SEANCE DU 18 OCTOBRE 2001


M. le président. Je suis saisi par M. Seillier, au nom de la commission d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que la proposition de loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail, de la vie privée et les maladies professionnelles répond à un véritable besoin ; que le consensus sur les objectifs de la réforme laissait espérer un accord entre les deux assemblées ;
« Considérant que le Gouvernement a reconnu lui-même que ladite proposition de loi, substantiellement enrichie par ses soins, était devenue "son texte", faisant apparaître le caractère purement formel de l'initiative des députés au titre de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution ;
« Considérant que, ce faisant, le Gouvernement s'est dispensé de produire l'étude d'impact dont doit être assorti tout projet de loi ; qu'il s'est pareillement épargné la peine de recueillir l'avis du Conseil d'Etat ;
« Considérant, en revanche, qu'il a immédiatement assorti cette proposition de loi d'une déclaration d'urgence, privant ainsi les deux assemblées d'un dialogue particulièrement nécessaire ;
« Considérant que, malgré ce contexte particulier, le Sénat, en première lecture, dans sa séance du 20 juin 2001, s'était efforcé, dans un esprit constructif salué par tous, de bâtir un texte de compromis, susceptible de satisfaire l'ensemble des acteurs ; qu'il avait réussi dans cette voie, comme l'a montré le soutien de la profession agricole ;
« Considérant que le ministre de l'agriculture avait pourtant, dès cette date, anticipé l'échec de la commission mixte paritaire, qualifiant un accord éventuel de "miracle" auquel il ne croyait pas ;
« Considérant que, dans des conditions juridiques floues, le Conseil supérieur des prestations sociales agricoles a délibéré le 18 septembre 2001 sur les projets de décret ; que, en prenant pour base, à cette occasion, le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, le Gouvernement n'a laissé aucune chance à la commission mixte paritaire de parvenir à un accord ;
« Considérant qu'entre la commission mixte paritaire et l'examen du texte en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, il s'est écoulé à peine plus de vingt-quatre heures ;
« Considérant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, s'est ainsi contentée de modifier son propre texte de première lecture, reprenant toutefois quelques amendements rédactionnels adoptés par le Sénat ;
« Considérant que le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, s'il maintient en apparence un régime concurrentiel, met fin à toute liberté dans la fixation des cotisations ; que ce texte augmente de manière mécanique les prélèvements obligatoires ;
« Considérant que les chiffres fournis sur les futures cotisations des exploitants agricoles reposent sur des estimations fragiles, variables et contestables ; que l'absence d'étude d'impact a empêché d'analyser avec précision les conséquences juridiques et financières de ce texte législatif ;
« Considérant que la proposition de loi prévoit de passer sans transition d'un régime où les garanties obligatoires étaient très faibles à un système où les exploitants agricoles bénéficieront de l'intégralité des prestations ; que cette réforme, aussi généreuse soit-elle, risque d'augmenter les charges des exploitants agricoles ;
« Considérant que ses conséquences sur les dépenses publiques ont été insuffisamment analysées ; que l'existence avérée de transferts entre la branche maladie et la branche accidents du travail, à supposer qu'il y soit mis fin, nécessitera de faire bénéficier le nouveau régime, compte tenu de son mécanisme « auto-équilibré », de recettes conséquentes ;
« Considérant que le maintien de faibles prestations, dans la branche maladie, nécessitera un alignement sur celles de la nouvelle branche accidents du travail et imposera ainsi de nouvelles dépenses ; qu'en l'absence d'un tel alignement, la réforme comporte un effet pervers d'importance ;
« Considérant que le rôle confié à la caisse centrale de mutualité sociale agricole de gérer un fonds de réserves ne fait pas partie des missions traditionnelles de cet organisme ;
« Considérant que l'articulation entre le rôle de la Mutualité sociale agricole et celui des assureurs reste mal définie ; que les organismes de protection sociale complémentaire pourraient être soumis à une forme de concurrence déloyale ;
« Considérant que, dès lors, la question de l'indemnisation des organismes assureurs se pose légitimement et que la simple étude de cette question, à travers un rapport déposé par le Gouvernement, a été écartée par l'Assemblée nationale ;
« Considérant en définitive que l'Assemblée nationale a entendu dire son dernier mot dès la nouvelle lecture ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi portant amélioration de la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail, de la vie privée et les maladies professionnelles, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 19, 2001-2002). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'ai rien à ajouter à mon propos liminaire. Je considère que cette motion est défendue.
