SEANCE DU 31 MAI 2001


DISPOSITIONS D'ORDRE SOCIAL,
ÉDUCATIF ET CULTUREL

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 322, 2000-2001), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel. [Rapport n° 339 (2000-2001) et avis n° 335 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la fébrilité est, d'après Le Petit Robert , un « état d'excitation, d'agitation intense ». Ce mot me semble particulièrement approprié pour caractériser l'ordre du jour que nous inflige, semaine après semaine, le Gouvernement (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) , pris d'une sorte de dérèglement législatif, d'un besoin irrépressible de légiférer à tout va, dans le désordre et la précipitation.
Pour le projet de loi pompeusement appelé « de modernisation sociale », le Gouvernement a introduit au cours de la discussion, par amendements, au total 48 articles additionnels à un texte qui en comporte désormais 183, soit l'équivalent d'un texte de même ampleur que son projet initial (M. Gournac s'exclame) , le transformant en un assemblage encore plus hétéroclite et d'ailleurs problématique, comme on le constate depuis soixante-douze heures. Cette métamorphose l'a d'ailleurs contraint à lever l'urgence initialement déclarée sur ce texte, sous peine d'inconstitutionnalité. On connaît la suite : on tire à hue et à dia ! (Rires.)
M. Louis de Broissia. Ah ! très joli !
M. Guy Fischer. Bien, monsieur Larcher !
M. Gérard Larcher. Moins de quinze jours après, nous sommes saisis de ce projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, agrégat pour le moins composite que le Sénat est prié d'examiner vingt et un jours seulement après l'Assemblée nationale et alors que le texte dont nous sommes saisis n'a été mis en distribution au Sénat que le 23 mai, voilà exactement sept jours et douze heures ; c'est peu de temps pour un tel assemblage !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Les sept rapporteurs ont déjà souligné combien est incohérent et disparate le texte qui nous est soumis et combien il faut de volonté au Sénat pour effectuer, comme à son habitude, un travail législatif de reconstruction, dans des conditions pourtant particulièrement difficiles.
Il faut ajouter à la liste le projet de loi portant mesures urgentes de réformes économiques et financières, examiné lui aussi en urgence, dont le seul point commun entre les différents articles, où l'on retrouve pêle-mêle La Poste, la Compagnie nationale du Rhône, les pénalités pour les logements sociaux, les relations entre les banques et leurs clients, est l'urgence prétendue.
Voilà une bien faible justification, quand on sait ce que le Gouvernement fait de l'urgence : c'est, en réalité, un expédient pour limiter le débat démocratique ou ne pas aborder de front de vrais sujets, et, disant cela, je pense à La Poste et à l'émergence du secteur concurrentiel dans le secteur de l'électricité au travers du dossier de la Compagnie nationale du Rhône.
J'allais oublier dans la panoplie un éventuel projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui nous est annoncé.
Et que dire de la cadence désordonnée qui nous est imposée pour examiner ces textes ! La déclaration d'urgence est devenue le droit commun, et le temps laissé aux commissions pour l'instruction des textes n'est plus que la variable d'ajustement d'un calendrier boulimique.
Ces textes sont tellement « fourre-tout » qu'on leur trouve, comme le disait hier soir M. de Broissia, un titre relevant du casse-tête : DDOSEC, pour le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, économique et culturel, MURCEF, pour le projet de loi portant mesures urgentes de réformes économiques et financières, ou DDOEF, pour le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.
Ces textes témoignent de l'absence d'une orientation politique claire du Gouvernement. Notre pays donne chaque jour davantage l'image d'un pays gouverné au doigt mouillé, dans l'attente d'échéances électorales à venir. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia. Ah oui !
M. Gérard Larcher. En fait, cet activisme de façade cache un attentisme profond !
M. Louis de Broissia. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. Comment ne pas craindre, dans ces conditions, que le statut de la loi ne soit durablement écorné ? Comment exiger de nos concitoyens le respect dû à l'expression de la volonté générale ? Après l'inflation législative, nous sommes entrés aujourd'hui dans le temps de la « précarisation » législative.
