SEANCE DU 27 JUIN 2001


M. le président. « Art. 28 sexies . - I. - L'article 226-14 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article. »
« II. - L'article L. 4124-6 du code de la santé publique est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l'instance disciplinaire est informée de l'engagement, à la suite d'un tel signalement, de poursuites pénales pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion de ce signalement, elle sursoit à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale. »
Par amendement n° 142 rectifié, Mme Beaudeau, MM. Fischer, Muzeau et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le II de cet article.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Lors de l'examen au Sénat en première lecture du projet de loi, j'avais déposé un amendement visant à supprimer l'article 28 sexies et à le remplacer par une disposition introduisant dans le code pénal une protection renforcée des médecins signalant des abus commis sur des mineurs. Le Sénat avait alors préféré adopter l'amendement de la commission, présenté par M. Huriet, tandis qu'en deuxième lecture l'Assemblée nationale, dans une formulation certes un peu différente, reprenait l'idée d'une interdiction de condamnation disciplinaire de ces médecins, fortement tempérée cependant par la mention : « jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale ».
Tel est donc le dispositif que l'Assemblée nationale a accepté en deuxième lecture, en plaçant toutefois le premier alinéa dans le code pénal et le second alinéa dans le code de la santé publique.
Le premier alinéa, qui précise qu'« aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes », me paraît constituer une disposition positive en matière de protection à la fois des enfants et des médecins qui recueillent leurs témoignages lorsqu'ils ont été victimes d'actes de maltraitance et d'abus sexuels.
Le second alinéa proposé par l'article 28 sexies tel qu'il nous est soumis aujourd'hui me semble en revanche poser problème.
Je ne referai pas la démonstration de tous les dangers que recèle cette mesure, qui lie implicitement décisions pénales et décisions ordinales. Permettez-moi cependant de vous expliciter en quelques mots pour quelles raisons je persiste à croire que la rédaction actuelle de l'article 28 sexies est contradictoire, inefficace et manque totalement son objectif de protection renforcée des médecins signalant des abus sur mineurs.
Il ne s'agit pas, ici, de se placer sur le champ politique ni de prendre position en fonction de clivages purement partisans. Il ne s'agit pas non plus d'exprimer un vote en fonction des intérêts, préférences ou jugements des uns et des autres. Il s'agit de prendre ses responsabilités et de faire en sorte que, chacun à son niveau, nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer aux enfants et à ceux dont le métier est de faire naître et d'écouter leur parole une protection légitime, efficace, contre tous les adultes, aussi puissants soient-ils.
L'article 28 sexies pose en effet deux problèmes majeurs. Le premier, d'ordre juridique, n'est pas négligeable : cet article pose en effet dans le code pénal le principe d'une interdiction de sanction disciplinaire des médecins effectuant des signalements, tandis que, dans le code de la santé publique, cette interdiction ne vaut que momentanément, jusqu'à décision définitive de la juridiction pénale. Un code pose donc un principe qui est remis en cause dans un autre code : voilà une anomalie juridique qui, quoi que l'on pense du fond même de l'article 28 sexies, me paraît devoir être corrigée.
La seconde difficulté posée par cet article relève, elle, d'un point de vue moral, et interpelle nécessairement chacun et chacune d'entre nous, au vu, notamment, de l'actualité judiciaire française.
Vous savez comme moi que, à l'heure actuelle, se multiplient les procès qui mettent en cause des adultes ayant commis des actes de pédophilie d'une barbarie rare, et pourtant multirécidivistes. Je ne citerai pas ici toutes les affaires - elles sont nombreuses - qui font l'objet d'un procès ou qui sont en cours d'instruction. Dans l'une des dernières, on parle de soixante-douze enfants ayant été abusés par un homme durant de longues années en toute impunité !
Il s'agit de pointer l'inefficacité de notre système judiciaire en la matière, le silence de l'éducation nationale, des fonctionnaires proches des enfants atteints dans leur corps comme dans leur esprit. D'autres procès ont démontré d'autres silences, venant d'autres personnels : personnel médical, parfois travailleurs sociaux. Lâcheté d'individus frileux et inconscients ? Oui, souvent, mais pas seulement : la crainte de perdre son emploi n'excuse en rien le silence, mais elle l'explique souvent en grande partie. Pour que, plus jamais, on ose dire « je n'ai rien dit car je craignais de ne pas être cru ou d'être sanctionné », pour que ce type d'argument soit définitivement battu en brèche et ne serve plus à contribuer à étouffer la voix et la souffrance des enfants, il faut sans relâche s'atteler à protéger tous les personnels qui sont en contact avec les mineurs, et tout particulièrement les médecins, les pédopsychiatres qui parviennent à déceler la détresse et la profonde souffrance des enfants abusés et maltraités. L'épée de Damoclès de sanctions disciplinaires pesant sur les médecins qui effectuent des signalements doit être écartée, afin que ces praticiens puissent continuer à faire efficacement leur travail. Oui, un signalement doit être clair, précis et, parfois, il doit désigner nommément l'agresseur.
M. le président. Veuillez conclure, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. J'en termine, monsieur le président.
Si l'enfant désigne une personne, nous demandons au médecin non pas de juger des actes de cet individu, mais tout simplement de porter à la connaissance du procureur la transcription des propos de l'enfant, ou l'analyse de ses dessins ou de ses gestes.
