout à fait particulière.
En effet, dans le dispositif présenté par le Gouvernement, un pourcentage de la taxe sur les conventions d'assurance devait compenser la perte de recettes pour la sécurité sociale qu'entraînait la ristourne dégressive de CSG. Or nous n'avions aucune garantie quant à l'exactitude de cette compensation pour 2001 et, a fortiori, pour les années suivantes, qui voyaient la montée en puissance du dispositif. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, quel serait le coût de cette mesure en 2003, et M. le rapporteur l'a rappelé.
Sans doute le Gouvernement aurait-il très rapidement développé une nouvelle théorie des « retours » financiers pour la sécurité sociale des exonérations de CSG, puisque la mesure était censée favoriser le retour à l'emploi. Pour m'être penché sur le fonctionnement du FOREC, je crains d'autant plus une telle mesure des « retours » financiers qui devrait aujourd'hui permettre de financer les 35 heures par la sécurité sociale, mesure qui a été abondamment invoquée par le Gouvernement - par celui-ci et les autres, d'ailleurs.
La deuxième raison qui fondait notre opposition était le caractère inéquitable de la mesure qui, ne pouvant s'appuyer sur la notion de foyer fiscal, ne prenait en compte ni la structure familiale ni le cas des pluriactifs. M. Marini vient de le rappeler longuement : il ne faut pas faire jouer à la contribution sociale généralisée le rôle de deuxième impôt sur le revenu, pour la simple raison que, précisément, il ne s'agit pas d'un impôt sur le revenu. C'est un débat d'ordre constitutionnel, sur lequel le Conseil constitutionnel s'est penché, et qui est aujourd'hui porté devant la Cour de justice des Communautés européennes. Bref, il ne faut pas confondre l'impôt sur le revenu et la CSG !
J'aurai l'immodestie de rappeler ce que je disais à la fin de l'exposé sur cet article litigieux : « Enfin, son inconstitutionnalité apparaît désormais quasiment reconnue par le Gouvernement lui-même, comme le montrent à l'Assemblée nationale les explications "laborieuses" - pardonnez-moi de les avoir ainsi qualifiées - « de la ministre de l'emploi et de la solidarité. »
Ce débat sur la conformité du dispositif à la Constitution a donc été ouvert dès l'annonce de la mesure.
Dès l'examen en commission du projet de loi de financement, c'est-à-dire au début du mois de novembre, puis en séance publique, nous avons attiré l'attention du Gouvernement sur les risques qu'il prenait. Nous lui avons même proposé un dispositif alternatif.
Dès que nous avons pensé que cette ristourne dégressive de la CSG était mauvaise constitutionnellement et néfaste pour la sécurité sociale, avec M. le rapporteur général de la commission des finances nous avons essayé d'introduire un mécanisme de crédit d'impôt dans la loi de finances. Et la commission des affaires sociales et la commission des finances ont tenu une conférence de presse commune le 8 novembre, avant même que le Sénat n'aborde la discussion de la loi de finances.
Le rejet de la ristourne dégressive et la proposition d'un mécanisme de crédit d'impôt allaient de pair. Il n'était pas question, pour nous, de porter le chapeau, sous prétexte que nous ne serions pas sensibles à la situation des détenteurs de faibles revenus, que la ristourne de CSG allait favoriser, puisqu'elle permettrait d'augmenter leur pouvoir d'achat.
Nous partageons ce souci, nous aussi, nous l'avons montré en créant le crédit d'impôt. Mais le Gouvernement a persisté dans son erreur - perseverare diabolicum ! Nous avons dès lors compris que l'avantage principal qu'il voyait à la ristourne dégressive de CSG, c'était d'être d'effet immédiat, d'être applicable dès janvier 2001.
Je ne veux pas croire que le choix de cette date avait un quelconque rapport avec les échéances de mars ! (Sourires.) L'idée, c'était d'appliquer le nouveau dispositif le plus rapidement possible.
Cet argument de la rapidité était, certes, respectable, mais il ne pouvait pas balayer toutes les raisons qui commandaient la prudence.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention et j'ai apprécié vos propos mesurés. Mais, très sincèrement, je crois que le Gouvernement ne pouvait pas ignorer que cette mesure était inconstitutionnelle. En effet, le Conseil constitutionnel a conclu à la rupture « caractérisée » de l'égalité entre les contribuables, parce que le dispositif ne tenait compte « ni des revenus des contribuables autres que ceux tirés d'une activité... » - je ne comprends d'ailleurs pas comment une partie de votre majorité aurait accepté que l'on ne tienne pas compte des revenus tirés notamment des produits financiers - ni, plus grave encore, « des revenus des autres membres du foyer fiscal, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ». Tout cela m'avait semblé vraiment, à moi qui ne suis pas un spécialiste de la Constitution, nous donner raison.
Je ne reviendrai pas sur les réactions à chaud qui ont accueilli la décision du Conseil constitutionnel. Nous avons même entendu dire, et vous l'avez presque répété tout à l'heure, monsieur le ministre, que c'était en quelque sorte la faute des requérants, que l'on désignait ainsi à la vindicte des bénéficiaires déçus, que la ristourne avait été annulée. Non, monsieur le ministre, comme M. Philippe Marini l'a rappelé, nous sommes dans un Etat de droit et toute inconstitutionnalité et, surtout, toute inégalité entre les contribuables français se doit d'être corrigée.
Vous avez d'ailleurs déclaré en séance publique, à l'Assemblée nationale, le 6 février dernier, que, « le contrôle de constitutionnalité est un fondement de notre démocratie ». Je vous en donne acte.
Mais, au-delà, nous voudrions insister, nous, commission des affaires sociales, sur le fait que cette décision du Conseil constitutionnel porte un coup d'arrêt au bricolage des finances sociales auquel nous assistons depuis quatre ans.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas retenu le grief que nous avions formulé et que j'ai souvent rappelé à cette tribune : la violation de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Je l'ai dis et le redis : aujourd'hui, le financement de la sécurité sociale ne découle plus d'un processus démocratique, parce que nous ne sommes pas capables, ni le ministre ni les parlementaires, de l'expliquer au sein de nos assemblées et a fortiori à l'opinion publique.
Il s'agit dorénavant d'une usine à gaz trop compliquée à laquelle nous sommes une vingtaine à essayer de comprendre quelque chose, année après année. Nous ne pouvons cependant pas, s'agissant de quelque 2 000 milliards de francs, nous contenter de ce bricolage. Il faut nous orienter vers des opérations de clarification du financement de la sécurité sociale.
Ces pratiques ne sont peut-être pas de votre fait, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, qui êtes directement en charge de cette affaire, mais un vrai débat démocratique doit être instauré.
Le Conseil contitutionnel a considéré que « le surcroît de complexité introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à le rendre contraire à la Constitution ». Je veux insister sur cette formule qui constitue, à tout le moins, me semble-t-il, un avertissement pour l'avenir auquel le Gouvernement, les gouvernements, feraient bien désormais d'être attentifs.
Tel est, mes chers collègues, le premier objet de l'avis présenté par la commission des affaires sociales.
Mais je veux rappeler, comme l'a fait M. Philippe Marini, que le « feuilleton » n'est peut-être pas totalement terminé.
En effet, en demandant au Parlement de substituer dans l'urgence un mécanisme à un autre, au moment même où les formulaires de déclaration de revenus de 2000 devaient être adressés aux Français, le Gouvernement se heurte à des difficultés réelles, comme vous l'avez évoqué, ainsi que le rapporteur de la commission des finances. La loi n'étant pas votée, les formulaires de déclaration des revenus ne peuvent faire état de cette prime qui n'est encore qu'un projet.
Je n'insiste pas sur ce point, qui a été traité par M. le rapporteur.
Je tiens, en conclusion, à rappeler pourquoi nous avons utilisé la procédure peu usitée de l'avis. Nous pensons qu'après le changement de pied du Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil constitutionnel, les choses semblent rentrer dans l'ordre, même si des différences subsistent entre nos propositions et le texte du Gouvernement.
Je souhaite une fois encore citer la CFDT, qui n'est tout de même pas notre porte-parole. Réagissant à la décision du Conseil constitutionnel, elle avait constaté que le « bidouillage » - le terme n'est pas de moi - « de la CSG n'est pas la solution pour conjuguer fiscalité et emploi ».
De fait, nous sommes désormais saisis d'un dispositif qualifié par le projet de loi de « droit à récupération fiscale », qui relève du code général des impôts et dont on annonce d'ores et déjà, si j'ai bien compris, qu'il sera repris dans les projets de loi de finances pour 2002 et pour 2003.
Nous sommes saisis d'un article unique adopté sans modification par l'Assemblée nationale à l'unanimité - en fait, beaucoup de nos collègues se sont abstenus !
La commission des affaires sociales du Sénat, qui n'a été saisie que pour avis, s'en remet à la compétence de la commission des finances pour examiner le détail de ce dispositif fiscal. Mais, de grâce, que l'on cesse de confondre le financement de la sécurité sociale et les lois de finances. Je vous assure que notre débat démocratique y gagnera beaucoup ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme nous avons à discuter, après l'Assemblée nationale, d'une mesure fiscale nouvelle et novatrice par rapport à la tradition fiscale française, il n'est pas inutile de rappeler que nous devons cette novation à la censure, par le Conseil constitutionnel, d'une mesure de réduction de la CSG et de la CRDS qui s'inscrivait dans le vaste programme de réduction d'impôts appliqué par le Gouvernement avec constance, détermination et, je dirais même, opiniâtreté.
Afin de préserver l'équilibre du plan triennal de baisse des prélèvements obligatoires en faveur des ménages tout en favorisant la lutte contre les « trappes à inactivité », qui, selon de nombreux observateurs, freinent la reprise d'une activité professionnelle par certains travailleurs sans emploi, le Gouvernement a voulu, malgré tout, alléger la charge fiscale pesant sur les travailleurs à bas revenus pour accroître leur pouvoir d'achat tout en encourageant leur emploi. Le dispositif qui résulte de cette volonté politique et qui respecte l'enveloppe financière qui était prévue initialement, c'est l'institution de la prime pour l'emploi, qui est l'objet du projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Cette prime qui préserve la progression des revenus d'activité, et donc la progression du pouvoir d'achat des foyers modestes, soutient, par là même, la consommation des ménages et, par conséquent, la progression de l'emploi.
Dans le même temps, cette prime ne crée pas un climat inflationniste, puisqu'elle ne remet pas en cause l'échelle des salaires. Par conséquent, en soutenant la consommation des ménages, elle renforce la confiance de ceux-ci et conforte la croissance de l'économie française, dans un temps où les incertitudes de l'environnement international rendent plus nécessaires et attendues que jamais les mesures volontaristes que seul est capable de prendre un gouvernement convaincu de l'efficacité des politiques publiques en faveur du pouvoir d'achat des citoyens et, d'une façon générale, en faveur de la progression de la justice sociale.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale qui crée un droit à récupération fiscale imputable sur l'impôt sur le revenu. Elle entraînera une réduction de cet impôt pour certains foyers et, ce qui est beaucoup plus nouveau, un versement par l'administration fiscale en faveur des personnes non imposables ou des foyers dont la contribution à l'impôt sur le revenu sera inférieure au montant de la prime.
M. Gérard Braun. C'est ce que l'on appelle un crédit d'impôt !
M. Michel Sergent. Autrement dit, la prime pour l'emploi constitue, eu égard à la tradition française, une petite révolution fiscale : non seulement, sur un plan formel, parce que des millions de contribuables modestes vont recevoir des chèques de l'administration fiscale, mais aussi, et surtout, parce que c'est la première fois, en France, qu'une baisse de l'impôt sur le revenu va profiter à des contribuables qui n'en paient pas.
La prime pour l'emploi, dont la mise en oeuvre doit s'étaler sur trois ans, vise, pour compenser l'impossibilité devant laquelle s'est trouvé le Gouvernement de réduire la CSG et la CRDS, les personnes percevant un revenu d'activité inférieur à 1,4 fois le SMIC. Encore faut-il préciser que la prime pour l'emploi est conditionnée par les seuls revenus d'activité professionnelle et non par les sommes versées aux travailleurs sans emploi ou par les retraités.
Mais ce qui est particulièrement intéressant dans la prime pour l'emploi, c'est qu'elle tient compte de l'ensemble des revenus du foyer ainsi que des charges de famille des bénéficiaires.
Comme elle est attribuée sous conditions de ressources, le revenu fiscal de référence devra être inférieur à 1,54 fois le SMIC pour un célibataire, à 3.08 fois le SMIC pour un couple et à 2,8 fois le SMIC, pour un couple dont les deux membres travaillent.
Les contribuables dont les revenus d'activité sont modestes bénéficieront de la prime, même s'ils ont des revenus complémentaires, alors qu'un foyer plus aisé, dont l'un des membres a un faible revenu d'activité, ne la touchera pas. Par ailleurs, les couples dont un seul membre travaille verront la prime majorée forfaitairement pour que leur situation se rapproche de celle des couples dont les deux membres travaillent.
Si, pour les célibataires et les foyers sans enfant, la prime est moins avantageuse que la réduction de CSG et de CRDS initialement prévue, la prime pour l'emploi est plus favorable aux parents isolés et aux couples dont un seul membre travaille, s'ils ont au moins un enfant à charge.
Je n'entrerai pas plus avant dans les détails techniques du dispositif que M. le ministre a largement évoqué dans son propos introductif. Ils ont, certes, leur importance. Mais je voudrais surtout souligner que la prime pour l'emploi, qui sera versée aux travailleurs les plus modestes pour compléter leur revenu devrait concerner 10 millions de personnes et coûter, à terme, 25 milliards de francs, c'est-à-dire le même montant que la mesure initialement prévue. Si l'on compare avec les résultats attendus de la réduction de la CSG et de la CRDS qui a été refusée par le Conseil contitutionnel, la prime pour l'emploi accroît le nombre des bénéficiaires de la mesure initiale et majore l'aide prévue pour les personnes à leur charge : 8 millions de foyers fiscaux, dont 5 millions recevront plus de 1 000 francs dès 2001, et 600 000 plus de 2 000 francs ; 30 % des foyers concernés bénéficieront d'une réduction d'impôts, tandis que 70 % des foyers bénéficiaires, non imposables, recevront un chèque de la part des services fiscaux.
La moitié des sommes sera distribuée à des couples, l'autre moitié à des personnes seules, ce qui représente 60 % des foyers fiscaux.
Comme la prime pour l'emploi accompagnera souvent l'entrée ou la rentrée en activité professionnelle, il est prévu qu'elle bénéficie, dans la moitié des cas, à des personnes de moins de trente-cinq ans.
La prime pour l'emploi, monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, a donc toutes les chances d'atteindre le but visé par les auteurs du texte : mieux rémunérer le travail, sans stigmatiser les chômeurs, et redistribuer les fruits de la croissance au profit de ceux qui en ont le plus besoin. Comment ? En encourageant l'exercice ou la reprise d'une activité professionnelle par les travailleurs à bas revenus, qu'ils soient salariés, commerçants, artisans, agriculteurs ou travailleurs indépendants.
En effet, la prime pour l'emploi sera d'autant plus élevée que la durée de l'activité approchera un plein temps, ce qui ne favorise pas le travail à temps partiel. Elle ne pourra pas aider les employeurs à contenir les salaires, puisque le montant de la prime dont bénéficieront éventuellement les salariés de leur entreprise ne leur sera pas connu. Dispositif de justice sociale, elle vise à faire bénéficier d'allègements fiscaux des personnes insérées dans la vie professionnelle, mais qui ne profitent pas, ou peu, de la baisse de l'impôt sur le revenu. Enfin, stimulant la demande intérieure, cette prime pour l'emploi sera un facteur de croissance et de création d'emplois.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Hamel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le premier sentiment qui vient à l'esprit, au moment où nous abordons l'examen de ce projet de loi, est le regret : le regret du temps perdu par la faute de l'entêtement du Gouvernement, à la fin de l'année dernière, quand il voulait avoir raison contre tous ; le regret que le prix de cette attitude soit payé par les plus modestes de nos compatriotes.
Chacun de nous garde en mémoire nos débats approfondis, lors de la discussion du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, sur ce que le Gouvernement appelait alors la « ristourne dégressive de CSG ». Le rapporteur général, M. Philippe Marini, que nous tenons à féliciter pour la qualité de son rapport et la pertinence de ses propositions, et notre collègue Charles Descours, rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, n'avaient pas manqué, alors, de mettre en garde le Gouvernement contre les nombreuses incohérences de son projet de ristourne dégressive de CSG.
Tout d'abord, un tel mécanisme remettait en cause l'universalité du financement de la protection sociale. Ensuite, il était inéquitable en raison de la nature même de la CSG, qui n'est pas un impôt sur le revenu. Le dispositif proposé par le Gourvernement était par ailleurs compensé, vis-à-vis de la sécurité sociale, de manière incertaine, au travers d'une taxe sur les conventions d'assurance. La complexité et la difficulté de la mise en oeuvre de la ristourne par les entreprises et par l'ACOSS avaient également été évoquées. Nous avions regretté, de plus, que le cas des « pluriactifs » n'ait pas été pris en compte de façon satisfaisante. De surcroît, le Gouvernement introduisait dans le financement de la sécurité sociale une progressivité limitée aux seuls revenus d'activité.
Enfin, les problèmes de constitutionnalité posés par le mécanisme avaient été soulevés et parfaitement cernés par nos rapporteurs.
Il est à ce propos intéressant de noter les réactions du Gouvernement et de sa majorité à la décision du Conseil constitutionnel déclarant contraire à la Constitution la ristourne dégressive de CSG. N'était-ce pas le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie qui rendait les parlementaires de l'opposition auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel responsables de cette censure ? Nous ne pouvons croire qu'en s'exprimant ainsi le Gouvernement cautionnait l'application d'une loi contraire à la Constitution !
Nous pensons qu'il s'agissait plutôt, pour lui, de rendre l'opposition responsable de ses turpitudes. Nous estimons, comme Mme Marie-Noëlle Lienemann, qui n'était alors pas encore secrétaire d'Etat au logement, « qu'il est étonnant que Bercy n'ait pas mieux préparé la ristourne dégressive de CSG ». Nous regrettons que les tergiversations et les atermoiements du Gouvernement aient porté préjudice à ceux de nos concitoyens dont les besoins étaient les plus grands. Si le Sénat avait été écouté, le dispositif du crédit d'impôt aurait profité aux personnes concernées dès le premier acompte de l'impôt sur le revenu, au mois de février 2001. Que de temps perdu pour de mesquines querelles idéologiques !
M. Philippe Marini, rapporteur. Absolument !
M. Gérard Braun. Je ferai une dernière remarque sur le thème constitutionnel : nous ne saurions recevoir l'argument, avancé la semaine dernière par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie devant la commission des finances du Sénat, selon lequel la proposition sénatoriale aurait à coup sûr subi la censure du Conseil constitutionnel. En effet, outre qu'il s'agit là d'une pure spéculation, nous faisons remarquer au Gouvernement que l'adoption du dispositif du crédit d'impôt dès le mois de novembre 2000 aurait permis une amélioration du mécanisme proposé à l'occasion de la navette.
En dépit de toutes ces remarques fondées, le Gouvernement avait non seulement persisté dans son refus de suivre le Sénat et la proposition de celui-ci d'instaurer un crédit d'impôt venant se substituer à la ristourne dégressive de CSG, mais également émis des commentaires qu'il doit regretter aujourd'hui, au moment où il nous soumet un dispositif s'inspirant largement du texte que nous avions voté à trois reprises à la fin de l'année dernière, contre son avis et celui de sa majorité.
Nous nous félicitons à nouveau du changement d'attitude du Gouvernement à l'égard du crédit d'impôt, mais il a peur des mots et cache la zizanie régnant au sein de la majorité plurielle par des pirouettes de vocabulaire. Ainsi, l'expression : « prime pour l'emploi » apparaît à la place de : « crédit d'impôt ». Nous ne pouvons, à ce sujet, qu'approuver l'heureuse initiative de M. le rapporteur, qui propose de revenir sur ce qui doit être une malheureuse erreur d'appellation...
Cela étant, les principales difficultés soulevées par le dispositif proposé sont connues : sa mise en oeuvre pourrait entraîner une certaine stagnation des plus bas salaires, la recherche d'un second salaire ne serait pas véritablement encouragée et la différence de traitement opérée entre les personnes seules et les couples ne semble pas être suffisante.
Par ailleurs, afin que ne soient pas pris en compte de petits travaux réalisés de manière occasionnelle, le projet de loi fixe le minimum de revenus à déclarer, pour bénéficier de la prime pour l'emploi, à 0,3 fois le montant du SMIC, soit 20 575 francs. Ce seuil pose un problème, puisqu'il exclut les personnes exerçant une activité non salariée à temps plein et rémunérées à hauteur de moins de 0,3 fois le SMIC. Ainsi, dans le secteur agricole, ce sont quelque cent mille exploitants à faibles revenus exerçant une activité à temps plein qui ne pourront bénéficier de la prime pour l'emploi. Nous demandons donc au Gouvernement de nous faire savoir ce qu'il compte proposer en vue d'apporter des solutions à ces situations particulièrement difficiles.
Sur le plan pratique, chacun a noté la présence, sur la feuille de déclaration des revenus pour 2000, de cases supplémentaires désignées par les lettres AU, AX et AV. Ainsi, l'administration fiscale demande aux contribuables de distinguer entre leurs revenus d'activité et leurs autres revenus, qu'il s'agisse de retraites, de pensions ou de revenus d'épargne et du patrimoine. Le calcul de la prime pour l'emploi implique par ailleurs, pour les personnes travaillant à temps partiel, d'indiquer le nombre d'heures travaillées au cours de l'année dernière. Nous ne pouvons que regretter la complexification importante qui résulte de l'ajout de ces cases, alors que chacun appelle de ses voeux une simplification des obligations déclaratives des contribuables en matière d'impôt sur le revenu.
A cet égard, la complexité du dispositif ne saurait être mieux illustrée que par le rappel des chiffres cités par la principale organisation professionnelle de l'administration des impôts, qui indiquait que huit déclarations sur dix envoyées par les contribuables l'avaient été sans que soient remplies les fameuses cases supplémentaires. J'ai bien noté, monsieur le ministre, que vous avez souligné, dans votre intervention, que nous en étions aujourd'hui à environ six déclarations incomplètes sur dix, mais nous sommes encore loin du compte, et beaucoup de rectifications devront certainement être apportées. Il faut relever ici que l'absence de mention explicite indiquant que les renseignements collectés dans cette zone de la déclaration seraient utilisés en vue du versement d'un supplément de rémunération n'a pas vraiment incité les contribuables à remplir les cases concernées. Sans utiliser l'expression « prime à l'emploi », qui n'est pas définitive puisque la navette se poursuit, on ne peut que regretter que le Gouvernement n'ait pas fait un effort de communication et d'explication à propos de la notice jointe à la déclaration.
Pourtant, cela aurait sans doute été suffisant pour épargner au Gouvernement l'édition à cinq millions d'exemplaires d'un dépliant et le lancement d'une campagne d'information dans la presse, pour un montant d'environ neuf millions de francs. Il convient d'ajouter à ce triste tableau les inévitables relances auxquelles devra procéder l'administration, après examen des revenus, en direction des contribuables éligibles à la prime pour l'emploi, mais qui n'auront pas rempli les fameuses cases AU, AX et AV.
C'est dans cette perspective que nous soutiendrons la proposition légitime de la commission des finances du Sénat qui vise, par l'ouverture d'un délai supplémentaire, à permettre aux contribuables d'envoyer à l'administration fiscale les justificatifs et les documents nécessaires. Il serait d'ailleurs intéressant que le Parlement soit informé par le Gouvernement du nombre de relances que l'administration aura dû effectuer en direction des contribuables.
Enfin, nous regrettons que le Gouvernement fasse si peu de cas du déroulement de la procédure parlementaire et agisse comme si ce projet de loi était d'ores et déjà voté. Que dirait-on d'un maire qui appliquerait une délibération non votée par son conseil municipal ? Il se retrouverait immédiatement mis en examen et condamné ! Nous partageons le souhait de la commission des finances que les moyens de limiter le recours à ce type d'acrobaties juridiques soient examinés à l'occasion de la prochaine discussion du texte portant réforme de l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances.
Notre groupe apportera donc son soutien aux propositions légitimes et pertinentes de la commission des finances et votera ce projet de loi dans le texte modifié par ces propositions. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je reviendrai très brièvement, en préambule, sur les circonstances qui ont conduit à la présentation, un peu improvisée il faut le dire, de ce projet de loi, puis, dans un second temps, j'insisterai sur les mérites de ce texte, tout en soulignant ses lacunes, notamment l'absence d'un dispositif destiné aux bénéficiaires de minima sociaux.
Nous avons eu, à la fin de l'année dernière, un large débat sur les modalités d'une baisse des charges salariales pesant sur les revenus d'activité les plus modestes, le Gouvernement proposant, de son côté, la mise en place d'une ristourne de CSG et de CRDS dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.
La commission des affaires sociales du Sénat, par la voix de son rapporteur Charles Descours, avait alors démontré que cette mesure était profondément injuste et que, par ailleurs, elle allait à l'encontre du principe d'universalité de perception de la CSG. Le dispositif élaboré par le Gouvernement était en effet particulièrement inéquitable à l'égard des ménages dont l'un des conjoints ne travaille pas et disposant d'un revenu compris entre 1,4 et 2 fois le montant du SMIC. Nous avions donc proposé un mécanisme de crédit d'impôt plus neutre, plus juste et plus favorable aux familles, et, en outre, conforme à la Constitution !
Le Gouvernement s'était malgré tout obstiné dans une voie erronée, celle d'une ristourne de CSG et de CRDS ne tenant pas compte de l'ensemble des revenus du foyer. Dans ces conditions, la censure par le Conseil constitutionnel était prévisible, et je crois que personne ici ne peut sérieusement en contester le bien-fondé.
Il n'y avait donc pas lieu de faire un procès d'intention à une opposition parlementaire qui est d'accord sur l'objectif visé, à savoir accroître les revenus des personnes les plus modestes et inciter à la reprise d'activité. Jouant pleinement notre rôle d'opposants « constructifs », nous contestions seulement les modalités de votre ancien projet, monsieur le ministre, cela pour en proposer d'autres, plus opportunes.
Qu'en est-il à présent du nouveau projet de loi ? Largement inspiré par les propositions du Sénat, il a deux grands mérites.
Son premier mérite est de rompre avec les a priori idéologiques d'une certaine gauche française réticente vis-à-vis des mécanismes de réduction d'impôt, et ce à l'issue d'arbitrages particulièrement laborieux au sein de la majorité plurielle.
Son second mérite est d'inciter au retour au travail.
J'aurais, bien entendu, préféré une augmentation du salaire directe, ce dernier étant insuffisant dans notre pays par rapport à ce qu'il est chez nos principaux partenaires européens, mais il n'en demeure pas moins justifié et opportun de réduire les charges sociales personnelles pesant sur les revenus d'activité les plus modestes. La différence entre les revenus procurés par les prestations sociales et ceux du travail reste insuffisante et toute mesure qui contribue à corriger ce phénomène est positive.
Cependant, comme l'a très justement noté notre collègue Jean Arthuis dès l'adoption du projet de loi en conseil des ministres, le caractère improvisé de la prime pour l'emploi rend sa mise en oeuvre très délicate.
Les difficultés intervenues dans le cadre de la déclaration des revenus pour 2000 le démontrent. Sous peine de susciter la légitime colère d'un grand nombre de bénéficiaires potentiels de la prime, il convient de mettre en place une procédure déclarative exceptionnelle. C'est le sens des propositions de la commission des finances, propositions que mon groupe juge particulièrement opportunes.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen de la proposition de loi portant création du revenu minimum d'activité ou RMA, le 8 février dernier, le dispositif que vous proposez, monsieur le ministre, reste cependant incomplet. S'il répond à une logique de redistribution que nous partageons, il lui manque néanmoins un volet visant à l'insertion de populations en difficulté sur le marché du travail. Je pense évidemment à une grande partie des bénéficiaires de minima sociaux.
Il est nécessaire à cet égard de rappeler quelques chiffres : à la fin de 1999, cinq minima sociaux, dont le RMI, étaient versés à 1,7 million de personnes susceptibles d'exercer une activité professionnelle classique. Avec les ayants droit, cela représentait un total de 3 millions de personnes.
Il faut constater que la reprise de la croissance économique mondiale et européenne et la baisse du chômage n'ont eu qu'un impact limité sur l'évolution des effectifs des allocataires. Tout au plus peut-on dire que leur augmentation s'est ralentie.
Entre 1994 et 1999, le nombre des bénéficiaires s'est accru de moins de 3 % alors que le taux de progression était proche de 9 % entre 1990 et 1994.
S'agissant du RMI, la situation est également décevante : son taux de croissance, qui était de 7,5 % en 1996 et de 6 % en 1997, a encore atteint 4 % en 1998 et 2,5 % en 1999. L'année 2000 doit être marquée par une certaine stabilité et en 2001, pour la première fois, nous devrions connaître une baisse du nombre des allocataires.
La baisse du chômage produit ses effets avec retard et dans une plus faible proportion. L'incidence de la reprise économique est concentrée sur les personnes les plus proches de l'emploi, tandis que les allocataires plus âgés ou dotés d'une faible aptitude professionnelle restent hélas dans le dispositif du RMI.
Ce phénomène s'explique, comme je l'indiquais tout à l'heure, par la faiblesse de l'écart entre le niveau de revenu procuré par les minima sociaux et les bas salaires, ce qui est de nature à créer ce que l'on appelle une « trappe à inactivité » : le bénéficiaire du minimum social préfère continuer à percevoir celui-ci plutôt que de rechercher un travail.
Tel est le constat effectué par des personnalités dont l'objectivité ne peut être mise en doute : je pense en particulier à M. Bertrand Fragonard, que nous avons auditionné devant la commmission des affaires sociales, ou encore à MM. Pisani-Ferry et Belorgey.
Cet état de fait a motivé la mise en place de crédits d'impôt en faveur d'actifs aux ressources modestes dans plusieurs pays européens, dont certains sont dirigés par la gauche - hier la Grande-Bretagne, aujourd'hui la France. Mais il importe à présent d'inventer des mécanismes nouveaux afin de mettre en relation le besoin de main-d'oeuvre des entreprises et la ressource humaine considérable que représentent les titulaires de minima sociaux.
Cela est d'autant plus crucial et urgent que, dans notre pays, le nombre de pauvres reste malheureusement stable - près de 4,2 millions de personnes selon l'INSEE - et que la baisse du chômage est fragile. Les dernières statistiques de l'emploi plutôt favorables doivent, en effet, être relativisées compte tenu du nombre grandissant des plans sociaux et de la forte augmentation des entrées en stage.
Pour l'ensemble de ces raisons, mes collègues Alain Lambert et Philippe Marini ont pris l'excellente initiative de déposer une proposition de loi tendant à créer un revenu minimum d'activité, ou RMA. Cette expression de « RMA » avait déjà été utilisée en 1996 par Jean-Paul Virapoullé, alors député UDF de la Réunion.
Elle s'appliquait à un mécanisme centré sur les départements d'outre-mer et destiné à permettre aux entreprises de compléter un minimum social par un salaire.
La proposition de loi de nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini a été déposée il y a près d'un an, puis adoptée par le Sénat le 8 février dernier. Je rappellerai en quelques mots les grandes lignes d'un dispositif dont j'ai été le rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales.
Le revenu minimum d'activité prend la forme d'une convention conclue entre le bénéficiaire du minimum social, l'employeur et l'Etat. Il comporte deux parts.
La première est constituée d'une aide dégressive versée à l'entreprise pendant trois ans, correspondant, au départ, à l'allocation de minimum social que recevait le bénéficiaire.
La seconde part est le salaire négocié, qui correspond à la différence entre le montant du RMA et celui de l'aide dégressive.
La grande originalité de ce dispositif relativement simple est qu'il est résolument orienté vers l'insertion des personnes en difficulté dans le secteur marchand. Rappellons, à ce propos, que 80 % des RMIstes qui retrouvent actuellement un emploi aidé le font dans le secteur non marchand.
Il s'agit d'un véritable système d'activation des dépenses passives d'indemnisation ou d'assistance, système à l'égard duquel malheureusement, le Gouvernement a exprimé son désaccord le 8 février dernier. Le Gouvernement sous-estime véritablement l'importance du chômage structurel !
Au cours des derniers mois, on a vu ce même gouvernement évoluer à plusieurs reprises dans sa politique : d'une ristourne de CSG et de CRDS à l'automne, il est passé, en janvier dernier, à un mécanisme de crédit d'impôt habillé en prime pour l'emploi. Monsieur le ministre, encore un petit effort et, d'ici peu, vous vous rallierez peut-être à notre proposition de revenu minimum d'activité !
Ce RMA permettrait en effet à des personnes durablement éloignées aujourd'hui du monde du travail de retrouver une véritable dignité, retrouvant chaque mois les bienfaits d'une fiche de paye plutôt qu'une fois par an les conséquences d'une déclaration de revenus. L'enjeu n'est pas seulement d'ordre financier et économique. Il s'agit de revaloriser l'engagement individuel et la responsabilité, autant de valeurs auxquelles mon groupe et une majorité de cette assemblée sont très profondément attachés.
Il me reste à féliciter notre rapporteur, Philippe Marini, ainsi que les commissions des finances et des affaires sociales pour leur excellent travail.
Sous réserve des observations que je viens de formuler, le groupe de l'Union centriste votera le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi, tel qu'il sera amendé par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la date d'examen du projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi est, pour le moins, surprenante puisqu'elle se situe au lendemain de la date limite d'envoi des déclarations d'impôt sur le revenu.
Comment ne pas y voir le symbole - un de plus ! - du peu de considération que le Gouvernement porte au débat parlementaire ?
Comment ne pas s'interroger sur l'intérêt qui subsiste d'étudier un dispositif fiscal qui est déjà entré en application et dont le Gouvernement ne peut accepter la moindre modification ?
Comment, au-delà de cette conjoncture, ne pas s'inquiéter pour cette évolution des pratiques budgétaires que nous espérons tous mais qui semble plutôt mal partie ?
Mes chers collègues, il n'y aura pas de véritable réforme de l'ordonnance organique de 1959 sans évolution des esprits.
Il n'y aura pas davantage de nouvelle constitution financière sans nouveau comportement gouvernemental.
Il n'y aura pas non plus, même si on le souhaite, un rééquilibrage des pouvoirs si l'exécutif continue à prendre le Parlement pour une simple chambre d'enregistrement.
Le Sénat et l'Assemblée nationale doivent sérieusement réfléchir à la manière de remédier à cette situation, qui entretient une confusion des pouvoirs, peut-être, et la confusion dans les esprits, sûrement.
Monsieur le ministre, nous souhaitons, bien entendu, que les nouvelles règles du jeu budgétaires soient fondées sur une relation de confiance plus évidente.
Mais l'affaire de la « cagnotte », même si le mot est mal choisi et irritant, l'opacité du financement des 35 heures, le déséquilibre annoncé du fonds de retraite et cette gestion du dossier de la prime pour l'emploi nous incitent à la prudence.
Dans ce dossier, le Gouvernement a tenté de rendre le Parlement responsable des erreurs de l'exécutif.
C'est pourtant lui qui a tenté d'imposer une réduction dégressive de CSG et de CRDS dont nous avons été nombreux, ici et ailleurs, à dénoncer le caractère inégalitaire.
C'est lui aussi qui a voulu passer en force, contre notre avis, contre la Constitution, avec le résultat que nous connaissons.
C'est lui encore qui a balayé la solution alternative du crédit d'impôt proposée par le Sénat avant de s'y rallier près de deux mois plus tard,... deux mois trop tard !
C'est lui, enfin, qui est responsable du cafouillage administratif de ces dernières semaines, cafouillage qui l'a obligé à lancer des campagnes d'information en catastrophe et à repousser la date limite pour l'envoi des déclarations.
Tout cela à un coût, financier bien sûr, mais pas uniquement.
La principale victime de ce cafouillage est l'espoir d'une modernisation rapide et profonde de notre administration fiscale.
Où est passée la simplification administrative qui nous a été promise par le Gouvernement à grands renforts de communiqués et de déclarations volontaristes ?
Notre collègue James Bordas vous a posé cette question lors de la séance des questions d'actualité de jeudi dernier, madame la secrétaire d'Etat. Il n'a pas été très satisfait de la réponse que vous lui avez apportée.
Il est vrai que le bilan n'est guère flatteur. Monsieur le ministre a bien été obligé de le reconnaître lors de son audition devant la commission des finances, le 27 mars dernier.
Avec le talent de débatteur que nous lui reconnaissons, il a bien dû confirmer le report sine die de la généralisation des feuilles de déclaration de revenus préremplies qui étaient censées simplifier les procédures pour les contribuables.
La décision est sans doute empreinte de sagesse car il est vrai, et vous l'avez confirmé, que l'expérimentation que vous avez menée sur un échantillon de quelques départements a débouché sur un taux d'erreurs de 60 %, ce qui est évidemment considérable et, surtout, inadmissible.
Mais Bercy va devoir corriger, et corriger encore. Les fonctionnaires du ministère des finances sont maintenant appelés à réparer les pots cassés de la prime pour l'emploi. Il va leur falloir réexaminer des millions de déclarations de revenus et, probablement, relancer des millions de courriers, des millions de réponses et des millions d'opérations supplémentaires. Que de moyens humains et financiers dépensés !
Vraiment, et je vous livre ici une réflexion personnelle, les fonctionnaires de l'Etat en charge de la fiscalité de nos concitoyens se révèlent bien plus dynamiques et sûrs d'eux-mêmes quand ils entendent saboter une réforme de fond de leur ministère et « se payer » un ministre - il n'y a pas d'autre expression -, comme ils l'ont fait.
S'agissant de la prime pour l'emploi, face à une telle situation, que peut faire le Sénat, sinon tenter de remettre sur les rails un train qui est déjà lancé ? C'est ce que propose la commission des finances, avec pragmatisme.
Elle ne souhaite pas retarder la mise en place d'une mesure attendue par les familles et dont elle est grandement à l'origine.
Elle suggère simplement la mise en place d'une procédure exceptionnelle afin de faire face aux difficultés d'application du nouveau dispositif fiscal et d'éviter des contentieux dommageables.
Après la confusion qui s'est instaurée ces dernières semaines, nous devons envoyer un message clair aux contribuables susceptibles de bénéficier du crédit d'impôt en faveur de l'activité. Nous devons leur garantir qu'aucun d'entre eux ne sera laissé sur le bord de la route. Nous devons leur laisser le temps de fournir toutes les informations requises.
Le groupe des Républicains et Indépendants approuve cette démarche qu'il juge constructive et responsable.
Au demeurant, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de regretter, une fois encore, que le Gouvernement nous prive d'un débat de fond en nous plaçant devant le fait accompli et nous empêche d'examiner un certain nombre de points qui auraient mérité d'être éclaircis. Je pense, par exemple, à la situation des nombreux exploitants agricoles qui ont des revenus d'activité inférieurs à 0,3 SMIC et qui craignent ainsi d'être exclus du nouveau dispositif fiscal. Peut-on espérer que le Gouvernement nous donnera des précisions à ce sujet ?
Pour le reste, nous n'avons plus qu'à souhaiter que le nouveau crédit d'impôt soit un succès sur le terrain et contribue à la réduction des prélèvements obligatoires. En effet, sur ce point, là encore, malgré toutes les promesses, le compte n'y est toujours pas. En 2000, la pression fiscale a très peu diminué par rapport à son record historique de 1999. Avec 45,5 % de taux de prélèvement, la France ne reste-t-elle pas le plus mauvais élève du G 7 ?
Le crédit d'impôt en faveur de l'activité est un pas dans la bonne direction, mais il doit être suivi de beaucoup d'autres afin de garantir la compétitivité de nos entreprises et de permettre aux Français de bénéficier davantage des fruits de la croissance.
Sous réserve de l'adoption des amendements défendus par la commission des finances, le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet d'éteindre la controverse née de la décision du Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 relative à la ristourne dégressive de contribution sociale généralisée.
En saisissant le Conseil constitutionnel, nos collègues de l'opposition à l'Assemblée nationale et de la majorité sénatoriale ont remis en question une mesure qui paraissait, malgré ses défauts, susceptible de rendre immédiatement un peu de pouvoir d'achat aux salariés, singulièrement aux plus modestes.
Lors des débats sur la loi de financement de la sécurité sociale et sur la loi de finances elle-même, les membres de la majorité sénatoriale s'étaient attachés à défendre un dispositif de crédit d'impôt qui était assez proche - et c'est un euphémisme ! - de celui que le présent projet de loi prévoit, M. Marini parlant d'ailleurs aujourd'hui de ralliement et revendiquant un droit de paternité.
M. Philippe Marini, rapporteur. Absolument !
M. Roland Muzeau. Toutefois, une ultime question, liée à l'organisation même de nos travaux, se pose.
En effet, en recevant récemment, comme tout un chacun, le formulaire de déclaration des revenus de l'année 2000, j'ai pu constater la présence d'une rubrique intitulée : « Renseignements complémentaires relatifs aux revenus d'activité », qui n'est ni plus ni moins que la traduction « technique » de la prime pour l'emploi.
Ce débat, intervenant après une longue interruption de nos travaux, qui a elle-même suivi un bouleversement du calendrier parlementaire, est donc un exercice quelque peu vain : les choses sont déjà engagées.
M. Philippe Marini, rapporteur. Très juste !
M. Roland Muzeau. Voter pour ou contre la prime pour l'emploi n'a guère de sens au moment où les contribuables ont déjà rempli leur déclaration de revenus de 2000 puisqu'ils avaient jusqu'à hier minuit pour la déposer auprès de leur centre des impôts.
Cependant, il est une question autrement plus importante qui mérite d'être posée à l'occasion de ce débat.
Revenons d'abord à la véritable source des mesures qui nous sont proposées. Le concept d'impôt négatif ou de crédit d'impôt trouve son origine, il convient de le rappeler, dans les travaux d'économistes américains comme Milton Friedman ou James Tobin - celui-ci est surtout connu pour une autre proposition - qui ont, dans une société assez profondément inégalitaire, préconisé un dispositif d'incitation fiscale en direction des salariés les plus modestes, ceux que l'on appelle désormais les working poor .
Ceux-ci tirent très peu parti de la croissance économique et sont directement confrontés aux ajustements conjoncturels qui interviennent, en termes d'emploi, quand le cycle économique s'inverse. Les working poor , c'est l'autre Amérique, celle que l'on ne nous montre que rarement au milieu de l'exposition rutilante de la réussite économique.
Aux Etats-Unis, le dispositif, connu sous le nom de Earned Income Tax Credit , touche 20 % des foyers américains.
Sur le même modèle, en Grande-Bretagne, le gouvernement de Tony Blair a mis en place, à la fin de 1999, un dispositif d'incitation fiscale nommé Working Families Tax Credit , qui touche un million et demi de foyers britanniques.
Notre pays est-il donc confronté, lui aussi, au développement de cette catégorie de salariés ? Si l'on en croit les intentions affichées de ce projet de loi, il semble bien que ce soit le cas.
Un profond accroissement de la précarité de l'emploi, liée à la remise en question de l'ensemble des garanties sociales du monde du travail, se produit depuis vingt-cinq ans.
Ici même, à l'automne 1993, lors de la discussion du projet de loi quinquennale sur l'emploi, la majorité sénatoriale s'était particulièrement distinguée dans cet exercice de remise en cause des « fondamentaux » du code du travail. Depuis, elle maintient cette position, se contentant de « prendre la roue » du MEDEF.
Même en phase de croissance, la réalité de la précarisation du travail est incontournable.
Selon certaines études récentes, 20 % à 25 % des salariés du secteur privé ont connu, dans la dernière année écoulée, une période de chômage.
Au-delà du débat que nous pouvons avoir également sur la qualité du marché du travail, notamment sur le nombre très important de contrats à durée déterminée qui sont proposés aux demandeurs d'emploi en lieu et place d'embauches fermes et définitives sous contrat à durée indéterminée, un autre phénomène apparaît aujourd'hui : l'explosion du travail intérimaire et du travail à temps partiel, particulièrement pratiqués dans le secteur du commerce et des services.
La parcellisation, l'émiettement du marché du travail, rendus possibles par le cadre législatif issu de 1993, se doublent d'un autre processus, celui de la négation, tant à l'embauche qu'en termes de rémunération, de la formation et de la qualification des salariés.
Dans une tribune libre récemment publiée par le journal Les Echos , l'économiste André Gauron souligne que la part des emplois non qualifiés dans les secteurs industriels a été pratiquement divisée par deux entre 1984 et 2000, avec une baisse de 860 000 postes de travail et de 21 % du total des emplois industriels, tandis que les secteurs des services ont vu, dans le même temps, le nombre des salariés non qualifiés progresser de 830 000 et leur part dans l'emploi global de ces secteurs passer de 18 % à 37 %.
Pour oser une formule, disons que le secteur tertiaire s'est en quelque sorte « prolétarisé ».
Ce mouvement est contradictoire avec la progression du niveau de qualification des salariés.
En 1983, selon les éléments fournis par l'INSEE et que le conseil d'analyse économique a pris en compte dans son vingt-deuxième rapport, 44,9 % des actifs n'avaient aucun diplôme. En 1999, ils ne représentaient plus que 25,9 % des actifs, et leur nombre était inférieur à celui des actifs titulaires du baccalauréat ou d'un diplôme d'enseignement supérieur.
Le mouvement de déqualification des salariés du secteur tertiaire est donc la négation de la qualification et de la formation initiale qu'ils ont acquises.
Or c'est évidemment l'ensemble de ces emplois qui est au centre de notre débat d'aujourd'hui.
Le dispositif de la prime pour l'emploi tend, par nature, à pérenniser des réalités économiques et sociales qui ne peuvent pourtant être tenues pour acceptables. C'est là, de notre point de vue, l'une des limites théoriques fondamentales du projet de loi.
En donnant un « coup de pouce » fiscal aux revenus les plus faibles, dans la limite de 1,4 SMIC, on ferme, certes, ce que l'on appelle la « trappe à pauvreté », mais on ouvre assez largement la « trappe à bas salaires » où ils se retrouvent confinés aujourd'hui.
In fine, l'effort a été réorienté vers l'impôt progressif sur le revenu, aujourd'hui deuxième étage d'une imposition des revenus dont le socle est précisément constitué par la CSG et son appendice, la CRDS.
Si l'on s'en réfère aux promoteurs de cette proposition, la prime pour l'emploi viendrait donc corriger quelque peu l'application d'un impôt sur le revenu qui, faute d'une réforme plus globale, est encore aujourd'hui empli de primes à la rente.
Elle accompagnerait aussi le développement de l'emploi et favoriserait la sortie plus volontaire des dispositifs d'aide sociale, mais on suppose ainsi implicitement qu'une partie de nos compatriotes, dont le revenu dépend aujourd'hui de l'aide sociale, aurait fait le choix conscient de cette situation.
Cette mesure préfigure-t-elle une remise à plat plus complète encore de l'équilibre de nos revenus de transfert ? C'est à craindre.
Par ailleurs, la création d'un revenu minimum jeune étudiant va-t-elle aller de pair avec l'extinction progressive des formes actuelles de redistribution en leur direction telles que les bourses d'enseignement ou l'allocation logement étudiante ?
Enfin, la montée en puissance de la prime pour l'emploi se produit au moment où se réduit la dépense publique pour l'emploi.
Depuis de longues années se sont multipliées les formules de traitement du chômage des publics les plus en difficulté avec les rigueurs implacables du marché du travail. Des centaines de milliers de jeunes, de femmes reprenant une activité professionnelle, de chômeurs de longue durée ont ainsi goûté aux TUC, aux CES, aux contrats d'insertion, aux contrats initiative-emploi ou encore, plus récemment, aux emplois-jeunes.
Nous avons toujours, dans le passé, mis en question la qualité de ces mesures, les critiquant au besoin, les approuvant pour certaines.
Leur coût budgétaire a représenté, bien souvent, la source principale de progression des dépenses d'intervention dans les dix ou quinze derniers exercices budgétaires.
L'amélioration de la situation économique conduit les personnes concernées à moins recourir à ces démarches d'alternative provisoire au chômage et favorise mécaniquement une réduction de l'engagement de l'Etat. Le dernier collectif budgétaire en portait d'ailleurs la trace avec, par exemple, l'annulation de 3,5 milliards de francs de crédits pour les emplois-jeunes.
Allons-nous donc, dans ce débat, procéder une fois encore à l'abandon d'une dépense budgétaire directe au profit d'une réponse de nature fiscale qui peut, sans évolution des paramètres de la situation réelle de l'emploi, constituer dans les années à venir un obstacle à toute réforme durable et pertinente des finances publiques ?
En dernière instance, en effet, c'est bien au travers du maintien d'un certain volume de prélèvements obligatoires - concernant par exemple, les taxes frappant la consommation - que l'on va financer ce dispositif d'incitation fiscale.
Deux questions sont donc directement soulevées par la mise en place de la prime pour l'emploi.
La première est de savoir si la dépense publique pour l'emploi doit suppléer les carences du dialogue social en ce qui concerne les salaires et la rémunération, la reconnaissance des qualifications ?
Mettre en place la prime pour l'emploi, c'est, que vous le vouliez ou non, accepter au fond les désordres de la situation salariale, la non-reconnaissance des qualifications acquises par l'étude ou par l'expérience professionnelle, c'est admettre la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée que nous observons depuis que nous sommes entrés dans un cycle de croissance, réduction qui est susceptible, à terme, de remettre en cause la durée même de cette phase de croissance.
Les entreprises peuvent-elles répondre à l'exigence de revalorisation salariale, exigence largement partagée par les salariés de notre pays ainsi qu'en témoignent les mouvements sociaux qui se déroulent actuellement ? A l'évidence, oui.
Ainsi, Le Monde daté du 1er mars dernier titrait : « Les entreprises affichent des profits historiques pour 2000. » Les douze plus grands groupes français ont en effet cumulé, au cours du dernier exercice du siècle, 126,7 milliards de francs de bénéfices, dont environ 50 milliards pour le seul groupe Total-Fina-Elf, et ce malgré l' Erika . Dans le même temps, la COB annonce que les dividendes versés au titre de 2000 par les sociétés cotés au CAC 40 vont franchir les 100 milliards de francs.
Ces profits exceptionnels, dégagés tant par nos groupes industriels que par les grands établissements bancaires, ont une origine bien connue.
Nos entreprises, depuis désormais une vingtaine d'années, enregistrent continûment des gains de productivité, réalisés souvent bien plus grâce à l'augmentation de l'intensité du travail des salariés qu'au développement réel de l'investissement productif, ainsi que l'attestent la baisse régulière de la part des salaires dans la valeur ajoutée et l'augmentation corollaire de la part des dividendes. Après l'affaire Michelin, les actuelles affaires Danone et Marks & Spencer illustrent encore cette situation.
Pouvons-nous oublier cet élément dans le débat, quand le produit exceptionnellement élevé de l'impôt sur les sociétés en 2000 nous apporte un témoignage encore plus clair de cet état de fait ? En 2000, le produit de l'impôt sur les sociétés est deux fois plus important qu'il ne l'était en 1993, atteignant 247 milliards de francs !
Nous persistons donc à penser que, dans ce contexte, augmenter le SMIC et faire un effort sur les minima sociaux n'auraient pas été de trop !
Seconde question : devons-nous nécessairement admettre que la dépense publique pour l'emploi quitte les rivages du traitement social et des emplois « aidés » pour ceux de la dépense fiscale, ou poser l'alternative d'une réallocation des ressources en direction d'autres priorités et d'autres objectifs ?
Le choix, constamment opéré, de réduction des cotisations sociales des employeurs est discutable, et un effort en direction de l'allégement d'autres contraintes vécues par les entreprises, notamment celles du coût du crédit, doit être accompli.
Cette mise en question s'impose, surtout quand la ristourne dégressive des cotisations calculées sur les salaires les plus faibles est aujourd'hui complétée, comme par symétrie, par le dispositif dont nous débattons.
L'argent public mobilisé dans le soutien à l'activité et à l'emploi ne peut définitivement être utilisé que sur le « coût du travail », encourageant, par un effet pervers, que nous avons maintes fois constaté, la permanence de la précarisation des conditions de travail et de celle des conditions salariales ou facilitant l'utilisation massive de la richesse créée au seul profit des actionnaires, voire du montage d'opérations spéculatives ruineuses.
Une démarche nouvelle de financement de l'emploi et de la formation passe par la mobilisation de l'argent public en faveur de l'allégement du coût du crédit, dont on sait qu'il est le plus souvent le principal obstacle à l'investissement et, a fortiori , à la création d'emplois. En outre, une profonde inégalité d'accès au crédit impose que l'argent public puisse être utilisé comme levier.
Ainsi, les crédits de bonification d'intérêts sur prêts doivent être sensiblement réévalués.
Cette politique s'accompagnerait évidemment de la détermination de critères nouveaux d'attribution de l'aide publique, plus directement ciblée sur les projets d'investissement les plus porteurs en termes d'emploi et de formation des salariés.
L'argent public ne peut durablement être utilisé uniquement pour compenser les travers et les défauts inacceptables des modes de rémunération et du marché du travail.
De par sa nature même, la prime pour l'emploi est vouée à disparaître à terme du paysage fiscal de notre pays. En voter aujourd'hui la création n'a qu'une portée relative, d'autant que nous en débattons alors même que les contribuables ont d'ores et déjà envoyé leur formulaire de déclaration de revenus.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, marquant qu'il n'apporte, selon nous, que des réponses insuffisantes au problème posé et que, sur le fond, nous sommes opposés au dispositif qu'il tend à mettre en place. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire que ce débat me remplit d'espoir. En effet, de tous les propos que j'ai entendus, je conclus que nous partageons un même objectif : l'emploi. Cela mérite d'être salué, car c'est assez nouveau dans le débat politique et économique français.
Il y a d'abord consensus sur un diagnostic : parmi ceux qui ont une activité, il est des personnes dont l'activité est faiblement rémunérée, et il faut répondre à cette situation.
Monsieur le rapporteur, vous avez tiré une satisfaction politique de ce que le Gouvernement en soit arrivé au choix de la prime pour l'emploi. Eh bien, cette satisfaction, je vous l'accorde de bonne grâce, car je ne renie rien des propos que j'ai pu tenir devant vous lorsque nous débattions du projet de loi de finances pour 2001 ou encore du projet de loi de finances rectificative pour 2000. Je ne renie rien de ce que j'ai pu dire des mérites comparés de la ristourne de CSG et du crédit d'impôt.
La ristourne de CSG aura toujours deux avantages : d'une part, celui d'être contemporaine de l'activité, qu'elle soit conservée ou reprise, et donc d'être plus lisible, plus aisément incitative ; d'autre part, celui d'être plus directe et plus simple pour les bénéficiaires.
Mais ne perdons pas de temps sur le passé. Cette disposition a été censurée, c'est ainsi ; j'ai dit que nous en avions pris acte et je ne ferai pas d'autre commentaire.
Quant au crédit d'impôt tel qu'il avait été préconisé par le Sénat, je dois reconnaître que la Haute Assemblée était plutôt sur une bonne piste ; je l'ai dit, je le redis.
M. Gérard Braun. Très bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Pouvait-on pour autant suivre cette piste telle qu'elle avait été définie ?
En novembre, non, car, comme je viens de le rappeler, la ristourne de CSG conservait tous ses mérites.
En décembre, pas plus, parce que la procédure législative, quoi que vous en disiez, monsieur le rapporteur, ne l'autorisait absolument pas, et vous me permettrez de préciser que je n'aurais pris aucun risque vis-à-vis du Conseil constitutionnel pour vérifier si, oui ou non, une telle démarche eût été praticable ou pas. En outre, la proposition, qui ne manquait pas de mérites, était insuffisamment calibrée. Elle était porteuse de distorsions entre des situations comparables, elle ne modulait pas le revenu pris en compte pour ouvrir droit à ce qui était l'équivalent de la prime pour l'emploi en fonction des charges de famille et, par construction, elle n'était pas du tout incitative à la prise d'activité du conjoint.
Ayant rappelé tout ce qui différenciait la ristourne de CSG du crédit d'impôt tel que le Sénat l'avait proposé, vous comprendrez que je persiste à qualifier ce débat de politique, et que je persiste à le qualifier d'honorable.
Vous avez sans doute vous-même passé beaucoup de temps, monsieur le rapporteur, à élaborer cette proposition. Vous savez bien que de telles questions ne s'improvisent pas et qu'elles méritent d'être travaillées en profondeur. Par conséquent, les reproches qui ont pu être faits ici ou là sur les thèmes conjugués de la lenteur et de la précipitation ne peuvent que relever la polémique et n'ont pas leur place dans la réponse que je vous adresse.
Le Gouvernement a donc choisi dès le mois de décembre, et sans hésitation, de trouver une réponse à la censure du Conseil constitutionnel. Bien sûr, il aurait été sans doute plus confortable de ne rien faire du tout : nous nous serions épargné bien des complications. Mais, vous l'avez compris, ce n'était pas la politique de ce gouvernement, qui souhaitait absolument que, dès 2001, les bénéficiaires potentiels de la ristourne de CSG dans un premier temps, du crédit d'impôt - qui ne s'appelait pas encore prime pour l'emploi - dans un second temps, puissent profiter de cette mesure au plus vite.
Comment tenir compte des orientations indiquées par le Conseil constitutionnel sur la prise en considération des charges de famille ? Comment éviter des cas qui, même s'ils sont marginaux, ont sans doute pesé lourd dans sa décision, parce qu'ils auraient correspondu au voisinage d'une rémunération modeste avec d'autres revenus plus confortables ? Comment calibrer la prime pour l'emploi de façon qu'elle tienne dans l'enveloppe votée par le Parlement ? Voilà des questions qui ne sont ni légères ni vaines et qui, je dois le dire, ont rempli notre emploi du temps entre le 20 décembre et le 16 janvier, date à laquelle Laurent Fabius, Elisabeth Guigou et moi-même avons proposé le dispositif de la prime pour l'emploi.
Enfin, se posait la question du nom.
Pour commencer, monsieur le rapporteur, je soulignerai un point d'accord : la prime pour l'emploi est tout sauf un impôt négatif. D'ailleurs, un impôt négatif, personne ne comprend ce que cela veut dire !
Sur le fond, comme vous le soulignez dans votre rapport, le choix idéologique qui fonde le crédit d'impôt que vous avez préconisé est tout à fait différent de celui qui fonde la prime pour l'emploi que nous avons proposée.
Pourquoi une prime pour l'emploi ?
Le mot fort, vous l'avez compris, c'est « l'emploi ». Il désigne à lui seul la cible et l'ambition de cette mesure. Prime « pour », parce qu'il faut décider d'aller vers l'emploi, puis décider d'y rester ; il est nécessaire d'être soutenu pour cela. « Prime », enfin, parce que l'on doit être clair sur ce que l'on veut faire : il ne s'agit pas là simplement d'une aide au changement de moquette, pour renvoyer à un certain nombre de crédits d'impôt qui existent déjà !
Il nous a donc paru utile de qualifier ce crédit d'impôt, et de le qualifier très nettement par rapport à son objet : l'emploi.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup plaint par avance nos successeurs, qui auront à assumer un dispositif dont vous avez estimé le coût à plus de 25 milliards de francs en 2003. Permettez-moi de vous rappeler que Laurent Fabius et moi-même avons toujours refusé de légiférer au-delà de 2002, parce que nous avons passé un contrat de législature avec les Français. Au-delà de ce contrat de cinq ans, ce sont les Français qui auront la parole et qui désigneront nos successeurs. Nous refusons donc de tirer des chèques que nous leur laisserions l'obligation de régler à notre place.
Bien que M. Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, soit absent, je lui répondrai rapidement, sans revenir sur la controverse qui concernait la ristourne de CSG.
M. Descours a naturellement rappelé les caractéristiques et les défauts que présentait à ses yeux cette ristourne. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris les arguments qu'il a mis en avant sur le thème de sa compensation par l'Etat : a-t-il voulu dire qu'il eût mieux valu qu'il n'y ait pas de compensation ? J'en doute !
Quoi qu'il en soit, je me félicite que la commission des affaires sociales ait examiné ce projet de loi, qui est tout autant social que fiscal, et qu'elle en partage, comme la commission des finances, les diagnostics et les objectifs.
Je remercie donc M. Descours du soutien qu'il a apporté à la mesure.
Je vous remercie également, monsieur Sergent, d'avoir, en quelques phrases très claires, rappelé les principes, les caractéristiques et les effets de la prime pour l'emploi, et de lui avoir apporté le soutien de votre groupe.
Vous avez indiqué, monsieur le sénateur, qu'il fallait mieux rémunérer le travail sans stigmatiser les chômeurs. C'est bien l'objet de cette prime, et je ne saurais mieux l'exprimer que vous ne l'avez fait voilà quelques instants.
Je crois comme vous que cette prime est juste parce qu'elle améliore les conditions matérielles des travailleurs, notamment de ceux qui, pour dire les choses simplement, éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts à la fin de chaque mois et qui, paradoxalement, peuvent trouver en quelque sorte un « désavantage » financier à travailler.
Vous avez rappelé à juste titre le profil de ceux que nous souhaitons voir bénéficier du dispositif d'ici au mois de septembre. Ce sont pour 70 % des foyers non imposables ; plus de 60 % sont des personnes seules, et près de la moitié auront moins de trente-cinq ans. On peut donc considérer que la prime pour l'emploi accompagnera aussi le premier emploi et qu'elle constituera une manière de débuter dans la vie active.
Avec le temps, ce dispositif connaîtra une montée en puissance, puisque nous y reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2002. Il est donc conçu pour durer et sera, je l'espère, un soutien puissant pour aider un certain nombre de nos concitoyens à « mettre le pied à l'étrier ».
Monsieur Braun, vous avez fait état de vos regrets, vous avez rappelé ce que nous avons fait et ce que nous n'avons pas fait, vous nous avez reproché d'avoir mené une action de communication tout en la trouvant insuffisante, vous avez estimé que nous avions agi trop vite ou que nous avions trop tardé !... Il est difficile, c'est vrai, de regretter que la campagne que nous avons lancée ait été insuffisante et de souligner qu'il aurait fallu faire plus et mieux que de diffuser... cinq millions de dépliants, de dire qu'il aurait fallu faire plus et mieux qu'une campagne de communication et, dans le même temps, de nous en reprocher le coût trop élevé !
Le crédit d'impôt tel que le Sénat le proposait n'avait pas, à ma connaissance, vocation à être payé dès le mois de janvier, contrairement à ce qui aurait été le cas de la ristourne de CSG. Ce que nous vous proposons aujourd'hui, dans le cadre de ce projet de loi, c'est que la prime pour l'emploi soit versée en septembre. Tout à l'heure, Laurent Fabius, lors de la discussion générale, a rappelé les mesures que nous avons déjà mises en oeuvre et celles que nous préparons pour rendre ce droit effectif à l'automne. Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais je ne vois pas où est le retard !
Je ne peux pas laisser dire non plus que le crédit d'impôt tel que le Sénat l'avait conçu cet automne eût pu être versé dès le mois de février, en même temps que le premier acompte de l'impôt sur le revenu. Tel n'était pas le contenu du texte qu'a adopté votre Haute Assemblée, et ce délai était techniquement impossible à respecter.
M. Nogrix - je le comprends - n'aurait pas été hostile à une augmentation du salaire direct. Je précise, pour éclairer les débats, qu'il s'agit du salaire versé après cotisations sociales.
Quelles sont les cotisations qui pèsent sur le SMIC ? Ce sont essentiellement les cotisations vieillesse, c'est-à-dire les cotisations pour la retraite. Faut-il, après avoir entendu M. le rapporteur pour avis, suivre M. Nogrix et affaiblir le financement des retraites par répartition ? Je ne le crois pas. Qu'aurait-on entendu si le Gouvernement avait formulé une telle proposition !
M. Nogrix a ajouté qu'il nous avait prévenus. Sans vouloir entrer dans une nouvelle polémique, je rappellerai qu'en matière constitutionnelle son analyse est une analyse tout simplement rétrospective ! Je n'en dirai pas plus.
Monsieur Trucy, vos propos ont été bien sévères !
M. François Trucy. Qui aime bien châtie bien !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Seul le Parlement vote la loi,...
M. Gérard Braun. En retard !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. ... et cela ne souffre aucune discussion.
Auriez-vous jugé préférable qu'il ne se passe rien en 2001 pour ceux de nos concitoyens dont vous dites, comme moi, qu'il faut les aider ? Proposiez-vous que le Parlement siège pendant la campagne des élections municipales ? Je ne le crois pas.
Par conséquent, je ne peux pas accepter ces critiques, ni surtout celles que vous avez adressées aux fonctionnaires de l'administration des finances. Vous savez qu'ils font un travail difficile, qu'ils l'accomplissent avec beaucoup de disponibilité, de dévouement et, s'agissant de la prime pour l'emploi, d'engagement. Ils le font comme tous les ans, en cette période de campagne de déclaration d'impôt sur le revenu ; ils le font avec encore plus de foi, j'ai pu le constater moi-même, à cause de la prime pour l'emploi.
Ce sont des fonctionnaires loyaux ; ils servent l'Etat, mais ils ont aussi conscience de servir leurs concitoyens. Vous leur avez prêté des intentions et les avez suspecté de manoeuvres de façon inacceptable, et j'espère que vos propos ne reflétaient pas votre pensée.
Monsieur Muzeau, vous avez fait un diagnostic extrêmement juste que je partage tout à fait : en effet, pendant vingt ou trente ans, nous avons assisté à une montée du chômage et de la pauvreté. Mais je nuancerai tout de même ce constat, car la croissance a eu malgré tout des effets positifs sur la précarité, que vous avez à juste titre évoquée. Je ne citerai que très peu de chiffres ; je me bornerai à rappeler que le temps partiel « subi » recule depuis trois ans : aujourd'hui, les deux tiers des emplois créés font l'objet d'un contrat à durée indéterminée.
Bien sûr, beaucoup reste à faire, mais, incontestablement, la baisse du chômage améliore le rapport de forces au profit des salariés.
Vous vous êtes également interrogé sur les conséquences que pourrait avoir la prime proposée sur le budget de l'emploi. C'est effectivement un débat de fond nécessaire.
Le choix du Gouvernement n'est évidemment pas de supprimer les dépenses du budget de l'emploi. Sa priorité économique, c'est l'emploi et le retour à l'emploi de tous ceux qui, aujourd'hui, en sont privés. C'est un choix politique essentiel, car la mesure de redistribution sociale la plus importante et la plus efficace, c'est bien la création d'emplois.
Je conclurai en rappelant que, comme vous l'avez d'ores et déjà compris, notre objectif est l'emploi, l'emploi et toujours l'emploi. Un million de chômeurs en moins, c'est bien ; 1,5 million de créations d'emplois depuis 1997, c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. La prime pour l'emploi est donc un instrument supplémentaire au service de cette politique. C'est une mesure de justice, parce qu'elle améliore le pouvoir d'achat des travailleurs qui sont faiblement payés, et c'est une mesure d'incitation à la reprise d'activité. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Il est créé, dans le code général des impôts, un article 200 sexies ainsi rédigé :