M. le président. La parole est à Mme Printz, contre la motion.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun s'accorde à reconnaître que le régime des accidents du travail et maladies professionnelles des exploitants agricoles souffre d'un besoin urgent de réformes. Le constat est, sur ce point, unanime.
Il était donc de la responsabilité du Gouvernement de prendre de nouvelles dispositions, ce qu'il a entrepris en s'appuyant sur la proposition de loi de notre collègue député Jacques Rebillard. Il convient de rendre hommage au ministre de l'agriculture non seulement d'avoir entrepris cette tâche difficile mais de la mener actuellement à bien.
Le constat, dis-je, est unanime. Notre rapporteur le résume d'ailleurs excellemment : une législation ancienne - elle date de 1966 - et confuse, puisque les accidents du travail et de la vie privée ne sont pas distingués, ce qui ne correspond plus du tout aux modalités actuelles de travail sur une exploitation agricole.
En outre, si l'assurance privée obligatoire garantit le remboursement des soins sans ticket modérateur, la pension d'invalidité n'est effective que si l'assuré est reconnu totalement inapte à l'exercice de sa profession, ce qui n'est pas le cas le plus fréquent.
Par ailleurs, de nombreuses prestations ne sont pas prévues dans l'assurance de base obligatoire, comme la rente en cas d'incapacité de travail inférieure aux deux tiers ou en cas de décès, ou les indemnités journalières et les frais funéraires. De surcroît, le montant des pensions servies est dérisoire au regard du dommage subi et ne permet même pas la survie de la famille.
On relève, enfin, malgré une transmission des données aléatoire par les organismes d'assurance, que 20 % environ des exploitants ne sont pas couverts, en violation de l'obligation. Il ne s'agit là que d'une moyenne. Les chiffres sont parfois beaucoup plus alarmants ce qui conduit à une prise en charge, en dernier recours, des accidents du travail par l'assurance maladie des agriculteurs, là encore en violation des règles. On ne peut donc pas parler d'une véritable couverture sociale efficace et organisée.
S'agissant de l'assurance complémentaire facultative, mise en place par la loi de 1972, elle ne couvre plus que 7,8 % des exploitants et ne survit que grâce aux subventions de l'Etat.
Je rappelle que la MSA n'a pas, à l'époque, été autorisée - c'est regrettable - à proposer ces contrats, dont les indemnités planchers s'élevaient pourtant à 50 000 francs annuels en fonction du gain déclaré par l'assuré.
En revanche, les assurances privées proposent aux exploitants et à leur famille des contrats globaux - assurance obligatoire et assurance complémentaire - en omettant de prendre en compte la spécificité du risque professionnel. Les indemnités servies à ce titre sont faibles : en moyenne, 24 300 francs pour une inaptitude totale et 18 000 francs pour une inaptitude partielle.
Cette activité, comme l'a souligné à bon escient M. le rapporteur, semble lucrative, avec un taux de marge de 30 % après provisionnement des risques. Dès lors, les bénéfices ainsi dégagés pourraient être largement consacrés à des actions de prévention sachant qu'il y a 40 000 accidents du travail dans le monde agricole par an. Mais tel n'est pas le cas puisque 4,5 % seulement du montant des primes est consacré à la prévention.
Il est véritablement regrettable que les organismes privés d'assurances n'aient formulé leurs propositions d'amélioration partielle des prestations actuellement servies que lorsque le système actuel est apparu menacé.
