SEANCE DU 30 OCTOBRE 2001


DROITS DU CONJOINT SURVIVANT

Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi (n° 422, 2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins. [Rapport n° 40 (2001-2002.)]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins revient aujourd'hui devant vous en deuxième lecture, après avoir été examinée par l'Assemblée nationale en première lecture les 6 et 8 février 2001, par votre Haute Assemblée le 21 juin et, de nouveau, par l'Assemblée nationale le 28 juin.
Le débat parlementaire mené jusqu'à présent a permis tout à la fois un approfondissement de la réflexion et un certain rapprochement des analyses des deux assemblées.
Des divergences subsistent encore, principalement sur les règles à appliquer pour mettre en oeuvre le nouveau dispositif successsoral, mais les objectifs sont très largement partagés.
Les précédentes lectures ont permis de dégager un accord sur certains points.
En premier lieu, la proposition de loi renforce le principe de l'égalité des enfants entre eux.
Ainsi, la suppression de la discrimination subie par les enfants adultérins dans la succession qu'ils partagent avec les héritiers légitimes et le conjoint survivant est définitivement acquise.
Dans le même esprit, l'ouverture de l'action en retranchement à tous les enfants qui ne seraient pas issus des deux époux a également constitué un point d'accord substantiel.
En deuxième lieu, l'accord des deux assemblées n'est fait sur la nécessité d'accorder une meilleure place au conjoint survivant dans l'ordre des personnes successibles.
Le conjoint survivant héritera concurremment avec les enfants. Cette règle n'a rencontré, lors des débats, aucun obstacle de principe.
Un accord a aussi été trouvé sur la possibilité donnée à l'époux survivant de rester dans son logement, d'abord à titre temporaire, dans cette période difficile qui suit la mort d'un conjoint, puis, au-delà, jusqu'à son propre décès, par l'octroi d'un droit viager d'habitation et d'usage s'imputant sur sa part successorale.
De même, le consensus s'est fait sur le principe de l'attribution préférentielle du logement familial au conjoint survivant sur sa simple demande.
En troisième lieu, les deux assemblées ont eu le souci de permettre une meilleure information des futurs époux en ce qui concerne les règles applicables à la famille, notamment celles qui sont relatives à la protection du conjoint survivant.
Aujourd'hui, les analyses des deux assemblées tendent encore à se rapprocher, grâce à certaines propositions faites par votre commission des lois.
D'abord, je constate des avancées importantes par rapport aux dispositions que vous aviez adoptées en première lecture et qui ont été rejetées par l'Assemblée nationale.
D'une part, votre commission des lois n'entend plus ouvrir à un héritier la faculté de demander que le conjoint soit privé de son droit d'habitation en cas de manquement grave à ses devoirs envers le défunt.
D'autre part, il ne vous est plus demandé aujourd'hui de contraindre le conjoint survivant à solliciter l'attribution du droit au bail à son profit, il vous est proposé de retenir à son profit le système d'attribution automatique.
Il me semble donc que, sur ces deux points, la solution sera acquise ce soir.
Ensuite, je constate également des avancées dans l'esprit du texte que votre commission des lois vous propose d'adopter mais sur lesquelles, la réflexion mérite encore d'être poursuivie, me semble-t-il, si nous voulons que la commission mixte paritaire aboutisse.
Tout d'abord, et surtout, votre commission des lois renonce à adopter - je l'en remercie - une réforme globale du droit des successions, concentrant ainsi les débats sur l'amélioration de la situation du conjoint survivant.
Il est vrai que vous avez ainsi pu, en première lecture, comme c'est, du reste, votre rôle, dire toute l'importance qu'aura à l'avenir ce texte, mais je vous remercie de vous en tenir désormais à l'amélioration du sort du conjoint survivant.
Certes, nous sommes tous conscients du fait qu'une modernisation du droit successoral est nécesaire. Cela participe, en revanche, d'une autre démarche, comme je m'en suis longuement expliquée il y a quelques semaines.
La commission des lois est prête aujourd'hui à n'amorcer une rénovation des règles générales du droit successoral que sur quelques points précis sur lesquels la réflexion des dernières années a permis de faire émerger des propositions de réforme consensuelles.
Il s'agit des règles fondatrices de la dévolution successorale, du mécanisme de la représentation d'un héritier prédécédé, de l'abandon de cette vieille théorie savante enseignée dans les universités dite des « comourants », de l'introduction de nouveaux cas d'indignité et de la réglementation de la preuve de la qualité d'héritier, laissée jusqu'à présent à l'intiative des praticiens.
Je vous avais indiqué, lors de la précédente lecture, que je n'étais pas opposée à voir évoluer rapidement la législation sur ces points aux enjeux si concrets. Je vous le confirme aujourd'hui.
Cependant, des divergences persistent entre les deux assemblées sur certaines composantes des mécanismes retenus. Cette question devrait être réglée, je l'espère, au niveau de la commission mixte paritaire.
Par ailleurs, se pose le problème délicat de l'assiette de calcul et de l'assiette d'exercice des droits du conjoint survivant.