Je concentrerai mon intervention sur l'article 15 du projet de loi que nous examinons, les rapporteurs ayant fort justement présenté les remarques qu'il convenait de faire sur l'ensemble du projet de loi.
Cet article concerne les infrastructures de télécommunications inactivées que les collectivités locales peuvent construire pour les mettre ensuite à la disposition des opérateurs, en contrepartie du versement d'un loyer couvrant les coûts - coûts de génie civil, notamment - engagés par les collectivités. On appelle poétiquement ces infrastructures les « fibres noires » des collectivités locales.
Cet article a été introduit par un amendement du Gouvernement. Mais il a un passé, et son destin me semble particulièrement révélateur.
A l'origine, cette disposition avait été introduite au Sénat le 25 mars 1999, lors du débat sur le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, sur proposition notamment de nos collègues Pierre Hérisson, Jean-Paul Delevoye, Jean Puech et Jean-Pierre Raffarin.
La démarche était la suivante : pour le Sénat, l'aménagement du territoire ne peut se concevoir sans développement économique. Or, il n'y a pas de développement économique - et pas d'emplois - sans entreprises. Le développement économique est la seule manière de faire vivre les territoires. Mais il n'y a pas d'implantation économique sans infrastrutures, qu'elles soient routières, ferroviaires ou de télécommunications.
Voilà pourquoi, partant de ce double constat que l'on ne peut concevoir d'aménagement durable du territoire sans développement économique équilibré sur l'ensemble du territoire, le Sénat avait introduit un nouveau titre au sein du projet de loi défendu par Mme Voynet.
Les infrastructures passives de télécommunications étaient l'une des mesures que nous proposions.
Dans le département des Yvelines, qui est commun à Alain Gournac, à Dominique Braye et à moi-même, les nouvelles technologies d'accès à Internet à haut débit se développent rapidement. Elles s'additionnent même : réseaux câblés, ADSL, boucle locale radio. Mais, dans les zones moins denses, les opérateurs ne vont pas spontanément déployer leurs réseaux, estimant, à juste titre, que la rentabilité est par trop aléatoire pour des investissements coûteux. Or, les entreprises, dans ces territoires moins denses, ont besoin de ces nouveaux services. Le rôle des collectivités locales est de servir de catalyseurs pour susciter les offres : c'est d'ailleurs ce qui a commencé à se faire dans un certain nombre de communes.
Certains de nos collègues députés de la majorité, souhaitant ou croyant « protéger » l'opérateur historique, avaient, à l'époque, transformé le texte du Sénat de telle sorte qu'il était devenu, dans la rédaction finale de 1999, si restrictif qu'il était en fait inapplicable et que les collectivités locales étaient contraintes de recourir à des montages rocambolesques pour essayer de l'appliquer !
Profitant de ce « retard à l'allumage » de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'a pas manqué de tenter de récupérer la paternité de cette mesure, en annonçant avec force communiqués de presse un assouplissement prochain du texte, programmé dans le cadre de l'examen du projet de loi « société de l'information ».
En fait, nous avons perdu plus de deux années par rapport à la proposition du Sénat,...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. ... qui était raisonnable, équilibrée, et tendait à l'aménagement du territoire. (Exclamations sur les travées du RPR.) Deux ans pour en revenir à notre proposition de l'hiver 1999 !
Voilà comment cette mesure, dont la paternité revient en réalité à cette assemblée, a été tout simplement « rapatriée » dans le projet de loi que nous discutons, alors qu'elle figure toujours dans le projet de schéma de services collectifs de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, la DATAR, rédigé au début du mois de mai 2001, comme une des mesures phares de l'action de l'Etat à l'horizon... 2003 !
Il faudra bien que le Gouvernement coordonne ses propositions, puisque le CNADT, le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire, doit bientôt les examiner : s'agira-t-il de 2001 ou de 2003 ?
M. Louis de Broissia. Ils ne seront plus là, en 2003 ! Ils seront partis !
M. Gérard Larcher. Je crois que tout cela démontre bien l'improvisation absolue qui règne dans ce domaine.
M. Alain Gournac. Elle est totale !
M. Jacques Valade. C'est du gâchis !
M. Gérard Larcher. Mais la méthode qui consiste à « saucissonner » les questions nous empêche d'aboutir à une vision d'ensemble et ne nous permet pas de faire progresser la législation au bénéfice du développement économique.
