SEANCE DU 30 NOVEMBRE 2001


M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le budget annexe des monnaies et médailles.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Bertrand Auban, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à J - 31 de la naissance de l'euro, le projet de budget que nous examinons cette nuit est celui d'un service public sorti aujourd'hui même d'un conflit social difficile relatif à l'application des 35 heures sur deux sites, l'Hôtel de la Monnaie, à Paris, et l'établissement monétaire de Pessac, en Gironde.
Outre sa mission régalienne de frappe de notre monnaie métallique, la direction des monnaies et médailles produit et vend, notamment, des monnaies étrangères, des monnaies de collection, des médailles et des décorations, recettes qui financent le quart de son budget. C'est à juste titre que ses savoir-faire sont largement reconnus sur les plans tant technique qu'artistique.
Le projet de budget pour 2002, qui reste stable avec 183 millions d'euros, s'inscrit pour la deuxième année consécutive dans un contexte de nette décélération du programme de frappe de l'euro.
Si on les compare aux résultats de 2000, base la plus pertinente, les dépenses d'exploitation prévues pour 2002 diminuent de 4,2 %, alors que l'activité principale devrait chuter de 34 %.
Pourquoi cette rigidité à la baisse ?
Concernant les achats, qui représentent environ la moitié du budget, de fortes augmentations des cours des métaux ainsi qu'une plus grande proportion de coupures onéreuses annihilent en partie l'effet volume des pièces. Par ailleurs, une part non négligeable des achats concerne les productions autres que l'euro, qui, elles, devraient augmenter.
Les frais de personnel, qui représentent environ un quart du budget, diminuent de 2 %. Les départs à la retraite ne sont pas compensés, mais leur effet ne se fera vraiment sentir qu'entre 2005 et 2010. De plus, si le conditionnement et le stockage des pièces d'euros ont été sous-traités, il n'a été fait appel à aucun personnel sous contrat à durée déterminée pour la frappe.
Enfin, la Monnaie de Paris assure des activités patrimoniales et de contrôle dont les coûts sont relativement incompressibles.
En revanche, après les investissements lourds de ces dernières années, les autorisations de programme pour 2002 diminuent de 33 %.
J'en viens aux recettes.
Le produit de la cession des pièces françaises au Trésor, qui représente les deux tiers des recettes, résulte d'un calcul automatique qui ne laisse pas vraiment de marges de manoeuvre à la direction des monnaies et médailles. Les prix unitaires en 2000, année riche en économies d'échelle et gains de productivité, ont été conservés pour 2002 afin de donner à la Monnaie de Paris le maximum de chances de remporter des appels d'offres internationaux. Cette stratégie a été payante en 2001, notamment avec la Grèce.
Les recettes commerciales, quant à elles, progresseraient de 39 % par rapport aux résultats de 2000. Pour la commission des finances - qui ne demande qu'à se tromper (Sourires) - il s'agit là d'une surestimation flagrante.
J'en viens aux observations que m'inspire la situation de la direction des monnaies et médailles.
Tout d'abord, et en dépit d'un climat social troublé ces derniers jours, il y a lieu d'être pleinement satisfait de la manière dont elle s'acquitte, depuis 1998, de sa mission de frappe de l'euro. La quasi-totalité des 8,1 milliards de pièces demandées est déjà disponible. La perturbation momentanée de la chaîne de confection des sachets d'euros, sur laquelle la presse a beaucoup insisté, n'a en aucun cas altéré la qualité des services rendus.
Cependant, le ciel de la Monnaie de Paris n'est pas sans nuages.
L'équilibre budgétaire pour 2002 est fragile, et il est même peu probable qu'il soit respecté. Avec l'inéluctable diminution du programme de frappe de l'euro, le bénéfice d'exploitation de l'établissement de Pessac ne comblera plus guère le déficit structurel de l'établissement parisien.
C'est la raison pour laquelle des économies s'imposent, notamment sur les achats. Un audit externe, réalisé à la fin de l'année 2000, a relevé des dysfonctionnements et a indiqué des voies d'amélioration des performances. Des mesures urgentes et concrètes en vue d'une politique intelligente des achats sont attendues.
Par ailleurs, de moins en moins portée par l'activité dont elle a le monopole, la Monnaie de Paris doit s'ouvrir sur l'extérieur pour rentabiliser ses capacités de production devenues excédentaires et affronter une concurrence vive, car le savoir-faire ne suffit pas : d'autres font au moins aussi bien et à moindre coût.
