SEANCE DU 5 DECEMBRE 2001


J'indique au Sénat que, pour cette discussion, la conférence des présidents a opté pour la formule expérimentée l'an dernier et fondée sur le principe d'une réponse immédiate du Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des groupes.
Ainsi, M. le ministre répondra immédiatement et successivement aux deux rapporteurs spéciaux, puis aux cinq rapporteurs pour avis, puis au président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et enfin à chaque orateur des groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur ; ce dernier disposera d'un droit de réplique de deux minutes au maximum.
Mes chers collègues, dans ce débat très important, je compte sur votre concours pour que les temps de parole attribués aux rapporteurs et aux orateurs des groupes soient respectés.
Je compte également sur votre compréhension et votre grande expérience parlementaire, monsieur le ministre, pour que cette nouvelle procédure permette un véritable dialogue avec les sénateurs, dans le cadre des contraintes horaires qui ont été fixées par la conférence des présidents.
La parole est à M. Blin, rapporteur spécial.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation pour l'exposé d'ensemble et les dépenses en capital. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 2002 que nous allons examiner correspond au dernier des exercices couverts par la loi de programmation 1997-2002. Cette discussion doit donc être pour nous tous l'occasion de faire le bilan de cette loi de programmation.
Pour être bref, et pour répondre au voeu de M. le président de la commission des finances, je limiterai mon intervention à cinq observations.
Première observation, le budget des armées pour 2002 est globalement - les chiffres le confirment - en stagnation, sinon, sur certains points, en déclin : en 1997, il représentait 2,36 % du produit intérieur brut ; l'an prochain, il en représentera moins de 1,9 %, et encore faut-il inclure dans ce calcul les 2,7 milliards de reports dits « autorisés ». J'espère que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie tiendra cet engagement, puisque ce report dépend de lui seul.
Je constate, avec regret que le budget de la défense n'a pas profité de la croissance. En 2002, le budget général augmente de 2,5 %, alors que celui des armées ne progresse que de 0,2 %, compte non tenu des reports.
Je rappelle pour mémoire que les crédits d'équipement non consommés se montent, chaque année, en moyenne à 5, à 6, voire à 7 milliards de francs. Il faut donc conclure, selon une formule trop convenue - mais, hélas ! toujours valable -, que le budget des armées a servi de variable d'ajustement au budget général. Pourquoi, monsieur le ministre, ne s'est-il pas vu reconnaître un caractère plus prioritaire ?
Deuxième observation, le déséquilibre entre le titre III et le titre V va s'accroître une fois encore l'an prochain. Cette évolution comparée des crédits de fonctionnement et d'équipement reproduit, en l'aggravant, celle du budget général.
Quelques chiffres en témoignent. Les dépenses de fonctionnement des budgets civils augmentent en 2002 de 5,1 % contre 2,3 % dans les armées. Les crédits d'équipement des budgets civils régressent de 1,7 %, contre 2,5 % pour le budget des armées. Pour plus de précisions, je vous renvoie au tableau qui figure à la page 39 de mon rapport écrit.
Certes - reconnaissons-le, car c'est important - le projet de budget de l'an prochain comporte un effort de revalorisation de la condition militaire, notamment pour la gendarmerie ; mais cette revalorisation s'exerce aux dépens du titre V.
Or, et vous le savez mieux que quiconque, monsieur le ministre, cette dérive ne peut que s'aggraver avec le temps, puisqu'une sorte de compétition oppose désormais l'armée et la société civile pour attirer les meilleurs et, surtout, pour les conserver.
L'armée emploie de plus en plus de personnels civils. Or les conditions de travail des civils et des militaires diffèrent à bien des égards, en particulier pour la réduction du temps de travail.
Si l'armée professionnelle compte moins de soldats, leur fonctionnement et leur équipement coûtent nettement plus cher. Le militaire français est aujourd'hui l'un des moins dotés des armées de l'OTAN.
Certes, la professionnalisation a été réussie. Son calendrier est respecté. C'est un hommage qu'il convient de rendre à votre ténacité, monsieur le ministre, et à la capacité d'adaptabilité des armées.
Mais une armée professionnelle coûte cher, et les coûts de fonctionnement de la nôtre sont inférieurs à ceux des armées américaine ou britannique. Dans le futur, elle risque donc, si l'on entend seulement conserver sa valeur, de nous coûter effectivement de plus en plus cher. Monsieur le ministre, quel est votre sentiment sur ce sujet qui engage l'avenir ?
Troisième observation, le bilan de la loi de programmation qui s'achève fait hélas ! apparaître un constat : l'équipement aura été le grand perdant.
Parce que nous en avons souvent parlé, je sais, monsieur le ministre, que, sur ce point, nos analyses divergent. Mes chers collègues, je vous renvoie à mon rapport écrit, pages 28 à 32. Les chiffres qui en ressortent sont clairs. Le budget pour 2002, même en tenant compte de l'effet report, ne permet pas de financer l'annuité prévue par la loi de programmation, même révisée. Elle devait être l'an prochain de 86 milliards de francs ; elle sera de 81,4 milliards de francs en crédits demandés et de 84 milliards de francs en crédits disponibles.