Pour l'Assemblée nationale, les droits en propriété du conjoint survivant sont calculés sur l'ensemble des biens du défunt, y compris, par conséquent, les donations qui doivent être rapportées à la succession. Cette solution présente l'intérêt de faire du conjoint survivant un héritier comme les autres. Il est vrai, cependant, que ce mode de calcul peut aboutir à des solutions sur lesquelles on pourrait s'interroger. Est-il en effet opportun que l'enfant du couple qui, au moment de son mariage, a bénéficié d'une donation de ses père et mère pour s'installer dans la vie doive la rapporter au profit de son parent survivant ?
A l'inverse, pour votre assemblée, l'assiette des droits du conjoint est limitée aux seuls biens subsistant lors de l'ouverture de la succession. Or une telle solution pourrait conduire à la spoliation totale du conjoint si le défunt a disposé de l'ensemble de son patrimoine.
Votre commission des lois propose aujourd'hui une voie plus médiane, mais je m'interroge tant sur l'intérêt que sur la portée pratique et symbolique de la solution. Je pense que la réflexion mérite aujourd'hui d'être encore approfondie dans la perspective de la réunion de la commission mixte paritaire.
Sur les autres thèmes qui restent en discussion, le travail de rapprochement entre les deux assemblées me paraît devoir continuer pour que, je l'espère, la commission mixte paritaire parvienne à un accord.
La discussion devra porter, en premier lieu, sur la nature des droits du conjoint survivant.
Votre rapporteur vous propose de maintenir l'option offerte au joint survivant entre des droits en usufruit et des droits en pleine propriété. L'Assemblée nationale a, elle, écarté ce dispositif, soutenue en cela par le Gouvernement, en raison des inconvénients qui s'attachent, de nos jours, à l'usufruit, source de complexité et d'inertie, quand ce n'est pas de conflit.
Je vous accorde toutefois que l'utilité de l'usufruit peut, dans certains cas, se justifier selon la composition de la succession. En l'occurrence, le réalisme doit primer sur une forme de purisme peut-être de mauvais aloi.
La réflexion devra porter, en deuxième lieu, sur les places respectives du conjoint survivant et des autres proches du défunt les frères et soeurs et les grands-parents. Votre assemblée s'est montrée particulièrement sensible à leur sort dès la première lecture.
J'ai, pour ma part, une position plus nuancée, que partage l'Assemblée nationale, dans la mesure où nous avons pour objectif de rehausser substantiellement le rang du conjoint. Cela nécessite de faire primer ses droits sur ceux des frères et soeurs, sur ceux des grands-parents, qui bénéficieraient d'une créance alimentaire dans le dispositif envisagé par l'Assemblée nationale. Mais je reconnais qu'il s'agit là d'un vrai débat de société et j'espère que cette question sera réglée, elle aussi, en la commission mixte paritaire. Pour l'heure, je reste ouverte à la discussion.
La réflexion devra se poursuivre, en troisième lieu, sur plusieurs aspects du texte concernant le droit d'usage et d'habitation.
Je m'interroge sur la position de votre commission des lois, qui oblige le conjoint survivant à dédommager la succession lorsque la valeur du logement dépasse de manière manifestement excessive ses besoins. Je crois en effet, que, si une telle règle devait être maintenue, sa mise en oeuvre pourrait être très délicate, avec un risque sérieux de voir se multiplier les contentieux, et pourrait, surtout, être source d'injustices pour le conjoint survivant.
Je ne peux pas non plus adhérer, et j'en suis désolée, à la solution retenue par votre commission, qui consiste à permettre au défunt de faire porter ce droit sur un immeuble autre que le logement familial. Je serais, en revanche, plus favorable à l'option visant à lui permetre de louer le bien plus largement que l'Assemblée nationale ne l'a prévu.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission. C'est de l'usufruit, tout cela ! (Sourires.)
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je l'ai dit tout à l'heure, monsieur le rapporteur !
Cependant, il me paraît nécessaire de consacrer la liberté que l'Assemblée nationale a laissée à l'époux prédécédé de faire en sorte que le droit d'usage et d'habitation viager de son conjoint ne s'applique pas. En effet, s'il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de droit commun aussi protecteur que possible pour le conjoint survivant, il apparaît difficile de ne pas laisser une certaine liberté testamentaire au premier époux décédé, lequel a, par exemple, pu souhaiter organiser sa succession au mieux de l'intérêt de son conjoint et de ses enfants en tenant compte de la situation financière de chacun.
En dernier lieu, j'espère qu'un rapprochement pourra se faire entre les deux assemblées sur la question de la légitime protection du conjoint survivant contre les libéralités qui pourraient être consenties par le conjoint prédécédé lorsque celui-ci ne laisse pas son conjoint en concurrence avec des descendants ou des ascendants. Je ne méconnais pas qu'il s'agit là d'une idée originale, mais elle me paraît opportune, car elle est équilibrée.
Telles sont mesdames, messieurs les sénateurs, les observations succinctes que je voulais formuler devant vous au seuil de la discussion générale.
J'ai le souci profond d'aider au rapprochement entre les deux assemblées. Il a déjà été largement entamé au cours des précédentes lectures, et votre commission des lois, ainsi que son nouveau rapporteur, M. Hyest, que je tiens à saluer particulièrement, ont encore contribué à le faciliter.
J'ai donc l'espoir que, sur ce sujet qui touche malheureusement toutes les familles, le Parlement parvienne à adopter un texte équilibré et novateur.