Sur le fond, même si elle n'a pas été saisie de ce sujet, la commission des affaires économiques a recommencé à débattre de la fibre noire des collectivités locales. Nous y sommes favorables, comme nous l'étions déjà au début de 1999 ; nous sommes cohérents.
Je formulerai toutefois une observation portant sur l'ouverture de ces réseaux aux utilisateurs finaux : il ne revient pas, à mon sens, aux collectivités de faire, sur fonds publics, le métier des opérateurs. Notre collègue Pierre Hérisson présentera, au cours de la discussion des articles, un amendement sur ce point, que plusieurs d'entre nous ont cosigné.
Au-delà de cette question ponctuelle, je souhaiterais évoquer brièvement l'avenir du secteur des télécommunications, qui est « effleuré » au détour d'un article de ce texte difforme.
La commission des affaires économiques avait veillé, en 1996, à l'occasion de l'examen du projet de loi de réglementation des télécommunications, à ce qu'un rendez-vous législatif soit fixé pour permettre, d'ici à juillet 2000 - comme on peut le constater, l'échéance est déjà passée - d'enrichir le service universel des télécommunications, et notamment d'étendre la couverture de la téléphonie mobile à tout le territoire, par des accords d'itinérance et des partages d'infrastructures. Il s'agit là d'un thème majeur en termes d'aménagement et d'équilibre du territoire, car on observe de réelles inégalités en matière de couverture du territoire.
Bien d'autres questions restent à trancher dans le domaine des télécommunications : celle de la convergence des régimes juridiques du câble et des télécommunications ou celle du développement des technologies porteuses d'avenir comme la boucle locale radio ou la téléphonie mobile de troisième génération, qui sont actuellement fragilisées par le prix exorbitant fixé pour l'attribution des licences UMTS. Sur ce point, nous avons déjà dénoncé à cette tribune la façon de pratiquer du Gouvernement.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Au nom de l'équilibre des fonds de retraite, nous allons gravement entraver la mise en place de cette technologie de troisième génération. Il nous faut une vraie vision stratégique plutôt que des « réformettes » éparses et éclatées.
Je souhaite - mais n'est-ce pas un rêve ? - qu'un véritable débat législatif s'engage sur l'évolution du domaine des télécommunications et d'Internet. M. René Trégouët le disait hier soir : c'est la seule manière de réfléchir collectivement à l'avenir de ce secteur si important.
Dès lors, madame le secrétaire d'Etat, pouvons-nous espérer avoir un jour ce débat, ou devrons-nous attendre le dépôt d'un projet de loi portant diverses mesures d'urgence sur l'adaptation économique et le développement du territoire pour pouvoir aborder, au détour d'un article ou d'un amendement, des sujets essentiels en termes d'aménagement équilibré du territoire et, tout simplement, de progrès éducatif et social dans notre pays ? Il y va pourtant de notre place en Europe et dans le monde ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Très bien !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite intervenir, au nom du Gouvernement, sur les titres Ier et II du projet de loi. Je répondrai de façon générale à certains orateurs avant de revenir sur quelques aspects plus spécifiques.
Je voudrais tout d'abord dire à M. Delaneau que je comprends ses remarques sur la charge de travail que le Gouvernement impose à la commission des affaires sociales du Sénat. Cependant, il me permettra sans doute de ne pas approuver les qualificatifs employés : il a parlé en effet de méthodes expéditives, d'hypertrophie législative, de mesures destinées à satisfaire avant tout les composantes de la gauche plurielle. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. C'est d'actualité !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. J'ajouterai à cette liste la « fébrilité » qu'a évoquée M. Larcher ce matin. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Jean Chérioux. Elle est évidente !
M. Serge Lagauche. On se calme ! Laissez. Mme la secrétaire d'Etat s'exprimer !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. M. le président de la commission des affaires sociales connaît trop bien le fonctionnement du Gouvernement et les contraintes liées au calendrier parlementaire pour ne pas relativiser les conditions dans lesquelles le Parlement est conduit à traiter de sujets aussi importants que ceux qui sont abordés dans ce projet de loi.