En fin de compte, le bilan de la loi de programmation se solde par une année de dépenses d'équipement en moins et une détérioration des matériels plus importante que prévue. Certes, on peut en débattre selon les références choisies ; mais je crois tout de même pouvoir le dire, après étude faite sous l'autorité des plus hauts responsables des armées et en accord avec les conclusions analogues de mon collègue rapporteur du budget des armées à l'Assemblée nationale.
Ces responsables reconnaissent qu'il y aura, sinon ruptures de capacités d'ores et déjà avérées, du moins « érosion des matériels », « dégradation du modèle d'armée 2015 » et « inquiétude sur la cohérence des forces ».
Au terme des retards successifs - parlons-en, parce qu'ils engagent notre avenir immédiat - pris dans les commandes au cours de l'actuelle programmation, la plupart des programmes majeurs ne seront pas livrés avant 2008-2011.
C'est le cas du quatrième SNLE-NG, sous-marin nucléaire lance-engins de nouvelle génération, équipé directement du missile M 51, qui ne sera admis au service actif qu'en 2008 au plus tôt.
Quant à la mise en service des missiles ASMP-A, air-sol moyenne portée, sous Mirage 2000 et sous Rafale, elle n'interviendra pas avant 2007-2008.
Le premier satellite successeur de Syracuse II ne sera lancé qu'en 2013.
Les premiers Tigre version antichar de l'armée de terre, ainsi que les premiers hélicoptères NH90 ne seront livrés qu'en 2011.
Le premier escadron opérationnel de Rafale au standard F2 n'entrera en service qu'en 2006. Et je pourrais citer bien d'autres exemples.
Les armées françaises vont donc aborder la prochaine loi de programmation militaire - qui commencera dès 2003 - avec un triple handicap : une réalisation en termes physiques moins favorable que prévu, c'est-à-dire moins de matériel neuf qu'il n'avait été envisagé ; une dotation en autorisations de programme, comme en crédits de paiement, qui présente un écart sensible avec les dotations prévues pour 2003, première année de la future loi de programmation ; enfin - et ceci découle de cela -, des coûts d'entretien accrus en raison du vieillissement du matériel.
Cela signifie, en clair, qu'au cours de cette loi qui sera non plus d'études et de conception mais de fabrication et de livraison des matériels, il faudra nécessairement procéder à un rattrapage très lourd sur le plan financier. Cette évidence, monsieur le ministre, ne cesse de nous poursuivre : la partagez-vous ?
Ma quatrième observation concernera un sujet mieux connu, les charges indues que supporte le budget des armées. Laissant de côté les charges annexes comme le financement du BCRD, le budget civil de recherche et de développement, ou les compensations apportées à la Polynésie, soit un milliard de francs par an jusqu'en 2005, je m'en tiendrai aux plus importantes.
Il s'agit, d'abord, des opérations extérieures, les OPEX, dont le coût se monte, bon an mal an, à 3 milliards de francs.
Il s'agit, ensuite, de la restructuration des industries d'armement d'Etat - dont certaines sociétés conservent un statut remarquablement archaïque - restructuration qui passe par une mutation coûteuse, à forte connotation sociale.
Cette mutation difficile, notamment parce qu'elle exige d'abord celle des personnels, ne se fera pas sans une nouvelle et forte contribution budgétaire.
Je citerai deux exemples : sur la période 1997-2002, le coût de restructuration de la direction des constructions navales, la DCN, a représenté 3,3 milliards de francs. Depuis sa création en 1990, le groupe GIAT Industries a totalisé 24 milliards de francs de pertes, et l'Etat, actionnaire unique, aura versé 18,5 milliards de francs au titre de sa recapitalisation - dont 11,7 milliards de francs depuis 1996 -, au prix d'un prélèvement important sur le titre V. Une nouvelle recapitalisation, de l'ordre de 4 milliards de francs, avait, en principe, été annoncée d'ici à la fin de l'exercice.
Il s'agit, enfin, des dépenses mises en oeuvre sur le FRED, le Fonds de restructuration de la défense et sur le FAI, le Fonds d'adaptation industrielle.
Au total, entre 1997 et 2002, le ministère de la défense aura consacré 16,4 miliards de francs à sa restructuration : 5,3 pour les aides au départ et à la reconversion des personnels militaires, 6,6 pour le personnel civil, 3,3 pour la DCN et 3 pour limiter l'impact économique local des restructurations.
Certes, la plupart de ces dépenses ont été utiles, mais pourquoi faire supporter par le seul budget des armées des actions dont la finalité, éminemment politique ou sociale, le dépasse ?
M. Jean-Guy Branger. Eh oui !
M. Maurice Blin, rapporteur spécial. En bonne logique, c'est au budget des charges communes qu'elles devraient être inscrites, comme l'est le déficit des sociétés nationalisées, dans la mesure où tous ces éléments servent à l'évidence l'intérêt tout à fait général de la nation. Que pensez-vous de cette suggestion, monsieur le ministre ?
Ma cinquième observation concerne l'avenir de l'industrie européenne d'armement. Les disparités entre les budgets militaires des nations occidentales s'accroissent et la menacent de dislocation.
L'écart se creuse entre le continent et la Grande-Bretagne, dont l'armée est professionnelle de longue date, il est vrai, mais, de ce fait même, a valeur de référence. En 2002, le budget militaire de la Grande-Bretagne représentera 2,3 % du PIB contre 1,77 % pour la France et 1,40 % pour l'Allemagne. Je cite ces chiffres avec beaucoup de perplexité et une grande inquiétude.