L'établissement de Pessac, doté d'installations modernes, peut espérer augmenter ses parts de marché dans le secteur des monnaies courantes étrangères.
L'avenir est plus préoccupant pour l'établissement parisien ; les médailles, les décorations, les fontes d'art et autres bijoux, autant de produits concurrencés par les entreprises privées, se vendent difficilement. Le soutien apporté à ces activités permet la conservation d'un précieux savoir-faire qui participe au rayonnement de la France. Il doit cependant rester raisonnable, la direction des monnaies et médailles ne pouvant trop s'éloigner de ses missions d'intérêt public.
A ce propos, et ce sera ma conclusion, on ne peut manquer de s'interroger sur le coeur même de l'activité de la Monnaie de Paris - la frappe de nos pièces de monnaie - totalement conditionné par le devenir de l'euro fiduciaire. Seule une anticipation sereine du possible avènement du porte-monnaie électronique, qui ne relève plus aujourd'hui de la science-fiction, permettra à ce service public, riche d'une longue histoire, de s'adapter sans trop de douleur.
Sous réserve de ces observations, il est proposé au Sénat d'adopter les crédits du budget annexe des monnaies et médailles. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à cinq minutes le temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous souhaitons tout à la fois manifester notre volonté d'accompagner les ambitions que traduisent les crédits qui nous sont présentés et notre inquiétude de constater que ce projet de budget refuse des moyens nouveaux aux installations de l'établissement de Pessac et de l'hôtel du Quai Conti.
Les monnaies et médailles ont une histoire, une culture, un savoir-faire qui font de ce service public et commercial un pilier solide de notre patrimoine, et même de notre République.
Nous ne devons pas oublier ce paramètre en étudiant les crédits qui nous sont soumis ce soir. L'administration des monnaies et médailles détient le monopole de la monnaie métallique française. Elle déploie une importante activité dans un secteur concurrentiel, comme l'a relevé M. le rapporteur spécial : cela lui impose, mes chers collègues, d'être ambitieuse.
Vous reconnaissez, monsieur le rapporteur spécial, une recherche d'adéquation des prévisions aux résultats, et vous avez noté que les résultats de l'activité « décorations » s'annoncent meilleurs que les années précédentes. La frappe de jetons permettra un développement intéressant et la vente de bijoux suscite quelques espoirs.
Vous avez fait remarquer, à juste titre, que le changement de millénaire et de monnaie encourage la Monnaie de Paris à multiplier les heureuses initiatives. Cette confiance dans une réussite possible est un point fort du projet de budget, d'autant que l'apparition des pièces de collection en euros donnera un véritable coup de fouet aux ventes de monnaies de collection.
Le rapport indique également que la production de monnaies concurrentes étrangères pourrait se révéler supérieure à la prévision, comme en 2001. Nous notons, pour notre part, que la nouvelle TVA qui sera appliquée en Polynésie entraînera un besoin accru en pièces de monnaie.
Enfin, le rapport met l'accent sur une demande nouvelle de poinçons, de cachets de douane et de timbres secs, pour des raisons de sécurité.
Toutes ces analyses manifestent une ambition que nous partageons.
En outre, une brochure récemment publiée par la Monnaie de Paris montre la diversité et la richesse des créations artistiques de cet établissement.
En revanche, nous exprimons des réserves importantes en ce qui concerne le devenir de l'institution et la situation des personnels.
Par rapport à 2001, les dépenses de personnel diminuent de 1,9 %. Aucune embauche n'est prévue, ni à court terme ni à long terme, alors que trois cents salariés partiront en retraite d'ici à 2010.
Par ailleurs, une mise en oeuvre de la réduction du temps de travail insuffisante, voire inconséquente, a motivé, la semaine dernière, le déclenchement de toute une série de mouvements de grève, qui viennent de cesser. Nous affirmons à cet égard notre complète solidarité avec les personnels, qui, après avoir beaucoup travaillé, veulent également bénéficier de la réduction du temps de travail.
A ce propos, le groupe communiste républicain et citoyen voudrait protester contre une décision grave prise par Bercy à l'encontre des salariés en grève. Lundi matin, en effet, les forces de l'ordre sont intervenues et ont récupéré par la violence les poinçons mères de frappe de la nouvelle monnaie et les matrices originales qui permettent de fabriquer les coins de frappe monétaires.
