SEANCE DU 25 OCTOBRE 2001


INSTRUMENTS DE L'UNION EUROPÉENNE
NÉCESSAIRES À UNE LUTTE EFFICACE
CONTRE LE TERRORISME

Suite de la discussion
d'une question orale européenne avec débat
(ordre du jour réservé)

M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale européenne avec débat n° QE 13.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier M. Fauchon, auteur de la question, et M. Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, de la qualité du débat qui s'est engagé grâce à eux.
Je souhaite également remercier les intervenants, M. Zocchetto, Mme Borvo, M. Lagauche, M. Plasait et M. de Montesquiou. Je ne serai pas en mesure de leur répondre individuellement, mais chacun se reconnaîtra dans mes commentaires. J'ai noté que leurs propos reposaient sur un socle commun extrêmement intéressant et que les divergences exprimées étaient tout à fait marginales.
Vous avez souligné, dans vos interventions, la nécessité pour les Etats, en particulier pour les Etats membres de l'Union européenne, d'intensifier leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme. Vous avez appelé de vos voeux un « changement de braquet » dans cette lutte, en particulier sur le plan européen.
Vous avez notamment insisté sur la nécessité d'harmoniser les dispositifs et de conduire en commun ce combat essentiel.
Je partage totalement ce sentiment, de même que l'ensemble du Gouvernement ainsi que le Président de la République, si j'en crois ce qui s'est dit lors du dernier Conseil européen.
La France s'est résolument engagée dans cette voie, ainsi que M. Fauchon et d'autres intervenants l'ont relevé. Je veux souligner que la plupart de nos partenaires partagent ce souci de changer radicalement de rythme, même s'ils mettent toujours quelques freins à leurs propos, j'y reviendrai.
En ce qui concerne mon ministère, j'ai renforcé la section antiterroriste du parquet de Paris, qui comptera désormais cinq magistrats, au lieu de quatre. J'ai également demandé aux chefs de juridiction d'être particulièrement attentifs et d'accorder tous les moyens possibles aux magistrats qui travaillent en relation avec ces affaires. Il leur faut en effet beaucoup de temps pour assurer les nécessaires échanges avec leurs collègues européens et, désormais, américains. J'avais proposé, pour les magistrats du siège, de renforcer l'effectif des juges d'instruction en leur accordant un poste supplémentaire, mais ils estiment qu'ils n'en ont pas besoin : nous verrons par la suite si cela se confirme.
D'autres mesures ont été présentées au Parlement et font l'objet de discussions. La Haute Assemblée a pris un certain nombre de positions sur ces textes, la semaine dernière. Je n'y reviendrai pas, même si je partage la mise en garde exprimée par M. de Montesquiou et Mme Borvo contre les mesures que nous prenons à chaud. Je pense que vous êtes tous d'accord d'ailleurs.
Sur le plan européen, je crois que nous assistons véritablement à une mobilisation très forte, sous la présidence de la Belgique, dont je tiens à saluer ici la qualité du travail et le dynamisme. Il n'était pas facile, en effet, de répondre à la demande du Conseil européen, qui s'est réuni presque immédiatement après les événements du 11 septembre.
Nous avons tous en mémoire les sinistres images des attentats terroristes qui ont frappé notre pays. La France, elle, et depuis de nombreuses années, avait déjà pris des initiatives pour lutter contre le terrorisme. Les événénements du 11 septembre l'ont conduite à renforcer son action, y compris auprès de la présidence belge. Nous ne partons donc pas de rien, mesdames, messieurs les sénateurs.
La mobilisation et les mesures qui la traduisent s'inscrivent dans la construction de l'espace judiciaire européen. Il faut accélérer ce mouvement parce que les initiatives prises ces dernières années par la France, si elles ont montré notre détermination, ont aussi mis en évidence les freins à cette construction de l'espace judicaire, freins dont nous devons parfaitement analyser les causes avant de proposer une solution, et sans montrer du doigt tel ou tel pays en critiquant ses réticences. C'est ce que nous avons essayé de faire au cours de ces dernières semaines.
Vous avez raison, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avançons beaucoup trop lentement. Si nous pouvons tous déplorer qu'il ait fallu attendre ces attentats pour accélérer le mouvement, il faut reconnaître que les choses, désormais, vont vite, et que nous avons peut-être, après l'horreur, une chance de conclure un accord très important avant la fin de l'année.
Le Conseil des ministres de la justice et de l'intérieur, dont c'est la responsabilité, s'est réuni à quatre reprises depuis le 11 septembre, dont deux fois de manière extraordinaire et une fois en commun avec les ministres chargés des finances.