Comparée à la France et par soldat, en Grande-Bretagne, la dépense de fonctionnement est deux fois et demie supérieure, et la dépense de l'équipement, deux fois supérieure.
Au train où vont les choses, l'industrie britannique dominera dans dix ans l'Europe et jouera immanquablement le rôle d'arbitre incontournable entre l'Europe et les Etats-Unis. C'est ce qu'elle veut, et elle s'en donne les moyens.
M. Jean-Guy Branger. Hélas !
M. Maurice Blin, rapporteur spécial. Quant aux Etats-Unis, ils mettent depuis le 11 septembre dernier - passez-moi l'expression - les « bouchées doubles ». Après de longues hésitations, ils viennent de prendre la décision de lancer le Joint strike fighter, le JSF, le futur avion de chasse multimissions, qui devrait être fabriqué à 3 000 exemplaires plus 3 000 autres à l'exportation.
Si ce grand dessein voit le jour - et tout indique que tel sera le cas - il risque de compromettre les chances du Rafale, celles de l'Eurofighter, voire celles de leur éventuel successeur.
Autre exemple, la firme Boeing va recevoir du pouvoir fédéral 18 milliards de dollars pour la soutenir face aux difficultés provoquées par la chute du marché des avions civils et à l'échec qu'elle a subi, face à Lockheed sur le projet du JSF.
C'est dire l'ardeur et la vigueur des moyens que les Etats-Unis mobilisent au service de leur effort d'armement.
Que penser de ce grave problème qui nous soucie, vous comme nous, de l'A 400 M, l'avion de transport futur dont l'Europe voudrait se doter ? Le report de la décision que nous devions prendre du fait de l'Allemagne, des hésitations de l'Italie, de la défection possible à terme de la Grande-Bretagne nous laissent penser que cette affaire n'est pas encore acquise.
Si ce grand projet, symbole de l'autonomie de l'Europe de la défense, devait avorter, ce serait sur le plan politique, technique et social, le signe de son définitif abaissement. La plupart de mes collègues rapporteurs, qui partagent cette inquiétude, vous interrogeront certainement sur ce sujet, monsieur le ministre.
Enfin, que faut-il penser de la réalisation effective de la Force de réaction rapide européenne ? Elle devait être opérationnelle à l'horizon 2003. Une première conférence réunie à Bruxelles le 20 novembre 2000, avait souligné un certain nombre de lacunes à combler. Où en sommes-nous, monsieur le ministre, un an après, avec le bilan dressé par la conférence du 19 novembre 2001 ? Nous serons, vous le devinez, exceptionnellement attentifs à vos réponses.
Mais, quelles qu'elles soient, vous comprendrez, mes chers collègues, que face aux nombreuses et graves interrogations que laisse ouvertes le budget pour 2002, face aux charges budgétaires qui ne manqueront pas de s'accumuler sur les prochains exercices, la commission des finances, une fois de plus et à regret, aujourd'hui comme hier, se trouve dans l'incapacité de recommander l'adoption du budget des armées pour 2002. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Trucy, rapporteur spécial.
M. François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation pour les dépenses ordinaires. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément à la méthode qui préside à notre débat, je vais vous poser plusieurs questions sur le titre III du budget de la défense.
Elles seront moins nombreuses que mes interrogations à l'égard du projet de budget de la défense pour 2002 et du bilan que nous avons le devoir de faire sur l'évolution de ce budget tout au long de la législature qui s'achève et de l'exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002.
Les motifs d'interrogation et d'inquiétude sont nombreux, comme en a témoigné l'intervention de M. Maurice Blin et comme le montreront celles de mes autres collègues rapporteurs.
L'objectif premier de la loi de programmation qui s'achève, la « professionnalisation » des armées, a été atteint, dites-vous, de manière « globalement » satisfaisante.
Il faut effectivement saluer l'ampleur de cette réforme - le mot est faible. Assise sur des suppressions massives d'emplois et d'unités, sur la reconversion et l'incitation au départ, elle a porté ses fruits. A ce jour, aucun ministère civil n'a été en mesure de tenter ou de réussir une telle démarche.
Il faut vous en donner acte, monsieur le ministre, c'est l'illustration de votre total investissement dans cette révolution.
Dans la même optique, le ministère de la défense donne l'exemple en étant le premier à achever les négociations syndicales relatives à l'application des 35 heures pour les effectifs civils, et le premier à mettre en oeuvre, enfin, la jurisprudence Berkani visant à intégrer, sauf décision contraire, les personnels contractuels des catégories C et D dans les effectifs de la fonction publique.
A moins de 1 % près, ce qui est négligeable, l'objectif global des effectifs budgétaires est donc respecté, et la défense emploiera, en 2002, 436 221 personnes, soit le cinquième des effectifs civils.
Mais, au regard de ce critère, il faut souligner des déficits réels qui, s'ils perdurent, constitueront des facteurs de perturbation au regard du « modèle d'armée 2015 » : davantage de militaires du rang que prévu, beaucoup plus de gendarmes, et beaucoup moins de personnels civils et de volontaires. Par ailleurs et surtout, certains postes bien spécifiques - ceux de médecin, d'informaticien, d'atomicien ou de plongeur-démineur - sont franchement déficitaires.