D'ailleurs, j'ai du mal à comprendre la logique consistant à critiquer la diligence que met le Gouvernement à traduire dans la loi des mesures acceptées et attendues par lui, s'agissant, par exemple, du fonds de réserve des retraites et de la nouvelle convention d'assurance chômage. Je ne comprends pas davantage les critiques sur la ratification du code de la mutualité, à propos desquelles s'exprimera un autre membre du Gouvernement.
Enfin, j'admets bien volontiers que l'examen d'un texte portant « dispositions diverses » est parfois fastidieux, voire imprévisible, ne serait-ce qu'en raison de l'exercice du droit d'amendement des parlementaires. On ne pourra cependant pas nier que recourir à une telle pratique, si regrettable soit-elle au regard du travail parlementaire, est souvent nécessaire et que cette méthode a été employée par bien des gouvernements.
M. Guy Fischer. Cela, ils oublient de le dire !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. J'en viens maintenant au fond des critiques qui ont été formulées sur les titres Ier et II.
Je voudrais tout d'abord remercier M. Louis Souvet de la qualité de son intervention, ainsi que du caractère exhaustif de son analyse du titre Ier du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel. (Ah ! sur les travées du RPR.)
M. Jacques Valade. Il y sera très sensible ! (Sourires.)
M. Alain Gournac. On le lui dira !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Après avoir fait part de sa satisfaction sur un certain nombre de points, il a exprimé des regrets et des craintes que je vais m'efforcer de dissiper.
Avec une grande objectivité, M. Souvet a mis en valeur les avancées permises par la convention d'assurance chômage agréée par le ministre de l'emploi et de la solidarité le 4 décembre dernier.
Il est indiscutable que les mesures actives d'aide au retour à l'emploi qui pourront être prescrites par l'ANPE dans l'optique du projet d'action personnalisé devraient permettre de renforcer la politique de lutte contre le chômage, qui, depuis 1997, constitue la priorité du Gouvernement.
Nous ne pouvons également que nous réjouir de l'amélioration des conditions d'indemnisation décidée par les partenaires sociaux, avec l'élargissement des publics bénéficiaires et la suppression de la dégressivité. Nous souscrivons à la baisse mesurée, progressive et conditionnée par l'équilibre financier du régime d'assurance sociale des contributions des employeurs et des salariés.
J'aborderai maintenant le chapitre des regrets.
MM. Souvet et Gournac ont souligné le caractère tardif de l'agrément par les pouvoirs publics de la nouvelle convention d'assurance chômage...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... et du dépôt sur le bureau des assemblées du projet de loi permettant de mettre celle-ci en oeuvre.
Sur le premier point, c'est le rythme propre à la négociation entre les partenaires sociaux puis entre ces derniers et le Gouvernement qui explique que l'agrément de la nouvelle convention d'assurance chômage n'ait pu intervenir que le 4 décembre 2000. Ces mois ont été mis à profit pour obtenir de nombreuses améliorations du projet de texte initial, et surtout pour écarter tout risque d'instaurer un système à double vitesse.
La convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 est aujourd'hui pleinement conforme aux dispositions du code du travail sur des thèmes aussi sensibles que les conditions d'ouverture du droit à l'indemnisation ou le contrôle de la recherche d'emploi.
Sur le second point, la date du dépôt du projet de loi, qui a été jugée tardive, s'explique par la nécessité de préparer dans les meilleures conditions possibles l'entrée en vigueur des dispositions novatrices de la nouvelle convention d'assurance chômage. Durant les premiers mois de cette année, l'Etat, l'ANPE et l'UNEDIC ont travaillé à la conception de deux conventions fixant les modalités opérationnelles de la mise en oeuvre du plan d'aide au retour à l'emploi. Comme M. Souvet l'a souligné, ces textes d'application sont sur le point d'être signés. Par ailleurs, l'ANPE, opérateur central du nouveau dispositif, a pu se préparer à l'échéance de la mise en oeuvre du projet d'action personnalisé, notamment en procédant au recrutement de nouveaux agents.
Je voudrais, enfin, apaiser certaines des craintes exprimées par M. Souvet.