De même, il me faut rappeler la brièveté du délai fixé par le Conseil européen du 21 septembre - le Conseil des ministres de la justice, le conseil dit « JAI », devra avoir arrêté les modalités du mandat le 6 décembre prochain, c'est-à-dire en moins de trois mois - qui montre que la volonté affichée trouve une traduction concrète.
Je suis persuadée que nous respecterons ce délai à quinze et en associant les pays candidats, comme nous l'avons fait jusqu'à présent, même si la perspective de l'élargissement suscite certaines réticences. La confiance qui prévaut aujourd'hui entre les Quinze peut-elle être étendue au-delà ?
En tout cas, nous devons travailler de façon très précise avec nos collègues de ces pays. Nous l'avons d'ailleurs déjà fait dès le Conseil européen qui s'est réuni à Moscou, voilà quelques jours, échangeant de manière bilatérale, notamment avec la Roumanie et la Bulgarie, sur la nécessité de répondre aux inquiétudes que vous avez fort justement formulées tout à l'heure.
Pour ce travail, réalisé à la fois à quinze et avec nos collègues des pays situés dans l'environnement immédiat de l'Europe, nous avons changé de méthode. Nous avons enfin choisi de placer le politique avant l'expertise. (M. le président de la délégation marque son approbation.)
Dans le passé, chaque fois qu'une idée de ce type a été émise pour avancer, elle a été soumise aux experts, tous personnalités de grande qualité, mais qui ont systématiquement montré les obstacles empêchant d'aboutir à la décision au lieu de proposer des solutions pour les surmonter. C'est, du reste, dans la logique de leurs attributions, mais nous pouvons collectivement le regretter.
Or, lors d'une réunion récente à Nuremberg, qui était prévue depuis longtemps, bien avant le 11 septembre, on a vu l'ensemble des experts juristes européens se concerter, et avec un grand enthousiasme, pour harmoniser les droits, et non plus pour recenser les obstacles à l'harmonisation.
Donc, nous avons des raisons d'être optimistes, car la situation évolue, y compris en dehors de la sphère politique.
Madame Borvo, je vous assure que je serai toujours à vos côtés, comme tout un chacun, pour défendre les droits fondamentaux, dont vous vous êtes préoccupée. Ce n'est pas parce que nous allons avancer que nous n'allons pas être aussi attentifs que par le passé au respect de ces droits. Je pense même, au contraire, que l'ensemble des ressortissants européens et des Etats candidats à l'élargissement vont y gagner.
Nous avons engagé le travail dans cinq directions.
Relevons, d'abord, la création d'un mandat d'arrêt européen ainsi que l'incrimination et la sanction des infractions terroristes en tant que telles. Ces dispositions étaient urgentes. Ces deux décisions-cadres, comme le relevaient MM. Fauchon, Haenel, Lagauche et Plasait, sont intiment liées dans leur esprit.
Le troisième axe important concerne la mise en place d'équipes conjointes d'enquête.
Le quatrième vise le développement de l'unité provisoire Eurojust, afin de coordonner l'action des magistrats. Au terme de son premier bilan rapide, avant l'été, Eurojust nous avait informés que 15 % des questions posées par les magistrats des pays européens concernaient déjà des faits de terrorisme ou des réseaux en lien avec le terrorisme.
Enfin, en commun avec les ministres chargés des finances, la coopération contre le financement du terrorisme constitue notre cinquième axe de travail.
Permettez-moi de revenir sur ces cinq points.
J'évoquerai d'abord le mandat d'arrêt européen, qui est au coeur de nos discussions.
Il s'agit d'un dispositif juridique qui permettra, au sein de l'Union, de remettre une personne interpellée dans un Etat membre à un magistrat d'un autre Etat membre qui la recherche. Cette remise pourra avoir lieu au terme d'un délai bref, de quelques jours à quelques semaines.
Le mandat d'arrêt s'appuie sur le principe de reconnaissance mutuelle au sein de l'Union que le Conseil européen de Tampere avait consacré. Il se fonde, ainsi que les intervenants l'ont souligné, sur la confiance réciproque entre les systèmes judiciaires des Etats membres.
Ce système a vocation à se substituer, au sein de l'Union, à la procédure actuelle d'extradition qui, comme vous le soulignez, est excessivement longue et lourde. Même dans sa forme simplifiée, elle ne répond plus aux nécessités du combat que nous menons.