Pensez-vous, monsieur le ministre, que l'exercice 2002 suffira à combler ces lacunes avant d'aborder la prochaine loi de programmation ?
En réalité, les motifs d'inquiétude concernent les perspectives. Certes, la professionnalisation est « accomplie ». Mais elle n'est pas consolidée pour autant. Monsieur le ministre, vous reprenez d'ailleurs les mêmes mots, la même phrase, dans les projets de loi de programmation militaire futurs.
Seulement pour préserver l'acquis, il faudra consentir un effort budgétaire supplémentaire considérable. En d'autres termes, pour avoir le même résultat et donc pour donner le sentiment qu'on ne fait pas mieux, il faudra payer davantage.
Au-delà des soucis ponctuels, mais réels et permanents, de recrutement, apparaissent surtout des difficultés de fidélisation. Cette dernière se heurte en effet à la concurrence forte d'un marché de l'emploi civil conjoncturellement à la hausse - et c'est tant mieux - mais aussi, de façon plus structurelle, à la moindre attractivité du métier militaire : des conditions de vie moins agréables et des rémunérations inférieures.
La comparaison est renforcée par la mixité désormais fonctionnelle des effectifs civils et militaires, qui ne vivent pas au même rythme, même au sein d'un même bureau.
A cet égard, la loi sur les 35 heures constitue un écueil redoutable ; nous en reparlerons ultérieurement.
La comparaison avec les militaires des armées de l'OTAN n'est pas favorable à la France. La dépense de fonctionnement consentie - rémunération et charges sociales comprises - pour un soldat français est près de deux fois moins élevée que pour un soldat britannique, et près de trois fois moins élevée que pour un soldat américain.
Au cours des derniers exercices, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont quant à eux augmenté de 2 % en termes réels leurs dépenses annuelles de rémunération et de fonctionnement. Cela ne leur a pas permis pour autant de combler totalement leurs propres lacunes de recrutement.
En réalité, il serait illusoire de penser que le pouvoir d'achat du titre III pourra rester constant dans la durée. Les personnels ayant fait le choix de servir dans une armée professionnelle ont le droit d'être plus exigeants à l'égard du fonctionnement de l'équipement des forces, et, au fond, du métier qu'ils exercent. Et je ne vois aucune raison pour que ce niveau d'exigence cesse de s'élever à l'avenir.
Monsieur le ministre, je souhaiterais connaître votre sentiment sur l'écart qui nous sépare, en termes de dépenses de fonctionnement par tête de soldat, de nos partenaires britanniques et américains, ou même sur l'écart que vous pourriez concevoir entre le niveau actuellement atteint et le niveau minimal d'un soldat professionnel, allais-je dire.
L'analyse de l'évolution du titre III au cours de l'exécution de la programmation fait apparaître un dérapage des dépenses qui sont systématiquement financées en loi de finances initiale comme en exécution, par un prélèvement sur les crédits d'équipement du titre V.
Les facteurs de ce dérapage ne pourront que se maintenir, voire se renforcer au cours de la prochaine législature et de la prochaine loi de programmation.
Sur l'ensemble de l'actuelle programmation, la mise en oeuvre de la professionnalisation a représenté un coût d'accompagnement, sans doute plus lourd que prévu, de l'ordre de 17 milliards de francs. Nous vous donnons toutefois acte que ce n'est pas ce qui a pesé le plus lourd dans la forte progression du titre III. Mais la consolidation de la professionnalisation au cours de la prochaine loi de programmation imposera des mesures au moins équivalentes.
Monsieur le ministre, oui ou non, la France doit-elle continuer à être présente dans les opérations extérieures ?
Si oui, à combien estimez-vous leur coût moyen annuel et, surtout, pourquoi diable vous refusez-vous à inscrire cette dépense dans la loi de finances initiale ?
Oui ou non, tirant la leçon de ce qui vient de se passer, et qui rappelle les techniques - pardonnez-moi le mot - du sapeur Camember, inscrirez-vous ces crédits dans la loi de programmation militaire à venir ?
Ce refus constant d'inscrire dans la loi de finances initiale les dépenses de fonctionnement correspondant à la participation de la France à des opérations extérieures bien connues, notamment dans les Balkans, est incompréhensible.
Ces opérations, dont le coût annuel total a été constamment de l'ordre de 3 milliards de francs, sont prévues et répertoriées. Elles n'en ont pas moins constamment été financées en cours d'exécution seulement et uniquement par prélèvement sur les crédits d'équipement du titre V.
Les observations de M. Blin quant à la programmation militaire et à l'équipement n'ont rien d'étonnant. Non conforme à l'esprit du droit budgétaire, le procédé a en effet largement contribué au non-respect de la loi de programmation, s'agissant des crédits d'équipement.
En tout état de cause, pour la prochaine législature, nécessité fera loi, car les reports du titre V, largement utilisés au cours de l'actuelle législature, seront alors vraisemblablement épuisés pour faire peut-être place à une crise des paiements.
Les crédits d'entretien programmé et de fonctionnement courant ont été soumis à la portion congrue au sein du titre III pendant toute la durée de la programmation. Il en résulte un pourcentage sans précédent de matériels non opérationnels : bâtiments de la marine nationale, hélicoptères, chars Leclerc.