« Art. 200 sexies. - I. - Afin d'inciter au retour à l'emploi ou au maintien de l'activité, il est institué un droit à récupération fiscale, dénommé prime pour l'emploi, au profit des personnes physiques fiscalement domiciliées en France mentionnées à l'article 4 B. Cette prime est accordée au foyer fiscal à raison des revenus d'activité professionnelle de chacun de ses membres, lorsque les conditions suivantes sont réunies :
« A. - Le montant des revenus du foyer fiscal au titre de l'année 2000 tel que défini au IV de l'article 1417 ne doit pas excéder 76 000 francs pour la première part de quotient familial des personnes célibataires, veuves ou divorcées et 152 000 francs pour les deux premières parts de quotient familial des personnes soumises à imposition commune. Ces limites sont majorées de 21 000 francs pour chacune des demi-parts suivantes.
« Pour l'appréciation de ces limites, lorsqu'au cours d'une année civile survient l'un des événements mentionnés aux 4, 5 et 6 de l'article 6, le montant des revenus, tel que défini au IV de l'article 1417, déclaré au titre de chacune des déclarations souscrites est converti en base annuelle.
« B. - 1° Le montant des revenus déclarés au titre de l'année 2000 par chacun des membres du foyer fiscal bénéficiaire de la prime, à raison de l'exercice d'une ou plusieurs activités professionnelles, ne doit être ni inférieur à 20 575 francs ni supérieur à 96 016 francs.
« La limite de 96 016 francs est portée à 146 257 francs pour les personnes soumises à imposition commune lorsqu'un des membres du couple n'exerce aucune activité professionnelle ou dispose de revenus d'activité professionnelle d'un montant inférieur à 20 575 francs ;
« 2° Lorsque l'activité professionnelle n'est exercée qu'à temps partiel ou sur une fraction seulement de l'année civile, ou dans les situations citées au deuxième alinéa du A, l'appréciation des limites de 96 016 francs et de 146 257 francs s'effectue par la conversion en équivalent temps plein du montant des revenus définis au 1°.
« Pour les salariés, la conversion résulte de la multiplication de ces revenus par le rapport entre 1 820 heures et le nombre d'heures effectivement rémunérées au cours de l'année ou de chacune des périodes faisant l'objet d'une déclaration. Cette conversion n'est pas effectuée si ce rapport est inférieur à un.
« Pour les agents de l'Etat et de ses établissements publics, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics et les agents des établissements mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, travaillant à temps partiel ou non complet et non soumis à une durée du travail résultant d'une convention collective, la conversion résulte de la division du montant des revenus définis au 1° par leur quotité de temps de travail. Il est, le cas échéant, tenu compte de la période rémunérée au cours de l'année ou de chacune des périodes faisant l'objet d'une déclaration.
« En cas d'exercice d'une activité professionnelle non salariée sur une période inférieure à l'année ou faisant l'objet de plusieurs déclarations dans l'année, la conversion en équivalent temps plein s'effectue en multipliant le montant des revenus déclarés par le rapport entre le nombre de jours de l'année et le nombre de jours d'activité ;
« 3° Les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour l'appréciation des limites mentionnées aux 1° et 2°, s'entendent :
« a) Des traitements et salaires définis à l'article 79 à l'exclusion des allocations chômage et de préretraite et des indemnités et rémunérations mentionnées au 3° du II de l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale ;
« b) Des rémunérations allouées aux gérants et associés des sociétés mentionnées à l'article 62 ;
« c) Des bénéfices industriels et commerciaux définis aux articles 34 et 35 ;
« d) Des bénéfices agricoles mentionnés à l'article 63 ;
« e) Des bénéfices tirés de l'exercice d'une profession non commerciale mentionnés au 1 de l'article 92.
« Les revenus exonérés en application des articles 44 sexies à 44 decies sont retenus pour l'appréciation du montant des revenus définis aux c, d et e.
« II. - Lorsque les conditions définies au I sont réunies, la prime, au titre des revenus professionnels de l'année 2000, est calculée, le cas échéant, après application de la règle fixée au III, selon les modalités suivantes :
« A. - 1° Pour chaque personne dont les revenus professionnels évalués conformément au 1° du B du I, et convertis, en tant que de besoin, en équivalent temps plein au titre de l'année 2000 sont inférieurs à 68 583 francs, la prime est égale à 2,2 % du montant de ces revenus.
« Lorsque ces revenus sont supérieurs à 68 583 francs et inférieurs à 96 016 francs, la prime est égale à 5,5 % de la différence entre 96 016 francs et le montant de ces revenus ;
« 2° Pour les personnes dont les revenus ont fait l'objet d'une conversion en équivalent temps plein, le montant de la prime est divisé par les coefficients de conversion définis au 2° du B du I ;
« 3° Pour les couples dont l'un des membres n'exerce aucune activité professionnelle ou dispose de revenus d'activité professionnelle d'un montant inférieur à 20 575 francs :
« a) Lorsque les revenus professionnels de l'autre membre du couple, évalués conformément au 1°, sont inférieurs ou égaux à 96 016 francs, la prime calculée conformément aux 1° et 2° est majorée de 500 francs ;
« b) Lorsque ces revenus sont supérieurs à 96 016 francs et inférieurs ou égaux à 137 166 francs, le montant de la prime est fixé forfaitairement à 500 francs ;
« c) Lorsque ces revenus sont supérieurs à 137 166 francs et inférieurs à 146 257 francs, la prime est égale à 5,5 % de la différence entre 146 257 francs et le montant de ces revenus.
« B. - Le montant total de la prime déterminé pour le foyer fiscal conformément aux 1°, 2° et a du 3° du A est majoré de 200 francs par personne à charge au sens des articles 196 à 196 B, n'exerçant aucune activité professionnelle ou disposant de revenus d'activité professionnelle d'un montant inférieur à 20 575 francs.
« Pour les personnes définies au II de l'article 194, la majoration de 200 francs est portée à 400 francs pour le premier enfant à charge qui remplit les conditions énoncées à l'alinéa précédent.
« C. - Pour les personnes placées dans les situations mentionnées aux b et c du 3° du A et au deuxième alinéa du B, dont le montant total des revenus d'activité professionnelle est compris entre 96 016 francs et 146 257 francs, la majoration pour charge de famille est fixée forfaitairement aux montants mentionnés au B, quel que soit le nombre d'enfants à charge.
« III. - Pour l'application du B du I et du II les revenus des activités professionnelles mentionnées aux c, d et e du 3° du B du I sont majorés de 11,11 %.
« IV. - Le montant total de la prime accordée au foyer fiscal ne peut être inférieur à 160 francs. Il s'impute en priorité sur le montant de l'impôt sur le revenu dû au titre de l'année d'imposition des revenus d'activité déclarés.
« L'imputation s'effectue après prise en compte des réductions d'impôt mentionnées aux articles 199 quater B à 200, de l'avoir fiscal, des autres crédits d'impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires.
« Si l'impôt sur le revenu n'est pas dû ou si son montant est inférieur à celui de la prime, la différence est versée aux intéressés.
« Ce versement suit les règles applicables en matière d'excédent de versement.
« V. - Le bénéfice de la prime est subordonné à l'indication par les contribuables, sur la déclaration prévue au I de l'article 170, du montant des revenus d'activité professionnelle définis au 3° du B du I et des éléments relatifs à la durée d'exercice de ces activités.
« VI. - Un décret précise, en tant que de besoin, les modalités d'application du présent article et notamment celles relatives aux obligations des employeurs. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Si je devais retenir un point positif dans le projet de « prime pour l'emploi » que vous nous soumettrez, madame la secrétaire d'Etat, au nom du Gouvernement, ce serait la reconnaissance de l'inquiétante extension des bas salaires et de la dégradation des formes de l'emploi dans notre pays.
Oui ! il y a bien 9 millions de salariés en Franc qui touchent moins de 1,4 fois le SMIC, c'est-à-dire 7 864 francs net. Oui, la pratique des bas salaires à tendance à s'étendre, et même à se généraliser pour les jeunes, les chômeurs qui retrouvent un emploi, souvent au mépris de leur qualification.
Depuis 1997, près de 90 % des emplois créés sont des emplois à bas salaire, comme vient de le révéler une enquête de l'INSEE. La précarité devient la règle : contrats à durée déterminée, intérim et temps partiel subi. Près du quart des salariés du privé ont connu une période de non-emploi durant l'année passée.
En 2000, malgré la croissance, le pouvoir d'achat des salariés a stagné, celui des bas salaires baissé. Une nouvelle catégorie de salariés se développe : les travailleurs pauvres, traduction de l'anglais working poors , c'est-à-dire les salariés qui, tout en ayant un emploi, se situent en dessous du seuil de pauvreté. Ils sont près de 1,4 million dans notre pays.
Depuis 1980, la part des salaires dans la valeur ajoutée n'a cessé de reculer et se maintient au plus bas.
Voilà le résultat de la mise en oeuvre par le patronat et les gouvernements successifs du dogme de la baisse du coût du travail.
Aujourd'hui, en période de croissance, alors que les profits explosent, personne ne le nie, les mouvements sociaux mettant au centre les revendications en matière de salaires et de conditions de travail se multiplient et remettent en cause cette politique.
C'est dans ce contexte qu'il faut replacer la prime pour l'emploi proposée par le Gouvernement, qui se voudrait un geste en direction des bas salaires mais qui ne remet pas en cause le dogme de la baisse du coût du travail en faveur des entreprises, bien au contraire.
Pour ma part, je considère que la « prime pour l'emploi » relève du cadeau empoisonné aux salariés et que son principe est extrêmement pernicieux et dangereux pour le monde du travail.
Nos collègues de la majorité sénatoriale veulent la rebaptiser « crédit d'impôt ». Ne devraient-ils pas, dans leur logique, aller jusqu'à l'appeler « impôt négatif », véritable dénomination de ce système ultralibéral d'inspiration anglo-saxonne ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Mme la secrétaire d'Etat vous a fort bien répondu à ce sujet !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Certes, les contribuables percevant de bas salaires vont toucher un petit chèque annuel du Trésor public, et nous nous en félicitons. Mais la prime pour l'emploi porte, dans son principe, l'incitation à la pratique des bas salaires et à la pérennisation de la précarité dont elle chercherait à corriger les effets. Elle prévoit en effet d'ajouter au bas salaire versé par l'entreprise un complément versé par la collectivité. L'entreprise se verrait donc exemptée d'une partie de la rémunération du travail de ses employés les plus mal payés. L'effet d'aubaine est évident, comme l'encouragement à la baisse des salaires et à l'extension des bas salaires. C'est un peu comme si le Gouvernement disait au patronat : « Evitez d'augmenter vos salariés ! La collectivité complétera ». En d'autres mots, la logique de la prime pour l'emploi conduit à mettre à la disposition des employeurs une main-d'oeuvre plus disposée à accepter de faibles salaires, dépendant en partie de la collectivité et dont les droits et possibilités de revendications dans l'entreprise seront bien sûr réduits.
A ce jeu, les salariés sont doublement perdants : d'une part, en raison de la pression renforcée sur leur salaire et, d'autre part, parce que ce sont eux qui financeront majoritairement la prime pour l'emploi dans le cadre d'une redistribution interne aux travailleurs. Les 25 milliards à 30 milliards de francs que coûtera cette prime seront payés par le budget de l'Etat et ne pourront se traduire, étant donné les choix budgétaires, que par de nouvelles restrictions de dépenses publiques, dépenses dont les personnes modestes sont pourtant les premières à bénéficier.
Le résultat de cette mesure pour l'emploi est plus que douteux : les exemples anglo-saxons sont très peu concluants et montrent, entre autres éléments, des effets dissuasifs sur l'entrée et le maintien des femmes vivant en couple sur le marché du travail.
Pour moi, il ne fait aucun doute que la prime pour l'emploi fait directement écho au refus du Gouvernement d'augmenter le SMIC et les bas salaires.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie nous a dit une nouvelle fois que le souhait du Gouvernement était d'« accroître » la rémunération du travail par rapport aux allocations versées pour compenser l'absence d'activité ». Il a regretté que « l'activité salariée ne soit pas toujours suffisamment rémunérée ». Or, plutôt que la prime pour l'emploi, nocive et perverse, l'augmentation du SMIC n'est-elle pas la seule solution naturelle à ces préoccupations du Gouvernement ?
Il est faux de dire, comme l'avait fait M. Fabius en commission des finances, que l'augmentation du SMIC ne concernerait que les 2,4 millions de salariés qui gagnent juste le SMIC. En effet, tous les bas salaires évoluent au même rythme que le SMIC. Une telle augmentation serait, reconnaissez-le, madame la secrétaire d'Etat, un signe fort en direction des salariés en lutte.
L'augmentation du SMIC et des salaires est une question de justice sociale et d'efficacité économique. Il serait de la responsabilité d'un gouvernement de gauche d'agir dans ce sens, pour asseoir la croissance sur les bases saines, durables et créatrices d'emplois stables et bien rémunérés que sont l'augmentation du pouvoir d'achat et la consommation populaire. Madame la secrétaire d'Etat, il faut prendre sur les profits qui, comme les grandes fortunes, sont les premiers bénéficiaires de la croissance.
Dans ces conditions, quel que soit l'intitulé du projet de loi, je voterai, à titre personnel, contre ce texte.
Je remarque que le quasi-consensus à l'Assemblée nationale et dans notre hémicycle ne correspond absolument pas à l'état d'esprit de nos concitoyens. Je vois combien les luttes se développent dans les secteurs les plus divers, dans le privé comme dans le public, et qu'une vague croissante de sympathie les accompagne. Aujourd'hui, 78 % des salariés se disent prêts à s'engager dans une action pour la hausse des salaires. Je crois à ces sondages. Je garde présent à l'esprit l'avertissement que les électeurs, notamment ces salariés modestes des intérêts desquels, paraît-il, il est question ce soir, viennent d'adresser aux tentations du social-libéralisme. (M. le rapporteur s'exclame.)
Pour certains, la prime pour l'emploi se traduira peut-être par une légère diminution d'impôt. Mais le problème de la généralisation de l'augmentation des salaires, à commencer par les plus bas, demeure posé. Les grèves et la rue l'imposeront-elles sans décision du Parlement ? Nous sommes bien partis pour cela !
Enfin, permettez-moi une dernière remarque : la complexité de la prime pour l'emploi et sa nouveauté ne manqueront pas d'entraîner une surcharge de travail pour les agents des impôts, comme le montrent déjà les déclarations de revenus au titre de l'année 2000. Il conviendrait donc que le Gouvernement tire les conséquences de cette mesure en créant des emplois supplémentaires. Mais je sais, madame la secrétaire d'Etat, que vous avez prévu de le faire.
M. Philippe Marini, rapporteur. Tout cela est très pluriel !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Madame Beaudeau, s'il y avait un quelconque risque pour que la prime pour l'emploi exerce une pression à la baisse sur les salaires, jamais le Gouvernement n'aurait préconisé l'adoption d'une telle mesure.
Vous avez fort bien rappelé les raisons pour lesquelles le Gouvernement n'a pas souhaité retenir la revalorisation du SMIC. M. Laurent Fabius l'ayant fort bien et très longuement expliqué lors de notre audition en commission, je n'y reviendrai pas.
Permettez-moi simplement de vous dire que je regrette très profondément le choix que vous venez d'exprimer au nom du groupe communiste républicain et citoyen.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Pas au nom du groupe, en mon nom personnel !
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. En votre nom personnel, soit. Mais je le regrette tout autant. J'espère que la suite de nos débats permettra de vous faire évoluer.
M. le président. Par amendement n° 1, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose :
I. - A. - Dans la première phrase du premier alinéa du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts, de remplacer les mots : « prime pour l'emploi » par les mots : « crédit d'impôt en faveur de l'activité » ;
B. - Au début de la seconde phrase dudit alinéa, de remplacer les mots : « Cette prime est accordée » par les mots : « Ce crédit d'impôt est accordé » ;
II. - En conséquence :
A. - Dans le quatrième alinéa du I du texte proposé pour l'article 200 sexies du code général des impôts, de remplacer les mots : « bénéficiaire de la prime » par les mots : « bénéficiaire du crédit d'impôt » ;
B. - Dans le premier alinéa du II dudit texte, de remplacer les mots : « la prime, au titre des revenus professionnels de l'année 2000, est calculée » par les mots : « le crédit d'impôt, au titre des revenus professionnels de l'année 2000, est calculé » ;
C. - Dans les deuxième, troisième et huitième alinéas du II dudit texte, de remplacer (trois fois) les mots : « la prime est égale » par les mots : « le crédit d'impôt est égal » ;
D. - Dans les quatrième, septième et neuvième alinéas du II dudit texte, de remplacer (trois fois) les mots : « de la prime » par les mots : « du crédit d'impôt » ;
E. - Dans le sixième alinéa du II dudit texte, de remplacer les mots : « la prime calculée conformément aux 1° et 2° est majorée » par les mots : « le crédit d'impôt calculé conformément aux 1° et 2° est majoré » ;
F. - Dans la première phrase du premier alinéa du IV dudit texte, de remplacer les mots : « de la prime accordée » par les mots : « du crédit d'impôt accordé » ;
G. - Dans le troisième alinéa du IV dudit texte, de remplacer les mots : « de la prime » par les mots : « du crédit d'impôt » ;
H. - Dans le V dudit texte, de remplacer les mots : « de la prime » par les mots : « du crédit d'impôt ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Il s'agit simplement de baptiser la mesure conformément à sa nature. Jusqu'à présent, il n'était en effet jamais venu à l'idée de personne de qualifier de « prime » les dispositifs qui étaient des crédits d'impôt, lesquels sont déjà nombreux dans notre législation fiscale. De plus, le Gouvernement reconnaît lui-même qu'il s'agit d'un crédit d'impôt, et vous avez d'ailleurs été très claire à cet égard, madame la secrétaire d'Etat, au cours du débat. Dans le paragraphe IV de l'article unique, il est indiqué que l'imputation du crédit d'impôt se fait comme pour les autres crédits d'impôt. Selon la lecture littérale que l'on peut faire du texte que vous nous soumettez, il s'agit bel et bien d'un crédit d'impôt. Puisque l'on veut la chose, il faut dire son nom : « crédit d'impôt ».
Il ne s'agit pas d'un impôt négatif, madame Beaudeau. Je ne reviendrai pas sur ce point, car il a fait l'objet non pas d'un débat sémantique, mais d'un débat substantiel, évoqué aux pages dix-sept et dix-huit du rapport écrit. Je me permets de vous y renvoyer. En novembre dernier, au Sénat, Mme Guigou nous avait dit : « Ce que vous proposez, c'est l'impôt négatif. » Il lui avait alors été répondu que l'impôt négatif était une autre vision globale de la fiscalité, que, bien entendu, nous n'en étions pas là et que le crédit d'impôt est un dispositif technique, spécifique, cherchant à atteindre une série d'objectifs. Cette mesure n'a aucunement vocation à se substituer à tout le reste de la fiscalité sur le revenu et à l'ensemble des allocations distribuées pour soutenir telle ou telle catégorie de la population.
La commission attache une réelle importance à cet amendement car il symbolise la nature même du texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je ne conteste pas qu'il s'agit d'un crédit d'impôt.
Il existe toutes sortes de crédits d'impôt. J'ai parlé tout à l'heure, en répondant aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale, du « crédit d'impôt moquette ». J'aurais pu citer de la même façon l'avoir fiscal, qui est un crédit d'impôt. « Crédit d'impôt » est un terme générique.
Si vous relisez bien le texte du projet de loi, vous constaterez qu'il vise un droit à récupération fiscale intitulé « prime pour l'emploi ». Le texte distingue donc bien l'appellation : « prime pour l'emploi » de la nature juridique du dispositif, qui, en l'occurrence, a été qualifié par le Conseil d'Etat lui-même, puisqu'il s'agit de l'oeuvre du Conseil d'Etat, de « droit à récupération fiscale ».
Par ailleurs, sur le strict plan pratique, nous avons longuement évoqué au cours de la discussion générale les difficultés que nous avons rencontrées, qui sont réelles auprès de nos concitoyens, pour faire connaître la prime pour l'emploi.
Alors, de grâce, je crois qu'il n'est pas utile, au-delà des questions juridiques qui me paraissent correctement traitées dans le texte tel qu'il vous est présenté, de complexifier encore le dispositif. Laissons-le se diffuser dans l'opinion publique sous le nom qui est le sien, à savoir : « prime pour l'emploi ».
Pour toutes ces raisons, je souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse En l'occurrence, il s'agit d'une « chicaïa » qui ne devrait pas retenir longtemps l'attention de la Haute Assemblée.
Sur le plan technique, c'est un crédit d'impôt.
M. Roland du Luart. Alors, pourquoi ne pas le dire ?
M. Michel Charasse. Qu'est-ce qui interdit de baptiser ce crédit d'impôt « prime pour l'emploi » ? Rien ! D'ailleurs, pour le dispositif de l'avoir fiscal, comme Mme le secrétaire d'Etat vient de le rappeler, on a retenu l'appellation d'« avoir fiscal » ; on aurait pu retenir celle de « crédit d'impôt ».
L'appellation « prime pour l'emploi » correspond mieux à la volonté d'incitation du Gouvernement. Elle a surtout l'avantage de concerner des publics qui, contrairement à ceux qui bénéficient de l'avoir fiscal, sont peu familiarisés avec les noms baroques de la législation fiscale. « Crédit d'impôt », pour un pauvre qui ne paie pas d'impôt, ou qui en paie bien peu, cela ne veut pas dire grand-chose. En revanche, « prime pour l'emploi », c'est une appellation beaucoup plus claire.
Par conséquent, monsieur le rapporteur, vous avez satisfaction sur le plan technique. L'article comporte même une disposition aux termes de laquelle ce dispositif est traité comme un crédit d'impôt. Donc, je ne vois pas l'intérêt qu'il y aurait à faire disparaître dans la loi l'appellation « prime pour l'emploi ».
Monsieur le rapporteur, si vous aviez écrit : « un crédit d'impôt dénommé prime pour l'emploi », à la limite, pourquoi pas ? En effet, ce qui compte, c'est l'appellation que nous souhaitons, les uns et les autres, faire apparaître à l'oeil de l'opinion, en particulier des bénéficiaires. Si, demain, les quotidiens annonçaient que le Sénat a supprimé la prime pour l'emploi et l'a remplacée par un crédit d'impôt, alors que l'on ne change rien au dispositif, personne n'y comprendra rien. S'agissant de publics modestes et par nature fragiles, je crois que, plus on les traite d'une façon simple et directe, mieux cela vaut.
M. Hilaire Flandre. Il faut surtout mieux les payer !
M. Michel Charasse. La loi ne vaut, monsieur le rapporteur, que si elle est comprise. Entre la technique, qui est un bon sujet de faculté de droit - ou de commission des finances - et l'appellation, il y a un monde que le groupe socialiste ne franchira pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. François Trucy. Heureusement que vous êtes là pour donner des explications !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 45:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages 160
Pour l'adoption 220
Contre 99