A ce sujet, j'indique que le Gouvernement est en train de préparer la ratification des conventions de 1995 et de 1996, qui sera très prochainement soumise à votre approbation.
Je vous l'accorde, le processus a été beaucoup trop long, mais nous allons arriver à nos fins ! D'ailleurs, je constate que, lorsque l'on établit le calendrier parlementaire, trop souvent les ratifications des conventions internationales passent après les autres textes et que l'on recule d'année en année leur inscription à l'ordre du jour des assemblées, ce qui n'est pas bien.
Je peux confirmer à M. Fauchon que ce sont bien les personnes condamnées ainsi que les personnes recherchées qui seront concernées par le mandat.
En effet, si l'objectif est que le mandat d'arrêt européen se substitue à l'extradition, il faut que cette substitution soit la plus large possible. Donc, de même que, aujourd'hui, les extraditions visent très majoritairement des personnes non encore condamnées, le mandat doit concerner les personnes recherchées dans le cadre d'enquêtes.
Toujours sur le plan des principes, le mandat d'arrêt européen entraînera un changement important, que M. Fauchon a également relevé : l'autorité compétente pour prendre la décision de remise sera l'autorité judiciaire.
Dans notre dispositif d'extradition actuel, la décision finale de remettre une personne à une autorité étrangère fait l'objet d'un décret du Premier ministre. Cette décision est prise après contrôle de l'autorité judiciaire, sous la forme d'un avis de la chambre de l'instruction de la cour d'appel compétente. Nous associons ainsi un contrôle purement judiciaire de l'extradition à une décision gouvernementale, elle-même soumise au juge administratif.
C'est ce volet de la décision qui disparaîtra avec le mandat, puisque celui-ci devra être directement exécuté par l'autorité judiciaire requise. Ce changement représentera un grand progrès dans l'intégration européenne. Il matérialisera le principe de reconnaissance mutuelle que j'évoquais, cette confiance réciproque entre les Etats membres qui partagent les mêmes valeurs démocratiques et qui ont bâti ensemble un corpus de règles communes pour en assurer le respect.
La Commission a donc présenté un projet de décision-cadre qui a fait l'objet de discussions entre les experts et les représentants permanents à Bruxelles. Le conseil des ministres de la justice s'est réuni le 16 octobre pour faire le point sur ces travaux.
Quelle est la situation aujourd'hui ?
D'abord, nous avons pu constater que tous les partenaires sont favorables à un mandat d'arrêt européen qui soit le plus large possible : il s'agirait non pas de le limiter au terrorisme, mais bien de le rendre applicable à la plupart des crimes et délits, ne serait-ce que parce que certaines organisations criminelles sont liées au terrorisme.
Les Quinze sont également favorables à un système simple et lisible.
Ils sont, en revanche, partagés sur une question centrale, celle du principe traditionnel de la double incrimination.
Vous savez que, dans le droit de l'extradition, une personne n'est remise à une autorité étrangère que lorsque les faits qui lui sont reprochés dans l'Etat demandeur sont également incriminés dans l'Etat requis.
Or, le projet de mandat européen prévoit d'aller au-delà de ce principe et de permettre la remise de personnes y compris dans le cas où elles sont recherchées pour des faits non punis dans le pays requis. En d'autres termes, le principe de la double incrimination serait supprimé, au moins en partie. Il s'agit bien évidemment de l'une des questions les plus difficiles.
D'un côté, certains Etats, peu nombreux, souhaitent suivre la Commission européenne et prônent l'abandon du principe, avec la possibilité d'établir, à l'échelon national, certaines exceptions. La remise des personnes recherchées serait donc presque systématique, sauf dans certains cas inscrits sur des « listes négatives » d'infractions qui ne donneraient pas lieu à remise.
En particulier, la législation française applicable aux mineurs a paru trop dure à certains de nos partenaires, notamment l'Espagne, qui ont souhaité que le cas des mineurs fasse l'objet d'une de ces exceptions.
M. Pierre Fauchon. Ce sont les mineurs qui sont durs ! Cette génération est sans pitié... (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. D'un autre côté, une majorité d'Etats membres ne sont pas prêts à cet abandon presque total. Ils sont réticents à l'idée d'unifier totalement les procédures alors que le fond des droits nationaux n'est pas lui-même harmonisé.
Pour ma part, je ne vous cache pas ma préférence pour un système qui offre le maximum de garanties d'efficacité et de rapidité, dès lors qu'il ne contraint pas les Etats membres à participer à la poursuite et à la répression de comportements que leur propre système juridique approuve, voire protège.