La baisse la plus sensible concerne les moyens liés à l'activité des forces, qui sont amputés de plus d'un milliard de francs sur la période de programmation, soit 10 % du montant initial de 1997.
De fait, les taux d'activité des armées françaises sont aujourd'hui inférieurs aux objectifs arrêtés par la loi de programmation militaire.
Le projet de budget pour 2002 prévoit bien une majoration des crédits de fonctionnement, hors rémunérations et charges sociales. Mais les deux tiers de cet effort sont en réalité financés par des mesures d'économie et de transfert ; ils ne correspondent donc pas véritablement à des moyens nouveaux. Le tiers du montant ainsi globalement disponible bénéficiera à la gendarmerie.
Au total, les taux d'activité de nos forces armées seront légèrement améliorés, certes, mais pas dans une proportion de nature à leur permettre d'atteindre l'objectif de l'OTAN, dont il faut respecter les critères, et moins encore celui des forces britanniques.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, l'ampleur de l'effort qui reste à faire pour atteindre ces normes ?
Après tout, aviez-vous vraiment l'intention de les atteindre ou les trouvez-vous, au fond, sans signification ? A vous de nous le dire.
J'en viens au cinquième point. Le projet de budget pour 2002 comporte un incontestable effort en faveur de la condition militaire. Cet effort étant réalisé bien tardivement, il ne saurait être suffisant pour répondre à des demandes qui ne peuvent être qualifiées que de légitimes. Par ailleurs, il reste globalement inférieur de moitié à celui qui est consenti pour les budgets civils : le titre III de la défense progresse en effet de 2,3 %, alors que ceux des budgets civils augmentent en moyenne de 5,1 %.
En outre, il comprend pour partie l'incontournable prise en compte des « mesures Sapin » relatives au point d'indice et à la revalorisation des bas salaires, qui représentent un total de 1,3 milliard de francs, soit la moitié du total des moyens nouveaux du titre III.
Certes élargi cette année à l'ensemble des forces armées, et non plus seulement, comme en 2001, à la gendarmerie, au service de santé et à la délégation générale pour l'armement, l'effort ne concerne toutefois que les sous-officiers et il laisse totalement de côté les officiers.
Vous venez par ailleurs de déposer un amendement important tendant à abonder des crédits du titre III. Mais je pense que ce n'est pas le moment de l'aborder puisque le débat s'instaurera tout à l'heure.
Pour conclure, mes chers collègues, la commission des finances constate qu'au terme de la loi de programmation qui s'achève la professionnalisation des armées françaises a été accomplie à peu près conformément aux objectifs.
Mais parce qu'un certain nombre de dépenses, notamment celles qui portent sur les opérations extérieures, n'ont pas été prises en compte, tout cela s'est fait au prix d'une ponction constance sur les dépenses d'équipement.
L'amendement que vous nous proposerez tout à l'heure pour financer la mise en oeuvre des mesures relatives au temps d'activité et d'obligation professionnelle des militaires, ne sera pas financé autrement. En d'autres termes, nos soldats professionnels sont aujourd'hui sous-équipés.
Surtout, le caractère manifestement non prioritaire du budget de la défense pour le Gouvernement tout au long de l'actuelle législature fait qu'un effort minimal a en réalité été consenti pour les moyens de fonctionnement de nos armées. De fait, les charges qui pèseront sur la prochaine législature pour seulement conserver le niveau acquis seront très supérieures à celles que nous avons connues, et cela dans un contexte conjoncturel sans doute moins favorable. Le risque n'est pas négligeable de voir une remise en cause de la professionnalisation par ceux qui, sans arrêt, veulent oublier l'instabilité et les dangers récurrents de la conjoncture.
Il est dommage que le Gouvernement n'ait pas profité de trois années très favorables sur le plan économique pour donner à la réforme des armées les moyens nécessaires à la réussite de la professionnalisation.
Pour toutes ces raisons, et comme M. Blin à l'instant, je vous informe, mes chers collègues, que la commission des finances a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du titre III.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je tiens à remercier MM. les rapporteurs spéciaux pour leur travail d'analyse et leurs présentations. Pour respecter pleinement le mode d'organisation opportun qui a été retenu pour ce débat, je me limiterai, dans cette première intervention, à des observations strictement financières.
Le projet de loi de finances pour 2002 adopté en conseil des ministres donne à la défense les moyens d'achever la mise en oeuvre de l'actuelle loi de programmation militaire et de préparer efficacement la prochaine.
Le montant des crédits dont disposera le ministère de la défense en 2002, soit 29,264 milliards d'euros, progresse de 1,6 %.
En dehors de l'amendement proposé, dont nous débattrons plus tard, le projet de budget fait apparaître un titre III en croissance de 2,3 %, représentant 16,457 milliards d'euros.
Je signale, pour l'information du Sénat, que ces crédits ont été majorés par l'Assemblée nationale de 608 540 euros dans le cadre de la réforme des fonds spéciaux proposée par le Gouvernement.
Ce budget donne les moyens d'achever la professionnalisation des armées. La mutation engagée en 1997 a été menée à bien, comme l'a noté M. Trucy. Les étapes prévues ont toutes été respectées. Certaines ont même été anticipées, comme la suspension du service national.