Par amendement n° 5, MM. Nogrix, Deneux, Huchon, Barraux, Souplet, Moinard, Jarlier, Machet et Le Breton proposent :
A. - De compléter le premier alinéa du B du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, le seuil inférieur de 20 575 francs n'est pas applicable aux revenus d'activités non salariées exercées à temps plein, tout au long de l'année civile. »
B. - Afin de compenser la perte de recettes résultant du A, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'extension de l'avantage fiscal institué par l'article 200 sexies du code général des impôts à tous les revenus d'activités non salariées exercées à temps plein, tout au long de l'année civile, est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Dans le projet de loi, la prime pour l'emploi n'est susceptible d'être attribuée qu'aux personnes dont le revenu d'activité est au minimum de 0,3 SMIC.
Si ce minimum de 0,3 SMIC permet d'écarter le cas des travaux à temps très partiel et des travaux occasionnels, il a pour conséquence immédiate d'exclure de son champ d'application toutes les personnes exerçant une activité non salariée à plein temps tout au long de l'année civile et qui, pour autant, ne dépassent pas 0,3 SMIC de revenus.
Ainsi, en agriculture, ce seuil exclut près de 100 000 exploitants à faibles revenus qui exercent une activité agricole à temps plein.
Cet amendement vise donc à ce que ce seuil de 0,3 SMIC ne concerne pas les activités non salariées exercées à temps plein, pour que les personnes les plus défavorisées ne soient pas exclues du régime, alors même qu'elles disposent de revenus très faibles.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser M. Marini, que des obligations impératives ont contraint à quitter cet hémicycle.
Cet amendement soulève, en effet, une vraie difficulté. Prenons le cas d'un agriculteur, qui travaille sur son exploitation et dont la femme occupe un emploi ailleurs. Il peut exercer son activité à temps partiel et avoir un revenu d'activité inférieur à 20 575 francs par an. Il n'aura donc pas droit à la mesure alors que les autres conditions sont remplies - revenu global du ménage, revenu de l'épouse, temps partiel - et qu'il occupe bien un emploi.
Notre collègue pose donc là un véritable problème sur lequel la commission des finances souhaiterait avoir l'avis du Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. C'est pour un motif de stricte égalité des personnes devant l'accès à la prime pour l'emploi qu'il ne me semble pas souhaitable de mettre en place des règles dérogatoires au profit de telle ou telle catégorie de contribuables.
Je reprendrai les cas de figure qui ont été évoqués à l'instant et qui sont au demeurant assez rares.
Dans le premier cas de figure, les personnes concernées peuvent disposer fréquemment d'une autre source de revenus d'activité à titre principal. Dans ce cas, les revenus d'activité se cumulent alors, et les personnes sont finalement éligibles à la prime pour l'emploi, même si chacun de ces revenus pris individuellement est inférieur au seuil de 20 575 francs.
Dans le second cas de figure, les revenus évoqués sont constitués de revenus de remplacement. Dans cette dernière hypothèse, il n'est pas anormal que les revenus d'activité inférieurs à 20 575 francs soient exclus de la prime pour l'emploi, comme c'est le cas pour l'ensemble des contribuables.
Sous le bénéfice de ces remarques, et considérant qu'il s'agit de cas extrêmement rares, alors que nous souhaitons un dispositif général, simple et lisible, je souhaiterais que vous acceptiez de retirer votre amendement, monsieur le sénateur.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 5 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Je regrette, madame la secrétaire d'Etat, que, à vos yeux, 100 000 personnes touchées, ce soit peu. Le secteur de l'agriculture est suffisamment affecté actuellement pour que l'on veuille que ces personnes, qui ne disposent pas de revenu financier autre que celui de leur travail, profitent de cette prime pour l'emploi.
M. Joseph Ostermann. Tout à fait !
M. Philippe Nogrix. Il me semble que, si elles travaillent certes chez elles, elles n'en occupent pas moins un emploi.
Je maintiens donc mon amendement.
M. le président. Quel est, en définitive, l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. La commission des finances partage tout à fait l'avis de notre collègue Philippe Nogrix. Je peux en effet vous assurer, madame le secrétaire d'Etat, que les agriculteurs des zones de montagne, zones que je connais bien, sont souvent confrontés à cette situation et qu'ils seraient donc exclus de l'avantage de la prime pour l'emploi, ce que nous ne pouvons pas accepter.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 4, MM. Huriet, Machet et Nogrix proposent :
A. - Dans le deuxième alinéa ( a ) du 3° du B du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts, après les mots : « définis à l'article 79 », d'insérer les mots : « et leurs accessoires, y compris les indemnités journalières, visés à l'article 80 quinquies , ».
B. - Pour compenser la perte de ressources résultant des dispositions du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant pour l'Etat de l'intégration des indemnités journalières visées à l'article 80 quinquies dans les revenus d'activité professionnelle pris en compte pour le calcul de la prime pour l'emploi est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Le dispositif institué par la loi de financement de la sécurité sociale prévoyait expressément que les indemnités journalières versées par la sécurité sociale au titre de l'assurance maladie ouvriraient droit à la possibilité d'une ristourne de CSG ou de CRDS.
Cet amendement a pour objet d'éviter toute interprétation qui serait préjudiciable aux droits des titulaires des indemnités en question pour le calcul de la future prime pour l'emploi. En effet, ou bien la lecture a des effets restrictifs du fait que les accessoires ne sont pas cités, ou bien l'on applique les règles générales incluant les accessoires ; mais il ne faut pas laisser la décision à la discrétion de l'administration fiscale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. Cet amendement apparaît superflu dans la mesure où le texte vise l'article 79 du code général des impôts pour la détermination des revenus d'activité, et notamment les indemnités. Il convient cependant que ces indemnités soient bien imposables.
Par ailleurs, les documents d'information fournis par l'administration fiscale précisent explicitement que les indemnités journalières imposables au titre de l'impôt sur le revenu entrent dans l'assiette des revenus d'activité. Si nous avons confirmation de cette disposition par le Gouvernement, nous demanderons alors à notre collègue de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je confirme tout à fait les propos de M. le rapporteur et n'ai rien à y ajouter.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 4 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Il me fallait cette confirmation. Je retire donc mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.
Par amendement n° 6, MM. Nogrix, Deneux, Huchon, Barraux, Souplet, Moinard, Jarlier, Machet et Le Breton proposent :
A. - Dans le dernier alinéa du I du texte présenté par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts, après les mots : « 44 decies », d'insérer les mots : « et 73 B ».
B. - Afin de compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de la prise en compte de l'abattement sur les bénéfices agricoles pour l'octroi de l'avantage fiscal institué par l'article 200 sexies du code général des impôts est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
C. - En conséquence, de faire précéder cet article de la mention : « I. - ».
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Les jeunes agriculteurs bénéficient, durant leurs soixante premiers mois d'activité et sous certaines conditions, d'un abattement de 50 % sur leurs bénéfices.
Afin qu'ils ne soient pas pénalisés, et par cohérence avec les dispositions applicables aux entreprises artisanales, industrielles et commerciales, pour l'appréciation des revenus agricoles, il est proposé de retenir le bénéfice agricole avant application de cet abattement.
M. Michel Charasse. Cela va de soi !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Braun, rapporteur. Le texte du projet de loi est très cohérent et pose un principe simple : seuls les revenus d'activités imposables donnent droit à la mesure. En ce sens, l'adoption de l'amendement n° 6 ne paraît pas souhaitable : on ne peut pas à la fois vouloir diminuer son revenu imposable pour le calcul de l'impôt et l'augmenter par le bénéfice de la prime. On ne peut avoir le beurre, l'argent du beurre et... le sourire de la crémière ! (Sourires.)
M. Michel Charasse. Ah !
M. Gérard Braun, rapporteur. Par ailleurs, il n'est pas certain que cette situation ne favorise pas le jeune agriculteur. Dans certains cas, en raison de la dégressivité de la prime, il lui sera plus intéressant de calculer la prime sur un revenu imposable divisé par deux que sur un revenu imposable complet.
M. le président. Je pense que nous allons avoir le sourire de Mme le secrétaire d'Etat ! (Sourires.)
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je ne voudrais pas répéter en moins bien ce qui vient d'être dit, à quoi je souscris pleinement.
M. le président. Monsieur Nogrix, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?
M. Philippe Nogrix. Actuellement, les pauvres jeunes agriculteurs n'ont ni le beurre ni l'argent du beurre. Quant au sourire de la crémière, ce serait vraiment un superflu dont ils n'ont pas besoin !
M. Roland Muzeau. Et les salariés de Marks et Spencer ? Et ceux de Dunlop ?
M. Philippe Nogrix. Cela étant dit, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 6 est retiré.
Par amendement n° 2, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de compléter le V du texte proposé par l'article unique pour l'article 200 sexies du code général des impôts par une phrase ainsi rédigée :
« Pour bénéficier du crédit d'impôt au titre des revenus de 2000, les contribuables peuvent adresser ces indications à l'administration fiscale jusqu'à l'émission des rôles d'impôt sur le revenu dont la date sera fixée par le ministre chargé de l'économie et des finances. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. C'est un amendement important auquel M. Marini tient absolument.
Le mécanisme proposé par le Gouvernement recèle une incohérence juridique lourde de conséquences pour les bénéficiaires potentiels du crédit d'impôt comme pour l'administration fiscale : le texte que nous discutons n'étant pas encore en vigueur, personne n'est obligé de remplir les cadres prévus dans la déclaration de revenus ; mais quand il aura été adopté, il faudra donner les indications de revenus d'activité et de temps de travail. Il en résulte une incohérence : on privera les bénéficiaires potentiels du bénéfice de la prime parce qu'ils n'auront pas rempli des cadres qu'ils n'avaient pas à remplir, dans la mesure où le texte n'était pas adopté !
Nul besoin, d'ailleurs, d'analyse approfondie : la presse s'est largement fait l'écho des difficultés rencontrées d'application de la mesure puisqu'une proportion très importante de contribuables n'ont pas rempli les cadres nécessaires dans leur déclaration de revenus.
La commission des finances propose donc, par cet amendement, une mesure transitoire tendant à prévoir que les contribuables pourront transmettre à l'administration fiscale les indications de revenus et de temps de travail nécessaires à l'obtention du crédit d'impôt, et ce, jusqu'à l'émission des rôles d'impôt sur le revenu dont la date sera fixée par le ministre chargé de l'économie et des finances.
On nous objectera qu'il est possible de rédiger une déclaration rectifiée ; mais cette solution simple pour les agents chargés d'appliquer la législation fiscale, qui sont habitués à la complexité des dispositions du code général des impôts, ne l'est pas pour les 10 millions de Français bénéficiaires potentiels de la mesure.
M. Hilaire Flandre. Ce n'est déjà pas simple pour eux !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement partage totalement l'intention qui anime M. le rapporteur dans la mesure où il faut en effet faire le maximum pour que ceux qui ont droit à la prime pour l'emploi en bénéficient de manière effective, et ce dès cette année. C'est pourquoi nous mettrons en oeuvre avant l'été un mécanisme de relance.
Ce dispositif me paraît préférable à la suggestion formulée par M. le rapporteur. En effet, en l'état actuel du droit, les contribuables qui n'auraient pas pu bénéficier de la prime en 2001, tout simplement parce qu'ils n'auraient pas rempli les cases adéquates de leur déclaration de revenus, peuvent en réclamer l'attribution jusqu'au 31 décembre 2003, j'y insiste. Ils peuvent donc, dans ce délai, par tout moyen, fournir à l'administration fiscale les éléments démontrant qu'ils remplissent les conditions d'accès à cette prime. C'est le dispositif de droit commun applicable normalement pour l'impôt sur le revenu.
Si j'ai bien compris, votre proposition conduirait à réduire involontairement ce délai de recours, puisque les personnes intéressées ne seraient autorisées à faire valoir leur droit à la prime au titre des revenus d'activité perçus en 2000 que jusqu'à la date d'émission du rôle d'imposition correspondant, c'est-à-dire en août 2001, alors que, dans le dispositif de droit commun, le délai de recours est fixé au 31 décembre 2003.
Votre amendement est satisfait dans son esprit à la fois par les textes en vigueur et par les dispositions complémentaires que je viens de rappeler, et que M. Laurent Fabius vous a détaillées tout à l'heure. C'est la raison pour laquelle je souhaite qu'il soit retiré.
M. Gérard Braun, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. Le souci du législateur est d'aider les contribuables à pouvoir vraiment bénéficier de cette nouvelle disposition. Les mesures proposées par la commission ne font nullement obstacle à la possibilité de déposer des recours si les délais sont dépassés puisque la loi le permet. Simplement, en le précisant, on préserve davantage l'intérêt des contribuables. C'est pourquoi nous maintenons notre amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Charles Descours. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Si je comprends bien M. le rapporteur, c'est complémentaire... (Mme le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur font un signe de dénégation.)
M. le rapporteur a indiqué que, si l'amendement est adopté, cela n'empêchera pas les contribuables de présenter des recours dans les délais légaux habituels, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année 2003. Or, selon Mme le secrétaire d'Etat, à partir d'août 2001, les ayants droit ne pourront plus faire valoir leurs droits. Je souhaiterais que Mme le secrétaire d'Etat nous apporte des précisions à cet égard. Si j'interviens en cet instant, c'est uniquement pour que la réponse de Mme le secrétaire d'Etat figure au Journal officiel .
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. En commission, nous avons discuté de ce point, et je regrette, moi aussi, le départ de M. le rapporteur, car j'aurais parlé sous son contrôle, puisque nous avons eu, lui et moi, un dialogue assez long sur cette question.
Ce que la commission souhaitait - et, dans un premier mouvement, mon groupe s'était rallié à cette solution -, c'était que l'on fasse le maximum pour que personne ne soit oublié en 2001.
M. Gérard Braun, rapporteur. Tout à fait !
MM. Hilaire Flandre et Charles Descours. Et voilà !
M. Michel Charasse. Or, après avoir examiné un premier texte du rapporteur - veuillez m'excuser de dévoiler ici les petits secrets d'alcôve de la commission - qui était rédigé d'une façon qui ne correspondait pas exactement à cette volonté - mais c'était un pur problème rédactionnel -, le rapporteur a dit qu'il allait réfléchir à une autre rédaction. Toutefois, si les bonnes intentions demeurent, l'objection soulevée par Mme le secrétaire d'Etat est une objection technique que l'on ne peut pas négliger.
C'est pourquoi, après avoir moi-même voté et, au fond, encouragé l'adoption de cet amendement en commission, finalement, je ne le voterai pas en séance publique car, effectivement, aujourd'hui, les contribuables ont le droit de rectifier leur déclaration pendant les trois années qui suivent. Cela veut dire qu'ils disposent d'un délai de trois ans pour réclamer s'ils s'aperçoivent qu'ils ont oublié de faire valoir un droit à déduction, par exemple.
A la lecture de l'amendement de M. Marini, on a le sentiment - et je ne vois pas comment l'administration fiscale pourrait faire autrement que d'appliquer strictement le dispositif proposé - que, s'agissant de la prime pour l'emploi de l'année 2000 - puisque c'est l'année 2000 qui est visée - c'est une disposition particulière qui s'applique : celui qui, en 2002, s'apercevra qu'il a oublié, avant la sortie des feuilles d'impôt de 2001, de faire valoir son droit à la prime pour l'emploi ne pourra plus obtenir le paiement de cette prime, alors que les textes actuels le lui permettent.
A la limite, si l'on avait mentionné dans l'amendement : « sous réserve des dispositions actuelles qui sont toujours applicables..., on peut, à titre exceptionnel, pour cette année, aller jusqu'au délai limite du jour où les feuilles d'imposition sortent de l'ordinateur », la mesure aurait été techniquement acceptable. Malheureusement, l'amendement n'est pas rédigé ainsi. J'avoue franchement qu'avec mes amis nous avions pensé le sous-amender pour préserver les deux possibilités. Mais, à cette heure, c'est trop compliqué !
Par conséquent, non seulement je renonce à présenter un sous-amendement, mais je pense qu'il ne faut pas retenir l'amendement, parce que la mesure serait restrictive par rapport au droit actuel. Je regrette de m'être un peu « emballé » en commission sur ce sujet... mais péché avoué est à moitié pardonné ! Pour le reste, peut-être ai-je un « crédit », mais pas un « crédit d'impôt ». (Sourires.)
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je souhaite rendre hommage à la préoccupation du Sénat, que nous partageons tous, qui est de faire en sorte que ce droit soit effectif.
M. Charasse a expliqué on ne peut plus clairement les raisons pour lesquelles le maintien du droit actuel nous paraît plus favorable aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi que ne le serait le dispositif proposé dans l'amendement de la commission, dispositif qui, je le confirme, est tout à fait exclusif du droit commun.
Bien évidemment, nous n'accordons pas la priorité à ce dispositif qui, pour nous, est le dernier des derniers filets de sécurité. Nous allons concentrer tous nos efforts pour que les bénéficiaires de la prime pour l'emploi puissent la percevoir dès cette année. Mais, au cas où... - et l'expérience nous prouve qu'il existe des cas de ce type - il est utile que les personnes concernées puissent bénéficier du délai maximum autorisé par la loi, c'est-à-dire trois ans, pour éventuellement demander le remboursement de cette prime.
Je crois que nous pourrions nous mettre d'accord sur le fait que le droit commun est, finalement, le dispositif le plus favorable.
M. Hilaire Flandre. Il n'est pas remis en cause !
M. Gérard Braun, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. Nous faisons là un travail de commission, ce qui n'est pas le rôle de notre assemblée réunie en séance publique.
Compte tenu du consensus qui semble se dégager et n'étant pas le rapporteur en titre, je maintiens l'amendement, au nom de la commission.
A quelques jours d'intervalle, M. Charasse a émis, aussi brillamment en commission que dans cet hémicycle, deux avis tout à fait différents. Cela semble prouver qu'une réflexion doit être menée avant la réunion de commission mixte paritaire. Peut-être pourrons-nous rapprocher nos points de vue.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Vous l'avez déjà eue, monsieur Charasse, pour le même motif !
Mais je vais considérer que tout à l'heure, vous vous êtes exprimé contre l'amendement. (Sourires.)
Je vous donne donc la parole pour explication de vote.
M. Michel Charasse. J'approuve les propos qui ont été tenus par M. le rapporteur s'agissant d'une réflexion à mener avant la commission mixte paritaire.
On pourrait prévoir, ce qui correspondrait exactement - je parle sous le contrôle de mes collègues de la commission des finances - à ce que voulait la commission, à peu près les dispositions suivantes : « Le Gouvernement fera connaître la date limite à compter de laquelle, pour les feuilles d'imposition partant sur les revenus de 2000, on ne pourra plus prendre en compte les rectifications avant l'émission de l'impôt. » Il s'agirait d'une mesure d'ordre pédagogique. C'est ce que voulait la commission !
On doit pouvoir arriver à trouver un dispositif qui permette de dire : « Au-delà de cette barrière, on ne peut plus prendre en compte les primes dans les feuilles d'imposition que vous allez recevoir ».
Moyennant quoi, je voterai contre l'amendement !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Bernard Angels. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Angels. M. Bernard Angels. Malgré les modifications qui ont été apportées par la majorité du Sénat et dans la mesure où notre groupe approuve, bien entendu, l'orientation générale de cette prime pour l'emploi, nous voterons pour.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, modifié, l'article unique du projet de loi.