Pour séduisante qu'elle puisse paraître, la proposition de la Commission a un défaut. En effet, l'établissement de listes négatives se révèle, à l'examen, assez compliqué.
J'ai donc proposé à mes collègues, le 16 octobre dernier, un compromis, qui a été souhaité par M. Lagauche et accepté par M. Fauchon. Ce compromis comporte deux étages.
D'une part, il comprend une « liste positive » d'infractions pour lesquelles le mandat d'arrêt européen serait mis en oeuvre d'une manière très simple, avec un contrôle formel de la part de l'Etat d'exécution. Cette liste comprendrait les infractions harmonisées sur le plan européen, comme la traite des êtres humains, et les infractions les plus graves, comme le terrorisme, le trafic illicite de stupéfiants, le meurtre et le viol, notamment.
D'autre part, pour les autres comportements répréhensibles, on appliquerait la procédure du mandat d'arrêt lorsqu'ils correspondent à des infractions dans la loi des deux Etats, même si la qualification juridique et les éléments constitutifs ne sont pas absolument identiques. Dans ce cas, il y aurait vérification par l'autorité judiciaire de l'Etat d'exécution.
Vous le voyez, je ne propose pas la suppression de la double incrimination uniquement dans un domaine très restreint. C'est même le contraire. L'important est en effet de substituer le mandat à l'extradition afin d'accélérer les procédures.
La discussion se poursuivra entre experts jusqu'à la prochaine rencontre à l'échelon ministériel, le 16 novembre.
D'autres problèmes, bien entendu, devront encore être examinés.
Vous avez ainsi soulevé, monsieur Fauchon, la question de la remise de nationaux à un Etat tiers. Actuellement, selon une vieille tradition juridique, la France n'extrade pas ses ressortissants. Néanmoins, on ne saurait plaider pour un espace judiciaire européen intégré tout en défendant un privilège de juridiction national.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Absolument !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. C'est d'autant moins envisageable que la plupart de nos partenaires acceptent d'ores et déjà d'extrader leurs ressortissants et que la convention européenne d'extradition de 1996, que nous nous apprêtons justement à ratifier, ainsi que je l'indiquais tout à l'heure, le prévoit déjà. La France tourne donc une page.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je pense aussi au problème du contrôle juridictionnel de fond. Faudra-t-il qu'il s'exerce dans le pays d'exécution ou dans le pays d'émission ? Sur ce sujet, le débat reste ouvert. Là aussi, il nous faudra trouver un équilibre, dont l'élément essentiel résidera encore une fois dans le degré de confiance des uns et des autres dans les systèmes judiciaires de leurs partenaires.
Pour ma part, je suis favorable à ce que le contrôle juridictionnel de fond s'exerce le plus possible dans le pays d'émission, le contrôle du juge de l'Etat saisi devant être le plus léger possible. Je puis en tout état de cause indiquer à M. Fauchon que la disposition sur l'autorité centrale qu'il critiquait, à juste titre, a été retirée du projet de la Commission.
M. Pierre Fauchon. C'est une bonne nouvelle !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je partage aussi votre point de vue sur la nécessité pour l'Etat requérant d'être représenté lors de la procédure contentieuse dans l'Etat d'exécution.
De même, la question du délai reste posée. La Commission propose de le fixer à quatre-vingt-dix jours. Je pense que l'on devrait étudier la possibilité de le réduire encore.
Le mandat d'arrêt européen est une étape importante dans la construction de l'espace judicaire européen. C'est une avancée majeure, vous l'avez tous souligné dans vos interventions, et c'est bien dans cet esprit que nous travaillons à sa mise en place, dans le respect de nos règles démocratiques et des droits de la personne humaine.
M. Pierre Fauchon s'est également interrogé sur la remise en liberté, question d'actualité, malheureusement.
M. Pierre Fauchon. Terriblement !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Violemment !
Je pense que la privation de liberté - la détention provisoire - reste nécessaire mais qu'elle doit être fonction, d'une part, de l'infraction commise, d'autre part, de la dangerosité de la personne ou de sa volonté de se soustraire à la justice, que ce soit en France ou ailleurs. Décider que toute remise en liberté est désormais impossible ne serait sans doute pas fondé. Restons très prudents dans la réécriture des règles et nous trouverons une solution adaptée, sachant, bien sûr, qu'au-delà de la protection de la société - préoccupation que nous partageons tous - c'est la crainte qu'une personne ayant connaissance d'un mandat d'arrêt européen n'échappe à la justice qui vous anime, monsieur Fauchon.