Les restructurations - elles étaient importantes - ont été conduites en étroite concertation avec nos interlocuteurs, ce qui a permis d'en maîtriser les conséquences économiques, sociales et financières.
Le niveau des effectifs qui sera réalisé au sein des forces armées à la fin de 2002 a été fixé par la loi de programmation militaire 1997-2002. Sur cette période, les effectifs s'élèvent à 436 221, ce qui représente 99 % de la prévision initiale, et, s'agissant des personnels militaires sous statut ou sous contrat, plus de 99,5 %.
MM. les rapporteurs spéciaux ont souligné la faiblesse de cet écart. Pour respecter ce format, le projet de budget 2002 qui vous est présenté prévoit le recrutement, au total, compte tenu des renouvellements, de 35 900 militaires et 3 750 civils, ce qui représente un nombre encore jamais atteint.
Un peu plus de 8 000 postes de militaires du rang seront créés pour atteindre un effectif de 92 180 personnels. Les volontaires verront leur nombre porté à près de 25 000, soit une augmentation de 6 500. L'objectif-cible sera atteint en 2003. Le service de santé des armées bénéficiera de 371 emplois supplémentaires.
Comme l'a souligné M. Trucy, l'accord signé dès le mois de juillet 2001 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail prévoit le recrutement de 2 200 agents civils et ouvriers d'Etat. Le recrutement de 900 ouvriers d'Etat supplémentaires constitue une réponse au souci des armées de renforcer les moyens humains de soutien que justifie leur activité.
Concernant les mesures inscrites au titre III, je rappellerai simplement que les quelque 16,6 milliards d'euros qui y figurent permettent d'achever la professionnalisation, de garantir l'efficacité de nos forces et de renforcer les moyens de la sécurité intérieure. A cette fin, le Gouvernement, en cohérence avec les objectifs de la loi de programmation militaire, souhaite se donner les moyens de revaloriser la fonction militaire - je réponds ainsi aux observations qui m'ont été faites. En particulier, le projet de budget prévoit un volet catégoriel représentant un effort de 38,11 millions d'euros, qui complète les mesures destinées aux militaires dont les revenus sont les plus modestes, en application du « plan Sapin », qui s'élève, pour les armées, à 198 millions d'euros.
Ces mesures concernent, pour l'essentiel, la revalorisation des bas salaires, la revalorisation indiciaire des jeunes sergents, l'augmentation du contingent de primes de qualification des sous-officiers diplômés, le contingent de primes pour les atomiciens de la marine, la revalorisation de l'indemnité spéciale pour les maîtres contrôleurs aériens de l'armée de l'air et de la marine, l'amélioration du régime de garde pour les médecins hospitaliers du service de santé et la revalorisation de l'indemnité journalière d'absence temporaire pour la gendarmerie mobile.
Ces mesures seront complétées. Nous engagerons les travaux dès janvier 2002, avant les premières conférences budgétaires pour prolonger cette approche sur 2003, en nous fixant comme priorités : la solde à la mer, la prime des officiers brevetés et des sous-officiers diplômés, la revalorisation du traitement des personnels du service de santé, la revalorisation des débuts de carrière des officiers, et la poursuite du plan indemnitaire bénéficiant à la gendarmerie.
Le Gouvernement a décidé de rechercher une harmonie entre les temps d'activité des militaires et ceux qui sont observés par l'ensemble de la société civile. Les mesures décidées, que vous connaissez, s'articulent autour de trois principes simples : donner du temps libre aux militaires chaque fois que cela est possible, mettre en place une compensation financière forfaitaire et non hiérarchisée, et reconnaître et valoriser certaines contraintes très particulières.
L'ensemble des mesures qui ont été présentées au Conseil supérieur de la fonction militaire et adoptées par le Gouvernement répondent, selon moi, à ces besoins.
Ce plan est important, puisqu'il représente, sous son seul aspect indemnitaire, 198 millions d'euros en année pleine. La charge pour l'année 2002 est entièrement financée. Tel est l'objet de l'amendement qui vous est soumis. Ce sont 122 millions d'euros qui s'ajouteront aux 370 millions d'euros déjà affectés à l'augmentation des rémunérations et des moyens de fonctionnement figurant dans le projet de budget qui vous est soumis.
En outre, dans le cadre de l'effort de sécurité engagé, le Gouvernement étudie des mesures exceptionnelles de recrutement de sous-officiers de gendarmerie qui seront présentées lors du conseil de sécurité intérieur en janvier prochain. Nous y reviendrons dans la suite du débat.
Ce projet de budget place l'entraînement des forces au coeur de ses priorités, parce qu'il conditionne la réussite de nos missions.
Je confirme à M. Trucy que l'objectif du Gouvernement est bien d'atteindre les normes d'activité fixées dans la loi de programmation, et nous en serons très proches en fin de programmation. Je lui fais observer par ailleurs que le calcul arithmétique qui consiste à comparer les dépenses de fonctionnement aux effectifs de 1996 à la fin de 2002 ne prend pas en compte la suppression de près de 100 000 postes. En réalité, le niveau des dépenses de fonctionnement par effectif augmentera donc en 2002 par rapport au début de la programmation.