Autrement dit, Bercy s'est saisi de l'outil de travail comme un simple chef d'entreprise utilisant des méthodes d'un autre âge. Nous pensons qu'une autre voie était possible, et je crois d'ailleurs savoir que le travail a repris, sans qu'aucun accord sur la réduction du temps de travail soit intervenu. Nous ne pouvons admettre, madame la secrétaire d'Etat, le recours à telle violence. Que deviendrait notre pays si une telle méthode se généralisait ? Nous vous demandons de nous indiquer ce soir qui a donné l'ordre d'intervention aux forces de police.
En outre, la modernisation et l'extension du site de Pessac sont toujours refusées. Vous avez confirmé, madame la secrétaire d'Etat, lors de l'examen de ces crédits par l'Assemblée nationale, que le projet de création d'une fonderie-laminoir était abandonné. Vous comprendrez l'inquiétude, que nous partageons, des neuf cents salariés concernés quant à l'avenir du site où ils travaillent.
De surcroît, la mise en concurrence des institutions monétaires européennes soulève des interrogations s'agissant du maintien de la fabrication de notre monnaie dans le cadre du service public.
Ce sont là des réserves, voire des critiques, que nous émettons. L'investissement diminuera de 44 % en 2002 et il s'agit là, madame la secrétaire d'Etat, d'un manque de confiance en notre service public de production des monnaies et médailles, d'autant moins acceptable que l'équilibre budgétaire sera assuré, pour 2002, sans recours à une nouvelle subvention de l'Etat.
Toutefois, si l'équilibre est assuré pour l'établissement de Pessac, cela est moins vrai pour celui de Paris. En effet, la création artistique n'équilibre jamais ses budgets : on ne peut demander aux monnaies et médailles de faire exception à cette règle.
Cela étant, nous ne voulons pas croire que la plus ancienne des institutions françaises puisse être menacée, ainsi que sa fonction régalienne. Elle bat monnaie depuis plus de 1100 ans. Je rappellerai, à cet égard, l'édit du 24 juin 864 de Charles le Chauve, qui faisait défense de fabriquer des monnaies nulle part ailleurs, en France ou en Europe, qu'au Palais, à Quentoire, à Rouen, à Reims, à Sens, à Paris, à Orléans, à Châlons ou à Narbonne.
Nous avions espéré que vous décideriez bientôt l'aménagement d'un nouveau complexe à Pessac, d'une fonderie-laminoir qui garantirait davantage de fiabilité et d'indépendance et qui nous permettrait de continuer à assurer la fabrication de notre quota de pièces et de billets, gage de souveraineté nationale.
S'il est vrai que, depuis le 24 juin 864, les régimes et les monnaies se sont succédé l'institution, elle, a résisté. Ce sont les ouvriers et les créateurs des monnaies et médailles qui, finalement, ont pris le relais, au-delà du temps, du roi de France. N'est-ce pas là aussi l'expression de notre attachement à notre souveraineté et à nos racines ?
En conclusion, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous estimons que ce budget est insuffisant, que la méthode de gestion du personnel est contestable et que l'avenir est mal défini.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les crédits qui nous sont présentés.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercierai tout d'abord M. Bertrand Auban, rapporteur spécial, de sa contribution à l'étude approfondie du projet de budget annexe des monnaies et médailles que vous examinez ce soir. Je souscris à ses conclusions et je reviendrai dans un instant sur les points particuliers soulevés par lui ou par Mme Beaudeau.
A cet instant, je souhaiterais informer le Sénat, d'une façon aussi actuelle que possible, sur la situation à la direction des monnaies et médailles.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que, à la mi-novembre, les agents des établissements monétaires de Paris et de Pessac se sont mis en grève à l'occasion des discussions sur la mise en oeuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail au sein de la direction. Les discussions sont restées longtemps dans l'impasse - mais je tiens à souligner que jamais le dialogue social n'a été rompu - et la mission régalienne de la frappe de la monnaie par l'Etat, à un moment particulièrement crucial pour le passage à l'euro, ne pouvait plus être assurée normalement.
C'est pourquoi l'accès aux stocks de pièces déjà frappées a été dégagé, afin que celles-ci puissent être chargées. C'est ce qui s'est passé les 26 et 27 novembre, et les forces de l'ordre se sont ensuite retirées.