M. Pierre Fauchon Eh oui !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. La volonté de se soustraire à la mesure doit donc, c'est important, être prise en compte.
Quant à l'harmonisation de l'incrimination de terrorisme, que, tous, vous avez évoquée, seuls six membres de l'Union la connaissent : il s'agit de la France, de l'Allemagne, de l'Italie, de la Grande-Bretagne, de l'Espagne et du Portugal.
Les autres Etats membres traitent les infractions à raison des faits, sans considération du but recherché, alors que c'est précisément ce qui caractérise les infractions terroristes.
Le projet de décision-cadre présenté par la commission est assez proche des vues françaises et du dispositif que nous connaissons. S'agissant des incriminations, il prévoit d'abord un mécanisme de définition des actes de terrorisme par un système de liste d'infractions de droit commun assorties d'un mobile qui est le but terroriste ; ensuite la définition du « groupe terroriste » et l'incrimination des activités liées à des groupes terroristes ; enfin, l'incrimination de la tentative et de la complicité.
Sur ce point, nous nous heurtons à deux importants écueils : d'une part, certains de nos partenaires estiment que le champ prévu est trop large ; d'autre part, l'harmonisation des sanctions pose problème.
Nous avons eu à ce sujet un débat approfondi le 16 octobre dernier, mais il n'a pas permis d'aboutir. La présidence belge a proposé un compromis, qui est soumis actuellement à l'analyse des experts. Le résultat de leurs discussions sera examiné lors de la prochaine réunion des ministres du 16 novembre.
Je poursuis pour ma part mes efforts pour que la décision-cadre reste suffisamment ambitieuse, car l'harmonisation doit être la plus complète possible. M.M. Fauchon, Haenel et Lagauche savent qu'en cela je partage totalement leur préoccupation.
Les équipes communes d'enquête ne soulèvent plus, me semble-t-il, de difficulté majeure, je les évoque néanmoins brièvement, car elles constituent un aspect important de la coopération concrète entre les Etats.
Vous le savez, ces équipes ont été créées par la convention d'entraide européenne du 29 mai 2000, mais nous avons décidé de reprendre les dispositions de cette convention dans un projet de décision-cadre spécifique, afin qu'elles puissent être appliquées sans qu'il soit nécessaire d'attendre la ratification puis la transposition par tous les Etat de la convention. Ce projet devrait être adopté par le conseil « JAI » du 6 décembre, ce qui permettra la mise en oeuvre rapide des équipes communes.
Mon collègue espagnol et moi-même avons d'ailleurs décidé, le 11 octobre dernier à Perpignan, de nous engager dans cette voie dès que la décision européenne sera adoptée.
M. de Montesquiou nous a reproché de nous engager dans une discussion bilatérale en pleine négociation multilatérale. Cela correspond à une demande forte tant de M. le Président de la République que de M. le Premier ministre, et je crois que nous ne pouvions réussir le sommet de Perpignan sans cet engagement sur les équipes d'enquêtes communes dans la mesure où nous n'avons pas apporté une réponse favorable à 100 % à la demande des Espagnols de définir la remise immédiate dans le cadre d'une convention bilatérale France-Espagne. Nous souhaitons en effet que cette définition intervienne dans le cadre du mandat d'arrêt européen. Nous nous rejoignons donc sur le fond même si, sur la forme, nous pouvons diverger.
Cela m'amène à un point central de la coopération concrète entre les Etats, à savoir la montée en puissance d'Eurojust.
Je connais l'engagement de votre Haute Assemblée en faveur d'Eurojust ; vous connaissez mon engagement personnel en faveur de la mise en place rapide de cet instrument essentiel de coopération, par dessus les frontières, entre les magistrats. Je crois que, tous, nous sommes favorables à un Eurojust ambitieux.
L'unité provisoire a commencé à travailler dès le mois de mars dernier. C'est d'ailleurs au terrorisme que sa première séance de travail, à laquelle j'ai eu l'honneur de participer à Bruxelles, a été consacrée. Mes homologues ont tous tenu à désigner un magistrat connu et reconnu dans chacun de leur pays pour son action antérieure contre la criminalité organisée et le terrorisme en particulier.
Lors de cette première séance, notre représentant national a convié plusieurs acteurs de la lutte antiterroriste à venir exposer les dispositifs mis en oeuvre par la France. Nous avons ainsi pu apporter un certain nombre d'idées.