Nos concitoyens ne comprendraient d'ailleurs pas que l'on ne puisse aboutir à un consensus, comme pour l'égalité des droits entre enfants, qu'ils soient issus du mariage ou adultérins, sur la reconnaissance de la place du conjoint survivant dans la famille qu'il a fondée avec l'époux prédécédé, et donc à un vote définitif de cette proposition de loi par le Parlement.
N'oublions pas que les époux d'aujourd'hui se sont choisis et choisissent de rester ensemble jusqu'à la fin ; que les époux d'aujourd'hui, en raison de l'allongement de la durée de la vie et malgré un taux de divorce, certes important, vivent ensemble une vie bien plus longue que les couples d'hier ; que les époux d'aujourd'hui partagent l'intimité et le quotidien de leur conjoint pendant près de quarante ans, voire soixante-dix ans, soit un temps beaucoup plus long que celui qu'ils auront passé avec leurs propres parents ou avec leurs enfants.
Il me semble que le respect dû à ce choix de l'autre et à ce long temps de la conjugalité doit désormais être inscrit dans la loi, et je suis convaincue que c'est dans cet esprit que, tous, nous devons aborder le débat d'aujourd'hui.
C'est pourquoi je vous remercie de la qualité du travail, fort intéressant et toujours enrichissant, que vous avez d'ores et déjà effectué. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre rapporteur en première lecture, M. Nicolas About, était passionné par ce sujet, comme il l'est par tout ce qui touche au droit de la famille, mais il a été appelé à d'éminentes fonctions au sein de notre assemblée ; il me revient donc de présenter en deuxième lecture les travaux de la commission des lois sur une proposition de loi qui, à l'origine, ne concernait que les droits du conjoint survivant et qui traite maintenant aussi des enfants adultérins.
Alors que ce texte avait été examiné par le Sénat le 21 juin dernier, c'est le 28 juin que l'Assemblée nationale a engagé la discussion en deuxième lecture. Une seule semaine de réflexion a donc été accordée aux députés, de surcroît en fin de session !
Cela étant dit, qu'il me soit permis de faire une observation générale sur l'évolution du droit de la famille.
Tous le reconnaissent, et le Gouvernement le premier puisqu'il a constitué plusieurs commissions d'étude sur la famille, à l'origine, notamment, des rapports Théry et Dekeuwer-Défossez, il est urgent d'entreprendre une réforme d'ensemble du droit de la famille, y compris le droit des successions.
Nous assistons cependant à une série de révisions ponctuelles, parfois contradictoires, menées dans le désordre et, de surcroît, par plusieurs ministres - je fais, bien sûr, allusion ici au texte relatif à l'autorité parentale.
La plupart des textes dont nous sommes saisis sont des propositions de loi, comme celle qu'a votée récemment l'Assemblée nationale sur le divorce. J'ajoute qu'elles sont parfois inspirées par de puissants groupes de pression - je ne citerai pas un exemple récent où il nous a fallu « tenir » pour éviter les dérives ! lesquels ne sont pas forcément les meilleurs garants de l'intérêt général !
Qu'il soit permis de regretter cette atomisation du droit de la famille, alors qu'il devrait constituer une priorité, en même temps qu'une certaine propension à charger notre ordre du jour de textes parfois purement médiatiques - cela peut arriver ! - ou qui ne changent rien sur le fond du droit.
Quoi qu'il en soit, et pour en revenir au débat ouvert sur les droits du conjoint survivant, alors que, par deux fois, une réforme d'ensemble et consensuelle du droit des successions avait été proposée, on s'attaque au seul chapitre qui pose problème, à savoir les droits successoraux des veufs et des veuves - peut-être, d'ailleurs, vaut-il mieux parler de veuves et des veufs, la proportion des premières étant beaucoup plus importante. Il est vrai que la solution de ces cas, parfois douloureux, est nécessaire, mais, de la sorte, on ne révise aujourd'hui, paradoxalement, qu'une infime partie du droit des successions.
Le Sénat, en première lecture, avait proposé une refonte complète du droit des successions conforme à celle qui ressortait du projet de loi déposé en 1995 devant le Parlement par M. Pierre Méhaignerie, à l'époque garde des sceaux. Il est dommage que l'Assemblée nationale n'ait pas saisi l'occasion de reprendre nos travaux, qui, je le rappelle, ne semblaient pas soulever de questions majeures. Comme en première lecture, elle règle néanmoins la question du droit des enfants adultérins ; nous avions d'ailleurs retenu la disposition établissant une égalité successorale complète entre les enfants naturels et légitimes.
Sans entrer dans le détail des quelques dispositions concernant l'assurance décès ou l'information sur le droit de la famille dont la proposition de loi s'est enrichie au cours de la navette, dispositions que nous pouvons approuver, sans m'attarder non plus sur une précision apportée au régime de la prestation compensatoire - elle était nécessaire, car les juges comprenaient mal nos objectifs -, j'en viens au coeur du sujet.
Si l'une et l'autre assemblée estiment nécessaire d'accroître les droits successoraux du conjoint survivant, que le code civil de 1804 considérait comme un héritier très secondaire, presque étranger à la famille, faut-il faire du conjoint survivant l'héritier exclusif, éliminant totalement les collatéraux de l'époux prédécédé ?