La brigade des mineurs comme le procureur et les tribunaux joueront ensuite le rôle qui leur est imparti : questionner, vérifier, désigner un présumé coupable, le juger, rechercher une peine adaptée aux actes qu'il a commis, à ses antécédents, à son histoire, bref, rechercher tous les éléments nécessaires.
Les rôles ne s'inversent pas, chacun reste à sa place, mais dans une posture digne, responsable, protectrice des mineurs. Monsieur le ministre, lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, vous avez fait part de votre volonté d'améliorer la protection juridique des médecins effectuant des signalements, mais vous avez aussi reconnu les difficultés posées par l'article 28 sexies et affirmé alors qu'il valait mieux « y revenir en troisième lecture ». Pourquoi pas dès maintenant ?
M. le président. Concluez, madame Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je conclus, monsieur le président.
Mes chers collègues, le Sénat s'honorerait, je crois, de prendre réellement en compte le problème des violences faites aux mineurs, et d'approuver cet amendement que je soumets à votre jugement en vue d'une protection efficace de médecins qui, sinon, progressivement, n'oseront plus accompagner les enfants dans leur démarche difficile et courageuse de dénonciation des abus dont ils sont victimes. L'opinion jugera, et peut-être sévèrement, tout manquement à une attitude claire de la part de chacun et chacune d'entre nous.
M. le président. La parité n'est pas encore instaurée, sinon je n'aurais pas manqué de vous couper la parole bien avant, madame Beaudeau. Profitez-en, cela ne va pas durer ! (Sourires.)
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 142 rectifié ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. M. Huriet ne pouvant être présent à l'instant en séance, il m'a demandé de lire au Sénat ce qu'il aurait souhaité dire à propos de cet amendement. C'est pour moi un plaisir de lui rendre ce service, après celui qu'il m'a rendu hier lors de la discussion générale.
La commission souhaite l'adoption conforme de l'article et ne peut donc qu'être défavorable à cet amendement. Je voudrais cependant apporter quelques précisions à nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, car la position qu'ils défendent conduirait paradoxalement à priver le médecin des garanties qu'il est souhaitable de lui apporter pour qu'il puisse jouer son rôle dans le sens souhaité par eux.
Par cet article, nous avons voulu protéger le médecin contre d'éventuelles sanctions disciplinaires qui résulteraient du simple fait du signalement des sévices qu'il aurait constatés sur un enfant.
Ainsi, le paragraphe II que vous souhaitez supprimer prévoit que, lorsque des poursuites pénales sont engagées contre le médecin pour violation du secret professionnel ou toute autre infraction commise à l'occasion d'un signalement, l'instance disciplinaire, si elle est parallèlement saisie, doit surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale, afin d'éviter toute contradiction dans l'appréciation des faits.
Je comprends mal, dans ces conditions, que vous souhaitiez supprimer ce paragraphe, madame le sénateur, puisqu'il apporte une protection supplémentaire au médecin qui signale.
En supprimant le paragraphe II, vous ne maintiendrez que le paragraphe I qui prévoit qu'aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement des sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues par l'article 226-14 du code pénal.
Contrairement à ce que vous semblez croire - et je vous invite à ce sujet à relire attentivement la rédaction de cet article - ce paragraphe I n'a pas pour objet de faire bénéficier d'une sorte d'immunité absolue contre d'éventuelles poursuites disciplinaires le médecin qui signale. Cette rédaction ne fait que confirmer le droit aujourd'hui en vigueur : si le signalement des sévices ne peut être en lui-même reproché au médecin, les conditions dans lesquelles il l'a fait peuvent relever de la procédure disciplinaire, par exemple en cas d'affirmation non vérifiée sur l'auteur présumé ou lors de la remise d'un certificat à l'un des parents et non aux autorités mentionnées par le code pénal.
C'est pourquoi, en exprimant un avis défavorable sur cet amendement, la commission entend vraiment bien protéger et aboutir à l'efficacité que vous souhaitez obtenir de votre côté ; mais, paradoxalement, le dispositif que vous proposez est mal adapté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner, ministre délégué. Madame Beaudeau, le Gouvernement comprend très bien les arguments que vous avez développés, mais il vient de vous être répondu de façon assez claire. Vous suivre dans ce domaine serait contre-productif, même si nous tous ici voulons défendre de la même manière les médecins qui signalent les sévices et, bien entendu, les enfants. J'émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 142 rectifié.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il s'agit d'un point extrêmement grave. Les procès qui se déroulent - et d'autres à venir - prouveront que le groupe communiste républicain et citoyen avait raison de déposer cet amendement. Des affaires graves, dont font état les médias, risquent d'apparaître au grand jour devant les tribunaux.
Le Sénat va prendre une lourde responsabilité, la même que celle qu'a prise l'Assemblée nationale. Nous avons eu raison de défendre cet amendement et de faire appel à votre responsabilité. Monsieur le président, je demande un scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 142 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 66 :

:
Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 242122
Pour l'adoption 17
Contre 225

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 28 sexies.

(L'article 28 sexies est adopté.)

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