M. le rapporteur s'est inquiété du fait que l'UNEDIC finance désormais une part importante des moyens de l'ANPE et a évoqué le risque que les partenaires sociaux ne se substituent à l'Etat dans la mise en oeuvre de la politique de l'emploi. Je reconnais l'importance de l'apport financier des partenaires sociaux signataires de la convention d'assurance chômage, mais je souhaiterais en même temps que l'on ne perde pas de vue le fait que, dès 1997, l'Etat a mis en place des moyens considérables, qui n'ont cessé de progresser depuis lors, en termes d'actions visant à favoriser le retour à l'emploi ainsi que la prévention et la lutte contre les exclusions.
S'agissant notamment des moyens dont l'ANPE a été dotée par l'Etat - à cet égard, je réponds aussi aux doutes formulés par M. Francis Grignon - plus de 1 900 recrutements supplémentaires ont été rendus possibles depuis le lancement du programme « Nouveau départ ». J'observe que, en 1998, les crédits relatifs à l'ensemble des prestations d'accompagnement de l'agence s'élevaient à 469 millions de francs. Or leur montant est passé en trois ans à plus de 1 milliard de francs.
Je confirme qu'il n'est aucunement question, pour le Gouvernement, de réduire ces moyens à l'avenir par je ne sais quel redéploiement déguisé. Le Gouvernement, dans le cadre des engagements qu'il a pris au titre du programme national d'action pour l'emploi et dans l'optique de la préparation du programme national de lutte contre les exclusions, le réaffirme.
Je voudrais également répondre aux doutes que certains ont exprimés sur les capacités de l'ANPE à faire face aux enjeux de ce nouveau dispositif. Il me semble que les résultats que l'agence et le service public de l'emploi en général ont enregistrés depuis trois ans dans le cadre du service personnalisé pour un nouveau départ parlent d'eux-mêmes : plus de deux millions et demi de chômeurs de longue durée ont été reçus et ont bénéficié de services adaptés à leurs besoins, ce qui a permis à 57 % d'entre eux de retourner à l'emploi au bout de quatre mois seulement, résultat nettement supérieur à ceux qui sont habituellement obtenus pour ce type de publics. C'est ce qui a permis de faire reculer le chômage de longue durée de plus de 40 %, contre 33 % pour le chômage en général. Comme l'a souligné M. Claude Domeizel, nous sommes passés d'une logique de prescription de mesures administratives à une véritable logique de services.
Enfin, M. Souvet a évoqué le contrat de progrès signé entre l'Etat et l'ANPE. Il n'est pas question de remettre en cause celui-ci, même s'il conviendra sans doute d'en réviser les annexes techniques et financières pour tenir compte notamment de l'importante augmentation du nombre des bénéficiaires des services délivrés. Je rappelle qu'il s'agit en effet de passer de 1,5 million de nouveaux départs à 3,5 millions de PAP « Nouveau départ », puisque tel est l'objectif que nous avons fixé.
S'agissant du coeur du contrat de progrès, il n'y a rien à changer puisque le PAP est dans la droite ligne du service personnalisé pour un nouveau départ.
Certains s'interrogent ensuite sur la destination de la contribution exceptionnelle de l'UNEDIC à l'Etat. Il n'est pas dans l'objet de l'article 5 du projet de loi de décider de l'affectation de cette somme : cela relève du projet de loi de finances. Il ne s'agit ici que d'autoriser le régime d'assurance chômage à utiliser ses contributions à d'autres fins que l'indemnisation des demandeurs d'emploi.
A ceux, enfin, qui, comme M. Souvet, rapporteur, et M. Trucy, s'émeuvent du fait que la loi réserve les mesures d'aide au retour à l'emploi aux contrats de travail à durée indéterminée ainsi qu'aux contrats de travail à durée déterminée d'au moins douze mois, je souhaite répondre que le Gouvernement et les partenaires sociaux sont en plein accord pour que ces nouvelles aides n'alimentent ni les effets d'aubaine ni la précarité. J'ajoute que l'ensemble des aides à l'emploi connaissent des encadrements qui ne sont ni plus ni moins coercitifs que ceux qui vous sont proposés.