Nous consacrons plus de 30 millions d'euros supplémentaires à l'augmentation du taux d'activité. Ce taux atteindra, en 2002, 89 jours d'entraînement pour l'armée de terre et 97 jours pour la marine. Nous serons donc très proches de l'objectif final de cent jours. Quant à l'armée de l'air, le taux d'activité de 180 heures de vols est conforme aux standards internationaux.
S'agissant du maintien et de la fidélisation des effectifs une fois les personnels engagés dans l'armée professionnelle, je signale à M. Trucy que le taux de renouvellement des contrats des personnels engagés arrivant à terme est supérieur aux prévisions, ce qui démontre dans les faits - il ne s'agit pas d'une interprétation - que 80 % des personnels qui ont la possibilité de renouveler leurs contrats après trois ou quatre ans d'expérience le font, ce qui était l'objectif recherché.
Monsieur Trucy, les comparaisons relatives aux effectifs et aux possibilités de recrutement entre armées professionnelles sont quelque peu périlleuses ! Permettez-moi de vous faire observer que la totalité des postes créés sur le plan budgétaire pour les militaires dans les armées sont pourvus, et cela a été vrai chaque année.
En revanche, au Royaume-Uni, et malgré l'organisation très efficace de nos amis britanniques, une proportion substantielle d'emploi de militaires n'est pas pourvue chaque année ! Par conséquent, si toutes les observations chiffrées que vous avez faites, et qui me paraissent incomplètes, étaient conformes à la réalité, c'est le contraire qui devrait se produire. Voilà l'observation toute simple que je voulais vous faire, qui est fondée sur la réalité et non sur des suppositions, monsieur le rapporteur spécial.
M. Michel Caldaguès. Les chiffres sont quand même vrais !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Mais les chiffres que je viens de citer le sont aussi, monsieur le sénateur, et ce que je viens de dire est la réalité. Il y a donc quelque chose qui ne colle pas tout à fait !
Les moyens financiers disponibles pour l'équipement des armées ont été élaborés en continuité avec ceux de la loi de finances initiale pour 2001. Les dotations des titres V et VI financeront l'annuité 2002 de la loi de programmation.
Les autorisations de programme s'élèvent à 13,009 milliards d'euros, en progression de 0,7 %. La loi de finances rectificative que vous examinerez dans quelques jours inscrit en outre 457,35 millions d'euros d'autorisations de programme nouvelles au titre des actions ciblées de lutte contre le terrorisme.
Ces dotations permettront notamment de poursuivre la politique de commandes pluriannuelles développée avec succès depuis quatre ans. Le montant correspondant de ces commandes pluriannuelles, qui étaient attendues depuis si longtemps, atteindra 9 milliards d'euros à la fin de l'année 2001 et doublera presque avec la prise en compte de l'ATF, l'avion de transport futur, qui est entièrement financé dans les autorisations de programme disponibles.
Le montant des crédits de paiement inscrits aux titres V et VI dans le projet de budget pour 2002 s'élève à 12,396 milliards d'euros. Il faut y ajouter la mobilisation de reports de crédits, qui est logique en fin de programmation, à hauteur de 411 millions d'euros. Cela revient à un total de 84 milliards de francs, comme M. Blin a bien voulu le noter.
Je suis, là encore, obligé de m'interroger sur la véracité de vos calculs. En effet, M. Blin a parlé de 84 milliards de francs - il profite des dernières semaines pendant lesquelles on peut encore parler en francs ! - de crédits inscrits dans ce projet de loi de finances, alors que, selon lui, l'objectif devrait être de 86 milliards de francs.
Monsieur Blin, pour être totalement honnête avec vous, permettez-moi de vous dire que, s'il fallait prendre en compte les résultats de la revue de programme et l'actualisation, l'objectif issu de la loi de programmation serait, en réalité, supérieur : de l'ordre de 88,5 milliards de francs. Mais si, même pour cette année, on ne trouve qu'un écart de 4 milliards de francs, il y a quelque chose de mystérieux au fait de constater un écart total de plus de 60 milliards de francs, avez-vous dit, monsieur le rapporteur, sur les lois de programmation. En tenant scrupuleusement compte de l'actualisation, d'après les indices officiels, des crédits qui avaient été prévus à la loi de programmation, le chiffre réel est de 32 milliards de francs de manque sur plus de 520 milliards de francs qui étaient programmés.
Cela aboutit bien à constater que cette loi de programmation, dans les lois de finances successives, aura été appliquée à 94 % ; c'est incontestable ! Depuis trente ans, aucune loi de programmation - je le dis pour ceux qui ont de la mémoire - n'a été réalisée à un tel niveau.
Les autorisations de programme successives des six années auront représenté presque 104 %, j'y insiste, des chiffres qui ont été inscrits. Je regrette donc que ces chiffres n'aient pas été cités pour l'information du Sénat ; heureusement que je suis en mesure de les donner ! Les engagements réels de crédits, c'est-à-dire les passations de contrats, auront été, au 31 décembre de cette année - nous parlons en effet des engagements réels, c'est-à-dire de chiffres qui sont vérifiables par la Cour des comptes et qui seront vérifiés -, de 108 % des chiffres programmés. Là encore, monsieur le rapporteur spécial, je regrette que ce chiffre ait échappé à votre attention. Il faut que l'information du Sénat soit complète ! Encore une fois, ce niveau d'exécution d'une loi de programmation n'a jamais été atteint.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Oui, mais je crois que M. le président Lambert souhaite que nous allions vite...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Vous savez admirablement vous adapter, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Blin, rapporteur spécial, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Maurice Blin, rapporteur spécial. Je serai très bref. Nous n'allons pas engager une bataille de chiffres, M. le président de la commission des finances nous ayant demandé d'être brefs.