Dans cet esprit, j'ai proposé au conseil « JAI » du 27 septembre de continuer à renforcer l'unité provisoire tout en faisant avancer le texte qui fondera l'unité définitive.
Je suis consciente que rendre l'Eurojust provisoire de plus en plus performant pourrait nous faire oublier l'installation de l'Eurojust définitif. J'ai donc insisté sur la nécessité de faire aussi avancer le texte.
En outre, j'ai demandé que les magistrats d'Eurojust soient entendus pour une sorte de premier bilan d'activité par le Conseil lui-même, car, et vous l'avez sans doute constaté, si les représentants d'Europol sont souvent appelés à intervenir, ceux d'Eurojust le sont rarement, ce qui montre que les esprits n'ont pas encore évolué à propos d'Eurojust comme ils l'ont fait pour Europol.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. C'est une question de culture.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Vous avez raison. Les esprits doivent donc encore évoluer pour se conformer au traité de Nice.
J'ai proposé également de mettre en place des correspondants nationaux spécialisés dans les questions de terrorisme. Ces correspondants seront chargés de coordonner l'action des magistrats nationaux - ce qui répond à l'une de vos questions - et d'assurer une bonne circulation des informations afin de faciliter la coopération. Cette proposition a été approuvée par le Conseil.
J'ai également demandé que la coopération entre Eurojust et Europol fasse l'objet d'une véritable réflexion, car il ne faut pas perdre de vue que, lors de la création d'Europol, ni la création d'Eurojust ni celle d'un instrument de coopération entre magistrats n'ont été prises en compte.
La réflexion s'organisera dans trois directions : l'échange d'analyses et d'informations entre Europol et Eurojust ; la coopération pratique pour appuyer les équipes communes d'enquête ; enfin, la coordination des initiatives visant à demander aux autorités nationales de mener des enquêtes.
Parallèlement, nous avons approuvé la plus grande partie du texte de la décision sur l'unité définitive. Le seul point notable qui doit encore être réglé concerne la protection des données, mais nous mettons actuellement au point le moyen de concilier les approches divergentes des partenaires. J'ai donc bon espoir que la décision puisse être adoptée le 6 décembre prochain.
Enfin, j'indique qu'afin d'utiliser à plein les possibilités d'Eurojust, j'ai décidé d'autoriser le représentant français à recevoir, transmettre et suivre l'exécution des commissions rogatoires internationales, avec le souci de faciliter leur exécution la plus rapide possible par les magistrats compétents.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le représentant français pourra également aider les juges, à leur demande, à préparer les commissions rogatoires internationales qu'ils souhaitent émettre, pour gagner en temps et en efficacité.
Le cinquième et dernier point a trait à la lutte contre le financement du terrorisme.
C'est évidemment un volet essentiel de la lutte contre le terrorisme, vous l'avez souligné, monsieur Haenel. Comme le disait M. Fauchon, il nous faut, dans cette bataille, conjuguer les actions purement judiciaires ou policières avec celles qui s'adressent aux acteurs économiques et financiers. Nous avons besoin d'un ensemble de mesures qui s'articulent de manière cohérente entre elles et qui s'appuient sur une volonté politique sans faille de la part des Etats.
Nous ne partons pas de rien. Chaque Etat membre dispose déjà d'une législation permettant, même si elle est imparfaite, de lutter contre le financement du terrorisme. Nous développons également depuis plusieurs années les moyens de l'Union européenne dans ce domaine.
Sur le plan mondial, nous disposons de la convention internationale contre le financement du terrorisme. Vous savez qu'il s'agit d'une initiative française. Elle est en cours de ratification par nos partenaires et la Haute Assemblée a examiné la semaine dernière le projet autorisant la ratification française.
La loi relative aux nouvelles régulations économiques a permis à la France de renforcer son arsenal législatif. Dans le domaine préventif, celui-ci comprend les déclarations de soupçon systématiques pour toutes les relations avec les pays non coopératifs, au-dessus d'un certain seuil ; l'extension des déclarations de soupçon à de nouvelles professions, dans l'esprit de l'actuelle révision de la directive antiblanchiment, qui vient, enfin, de faire l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen ; l'interdiction totale de toutes les sociétés écrans sans ayant-droit économique déclaré.
En ce qui concerne la répression, nous avons mis en place les saisies et confiscations judiciaires dans les procédures de blanchiment et/ou de terrorisme, la création de délits de non-justification de revenus quand la personne est en relation avec des responsables du blanchiment et des auteurs d'actes de criminalité organisée - c'est un moyen très efficace de lutte contre les complices de la criminalité organisée que vous appeliez de vos voeux.