(L'article unique est adopté.)

Intitulé du projet de loi



M. le président.
Par amendement n° 3, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose, dans l'intitulé du projet de loi, de remplacer les mots : « d'une prime pour l'emploi » par les mots : « d'un crédit d'impôt en faveur de l'activité ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Braun, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Défavorable... par coordination !
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'intitulé est donc ainsi modifié.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot. Bien que j'aie une grande envie de faire plaisir à tout le monde - à ceux qui vont recevoir la prime et à ceux qui décident de la donner - personnellement, je vote contre ce texte, parce qu'il continue à conforter des revenus qui ne sont pas issus du travail. En fait de prime de retour à l'emploi, ce sera le contraire !
En effet, dans le budget de nos concitoyens, la part relative aux revenus du travail est de plus en plus faible, tandis que deviennent de plus en plus importantes les différentes primes, aides au logement, etc. Il serait préférable d'augmenter les salaires d'instaurer des allègements de charges.
Je suis hostile à cette fuite en avant, où le travail est de moins en moins honoré.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)10

NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Jean-Yves Mano membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Bertrand Delanoë, démissionnaire de son mandat de sénateur.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

11

LOI D'ORIENTATION SUR LA FORÊT

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt. [Rapport n° 191 (2000-2001) et avis n° 190 (2000-2001)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au mois de juin dernier, l'Assemblée nationale a débattre, en première lecture, du projet de loi d'orientation sur la forêt. L'intérêt des députés, le caractère constructif du débat et la diversité des sujets abordés ont renforcé ma conviction que parler de l'arbre, de la forêt et du bois permet d'évoquer plusieurs questions cruciales pour notre société.
Elément fondamental de notre économie et de nos paysages, la forêt illustre par excellence la nécessité et l'utilité de l'action politique et du rôle de l'Etat dans la prise en compte du long terme, de l'intérêt collectif, de l'emploi, comme de la prévention des risques naturels et du patrimoine.
Le Premier ministre lui-même a insisté, à l'occasion de sa visite en Lorraine en janvier dernier, sur l'ambition du Gouvernement pour ce texte.
Le projet que j'ai l'honneur de vous présenter est issu d'une large concertation.
Je tiens à réaffirmer ici, devant vous, que ce projet de loi est autant celui des parlementaires - et celui de la société - que celui du Gouvernement. Il est en effet le fruit des échanges approfondis qui se sont instaurés ces dernières années entre tous les acteurs et les partenaires de la politique forestière, notamment sur la base du rapport de Jean-Louis Bianco, La forêt, une chance pour la France , publié en 1998. Les tempêtes de décembre 1999 ont apporté une nouvelle pertinence aux dialogues, aux innovations - voire aux revendications ! - tout en mettant en lumière les forces et les faiblesses de la filière forêt-bois. Mais j'y reviendrai.
La richesse des débats à l'Assemblée nationale a reflété cette volonté de concertation active et sans a priori . J'ai souvent souscrit, sans parti pris, à de nombreux amendements. Le travail que nous mènerons ici s'inscrira, je n'en doute pas, dans cette dynamique d'ouverture et de recherche de l'intérêt général.
Ce projet de loi, nous l'avons voulu ancré dans les évolutions du monde d'aujourd'hui.
Dans un premier temps, je souhaite revenir rapidement sur les évolutions fondamentales de notre société qu'il appartient à la politique forestière de prendre en compte. Je retiendrai cinq axes majeurs.
Le premier axe est centré sur l'indispensable ouverture sur le monde. Les frontières de notre environnement écologique, économique et social se sont étendues à l'ensemble de la planète. Les enjeux sont globaux.
Le deuxième axe privilégie le soutien à la société. Nous vivons dans une société dont les demandes, exprimées ou tacites, sont de plus en plus complexes : accueil et sécurité, emploi et naturalité, beauté et durabilité... Ces demandes de nos concitoyens s'expriment par une exigence de services et d'usages, mais aussi par la volonté d'être davantage et mieux associés aux choix stratégiques.
Ces demandes s'accompagnent d'une urbanisation croissante, et ce sera le troisième axe de mon exposé.
Une charge affective forte est projetée sur des espaces ruraux par une population avant tout citadine. L'arbre, témoin biologique immuable, du moins en apparence, devient le symbole de la continuité du vivant. Dans ce contexte, tout changement, même ponctuel, est perçu comme une agression. Et les forêts se trouvent ainsi progressivement assimilées par l'opinion à des espaces publics au service de tous, alors même que les trois quarts de leur étendue relèvent de domaines privés.
La construction de l'Union européenne constitue le quatrième axe.
La forêt est restée, en quelque sorte, sur le seuil de cette aventure. Les produits forestiers ne figurant pas dans le traité de Rome, la forêt n'y est abordée que par le biais des autres politiques communes : l'agriculture bien sûr, l'aménagement du territoire, l'environnement ou l'énergie... Pourtant un intérêt se développe, et il n'est pas anondin de constater que la première réunion rassemblant l'ensemble des pays du continent européen après la chute du mur de Berlin a concerné la forêt, sur l'initiative de Louis Mermaz et de son homologue finlandais, jetant à Strasbourg les bases de ce qui allait devenir le « processus pan-européen d'Helsinki ».
Enfin, cinquième axe, au niveau national, la décentralisation a introduit une nouvelle donne. La forêt en a intégré le mouvement, notamment à travers les contrats de plan Etat-région et la création des commissions régionales de la forêt et des produits forestiers, en 1985.
Cette prise en compte - je dirais presque « par essence » - du long terme propre aux préoccupations forestières inscrit bien ce projet de loi dans la ligne des grands projets d'orientation sur la forêt et des premières ordonnances royales visant à « soutenir perpétuellement en bon état » le domaine forestier, pour reprendre les termes de l'ordonnance de Philippe VI de Valois en 1346.
Comme quoi, en matière forestière, la gestion durable n'est ni une innovation, ni une mode, c'est bien une nécessité, n'en déplaise à nos modernes Robin des bois !
Pour autant, la gestion du long terme n'exonère pas des responsabilités immédiates. Les 18 mois qui viennent de s'écouler ont été riches d'enseignements à cet égard.
Il nous a tout d'abord fallu gérer l'impact des tempêtes du mois de décembre 1999 sur ces réflexions d'orientation.
Plus d'un an après ce désastre, les flux de bois se rétablissent progressivement, même si, j'en ai bien conscience, la situation reste encore difficile à court terme, notamment dans certaines régions sinistrées par les ouragans Lothar et Martin.
Le Gouvernement a toujours considéré que la perspective dans laquelle se plaçait le projet de loi, en liaison avec la réforme des financements forestiers conduite dans le cadre du projet de loi de finances pour 2000 et la définition de la stratégie forestière française, ne s'en trouvait pas altérée. J'ai souvent répété que les chablis ne devaient pas cacher le reste de la forêt. En maintenant le calendrier d'examen du projet de loi, nous avons assumé, sans démagogie, son décalage relatif avec les événements. Je crois que nous avons eu raison de faire ce choix.
En effet, les atouts et les handicaps structurels du secteur de la forêt et du bois, pas plus que les enjeux internationaux, n'ont été significativement modifiés par l'épreuve que notre pays a affronté. M. Jean-Louis Bianco évaluait dans son rapport la quantité de bois supplémentaire à prélever dans les forêts françaises à 6 millions de mètres cubes par an. La pertinence de son analyse n'est pas remise en cause, même si la tempête a abattu une partie de ces volumes « surcapitalisés » sur pied.
Un an après, nous sommes arrivés à l'heure des premiers bilans.
L'ambitieux plan national pour la forêt mis en place par le Gouvernement a mobilisé près de 10 milliards de francs de soutiens financiers et 12 milliards de francs de prêts bonifiés. Il comportera, d'ici à 2003, 1,7 milliard de francs dans le cadre des « avenants tempête » aux contrats de plan.
Nous avons voulu un dispositif souple et évolutif pour faire face aux dégâts et préparer la reconstitution du patrimoine forestier.
Les efforts de tous, en premier lieu ceux des professionnels concernés, ont porté leurs fruits. Environ la moitié des chablis aura ainsi été récoltée en 2000 par l'ensemble de la filière. Je crois que c'est un bon résultat, un résultat qu'aucun d'entre nous n'aurait prévu ou osé espérer voilà un an, mais la tâche reste lourde et d'autant plus difficile que la forêt ne se trouve plus, si j'ose dire, sous les feux de l'actualité.
C'est pourquoi le Gouvernement a confirmé le prolongement des aides du plan national pour la forêt et poursuivi, au cours des derniers mois, la mise au point de certains points particuliers.
L'instruction fiscale précisant les modalités de la déduction des revenus professionnels des charges liées aux tempêtes est parue le 23 janvier 2001.
Une mission prospective interministérielle se met en place, sous l'égide du ministère de l'intérieur, pour évaluer les conditions d'un soutien à la trésorerie des communes touchées au-delà de 2001.
Les pluies de cet hiver, elles aussi exceptionnelles, ont à nouveau freiné la sortie des bois, en rendant les conditions d'exploitation en forêt particulièrement difficile. La poursuite de l'aide au transport au cours des prochains mois me paraît, dans son principe, d'autant plus indispensable que les bois abattus encore à mobiliser sont à présent de moindre qualité et moins accessibles. Les modalités de la poursuite de l'aide au transport, qui sont en cours de discussion, seront arrêtées courant avril.
Le dispositif d'aides à la reconstitution est opérationnel sur l'ensemble du territoire depuis l'automne dernier. Une phase active de travaux s'engage, favorisée par un dispositif spécifique d'aide aux pépiniéristes forestiers arrêté en novembre dernier et leur tout récent accès à des aides à l'investissement dans le cadre des avenants aux contrats de plan Etat-région. Je viens néanmoins d'alerter ma collègue secrétaire d'Etat au budget sur quelques difficultés administratives apparues dans les procédures d'instruction.
Enfin, l'actualisation des plans de prévention et de lutte contre les incendies de forêts adaptés aux risques spécifiques liés aux chablis, mis en place l'été dernier, est en cours.
Au-delà, il nous appartiendra de tirer les enseignements à moyen terme de cet événement, de nous livrer à l'exercice du « retour sur expérience ». Plusieurs amendements de l'Assemblée nationale ont introduit des rapports spécifiques liés à certains volets de cette évaluation. Je tiens, pour ma part, à l'élaboration d'un plan de campagne en cas de tempêtes en forêt à l'échelon tant national que régional.
Durant cette année mouvementée, la filière a démontré, je pense, sa capacité à sortir renforcée de l'épreuve actuelle. En plusieurs occasions, j'ai invité les professionnels à faire de 2001 « l'année du bois », et j'ai plaisir à saluer la multiplicité des initiatives qui, depuis quelques mois, s'inscrivent dans cet objectif.
Ainsi, la première semaine du bois, instaurée d'ailleurs sur une initiative parlementaire, vient de s'achever ; avec plus de 800 manifestations à travers toute la France, cette opération de communication a connu un véritable succès, qui a largement dépassé les espérances de ses promoteurs et qui illustre bien l'intérêt du grand public pour cette filière.
J'ai signé dans ce cadre, le 28 mars dernier, la charte « Bois-construction-environnement » aux côtés de mes collègues Marie-Noëlle Lienemann et Dominique Voynet, l'objectif étant d'accroître de 25 % la part de marché de cet éco-matériau. Avec le pôle construction du centre technique du bois et de l'ameublement, le CTBA, inauguré en octobre dernier à Bordeaux, la filière dispose à présent des moyens de dynamiser l'utilisation du bois dans le bâtiment.
En outre, la création d'un espace national de la forêt et du bois, lieu d'échange et d'interactivité regroupant sur un site commun les principaux partenaires de la filière, est à l'étude.
Enfin, les négociations relatives à la structuration d'une interprofession se sont approfondies depuis le début de l'année et donnent lieu à des débats sans précédent entre les intervenants de ce secteur.
Par ce projet de loi d'orientation sur la forêt, c'est donc fort de l'alliance d'un secteur en pleine évolution que le Gouvernement réaffirme sa confiance dans les potentialités de la forêt et de l'industrie du bois.
En effet, c'est demain que ce texte prépare, et je voudrais en rappeler ici les lignes de force.
Première ligne de force, il faut situer la loi française dans l'environnement juridique international, qui est en pleine évolution après le Sommet de la terre de Rio de 1992 et eu égard aux conventions des Nations unies sur la biodiversité, aux changements climatiques... et à la nécessité de relier le droit français à un droit international de l'environnement qui est en train de se constituer. Dans notre pays, où le poids de la dimension socio-culturelle est fort, la multifonctionnalité est une référence traditionnelle en forêt. La France, comme l'Europe, s'est néanmoins trouvée paradoxalement désarçonnée par l'irruption de la gestion durable sur la scène internationale et dans l'obligation de mettre en forme un savoir-faire séculaire de gestion des espaces naturels, certes riche mais méconnu, ainsi que de justifier ses choix face à la formule plus lisible de la séparation des territoiresAfficher 20 % du territoire classé en réserve intégrale (formule prisée par les ONG environnementales et de nombreux pays anglo-saxons) est bien plus médiatique que de tenter d'expliquer une prise en compte graduée de la biodiversité sur l'ensemble du territoire...
, selon laquelle il faut protéger ici, exploiter là, comme si ces deux fonctions étaient antinomiques et inconciliables. La remise en question du protocole de Kyoto, succédant à l'incapacité des participants à la conférence de La Haye à parvenir, en novembre dernier, à adopter une position commune sur la question des forêts, illustre le chemin qu'il nous reste à parcourir en la matière.
J'en viens à la deuxième ligne de force : nous devons nous donner les moyens d'établir des rapports rénovés entre forêt et société.
Le projet de loi vise à réaffirmer la responsabilité de l'Etat en tant que garant vis-à-vis du long terme et de l'intérêt général et sa vocation d'arbitre lorsque des divergences légitimes d'intérêts pénalisent la réalisation des objectifs globaux.
Le texte ouvre parallèlement la possibilité de privilégier l'approche contractuelle, lorsque celle-ci s'avère plus pertinente. Je voudrais citer ici, en particulier, la création de chartes de territoires forestiers, qui a fait l'objet de fructueuses discussions à l'Assemblée nationale. Ces chartes doivent devenir de véritables outils de formation de projets multifonctionnels ancrés dans les réalités de terrain. Une dizaine de démarches expérimentales sont déjà engagées dans l'optique du programme-pilote que j'ai souhaité mettre en place sans attendre la promulgation de la loi. Il s'agit d'une véritable évolution de fond pour le secteur forestier, qu'il appartiendra ensuite aux partenaires professionnels, aux élus et aux représentants du monde associatif de mettre en oeuvre, en relation avec l'Etat, en définissant un équilibre entre le contrat et la préservation de l'intérêt général.
Le projet de loi établit enfin des liens entre le code forestier et les autres législations avec lesquelles il entretient des relations de plus en plus étroites - les exemples les plus récents en étant la loi relative à la chasse, la loi relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives, ou encore l'ordonnance Natura 2000.
Troisième ligne de force : l'atout économique que constitue, en France, un patrimoine forestier en croissance continue depuis plusieurs dizaines d'années, atout économique qui doit être valorisé, dans un monde où la demande en bois augmente.
La compétitivité de la filière de transformation des produits forestiers et dérivés du bois représente un enjeu en matière d'aménagement du territoire et de développement des emplois ruraux. Le projet de loi comporte notamment des dispositions en faveur de l'élévation de la qualification professionnelle dans le secteur des travaux forestiers, de l'amélioration des conditions de sécurité, de la lutte contre le travail dissimulé, de la stabilité des entreprises et du développement des emplois en milieu rural.
En outre, l'élaboration d'un rapport spécial sur le travail en forêt a été décidée par un amendement adopté à l'Assemblée nationale, et le système de dotation pour les jeunes entrepreneurs de travaux forestiers, qui relève du domaine réglementaire, se met en place.
Je voudrais, enfin, souligner les multiples dispositions introduites dans le projet de loi pour faciliter le renforcement de la solidarité de filière et structurer les organisations interprofessionnelles, qui sont assorties d'un cadrage du processus d'écocertification de la gestion durable.
Le projet de loi comporte ainsi cinq grands titres : développer une politique de gestion durable et multifonctionnelle ; favoriser le développement et la compétitivité de la filière forêt-bois ; inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires ; renforcer la protection des écosystèmes forestiers ou naturels ; mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt.
Il prévoit, en outre, la suppression, au sein du code forestier, de nombreux articles obsolètes, contradictoires avec d'autres lois récentes ou excessivement dirigistes. Avec ce texte, nous modernisons le code forestier et nous le réduisons puisque, sauf décisions contraires de votre assemblée, nous supprimerons plus d'articles que nous n'en créerons.
J'aimerais enfin revenir sur deux sujets qui ont fait l'objet de débats intenses.
Il s'agit, d'une part, de la possibilité de mobiliser l'épargne au profit d'une dynamisation des investissements forestiers et de la restructuration foncière. Le groupe de travail chargé de formuler des propositions concrètes à introduire en seconde lecture dans ce projet de loi s'est réuni à plusieurs reprises dans différentes configurations, la dernière associant d'ailleurs les parlementaires des deux assemblées et les professionnels. Les objectifs et les moyens sont à présent clairement identifiés. Il nous reste à définir l'instrument - ou peut-être les instruments - qui permettra d'optimiser la réponse apportée, mais l'engagement a été pris : cette loi ne sera pas promulguée sans que cet instrument y soit inscrit. Le travail avance bien !
Il s'agit, d'autre part, du dispositif des assurances en forêt. Je vous confirme que le Gouvernement a déjà mis en chantier, de façon informelle, le rapport spécial, introduit le biais de l'adoption d'un amendement, sur les enseignements de la tempête dans le domaine des assurances. Les premières analyses conduites ont, par ailleurs, souligné la sensibilité du couplage actuel du risque tempête à l'assurance incendie, qui pourrait menacer à très court terme la pérennité de cette dernière garantie, confirmant ainsi, si besoin était, le caractère crucial de la question.
Au-delà de ces interrogations récurrentes, portant sur des sujets complexes à propos desquels les avancées sont obtenues pas à pas, notre travail d'aujourd'hui saura, je n'en doute pas, dissiper les dernières ambiguïtés et introduire de nouvelles améliorations.
J'ai parfois l'occasion de dire que la forêt est en quelque sorte le miroir de nos sociétés. C'est de plus, si j'ose dire, un miroir qui a de la mémoire.
M. Jean-Louis Carrère. Un miroir aux alouettes ! (Sourires.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Nos forêts sont le résultat des orientations d'hier et traduisent la réponse apportée par les hommes à des situations passées, quand l'Etat voulait, par exemple, reconstruire sa marine, assurer les besoins en énergie ou protéger les sols de montagne d'une érosion catastrophique. Notre action d'aujourd'hui s'inscrit dans cette histoire, qui passe de génération en génération, et dont la forêt est à la fois le souvenir et le témoignage.
C'est pourquoi les forêts sont leçons de modestie : nous héritons de celles qu'ont façonnées nos aïeux et nous travaillons celles que connaîtront les générations futures. La forêt est aussi affaire d'ambition, et les ravages que deux ouragans ont faits en quelques heures ne doivent pas nous conduire au fatalisme ou à la résignation.
C'est donc à la fois avec humilité et fierté que je vous présente aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation sur la forêt, nouvelle étape de la longue et complexe histoire forestière de notre pays. Nous le savons, l'homme et la nature ne sont pas nécessairement antagonistes. C'est tout le propos de ce texte, un propos d'une actualité particulière en ce début de siècle. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe François, rapporteur de la commisssion des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation sur la forêt, examiné par l'Assemblée nationale en juin dernier, s'inscrit dans une longue réflexion, puisqu'un avant-projet de loi avait été rédigé, en son temps, par M. Philippe Vasseur, alors ministre de l'agriculture. Vous avez, monsieur le ministre, repris ce chantier en novembre 1998, sur la base de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis Bianco.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Remarquable rapport !
M. Philippe François, rapporteur. Les tempêtes de décembre 1999, qui ont provoqué des dégâts sans précédent dans la forêt française, ne remettent pas en cause, loin s'en faut, la nécessité d'une loi d'orientation pour ce secteur.
Leurs conséquences mettent en lumière, en revanche, certaines lacunes dans les propositions gouvernementales, lacunes qu'il nous appartiendra de combler, dans la mesure du possible, cette semaine ou lors de la seconde lecture, puisque l'urgence n'a pas été déclarée pour ce projet de loi.
Je voudrais tout d'abord insister sur certaines des caractéristiques de la forêt française.
Le patrimoine forestier français connaît une progression forte et continue, avec une surface de 15 millions d'hectares, soit un taux de boisement du territoire de 27,7 %. Cette dynamique d'extension, qui représente environ 80 000 hectares supplémentaires de forêts chaque année, est essentiellement le fait d'une colonisation naturelle des landes et des friches dues à la déprise agricole. Marquée par l'action de l'homme, la forêt française reste diversifiée : on y recense soixante essences de résineux et soixante-seize essences de feuillus, ces dernières étant représentées de façon prépondérante.
S'agissant de la structure forestière, les forêts publiques représentent 3,8 millions d'hectares, alors que la forêt privée, avec 10,7 millions d'hectares, soit 74 % de la forêt française, se répartit entre plus de 4,5 millions de propriétaires et est constituée, à plus de 60 %, d'unités de moins de vingt-cinq hectares. En dépit de cet extrême morcellement qui justifie des mesures encourageant le regroupement technique et de gestion, il faut noter que 40 000 propriétaires possèdent des forêts de plus de vingt-cinq hectares, couvrant 4,3 millions d'hectares, soit 45 % du total des forêts privées.
Cependant, la proportion des forêts possédées par des personnes physiques ou morales dont l'activité principale concerne la récolte ou la valorisation du bois reste très faible, de l'ordre de 1 % à 2 %, contre 37 % en Suède et 7 % au Portugal.
La forêt française se caractérise également par une sous-exploitation chronique, avec un taux de prélèvement annuel estimé à 63 %, à comparer au taux de 69 % présenté par les pays scandinaves et à celui de 77 % enregistré dans la zone de l'Amérique du Nord. La récolte de bois a certes progressé depuis dix ans, mais dans des proportions moindres que l'accroissement de la production. Dans l'optique d'une gestion durable de la ressource sylvicole, il faut donc poursuivre l'effort de mobilisation du bois et augmenter la récolte, au risque, sinon, de devoir faire face aux effets négatifs du vieillissement de la forêt. La France, dont 30 % de la surface est boisée, ne peut ignorer cette très grande richesse économique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l'espace agricole et forestier, en particulier la forêt, contribue de façon positive à la lutte contre l'effet de serre par le stockage du carbone dans la matière organique des sols forestiers et la biomasse. On estime ainsi que la contribution nette de la biomasse forestière revient à la neutralisation de 9 % des émissions françaises de carbone.
De plus, le développement de l'utilisation du bois-matériau participe de l'objectif de stockage, et la promotion du bois-énergie permet d'économiser des énergies fossiles et de réduire les émissions de gaz carbonique.
Monsieur le ministre, la forêt constitue un levier important dans une politique de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. Il serait, à mon sens, désastreux de ne pas en tenir compte, d'autant plus que toute action volontariste en matière forestière contribue à la richesse nationale et peut créer des emplois.
Au niveau international, depuis la prise de position du président des Etats-Unis refusant de souscrire aux engagements de Kyoto, le processus de négociation prévu à Bonn du 16 au 27 juillet prochain semble très compromis. S'il en était autrement, quelle sera la position de la Communauté européenne et de la France en particulier pour faire prendre en compte la contribution des forêts ?
Sur le plan national, en tant que rapporteur de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996, je regrette que le décret d'application prévu à l'article 21 et imposant, à compter du 1er janvier 2000, l'utilisation d'une quantité minimale de bois dans les constructions nouvelles ne soit toujours pas publié. Cette disposition résultait, mes chers collègues, je vous le rappelle, d'un amendement voté par le Sénat.
Après ce panorama sur la forêt française, je voudrais, bien sûr, rappeler l'importance des dégâts occasionnés par les fameuses tempêtes de décembre 1999 due non seulement à la violence exceptionnelle des vents, bien entendu, mais aussi aux surfaces et aux volumes de bois à l'hectare qui caractérisent la forêt française.
Le volume de chablis, estimé à l'origine à environ 140 millions de mètres cubes, devra être progressivement affiné en fonction des relevés en cours d'établissement par l'inventaire forestier national. Le chiffre final sera probablement inférieur aux premières estimations.
Mais en tout état de cause, sur ce volume, seuls 70 % seront commercialisables.
Toutes les régions françaises ont été touchées, ce qui a entraîné la saturation globale du marché du bois et une chute du prix du bois de l'ordre de 30 % à 40 %. De plus, nombre de propriétaires forestiers confrontés à de très graves difficultés d'exploitation n'ont pas pu commercialiser leurs chablis.
Je laisserai à mon collègue Roland du Luart le soin de rappeler les dispositions financières du plan national d'urgence pour la forêt, qui représente 2 milliards de crédits budgétaires et 12 milliards de prêts bonifiés, vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le ministre.
Tout en vous renvoyant très largement à mon rapport écrit, je veux cependant faire valoir l'importance de la filière bois. Dans son rapport, M. Jean-Louis Bianco soulignait l'effort consenti par l'industrie du bois pour se développer dans un contexte de forte concurrence internationale.
Mais la filière reste soumise à des handicaps lourds et connus que sont la dispersion de la propriété, qui nuit à la sécurité et à la régularité des approvisionnements, la faible intégration de la filière elle-même et une tendance à la baisse de la demande de bois d'oeuvre qui semble heureusement s'inverser depuis une dizaine d'années, grâce aux efforts de promotion menés par la profession.
Ainsi, la première transformation, qui inclut notamment les entreprises d'exploitation et de récolte du bois, l'industrie du sciage et celle des panneaux, doit accomplir un effort de modernisation sans précédent car elle constitue à l'heure actuelle l'un des maillons les plus faibles identifiés.
L'industrie du sciage, pour répondre aux besoins du marché, est donc confrontée à des besoins d'investissement très importants pour améliorer la valeur ajoutée sur les produits bois-bâtiment. L'utilisation du bois-matériau dans la construction ne deviendra une réalité que si le secteur peut proposer, comme en Allemagne, en Autriche, voire en Scandinavie, des produits de qualité, normalisés, séchés et prêts à l'emploi.
En insistant sur le poids économique de la filière bois, notamment en termes de création d'emplois, M. Jean-Louis Bianco plaide pour la définition d'une véritable stratégie forestière, assortie de moyens financiers conséquents. Il chiffre ainsi l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une politique forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an. Cette proposition, à laquelle je souscris totalement, est d'autant plus opportune que, je le rappelle, la France reste, au sein des pays développés, celui qui consacre le moins d'argent public à la forêt.
Au-delà de ces chiffres, nous aurons l'occasion, lors de l'examen de l'article 11 du projet de loi, de débattre des conditions favorisant la mise en place d'une interprofession. C'est un outil indispensable pour engager des actions collectives de promotion de la filière, mais, compte tenu des réserves et des prises de position exprimées par certains des acteurs économiques concernés, un effort très important d'explication devra être fourni.
Je présenterai le projet de loi d'orientation sur la forêt en rappelant qu'il s'articule autour de quatre axes principaux, à savoir : la gestion durable et multifonctionnelle de la forêt ; la compétitivité de la filière forêt-bois ; la gestion des territoires et la protection des écosystèmes forestiers et naturels ; enfin, l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
L'affirmation du principe d'une gestion durable fait l'objet de l'article 1er du projet de loi qui, à travers un titre préliminaire inséré dans le code forestier, regroupe les orientations de la politique forestière pour les présenter de façon cohérente et faire ainsi valoir qu'elles s'inscrivent dans la droite ligne des engagements internationaux souscrits par la France, notamment en 1993 à Helsinki, lors de la conférence ministérielle pour la protection des forêts en Europe.
Cette mise en forme des objectifs de la politique forestière ne doit pas être négligée dans un contexte de concurrence internationale soumis à l'influence de certaines associations environnementales internationales. J'en veux pour preuve le ton systématiquement agressif de l'article du 24 janvier dernier publié dans le Herald Tribune et intitulé : « L'écosystème de l'Europe en voie de décomposition ». La politique forestière des pays européens, notamment de la France, y est systématiquement critiquée sur la base d'affirmations erronées, mensongères ou volontairement biaisées.
Il est donc indispensable de mettre en valeur les atouts de la forêt française en matière de gestion durable.
Ainsi, pour encourager l'application de ces critères, l'article 1er crée de nouveaux outils de gestion simplifiés, permettant ainsi aux propriétaires de petites parcelles ou de parcelles présentant un faible intérêt économique d'offrir néanmoins des garanties de gestion durable et leur garantissant un accès aux aides publiques.
Le titre II se compose d'un ensemble de dispositions visant à favoriser la compétitivité et le développement économique de la filière bois.
Les modes de vente de l'ONF sont ainsi adaptés en vue de permettre un recours plus large aux procédures de vente à l'amiable, susceptibles de lui garantir des débouchés plus réguliers.
Le projet de loi renforce les exigences de qualification professionnelle s'imposant à l'ensemble des personnes qui procèdent à des travaux de récolte sur les parcelles d'autrui, afin de diminuer le risque d'accidents du travail, encore trop fréquents.
Plusieurs dispositions enfin contribuent à la lutte contre le travail dissimulé, qui constitue un phénomène préoccupant dans ce secteur.
Tendant à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires, le titre III du projet de loi adapte tout d'abord la législation relative au défrichement pour prendre en compte le niveau local.
Il complète également les dispositions du code forestier traitant de la réglementation des boisements en vue de parvenir à un équilibre satisfaisant entre aménagement rural et forestier.
Enfin, d'importantes dispositions viennent renforcer la prévention des incendies de forêts. Elles opèrent un recentrage sur les zones les plus à risque des mesures renforcées de prévention, en particulier des obligations de débroussaillement ; elles clarifient également les compétences du maire et du préfet et confortent le plan de prévention des risques d'incendie de forêt prévu par la loi Barnier de 1995.
S'agissant de l'organisation des institutions et des professionnels, le projet de loi encourage l'Office national des forêts à développer ses interventions conventionnelles tant sur le territoire national qu'à l'étranger.
Les missions des centres régionaux de la propriété forestière sont adaptées en vue de prendre désormais en compte l'objectif de développement forestier durable.
Tout en partageant les objectifs affichés par les auteurs de ce projet de loi d'orientation, la commission des affaires économiques considère qu'ils induisent trop souvent un surcroît de réglementation, qui ne s'accompagne pas de moyens financiers suffisants.
Tout en reconnaissant la nécessité de favoriser la mise en oeuvre d'une gestion durable en matière forestière, conformément à nos engagements internationaux, force est de constater que les propositions du projet de loi, souvent renforcées par l'Assemblée nationale, vont multiplier les contraintes administratives.
Ainsi, le texte se traduit par un alourdissement sensible et non justifié des interdictions et des sanctions encourues en cas d'infraction à la législation forestière.
L'Assemblée nationale a également rétabli la taxe de défrichement, dont la suppression par la loi de finances pour 2000 relevait d'un mouvement bienvenu de simplification fiscale.
Enfin, elle a prévu la création d'associations foncières de gestion forestière au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes sont réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte inacceptable au droit de propriété constitutionnellement garanti.
En face de ces contraintes nouvelles, les moyens financiers sont souvent notoirement insuffisants.
Le projet de loi affirme la multifonctionnalité de la forêt à travers son rôle social et environnemental, mais il n'en tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Ainsi en est-il de l'article 3, qui encourage l'accueil du public en forêt sans résoudre tous les problèmes qui en découlent, notamment sur le plan de la responsabilité assumée par le propriétaire.
L'encouragement au regroupement technique est affirmé dans le livre préliminaire du code forestier, mais nulle part il n'est fait mention d'aides spécifiques indispensables à sa mise en oeuvre.
De plus, l'Assemblée nationale n'a pas remédié à certaines lacunes de ce texte, dont l'absence de dispositions destinées à favoriser l'investissement en forêt. A la demande du Gouvernement, elle n'a pas adopté l'amendement présenté par la commission de la production et des échanges, qui définissait le mécanisme d'un plan d'épargne forêt, se contentant de voter un article additionnel prévoyant la création, sans le définir, d'un tel dispositif.
Outre des propositions de simplification rédactionnelle, la commission des affaires économiques a voulu améliorer les garanties offertes aux propriétaires forestiers en matière de gestion forestière à travers notamment : la limitation des engagements de non-démembrement ou des contraintes de gestion à souscrire par un propriétaire privé dès lors qu'il sollicite des aides publiques ; un encouragement au regroupement foncier forestier en inscrivant le principe d'aides spécifiques dans le livre préliminaire du code forestier ; l'attribution d'aides publiques aux propriétaires tenus de procéder au nettoyage des chablis au nom de la prévention des incendies ; enfin, la définition de sanctions proportionnées à la gravité de l'infraction commise.
A travers un travail mené en étroite concertation avec la commission des finances, qui a étudié les aspects financiers et fiscaux de ce projet de loi, la commission des affaires économiques vous proposera un dispositif d'investissement forestier.
En conclusion, je relèverai que plusieurs chantiers inachevés attendent des solutions qui restent à définir.
Ainsi, les conséquences des tempêtes de 1999 font ressortir la nécessité de formuler des propositions facilitant le regroupement foncier forestier ainsi que la mise en place d'un mécanisme de mutualisation des risques que les systèmes d'assurance traditionnels semblent dans l'incapacité de couvrir de manière satisfaisante.
Des groupes de travail associant les professionnels concernés et l'administration n'ont pas, à ce jour, abouti à des propositions concrètes, mais il faudra parvenir à en dégager d'ici à l'examen en seconde lecture de ce texte si l'on veut qu'il soit un outil efficace pour mettre en oeuvre la stratégie forestière française des quinze prochaines années. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité, à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi d'orientation sur la forêt, se saisir pour avis de ce texte.
Nommé rapporteur pour avis, je souhaiterais aujourd'hui vous présenter mes principales observations concernant ce texte ; elles sont issues d'un travail pour une large part commun avec celui de l'excellent rapporteur de la commission des affaires économiques, notre collègue Philippe François.
Ce projet de loi d'orientation sur la forêt intervient dans un contexte très particulier, celui d'une forêt française meurtrie par les tempêtes de la fin décembre 1999.
Très attendu par l'ensemble des acteurs de la filière sylvicole française - propriétaires forestiers, exploitants, industriels, professionnels du secteur forestier - ce projet de loi tardif, puisqu'il intervient plus de deux ans après la publication, le 25 août 1998, de l'excellent rapport de notre collègue député Jean-Louis Bianco, La forêt, une chance pour la France aura peut-être le mérite - c'est en tout cas sa vocation - de redonner confiance à tous ces acteurs et à l'ensemble d'une filière qui joue un rôle si important pour notre économie.
Si les tempêtes de la fin 1999 ont eu un effet dévastateur sur des plans aussi bien économique, technique, financier que psychologique, elles ont surtout permis de mettre l'accent sur la nécessité de réformes depuis trop longtemps repoussées, car les difficultés rencontrées par les forestiers ne datent certainement pas des tempêtes : elles remontent à bien plus longtemps, et les tempêtes n'auront fait qu'accentuer ces difficultés, provoquant par là même une prise de conscience de l'urgence des réformes.
Pourtant, le présent projet de loi m'est apparu comme particulièrement décevant sur le plan fiscal et financier ; mais je sais que le chantier est difficile. Alors que le Gouvernement s'était engagé, à la suite du rapport Bianco, à proposer toute une série d'adaptations de la fiscalité forestière, force est de constater que le présent projet de loi n'est pas à la hauteur des ambitions alors affichées par le Gouvernement.
Ce dernier proposait en effet, à l'époque, de nouvelles orientations de la politique forestière, destinées : à favoriser l'investissement forestier afin de permettre la pérennisation et le développement des groupements familiaux ou des investisseurs institutionnels ; à mettre en place des dispositifs juridiques et incitatifs permettant de lutter contre le morcellement foncier forestier ; à mieux intégrer l'Office national des forêts au développement de la filière ; enfin, à redéfnir les objectifs et les moyens du FFN, puisque, à l'époque, ce dernier existait toujours.
Je ne peux que constater le retard qui a été pris dans la mise en oeuvre du calendrier législatif relatif à la forêt - un projet de loi était initialement prévu avant la fin de l'année 1999 - et regretter que les dispositions fiscales de ce texte soient minimes ; d'ailleurs, elles ne répondent pas aux attentes formulées par les acteurs du secteur forestier.
Ces attentes sont d'autant plus vives depuis les tempêtes de la fin 1999. Celles-ci ont, en effet, révélé la fragilité des mécanismes actuels de financement de la forêt, aussi bien publique que privée, ainsi que le caractère obsolète de certains aspects du régime fiscal forestier.
S'agissant de la forêt privée, notamment, je voudrais insister ici sur trois problèmes prégnants.
J'évoquerai tout d'abord le morcellement forestier, contre lequel divers dispositifs ont déjà été mis en place, notamment les groupements forestiers, ou les associations syndicales de gestion forestière. La formule du groupement forestier a fait la preuve de son efficacité, en particulier pour préserver les unités existantes, lors d'une succession.
Depuis une dizaine d'années, cependant, une crise frappe les groupements forestiers en raison des difficultés que rencontrent les porteurs de parts lorsqu'ils souhaitent se retirer du groupement ; d'où la nécessité d'accroître la fluidité des parts de groupements forestiers, ce qui permettrait la création d'un véritable marché.
Le présent projet de loi ne contient que très peu de réponses à ce problème du morcellement et de la nécessaire restructuration forestière. La seule mesure concrète proposée est l'extension de la procédure de dation en paiement des droits de succession aux immeubles en nature de bois, forêts ou espaces naturels pouvant être incorporés au domaine forestier de l'Etat, mesure à laquelle je suis favorable.
D'autres actions sont à entreprendre dans plusieurs domaines. Il faudrait notamment poursuivre des opérations concertées de sensibilisation et de formation des petits propriétaires ou encore encourager toute acquisition de petites parcelles boisées destinée à incorporer celles-ci à des unités plus consistantes.
En outre, lever la présomption de salariat, souvent perçue comme un obstacle à l'entretien des petites parcelles forestières, contribuerait sans doute à un meilleur entretien et à une sélection progressive fondée sur la compétence.
Le second problème que je souhaite aborder, le plus important aujourd'hui selon moi, est celui de la faiblesse du placement ou de l'investissement forestier.
Je considère que la création d'un mécanisme financier destiné à favoriser l'investissement forestier est aujourd'hui prioritaire et aurait dû constituer la pierre angulaire de ce projet de loi d'orientation. Le Gouvernement a d'ailleurs lui-même reconnu les lacunes du texte sur cette question délicate.
Le faible niveau des investissements forestiers est un problème aujourd'hui unanimement reconnu. Ainsi, la mise en valeur, au moyen de plantations ou de semis, des surfaces forestières sans peuplement d'avenir a constitué l'essentiel des investissements forestiers entre 1950 et 1970. Ces opérations, aidées financièrement, ont décliné constamment depuis lors.
En outre, je voudrais également souligner ici l'inquiétude croissante des propriétaires forestiers quant aux charges engendrées par les fonctions écologique et sociale de la forêt.
Le développement de la fréquentation du public ainsi que la mise en place de mesures réglementaires relatives à la fonction écologique des forêts donnent lieu à ce que les propriétaires considèrent comme des surcoûts à leur charge. Cette situation peut être démobilisatrice pour les investissements en sylviculture, d'autant plus que ceux-ci s'engagent sur le long terme.
Si le principe de la création d'un dispositif de soutien à l'investissement forestier fait l'unanimité, ses modalités techniques d'application ont longtemps divisé les partenaires du secteur forestier. Aujourd'hui, après de nombreuses consultations et la mise en place d'un groupe de travail rassemblant - et je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir pris cette initiative - tous les acteurs concernés par ce dispositif - Gouvernement, parlementaires, professionnels, représentants des propriétaires forestiers - plusieurs pistes de réforme ont pu être évoquées et une solution consensuelle semble se dessiner en faveur d'un dispositif hybride de type « fonds d'épargne forêt », qui répondrait aussi bien aux attentes des propriétaires qu'à celles des professionnels forestiers.
L'introduction dans le présent projet de loi d'un tel dispositif, certes perfectible, permettrait de faire avancer le débat et, avant tout, contribuerait à redonner confiance aux acteurs de la forêt française. J'aurai l'occasion de vous présenter ce dispositif sous la forme d'un amendement à l'article 5 B du présent projet de loi. Je tiens toutefois à souligner ici qu'il s'agit d'une proposition d'appel, qui n'a pas forcément vocation à demeurer en l'état et qui devra sans doute faire l'objet d'une réelle concertation de tous les acteurs concernés. La deuxième lecture de ce texte nous donnera le temps d'aller plus avant dans cette réflexion.
Enfin, le troisième problème crucial que je voudrais évoquer ici est celui de l'assurance des forêts privées.
Les tempêtes de la fin 1999 ont révélé l'ampleur des lacunes existant en matière d'assurance des forêts. Il n'existe en effet, à l'heure actuelle, aucun mécanisme d'assurance propre à la forêt. Certains professionnels préconisent la création d'un dispositif de type « calamités forestières », similaire à ce qui existe dans le secteur agricole et qui n'a jamais été transposé au secteur forestier.
Deux sortes d'outils pourraient être envisagés : un fonds d'indemnisation « catastrophes naturelles » applicable aux forêts ou la création d'un fonds d'indemnisation spécifique aux forêts.
Aujourd'hui en France, très peu de sociétés d'assurance ont mis en place des contrats spécifiques aux risques forêt et, depuis les récentes tempêtes, on assiste à une volonté, assez compréhensible, de désengagement de ces assureurs. La surface forestière assurée ne représente que 600 000 hectares, soit 4 % de la surface forestière totale ; cela correspond à un total d'environ 8 000 contrats.
Il s'agit, bien sûr, d'une question très délicate, sur laquelle il est aujourd'hui difficile d'avancer des solutions concrètes. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pu formuler aucune proposition à ce sujet au sein du présent projet de loi. Seule une disposition introduite par l'Assemblée nationale, prévoyant la présentation au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et formulant des propositions en matière d'assurance contre les risques de chablis, mentionne explicitement ce problème.
Sur toutes ces questions, je considère que la France a beaucoup à apprendre de ses partenaires européens.