La situation que je viens brièvement d'exposer n'est pas satisfaisante. Il convient d'établir un système financièrement clair et socialement juste.
J'observe d'ailleurs, devant les défenseurs du monde rural et de la propriété privée qui siègent en nombre dans cet hémicycle, que la survivance de ce système archaïque a pour conséquence de défavoriser grandement les exploitants agricoles par rapport à leurs salariés. Ceux-ci bénéficient en effet depuis longtemps d'une véritable sécurité sociale.
Logiquement, le choix qui a été fait en concertation avec les organisations professionnelles est celui de la création d'une nouvelle branche du régime de sécurité sociale.
Plusieurs objectifs sont visés : l'institution d'indemnités journalières d'un montant de 115 à 150 francs ; l'augmentation du niveau des rentes, qui pourront atteindre 70 000 francs en cas d'incapacité totale ; l'introduction de la notion d'incapacité au lieu de l'inaptitude, ce qui placera les exploitants agricoles dans la même situation que les salariés au regard des barèmes d'indemnisation ; le versement d'une rente aux ayants droit ; enfin, la prise en charge des frais d'obsèques.
La question des retraités et de leurs conjoints intervenant sur l'exploitation de leurs héritiers est réglée de façon satisfaisante.
Comme dans les autres professions, il est normal que les personnes qui exercent non plus en leur nom ou en tant que salariés mais en tant que bénévoles soient couvertes par une assurance volontaire. En revanche, les conjoints collaborateurs d'exploitant seront assurés moyennant une cotisation réduite.
Les financements seront enfin clarifiés. Le nouveau régime de l'AAEXA sera financé non plus par des primes de nature privée mais par des cotisations de nature publique. Il devient donc une branche de la sécurité sociale et relèvera du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les cotisations seront différentes pour l'exploitant et son conjoint ou pour l'aide familial, ce qui est très important pour les femmes d'exploitants, qui sont ainsi enfin reconnues socialement.
Le Gouvernement s'engage à veiller à ce que les dépenses soient intégralement couvertes par les cotisations, les organismes assureurs et les organisations professionnelles étant associés à la détermination des tarifs. L'examen des comptes du régime par le Parlement nous semble apporter à cet égard des garanties de transparence satisfaisantes.
Pour les agriculteurs, le surcoût final de la cotisation obligatoire au titre des accidents du travail ne devrait être que de 13 %, la prime annuelle moyenne passant de 1 525 francs à 1 730 francs, soit une augmentation très modique au regard des améliorations et de la clarification de la garantie.
C'est aussi la fin de la globalisation, avec une organisation transparente du régime. Tout en maintenant le libre choix de l'assuré, ce qui est fondamental en l'espèce, il incombera aux organismes assureurs de se regrouper au sein d'une personne morale indépendante et de signer une convention avec la caisse centrale de la MSA.
Les caisses de MSA seront le pivot de cette organisation dont elles assureront l'indispensable coordination. Surtout, des actions généralisées de prévention pourront enfin être développées au bénéfice des assurés.
Un point demeure délicat : l'AMEXA, l'assurance maladie des agriculteurs, servira pour les accidents de la vie privée des prestations plus faibles que le régime actuel de l'AAEXA, puisque le ticket modérateur s'appliquera.
Compte tenu de l'infériorité de 2,7 % du taux de cotisation des exploitants par rapport au taux du régime général, les indemnités journalières ne seront pas ouvertes en cas de maladie. Il est vrai cependant que le maintien de ce différentiel de 2,7 % correspond à une demande des organisations agricoles.
Il conviendra également de relever le montant des pensions d'invalidité servies par l'AMEXA, qui reste insuffisant par rapport au futur niveau des pensions de l'assurance accidents.
On ne peut cependant reprocher au Gouvernement de donner aux exploitants agricoles des garanties décentes en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles.
Au total, au-delà du présent texte et des abondants commentaires qu'il a suscités, il est nécessaire de « revisiter » et de réformer la protection sociale des agriculteurs.