Par ailleurs, le Gouvernement a pris les décrets permettant le gel des avoirs des personnes physiques et morales liées au terrorisme, en application des résolutions adoptées à l'unanimité par le conseil de sécurité des Nations unies.
Le Conseil commun des ministres de la justice et des finances, qui s'est réuni le 16 octobre dernier, a pris plusieurs décisions importantes dans ce sens.
Il a d'abord approuvé l'élargissement de la compétence du GAFI, le groupe d'action financière internationale, au financement du terrorisme. Pour être efficace, il faudra que le GAFI s'adjoigne la coopération d'Etats parmi ceux que l'on appelle les Etats « non coopératifs » - ceux qui figurent sur sa liste noire - mais dont le rôle dans ce domaine peut être central.
Sur un plan très concret, nous avons signé le protocole à la convention d'entraide judiciaire pénale du 29 mai 2000. Ce texte, qui résulte d'une initiative française, est conçu pour rendre plus efficaces les recherches dans les établissements bancaires, en permettant d'obtenir, d'une part, une liste des comptes bancaires détenus ou contrôlés par une personne soupçonnée, et, si possible, ceux sur lesquels elle a procuration, d'autre part, les renseignements concernant des comptes bancaires déterminés et des opérations réalisées sur un ou plusieurs comptes pendant une certaine période.
C'est une mesure très importante, qui lèvera un obstacle que rencontrent souvent les magistrats : on ne pourra plus leur opposer le manque de précision de leur demande. C'est une nouvelle brèche dans le secret bancaire, en même temps que la réponse à une question qui, tous, vous préoccupe.
M. Pierre Fauchon. Je l'espère !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. En fait, on ne pourra plus parler de secret bancaire, et je dois dire que certains ministres de la justice européens qui, en lisant la presse française, s'étaient sentis presque accusés dans le contexte actuel ont tenu à me dire qu'ils trouvaient que le chemin qu'ils avaient accompli en six mois aurait plutôt dû conduire les Français à saluer leur courage qu'à fustiger leur retard.
Nous avons en outre examiné, le 16 octobre, la décision-cadre sur le gel des avoirs. Elle est sur le point d'être adoptée. C'est un progrès sensible de la reconnaissance mutuelle.
Nous avons également demandé à la Commission d'achever son rapport sur la situation des structures juridiques, comme les trusts ou les fiducies, pour lesquelles nous devons trouver des critères minimaux de transparence. J'ai rappelé que la France attendait beaucoup de ces travaux, comme je l'avais souligné ici au moment du débat sur les nouvelles régulations économiques.
De même, l'échange de renseignements doit être intensifié. Une articulation étroite est indispensable entre, d'une part, les cellules de renseignement financier, et, d'autre part, les services de renseignement, les services répressifs et la justice.
Je voudrais maintenant aborder très brièvement le problème que M. Haenel a soulevé au sujet des empreintes digitales et d'Eurodac. Je connais l'existence de cette difficulté, mais cette question est traitée par le ministère de l'intérieur. Je ne peux donc pas vous apporter la réponse que vous demandez, monsieur le sénateur, mais je vais appeler l'attention de M. Daniel Vaillant sur la nécessité de trouver une solution dans les meilleurs délais. En effet, je crois qu'il est maintenant techniquement possible de lever les réticences françaises.
Puisque vous avez attiré mon attention sur le sujet, je rappellerai que sept magistrats de liaison sont déjà en poste en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas, en République tchèque et aux Etats-Unis. (M. Haenel fait un signe d'assentiment.)
Après le voyage que j'ai fait voilà une dizaine de jours, nous avons pris la décision d'en nommer également un à Moscou. Nous sommes aussi en train de négocier une installation à Rabat.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Cela rejoint les propos de Mme Borvo, auxquels vous adhérez tous ici, selon lesquels la nécessaire coopération entre l'Europe et le Maghreb doit passer par la France. Parce que nous avons une position privilégiée à ne pas abandonner, j'ai proposé cette nomination à Rabat.
Nous allons développer le réseau parce qu'il fonctionne, c'est vrai, extrêmement bien. Nous avons une coopération judiciaire étroite avec certains pays candidats à l'élargissement, coopération que nous pouvons encore renforcer en y installant des magistrats de liaison.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Tout à fait !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Pour accélérer le processus, je vais explorer les pistes qui viennent de se dessiner au Conseil de l'Europe - et avec la ministre roumaine de la justice, par exemple.