Je vais tenter maintenant d'apporter une réponse satisfaisante aux souhaits que vous avez exprimés, mesdames, messieurs les sénateurs. J'ai déjà apporté les éléments de réponse concernant les moyens dont l'ANPE disposera afin d'assumer le rôle ambitieux qui lui est confié.
Vous avez très justement évoqué le sort des demandeurs d'emploi non indemnisés par le régime d'assurance chômage. Le Gouvernement s'est engagé, durant la négociation de la nouvelle convention d'assurance chômage, à éviter tout ce qui pourrait ressembler à la mise en place d'un système à double vitesse.
Ainsi, le projet d'action personnalisé pour un nouveau départ sera étendu à l'ensemble des demandeurs d'emploi. C'est désormais un acquis, comme l'a souligné M. Claude Domeizel. Dans le cadre du prochain programme de lutte contre les exclusions, un effort particulier sera consenti en faveur des bénéficiaires du RMI. Enfin, l'offre de services de l'agence sera accessible dans les mêmes conditions aux anciens agents du secteur public en auto-assurance, une circulaire du ministère de l'emploi est en préparation sur ce point.
Monsieur Muzeau, vous relevez que la convention d'assurance chômage du 1er janvier, agréée le 4 décembre 2000, d'une part, améliore l'indemnisation des demandeurs d'emploi en supprimant la dégressivité et en facilitant l'indemnisation des travailleurs précaires, d'autre part, ne remet nullement en cause les règles du code du travail en matière de contrôle de la recherche d'emploi. J'en prends acte.
J'observe, par ailleurs, que, pour la gestion du régime d'assurance chômage, les cinq organisations représentatives de salariés sont désormais « réputées adhérentes » à cette convention.
Vous vous interrogez sur le caractère obligatoire de la signature du PARE et sur ses conséquences. Je vous rappelle qu'un demandeur d'emploi ne s'ouvre des droits au régime d'assurance chômage qu'en fonction de conditions d'âge et d'activité antérieures.
Le PARE ne saurait constituer une condition supplémentaire d'indemnisation.
C'est parce qu'il est demeuré inflexible sur ce point au cours des négociations que le Gouvernement a pu agréer la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001. Il est inutile de continuer à épiloguer sur les caractéristiques d'un formulaire, alors que nous devons concentrer notre énergie sur la mise en oeuvre de l'accompagnement personnalisé vers l'emploi, que nous souhaitons tous de qualité.
Monsieur le président, j'ai bien conscience d'avoir été un peu longue,...
Plusieurs sénateurs du RPR. Oh non !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... mais nous souhaitions apporter une réponse la plus détaillée possible sur le titre Ier, ainsi que sur le titre II, comme je vais m'y employer maintenant.
M. Alain Gournac. Nous vous écoutons !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur Vasselle, je vous remercie d'avoir bien voulu reconnaître que le Gouvernement ne s'est pas montré sourd à l'invitation du Sénat de procéder rapidement à la constitution effective du fonds de réserve pour les retraites.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. Il n'est jamais trop tard pour bien faire !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Il semble cependant que le projet présenté par le Gouvernement, et amélioré en première lecture par l'Assemblée nationale, ne trouve guère grâce à vos yeux. Vous avez exprimé un ensemble de critiques, dont certaines méritent des réponses argumentées.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Ah !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Vous affirmez d'abord que la création du fonds de réserve pour les retraites est la seule réforme tangible de cette législature en matière d'adaptation de nos systèmes de retraite. Vous réduisez la création du conseil d'orientation des retraites, le COR, à une opération de communication du Gouvernement, en rien susceptible de rassurer les Français face aux perspectives inquiétantes qu'a tracées le rapport Charpin.
M. Jean Chérioux. Hélas, oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous avez bien écouté !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. C'est là une critique facile et, à la limite, injuste. (Protestations sur les travées du RPR).
Le Gouvernement connaît d'autant mieux les difficultés à venir que c'est lui qui a chargé le commissaire au Plan Jean-Michel Charpin de réaliser un rapport sur l'avenir de nos retraites.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Il ne fallait pas attendre !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Heureusement que vous ne l'avez pas demandé à M. Teulade !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Ce rapport, chacun le reconnaît, constitue un diagnostic approfondi de la situation que vont rencontrer tous les régimes de retraite au cours des quarante prochaines années. Le Premier ministre, dans l'intervention du 21 mars 2000 qu'il a consacrée à l'avenir du système de retraites, a largement repris à son compte l'analyse de ce rapport.