Nous nous préoccupons aujourd'hui de leur protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le problème est en passe d'être résolu avec le consensus des organisations professionnelles.
Cette modification portant sur un secteur de la protection entraîne cependant une réflexion sur le fonctionnement global de l'assurance maladie. Nous savons bien, en effet, que le niveau des pensions de retraite des agriculteurs est scandaleusement faible au regard des efforts qu'ils ont fournis durant leur vie entière et de leur contribution à la prospérité du pays. Si la France est une grande nation agricole, ce ne sont ni la majorité des agriculteurs ni les retraités de l'agriculture qui en bénéficient !
Une proposition de loi relative à la retraite complémentaire des agriculteurs a été déposée à l'Assemblée nationale par nos collègues députés du groupe socialiste. Elle permettrait de mettre les agriculteurs à parité avec les autres professions.
Nous souhaitons que la protection sociale des exploitants agricoles et de leurs conjoints soit bientôt équivalente à celle de leurs concitoyens.
C'est pourquoi le groupe socialiste du Sénat soutient votre action, monsieur le ministre, et approuve pleinement la proposition de loi qui nous est soumise. La motion tendant à opposer la question préalable déposée par M. le rapporteur n'en est à nos yeux que plus inopportune. Nous voterons donc contre cette motion. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, permettez-moi, avant de répondre à l'argumentation qui fonde cette motion, de vous féliciter à l'occasion de cette première présidence.
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Tout d'abord, qu'est-ce qu'opposer la question préalable ? Selon les règlements de nos assemblées, c'est décider qu'il n'y a pas lieu de débattre d'un texte.
Or je considère, pour ma part, qu'il y a lieu de débattre de la présente proposition de loi parce que la réforme qu'elle contient est indispensable. S'il fallait s'en convaincre, il suffirait d'ailleurs de lire l'excellent rapport élaboré par M. Seillier pour la première lecture, en tout cas la partie de ce rapport où il se livre à un constat.
M. Seillier soulignait ainsi de manière très explicite, et je ne peux que l'approuver, premièrement, que le système en vigueur servait des prestations très insuffisantes, deuxièmement, qu'il n'offrait pas une couverture universelle et, troisièmement, qu'il ne mettait pas en place des politiques de prévention rigoureuses.
Il s'agit donc bien d'un constat de déficience du système de couverture du risque accidents du travail des agriculteurs, et c'est un constat qui, je crois, a fait l'unanimité.
Or, si le système est déficient, il faut le réformer, et c'est pourquoi il y a lieu de débattre d'un texte qui vise à remédier à ses inconvénients.
Trois arguments ont été avancés à l'encontre de ce texte.
En premier lieu, selon mon ami le sénateur Jacques Pelletier, une majorité d'agriculteurs serait contre la réforme. J'ignore où il situe cette majorité, car, que je sache, les administrateurs de la MSA sont des agriculteurs et ils sont démocratiquement élus ! Les agriculteurs considèrent d'ailleurs la MSA comme « leur » système de sécurité sociale, parce qu'ils élisent directement ses gestionnaires.
Les agriculteurs ne sont donc pas du tout en désaccord avec la présente proposition de loi puisqu'elle recueille un accord profond dans tous les rangs de la MSA, de la base au sommet.
Il ne faut pas opposer ainsi « une majorité d'agriculteurs » à une MSA qui ne serait qu'un simple instrument technocratique ou bureaucratique, alors que ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui la gèrent !
En deuxième lieu, il me paraît incongru, monsieur le rapporteur, de nous reprocher le fait que le conseil supérieur des prestations sociales agricoles ait été amené à se prononcer sur les projets de textes d'application de la future loi.