Quand ce n'est pas possible parce qu'il y a des difficultés pratiques elles peuvent être liées à la conception de la démocratie - ainsi que vous l'avez dit, monsieur Haenel, j'ai choisi de placer auprès de l'ambassadeur un magistrat qu'on n'appellera pas toujours magistrat de liaison, mais qui accomplira le même travail.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Je l'ai vu à Prague, il est parfait !
M. Pierre Fauchon. C'est très bien !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je dirai donc que l'effort de l'Union européenne est très sensible.
Nous sommes toujours, il faut le rappeler, dans l'esprit des décisions du Conseil de Tampere, qui a engagé les Quinze dans la voie de la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice. Nous nous inscrivons ainsi dans la ligne du programme de reconnaissance mutuelle en matière pénale, que la France a proposé et a fait aboutir sous sa présidence.
J'ai, en effet, entendu la proposition de nommer un « monsieur JAI », comme il existe un « monsieur PESC ».
M. Pierre Fauchon. Si on peut dire !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Vous comprendrez bien que je ne parlerai pas ici de M. Solana, monsieur Fauchon. Ce n'est pas une affaire de personne...
Cette discussion sur le mandat européen rejoint à mon sens celle sur le parquet européen, que le Premier ministre et le Chancelier allemand ont défini comme étant un instrument nécessaire à terme. Nous devons donc poursuivre le débat sur l'évolution de nos systèmes judiciaires, que les orateurs viennent d'évoquer.
L'une des questions souvent soulevées est celle de la responsabilité. Devant qui le parquet européen est-il responsable ? Ce sujet est indissociable du débat sur l'évolution de nos institutions. C'est en ce sens que nous devrons continuer à travailler si nous voulons régler le problème de la responsabilité.
J'ai perçu dans l'ensemble de vos propos une forte mobilisation, un besoin d'aller plus vite. Dans le cadre du mandat qui m'a été confié par le Premier ministre et après le conseil des ministres de la justice que j'ai vécu avec beaucoup d'intensité, je mettrai personnellement tout en oeuvre pour que nous trouvions l'amorce d'un compromis dès le 16 novembre et que nous aboutissions le 6 décembre.
Je vous l'accorde certes, cela donne l'impression terrible qu'il a fallu l'horreur pour que l'on avance plus vite, monsieur Fauchon, lorsque l'on parle d'espace judiciaire européen, sur le concept, nous sommes tous rapidement d'accord. Mais à y regarder de plus près, apparaissent certaines réticences, qui sont à mon avis de deux ordres : il s'agit de concilier la nécessité d'une clause de sauvegarde si un régime attente à la démocratie - c'est ce que j'ai entendu au cours du dernier Conseil - avec la poursuite de l'élargissement. C'est ce double souci qu'il faut identifier, sans se cacher derrière son petit doigt.
C'est en identifiant la difficulté, en ayant le courage d'en parler avec les pays candidats à l'élargissement que nous parviendrons peut-être à lever ces réticences qui passent pour des réticences d'experts, alors qu'elles sont en fait d'ordre politique. Cela aussi, il faut savoir le dire.
J'en viens à une remarque d'ordre plus général. Nous le disions en aparté : « Etat de droit, Etat de justice ». C'est en effet une phrase que j'ai prononcée ici même il n'y a pas très longtemps. La peur de perdre un pan de la souveraineté nationale est souvent prégnante quand nous parlons de la constitution de l'espace judiciaire européen.
Dans un contexte mondial totalement déstabilisé - on peut utiliser ce mot depuis le 11 septembre - où bon nombre de coopérations n'ont sûrement pas été menées, ni en matière policière, ni, surtout en matière judiciaire, si l'Europe veut exister, mener ce combat pour devenir le fer de lance de la sérénité retrouvée dans le monde, je reste persuadée qu'il faut qu'un espace judiciaire européen puisse naître du croisement de toutes nos cultures.
Nous pourrons alors avec d'autres pays - pays candidats, à l'Union, mais aussi pays voisins de l'autre côté de la Méditerrannée, pays du monde entier - parler de droit, de justice, de coopération judiciaire pour empêcher des réseaux d'accéder à une forme de pouvoir.
Il s'agit là à mes yeux d'un grand enjeu et j'espère que le 6 décembre prochain, l'ensemble des ministres de la justice, de l'intérieur et de l'économie de l'Europe en seront convaincus. Si nous rations ce rendez-vous, les générations futures pourraient, me semble-t-il, nous en vouloir beaucoup. (Applaudissements.)
M. le président. Je constate que le débat est clos.

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