C'est un point de divergence entre nos deux assemblées, comme l'est l'attribution du quart en propriété de la succession - j'y reviendrai - au conjoint successible en présence d'enfants du défunt, quels qu'en soient le nombre et la filiation.
L'objet de la proposition de loi étant de permettre autant que possible au conjoint survivant de conserver les mêmes conditions d'existence qu'avant le décès, force est de reconnaître que la solution adoptée par l'Assemblée nationale « n'atteindra pas les buts que les auteurs proclament », comme l'ont noté un grand nombre de spécialistes.
La commission des lois propose donc au Sénat de maintenir la position qu'il avait adoptée en première lecture et qui vise à mieux protéger les droits du conjoint en présence de descendants, sans occulter ni les droits des enfants non communs au couple ni ceux de la famille par le sang.
Notons que, si le législateur doit tenter de répondre à la diversité des situations, la complexité croissante des familles - ces familles que l'on appelle « recomposées », mais qui sont parfois décomposées - pouvant être source de conflits aigus, le droit des successions, tel que nous le réformons, n'est que subsidiaire en l'absence de dispositions testamentaires ou de libéralités. Beaucoup de couples, heureusement, prennent des dispositions en faveur du conjoint survivant, notamment sous forme de donations, de même que beaucoup de parents usent des dispositions fiscales favorables pour doter leurs enfants. Après tout, les donations-partage sont souvent la meilleure formule, mais on n'y pense généralement pas quand on a trente ans, d'où des situations qu'il faut démêler en appliquant le droit.
Sauf imprévoyance manifeste en cas de succession importante, le cas qui nous occupe est celui du patrimoine constitué par une résidence principale et une modeste épargne, car c'est le plus répandu. Ce dont a alors besoin le conjoint survivant, c'est un droit de jouissance et non de propriété.
C'est pourquoi il convient - l'unanimité manifestée par la Haute Assemblée sur ce point en première lecture doit être rappelée - d'ouvrir au conjoint la possibilité de choisir l'usufruit en présence d'enfants communs avec le défunt.
Compte tenu des aspects antiéconomiques de l'usufruit, nous proposons d'organiser la possibilité de conversion de l'usufruit en rente viagère ou en capital, tout en préservant les droits du conjoint pour le logement occupé à titre de résidence principale et le mobilier le garnissant, comme cela est prévu dans le cadre des donations entre époux, aux termes de l'article 1094-2 du code civil. Ce n'est donc pas une innovation.
En présence d'enfants du défunt d'un lit différent, il y a lieu de se rallier à la solution prévoyant l'attribution au conjoint survivant du quart en propriété, à condition de rendre intangible le droit viager d'habitation et d'usage de la résidence principale.
Les aménagements nécessaires doivent être envisagés pour tenir compte des deux hypothèses suivantes : d'une part, l'importance du logement dépasserait de manière manifestement excessive les besoins effectifs : d'autre part, le conjoint survivant se trouverait dans la nécessité de changer de domicile - pas seulement pour intégrer un établissement pour personnes âgées dépendantes - et de donner à bail le logement qu'il occupe.
En tout état de cause, quelle que soit la solution retenue - usufruit ou propriété -, il y a lieu de renforcer les droits du conjoint survivant à se maintenir dans le logement, y compris en location, ou d'interdire la conversion en rente viagère de l'usufruit sur le logement contre la volonté du conjoint survivant.
Il nous paraît nécessaire de différencier les règles applicables en fonction des situations familiales ; le respect des filiations, d'ailleurs renforcé par la présente proposition de loi, ne doit pas conduire à des solutions uniformes pour régler des situations fondamentalement différentes. Ainsi, en présence d'enfants du défunt d'un lit différent, l'attribution d'un quart en propriété paraît préférable, encore que le droit viager d'usage et d'habitation constitue, dans nombre de situations, un quasi-usufruit.
C'est pourquoi la clause testamentaire, prévue par l'Assemblée nationale, qui prive le conjoint de ce droit d'habitation paraît une bizarrerie : le droit au logement devrait être irrévocable.
Un autre point de divergence nous sépare de l'Assemblée nationale, et il est d'importance, car il porte sur l'assiette des droits de l'époux survivant. La règle actuelle gouvernant l'exercice de l'usufruit légal prévoit que les droits du conjoint ne s'appliquent qu'aux biens existants. Or, l'Assemblée nationale a opté pour l'application de ces droits sur la succession, ce qui signifie que le conjoint survivant bénéficierait du rapport des libéralités.
La masse successorale comprend, par exemple, les donations faites à des enfants, y compris aux enfants d'un premier lit. Le conjoint a pu contribuer à ces donations. Il n'y a donc pas de raison de les remettre en cause au bénéfice du conjoint survivant, sous peine de porter gravement atteinte à la paix des familles.
Le rapport des donations - en l'absence de volonté contraire du défunt - permet de préserver une stricte égalité entre les héritiers. Le conjoint survivant se trouve de facto dans une situation spécifique.
En matière d'usufruit, il paraît difficile de faire porter les droits du conjoint sur d'autres biens que sur les biens existants.
En ce qui concerne les droits en propriété, nous faisons un pas en direction de l'Assemblée nationale puisque nous admettons qu'ils soient calculés sur l'ensemble de la succession, à condition qu'ils ne s'exercent que dans la limite des biens existants et ne portent que sur ceux-ci.