On reproche souvent au Gouvernement - il m'est arrivé de le faire en tant que parlementaire de la majorité ou de l'opposition, car, dans les deux cas, c'est toujours le même procès - de tarder à prendre des décrets d'application et de ne pas informer préalablement le Parlement sur le contenu de ces textes. En l'espèce, monsieur le rapporteur, tout était sur la table avant le vote définitif de la loi précisément afin que vous puissiez juger du contenu des projets de textes d'application !
Vous dites que, dans ces projets de textes d'application, nous avons considéré a priori que l'Assemblée nationale aurait le dernier mot. J'aurais ainsi « préempté » le débat.
Mais, monsieur le rapporteur, c'est bien en vertu de la Constitution que l'Assemblée nationale a le dernier mot. J'ai donc pensé que si une version du texte avait davantage de chance d'être adoptée que l'autre, c'était plus probablement celle de l'Assemblée nationale que celle du Sénat. Ce n'était pas faire preuve d'esprit partisan, c'était faire un simple constat objectif.
Reste, en troisième lieu, la question importante, soulevée par M. About, de l'indemnisation des assureurs.
Je m'en suis entretenu avec les responsables de Groupama, et je ne crois pas que ceux-ci entreprendront une quelconque démarche en vue d'obtenir une « juste indemnisation ». En effet, ils ne sont en rien spoliés : le compte d'exploitation de Groupama à la fin de 2000 - ce sont les derniers chiffres dont nous disposions, on verra ce qu'il en sera en 2001 - fait apparaître que, pour la couverture du risque « accidents du travail », le montant des primes encaissées s'élève à 590 millions de francs, alors que les prestations versées atteignent 237 millions de francs.
L'excédent brut est donc d'environ 360 millions de francs. Il faut certes en déduire des frais de gestion et les nécessaires provisions. Même en les estimant au maximum - ils font l'objet d'un consensus, sur lequel nous nous sommes fondés, entre les assureurs, Groupama et la MSA - et en se reportant aux frais passés, on obtient, avec quelque 305 millions de francs de prestations versées, de frais de gestion et de provisionnement, un excédent de 290 millions de francs au bas mot.
Par conséquent, on ne pourra pas parler de spoliation si le nouveau système aboutit à une légère réduction de cet énorme excédent, qui représente plus de la moitié du chiffre d'affaires.
M. Guy Fischer. C'est exceptionnel !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Non, ce n'est pas exceptionnel, car c'était davantage encore l'année précédente.
M. Guy Fischer. Le montant est exceptionnel !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Nous sommes d'accord, monsieur le sénateur !
D'une certaine manière, les spoliés étaient les agriculteurs, qui étaient mal couverts par le risque accident du travail. Nous faisons ici, en quelque sorte, oeuvre de justice.
Par conséquent, j'estime qu'il y a vraiment lieu de débattre de ce texte, et je souhaite que nous puissions le faire.
M. Nicolas About, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About, rapporteur. Sans vouloir m'étendre sur le sujet, je souhaite tout de même apporter quelques précisions en réponse à M. le ministre.
Premièrement, au sujet de la question préalable, monsieur le ministre, si nous avons fait le constat qu'il n'y avait pas lieu de débattre, c'est à cause du Gouvernement. Vous nous avez en effet signifié que l'Assemblée nationale aurait le dernier mot, comme je l'ai dit tout à l'heure. Quand vous avez présenté les projets de décret du 8 septembre, votre idée était que, de toute façon, le dernier mot reviendrait aux députés et que peu vous importait, dès lors, la discussion au Sénat. C'est donc bien le Gouvernement qui nous a fait comprendre qu'il n'y avait pas lieu de débattre au Sénat.
Deuxièmement, vous nous dites qu'il y a là un dossier important et urgent à régler. Dans ces conditions, je m'étonne que le Gouvernement n'ait pas cru bon de déposer un projet de loi. J'en déduis qu'il ne souhaitait pas débattre sur ce sujet.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Vous êtes donc contre l'initiative parlementaire !