Alors que la France dispose d'une des superficies forestières les plus importantes d'Europe, elle se situe très en retrait des autres pays européens, notamment des pays scandinaves, mais aussi de l'Allemagne ou du Royaume-Uni, s'agissant de sa fiscalité forestière.
Outre l'évocation de ces trois points saillants, d'autres mesures plus ponctuelles doivent être envisagées à l'occasion de l'examen de ce texte par notre assemblée, aussi bien des mesures d'adaptation de la fiscalité forestière que des mesures, plus conjoncturelles, de soutien à la filière sylvicole.
Il s'agit, certes, d'un projet de loi dit « d'orientation », s'inscrivant dans le long terme et ayant vocation à contenir des mesures plus structurelles que conjoncturelles, mais, précisément, les forestiers sont aujourd'hui « désorientés ». On ne pourra pas faire l'économie, dans ce projet de loi, de mesures spécifiques de type « post-tempêtes » destinées à aider les propriétaires forestiers à retrouver confiance.
Les principales propositions que je formulerai ici sont les suivantes.
Tout d'abord concernant le rétablissement de la taxe de défrichement opéré par l'Assemblée nationale en première lecture, il me semble inopportun de revenir sur une disposition votée par le Parlement dans la loi de finances pour 2000 qui a prévu la disparition de cette taxe à compter du 1er janvier 2001. Dans un souci de simplification fiscale et de cohérence législative, je crois nécessaire de maintenir l'état actuel du droit, à savoir la suppression de la taxe sur le défrichement.
S'agissant de la législation concernant le délai pendant lequel le propriétaire forestier peut présenter un plan simple de gestion afin de pouvoir bénéficier de régimes d'exonération fiscale spécifiques, je considère que l'abaissement de cinq à trois ans de ce délai par le présent projet de loi constitue un recul de la politique forestière, et je souhaite le rétablissement du délai de cinq ans.
Afin de favoriser la constitution des associations syndicales de gestion forestière, je vous proposerai également d'exonérer ces associations de l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés.
Pour encourager le regroupement forestier, je propose l'exonération du droit fixe de 1 500 francs associé à l'apport de toutes petites parcelles boisées à des groupements forestiers. Dans ce cas, le droit fixe a souvent une valeur supérieure au bien que l'on se propose d'acquérir.
Afin de ne pas pénaliser le développement des entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers, il me semblerait opportun d'envisager une réduction du taux de plafonnement de la taxe professionnelle due par ces entreprises. Je voudrais insister ici sur la nécessité de soutenir la profession d'entrepreneur de travaux d'exploitation forestière : il est essentiel pour la compétitivité de toute la filière d'aider cette profession à s'organiser, afin qu'elle puisse être représentée dans les diverses instances et exprimer ses attentes.
Il me semble également nécessaire d'adapter l'application du système « Sérot-Monichon » afin de permettre le transfert des engagements résultant de ce régime spécifique de réduction des droits de mutation du vendeur à l'acquéreur. Il paraît en effet injuste que le vendeur soit tenu pour responsable du manquement à ces engagements par l'acquéreur.
Enfin, dans le cadre des mesures post-tempêtes, je souhaite étendre le dispositif d'exonération des droits de mutation pour l'acquisition de parcelles boisées aux acquisitions à titre gratuit ainsi qu'aux parts de groupements forestiers. Je tiens d'ailleurs à rappeler brièvement les mesures qui ont déjà été prises par le Gouvernement dans le cadre du plan national pour la forêt du 12 janvier 2000.
Ce plan d'urgence représente 2 milliards de francs de crédits budgétaires et 12 milliards de francs de prêts bonifiés. En outre, selon les déclarations du Gouvernement, 600 millions de francs par an pendant dix ans devraient aider les propriétaires à reconstituer les peuplements détruits. Des mesures fiscales complètent d'ailleurs ce dispositif.
Le programme spécifique en faveur de la forêt répond donc à trois objectifs majeurs : assurer la mobilisation du bois ; permettre le stockage et favoriser la valorisation du bois ; enfin, organiser la reconstitution des écosystèmes forestiers.
Malgré les intentions louables affichées par le Gouvernement, le constat sur le terrain et le bilan de ces aides, un an après les tempêtes, sont décevants.
La réalité sur le terrain, en effet, ne correspond malheureusement pas aux attentes des forestiers, et les espoirs suscités par l'annonce de ce plan ont été en partie déçus.
La plupart des aides directes, pour un montant global de l'ordre de 1,4 milliard de francs, ne sont pas encore parvenues à leurs destinataires. On constate de très importants délais dans leur acheminement, délais qui pénalisent les exploitants et, surtout, les propriétaires forestiers. L'aide financière de l'Etat pour la reconstitution des forêts était promise par le Gouvernement pour la fin du mois d'août 2000. Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit encore du conflit entre votre ministère et Bercy. Alors, accélérons Bercy !
Aujourd'hui, plus d'un an après le choc des tempêtes, les attentes sont grandes et les esprits sont encore fragiles.
Le Sénat a déjà eu l'occasion, l'année passée, d'affirmer son soutien à la filière sylvicole - notamment au moment du vote des différents projets de loi de finances, rectificatives et initiale - en proposant des mécanismes fiscaux de soutien. Il s'agit, aujourd'hui encore, de ne pas décevoir l'ensemble de ces acteurs, qui attendent des réformes, et de donner un vrai « souffle » à la politique forestière française.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, et, bien sûr, sur le Parlement. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la législation forestière, dont l'objet principal est la conservation d'une des plus précieuses richesses de l'Etat, se lie à tant d'autres intérêts et touche par tant de points importants à la propriété privée, qu'elle doit être l'un des premiers objets de la sollicitude des gouvernants ». Ainsi s'exprimait M. de Martignac dans l'exposé des motifs du projet de code forestier de 1827, devant la Chambre des pairs.
Il eut du mal à convaincre cette dernière. Si l'on en croit l'éditeur du code, l'avis presque unanime de cette chambre était de n'apporter aucun changement au code forestier. L'ordonnance de Colbert, qui datait de 1669, était, il est vrai, assez récente : elle avait cent soixante-dix-huit ans - tout juste le temps d'une génération d'arbres ! Martignac invoqua la marche du temps, les progrès de l'industrie et l'économie publique...
Cent cinquante-quatre ans après, nous nous attelons de nouveau à cette tâche.
La Fédération nationale des communes forestières de France, dont j'ai l'honneur d'être ici le porte-voix, en l'absence de son président, notre estimé collègue Jacques-Richard Delong, est d'accord sur cette entreprise de rénovation, sans céder à la nostalgie. Elle avait approuvé M. Philippe Vasseur quand il parla de présenter un projet de loi d'orientation sur l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Elle a salué la sortie du rapport Bianco, où elle a reconnu quelques-unes de ses idées, notamment ce point clé : la gestion durable des territoires forestiers confortée par des contrats de territoires. Elle avait regretté la dissociation de la partie forestière, au moment de la discussion de la loi d'orientation agricole. Elle est donc satisfaite de voir venir devant le Parlement ce texte tant attendu.
Il est vrai qu'entre-temps le contexte, lui, s'est assombri. Comment discuter d'une loi forestière sans évoquer ces deux événements : les tempêtes de décembre 1999 et, tout récemment, mais avec des conséquences non moins graves à long terme, le rejet du protocole de Kyoto par le nouveau président des Etats-Unis ?
Sur la tempête, on a déjà tout dit ou presque, sauf la réponse à la lancinante question : en reviendra-t-il de semblables, et quand ? Ainsi, 140 millions de mètres cubes, soit 300 millions d'arbres touchés dans les forêts françaises ; 44 millions de mètres cubes, soit 130 millions d'arbres frappés dans les forêts publiques ; 25 millions de mètres cubes dans les forêts communales... Ces chiffres catastrophiques interfèrent forcément dans la discussion du projet de loi, même si votre texte est conçu, comme les deux précédents, pour durer cent cinquante ans.
Il nous faut bien dire d'abord un mot du plan « chablis ». Vous avez obtenu des moyens financiers honorables, mais il n'a pas été possible, en dépit des efforts de tous - élus, exploitants et services publics, à commencer par ceux des préfectures et par l'ONF -, de dégager entièrement le terrain, bien que 23 millions de mètres cubes aient pu être commercialisés sur les 30 millions de mètres cubes commercialisables. Il reste encore à exploiter des volumes importants d'essences peu sensibles à la dégradation, telles que les chênes et les douglas, mais aussi des hêtres et des résineux de qualité secondaire.
Notons au passage que les résultats obtenus l'ont été au prix d'un assouplissement considérable des méthodes de commercialisation des bois. Devant l'échec des premières adjudications, l'Office a sagement rangé ses catalogues et a recouru au gré à gré sur une large échelle, dans le cadre d'un accord national avec les exploitants forestiers qui fut très durement négocié, et parfois - mais pas toujours - péniblement appliqué... C'était, en somme, anticiper sur votre projet de loi, qui prévoit que les méthodes de commercialisation des bois devront être plus diversifiées et mieux répondre aux situations dans le temps et dans l'espace.
Les communes forestières sont ouvertes à ces perspectives, à condition toutefois que cette évolution ne se fasse pas au détriment de leurs recettes de bois, dont on mesure aujourd'hui l'importance dans les budgets des communes de l'Est de la France. Par ailleurs, je rappelle que le choix du mode de commercialisation des bois récoltés en forêt communale revient aux maires.
En d'autres termes, il a fallu faire face à une situation exceptionnelle, mais nous continuons à souhaiter un large éventail des méthodes de vente, et l'adjudication au rabais ne nous paraît nullement condamnée par l'histoire.
Les intempéries de cet hiver ont considérablement freiné l'exploitation et la vidange des produits de la tempête. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir prolonger les aides au transport, qui, seules, permettront d'exploiter certaines qualités de bois.
Les élus forestiers, tenant compte des expériences passées, redoutent la renversée prochaine d'arbres fragilisés ainsi que les attaques de scolytes, qui risquent d'affecter, sur plusieurs années, l'équivalent de 30 % à 50 % du volume tombé en chablis en 1999. Aussi la vigilance s'impose-t-elle dans les domaines phytosanitaire et financier.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour nous soutenir auprès de M. le ministre de l'intérieur, afin qu'il continue d'apporter aux communes sinistrées les aides, versées sous forme de subvention de fonctionnement, dont l'attribution durant l'année 2000 a été facilitée par ses services.
Les maires attendent également beaucoup de la mission interministérielle qui a été mise en place par M. le Premier ministre afin de procéder à l'examen de la situation financière de chacune des communes forestières sinistrées par les tempêtes, à court et à moyen terme.
Deuxième interférence de la tempête avec le projet de loi d'orientation : la reconstitution des forêts.
Au mois d'octobre 2000, lors d'un colloque qui s'est tenu à Epinal, les communes forestières ont entrepris une réflexion commune avec l'ONF et publié avec ce dernier, au mois de janvier 2001, un manifeste sur la reconstitution. Un guide technique est en cours de préparation ; il sera diffusé au mois de mai à tous les maires, à tous les personnels de l'ONF et dans le public.
Si le recours à la régénération naturelle, plus longue à obtenir, doit être la règle, des plantations s'avéreront nécessaires. Aussi, les communes, qui seront systématiquement impliquées par l'Office pour décider des choix à effectuer, comptent sur leur gestionnaire pour maîtriser la récolte et la conservation des graines, l'élevage des plants en pépinières - sous forme de contrats de culture - et les travaux de plantation.
L'ONF possède les moyens techniques et réglementaires adéquats - notamment la Sécherie de graines forestières de La Joux - pour apporter, avec le professionnalisme nécessaire, toutes les garanties aux communes.
En dépit des moyens financiers importants que vous avez prévus pour la reconstitution, monsieur le ministre, certaines communes éprouveront beaucoup de difficultés à financer, pour les parties qui leur incombent, la reconstitution de leur forêt. Dès à présent, nous vous demandons que soit examinés, en tant que de besoin, les cas particulièrement difficiles.
Une troisième conséquence de la tempête doit être présente à notre esprit au moment où nous ouvrons cette discussion : les prévisions de récolte forestière devront être revues à la baisse pour les dix prochaines années - ce qui remet tout de même quelque peu en cause l'analyse de M. Jean-Louis Bianco, à laquelle nous étions ralliés.
Dans son rapport, qui - cela a déjà été dit - s'intitule : La forêt, une chance pour la France , l'ancien président de l'ONF qu'il est tablait sur une augmentation des récoltes de bois dans un délai de cinq à dix ans dans les forêts domaniales et communales, afin de dynamiser l'ensemble de la filière.
Ces prélèvements, destinés à enrayer une surcapitalisation qui serait préjudiciable à l'équilibre biologique des forêts, devraient en outre présenter l'avantage de procurer des recettes supplémentaires tant aux communes qu'à l'ONF.
Après le passage de la tempête, la diminution des récoltes se traduira donc pour de nombreuses communes par des difficultés budgétaires notables pendant plusieurs années, voire, parfois, plusieurs décennies.
Il est avéré que l'Office national des forêts, pour ce qui le concerne, se trouvera durant plusieurs années dans une situation financière difficile, et ce d'autant plus que ses réserves seront complètement épuisées en 2001.
Les communes forestières sont très préoccupées par la fragilité financière de leur gestionnaire et renouvellent aujourd'hui avec force leur demande d'une recapitalisation de l'Office national des forêts au niveau approprié, afin que cet établissement puisse remplir les missions qui lui sont assignées par l'Etat, à un moment où notre pays en a le plus grand besoin.
Il est en effet légitime que le financement des forêts publiques soit assuré de manière pérenne par le produit des écotaxes et que l'on rémunère globalement les services non marchands rendus par les forêts pour la protection des ressources en eau, l'accueil du public, la préservation des paysages, la protection des habitats ainsi que des espèces végétales et animales vivant en forêt et, bien entendu, la lutte contre l'effet de serre ; bref, tout ce qu'il conviendra, après l'adoption de la loi, de résumer par le terme un peu lourd de « multifonctionnalité », notion qui, avec celle de gestion durable, est un des grands apports de la loi d'orientation.
Je viens de prononcer les mots fatidiques d'« effet de serre ». La montée de l'inquiétude à propos du réchauffement de la planète est, comme la tempête historique de cette fin de siècle, un des éléments essentiels de ce contexte, monsieur le ministre. Il faut bien que votre texte les prenne en compte. Qui sait même si ces deux éléments ne sont pas liés ?
Oui, mes chers collègues, les communes forestières s'interrogent, elles aussi, sur l'évolution des climats et sur son incidence à long terme sur les essences cultivées dans nos forêts. En particulier, elles s'inquiètent des récentes déclarations du président des Etats-Unis, qu'elles voient renier la signature de son pays au bas du protocole de Kyoto. Car aucun pays ne peut s'affranchir des risques très importants qu'engendre le dégagement croissant de gaz à effet de serre dans l'atmosphère.
Certes, les Etats-Unis ont tort ; mais nous n'avons pas nous-mêmes été imprudents ? A La Haye, les Européens ont refusé tout compromis avec les Américains, pour des raisons dogmatiques : il s'agissait de rejeter toute possibilité d'alternative, même partielle, aux économies d'énergie par la promotion des puits de carbone en forêt. Cette raideur écologiste a fourni un prétexte à la délégation américaine. Sans la justifier, bien sûr, elle lui a rendu plus aisée la remise en cause du protocole.
La proposition de loi du sénateur Vergès - souvenez-vous-en, mes chers collègues -, adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat, avait pourtant ouvert la voie à une tactique bien différente : en faisant de l'effet de serre une grande cause nationale et en créant un observatoire dans ce domaine, la Haute Assemblée avait une fois de plus confirmé sa sagesse et son aptitude à prendre en compte la durée dans les décisions publiques.
Dès le mois de novembre 1999, monsieur le ministre, notre collègue M. Delong vous a rapporté la volonté des communes forestières de prendre part à la lutte contre l'effet de serre, avec le soutien financier de l'Etat.
Plusieurs champs d'action existent, depuis la redynamisation de la sylviculture, notamment dans les jeunes peuplements, ou l'enrichissement de plusieurs centaines de milliers d'hectares de forêts communales jusqu'à l'acquisition raisonnée et à la valorisation forestière de parcelles irréversiblement abandonnées par l'agriculture.
J'en viens maintenant au survol rapide du texte. Je ne m'y attarderai pas, puisque les rapports très précis et complets de nos collègues François, rapporteur de la commission des affaires économiques, et du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, sont pratiquement exhaustifs.
Les communes forestières se plaisent à saluer la concertation à laquelle elles ont été conviées par votre cabinet et par vous-même, monsieur le ministre, pour l'élaboration de ce texte. Au surplus, quand on légifère pour cent cinquante ans, les clivages politiques du moment n'ont pas grand sens !
Les communes forestières se reconnaissent donc dans les principales dispositions de ce texte : gestion durable labellisée - qui vous permettra de lancer la certification, à laquelle nous travaillons en liaison avec la forêt privée - ; multifonctionnalité, qu'il faudra bien sûr financer ; réorganisation de l'interprofession forêt-bois, qui devra respecter la liberté de chacun, notamment dans la seconde transformation ; introduction de la notion de territoires forestiers contractualisés ; sans oublier quelques toilettages, comme la disparition du folklorique garde-coupe.
Nous constatons que, selon la loi, la forêt française s'appuiera sur deux institutions fortes : l'ONF, dont le conseil d'administration doit être élargi, pour la forêt publique, et le futur centre national professionnel de la propriété pour la forêt privée.
Pour sa part, la Fédération nationale des communes forestières attend de l'ONF, son gestionnaire, qu'il évolue fortement et rapidement. A cette fin, elle a entrepris avec les responsables de l'établissement une réflexion qui aboutira dans les prochains mois, lors des assises nationales de la forêt communale. Les conclusions de ces assises devront être reprises - du moins le souhaitons-nous - dans le contrat Etat-ONF en cours d'élaboration.
Cependant, la réforme qui affectera l'ONF devra s'attacher à préserver le principe actuel du maillage territorial, sous peine de voir disparaître du paysage rural un établissement public efficace, placé au service de la gestion des forêts publiques, mais aussi des territoires forestiers et ruraux, comme le prévoit la loi d'orientation forestière.
L'exigence d'une qualité accrue des prestations de l'Office a conduit notre fédération à demander à l'établissement qu'il soit certifié ISO 9000. Les interventions de l'Office pour le compte des communes seront ainsi plus ciblées, plus efficaces et moins onéreuses.
L'avenir est lourd de menaces, mais cette loi d'orientation nous permettra de l'aborder avec espoir et volontarisme. Elle le permettra d'autant plus, monsieur le ministre, si vous acceptez les amendements que nous avons déposés pour « muscler » ce texte. Ils portent, entre autres objets, sur la spécificité des forêts publiques.
Ils concernent, d'abord, le projet de fonds d'épargne forestière à l'usage des communes, qui est un peu le symétrique, quoique différent, de celui que notre collègue du Luart a évoqué pour la forêt privée. Je rappelle que vous venez d'être saisi, ainsi que vos collègues de l'intérieur et des finances, d'un rapport circonstancié que je vous ai adressé voilà trois jours, au nom de la fédération.
Ces amendements concernent, ensuite, les chartes de territoire forestier, que nous souhaitons voir bénéficier de dispositifs financiers équivalents - pourquoi pas ? - à ceux des contrats territoriaux d'exploitation en agriculture.
Ces amendements concernent, enfin, le financement de la formation des élus par une partie du produit des cotisations versées aux chambres d'agriculture, sur lesquelles nous n'avons aucune retombée jusqu'à présent. C'est un sujet que vous connaissez bien et qui a fait l'objet d'une réponse de principe favorable des chambres d'agriculture.
Je terminerai mon propos par un petit retour en arrière. En 1827 - j'y reviens - devant la chambre des députés, le général Sebastiani commençait son discours en ces termes : « Messieurs, nous discutons aujourd'hui une véritable loi, une bonne loi, malgré les imperfections que je regrette d'y trouver. » C'est un peu ce qu'a dit M. du Luart. (Sourires.) Il ajoutait : « Je viens défendre la haute, la grande propriété, la propriété aristocratique, car elle seule possède les bois. » Vous le voyez, là ce n'est pas ce qu'a dit M. du Luart. (Nouveaux sourires.) Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons, nous aussi, devant nous une véritable loi, une bonne loi, qu'il convient encore de perfectionner. Aussi, ensemble, défendons la haute, la grande, la propriété démocratique, celle des générations futures, car c'est bien pour elles, forêt publique et forêt privée, et sur toutes les travées de notre Haute Assemblée, que nous travaillons. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - M. Joly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, à mon tour, me réjouir de l'examen de ce projet de loi d'orientation sur la forêt. Son importance et son urgence ont déjà été rappelées. Elles tiennent aux conséquences de l'ouragan de décembre 1999, mais plus encore à l'attention que nous devons porter à l'amélioration de toutes les activités de la filière bois et de sa compétitivité.
A mes yeux, l'événement le plus remarquable réside cependant ailleurs, dans la reconnaissance affirmée de la multifonctionnalité de la forêt : à côté du rôle économique de la production-vente de bois et des activités qui en découlent, le projet de loi affirme que les fonctions sociales et environnementales doivent être intégrées dans une gestion de développement durable. Certes, cela fait des années que les discours forestiers sont infiltrés de références sociétales et environnementales. Mais que la loi couronne cette évolution par l'inscription du principe de gestion durable me fait penser qu'une page est tournée et qu'une étape nouvelle est entamée.
Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, j'approuve globalement le projet de loi qui nous est soumis.
M. René-Pierre Signé. Belles paroles !
M. Philippe Richert. Je n'ai pas tout à fait terminé mon propos !
La philosophie de ce texte, les orientations qu'il trace, les objectifs qu'il affiche et l'ambition pour la filière bois qu'il veut servir méritent que nous le soutenions.
Néanmoins, (Ah ! sur les travées socialistes) ... Eh oui, je devais y venir.
Néanmoins, disais-je, entre ces perspectives volontaristes et les mesures proposées, je me vois obligé de relever des insuffisances et d'exprimer quelques doutes.
Tout d'abord, je constate, avec nos rapporteurs, la nécessité de renforcer considérablement le volet financier et plus particulièrement le soutien à l'investissement forestier. Il est avéré que la réorganisation de la forêt privée doit être une priorité. Il est tout aussi patent - la tempête l'a encore montré - que l'investissement forestier est aléatoire...
M. Jean-Louis Carrère. Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Même la vie est aléatoire !
M. Philippe Richert. ... et que sa rentabilité est sans commune mesure avec le placement boursier. C'est pourquoi nous devons prévoir dans ce texte les modalités permettant de dynamiser les moyens en direction de l'investissement forestier. La proposition d'un « fonds d'épargne forêt » de M. le rapporteur pour avis présente tous les avantages recherchés. Il convient de la conjuguer avec les autres mesures de réorganisation fiscale préconisées pour que toute la filière sylvicole puisse être rénovée et optimisée.
Ma deuxième observation se rapporte à la gestion durable, qui intègre les notions de rentabilité économique mais aussi la dimension sociale et environnementale. Incontestablement, ces rôles dits secondaires de la forêt méritent d'être mieux pris en compte.
D'ailleurs, lorsqu'on discute avec nos concitoyens, on se rend compte qu'ils sont souvent d'avis que les rôles socio-environnementaux devraient primer par rapport au rôle économique. Nous devrions donc faire des efforts pour que ces rôles socio-environnementaux soient mieux pris en compte.
Comme cela a été rappelé tout à l'heure, l'un des grands enjeux des décennies à venir est la question de l'effet de serre. Nous savons le rôle éminent joué par la forêt comme capteur des gaz qui favorisent le réchauffement de la planète. Il s'agit donc d'un sujet essentiel et grave, qui mérite bien plus qu'un paragraphe annexe à un rapport !
Un autre aspect, sanitaire cette fois, des bienfaits de la forêt est celui de la purification de l'air. Le rapporteur de la commission des affaires économiques du Sénat, M. Philippe François, avait déjà été rapporteur du projet de loi sur l'air, déposé par Mme Corinne Lepage. Depuis le vote de ce texte, il est établi que les particules fines de cinq à dix microns constituent uen source de pollution de l'air difficile à maîtriser et pouvant intervenir dans l'apparition d'affections ou dans leur aggravation. Or les forêts constituent un filtre qui amène ces poussières à se déposer, à se faire piéger. Lorsque l'on sait que la pollution atmosphérique est mise en cause dans plusieurs dizaines de milliers de décès annuels précoces ou dans des affections multiples, comme l'asthme ou la bronchiolite des nourrissons, nous mesurons le rôle bénéfique primordial que peut jouer la forêt. Et que dire de la protection contre les risques naturels, les avalanches, l'érosion, les inondations, et bien d'autres ?
Monsieur le ministre, l'examen en détail des propositions gouvernementales fait ressortir que les mesures prévues pour tenir compte de la multifonctionnalité de la forêt sont particulièrement réduites.
Le rapporteur, M. Philippe François, l'a d'ailleurs fort bien indiqué : « La volonté d'encourager la multifonctionnalité de la forêt, à travers son rôle social et environnemental, est affirmée. » Cependant, le projet de loi n'en tire pas clairement les conséquences sur le plan financier. Il est donc indispensable que les moyens adéquats soient dégagés et budgétés.
Qu'en est-il des aides nouvelles pour compenser et asseoir les orientations ?
Les propriétaires privés voient les aides conditionnées par des impératifs de gestion durable, ce qui permet d'espérer un infléchissement des pratiques ; mais cette mesure génère dans le même temps un cortège de formalités administratives complexes et décourageantes, qu'il faudrait essayer de simplifier pour qu'elles soient réellement efficaces.
Pour les forêts domaniales, je le rappelle, monsieur le ministre, en Alsace, les forêts publiques représentent 80 % des surfaces boisées, soit presque l'inverse de la proportion en moyenne nationale, qui est de 30 % contre 70 %. Je ne discerne, là encore, que très difficilement l'abondement des moyens nécessaires pour mieux prendre en compte cette multifonctionnalité.
Les routes forestières, par exemple, depuis des décennies se dégradent à un rythme alarmant. Bientôt, des efforts de générations d'aménageurs, cynégétiques et forestiers seront anéantis par la faute de ceux qui n'ont parlé que chiffre d'affaires et bénéfices, oubliant les autres fonctions, comme l'accueil du public, notamment des citadins, ou la biodiversité. Je regrette, là encore, les réelles carences du texte en termes de moyens.
Indiscutablement, il faut simplifier les procédures pour le privé, me semble-t-il, et mettre en place, pour le public, les moyens financiers indispensables pour permettre aux forêts d'assurer les missions de multifonctionnalité que nous voulons tous leur reconnaître.
Pour terminer, je dirai un mot sur la biodiversité elle-même.
Le patrimoine forestier a une valeur écologique inestimable. La richesse de ce milieu est d'autant plus grande qu'il abrite des espèces rares ou endémiques et des écosystèmes complexes. L'uniformité, dans ce cas de figure, est réductrice. L'ouragan de décembre 1999 ayant dévasté des milliers d'hectares forestiers, je formule le voeu non seulement que l'on s'oriente, pour la reforestation, vers des méthodes plus douces, moins artificielles, avec des espèces locales adaptées au milieu,...
M. Yann Gaillard. Très bien !
M. Philippe Richert. ... mais également que l'on prenne les mesures pour reconstituer des écosystèmes favorables à des espèces animales ou végétales ayant fortement régressé, voire disparu du fait des modifications profondes que leurs milieux de vie avaient subies.
Je prends un exemple particulier qui intéresse notamment le grand tétras, le grand coq de bruyère. Actuellement, il n'y a plus que quelques coqs dans les Vosges alsaciennes.
M. Gérard Braun. Et lorraines !
M. Philippe Richert. Il y en a un peu plus en Lorraine, cher ami !
Or la tempête a complètement modifié le milieu et il serait tout à fait possible de recréer les écosystèmes favorables au coq de bruyère, comme il y en avait au début du xxe siècle. Je souhaite, monsieur le ministre, que, sur ce sujet, vous puissiez nous apporter des assurances qui seraient de nature à donner un signe tangible pour que cette reconquête environnementale favorable à la biodiversité puisse se réaliser. (M. Carrère applaudit.)
Voilà, monsieur le ministre, en vous réitérant ma satisfaction pour l'esprit général qui oriente ce projet de loi, quelques suggestions qui, à mon sens, mériteraient d'être approfondies.
Avec les propositions des rapporteurs des commissions, que je tiens à féliciter, des améliorations sensibles pourront être apportées pour que ce projet de loi d'orientation puisse servir efficacement de cadre directeur pour des forêts durables auxquelles tous nos concitoyens sont attachés et qui font partie des merveilles de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE - M. Pastor applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous abordons aujourd'hui était très attendu. Selon moi, il l'était pour deux raisons principales.
En premier lieu, on en parle depuis plusieurs années. M. Philippe Vasseur, l'un de vos prédécesseurs, avait d'ailleurs décidé d'intégrer les dispositions relatives à la forêt dans son projet de loi d'orientation agricole. Les majorités changeant, vous avez décidé, monsieur le ministre, de retirer ce volet forestier du projet de loi d'orientation agricole pour en faire un projet de loi indépendant. Pourquoi pas ? Je pense même que ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Mais, par voie de conséquence, nous avons, vous avez perdu du temps. La loi d'orientation agricole ayant été adoptée en juin 1999, il aurait été souhaitable qu'il en fût de même du texte sur la forêt.
En second lieu, monsieur le ministre, c'est en août 1998 que M. Bianco remettait à M. le Premier ministre son rapport La forêt, une chance pour la France.
Mais, le temps passant, les attentes se sont multipliées, et à cet égard le présent projet de loi est plutôt décevant. Surtout, il n'a d'orientation pratiquement plus que le titre. En effet, s'il aborde de nombreuses questions, il laisse de côté les plus importantes : celles qui concernent le financement, la fiscalité et l'encouragement de l'investissement forestier.
Or c'est maintenant que nous devons légiférer afin de garantir l'avenir de notre patrimoine forestier et de le préparer à de nombreux enjeux.
Quelle est, en effet, la situation actuelle de la forêt française ? Nous pourrions dire qu'elle est à la croisée des chemins : elle doit être mieux gérée afin de développer pleinement toutes ses potentialités.
Nous connaissons tous les grands traits de notre forêt et nos rapporteurs, MM. Philippe François et Roland du Luart, nous les ont brillamment rappelés tout à l'heure.
Pour ma part, j'en retiens plus particulièrement quelques-uns, notamment ceux qui sont à l'origine d'un certain nombre d'amendements que je présenterai au nom de ma famille politique.
Avec une superficie de près de 16 millions d'hectares, la forêt française est la troisième d'Europe, après celles de la Suède et de la Finlande. Elle est en pleine expansion puisqu'elle ne couvrait que 10 millions d'hectares en 1990. Elle se caractérise, comme plusieurs de nos collègues y ont insisté, par la forte présence de la forêt privée, qui occupe les deux tiers de notre forêt nationale. Elle constitue un secteur économique important : la sylviculture, l'exploitation forestière et les industries de transformation génèrent, en effet, plus de 550 000 emplois dans quelque 40 000 entreprises, pour un chiffre d'affaires proche des 500 milliards de francs. En outre, il est indispensable de souligner que ces entreprises se situent essentiellement en milieu rural, ce qui confère à ce secteur économique un rôle déterminant dans l'aménagement et le développement du territoire.
Tous, nous connaissons les enjeux d'une forêt dynamique et bien gérée qui sont autant d'atouts écologiques et économiques.
Premièrement, la forêt contribue aux grands équilibres naturels en termes de diversité de la faune et de la flore ; elle permet ainsi de respecter les engagements internationaux de la France au regard de la préservation de la biodiversité.
Deuxièmement, la forêt protège les sols contre l'érosion, les avalanches ou les glissements de terrains, sujet malheureusement d'actualité brûlante en raison des nombreuses intempéries que nous avons connues récemment.
Troisièmement, la forêt favorise la régularité du régime des eaux et limite les risques d'inondation.
Quatrièmement, la forêt joue un rôle important en fixant le gaz carbonique et en participant à la lutte contre l'effet de serre. C'est d'ailleurs en partie sur ce point de la prise en considération des forêts que les négociations de la conférence de La Haye ont achoppé. Nous ne pouvons qu'espérer leur reprise avec des perspectives plus positives.
Or la forêt française, en dépit d'un fort potentiel, apparaît aujourd'hui comme sous-exploitée : d'une part, la récolte annuelle est inférieure à la production nationale et les experts estiment qu'elle pourrait être augmentée de 6 millions de mètres cubes d'ici à dix ans ; d'autre part, la forêt française est confrontée à de nouvelles exigences, à savoir la mondialisation des échanges, les préoccupations environnementales, la concurrence d'autres matériaux que le bois, le développement des fonctions non marchandes de la forêt telles que le tourisme, la chasse, l'ouverture au public, l'entretien des paysages, etc.
Face à cette nécessaire réforme de notre code forestier, ce projet de loi est-il à la hauteur des ambitions que nous devons avoir pour la forêt française ? Permettez-moi d'en douter, monsieur le ministre, même si plusieurs dispositions de votre texte sont intéressantes.
Je noterai d'ailleurs que vous avez repris plusieurs idées contenues dans le projet de loi de Philippe Vasseur, tels la modernisation de l'ONF, la clarification de la politique concernant la propriété privée, le renforcement de la qualification professionnelle ou l'extension du mécanisme de la dation à la forêt.
Schématiquement, votre projet, monsieur le ministre, vise à mettre en place une gestion durable et multifonctionnelle des forêts ; nous partageons tout à fait cet objectif. Cependant, ce texte ne permet pas de l'atteindre, et il est bien loin des attentes des professionnels en ce qu'il répond plus à une logique d'organisation administrative qu'à une logique économique.
A ce titre, je donnerai plusieurs exemples des manques de ce texte.
Tout d'abord, ce projet de loi renvoie à une cinquantaine de décrets sur lesquels le Parlement n'a aucune maîtrise. Je rappellerai, monsieur le ministre, que, voilà trois ou quatre mois tout au plus, le vice-président du Conseil d'Etat lui-même regrettait que Gouvernement et Parlement n'assument pas pleinement leurs responsabilités et renvoient trop souvent leurs textes à des décrets en Conseil d'Etat.
Par ailleurs, plusieurs articles de ce projet de loi sont de simples déclarations de principe qui n'entraînent aucune mesure concrète.
En outre, les leçons de la tempête de décembre 1999 ne sont pas toutes tirées. Tout à l'heure, Xavier Pintat insistera sur ce point, lui dont la région, l'Aquitaine, a été particulièrement touchée par cette catastrophe.
Ensuite, aucune réponse - en tout cas aucune réponse suffisante - n'est donnée au problème du morcellement de la forêt française, et la question n'est pas posée de savoir dans quelles conditions il faudrait envisager un remembrement ou des échanges multilatéraux de parcelles.
De plus, il n'y a pas de stratégie pour la filière bois - je sais bien que cela a été traité par ailleurs, mais il est dommage que vous n'ayez pas abordé de nouveau ce point, monsieur le ministre - et aucun encouragement n'est apporté à l'industrie de transformation.
J'ajoute que les chartes de territoire forestier risquent d'être un carcan administratif, à l'instar de ce que sont les contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, et donc de susciter insuffisamment d'intérêt.
Je regrette aussi qu'il n'y ait aucune mesure financière particulière pour accompagner les communes dans leur politique de développement du tourisme forestier : les communes ont besoin d'être aidées pour aménager les forêts au tourisme, notamment par la construction de parkings, l'entretien, la percée de chemins et de sentiers de randonnée. Je sais que vous n'êtes pas le seul à avoir votre mot à dire, monsieur le ministre, et que Bercy est toujours derrière vous !
Enfin - et c'est le reproche le plus important que nous formulerons à l'encontre de ce projet de loi - ce texte ne contient aucune mesure de financement à la hauteur des enjeux.
Premièrement, en matière fiscale, le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale est très timoré. Sur ce point, M. Roland du Luart, rapporteur de la commission des finances, a suggéré plusieurs amendements pertinents auxquels nous apporterons notre soutien.
Deuxièmement, le texte ne comporte pas de mesures précises pour favoriser l'investissement forestier : l'amendement sur le plan d'épargne forestier, présenté à l'Assemblée nationale, a été retiré au profit d'un article sibyllin sans véritable portée. Je propose de relancer l'idée ; la commission des finances a d'ailleurs prévu un dispositif un peu différent. J'espère, monsieur le ministre, que vous retiendrez l'une ou l'autre des propositions que nous vous ferons au cours de ce débat.
M. Roland du Luart, rapporteur pour avis. Il fera la synthèse !
M. Ladislas Poniatowski. Troisièmement, ce texte n'est accompagné d'aucune mesure financière.
Cela m'amène à poser deux interrogations : tout d'abord, quel rôle entendez-vous réserver à l'Etat dans la politique pour la forêt ? Ensuite, qu'avez-vous fait, monsieur le ministre, des propositions du rapport Bianco ? Certes, vous en avez repris un certain nombre, mais vous en avez laissé trop dans les tiroirs. La deuxième de ses principales recommandations est pourtant très explicite : « Aucune recommandation ne sera efficace sans un investissement supplémentaire de l'ordre de 1 milliard par an ». Pour 2001, c'est à peine la moitié qui a été prévue dans le budget. Autrement dit, nous démarrons sur de mauvais rails.
Le caractère multifonctionnel que vous donnez volontiers à la forêt signifie que les missions d'intérêt général que peut remplir la forêt doivent être financées par l'Etat. Or, l'engagement de ce dernier est très limité et, globalement, la France accumule du retard en consacrant à la forêt de quatre à dix fois moins d'argent public que ses voisins européens.
En conclusion, si, au-delà du drame des tempêtes de décembre 1999, nous avons, dans l'ensemble, une forêt bien portante, c'est maintenant qu'il faut légiférer pour anticiper les échéances à venir : les textes se sont accumulés depuis Colbert, le code forestier est l'un de nos plus anciens codes, les enjeux économiques, sociaux et culturels évoluent.
Mais, en ne reprenant que quelques recommandations du rapport Bianco, vous nous proposez, monsieur le ministre, un projet de loi lacunaire qui ne permet pas de concilier vraiment économie et écologie.
C'est pourquoi le Sénat entend améliorer substantiellement ce texte. Ainsi, la commission des affaires économiques, par ses amendements, tentera-t-elle de remédier à deux insuffisances majeures du projet de loi : des contraintes administratives supplémentaires et des moyens financiers insuffisants. Quant à la commission des finances, elle proposera d'améliorer la fiscalité sur la forêt et de mettre en place un dispositif opérationnel afin d'encourager l'investissement forestier.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, j'ai déposé un certain nombre d'amendements complémentaires qui tiennent compte des situations locales et régionales en matière de gestion de nos forêts ou de développement de la filière bois. J'espère, monsieur le ministre, que vous nous entendrez lors de leur examen. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France occupe la troisième place de producteur européen en matière forestière. Toutefois, tous les moyens ne sont pas réunis pour que la filière forêt bois soit aussi compétitive que l'on serait en mesure de l'espérer. Pourtant, l'Hexagone bénéficie de nombreux atouts au niveau tant des sols que des conditions climatiques.
Tout d'abord, malgré une réelle extension, l'exploitation forestière reste morcelée. La plupart des unités sont inférieures à un hectare. Par ailleurs, on est en droit de s'interroger sur le repli des investisseurs institutionnels qui, actuellement, mettent en vente leurs parcelles. Ainsi, en raison de leur anticipation d'une mauvaise rentabilité des investissements sylvicoles, ils fragilisent des positions déjà mal assurées. Alors qu'ils devraient être des relais privilégiés et des éléments moteurs des dispositions examinées, ils donnent au contraire le mauvais exemple.
Comme les autres entreprises, celles du bois désirent entrer dans le xxie siècle avec les atouts nécessaires pour envisager sereinement l'avenir. Un cadre législatif s'imposait. L'évolution du contexte socio-économique, la mondialisation des échanges et la concurrence accrue nécessitaient des dispositions prenant en compte un développement durable de la forêt.
« L'île verte » désigne la Haute-Saône. C'est dire combien la forêt tient sa place dans ce département, qui s'inscrit dans une région répondant au même qualificatif - elle n'est d'ailleurs pas la seule sur le territoire national. Néanmoins, moins de 2 % des propriétaires forestiers vivent des revenus de cette activité.
Il y a là un réel constat d'échec. Lors de nos échanges au sein de la commission des affaires économiques et du Plan, notre excellent rapporteur Philippe François, comme l'orateur précédent a mentionné que la France consacrait de quatre à dix fois moins de crédits publics à la forêt que ses partenaires européens, alors que notre pays se situe juste derrière la Norvège et la Finlande pour la production. Le propos est non pas de faire de cette activité un secteur assisté, mais d'offrir les moyens d'un décollage qui déboucherait sur une économie équilibrée.
Les acteurs concernés souhaitent que nos forêts soient mieux gérées, mieux exploitées, mieux protégées dans un cadre assurant une multifonctionnalité économique, sociale et biologique. Certains diront que c'est l'alliance impossible de l'eau et du feu ; néanmoins, cette donnée est inscrite dans notre patrimoine ; elle mérite toute notre attention, car elle est l'un des éléments fondamentaux de la vie à venir.
L'écueil principal réside dans le morcellement des unités d'exploitation. Les trois quarts d'une superficie nationale de plantation de 15 millions d'hectares sont entre les mains de propriétaires privés détenant de faibles unités.
L'ensemble des structures professionnelles appelle à un regroupement technique et économique des propriétaires forestiers afin d'organiser de façon rationnelle leur action de gestion et de commercialisation. A cet égard, le projet de loi présenté n'encourage pas suffisamment cet impératif.
La photographie actuelle est pourtant préoccupante. Marquée par une sous-exploitation chronique, la forêt française vieillit : en vingt ans, son rendement a perdu dix points.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est notamment la conséquence des accords de la conférence d'Helsinki, voilà près de dix ans. L'Etat s'est engagé à mettre en oeuvre une gestion durable dans le cadre d'une politique forestière reposant sur une véritable stratégie. Or le budget forestier représente moins de 1 % du budget de l'agriculture. Le rapport Bianco considérait que, en fonction des transferts sociaux, on arrivait pour ces deux types d'activités à un rapport de un pour quarante. Ce même document chiffrait l'investissement supplémentaire nécessaire pour financer une stratégie forestière ambitieuse à 1 milliard de francs par an, et encore serions-nous à un chiffre encore inférieur à celui des principaux concurrents.
Une enveloppe de la moitié de ces crédits suffirait pour permettre de lancer valablement les dispositions proposées. Or il est à craindre que, faute de moyens financiers, ces dispositions ne restent lettres mortes ; les déceptions seront à la hauteur des attentes.
Les derniers lourds aléas climatiques ont mis en évidence l'indigence des moyens consacrés par les pouvoirs publics à la politique forestière. La brutalité des événements a été un révélateur.
A cet égard, il faut souligner que, un an après, certaines aides directes n'étaient toujours pas parvenues aux destinataires. Au coût des dégâts s'ajoute l'effondrement des cours, d'où une double pénalité.
Certaines organisations coopératives ont préfinancé les opérations de bûcheronnage, de débardage et de transport, afin de permettre aux sylviculteurs de faire face plus facilement aux graves difficultés d'exploitation.
La faible rentabilité actuelle des exploitations ne permet qu'à un très faible nombre d'entre elles de s'assurer contre ce type de dommage. Mais il semble, d'une façon générale, que les mécanismes d'indemnisation seraient à reconsidérer dans leur temps de réponse.
Au-delà de la gestion de crise, on en revient à la nécessité de favoriser une politique globale équilibrée répondant à un programme dont les étapes bien définies autoriseraient des évaluations intermédiaires et, ainsi, des corrections.