On retrouve là la distinction traditionnelle entre masse de calcul et masse d'exercice développée à l'article 767 du code civil s'agissant de l'usufruit légal du conjoint : « Le calcul sera opéré sur une masse faite de tous les biens existant au décès du de cujus - belle expression du droit civil qui, comme bien d'autres, va, hélas ! disparaître -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la seconde mort du de cujus !
M. Pierre Fauchon. Il faut la garder pour sa beauté !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire, au profit de successibles, sans dispense de rapport. Mais l'époux survivant ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudicier aux droits de réserve ni aux droits de retour. »
Il nous paraît équitable de retenir cette solution intermédiaire, qui avantage un peu plus le conjoint survivant par rapport au texte que nous avons adopté en première lecture.
Je me suis permis d'insister sur ce point, qui paraît technique, mais qui nécessite une explication complète compte tenu des effets pervers que pourrait avoir la disposition votée par l'Assemblée nationale. En l'occurrence, je me réfère à un article récent qui a été signé par près de deux cents universitaires.
M. Robert Badinter. C'est un miracle !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En effet, d'autant qu'ils se sont mis d'accord !
Ils ont ainsi appelé l'attention de l'Assemblée nationale sur les risques que faisait courir la disposition qu'elle a adoptée. Pour m'en être entretenu avec des praticiens au quotidien du droit des successions, je sais qu'ils souhaitent que notre solution intermédiaire soit retenue. Ce serait la solution de sagesse.
Dans tous les cas, les droits successoraux du conjoint survivant sont augmentés par la proposition de loi en l'absence de descendants et d'ascendants privilégiés dans les deux lignées. Alors que le conjoint survivant ne recueillait jusqu'à présent, sauf exception, que la moitié de la succession en usufruit, il en recueillerait, selon le cas, la moitié en propriété, les trois quarts, voire la totalité, en l'absence de frères et de soeurs du défunt.
Aussi, selon que les parents du défunt sont vivants ou non, ses frères et soeurs pourraient ou non bénéficier de biens qui sont généralement des biens de famille, ce qui est curieux.
Il nous paraît souhaitable de ne pas écarter totalement la famille par le sang, car, en l'absence de dispositions testamentaires - et encore, l'Assemblée nationale a prévu de faire du conjoint un héritier réservataire, ce qui est une autre hérésie ! - on aboutirait à ce paradoxe que, à sa mort, le conjoint survivant laisserait lui-même les biens qu'il a recueillis à son éventuel nouveau conjoint, à ses enfants issus d'un autre ménage ou à ses propres parents.
Il paraît excessif que les biens du prédécédé échappent entièrement à la famille de son conjoint ou même à l'Etat en l'absence d'héritiers. C'est pourquoi il ne nous semble pas possible de passer à des solutions extrêmes. Par conséquent, comme en première lecture, nous proposerons d'augmenter substantiellement la part du conjoint survivant, qui passe d'une moitié de la succession en usufruit à une moitié en pleine propriété ou aux trois quarts en cas d'ascendant ordinaire dans une seule lignée.
Le débat demeure ouvert sur l'ampleur des droits du conjoint survivant, et donc sur ceux des frères et des soeurs du défunt ; mais si le droit successoral reflète une certaine conception de la société, la commission estime qu'il ne faut ni exagérer ni encourager outre mesure l'incontestable déclin de la famille, entendue au sens large. Le mot « fraternité » figure dans la devise de la République.
M. Pierre Fauchon. Si peu !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Or quelle plus belle fraternité que celle qui unit normalement des frères et des soeurs ?
Bien entendu, dans tous les cas, le maintien du droit au logement du conjoint survivant s'applique. Peut-être pourrons-nous limiter les droits des frères et des soeurs à une certaine partie des biens, ce qui se pratique déjà dans un certain nombre de situations.
Telles sont les principales dispositions, logiques et équilibrées, que la commission des lois soumet de nouveau au Sénat. Dans la mesure où l'Assemblée nationale n'a pas accepté la refonte entière du droit des successions, il nous paraît néanmoins possible de procéder à une remise en ordre limitée des articles 718 à 767 du code civil, qui concernent notamment le conjoint survivant et les enfants adultérins, et donc de reprendre la rédaction proposée et adoptée par le Sénat en première lecture.
Cette rédaction vise à clarifier l'ouverture et la transmission des susccessions, à moderniser les qualités requises pour succéder, avec l'abandon de la théorie des comourants, à légaliser et à simplifier les pratiques en matière de preuve de la qualité d'héritier et à simplifier les règles de la dévolution successorale, désormais limitée dans tous les cas au sixième degré - tout le monde est d'accord sur ce point - par la suppression, notamment, de la notion de collatéraux consanguins, utérins ou germains. J'ai compris, madame le garde des sceaux, que vous étiez prête à donner votre accord à ces dispositifs de portée limitée.
Sans aller jusqu'au bout de cette réforme tant attendue du droit des successions, nous aurons ainsi fait oeuvre utile, puisque l'on est décidé à traiter le droit de la famille par « zooms » successifs, pour parler en termes de cinéma. Les droits du conjoint survivant le méritent amplement, même si - c'est le paradoxe de notre législation - lorsque l'on a procédé à une réforme extrêmement importante des régimes matrimoniaux, l'on aurait dû engager parallèlement une réforme du droit des successions.