M. Guy Fischer. Très bonne remarque !
M. Nicolas About, rapporteur. Pas du tout, je ne suis pas contre l'initiative parlementaire, qui est là pour compenser, la plupart du temps, les carences du Gouvernement.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Nicolas About, rapporteur. Mais, très curieusement dans cette affaire, le Gouvernement profite de l'action parlementaire pour nous priver du débat que nous avons nous-mêmes décidé d'instaurer.
Et comment le Gouvernement s'y prend-il, alors qu'il ne pensait pas du tout débattre de cette question ? Il demande l'urgence. Et l'urgence, nous le savons bien, revient à couper la parole purement et simplement au Sénat.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Bien sûr que non !
M. Nicolas About, rapporteur. Mais si ! Donc ce Gouvernement, qui n'avait absolument pas prévu de parler de ce sujet - pas de projet de loi, pas d'avis du Conseil d'Etat, rien ! -, tout d'un coup, découvre l'urgence du débat et sort les décrets encore plus vite - ou presque - que la proposition de loi. C'est tout de même assez fantastique !
Vous ne nous ferez pas croire que c'est le Sénat qui décide qu'il n'y a pas lieu de débattre. Au contraire, nous avons cherché un consensus. Nous étions prêts à toutes les discussions et nous ne voulions pas que les agriculteurs soient les spoliés dans cette affaire.
Nous avons donné notre accord pour que vous puissiez encadrer les tarifs par arrêté. La solution que nous proposons ne va donc pas du tout mettre les agriculteurs en difficulté, ni permettre aux assurances de s'en mettre plein les poches.
Notre solution vise à éviter aux agriculteurs d'être purement et simplement livrés à la MSA au tarif que vous aurez décidé.
Enfin, la MSA, c'est, certes, des exploitants agricoles, mais ce n'est pas un syndicat. Or les syndicats sont manifestement favorables à la proposition du Sénat. Je regrette d'autant plus que nous n'ayons pas pu continuer cette réflexion tranquillement, comme le jeu de la navette le permet.
Ainsi, par la volonté du Gouvernement, qui, non seulement n'a pas voulu ce débat, mais a mis fin à celui qui était initié par les parlementaires eux-mêmes, nous arrivons à la solution qu'il préconisait depuis longtemps. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Serge Franchis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en juin dernier, lors de l'examen par le Sénat de la proposition de loi sur la couverture des non-salariés agricoles contre les accidents du travail, le groupe de l'Union centriste, bien que tout à fait conscient des déficiences du régime actuel, avait exprimé ses plus vives réticences à l'égard de ce texte vraisemblablement inspiré par le Gouvernement.
Permettez-moi de revenir très rapidement sur les défauts majeurs, selon nous, de cette proposition de loi.
Faute, sans doute, de ne pas avoir entendu l'avis des premiers concernés, c'est-à-dire les exploitants agricoles, représentés par leurs syndicats, cette proposition de loi ne tient pas compte de certaines spécificités de la profession. C'est l'objet de la première grande critique.
La préférence de la profession pour une autonomie dans la gestion des accidents du travail dans un cadre concurrentiel est ignorée, le texte prévoyant la création d'un nouveau risque de sécurité sociale
La deuxième grande critique faite par les principales organisations syndicales agricoles porte sur le risque d'une augmentation très sensible des cotisations.
En première lecture, nous avons évidemment soutenu les propositions de la commission des affaires sociales en faveur du maintien d'un régime concurrentiel. Telle est la volonté de la plupart des exploitants agricoles attachés à leur espace de liberté dans ce domaine. La création d'un nouveau risque est facteur de plus de contraintes pour les agriculteurs et d'une augmentation de leurs charges.
La Mutualité sociale agricole recevant par ailleurs la gestion du contrôle de l'obligation d'assurance, l'animation de la prévention et le contrôle médical, le dispositif proposé par la commission des affaires sociales du Sénat était équilibré.
L'Assemblée nationale et le Gouvernement n'ont pas cru bon de le retenir. Nous le déplorons, et c'est pourquoi le groupe de l'Union centriste votera la question préalable.