Or ce contrôle n'est pas inutile. En effet, l'utilisation du bois dans les constructions, par exemple, que la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie avait favorisée, reste en suspens, faute de décret d'application. Les avantages du bois sont pourtant nombreux : peu consommateur d'énergie, grandes qualités de régulation thermique, hygrométrique, acoustique et, par ailleurs, d'une grande fiabilité, notamment avec les composites, proche du béton. Il serait donc urgent de concrétiser les possibilités inscrites.
Tout comme le développement du bois dans son utilisation énergétique reste absent d'une démarche qui cherche à viser un objectif d'indépendance, comment ne pas considérer l'avantage des énergies renouvelables face, par exemple, aux contraintes liées au fuel importé ? Outre le coût, les incidences sur l'atmosphère sont considérables par le rejet massif de gaz carbonique de ce dernier carburant.
L'interface traditionnelle agriculture-forêt, où l'un des termes prenait le pas sur l'autre, est dépassée. Une autre dimension est apparue avec la donnée écologique. La forêt est à la fois un enjeu économique et un espace d'usage. La mise en oeuvre de la directive communautaire « Habitat » - réseau Natura 2000 - a confronté le monde forestier à la politique de l'environnement.
Par ailleurs, la forêt publique cohabite-t-elle avec la forêt privée ? Toute la difficulté sera d'articuler ces deux termes à bien des égards, et plus particulièrement en matière de droits et de devoirs. Afin de mettre en place une véritable synergie, il serait judicieux de multiplier les partenariats et les initiatives contractuelles. Ainsi pourraient évoluer harmonieusement les relations des industriels en aval, des collectivités territoriales et des communes forestières, de l'Etat, au travers de ses structures spécifiques en amont, et des associations de défense de l'environnement. Peut-être le texte n'aborde-t-il pas suffisamment cet aspect des choses.
L'essentiel du domaine forestier étant aux mains de propriétaires privés, l'objectif prioritaire est d'en dynamiser la gestion. Un réel statut de l'exploitation forestière assurera une meilleure professionnalisation, facteur de cristallisation d'investissements.
Parallèlement, il convient d'encourager le développement de ces entreprises en les faisant bénéficier d'un arsenal de dispositions fiscales rendant accessible une rentabilité qui fait défaut aujourd'hui. Il me semble, en effet, plus positif d'encourager par des incitations laissant aux intervenants le choix de l'utilisation des moyens épargnés que de créer des obligations comme la contribution volontaire obligatoire, qui est contestée.
Par ailleurs, le rapport Bianco estime que « le secteur forêt-bois est un formidable gisement d'emplois à exploiter » : 500 000 emplois dans toute la filière, soit plus que dans l'automobile, est-il indiqué dans ce même document. J'ajouterai que le milieu rural sera le premier à bénéficier des effets de la mise en valeur des activités liées à l'ensemble de la filière. C'est une aubaine qu'il ne faut pas laisser échapper.
En effet, tout concourt à un aménagement durable du territoire : d'abord, le sol est utilisé pour une production s'inscrivant dans une complémentarité avec d'autres types d'exploitations traditionnelles qui assurent un entretien de l'espace ; ensuite, le produit est multifonctionnel et respectueux de l'environnement ; enfin, l'activité est répartie de façon équilibrée dans l'ensemble des régions.
La compétitivité de ce secteur passera par une organisation des acteurs depuis l'échelon local jusqu'aux structures plus importantes et, surtout, économiquement fiables. Si les aides publiques sont indispensables, l'intervention d'investisseurs privés ne l'est pas moins. Elle se manifestera si des incitations significatives sont mises en place.
En suivant les propositions de la commission des affaires économiques et du Plan, nous arriverons à un texte réalisant, par rapport au projet initial, un effort de simplification rédactionnel et de concision sur les principes fondamentaux de la politique forestière à mettre en oeuvre, une meilleure protection et organisation des propriétaires forestiers et, enfin, une limitation des contraintes et des sanctions prévues.
Il me semble que cette gestion durable du domaine forestier français est le terrain naturel de réconciliation de l'économie et de l'écologie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce qu'elle fixe des grandes lignes directrices, parce qu'elle porte en elle une vision à long terme où se mêlent incitations et projets, parce qu'elle suscite aussi des espoirs, autrement dit parce qu'elle est révélatrice de choix politiques qui engagent l'avenir du champ qu'elle balise, une loi d'orientation est toujours très attendue.
Celle-ci l'est d'autant plus que nos forêts sont encore meurtries et portent toujours les marques des ravages infligés par les tempêtes de l'hiver dernier. Deux jours, au cours desquels des vents soufflant entre 150 et 165 kilomètres à l'heure, avec des rafales atteignant les 200 kilomètres à l'heure, auront suffi pour dévaster quelque cinq cent mille hectares de nos forêts. De mémoire d'historien, il faut remonter au xviie siècle pour trouver trace, dans les archives, de tourmentes comparables à celles qui se sont déchaînées les 26 et 27 décembre 1999.
Bien sûr, les dégâts sont considérables : arbres couchés, déracinés, troncs cassés, un total estimé à environ 44 millions de mètres cubes de chablis, uniquement en ce qui concerne les forêts publiques.
Bien sûr, toute la filière économique forestière est touchée et s'en ressent encore aujourd'hui.
Bien sûr, de nombreux petits propriétaires rencontrent des difficultés pour nettoyer et dégager les arbres abattus.
L'Etat a mis en oeuvre un plan d'urgence important du point de vue financier, qui a permis d'atténuer les effets de la tempête.
Sans négliger les soucis réels, les conséquences des tempêtes doivent aussi être l'occasion de mieux débattre de ce projet de loi, tant elles ont aussi révélé des problèmes de fond. Il ne faut pas qu'elles soient un prétexte pour revoir à la baisse les légitimes ambitions du rapport Bianco.
Au cours des opérations de déblaiement et de dégagement des forêts, quarante-huit personnes ont déjà perdu la vie et mille trois cents personnes ont été blessées. C'est beaucoup, beaucoup trop pour invoquer la seule fatalité de l'accident ! Ces morts révèlent combien le métier de forestier est dangereux.
En 1991, une étude du Bureau international du travail sur les conditions de sécurité du travail en milieu forestier plaçait en tête de liste des professions les plus dangereuses les métiers de bûcheron et d'ouvrier forestier.
Sur une vie professionnelle de quarante ans, un bûcheron sur trente décède d'un accident de travail. Le taux de fréquence et la gravité des accidents sont, par ailleurs, de deux à trois fois plus élevés que la moyenne du secteur agricole.
Certes, les métiers forestiers ont toujours été durs. Cependant, comme dans beaucoup d'autres secteurs d'activité, les conditions de travail de l'ensemble de la profession se sont nettement détériorées depuis une vingtaine d'années.
De plus en plus soumis au marché mondial, face à une forte pression concurrentielle, le secteur des produits forestiers a cherché à réduire de manière drastique ses coûts. Ici comme ailleurs, les moyens employés restent les mêmes : réduction de l'emploi - moins 3 500 emplois de 1973 à 1997 en sylviculture et dans les exploitations forestières - accroissement de la productivité et de l'intensité du travail, développement de la sous-traitance.
En vingt ans, le secteur des travaux d'exploitation forestière a connu une vague de concentrations sans précédent, au cours de laquelle le nombre des petites entreprises de six salariés ou plus aurait diminué de 45 %, tandis qu'à l'autre extrémité se développait la sous-traitance à l'égard de petits entrepreneurs devenus, de fait, indépendants.
Multiplication des formes de précarisation, accroissement de l'insécurité de l'emploi, non-respect des règles d'hygiène et de sécurité, rémunération à la tâche ou aux rendements, recours au travail clandestin, ce sont autant d'indices de cette forte détérioration des conditions de travail, résultat de la pression concurrentielle et, en réponse, de la stratégie d'externalisation des activités forestières au profit de petits entrepreneurs, souvent individuels, entamée il y a près de vingt ans.
Inégalités devant la mort, inégalités des conditions de travail, inégalités salariales... autant de réalités sociales qui chargent de sens la rhétorique de « la fracture sociale ».
Sur toutes ces questions, nos collègues députés ont pu améliorer le texte de loi discuté en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le texte est cependant encore perfectible et nous devons poursuivre le travail entamé, notamment en ce qui concerne la reconnaissance du caractère dangereux des professions forestières et les dispositions auxquelles cette même reconnaissance devrait aboutir, que ce soit au travers des conventions collectives ou par la force de la loi.
L'amélioration des conditions de travail, la formation et l'élévation de la qualification sont autant de facteurs qui contribuent à la diminution des risques d'accident. Elles sont aussi des éléments de la compétitivité des firmes, que le projet de loi d'orientation dont nous examinons aujourd'hui le contenu semble vouloir privilégier.
Il est anormal de voir des ouvriers forestiers travailler seuls, souvent avec du matériel obsolète ou inadapté. L'utilisation d'appareils thermiques à vapeurs cancérigènes doit immédiatement être interdite, des carburants beaucoup moins toxiques existant. A l'ONF, un ouvrier forestier s'occupe en moyenne de mille hectares de forêt et perçoit 7 200 francs par mois avec vingt-deux ans d'ancienneté. Ces deux chiffres montrent l'ampleur et l'urgence des mesures à prendre.
Plus précisément, le présent projet de loi est dominé par deux principales préoccupations : d'une part, inscrire le droit français dans la problématique du droit international de l'environnement en voie de constitution et, d'autre part, valoriser le potentiel économique de la forêt.
La première de ces préoccupations, si elle ne vise pas simplement à s'inscrire opportunément dans l'air du temps, est honorable.
Parce qu'elle est présupposée jouer de multiples rôles en matière de préservation de l'environnement - lutte contre l'effet de serre, régulation du régime des eaux, avec notamment un effet modérateur sur les crues, préservation des sols contre l'érosion, réduction des risques d'avalanches et des glissements de terrains, fixation des dunes le long des côtes - la forêt doit être protégée et préservée. Ainsi, les récentes inondations en Bretagne mettent en évidence l'urgence à encourager les plantations linéaires - talus, haies - et les plantations en bordure des cours d'eau parmi les autres mesures nécessaires.
Dérivée du concept de développement durable et issue du sommet européen d'Helsinki en juin 1993, la notion de gestion durable qui scande, de manière presque incantatoire, le texte de projet de loi, vise l'application même de ce principe de préservation. Elle inclut notamment les missions d'intérêt général et de service public que la forêt a pour vocation d'assumer.
La seconde de ces préoccupations, si elle rend compte d'un réel volontarisme politique, est essentielle pour la dynamique économique d'ensemble.
Même si l'on estime à environ 200 000 le nombre d'emplois perdus depuis le début des années soixante-dix, le secteur forêt-bois représente encore aujourd'hui 500 000 emplois, dont plus de la moitié, 260 000, sont des emplois industriels.
En favorisant le développement de la trifonctionnalité de la forêt, à savoir sa fonction économique de production et de transformation du bois qu'assume la filière industrielle, sa fonction sociale - accueil du public, loisirs, sports - et sa fonction environnementale - préservation et développement du patrimoine écologique - il est possible de créer 100 000 emplois, objectif que se fixait Jean-Louis Bianco dans son rapport La forêt, une chance pour la France.
Il soulignait cependant qu'un tel objectif supposait « des financements, une stratégie et des outils de mise en oeuvre ». Et il poursuivait : « La France consacre à la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que des pays européens comparables. Aucune recommandation de ce rapport ne sera efficace sans un investissement supplémentaire de 1 milliard de francs par an, qui nous laissera encore loin derrière des pays comme l'Allemagne ou la Suisse. »
Afin de valoriser le potentiel économique de la forêt, le texte du projet de loi prévoit un certain nombre de mesures pour y remédier. Je rappellerai les cinq principales d'entre elles.
La première mesure concerne la mise en place de chartes de territoire forestier qui, en encourageant le regroupement des propriétaires, permettent de lutter contre le morcellement de la forêt. Comparées à celles des grands producteurs européens de bois et papier, les surfaces boisées détenues par les firmes françaises de transformation sont très faibles : de l'ordre de 50 000 hectares, contre 5,7 millions d'hectares en Suède et 1,8 million d'hectares en Finlande.
Notre forêt souffre de cet éclatement puisque environ 4 millions de petits propriétaires possèdent chacun moins de 5 hectares. A titre d'exemple, les 563 000 hectares de notre forêt limousine sont morcelés en quelque 150 000 petits propriétaires.
Il est difficle d'exploiter de manière économiquement cohérente une telle dispersion de l'offre. A cet égard, le conseil général du Limousin faisait remarquer que « de nombreux propriétaires, toujours plus urbains et de plus en plus éloignés de leur propriété, se désintéressent progressivement de leur forêt. Ils y investissent de moins en moins, pratiquant aux mieux une sylviculture laxiste ».
La deuxième mesure a trait à la modernisation du mode de ventes de l'ONF, notamment les ventes de gré à gré et les contrats d'approvisionnements pluriannuels, qui, en assurant des débouchés plus réguliers aux professionnels et en favorisant le regroupement des scieries, est aussi un facteur d'une meilleure organisation de la production, donc a priori de la compétitivité.
La troisième mesure est relative au principe de certification du bois : un label de qualité, voire un « écolabel », devrait permettre d'accroître les débouchés de nos forêts. Encore faut-il que cette disposition d'ordre commercial ne se traduise pas par une hausse des prix, qui serait contradictoire avec l'effet recherché. Certaines professions, la tonnellerie, par exemple, le redoutent. Restons vigilants, d'autant que la visée commerciale doit être assortie d'un réel effort de valorisation du potentiel productif et économique pour avoir une véritable efficacité en matière de concurrence.
La quatrième mesure concerne un assortiment de dispositions d'incitation fiscale, qui devraient permettre de favoriser l'investissement forestier.
Enfin, cinquièmement, à ces mesures, s'ajoute le principe de la création d'un dispositif financier destiné également à favoriser l'investissement. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion des articles.
Ces mesures suffiront-elles à impulser une véritable dynamique de l'emploi tout au long d'une filière riche en gisements d'emploi ?
Au niveau des activités les plus en amont, une étude du service des statistiques industrielles du secrétariat d'Etat à l'industrie, le SESSI, notait : « Les enjeux actuels de la sylviculture et de l'exploitation forestière forment un tronc commun en amont, dont la nature, le fonctionnement et la production sont caractéristiques d'une activité agricole plutôt qu'industrielle, mais dont les enjeux actuels peuvent s'analyser en termes d'industrialisation. »
Toute industrialisation, par les effets d'entraînement qu'elle implique dans la filière et sur les autres secteurs d'activité est potentiellement génératrice d'emplois. Elle peut se réaliser tout en respectant l'environnement, selon le principe de la gestion durable.
Depuis quelques années, en effet, il semble bien que les orientations données par les Etats lors de conférences internationales sur l'environnement, à Rio en 1992, à Kyoto en 1997, aient été jugées suffisamment crédibles par les firmes industrielles pour que celles-ci intègrent les normes environnementales dans leur compétitivité. Une part de plus en plus importante de l'investissement dans l'industrie papetière est ainsi consacrée aux équipements visant à réduire les pollutions : traitements des eaux rejetées, des odeurs, et autres nuisances.
Espérons que le revirement actuel du président Bush ne se traduira pas par un relâchement des efforts de l'industrie visant à intégrer les dommages causés à l'environnement dans ses coûts.
Notre industrie papetière est actuellement dominée par de grandes firmes qui réalisent à elle seules plus de 40 % du chiffre d'affaires et plus des deux tiers des exportations. Malgré le redressement du taux de couverture, le secteur est marqué par un déficit commercial pérenne.
Au cours des années quatre-vingt-dix, notre industrie papetière, faiblement intégrée, s'approvisionnant en pâte à l'extérieur, a subi de plein fouet les dérèglements monétaires.
Proie des producteurs nord-américains, le marché européen est vite devenu le terrain d'affrontement des grands groupes papetiers : dévaluation compétitive, rationalisation de la production, concentration du capital, course à la taille critique, avec, à la clé, des milliers de suppressions d'emploi.
En l'absence de coordination monétaire internationale et de volonté politique européenne, les prix, désormais soumis aux fluctuations incontrôlées de l'offre et de la demande, auxquelles s'ajoutent les mouvements déréglés du dollar, fragilisent fortement les productions non intégrées de pâte et de papier-carton, dont les résultats fluctuent selon les mouvements d'humeur du marché.
La zone euro ne réglera pas les problèmes si le prix de la pâte demeure fixé en dollars sur le marché mondial et non en euros, l'euro assumant véritablement le rôle de monnaie commune pour la facturation des transactions internationales.
Après avoir abordé les dimensions économiques, j'en viens aux fonctions sociales et environnementales, autrement dit à tout ce qui relève, de près ou de loin, de missions d'intérêt général.
Au premier rang de ces missions figure l'accueil du public en forêt. L'accès et la fréquentation du public doivent, certes, être réglementés. Mais notre forêt doit aussi être le plus possible ouverte, sans que se multiplient, sous des prétextes divers, les zones réservées, interdites au public.
Un équilibre doit être trouvé entre les préoccupations environnementales et l'accessibilité de nos forêts. Le public y sera particulièrement sensible. Aujourd'hui, en théorie, il y a 2 600 mètres carrés de forêt par habitant en France, contre 3 000 mètres carrés sur le continent européen.
Cela suppose qu'un effort particulier soit mené afin d'assurer la protection des milieux les plus vulnérables du point de vue de l'écosystème, mais aussi en faveur de l'aménagement, de la mise en valeur des multiples activités que peuvent offrir nos forêts.
A cet égard, le projet de loi prévoit que des conventions entre collectivités locales et propriétaires soient conclues. Là encore, il revient à l'Etat de participer financiërement à ces missions d'intérêt général, que les collectivités locales et les propriétaires ne peuvent assumer seuls.
Prendre en compte notre patrimoine forestier dans ses aspects particuliers, spécifiques, telle la forêt méditerranéenne, qui est de faible rentabilité mais qui joue un rôle important en matière environnementale et touristique, participe aussi des missions d'intérêt général.
A cet égard, le rôle de l'ONF est fondamental. Jean-Louis Bianco soulignait d'ailleurs qu'il fallait que « l'Etat fasse un effort significatif pour que l'ONF puisse tenir convenablement ses missions de service public. On ne pourra pas affirmer prendre au sérieux ce projet, sans y mettre davantage de moyens... Ce sera un des meilleurs investissements que l'Etat fera pour l'emploi. » Et il ajoutait, comme en écho au principe du pollueur-payeur, qu'en matière d'environnement et d'emploi le principe du prescripteur-payeur devait aussi s'appliquer.
Chacun connaît les difficultés financières actuelles de l'ONF, qui résultent en partie des tempêtes - je signale au passage que l'Union européenne n'a pas consenti d'aides financières d'urgence à la France.
En gérant plus de 30 % des surfaces forestières, l'ONF a un rôle essentiel à jouer en matière de gestion durable de nos forêts, ce qui implique de repenser toute la politique de recrutement, en inversant, notamment, la courbe descendante des emplois stables, ce qui relèverait du volontarisme politique que réclamait Jean-Louis Bianco.
Mes chers collègues, la forêt française a pratiquement doublé au cours des deux derniers siècles ; l'augmentation des rendements agricoles a encouragé la reconquête de terres marginales. Chacun d'entre nous pourrait se réjouir, au plan économique et écologique, de cette augmentation spectaculaire. La réalité est différente, nous le savons tous : le morcellement extrême de la forêt française ne facilite pas son exploitation optimale, loin s'en faut. Les opérations de remembrement agricole ont sérieusement modifié les conditions de retenue et d'écoulement des eaux de pluie.
Il convient donc aujourd'hui d'être particulièrement ambitieux à l'égard de la forêt afin de faire se rejoindre, demain, le rêve et la réalité : le rêve de toutes celles et de tous ceux qui y trouveront le calme, l'air pur et le repos nécessaire et la réalité d'une économie du bois dynamique autour d'un matériau durable et vivant, renouvelable à l'infini.
Je manquerai de temps pour évoquer l'aspect mondial de l'exploitation forestière, qui illustre pourtant bien le pillage éhonté qui se poursuit, mettant en péril les grands équilibres écologiques et climatiques de notre planète.
La loi d'orientation agricole montre déjà ses premiers effets positifs tant en matière environnementale que sanitaire. Demain, la loi d'orientation sur la forêt peut également apporter beaucoup d'espoir. Le groupe communiste républicain et citoyen entend bien s'investir dans son élaboration pour lui donner toutes ses chances de succès. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Etonnant parallèle, dont nous nous réjouissons déjà, que celui que nous pouvons établir entre la loi d'orientation agricole et le projet de loi d'orientation forestière que vous nous soumettez aujourd'hui, monsieur le ministre.
Il est étonnant, tout d'abord, si l'on essaie de mesurer à quel point ce texte était attendu par l'ensemble du monde forestier.
Avec la loi de 1985, on s'était efforcée d'améliorer la protection de la forêt, de favoriser sa mise en valeur, par des déclinaisons régionales, la protection des salariés travaillant en forêt, et de mieux organiser l'espace agricole et forestier. Il aura donc fallu attendre la présente législature et la volonté clairement affichée de M. le Premier ministre de donner une place particulière et nouvelle à la forêt, en annonçant qu'un projet de loi serait présenté - un texte spécifique mais global - à l'issue d'une concertation nationale.
Cette intention avait été réaffirmée par vous-même, monsieur le ministre, en particulier lors des débats sur la loi d'orientation agricole.
Un travail colossal de consultation a été mené sur l'ensemble du territoire par notre collègue Jean-Louis Bianco. Le présent projet de loi s'inspire plus que largement de ce travail. Et, étant donné l'unanimité qu'avait suscitée son rapport, nous ne pouvons qu'être certains, monsieur le ministre, que ce projet de loi en suscitera autant !... En tout cas, il faut l'espérer.
Les modifications structurelles, proposées dans ce projet de loi sont de nature, sur le moyen terme, à éviter des ravages aussi dévastateurs que ceux que nous avons connus à la fin de 1999.
Le second parallèle que je voudrais établir avec la loi d'orientation agricole est celui de la gestion durable et de la reconnaissance de la multifonctionnalité de la forêt. Ce texte s'efforce de développer ces caractéristiques.
L'importance de la forêt est trop méconnue. Pourtant, elle joue un rôle dans la purification de l'eau, dans le processus de lutte contre l'effet de serre. Elle joue aussi un rôle social.
Pendant trop longtemps, la forêt n'a revêtu qu'une fonction de production, tout comme l'agriculture. La filière bois constituait l'une de nos filières économiques ayant une activité forte, mobilisant plus de 550 000 personnes, mais « noyée » parmi les autres et mal connue.
Il faut évidemment conforter cette activité, la développer. C'est d'ailleurs ce qui est prévu avec le titre II du projet de loi, qui vise à favorier la compétitivité de la filière bois-forêt en proposant des instruments comme la certification ou la création d'un plan d'épargne « forêt », dont l'objet est de financer les investissements forestiers. Je proposerai à cet égard un amendement visant à élargir le champ d'action de ce fonds.
Mais, tout comme l'agriculture, la forêt a, peu à peu, au fil du temps, rempli des fonctions sociales, environnementales, et a constitué, petit à petit, un élément essentiel au maintien des grands équilibres de notre société.
En un mot - puisqu'il en existe un dorénavant - elle est devenue « multifonctionnelle ».
Cet aspect n'était ni reconnu, ni valorisé, ni pris en compte. Aujourd'hui, la valorisation économique du patrimoine forestier va de pair avec sa valorisation écologique, et les acteurs de cette valorisation attendent une officialisation.
Pour ce faire, quel meilleur outil que les contrats ? Vous proposez donc, monsieur le ministre, de mettre en place, pour ceux qui le souhaitent, des chartes de territoire forestier, ce dont, bien sûr, nous nous réjouissons. Il convient toutefois d'en préciser les moyens.
Fruit de la concertation avec les acteurs locaux, elles définiront, pour le territoire le plus adapté et identifié, des programmes d'action pluriannuels et institueront - c'est leur objet - des partenariats durables pour un développement durable.
Enfin, ce projet de loi tend à redynamiser avec ambition la forêt française. Une politique forestière cohérente et équilibrée nécessite aussi une meilleure organisation des institutions de la forêt, que ce soit l'ONF - dont les compétences sont étendues - les centres régionaux de la propriété forestière ou les chambres d'agriculture, que je ne voudrais pas oublier.
Cela permettra sans nul doute d'accentuer le lien qui est désormais établi par le présent projet de loi avec le développement des territoires.
Un amendement présenté par mon groupe précisera le degré de relation entre les CRPF, les centres régionaux de la propriété forestière et les chambres régionales d'agriculture.
Elément incontournable du développement local, de par son rôle direct ou indirect - nous avons évoqués l'un et l'autre - la forêt doit apporter sa spécificité, dans un contexte plus général de pays et de territoires.
Notre commission - et je tiens à saluer ici le travail de nos rapporteurs - revient parfois, vous le noterez, sur le texte initial du Gouvernement ; nous aurons tendance à la suivre dans bien des cas.
Comme vous le constaterez, monsieur le ministre, de nombreux amendements techniques auront notre soutien.
Le plan d'épargne « forêt » ou le centre national professionnel de la propriété forestière sont le signe d'un souci d'ouverture, de partage de responsabilité entre les pouvoirs publics et le monde professionnel privé concerné.
Quelques doutes persistent, notamment en ce qui concerne le problème des assurances en forêt, vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, il s'agit de l'article 36. Ne conviendrait-il pas de faire preuve d'une très grande prudence dans la relation avec les assureurs afin d'éviter le risque de retrait de l'assurance incendie du monde forestier ?
Par ailleurs, je veux évoquer la pression indispensable pour favoriser les groupements et éviter la dispersion des propriétaires privés. La tempête a fait apparaître ce problème au grand jour : pour les propriétaires organisés, les modalités d'indemnisation, mais aussi toutes les démarches liées à la remise en état des lieux se sont bien passées ou, pour le moins, ont été bien engagées ; en revanche, pour les propriétaires privés isolés, bien peu a pu être fait et organisé.
L'ouverture que vous présentez favorise ces groupements et, malgré quelques divisions professionnelles, que nous connaissons, vous donnez les moyens financiers aux mécanismes interprofessionnels. A eux d'en faire l'usage attendu. On ne peut que se féliciter de l'obligation nouvelle d'un débat entre professionnels.
Il reste, monsieur le ministre, une sorte d'imprécision sur la gestion de la forêt des DOM, mais aussi sur le régime réservé à l'ONF, plus particulièrement sur son équilibre financier. Je souhaiterais que vous puissiez nous apporter quelques garanties sur ces différents points.
Enfin, je vous demanderai de m'éclairer sur deux ou trois aspects, équivoques à mes yeux.
Premièrement, dans l'optique du débat relatif au statut de la Corse, ou du moins à son évolution, qu'en est-il de la forêt domaniale transférée au domaine communal, et quelle incidence cette question aura-t-elle pour le reste du territoire ? N'y a-t-il pas là un risque de démembrement de la propriété forestière ?
Deuxièmement, la taxe sur le défrichement, dont la suppression avait été inscrite dans la loi de finances pour 2000, avec effet au 1er janvier 2001, a été rétablie par l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen du présent projet de la loi d'orientation sur la forêt, mais nous devons prendre garde au problème de chevauchement que l'on peut actuellement constater.
Troisièmement, j'ai le sentiment qu'un trop grand nombre de décrets sont pris, ce qui me semble dommageable, sur le plan des principes, si l'on entend favoriser le développement d'une vie législative plus sereine.
Pour conclure, j'indiquerai qu'une dizaine d'amendements ont été déposés par mon groupe, qui portent notamment sur les financements, l'organisation de la profession, le Conseil supérieur de la forêt et l'équilibre sylvo-cynégétique. Parce que nous considérons que la forêt est une ressource inestimable, renouvelable mais que l'on doit préserver, parce que les hommes ont désormais acquis de l'expérience et ont la volonté tenace de la faire vivre pour en vivre et de la protéger au profit des générations futures, nous serons heureux, monsieur le ministre, de vous soutenir au cours de la discussion de ce texte porteur d'avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude réalisée par la SOFRES, en date du 29 novembre 2000, montre que 91 % des Français sont très attachés à la forêt. Cet attachement et le souci qu'ils manifestent à l'égard de la protection de leur environnement les conduisent à être très attentifs à son avenir. Dans le même temps, ils estiment que respect et exploitation de la forêt sont compatibles.
Plus d'une année après les tempêtes de décembre 1999, qui, en trois jours et en deux vagues successives, ont balayé la France et une partie de l'Europe, cette étude définit parfaitement les enjeux auxquels les gestionnaires de la forêt française sont aujourd'hui confrontés. Des chablis à ne savoir qu'en faire, avec 145 millions de mètres cubes de bois tombés, arrachés, fracassés, dont une centaine pour la forêt privée et une quarantaine pour la forêt publique, soit plus de deux années d'exploitation, toutes formes de bois confondues, bois d'oeuvre pour le bâtiment, bois d'industrie pour l'ameublement ou le papier, ou encore bois de chauffage ; des ravages sans précédent pour le premier massif européen et des régions entières sous le choc ; une décote des prix importante pour l'ensemble des essences, un déficit pour la filière de près de 15 milliards de francs : la forêt française, dont la filière bois représente plus de 550 000 emplois, se prépare en effet à un avenir économique et écologique difficile.
Devant ce désastre, le Sénat a proposé dès le 11 janvier 2000, je tiens à le rappeler, sur l'initiative notamment de sa commission des finances, un certain nombre de mesures en faveur des victimes de ces tempêtes.
Il s'agissait ainsi d'accélérer les remboursements du fonds de coopération de la TVA au profit des collectivités locales concernées, de prévoir l'attribution à ces dernières, par la Caisse des dépôts et consignations, de prêts-relais, en attendant le versement d'aides ou de prêts bonifiés, et d'appliquer le taux réduit de 5,5 % pour la TVA affectant les travaux nécessaires au déblaiement, à l'exploitation et à la reconstitution des forêts.
Ont été également proposées des mesures fiscales se traduisant, en particulier, par un dégrèvement exceptionnel au titre de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour 1999, par l'instauration d'un mécanisme de déduction du revenu foncier des charges exceptionnelles entraînées par les tempêtes et, enfin, par une exemption des droits d'enregistrement sur la première mutation pour les biens forestiers, cela afin de relancer l'investissement.
Certaines de ces mesures ont été reprises par le Gouvernement à l'occasion de l'annonce du plan national pour la forêt française, notamment la réduction à 5,5 % du taux de la TVA sur les travaux forestiers et l'accélération des remboursements du fonds de compensation de la TVA pour les communes sinistrées.
Cependant, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui est insuffisant, en raison, en particulier, de l'absence d'un volet économique et fiscal.
Comme l'ont très bien souligné nos collègues Philippe François, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et Roland du Luart, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances, ce projet de loi d'orientation sur la forêt ne prévoit pas de moyens financiers suffisants, de dispositifs en faveur de l'investissement forestier et de mécanisme de mutualisation des risques propres à la forêt.
Il présente, en outre, des excès en matière de réglementation et de contraintes administratives, et je pense notamment ici aux garanties ou aux présomptions de garantie de « gestion durable » qu'il faut apporter afin de bénéficier des aides publiques, ou encore à l'alourdissement sensible des sanctions encourues, s'agissant en particulier de la multiplication par cinq du montant maximal de l'amende devant être acquittée en cas de coupe abusive, qui pourrait désormais atteindre jusqu'à 1 million de francs.
Pis encore, il prévoit la création d'associations foncières de gestion forestière, au profit desquelles les propriétaires non identifiés de parcelles vacantes seront réputés avoir renoncé à leur bien, ce qui constitue une atteinte flagrante au droit de propriété.
Les dispositions de ce projet de loi sont donc très en deçà des ambitions affichées dans le rapport de M. Jean-Louis Bianco, remis au Premier ministre en août 1998 et qui préconise notamment « la mise en place d'une fiscalité mieux adaptée pour favoriser l'emploi, accroître la compétitivité, faciliter les restructurations forestières », ou qui met l'accent sur « la nécessité de créer un plan d'épargne-forêt doté d'avantages fiscaux qui le rendent attractif ». Ce rapport recommande en outre « la création d'un établissement financier pour favoriser l'investissement dans la filière bois et pour permettre l'accroissement des fonds propres des PME dans ce secteur », ainsi que « la mise en place des outils de capital-risque et d'investissement de l'épargne de proximité ». Qu'en est-il de ces propositions ambitieuses ?
S'agissant de la défense de l'environnement, ce projet de loi présente aussi des carences.
En effet, alors que la protection des paysages est devenue un élément essentiel de notre vie sociale, la déprime agricole et l'exode rural ont, en amenant une réduction du nombre des exploitants, conduit beaucoup de propriétaires de parcelles à planter celles-ci en forêt sans tenir compte des conséquences de telles plantations pour l'écosystème. Il en est résulté des phénomènes d'enclavement visuel et de fermeture de certains fonds de vallée, d'acidification des sols, voire d'altération de la qualité des eaux de certains cours d'eau. C'est un problème qui nous préoccupe beaucoup dans les Vosges, monsieur le ministre.
Les tempêtes de décembre 1999 ont malheureusement mis en exergue ces phénomènes. Dans les vallées vosgiennes, par exemple, des peuplements complets d'épicéas ont obstrué totalement les cours d'eau, l'empilement des grumes pouvant, dans certains cas, atteindre sept mètres de hauteur sur plusieurs kilomètres de distance. Par ailleurs, la destruction des berges, consécutive au soulèvement des plateaux racinaires, a parfois conduit au déplacement du lit mineur des rivières.
Or la législation en vigueur, très limitée, ne permet pas de prévenir efficacement de telles plantations abusives. En effet, les mesures d'interdiction complète sont lourdes à mettre en oeuvre au regard de leur durée d'application, qui est de six ans, et ne sont que rarement appliquées par le préfet. Quant aux demandes d'autorisation de boiser, leur acceptation est seulement subordonnée à l'existence d'agriculteurs candidats à l'exploitation des parcelles concernées. Les conséquences des tempêtes de décembre 1999 ont montré les lacunes de la réglementation en la matière.
Enfin, en cas de boisements irréguliers, les maires sont souvent réticents à constater les infractions. Lorsque le boisement devient vraiment gênant, les délais de prescription, qui sont de six ans, ne permettent plus la mise en demeure ni d'éventuelles poursuites.
Afin de remédier à cette inefficacité et aux rigidités constatées, je souhaite en particulier, conformément à l'esprit des lois de décentralisation, que soit accordé aux communes un moyen supplémentaire de maîtrise de leur sol.
Je propose ainsi, par le biais d'un amendement visant à compléter l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme, d'ouvrir aux communes, dans l'optique de l'élaboration des plans d'occupation des sols, rebaptisés « plans locaux d'urbanisme » par la récente « loi Gayssot », la possibilité de déterminer des zones « non forestées », de même qu'il existe des zones non constructibles. Il appartiendrait ensuite au pouvoir réglementaire d'en préciser le régime. Dans ce cadre, la sanction serait la même que celle qui est actuellement fixée à l'article L. 126-1 du code rural. Quant aux communes non dotées d'un plan local d'urbanisme, elles pourraient toujours recourir aux dispositions de ce même article du code rural, la législation actuelle pouvant continuer à s'appliquer.
Je proposerai aussi d'instaurer une distance minimale de huit mètres, de chaque côté des routes et des berges, afin de définir des espaces préservés des désordres occasionnés par les plantations, notamment de résineux. En laissant des plateaux racinaires de plus de cinq mètres de hauteur le long des routes et des berges, les tempêtes de décembre 1999 ont, en effet, montré l'insuffisance de la bande de quatre mètres regagnée sur l'initiative des collectivités locales.
Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite affirmer que la reconnaissance de la forêt ne pourra être obtenue sans un immense travail collectif. A cet égard, l'examen de ce texte est l'occasion, pour le Sénat et le Gouvernement, en dehors de tout esprit partisan et des clivages politiques, de proposer à tous les acteurs concernés une véritable loi d'orientation offrant une vision claire de l'état et des besoins de la forêt française, qu'elle soit domaniale, communale ou privée. La forêt française s'est construit des marchés, elle peut et doit, aujourd'hui, se reconstruire un avenir. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze mois après les deux grandes tempêtes qui ont balayé une partie de l'Europe et de notre pays, les plaies sont encore à vif.
Avec près de 140 millions de mètres cubes de bois au sol, soit plus de quatre années de récolte jetées sur le marché en quelques heures, ce fut une catastrophe économique et écologique sans précédent. Des arbres séculaires arrachés, des paysages défigurés sont les stigmates les plus spectaculaires d'un patrimoine dégradé pour des décennies. En outre, des chablis ont commencé à pourrir, la faune et le gibier ont été malmenés, des voies d'accès restent impraticables, certaines se révélant encore dangereuses du fait de leur instabilité.
Enfin, ce fut un traumatisme profond pour la population de notre pays. En effet, certains ont tout perdu, tandis que, dans l'inconscient collectif, la forêt est un bien commun ancestral, et pour beaucoup une valeur à long terme, transmise de génération en génération et qui constitue, avant tout, notre ballon d'oxygène.
Le plan national d'urgence pour la forêt, arrêté le 12 janvier 2000, avait prévu la déduction fiscale des charges exceptionnelles d'exploitation des bois sinistrés par les tempêtes, mais si l'instruction de la direction générale des impôts a enfin paru le 18 janvier dernier, les dispositions qu'elle contient ne peuvent en aucun cas nous satisfaire et se révèlent plutôt décevantes. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste soutiendra les amendements présentés par notre collègue Roland du Luart, rapporteur pour avis de la commission des finances, notamment celui qui vise à autoriser la déduction des charges exceptionnelles de l'ensemble du revenu et à permettre le report de ce droit à déduction sur dix ans.
Je représente le département de la Haute-Savoie, et vous ne serez donc pas étonnés, mes chers collègues, de m'entendre défendre essentiellement ici la forêt de montagne. La forêt de Haute-Savoie, et de montagne en général, a tout d'abord une précieuse fonction de protection. Elle joue souvent un rôle de contention et de limitation de différents phénomènes naturels : érosion torrentielle, glissements de terrain, avalanches, chutes de blocs rocheux. Mais notre forêt remplit aussi une fonction de préservation du milieu naturel, puisqu'elle abrite de nombreuses espèces végétales et animales, constituant ainsi une réserve biologique. Elle a, en outre, une fonction sociale, puisqu'elle constitue, intra-muros, un site d'accueil pour différents utilisateurs et participe, extra-muros, à la qualité du paysage et du cadre de vie. Elle remplit enfin, ne l'oublions pas, une fonction économique pour les entreprises et les collectivités.
Néanmoins, cette forêt souffre du handicap « montagne », comme l'agriculture.
L'exploitation forestière en montagne est en effet difficile et donc coûteuse. Elle exige le plus souvent la mise en oeuvre de techniques particulières et se trouve confrontée à une âpre concurrence, puisque les cours du bois sont fixés à l'échelon mondial.
Par ailleurs, elle est soumise aux conditions climatiques montagnardes, qui se caractérisent par une saison de végétation relativement courte.
Enfin, cette forêt de montagne est tributaire d'un morcellement très pénalisant, déjà évoqué par la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune.
La forêt de Haute-Savoie, pour presque les deux tiers de sa surface, est privée. Cette forêt privée couvre un peu plus de 100 000 hectares et appartient à plus de 100 000 propriétaires, dont 97 % possèdent une surface de moins de quatre hectares, le plus souvent divisée en plusieurs parcelles.
Face à cette situation, les communes acceptent parfois de se porter maître d'ouvrage de projets de desserte structurants en forêt privée. Il importe d'encourager ces communes en facilitant les conditions de passage des projets sur les parcelles d'éventuels propriétaires récalcitrants. Aussi la future loi forestière pourrait-elle prévoir la possibilité, pour les collectivités, d'instaurer une servitude de passage pour l'exploitation forestière et pastorale du type de la servitude créée pour l'exploitation des domaines skiables, telle que prévue par l'article 53 de la loi « montagne » du 9 janvier 1985.
Le maniement des « associations syndicales » s'avère lourd. Les dispositions de l'article L. 151-36 du code rural ne prévoient pas les conditions d'utilisation futures de l'ouvrage après réalisation. Ces mesures seraient ainsi utilement complétées.
C'est la raison pour laquelle quelques membres du groupe de l'Union centriste représentants des régions de montagne, dont je fais partie, proposeront un amendement dans ce sens.
En forêt de montagne, l'accroissement de la récolte de bois passe bien sûr par une amélioration et par une densification de la desserte de l'exploitation forestière.
L'amélioration et la densification des pistes et des routes favorisent de plus un traitement irrégulier des peuplements permettant le maintien d'un couvert forestier permanent très intéressant pour ces zones d'altitude. Mais cette amélioration et cette densification se heurtent trop souvent à l'extrême morcellement, déjà cité, de la forêt privée.
En effet, alors que les perspectives d'exploitation à court et à moyen terme sont favorables, le nécessaire aménagement préalable de pistes forestières comme l'éclaircissement de la forêt existante destiné à améliorer les conditions de croissance des jeunes abres sont entravés par le morcellement de la propriété, principal obstacle à la réalisation des travaux. Les parcelles sont de très petite dimension, mal ou pas délimitées, ce qui impose de les regrouper et d'en préciser les limites.
Or les frais d'acte notarié et de géomètre sont tels qu'ils retirent toute rentabilité à l'opération. Ils sont même, pour certaines parcelles, supérieurs au produit qui peut être espéré des coupes qui seront effectuées lorsque les travaux auront été réalisés. Le montant des frais représente aujourd'hui un coût forfaitaire minimal de 2 500 francs. Cela constitue, dans les secteurs morcelés, un handicap lourd à la reconstitution foncière en forêt.
Les propriétaires privés demandent donc qu'une subvention puisse être versée aux propriétaires acceptant l'échange de leurs parcelles et que ce dispositif soit éventuellement accompagné d'une réduction des droits de mutation.
Je me permets de vous suggérer, monsieur le ministre, l'inscription de ces dispositions dans la loi, et je présenterai, en conséquence, un amendement en ce sens.
Plusieurs actions permettraient d'améliorer cette situation.
Il s'agirait tout d'abord de justifier les procédures administratives au moment de la rédaction d'un acte notarié avec, par exemple, une dispense des procédures d'autorisation liées à l'urbanisme et aux diverses préemptions possibles dans les secteurs à vocation forestière affirmée.
Il s'agirait ensuite de réduire les frais administratifs liés à la rédaction d'un acte notarié.
Il s'agirait enfin de compenser financièrement le coût forfaitaire d'un acte dans le cas de l'acquisition, par un propriétaire, de parcelles voisines, cette compensation pouvant être calquée sur le principe des aides existantes en matière d'échanges de parcelles rurales.
Si la forêt de montagne a un rôle spécifique et irremplaçable, sa progression est, pour certains massifs, la source d'une double inquiétude, soit parce qu'elle est le signe apparent de la désertification, soit parce que l'absence d'exploitation et, par conséquent, d'entretien, due aussi bien à des coûts d'exploitation non compétitifs qu'à l'indifférence des propriétaires, en général parce que la superficie qu'ils possèdent est modeste ou bien parce qu'ils n'habitent plus à proximité, conduit à un étouffement des forêts qui les rend moins pénétrables et moins sûres et ne leur permet plus d'assurer leur rôle de prévention des risques naturels.