Cela n'a pas été fait. Or une telle réforme est moins cruciale aujourd'hui qu'à une époque où la majorité des femmes dépendaient bien davantage de leurs maris, et elle le sera de moins en moins dans l'avenir. Conquérir des droits dont on n'a plus besoin - ou moins besoin - est un paradoxe sur lequel je vous laisse le soin de méditer, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur les travées socialistes.)
M. Pierre Fauchon. Excellent rapport !
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que nous progressons, utilement et paisiblement, vers un accord en commission mixte paritaire. A cet égard et dans cette perspective, je rappellerai quelles sont les positions actuelles du groupe socialiste.
L'objet initial de la proposition de loi, c'est la réforme très attendue des droits du conjoint survivant et, évidemment, des enfants adultérins - mais cela est lié, on le sait, aux exigences inscrites à juste titre dans les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme.
Notre excellent rapporteur a rappelé l'importance - je n'ose pas dire l'urgence - d'une réforme globale du droit des successions. Cela est certain, puisque voilà quelque vingt années que nous guettons une telle réforme. A cet égard, Dieu sait que les réflexions ont été poussées ! Nul n'ignore, dans les milieux juridiques, l'importance des travaux conduits sous l'autorité du doyen Carbonnier, avec l'ardeur réformatrice vivace et éclairée du professeur Catala, mais, bien au-delà, c'est l'ensemble des privatistes et le corps notarial tout entier qui sont parvenus à élaborer un texte que nous souhaitons vraiment voir inscrire, dans l'avenir, à l'ordre du jour de notre assemblée.
Quoi qu'il en soit, la réforme des droits du conjoint survivant s'imposait, et je crois même que le moment n'était sans doute pas opportun, quelles que soient nos attentes, d'essayer de « forcer le passage » en procédant à une réforme d'ensemble des droits de succession, telle qu'elle était déjà prévue dans les projets de loi préparés par M. Sapin puis par M. Méhaignerie.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Deux auteurs successifs, et un même texte !
M. Robert Badinter. Nous sommes d'accord, et les deux auteurs appartenaient à des majorités différentes !
Les choses étant ce qu'elles sont, il est bien évident aussi que, ne serait-ce que par respect pour l'institution parlementaire, une telle réforme ne peut être entreprise sans un examen détaillé, sérieux et précédé d'auditions de toutes les parties intéressées par les commissions des lois des deux assemblées.
Aujourd'hui, et dans le cadre qui est le nôtre, je salue tout d'abord les efforts qui ont été accomplis par notre excellent rapporteur et par la commission des lois. J'ai ainsi relevé, monsieur le rapporteur, que vous vous contentiez de présenter des amendements visant à insérer des articles additionnels relatifs aux trois premiers chapitres du titre Ier du livre III du code civil, soit quarante articles de celui-ci concernés, au lieu de deux cents initialement.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est un effort considérable !
M. Robert Badinter. Je demeure réservé quant à l'opportunité d'une telle réécriture, même partielle, du code civil, mais enfin nos positions se rapprochent. Encore une fois, ce que nous souhaitons, c'est aboutir à un accord en commission mixte paritaire. Je n'en dirai pas davantage s'agissant des enfants adultérins, car l'accord est déjà acquis, ce qui est un gage de succès.
Quel est le chemin de l'équilibre ? Je crois qu'il passe par la reprise de certains amendements qui ont été adoptés par le Sénat en première lecture avec le soutien du groupe socialiste.
Le plus important de ceux-ci, à mon sens, a trait à l'option ouverte au conjoint survivant prenant en compte la différence de situations selon qu'il y a ou non des enfants d'un premier lit. Chacun le sait, les rapports entre les enfants et le conjoint survivant ne sont pas du tout les mêmes dans les deux cas.
S'agissant d'un conjoint survivant en présence d'enfants issus du couple, nous sommes convaincus qu'il faut ouvrir l'option. La donation au dernier vivant est pratiquée très communément et présente l'avantage, tout le monde est d'accord sur ce point, d'offrir la possibilité de choisir entre la totalité de l'usufruit et le quart de la succession en pleine propriété. Si cela n'a pas été prévu du vivant du prédécédé - saluons une dernière fois le de cujus, requiescat in pace ! - il n'y a aucune raison que, au moment du décès, le conjoint survivant, communément la veuve, ne bénéficie pas de ce qui est attribué dans le cadre de la donation au dernier vivant, selon les circonstances et la composition de la succession. Il s'agit là, à mon sens, d'un élément de souplesse qu'il convient de prévoir en faveur du conjoint survivant.
En revanche, lorsque le conjoint survivant se trouve en présence d'enfants qui ne sont pas issus du couple qu'il formait avec le prédécédé l'option doit disparaître. On en revient alors à la seule propriété du quart de la succession : il n'y a nullement ici avantage à prévoir une possibilité de choisir l'usufruit. Mieux vaut recourir à la pleine propriété, ce qui permettra un règlement plus commode de la succession et le respect des droits de chacun.