M. Michel Moreigne. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, je veux tout d'abord saluer votre première présidence et m'associer aux compliments qui vous ont été adressés.
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue.
M. Michel Moreigne. En fait, mon intervention tient plus du rappel au règlement que de l'explication de vote.
En effet, je constate que M. le rapporteur est intervenu deux fois.
M. Nicolas About, rapporteur. Je suis aussi président de la commission !
M. Michel Moreigne. Vous avez donc deux chapeaux, monsieur le rapporteur, l'un de président de la commission des affaires sociales et l'autre de rapporteur.
Cette double intervention n'est conforme ni aux traditions de notre assemblée ni au règlement qui s'applique habituellement dans cette enceinte. Depuis vingt-neuf ans que je siège ici, c'est bien la première fois que j'assiste à une telle anomalie.
M. Alain Vasselle. C'est dur d'entendre des vérités !
M. Nicolas About, rapporteur. Pardonnez une erreur de jeunesse ! (Sourires.)
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole et à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Si l'insuffisance du régime actuel de couverture du risque d'accidents du travail des non-salariés agricoles fait l'unanimité, la solution proposée par ce texte au monde agricole pour y remédier est bien loin, à mon sens, de recevoir de sa part un accueil aussi favorable.
Ainsi que M. le ministre l'a fait remarquer lors de nos précédents débats, la question relève d'un choix politique. Nous pouvons constater aujourd'hui que la réponse est idéologique.
Il existe deux solutions pour organiser un nouveau régime plus performant.
La première consiste à créer une nouvelle branche de sécurité sociale dont la gestion serait confiée à la MSA. C'est la voie facile, uniforme, étatique dont les conséquences ne sont pourtant pas anodines ; c'est celle que vous avez choisie ; monsieur le ministre.
En effet, les agriculteurs peuvent très légitimement craindre que leurs cotisations, qui seraient désormais fixées par l'Etat, n'augmentent, puisque le régime a vocation à s'auto-équilibrer. Or, dans le contexte actuel de la crise qui entoure la profession, il est essentiel de ne pas alourdir leurs charges.
De plus, cette solution évince les assureurs d'un marché qui représente pour eux une activité non négligeable ; ils devraient être indemnisés.
C'est donc une solution coûteuse dont l'efficacité reste à prouver, en raison de l'absence d'étude d'impact préalable.
L'autre voie, celle qu'a choisie le Sénat, et dont M. About vient de se faire l'écho, consiste à mettre en place un système ouvert, où chaque acteur aurait sa place et où les agriculteurs, les viticulteurs, les éleveurs et autres conserveraient leur libre arbitre. Cette solution présente l'avantage d'une nette amélioration des prestations sans faire craindre un alourdissement excessif des cotisations.
Le Gouvernement a donc choisi la première solution en dépit de l'opposition affichée d'une large partie de la profession agricole, comme l'a souligné M. Jacques Pelletier. Il a retenu cette option en dépit de l'absence d'études d'impact, qui a empêché d'analyser avec précision les conséquences juridiques et financières de ce texte législatif - on comprend pourquoi l'urgence a été déclarée ! - en dépit de l'insécurité juridique et de la distorsion de concurrence créée entre les différents organismes concernés.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de revenir sur trois points de votre propos.
Premièrement, en réponse, en particulier, à notre collègue Jacques Pelletier, vous avez dit que, selon vous, il y avait bien un très large accord de l'ensemble de la profession agricole puisque le conseil d'administration de la MSA n'est composé que d'agriculteurs.
Cela signifie-t'il qu'il faut réduire la représentation du monde agricole à ceux qui siègent dans le conseil d'administration de la MSA ? Ainsi, les représentants de la FNSEA, les représentants des chambres d'agriculture, du CNJA et autres compteraient pour quantité négligeable et leur avis n'aurait pas à être pris en considération ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Ce sont souvent les mêmes !