A ce propos, j'indiquerai à Mme Beaudeau, qui m'a demandé qui a donné l'ordre d'intervenir le 26 novembre à Pessac et à Paris, que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a fait prendre les mesures destinées à garantir la continuité de l'accomplissement des missions de l'Etat à la direction des monnaies et médailles. Je confirme toutefois que, contrairement à ce que vous avez laissé entendre, il n'y a pas eu de violences. L'accès aux chambres fortes était rendu impossible par les piquets de grève, mais l'intervention des forces de l'ordre s'est déroulée sans encombre, et cette opération a fait l'objet d'un communiqué dès le lundi 26 novembre au matin.
A Paris, les poinçons de reproduction des euros ont été remis aux autorités de tutelle. Le dialogue, que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie a toujours souhaité, n'a pas été interrompu et des discussions se sont tenues à Pessac et à Paris pour sortir du conflit. A l'heure où je vous parle, le travail, et donc la frappe des euros, ont repris sur les deux sites.
Je ne peux pas non plus laisser dire que l'aménagement et la réduction du temps de travail ne seraient pas mis en oeuvre à la direction des monnaies et médailles. En effet, la fin du conflit s'est traduite par la conclusion de protocoles d'accord avec les représentants du personnel. L'aménagement et la réduction du temps de travail seront donc appliqués, ce qui constitue à la fois un réel progrès pour tous les salariés de Paris et l'occasion de pérenniser, en quelque sorte, le régime dérogatoire qui existe à Pessac.
S'agissant maintenant du projet de budget pour 2002, l'année qui s'achève a été particulière pour la direction des monnaies et médailles, puisqu'elle a dû faire face à plusieurs modifications de son programme de frappe et, bien entendu, au mouvement de grève de novembre que j'évoquais à l'instant. Cependant, les objectifs seront globalement atteints.
Ainsi, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur Auban, la direction des monnaies et médailles s'est acquittée de manière pleinement satisfaisante des missions nouvelles qui lui ont été confiées à l'occasion du passage à l'euro, faisant preuve, s'il en était besoin, de sa technicité et de son savoir-faire.
Le projet de budget pour 2002 a été construit en fonction d'une hypothèse de frappe soutenue en euros. Il en sera de même encore en 2003, l'encaisse dite « dormante » destinée à réguler la circulation de monnaie métallique n'étant pas encore constituée. A l'évidence, la frappe continuera dans les années à venir. Toutefois, il est un peu difficile d'en déterminer par avance le volume, en raison de l'absence totale de références sur les flux qui s'établiront au cours des prochains mois. L'acceptation de toutes les pièces de la zone euro ne sera évidemment pas sans conséquences, mais il n'en demeure pas moins que la pérennité de la direction des monnaies et médailles est assurée.
En revanche, il convient de poursuivre sa diversification dans toutes les missions qu'elle assure, particulièrement la frappe de monnaies étrangères.
Vous avez fait remarquer, monsieur le rapporteur spécial, que les prévisions d'activité dans certains secteurs autres que la frappe monétaire seraient trop optimistes. Je dirai plutôt qu'elles l'étaient en effet voilà quelques années, mais que notre approche est désormais beaucoup plus réaliste, et donc accessible. La direction a d'ailleurs pleinement pris en compte cette orientation.
En incidente, je souhaite préciser que si certaines activités de la Monnaie - monnaies de collection, bijoux, fontes - paraissent éloignées de sa mission première de frappe, les monnaies de collection font partie de l'activité traditionnelle de l'administration des monnaies dans la plupart des Etats. Quant aux autres fabrications, il est important de les développer, ce qui implique d'améliorer les conditions de production de ces objets, notamment par une adaptation continue à la demande, y compris la demande étrangère.
La mission de la direction des monnaies et médailles était très difficile. Elle devra à l'avenir relever d'autres défis, mais je ne doute pas qu'elle parvienne à le faire (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le budget annexe des monnaies et médailles et figurant aux articles 33 et 34 du projet de loi.

Services votés

M. le président. « Crédits : 177 500 387 EUR. »
Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 33 au titre des services votés.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(Ces crédits sont adoptés.)

Mesures nouvelles

M. le président. « I. - Autorisations de programme : 3 544 000 EUR ;
« II. - Crédits : 5 320 886 EUR. »
Je mets aux voix les crédits inscrits à l'article 34 au titre des mesures nouvelles.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le budget annexe des monnaies et médailles.

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