Il en va de même pour ce qui concerne le calcul de l'assiette des droits du conjoint survivant : nous faisons nôtres les excellents propos de M. le rapporteur sur ce point. Je crois d'ailleurs qu'une certaine confusion est apparue au cours du débat sur ce sujet, auquel on n'a sans doute pas prêté suffisamment attention. A cet égard, vous avez signalé à juste titre, monsieur le rapporteur, le communiqué commun publié dans le numéro 36 du Dalloz, à la page 2889, par un grand nombre d'universitaires : c'est la première fois, dans une carrière déjà longue, que je vois autant d'universitaires se mettre d'accord sur un même principe ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vrai !
M. Robert Badinter. Cela méritait d'être relevé au passage !
Quoi qu'il en soit, il est absolument certain qu'il faut en revenir à une solution où l'on prévoira que les droits du conjoint survivant s'exercent sur les biens existants, le calcul s'effectuant selon les règles que l'on sait et non pas sur la succession. Je n'irai pas plus loin, étant convaincu que nous parviendrons aisément à un accord sur ce point au cours de la discussion. J'évoquerai cependant les quelques conséquences fâcheuses qui pourraient survenir dans le cas contraire.
Par ailleurs, le groupe socialiste souhaite, à l'instar de l'Assemblée nationale et de la commission des lois du Sénat, que soient garantis au conjoint survivant un droit d'habitation sur le logement et un droit d'usage sur le mobilier. A cet égard, l'Assemblée nationale, il est vrai, a reconnu au défunt le droit d'exprimer une volonté contraire par un acte authentique. Cette exigence peut d'ailleurs apparaître singulière, puisqu'elle implique que l'on se rende chez le notaire.
La commission des lois du Sénat a donc repris la disposition qui avait été votée par la Haute Assemblée visant à supprimer ce droit mais ouvrant la possibilité de prévoir que le droit d'habitation puisse s'exercer sur un autre logement adapté aux besoins du conjoint survivant. La question est complexe, et je suis convaincu qu'elle trouvera une solution encore plus équilibrée en commission mixte paritaire. Peut-être évoquerons-nous à nouveau cette question lors du débat.
En revanche, le groupe socialiste du Sénat rappelle qu'il ne peut suivre la commission des lois lorsque, en l'absence d'enfants, elle entend limiter les améliorations du sort du conjoint survivant dans l'ordre de dévolution de la succession inscrites, à l'origine, dans la proposition de loi. En l'absence de descendants et des père et mère du défunt, ni les grands-parents ni les frères et soeurs du défunt ne sauraient prévaloir, à nos yeux, sur l'époux survivant.
A ce propos, j'ai eu l'occasion de dire, en commission des lois, sans d'ailleurs être entendu, qu'il s'agit là - la formule est un peu poétique, mais après tout pourquoi l'affectivité ne colorerait-elle pas les débats juridiques, seraient-ils austères ? - des « présomptions d'amour ». Aujourd'hui, on considère, me semble-t-il, que tout conjoint est présumé aimer, et donc protéger contre les conséquences de sa disparition, d'abord ses enfants - c'est l'amour parental, l'amour maternel, qui nous est particulièrement cher, et l'amour paternel, qui ne nous est d'ailleurs pas moins cher - ensuite son conjoint - c'est l'amour conjugal, valeur trop dépréciée à notre époque -...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Roland du Luart. Tout à fait d'accord !
M. Robert Badinter. ... puis ses parents, ses chers vieux parents - c'est l'amour filial - et enfin, pardonnez-moi de le dire, les collatéraux - c'est l'amour fraternel, car combien de fois constatons-nous, autour de nous, qu'entre frères et soeurs les liens sont si distendus que l'on serait surpris de voir réapparaître, au moment de la succession, des collatéraux qui ont rompu presque tout lien avec la famille.
En l'occurrence, il s'agit d'une simple présomption. Mais cela se passe dans le silence, c'est-à-dire en l'absence de dispositions testamentaires. Soyons clairs : si l'on aime, ce qui est bien, ses frères et soeurs, on veillera, dans le testament, à prendre quelques dispositions qui exprimeront cet amour que le législateur n'a pas, selon moi, à faire prévaloir sur l'amour conjugal. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Roland du Luart. C'est un retour aux vraies valeurs !
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. S'il faut parler d'amour... (Sourires.)
M. le président. Avec plaisir ! (Nouveaux sourires.)
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, pas plus qu'en première lecture, mon le groupe ne votera le texte en l'état.
Dès le départ, la démarche adoptée par la majorité sénatoriale était, à bien des égards, contestable : en choisissant d'élargir notablement le champ d'application du texte adopté par l'Assemblée nationale à une réforme globale du droit des successions, la Haute Assemblée prenait le risque de voir échouer une réforme très attendue, d'ailleurs rendue nécessaire par nos engagements européens.
Néanmoins, on pouvait penser utile de donner un signe fort en direction du Gouvernement pour que, enfin, on songe à s'attaquer à une réforme en profondeur d'un droit des successions largement dominé par la complexité et l'anachronisme. De ce point de vue, les communistes y étaient sensibles.
Le problème est le suivant : en fait de consensus avancé par notre rapporteur à l'époque, on se trouvait devant une réalité autrement plus nuancée, que les dissensions qui se sont fait jour sur la question précise des droits du conjoint survivant ont mis en lumière.
Le Sénat a choisi, en deuxième lecture, de limiter son propos et, à cet égard, je dois noter l'effort fait par M. le rapporteur. Cependant, on doit souligner les points d'accord entre les deux assemblées.