Le projet de loi d'orientation doit donc reconnaître la place particulière qu'occupe la forêt de montagne dans la forêt française et, plus généralement, pour l'équilibre du territoire national, tout comme la loi d'orientation agricole avait, en 1999, rappelé et reconnu le rôle spécifique de l'agriculture de montagne.
La reconnaissance du handicap doit s'accompagner d'un droit à l'exploitation, justifié non seulement par l'équité mais aussi par des causes d'ordre public. Il doit donc exister des chartes de territoires forestiers au même titre qu'il existe des contrats territoriaux d'exploitation « montagne », si possible en en inscrivant le principe dans la loi, ce qui n'a pas été le cas pour les CTE.
Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, je présenterai un certain nombre d'amendements, avec mes collègues du groupe « montagne ». Nous souhaitons ainsi affirmer le principe que la politique forestière comprend, parmi ses objectifs, de maintenir la forêt dans les territoires fragiles soumis à l'érosion ou aux risques naturels, c'est-à-dire en montagne et en zone méditerranéenne, d'assurer une durée suffisante - trois ans minimum - aux charges de territoire forestier, les CTF, de définir les CTF spécifiquement montagne, de faire des CTF un contrat bilatéral entre Etat et propriétaire auquel peuvent adhérer les autres acteurs de la filière, de mieux garantir le droit de propriété contre le délaissement dans le cadre des associations foncières forestières au profit des copropriétaires ne pouvant être identifiés, enfin, de maintenir la dimension pastorale du service de restauration des terrains en montagne.
Pour conclure, je dirai que le projet de loi d'orientation recouvre de très importants enjeux pour la forêt de montagne, qu'il nous appartient de maîtriser en tirant les enseignements de la tempête de 1999 et en introduisant dans le texte les mesures adaptées contenues dans les excellentes propositions de nos rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, ainsi que dans les amendements qui seront soumis à notre Haute Assemblée aussi bien par le groupe de l'Union centriste que par notre groupe « montagne ». (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Pintat, premier représentant de la forêt landaise ! (Sourires.)
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les attentes suscitées par le rapport Bianco et le passage dévastateur de l'ouragan du mois de décembre 1999, le dispositif du projet de loi d'orientation forestière ne pouvait que décevoir.
La forêt française méritait un projet plus ambitieux. Aujourd'hui plus qu'hier, ses acteurs sont confrontés à de lourdes contraintes attachées à la mondialisation des marchés, à la montée en puissance des préoccupations environnementales, à la concurrence des matériaux autres que le bois et, dernièrement, à la reconstitution des principaux massifs forestiers.
Vouloir développer une gestion durable prenant en compte la multifonctionnalité de la forêt est, certes, un objectif louable, mais nous sommes loin, très loin, des besoins de la forêt française, qu'elle soit domaniale, communale ou privée.
En effet, si nous sommes tous d'accord pour admettre que la forêt est une culture importante et d'avenir pour notre pays, il faut donner à ses acteurs les moyens et les financements nécessaires à sa bonne gestion.
Or, monsieur le ministre, vous vous êtes contenté de déclarations de principe qui ne sont assorties d'aucune mesure positive ni d'aucun financement.
C'est ainsi qu'à l'exigence de valorisation économique de la forêt vous répondez par un accroissement de charges sans lever l'ambiguïté sur sa fonction première de production ni encourager sa compétitivité économique.
Bien sûr, vous assouplissez les modes de vente de l'Office national des forêts, mais la liberté pour les sylviculteurs d'exploiter leur patrimoine, disputée de plus en plus au titre de la protection de l'environnement, se réduit au fil des articles à une « peau de chagrin ».
Ainsi, il n'est fait aucune référence à la notion de rentabilité, élément clé de la gestion des forêts privées, qui représentent - dois-je le rappeler - les deux tiers des massifs français et, en Aquitaine, 94 % de la surface forestière.
Il conviendrait que, à ce titre, les propriétaires privés soient mieux représentés, notamment auprès de la commission régionale de la forêt et des produits forestiers. Je reviendrai sur ce point à l'occasion d'un amendement.
Pourtant, le rôle économique de la forêt a été largement reconnu par les accords d'Helsinki. En effet, elle génère 7 000 emplois permanents sur le massif des Landes de Gascogne, pour un chiffre d'affaires de 17 milliards de francs.
Enfin, l'absence de toute notion de rentabilité est d'autant plus fâcheuse qu'elle intervient au moment où vous voudriez que les obligations, donc les charges, augmentent au nom de la multifonctionnalité. Et celles-ci sont légion : obligation de défricher, de reboiser, d'accueillir le public en forêt, de préserver les grands équilibres naturels de la faune et de la flore. Ce sont autant de charges de gestion supplémentaires qui nuisent à la compétitivité de ces entreprises, seules appelées à les financer.
Pour ce qui est de la prise en compte des besoins spécifiques de la forêt, les solutions sont connues mais elles sont soit repoussées soit abordées de manière incomplète.
Pourtant, l'état de nos forêts exige plus que jamais l'adoption de mesures incitatives pour limiter la division du foncier, drainer l'investissement vers les entreprises forestières, renforcer la couverture des risques subis par le bois, conforter l'organisation interprofessionnelle. Il me semble que nous en sommes loin !
S'agissant de l'épargne nécessaire pour créer la ressource financière destinée au financement de la sylviculture - je veux parler du plan épargne forêt -, vous avez demandé à votre majorité de préférer un amendement de repli car « la solution technique n'était toujours pas trouvée ».
Neuf mois ont passé. Le lancement d'un fonds commun de placement serait évoqué.
Je suis personnellement étonné par une telle proposition qui, dans les années quatre-vingt, a fait la preuve de son inefficacité. Elle n'a débouché que sur des placements spéculatifs tout à fait étrangers au besoin d'investissement à long terme des acteurs forestiers.
Ainsi, monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l'état de la réflexion du groupe de travail mis en place sur cette question et nous rassurer sur votre détermination à inscrire cette mesure capitale - c'est-à-dire le plan d'épargne forêt - dans le corps du texte qui nous intéresse aujourd'hui ?
S'agissant de la garantie des récoltes, la seule concession obtenue est l'inscription d'un rapport du Gouvernement sur la création possible d'un fonds national de garantie.
Pour les sylviculteurs qui assument seuls les risques d'une culture obligatoire pour le plus grand profit de la collectivité, la mesure semble bien mince.
S'agissant enfin de la lutte contre le morcellement foncier, la seule mesure retenue consiste à limiter le bénéfice des aides publiques aux propriétaires qui s'engagent à ne pas démembrer leur propriété. Bien sûr, en d'autres débat, nous avons fini par obtenir des mesures d'allégement des charges sur les droits de mutation. Je vous proposerai d'ailleurs d'étendre ce dispositif. Mais n'aurait-il pas été plus efficace d'assortir l'obligation de non-démembrement d'une exonération des droits de succession en ligne directe ? Une telle mesure aurait été immédiatement suivie d'effet.
S'agissant enfin du renforcement de l'organisation interprofessionnelle, si l'ensemble des acteurs de la filière bois appelle de leurs voeux l'interprofession, ces accords ne sauraient aboutir à une intégration autoritaire et porter atteinte aux particularités de certains massifs, notamment celui du sud-ouest, où il existe déjà une interprofession.
L'article L. 632-1 du code rural, cité à l'article 11 du projet, ne renvoie-t-il pas à l'article L. 632-6 du même code, qui permet de lever les contributions volontaires ? Des craintes existent donc à ce sujet qu'il conviendrait de lever.
En effet, la forêt française n'est pas une entité indistincte : chacun de ses massifs est spécifique et dispose d'outils qui lui sont propres.
Ainsi en va-t-il de la politique de prévention contre le feu en Aquitaine, où tous les propriétaires ont mutualisé ce risque, en acceptant de verser une taxe annuelle, appelée taxe DFCI - défense de la forêt contre l'incendie - à une association syndicale pour gérer et financer les travaux de défense contre l'incendie. Grâce à ce mécanisme, la protection des forêts se fait sur plus d'un million d'hectares, à un coût très économique.
Pourquoi ne pas encourager une telle politique par massif, en défiscalisant les taxes versées à cet effet par les propriétaires ?
Cette approche, en totale rupture avec le régime répressif exposé à l'article 15 de ce texte, fera l'objet d'un amendement de ma part.
Enfin et surtout, ce texte me déçoit en ce qu'il ne prend pas en compte les conséquences de la tempête. Vous m'objecterez sans doute que c'est là un élément purement conjoncturel. Mais qui, dans cette enceinte, où l'on a beaucoup cité les accords de Kyoto, osera affirmer qu'elles ne deviendront pas de plus en plus fréquentes dans notre pays ?
En Aquitaine, première région forestière de France, les bilans s'alourdissent. Nous aurons payé à la tempête un tribut de 31,6 millions de mètres cubes de pins maritimes, dont 19,5 millions en Gironde et plus précisément 10 millions en Médoc, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. Ce sont sept années de récolte qui sont définitivement perdues pour ce département.
Aucune indemnisation n'aura été consentie aux forestiers sinistrés. Les aides accordées sont allées principalement aux acheteurs, aux intermédiaires, non aux producteurs. Pourtant, avant de nettoyer et de reboiser, il faut sortir le bois des parcelles et, pour ce faire, trouver un acquéreur. L'effondrement des prix, la saturation des marchés et le bleuissement inévitable du bois ne le permettent plus.
Que dire aussi des précipitations exceptionnelles qui se sont abattues sur la France, si ce n'est qu'elles n'auront rien arrangé ?
En Médoc, il reste 7 millions de mètres cubes à terre. Ces résineux sont aujourd'hui irrémédiablement perdus. Voilà la réalité à laquelle sont confrontés les petits propriétaires privés et les communes forestières en Médoc. Pour ces dernières, d'ailleurs, la situation est particulièrement critique.
Je prendrai l'exemple évocateur de la commune d'Hourtin, qui a perdu 3 000 hectares sur ses 4 500 hectares de forêt. Ces pertes représentent plus de 20 % des recettes affectées normalement à son budget. Pourtant l'Etat n'a pas hésité à limiter l'aide au reboisement aux seules communes soumises au régime forestier. La forêt communale d'Hourtin ne l'est pas, non plus que 103 autres communes forestières en Gironde, et peut-être plus dans le département des Landes.
Monsieur le ministre, une telle position est écologiquement irresponsable et économiquement discriminatoire, car ce particularisme juridique, d'origine historique, n'a jamais exonéré les communes forestières de leurs obligations, bien au contraire.
Aussi l'amertume des maires girondins est-elle grande, car non seulement l'Etat n'accorde aucune reconnaissance à leur travail mais, finalement, il profite de leur détresse pour les soumettre.
Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il serait plus heureux de parler de cogestion plutôt que de soumission et d'envisager pour ces communes un régime plus adapté ? Par exemple, admettre que le pourcentage versé à l'ONF sur toutes les ventes de bois ne porte que sur les peuplements nouveaux et non sur ceux qui ont été plantés il y a plus de trente ans. La mise en place d'une telle péréquation permettrait de reconnaître leur travail.
Par ailleurs, il serait judicieux d'étendre la compensation fiscale décidée par l'Etat en faveur des communes pour la perte de recettes porvenant de la taxe sur le foncier non bâti sur dix ans, soit la durée du plan de reboissement. Cette mesure est très attendue et nous souhaiterons connaître votre intention à ce sujet.
Je conclurai mon propos sur la faculté, enfin reconnue aux forestiers, de déduire de leurs revenus les charges exceptionnelles liées à la tempête. Promise le 12 janvier 2000 par M. le Premier ministre, cette mesure n'a été validée que dernièrement. Proposée et adoptée à plusieurs reprises par notre assemblée, elle avait été systématiquement repoussée au motif qu'elle était censée « avantager les plus fortunés et encourager l'évasion fiscale ».
Il est heureux que le Gouvernement n'ait pas persévéré dans cette voie. Les forestiers n'auraient pas compris.
En Aquitaine, en effet, 95 % des propriétaires possèdent moins de 25 hectares et leur patrimoine, de faible rapport en temps normal, ne sera pas productif avant vingt ou trente ans.
Cette mesure était donc incontournable. Elle conforte les efforts de reconstruction des massifs. Je regrette toutefois que cette mesure fiscale soit inopérante pour les propriétaires les plus sinistrés, donc privés de revenus et, par conséquent, de la faculté de déduire les surcoûts d'exploitation.
Ainsi, monsieur le ministre, comme l'ont bien dit nos deux rapporteurs, Philippe François et Roland du Luart, pour une gestion durable, il faut des moyens et un financement durables. C'est la clef du succès de la politique forestière souhaitée par tous, une politique qui doit prendre en compte tous les différents régimes de la forêt française. Or, à cet égard, beaucoup reste à faire.
Alors, espérons que le chemin sera parcouru ensemble, sauf à voir promulgué un texte qui resterait inappliqué parce qu'inapplicable sur la majeure partie du territoire forestier. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Après la voix du Médoc, celle de l'Entre-Deux-Mers : la parole est à M. Dussaut. (Sourires.)
M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dernière grande loi sur la forêt remonte à 1985. Ce projet de loi d'orientation était donc très attendu et, après la déception qui a été la nôtre de ne pas pouvoir l'examiner le 23 janvier dernier pour les raisons que vous savez, les choses avancent finalement.
Au travers des objectifs affichés, il réaffirme les trois vocations de la forêt : d'abord, une vocation économique, en favorisant la compétitivité de la filière bois, en comprenant la production du bois comme valorisation économique du patrimoine forestier ; ensuite, une vocation environnementale, en inscrivant la politique forestière dans la gestion des territoires, en renforçant la protection des écosystèmes forestiers ou naturels pour un développement durable de la forêt, en luttant ainsi, notamment, contre l'effet de serre ; enfin, une vocation sociale, comme l'accueil du public en forêt.
Ce texte propose de grandes avancées dans la conception même de la gestion de la forêt, avec une approche territoriale et contractuelle dans le cadre de chartes de territoires forestiers qui définiront des programmes d'actions pluriannuels.
C'est donc un texte qui consacre la multifonctionnalité de la forêt française, en respectant les engagements internationaux pris à Rio.
En bouleversant la dynamique de croissance dans laquelle se trouvait la filière bois, la tempête de décembre 1999, par les dégâts et la détresse qu'elle a provoqués, a confirmé le bien-fondé des axes qui avaient été définis antérieurement, les rôles de chacun devant être précisés, les droits des gestionnaires comme les devoirs des utilisateurs.
Elu du département de la Gironde, j'ai à coeur, vous vous en doutez, de mettre en avant les situations particulières auxquelles sont confrontés les professionnels de la filière bois de mon département.
Monsieur le ministre, ainsi que vous l'aviez très judicieusement souligné à l'Assemblée nationale au mois de juin dernier, nous sommes face au décalage qui nous a été imposé en décembre 1999 par la tempête entre une logique à long terme de gestion durable de la forêt et des exigences à court terme dans les régions sinistrées où demeurent encore des situations difficiles.
Le massif aquitain représente 1 800 000 hectares et constitue la plus grande forêt d'Europe : il s'agit d'une immense ressource qui génère 30 000 emplois et qui représente le cinquième de la récolte nationale du bois. C'est vous dire l'étendue des conséquences qu'entraîne immanquablement une perturbation de cet équilibre : elles sont ressenties sur les plans tant économique que social et écologique.
Les mesures gouvernementales ont été très importantes, et la gestion française a permis de maîtriser les conséquences les plus graves de la tempête. Mais, aujourd'hui, les dégâts constatés sont encore plus importants que ne le laissaient supposer les estimations initiales.
Une vraie mobilisation de l'administration a été nécessaire, et il convient de saluer l'engagement de chacun. Il faut rester vigilant : les dossiers à traiter sont encore nombreux et cela demande un personnel constamment disponible.
Cependant, en Aquitaine, la situation des petits propriétaires forestiers demeure très préoccupante.
On peut comprendre la difficulté pour les pouvoirs publics d'indemniser tous les biens assurables non assurés et le choix clairement affirmé du soutien à l'économie. Mais ces petits propriétaires sont souvent des retraités qui ont acheté pour se constituer un petit capital et qui n'ont désormais plus rien. En effet, seulement moins de 1 % des propriétaires forestiers - et ce sont les plus aisés -, étaient assurés, étant donné le coût élevé des primes. C'est vers les sylviculteurs aux revenus limités et vers les communes forestières très sinistrées qu'un geste reste à faire, un geste de solidarité nationale.
Il convient également de noter que, là où il y avait des regroupements, les propriétaires forestiers s'en sont beaucoup mieux sortis. Cela doit nous conduire, lors de l'examen de ce texte, à être extrêmement attentifs au grave problème du morcellement de la forêt française, dont les conséquences sont préjudiciables pour la profession forestière tout entière.
La valorisation des chablis par des aides à l'exploitation, au transport et au stockage était essentielle, et je salue, là aussi, l'action du Gouvernement. Toutefois, un renforcement des aides destinées à faciliter les expéditions de bois par les voies maritimes reste indispensable.
D'autres chantiers sont encore ouverts. Le Gouvernement y travaille en collaboration avec les parlementaires. Je pense notamment au plan d'épargne pour la forêt. C'est un dossier qu'il faut faire avancer et l'amendement que le groupe socialiste défendra à l'article 5 B va dans ce sens.
Il serait peut-être judicieux, enfin, d'étudier sérieusement le principe de la création d'un fonds de calamité forestière, sorte de fonds d'assurance qui couvrirait, pour la forêt, les catastrophes naturelles.
Le dernier alinéa de l'article 36 prévoit la présentation d'un rapport au Parlement « dressant le bilan des intempéries de décembre 1999 sur les propriétés forestières et présentant des propositions en matière d'assurance contre les risques de chablis ». Nous espérons tous que la réflexion conduite dans ce cadre débouchera sur des avancées significatives.
La catastrophe de décembre 1999 a mis en lumière les grandes faiblesses de l'organisation de la forêt française, mais elle a aussi permis de confirmer le bien-fondé de la démarche et des orientations définies par le Gouvernement à la suite du rapport de Jean-Louis Bianco pour doter notre pays d'une grande loi sur la forêt. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Vissac.
M. Guy Vissac. Monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, ce projet de loi comporte cinq axes, à savoir la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la protection des écosystèmes forestiers et naturels, la compétitivité de la filière bois ainsi que l'organisation des institutions et des professionnels de la forêt.
Avant d'en venir au coeur du sujet, qui a déjà été largement abordé par notre rapporteur, Philippe François, comme par les autres intervenants, permettez-moi d'évoquer deux conséquences des tempêtes de décembre 1999, ne serait-ce que pour reconnaître leur incidence sur la gestion des forêts et le marché du bois, qui s'en trouve perturbé aujourd'hui mais qui le sera encore certainement demain si nous n'apportons aucune solution.
Le problème du transport du bois est un premier exemple.
Je l'ai signalé, à l'occasion d'une question orale adressée au ministre de l'équipement, des transports et du logement, en me référant à l'Auvergne et au Massif central.
L'arrivée en masse sur le marché d'une quantité de bois arraché par la tempête a démontré la désorganisation des systèmes de transport. La Société nationale des chemins de fer français, en particulier, n'a pu répondre à la demande, n'étant plus équipée en matériels de transport. Or l'augmentation de l'exploitation de la forêt qui est prévue de manière constante par la présente loi d'orientation sur la forêt sollicitera davantage le transport.
Qui veut la fin veut les moyens. Plus de bois sur le marché, et c'est tant mieux, appelle une politique des transports mieux étudiée quant aux règles actuellement appliquées au fret par route, souvent pénalisantes pour les entreprises de transport routier, et un engagement mieux affirmé par la Société nationale des chemins de fer français de revoir sa politique commerciale en faveur du fret sur rail. Ce volet du transport est important dans l'organisation du marché du bois.
Autre exemple : s'il est indispensable de gérer les conséquences d'une catastrophe naturelle, il nous appartient également - et ce n'est pas assez souligné - de conduire au plus haut niveau une réflexion sur les phénomènes météorologiques exceptionnels, afin de savoir quels sont les risques de les voir se reproduire, et à quelle échéance. Il convient, en particulier, comme l'a souligné Jean Charroppin, député du Jura, de saisir l'office parlementaire des choix scientifiques et technologiques de cette question.
On peut objecter qu'on ne peut gérer l'imprévisible. Cependant, deux tempêtes, celle de 1982 et celle de 1999, donnent des indications précieuses que relèvent les scientifiques : ne peuvent-elles pas servir, sur les plans technique et météorologique, à la gestion des paysages et des reliefs ?
Malgré les inquiétudes que ressentent nombre de propriétaires forestiers victimes de la tempête et auxquels l'Etat laisse espérer une indemnisation annoncée mais qui n'est pas totalement servie, je suis satisfait de voir que la forêt est, en ce début de millinaire, à l'honneur. Il était temps ! Il s'agit, comme l'avait affirmé Jean-Louis Bianco, « d'une chance pour la France » ; j'ajouterai que c'est un formidable atout écologique, social et économique. Ce sont quelque 4 millions de propriétaires forestiers qui sont concernés, et ce, pour 15 millions d'hectares en métropole, soit plus d'un quart du territoire.
Enjeu écologique, social, économique, certes, mais aussi enjeu humain : huit Français sur dix vont chaque année en forêt ; celle-ci représente pour eux un lieu de détente, de ressourcement et de retrouvailles si nécessaires avec un univers naturel multiséculaire qu'il nous appartient de préserver et d'enrichir pour ceux qui viendront après nous.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, une loi d'orientation, c'est tout d'abord une vision prospective, un projet à long terme qui s'inscrit dans le droit imprescriptible des générations futures.
Certes, la forêt, c'est du bois, mais c'est aussi un recours, un refuge, un sanctuaire naturel. Selon les enquêtes d'opinion, la forêt est aujourd'hui perçue, de façon très majoritaire, comme un espace de nature indispensable, fragile, menacé au niveau mondial, et qu'il convient donc de préserver.
J'espère que cette loi d'orientation sera à la hauteur des ambitions légitimes qu'un grand pays comme le nôtre peut nourrir vis-à-vis de sa forêt.
L'équilibre environnemental que représente la superficie entre dans la considération de la fonction du milieu écologique. Il en est même une assurance et un pilier pour toute politique environnementale.
La forêt, ce sont aussi et surtout les hommes et les femmes qui y travaillent. A ce sujet, il n'est pas inutile de rappeler que les métiers du bois ne bénéficient pas d'une image valorisante, ce qui provoque, dans le cycle secondaire de l'enseignement, des difficultés pour attirer des jeunes en CAP ou en BEP. Les formations pour adultes sont alors privilégiées par défaut.
Même dans l'enseignement supérieur, en dépit de taux de placement non négligeables, les écoles éprouvent des difficultés de recrutement. La tendance actuelle est plutôt aux métiers perçus comme « environnementaux », qui attirent de nombreux candidats ; je pense en particulier au brevet de technicien supérieur de gestion forestière.
Il me paraît important que la discussion que nous commençons aujourd'hui aboutisse à une véritable promotion des métiers du bois par des termes favorisant la formation pour les adultes. Si le projet de loi prévoit des dispositions relatives à la qualification professionnelle requise pour les travaux d'exploitation de bois, il omet d'aborder la question de la formation professionnelle et, plus largement, celle de l'enseignement dans l'ensemble de la filière.
S'agissant de l'exploitant forestier et de l'entrepreneur de travaux forestiers, je vous rappelle que, parmi les principales recommandations du rapport Bianco, figuraient l'établissement d'un statut de l'exploitation forestière - conditions d'entrée dans la profession, capacité professionnelle, diminution du taux des cotisations accident du travail - et le renforcement de la lutte contre le travail illégal. Il ne faudrait pas que ces louables intentions restent sans lendemain !
D'autres professions de la filière doivent s'organiser et s'affirmer afin de répondre objectivement à l'ambition du développement forestier et du marché du bois face à la concurrence étrangère, souvent plus performante parce que mieux structurée. Entrent dans ce cadre la modernisation de l'appareil de production et les conditions de gestion. Je citerai un exemple de référence en la matière : l'expertise foncière agricole et forestière, traitée à l'article 34 du projet de loi, avec la création d'un conseil national, à l'égard duquel la profession a des attentes justifiées.
Le projet de loi, outre qu'il s'intéresse à l'amélioration des conditions de gestion durable des forêts, met l'accent sur la compétitivité de l'ensemble de la filière bois.
Monsieur le ministre, la France a accumulé un retard certain en la matière. La tempête de décembre 1999 a démontré le manque d'organisation de certaines professions, qui ne peuvent plus négliger les contraintes d'une organisation rationnelle de la gestion forestière.
La France, par la surface de ses forêts, qui représentent 14,5 millions d'hectares, occupe le troisième rang des pays de l'Union européenne, après la Finlande et la Suède. Chaque année, la forêt française s'accroît de 30 000 hectares. Avec 47 millions de mètres cubes, la récolte est inférieure à la production naturelle, qui progresse de 85 millions de mètres cubes par an.
Ce projet de loi ne doit pas être celui des occasions manquées : gardons à l'esprit que 100 000 emplois peuvent être créés en quelques années en milieu rural, dans la production, la gestion des forêts, les industries du bois, la protection des espaces naturels, le tourisme vert et les loisirs. La forêt a toute sa place dans la lutte contre le chômage, ainsi que l'a démontré le rapport Bianco.
J'en veux pour exemple le bâtiment, qui constitue de loin le marché le plus important. Or, dans ce secteur, la part du bois diminue : celui-ci ne représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés. Il est à déplorer que la part de marché du bois dans la construction soit plus faible en France que dans d'autres pays européens, que ce soient l'Allemagne, la Hollande ou les pays scandinaves.
Il me paraît important de tout faire pour élargir la part du bois dans les constructions en la portant, comme le recommande le rapport Bianco, de 10 % à 25 %. Il faudra, pour atteindre cet objectif, mener en la matière une politique volontariste qui passe par la mise en place, en particulier sur le marché de la construction, d'un véritable « plan bois construction », d'ailleurs également préconisé par le rapport Bianco.
Je conclurai en rappelant, comme certains intervenants l'ont fait avant moi, que notre pays consacre au secteur de la forêt quatre à dix fois moins d'argent public que certains pays européens comparables. Sans moyens adéquats, les mesures envisagées seront suspendues à un éventuel financement ultérieur. Les acteurs de la forêt ont besoin d'assurances claires et précises sur ce point.
Je vous rappelle que, dans les secteurs du sciage et de la transformation, la profession demande la création d'une provision pour investissement, alors même que le Gouvernement avait, en 1998, supprimé la provision pour fluctuation des cours.
Si je n'ai pu que me féliciter, au début de mon intervention, de l'adoption prochaine d'une loi tant attendue sur la forêt, vous me permettrez d'insister, pour les déplorer, sur l'incertitude qui pèse sur l'attribution des moyens financiers et sur les graves lacunes de ce texte en ce qui concerne la formation professionnelle ou, plus largement, l'enseignement dans l'ensemble de la filière.
L'organisation de la filière et un important plan de développement d'utilisation du bois sont indispensables à une application réussie de la future loi d'orientation.
Donnons au texte plus de souffle afin que ce secteur si important sur les plans tant économique et social qu'écologique aborde le millénaire à venir dans les meilleures conditions, en étant à la hauteur de ses ambitions.
La forêt française représente un atout incontestable pour la richesse nationale, une valeur de gestion durable, un centre d'intérêt et d'activités, notamment dans nos pays ruraux. Elle offre d'importantes possibilités pour le développement et l'aménagement du territoire.
Je souhaite que cette loi d'orientation donne à l'ensemble de la filière les moyens de sa légitime ambition de progrès.
Enfin, monsieur le ministre, afin de marquer l'égard que le Gouvernement et la France ont pour le secteur économique de la forêt et du bois, ne serait-il pas opportun, à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, d'ajouter à vos missions celle de la forêt, pour que vous deveniez vraiment le ministre chargé de l'agriculture, de la pêche et de la forêt ? Ce serait un signe d'intérêt remarqué.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Vous parlez de mon titre ? Car la forêt fait déjà partie de mes missions !
M. Guy Vissac. Je parle de vos missions !
Merci, monsieur le ministre de l'agriculture, de la pêche et de la forêt. (Applaudissements sur les travées RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le ministre, j'en suis vraiment navré, mais, pour la quatorzième fois, vous allez entendre un orateur vous rappeler qu'il y a déjà près d'un an et demi que la forêt française a connu la plus forte tempête de son histoire ; je n'ai pas l'impression de vous apprendre grand-chose, mais je souhaitais le souligner ici !
Certes, les élections ont retardé d'un bon mois la discussion du projet de loi d'orientation sur la forêt. Mais je regrette tout de même amèrement qu'un sujet aussi important ait attendu aussi longtemps.
De mémoire d'administration des eaux et forêts, c'est-à-dire depuis 1824, il n'existe pas de précédent de tempête aussi violente ni aussi étendue. Pour l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie, la forêt française n'a jamais connu de telle catastrophe depuis le xviie siècle.
Dans ce contexte exceptionnel, la première question qui se pose à un élu comme moi, face à ce projet de loi, c'est : pourquoi si tard ?
Le Gouvernement affirme que les forêts sont au centre de ses préoccupations. Pourtant, il aura fallu dix mois pour que le projet de loi arrive de l'Assemblée nationale au Sénat. Permettez-moi tout de même de vous interroger, monsieur le ministre, sur votre capacité à le faire adopter avant la fin de 2001 !
Nous regrettons que vous n'ayez pas mis vos paroles en concordance avec vos actes et que vous n'ayez pas clairement indiqué vos priorités.
Une deuxième question me vient immédiatement à l'esprit : pourquoi si peu ? C'est bien la question des moyens mis en oeuvre pour faire face à la tempête ! Ce projet de loi d'orientation ne comporte pas le moindre mot sur les conséquences des ouragans Lothar et Martin sur les forêts françaises. Pourtant, les rapports sur ce sujet n'ont pas manqué : du rapport Birot au rapport Sanson, l'administration n'a pas chômé dans les études et dans les propositions !
On aurait cependant préféré qu'elle mobilisât toute son énergie pour mettre en oeuvre les mesures annoncées. Hélas, cela n'a pas été le cas.
Il est tout de même incroyable, monsieur le ministre, que M. le Premier ministre ait été obligé de reconnaître un oubli dans une instruction fiscale visant à faire bénéficier d'une déduction des revenus professionnels les charges liées à la tempête de décembre 1999 non couvertes par les assurances. Annoncée pourtant le 12 janvier 2000, cette déduction avait tout simplement été oubliée. Elle n'avait jamais vu le jour !
Il est grand temps de mettre au pas vos administrations, tout particulièrement la forteresse Bercy, qui, à force, pourrait bien devenir la prochaine Bastille !
On peut aussi citer les exploits de la SNCF, qui n'a pas été capable de mettre à disposition suffisamment de wagons, mais qui a bien su profiter, malgré tout, de cette bonne occasion pour pratiquer honteusement des hausses de tarif sur les transports de grumes. Avouez tout de même qu'il ne s'agissait pas là d'une décision d'une extrême élégance !
Votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre, renvoie les moyens financiers à des textes ultérieurs, ce qui est normal. Pourtant, ce n'est pas rassurant face à une administration qui semble n'en faire qu'à sa tête, ou plutôt à la tête du client... (Sourires.)
Les sénateurs seront vigilants à l'application des lois votées. Nous attendons de vous des engagements et des délais de mise en oeuvre. Faute de quoi, le cimetière des lois inappliquées, ô combien rempli, pourrait bien s'élargir encore, lui aussi, à la loi sur la forêt !
Mais revenons au coeur de ce projet de loi d'orientation. Il comporte cinq axes : la gestion durable et multifonctionnelle, la gestion des territoires, la protection des écosystèmes, la compétitivité de la filière bois et, enfin, l'organisation des institutions sylvicoles, tout particulièrement de l'Office national des forêts. Notre excellent rapporteur et ami, Philippe François, en a fait une remarquable analyse dont il convient de le féliciter.
M. Philippe François, rapporteur. Merci !
M. Bernard Barraux. L'un des mérites de cette loi est celui de la clarification. On ne se rendait pas compte du fouillis que pouvaient être la législation et la réglementation : sept ou huit codes, de nombreuses lois. En ce domaine, le législateur fait oeuvre utile pour que nous puissions, enfin, y voir un peu plus clair. Plus accessible, la loi d'orientation sera, je l'espère, un outil au service des citoyens et de leurs aspirations économiques, sociales et environnementales.
A cet égard, je souhaiterais insister sur la sensibilité de la société française aux questions forestières. Avec la tempête, les Français ont exprimé leur solidarité par leur soutien à de nombreuses initiatives et en apportant leur obole à la reconstitution à venir des forêts. Dans les sondages, plus de 90 % des Français déclarent leur fort attachement à leur forêt. Plus d'un tiers d'entre eux s'y rendent plusieurs fois par mois. La réduction du temps de travail, l'accroissement du nombre de retraités, les besoins des Français en espaces naturels, vont certainement accroître leur présence au coeur des forêts.
Le besoin de nature, de forêt, doit aussi se traduire par plus de responsabilité, de participation et d'information, tout particulièrement dans les forêts publiques. La mise en place de comités d'usagers de la forêt publique favoriserait la concertation, lèverait les suspicions et, surtout, responsabiliserait davantage nos concitoyens.
Plus de respect pour la nature, plus de compréhension entre les utilisateurs des espaces naturels grâce à des structures de concertation : c'est une démocratie de proximité qu'il convient de favoriser !
Pour ma part, je souhaite insister sur quelques points peu ou mal pris en compte dans le présent projet de loi.
Premièrement, il faut reconnaître et valoriser la forêt publique.
En reconnaissant l'apport de la sylviculture au développement durable, le projet de loi vise à faire contribuer l'ensemble des forêts, publiques et privées, à l'intérêt général. Cependant, il m'apparaît utile de reconnaître et de valoriser de façon distincte les forêts publiques, tout particulièrement les forêts communales. Jean-Richard Delong, président de la Fédération nationale des communes forestières de France, la FNCOFOR, a présenté un amendement en ce sens que je soutiendrai.
Les forêts communales sont en effet soumises par le code forestier, depuis 1827, à des contraintes spécifiques. Elles ont des obligations d'intérêt général qui, d'ailleurs, ne sont pas toujours - ou pas suffisamment - financées par la puissance publique. Elles ont pris une place importante en matière d'accueil du public et de protection des milieux remarquables. Elles sont aussi un laboratoire pour la gestion durable et pour la biodiversité.
C'est pourquoi le régime forestier, que nous sommes en train de rénover, doit reconnaître les spécificités des forêts publiques.
Deuxièmement, il faut inscrire la forêt dans la gestion des territoires.
Le projet de loi, et c'est une bonne chose, ancre la politique forestière à l'échelon local en proposant un cadre à la création de chartes de territoires forestiers. C'est un outil au service du développement local et de l'emploi.
Tout projet de ce type doit s'articuler autour d'une identité - en l'occurrence, d'une identité liée à la forêt -, d'un objectif commun avec un animateur du développement. Cependant, l'Etat doit assumer ses responsabilités financières et réglementaires. Il doit ouvrir des pistes au développement local, mais il ne doit pas gêner les initiatives. Il ne doit surtout pas reprendre d'une main ce qu'il donne de l'autre, selon sa si fâcheuse, si vieille et si fréquente habitude.
Troisièmement, il faut financer la forêt publique de manière durable.
Les tempêtes ont fragilisé le financement de la forêt publique. Alors que les charges d'exploitation se sont accrues, les recettes stagnent - peut-être même diminueront-elles dans l'avenir - en raison d'un affaiblissement des capacités de production et de la valeur patrimoniale des forêts. L'ONF ne pourra plus dégager en forêt domaniale les excédents qui permettaient de financer les missions d'intérêt général et de développement durable, tout particulièrement dans les forêts des collectivités. Certains chiffres ont été avancés qui évaluent les besoins de financement à environ 200 millions de francs par an pendant dix ans.
L'Etat doit, au service de la forêt française, faire son devoir en mettant en oeuvre des mécanismes durables de financement par le biais, pourquoi pas, d'écotaxes qui - mieux que dans d'autres cas, censurés par le Conseil constitutionnel - seraient ici parfaitement justifiées.
Mais, là aussi, le Gouvernement devra s'affranchir de sa bureaucratie budgétaire. Et pourquoi ne pourrions-nous pas rêver en imaginant qu'il puisse, un jour, innover en faveur d'une grande cause nationale et rompre avec la sacro-sainte annualité des financements publics ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons, ce soir, du projet de loi d'orientation sur la forêt, dont la discussion a malheureusement été repoussée, alors même que l'élaboration de ce texte avait suscité une grande attente auprès de nos concitoyens.
L'espace boisé recouvre, ne l'oublions pas, plus de 25 % du territoire national. Nos concitoyens sont extrêmement attachés à leur forêt. En effet, selon une étude réalisée par la SOFRES le 29 novembre 2000 pour La collective du bois et de la forêt, 91 % des Français déclarent aimer les espaces boisés.
Cet attachement se caractérise d'ailleurs par le fait que plus de trois millions et demi de Français sont propriétaires d'un bois, la forêt privée française représentant plus de 10 millions d'hectares, soit les deux tiers de la surface forestière.
La forêt est perçue comme un espace de ressourcement, notamment par les urbains.
Or si nous pouvons nous féliciter d'une forte expansion des surfaces forestières au cours des deux derniers siècles, la politique forestière de la France doit être en mesure d'aider les acteurs de ce secteur à relever les principaux défis identifiés, notamment dans le rapport que Jean-Louis Bianco a publié dernièrement.
Nous devons, en effet, être en mesure d'avoir une gestion durable d'une forêt nécessairement multifonctionnelle, dont la valorisation est un élément essentiel du dévelopement rural, dès lors qu'elle est de nature à créer de nombreux emplois et à renforcer un secteur économique qu'il est important et urgent de rendre plus dynamique et performant.
Le projet de loi d'orientation présenté par le Gouvernement répond à ces objectifs, en privilégiant, dans ses dispositions, le développement d'une gestion durable et diversifiée de la forêt, la compétitivité de la filière forêt-bois, l'inscription de la politique forestière dans la gestion des territoires, le renforcement de la protection des écosystèmes forestiers ou naturels et, enfin, une meilleure organisation des institutions et des professions relatives à ces espaces nécessaires à la qualité de vie de nos concitoyens.
Une véritable politique forestière implique une approche de la forêt dans l'ensemble de ses fonctions écologiques, économiques, sociales et culturelles.
Nous ne pouvons donc qu'adhérer à la volonté du Gouvernement de réaffirmer l'interministérialité des dossiers forestiers, en favorisant l'appréhension des questions relatives à la forêt par les autres politiques publiques, qu'elles soient nationales ou communautaires.
Par exemple, l'importance du rôle des forêts et des bois dans la préservation des écosystèmes, et notamment dans la gestion de l'eau et la prévention des crues, nécessite une approche globale des politiques. Il s'agit là d'un point extrêmement important et d'actualité.
Aussi, le projet de loi vise à ce que le document de gestion devienne, pour les propriétaires forestiers, un outil intégrant toutes les dispositions législatives qui concourent à la protection de la biodiversité et des paysages.
De même, ce projet de loi s'attache à faciliter les incitations financières afin de développer la contractualisation avec les propriétaires, répondant ainsi aux intérêts généraux dans les domaines environnementaux, économiques ou sociaux. Par ailleurs, il tend à favoriser l'accueil du public et les régénérations naturelles.
Une telle méthode permet, en effet, d'appréhender au mieux les spécificités locales, car il existe non pas une forêt mais des forêts.
Cette volonté est d'ailleurs renforcée par le quatrième volet du projet de loi, relatif à la protection des écosystèmes forestiers ou naturels, dont les dispositions ont notamment pour objet de renforcer la prise en compte des spécificités écologiques et environnementales dans la gestion forestière courante.
La compétitivité de la filière forêt-bois constitue le second axe de ce projet de loi.
Le respect de la forêt nous oblige en effet à beaucoup d'attention, afin que le fonctionnement harmonieux de l'écosystème forestier ne soit pas perturbé.
L'exploitation du bois, loin d'être incompatible avec le respect de la forêt, contribue justement, dès lors qu'elle est raisonnable, à assurer la vitalité et le renouvellement de la surface forestière.
L'adoption des dispositions présentées par le Gouvernement et enrichies par le débat parlementaire permettra de pérenniser cette filière économique, afin que celle-ci conserve sa compétitivité sur des marchés devenus mondiaux et résiste à la concurrence d'autres matériaux n'égalant pas la qualité environnementale du bois.
Il convient, par ailleurs, de souligner que le projet de loi a pour objet de faire de la certification un des outils de cette stratégie.
Les professionnels l'ont d'ailleurs bien compris puisque de nombreuses régions, anticipant l'adoption du projet de loi, ont créé des associations de certification.
Ainsi, sur l'initiative des principaux acteurs et partenaires de la filière forêt-bois du Languedoc-Roussillon, l'association de certification forestière pour le Languedoc-Roussillon a été créée le 28 novembre 2000.
A cet égard, il me paraît intéressant et utile, compte tenu de l'image que nous avons bien souvent du midi de la France, de citer quelques chiffres démontrant l'importance surprenante du patrimoine forestier en Languedoc-Roussillon, notamment dans le département de l'Hérault. Il s'agit de statistiques datant de 1996 et qui émanent des services de l'Inventaire forestier. En Languedoc-Roussillon, on dénombre 974 522 hectares de forêt, dont 910 708 hectares en production, ce qui représente un taux de boisement de 35,1 %. Dans l'Hérault, on compte 203 202 hectares de forêt, dont 191 043 hectares en production, soit un taux de boisement de 32 %.
Le projet de loi vise, en effet, à mieux organiser les institutions et les professions relatives à la forêt, par une valorisation des formations et une amélioration du dialogue entre les différentes organisations et administrations. Une meilleure organisation des femmes et des hommes intéressés par ce secteur constituera très certainement l'atout majeur de cette filière.
Enfin, le projet de loi présenté tend à inscrire la politique forestière dans la gestion des territoires.
Les caractéristiques des forêts sont en effet modelées par l'écosystème local et l'utilisation économique de la forêt, qu'il s'agisse du tourisme ou de la filière bois.
Ainsi, le projet de loi retient le cadre du territoire pour l'élaboration des procédures afférentes à la gestion des forêts afin de mieux prendre en compte, une nouvelle fois, la forêt dans sa complexité.
De cette manière, la défense des forêts contre l'incendie s'appuiera sur l'analyse des interfaces entre zones urbaines et zones rurales, qui jouent un rôle crucial dans la prévention et la lutte contre le feu. A cet égard, l'expérience acquise par les conseillers généraux, siégeant au conseil d'administration de l'entente interdépartementale pour la protection de la forêt méditerranéenne, sera extrêmement précieuse.
De même, la prévention des risques naturels en montagne sera renforcée par une meilleure coordination de la politique forestière avec le développement économique et touristique qui accentue la fragilité des milieux naturels.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, définit une approche qui, tout en s'appuyant sur l'expérience passée, offre les outils nécessaires à l'évolution contrôlée de la forêt française. Nous le voterons donc avec le réalisme, le pragmatisme et l'enthousiasme qui nous caractérisent. Oui, comme l'écrivait M. Jean-Louis Bianco, en conclusion du rapport qu'il a remis au Premier ministre en août 1998, « La forêt représente une formidable chance pour la France, une chance pour la variété et la beauté de nos paysages, pour la préservation des milieux et des espèces. C'est une réserve de nature où chacun, pris dans le tourbillon du monde, peut retrouver le sens des vraies richesses. » (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Gaillard applaudit également.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