M. Guy Fischer. Il y a consensus !
M. Alain Vasselle. C'est une vision un peu surprenante. Etrange conception de la démocratie et du rôle représentatif des syndicats que celle du Gouvernement !
M. le ministre, si vous aviez effectivement tenu compte de l'avis de la profession, vous n'auriez certainement pas fait adopter ce texte. Tout au moins le Gouvernement n'aurait pas donné un avis favorable à l'inscription de cette proposition de loi à l'ordre du jour du Parlement.
Deuxièmement, dois-je conclure, monsieur le ministre, du fait que la Constitution donne la possibilité à l'Assemblée nationale d'avoir le dernier mot sur tous les textes de loi ordinaires, que le Sénat doit dorénavant s'attendre à devoir systématiquement opposer la question préalable au motif que le dialogue de sourds va continuer, que le texte définitif sera toujours la version qu'aura retenue l'Assemblée nationale et que le pouvoir d'amendement du Sénat sera considéré comme quantité négligeable ? Une telle situation signifierait que vous refusez le dialogue avec la Haute Assemblée pour éviter d'introduire des avancées significatives dans les textes législatifs.
Vous avez une curieuse conception, assez réductrice, du fonctionnement du Parlement ! Les Françaises et les Français ont de quoi s'inquiéter. J'espère qu'ils sauront en tirer les conséquences.
J'en viens aux incidences financières. Vous avez fait valoir que Groupama n'avait pas trop à se plaindre de cette situation parce que cette compagnie présenterait après tout prélèvement un résultat positif, près de 300 millions de francs.
Vous affirmez que la profession agricole, qui sera mieux indemnisée, va, en définitive, faire une excellente opération. Faut-il en déduire que les cotisations ne pèseront pas plus lourdement sur le budget des agriculteurs ?
Je terminerai en donnant quelques chiffres. Les simulations faites par l'ensemble des organisations professionnelles agricoles montrent qu'avec notre système, en y intégrant l'ensemble des mesures que vous souhaitez mettre en oeuvre dans le cadre de votre dispositif, la cotisation aurait été de 2 630 francs ou 2 740 francs.
Avec le vôtre, elle serait d'environ 3 200 francs. Cela signifie que le transfert de cette charge du système de l'assurance à la MSA se traduira inévitablement par une augmentation des cotisations, sans qu'il y ait, en contrepartie, une valorisation suffisante des indemnités au profit de la profession. Voilà quel sera le résultat !
Il faut que l'ensemble de la profession agricole mais également l'opinion publique le sachent : le Gouvernement fait fi des véritables soucis de gestion publique qui devraient être les siens. L'exemple en a d'ailleurs été donné avec la gestion de la sécurité sociale. Nous poursuivons toutefois les mêmes errements. Telle est la politique du Gouvernement.
C'est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales et le Sénat n'ont d'autre solution que d'adopter la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Sans trop prolonger ce débat, je tiens à répondre à M. Vasselle, car il cite des chiffres que je veux démentir, en particulier sur les cotisations.
Les chiffres auxquels nous aboutissons - après les évolutions que M. le rapporteur conteste, mais qui sont le fruit d'un travail avec toutes les parties - sont des chiffres consensuels. Ils font l'objet d'un accord de la Mutualité sociale agricole, des assureurs - donc de Groupama, monsieur Vasselle - et du ministère : les cotisations seront de l'ordre de 1 900 ou 1 950 francs par exploitation.
Ce chiffre est à comparer non pas aux 1 500 francs de cotisation antérieure par exploitation, mais aux 5 000 francs qui correspondent aux cotisations de base ajoutées aux cotisations des régimes complémentaires, soit respectivement 1 500 francs et 3 500 francs.
Dire aujourd'hui que ce texte aboutira à un alourdissement des charges pour les agriculteurs, en tout cas à prestations égales, c'est une contrevérité que je veux absolument souligner. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement, et dont l'adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 8:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 315
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 205
Contre 110

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac. Très bien !

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