Le plus important est sans nul doute l'alignement du statut successoral des enfants adultérins sur celui des autres enfants, qui met fin à une discrimination profondément injuste de notre droit, laquelle avait valu à la France une condamnation de la Cour européenne des droits de l'homme en février 2000. On doit rendre hommage à notre commission d'avoir su pourchasser aux confins du droit tous les reliquats de cette situation détestable.
De même, l'amélioration des droits du conjoint survivant apparaissait comme un objectif commun à l'Assemblée nationale et au Sénat. D'ailleurs, on voit mal comment il pourrait en être autrement, tant le droit français, qui maintient le conjoint dans une situation d'étranger dans la famille, apparaît particulièrement rétrograde au regard du droit en vigueur dans les autres pays européens.
L'évolution sociologique rend cette situation intenable. L'allongement de la durée de vie, la modification de la composition du patrimoine familial, principalement composé du logement, et la recomposition des familles sont autant de facteurs qui rendent plus urgente encore cette réforme sur le statut successoral du conjoint survivant.
Néanmoins, la voie empruntée par le Sénat diverge profondément de celle qui a été retenue par l'Assemblée nationale et qui, rappelons-le, avait recueilli l'unanimité en première lecture. Or il ne s'agit pas uniquement d'une simple différence de méthode, il s'agit bien d'une différence conceptuelle.
Prenant acte des bouleversements sociologiques, l'Assemblée nationale a opté pour une véritable révolution en faisant dorénavant prévaloir les liens du coeur sur les liens du sang : le conjoint survivant arriverait dorénavant juste derrière les enfants, en concours avec les parents du défunt, il bénéficierait d'un droit en pleine propriété sur le quart de la succession, assorti d'un droit au logement sur la résidence du couple.
Pour sa part, le Sénat n'a pas souhaité rompre avec la logique du lignage, puisque le conjoint survivant continuerait d'être en concurrence avec les frères et soeurs du défunt et même avec ses grands-parents.
Par ailleurs, le Sénat a choisi d'opérer une distinction selon que la succession met en présence, à côté du conjoint survivant, uniquement des enfants communs ou également des enfants d'un autre lit. Dans le premier cas, plutôt que le droit en pleine propriété, le conjoint survivant pourrait opter pour l'usufruit. Le droit au maintien dans le logement serait en principe irrévocable, mais pourrait être contesté par le prédécédé qui considérerait ce logement excessif pour son époux seul.
Cette solution ne nous agrée pas, et, malgré quelques réserves, nous préférons retenir la logique de l'Assemblée nationale face aux inconvénients que présente le texte proposé par la commission des lois du Sénat.
D'une part, opérer une distinction en fonction de l'existence ou non d'enfants nés d'un premier lit va à l'encontre du principe de l'égalité des filiations et des situations familiales, qui constitue un des axes de rénovation du droit de la famille.
D'autre part, l'introduction d'un droit d'option nous paraît source de complexité supplémentaire, alors que la liberté testamentaire permet de corriger le caractère abrupt de la règle générale.
Nous étions, pour notre part, plus favorables à l'usufruit sur la totalité des biens, qui permet notamment de garantir le maintien dans la résidence des époux. Néanmoins, nous avons entendu les réticences de la fédération des associations de conjoints survivants, la FAVEC, et, comme la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, nous sommes convenus qu'il n'y aurait pas d'intérêt à l'imposer contre l'avis des principaux intéressés et des professionnels.
D'autant que le droit en pleine propriété, couplé avec la liquidation de la communauté, permet au conjoint de demeurer dans son habitation dans la majorité des cas, alors que le logement commun constitue souvent l'essentiel de la succession, en tout cas pour les successions qui nous intéressent ici, c'est-à-dire celles qui n'ont pas fait l'objet de testament. Dans les autres cas, la reconnaissance du droit au maintien dans le logement offrira une garantie.
Pour notre part, nous sommes favorables à l'institution d'un droit irrévocable au maintien dans le logement, si l'on veut que le principe ait un sens. Nous avions, dans cette perspective, déposé en première lecture un amendement qui supprimait la possibilité de remettre en question ce droit par la volonté testamentaire du prédécédé, nous soutiendrons aujourd'hui l'amendement qui vient d'être déposé dans le même sens par nos collègues socialistes.
Pour la même raison, nous serons opposés à l'amendement de la commission des lois qui permet au prédécédé de désigner par voie testamentaire un autre logement au vu des besoins présupposés du futur veuf ou de la future veuve. Cette rédaction altère également l'irrévocabilité de ce droit et contredit sa raison d'être, qui est le maintien dans le cadre de vie.
Pour conclure, je regrette, de nouveau, qu'il n'ait pas été possible d'aboutir à un consensus sur des questions aussi fondamentales. Peut-être la commission mixte paritaire permettra-t-elle d'y parvenir. Si tel n'était pas le cas, je souhaite que la réforme aboutisse au plus vite, car, finalement, nous souhaitons tous que les situations injustes que connaissent aujourd'hui tant les veuves et les veufs que les enfants adultérins ne perdurent pas (Applaudissement sur les travées socialistes.)
M. Roland du Luart. Supprimons les droits de succession !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Chapitre Ier

Dispositions relatives
aux droits du conjoint survivant

Article 1er