12

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la loi n° 85-99 du 25 janvier 1985 relative aux administrateurs judiciaires, mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et experts en diagnostic d'entreprise.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 243, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

13

DÉPO^T DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de Mme Danièle Pourtaud et des membres du groupe socialiste et apparentés une proposition de loi tendant à prévoir un barème de rémunération équitable applicable aux discothèques et activités similaires.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 244, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de Mme Danièle Pourtaud et des membres du groupe socialiste et apparentés une proposition de loi modifiant le code de la propriété intellectuelle et tendant à prévoir une rémunération pour la copie privée numérique.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 245, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de MM. Serge Mathieu et Jean Boyer une proposition de loi visant à restaurer la spécialité de gynécologie médicale.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 249, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

14

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la protection du patrimoine.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 246, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

15

TEXTES SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 15 mars 2001 relative à une demande de dérogation présentée par l'Espagne conformément à l'article 27, paragraphe 2, de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de TVA (régime spécial applicable à l'or d'investissement).
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1705 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 15 mars 2001 relative à une demande de dérogation présentée par la Belgique conformément à l'article 8, paragraphe 4 de la directive 92/81/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (essence sans plomb/gasoil/essences) : lettre de la Commission aux Etats membres.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1706 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Recommandation de la Banque centrale européenne du 1er mars 2001 pour un règlement du Conseil relatif à une modification du règlement (CE) n° 2531/98 du Conseil du 23 novembre 1998 concernant l'application de réserves obligatoires par la Banque centrale européenne.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1707 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil rectifiant le règlement (CE) n° 2201/96 portant organisation commune des marchés dans les secteurs des produits transformés à base de fruits et légumes.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1708 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion de l'accord intérimaire entre la Communauté européenne, d'une part, et l'ancienne République yougoslave de Macédonie, d'autre part.
Ce texte sera imprimé sous le n° 1709 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Lettre de la Commission européenne du 2 février 2001 relative à une demande de dérogation présentée par l'Allemagne en application de l'article 30 de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 en matière de TVA (construction d'un pont frontalier).
Ce texte sera imprimé sous le n° 1710 et distribué.

16

DÉPÔT D'UN RAPPORT

M. le président. J'ai reçu de M. Michel Souplet un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de résolution (n° 84, 2000-2001) présentée en application de l'article 73 bis du règlement par M. Jean Bizet sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation des marchés dans le secteur du sucre (n° E-1585).
Le rapport sera imprimé sous le n° 247 et distribué.

17

DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION

M. le président. J'ai reçu de MM. Jean Huchon, Jacques Bellanger, Gérard Cornu, Jean-Paul Emorine, Bernard Joly, Pierre Lefebvre et Michel Souplet un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan à la suite d'une mission effectuée en Malaisie et à Singapour afin d'étudier l'évolution des relations économiques et commerciales de ces pays avec la France.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 248 et distribué.

18

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 4 avril 2001, à dix heures, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 408, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation sur la forêt.
Rapport (n° 191, 2000-2001) de M. Philippe François, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 190, 2000-2001) de M. Roland du Luart, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 4 avril 2001, à zéro heure cinquante.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION PERMANENTE

Dans sa séance du mardi 3 avril 2001, le Sénat a nommé M. Jean-Yves Mano membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées , en remplacement de M. Bertrand Delanoë, démissionnaire de son mandat de sénateur.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Paul Girod a été nommé rapporteur du projet de loi organique n° 241 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et instituant le recrutement de conseillers de cour d'appel exerçant à titre temporaire.
M. Paul Girod a été nommé rapporteur du projet de loi n° 239 (2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme des tribunaux de commerce.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Organisation des secours

1047. - 3 avril 2001. - M. Jean-Jacques Hyest rappelle à M. le ministre de l'intérieur que les secours départementaux d'incendie et de secours sont de plus en plus sollicités pour des interventions dites de « secours à personnes ». En effet, si le nombre d'interventions en matière de lutte contre l'incendie ou d'accidents de circulation est relativement stable, les secours à personnes connaissent une croissance non contrôlée de l'activité opérationnelle des sapeurs-pompiers. C'est ainsi qu'en Seine-et-Marne, ce type d'intervention a connu une croissance de près de 50 % en cinq ans. Il apparaît que les usagers font de plus en plus appel aux sapeurs-pompiers pour les interventions ne relevant pas strictement de la notion de secours, en raison de la faiblesse des moyens des services médicaux d'urgence, de leur indisponibilité fréquente et aussi de la gratuité des secours. La restructuration de certains centres hospitaliers risque d'aggraver cette situation, dans la mesure où les équipages seront amenés à transporter des victimes à des distances de plus en plus éloignées. Pour l'an 2000, l'évaluation du surcoût de ces interventions a pu être établie en Seine-et-Marne à plus de 30 millions de francs. S'il est impossible pour les sapeurs-pompiers de refuser les interventions, il serait normal que, comme pour les interventions des services médicaux d'urgence et de réanimation (SMUR) ou des ambulanciers privés, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) soient remboursés au titre de l'assurance maladie du coût de ces interventions, d'autant qu'ils ont été amenés à se doter de services médicaux de plus en plus importants pour faire face à cette situation. En conséquence, il lui demande de bien vouloir préciser les mesures qu'il compte prendre pour faire face à cette situation inquiétante pour l'équilibre des budgets des SDIS.



ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mardi 3 avril 2001


SCRUTIN (n° 45)



sur l'amendement n° 1, présenté par M. Philippe Marini au nom de la commission des finances, à l'article unique du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant création d'une prime pour l'emploi (bénéfice du crédit d'impôt au titre des revenus de 2000).


Nombre de votants : 318
Nombre de suffrages exprimés : 318
Pour : 219
Contre : 99

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (17) :
Contre : 17.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Pour : 18.
Contre : 5. _ MM. Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin, Gérard Delfau et François Fortassin.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour : 97.
N'ont pas pris part au vote : 2. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Jacques Valade, qui présidait la séance.

GROUPE SOCIALISTE (77) :

Contre : 77.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (51) :

Pour : 51.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Pour : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Pour : 7.

Ont voté pour


Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Laurent Béteille
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Pierre Guichard
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Alain Hethener
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Max Marest
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Ont voté contre


Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Jean-Yves Autexier
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Yolande Boyer
Robert Bret
Claire-Lise Campion
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
François Fortassin
Thierry Foucaud
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Jean-Yves Mano
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Roland Muzeau
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent

René-Pierre Signé
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


M. Christian Poncelet, président du Sénat, et M. Jacques Valade, qui présidait la séance.



Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 319
Nombre des suffrages exprimés 319
Majorité absolue des suffrages exprimés 160
Pour : 220
Contre : 99

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.