Des adaptations du diagnostic ont été rendues nécessaires en raison de l'amélioration très nette de la croissance et de l'emploi que le rapport Charpin n'avait pu prendre pleinement en compte.
Un délai doit être utilisé pour parfaire l'adhésion de l'opinion à ce diagnostic, et c'est le rôle du COR, sous la houlette déterminée de Mme Yannick Moreau, que d'y travailler. Je crois que ce conseil a réalisé des progrès tout à fait significatifs dans ce sens et je pense qu'en s'appuyant sur lui le Gouvernement donne toutes leurs chances de réussite aux adaptations qui devront intervenir.
Vous tentez, ensuite, de minimiser le rôle du fonds de réserve pour les retraites pour permettre à nos régimes de retraite par répartition d'affronter les changements démographiques. Vous contestez, notamment, l'objectif assigné au fonds de réserve pour les retraites, qui est d'accumuler 1 000 milliards de francs d'ici à 2020, afin qu'il puisse verser aux régimes de retraite, entre 2020 et 2040, des sommes qui représenteront la moitié environ des besoins de financement.
Vous mettez en doute la capacité de l'Etat à dégager d'ici à 2020 ces 1 000 milliards de francs. Pour cela, vous rejetez les hypothèses macroéconomiques qui permettent de rendre cet objectif réalisable, en particulier l'objectif d'un taux de chômage à 4,5 % en 2010, soit quatre points de moins qu'aujourd'hui d'ici à dix ans,...
M. Jean Chérioux. C'est très ambitieux !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... alors que ce gouvernement, depuis quatre ans seulement, a déjà réussi la performance de réduire le taux de chômage de quatre points. Pourquoi ce qui a été possible au cours des quatre dernières années ne le serait-il pas au cours des dix prochaines ?
M. Jean Chérioux. A cause de la conjoncture internationale !
M. André Jourdain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Eh oui, la conjoncture peut changer !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Il suffit que la croissance se maintienne à un rythme annuel moyen de 3 % d'ici à la fin de la décennie, c'est-à-dire sur la trajectoire où notre économie est placée depuis quatre ans.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Et même, cela ne sera pas suffisant !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. C'est la précision que vous aviez demandée lors de l'audition de Mme Elisabeth Guigou devant la commission des affaires sociales de la Haute Assemblée.
Vous exprimez ensuite un doute sur la capacité des différents régimes sociaux - la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés, la CNAVTS, le fonds de solidarité vieillesse, la contribution sociale de solidarité des sociétés - à dégager des excédents mobilisables pour l'alimentation du fonds de réserve pour les retraites.
S'agissant de la CNAVTS, il est vrai que la contribution au titre de ses excédents sera moins importante que prévu.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous voyez, vous me donnez raison !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Cela tient aux perspectives démographiques les plus récentes, qui annoncent un ralentissement plus précoce que prévu de la population active, et au fait que les versements du FSV seront plus faibles, du fait du recul du chômage, qui réduit le montant des cotisations sociales qu'il prend en charge à ce titre.
Mais la situation du FSV s'améliore de façon considérable du fait du dynamisme de ses recettes assises sur les revenus des ménages et de la faible croissance de ses charges.
De plus, ses excédents seront accrus du fait du transfert progressif à la Caisse nationale des allocations familiales des majorations de pension pour enfants élevés, transfert qui aura une incidence sans commune mesure avec les ponctions auxquelles vous faites allusion ; je pense aux 35 heures ou à l'allocation personnalisée d'autonomie.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Vous allez mettre la branche « famille » en déficit !
M. Jean Chérioux. Vous pénalisez les familles !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Au total, le surcroît prévisible des recettes pour le FSV compensera, et même au-delà, la diminution de la contribution au titre des excédents de la CNAVTS.
Les projections aujourd'hui disponibles font état d'un montant cumulé de recettes pour le fonds de réserve pour les retraites de 1 180 milliards de francs en 2020. Admettons que de nombreux aléas soient susceptibles d'affecter cette prévision. Il n'en reste pas moins que l'objectif de 1 000 milliards de francs en 2020 est tout à fait crédible.
J'ajoute que cet objectif peut être atteint sans le concours de l'affectation au fonds de réserve pour les retraites d'une partie du produit de l'attribution des licences UMTS. Cette ressource, qui constitue seulement une sécurité supplémentaire,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Et quelle sécurité !
M. Gérard Larcher. Il n'y a pas un centime de dégagé !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... est, de plus, à même de préserver le plan de marche au cours des premières années de vie du fonds de réserve pour les retraites.
Bien que démentie par les prévisions disponibles, votre analyse vise à discréditer les pouvoirs publics dans leur rôle d'éclairage de l'avenir de nos retraites, et donc de garants de la viabilité de nos régimes de retraite par répartition.
Je comprends mieux, à présent, cet acharnement que vous avez mis, dans le débat sur le projet de loi de modernisation sociale, à préserver la loi Thomas de l'abrogation que la majorité de l'Assemblée nationale avait décidée.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Elle n'est pas encore morte !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Et, fort logiquement, vous contestez la construction proposée par le Gouvernement, et enrichie par l'Assemblée nationale,...
M. Alain Vasselle, rapporteur. Oui, nous la contestons !
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Nous faisons de l'acharnement thérapeutique sur la loi Thomas !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. ... qui comporte des caractéristiques innovantes, notamment un conseil de surveillance dans lequel les représentants de l'Etat seront minoritaires, un directoire formé de personnalités reconnues pour leur compétences professionnelles dans le domaine de la gestion d'actifs, et l'appel à des commissaires aux comptes. Vous mettez en cause l'aptitude de la Caisse des dépôts et consignations à assurer la gestion administrative du fonds de réserve pour les retraites, alors qu'elle assure pourtant depuis près de deux siècles la gestion, dans l'intérêt public, de fonds très importants.
Vous proposez, enfin, de remplacer le projet par une architecture dans laquelle l'Etat n'aurait pas son mot à dire sur le fonctionnement du fonds de réserve pour les retraites ! C'est, me semble-t-il, exposer la richesse collective des Français à bien des risques que de confier les clés du fonds de réserve pour les retraites à des personnalités qui n'auront aucun compte à rendre aux responsables politiques, qui, eux, mettent en oeuvre les orientations du pays en matière de retraite.
M. Alain Vasselle, rapporteur. Et le conseil de surveillance, à quoi sert-il ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement a, au contraire, entendu protéger de toute forme d'arbitraire les ressources qu'il sera appelé à gérer.
Les retraites futures des Français ne doivent pas être gérées par des « objets financiers non identifiés », mais par des organismes et des personnalités qui auront reçu une délégation claire des pouvoirs publics, eux-mêmes directement responsables devant les Français.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Comme pour le Crédit lyonnais !
Mme Nicole Péry. secrétaire d'Etat. Le fonds de réserve, c'est l'épargne collective des Français. Cette épargne collective sera sous votre protection et celle des partenaires sociaux à travers le rôle éminent que vous jouerez, demain, dans le conseil de surveillance. La plupart des pays, y compris les Etats-Unis, ont mis en place ce type de fonds collectifs.
Nous nous sommes ainsi engagés dans une dynamique de réforme qui assurera le succès du fonds par une concertation permanente, transparente et démocratique.
Monsieur Muzeau, vous avez critiqué, à juste titre, les illusions entretenues par certains sur la retraite par capitalisation. Vous le savez, nous sommes, comme vous, très attachés à la répartition.
M. Jean Chérioux. Nous aussi !
M. Guy Fischer. C'est ce qu'on dit !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Le fonds de réserve que nous créons, ce n'est pas la retraite par capitalisation ; c'est une épargne collective et solidaire pour préserver la répartition, ce n'est en rien une concession aux tenants de la capitalisation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je fais encore une fois appel à votre indulgence pour la longueur de mon propos, mais le Gouvernement souhaitait répondre de façon très précise aux orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

INDEMNISATION DU CHÔMAGE
ET MESURES D'AIDE AU RETOUR À L'EMPLOI