Les affirmations que je faisais tout à l'heure à la tribune sont conformes aux constats multiples des plus hauts responsables des armées, d'une part, et de mon collègue de l'Assemblée nationale, d'autre part. Il est regrettable, monsieur le ministre, que vous vous satisfassiez d'avoir raison tout seul ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. C'est possible, monsieur le rapporteur spécial, mais allez-vous contester les chiffres que je viens de vous donner ? Oui ou non, les engagements de crédits, c'est-à-dire les passations de commandes de ce ministère, ont-ils été largement supérieur aux chiffres de la programmation ? Il faut être concret !
Nous avons rattrapé le retard massif dû au gouvernement précédent et à sa majorité ! (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. On ne le dirait pas !
M. Alain Richard, ministre de la défense. En 1996, les engagements de commandes du ministère de la défense ont été de 61 milliards de francs. Ce fut une année désastreuse, dont chacun se souvient. Les chiffres complets de l'année 2000, les derniers connus, s'établissent à 107,4 milliards de francs. Il est regrettable, monsieur le rapporteur spécial, que ces chiffres n'aient pas été rappelés au Sénat.
Quant au satellite successeur de Syracuse, il entrera en service non pas en 2013, comme vous l'avez dit - je suis au regret de vous contredire, mais en 2003 ! Il vaut mieux vérifier de telles informations !
En conclusion, certaines des critiques que vous avez faites sont non fondées, comme je viens de le démontrer. En revanche, d'autres le sont. Quoi qu'il en soit, celles qui concernent, par exemple, la non-prise en compte des opérations extérieures dans le budget initial, la contribution de la défense au BCRD ou encore au soutien à la Polynésie auraient dû être faites, et avec encore plus de vigueur, au gouvernement précédent. Mais la majorité de droite du Sénat votait les budgets... (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer, rapporteur pour avis.
M. André Boyer, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la section « Marine ». Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faute de temps, mon propos aura pour seul but d'attirer, s'il en était nécessaire, votre attention sur le renouvellement et l'entretien de la flotte : flotte de surface, flotte sous-marine et aviation embarquée.
Aujourd'hui se prépare la marine des années 2010, que nous souhaitons moderne et efficace. C'est donc surtout en terme d'investissements, qui représentent 60 % de son budget, qu'il faut programmer son évolution.
Une grande partie des bâtiments aujourd'hui en service devra être remplacée : six sous-marins nucléaires d'attaque, dix-sept frégates multimissions, quatre frégates antiaériennes avec le programme Horizon et deux transports de chalands de débarquement. Pour l'aéronautique navale, il s'agira de l'acquisition des Rafale et des hélicoptères NH 90.
Vous avez déjà engagé un grand nombre de ces programmes, monsieur le ministre, mais il reste encore beaucoup de chantiers à ouvrir.
Dans cette perspective et au titre de l'année 2002, les crédits d'équipement s'avèrent insuffisants et il sera nécessaire, pour tenir le cap, d'accomplir un effort très important dans les années qui viennent.
De ce fait, le budget global alloué à la marine, s'il protège le titre III, induit au chapitre V des interrogations structurelles qui peuvent comporter des remises en cause difficiles, sauf à imaginer que des majorations budgétaires très importantes se haussent à l'avenir à la hauteur des espérances.
Existe-t-il d'autres moyens de faire face à ces problèmes ?
Tel sera, monsieur le ministre, le sens des deux interrogations que je souhaite vous soumettre.
La première concerne le recours à la sous-traitance ou l'appel à des entreprises industrielles dans trois domaines différents.
Le premier consisterait à faire appel à des entreprises de services pour des missions qui n'ont pas de caractère proprement militaire telles que la restauration ou l'entretien des bâtiments.
La professionnalisation des armées, dit-on de toute part, est une réussite, et nous nous en réjouissons. Le dernier conscrit s'en est allé, mais déjà son départ crée un vide dans certains domaines.
Pourtant, dans le budget 2002, il n'y aura pas d'augmentation des crédits de sous-traitance et les armées désormais professionnelles, et considérées comme telles, continueront à remplir des tâches qui ne font pas partie de leur coeur de métier.
Pouvez-vous nous donner votre opinion à cet égard, monsieur le ministre ?
Le deuxième champ d'application pourrait être de confier, beaucoup plus largement qu'aujourd'hui, l'entretien des matériels, aéronautiques notamment, et la gestion des rechanges à des industriels privés. On cite comme exemple de réussite en ce domaine le contrat de maintenance des Falcon 50 de la marine avec la société Dassault Falcon Service, qui assure un taux de disponibilité des matériels à près de 90 %.
Faut-il continuer dans cette voie ?
Pour mettre fin rapidement à l'effondrement des taux de disponibilité des matériels, la restructuration du soutien s'imposait. N'y a-t-il pas lieu de s'interroger, cependant, sur la pertinence du transfert de l'entretien de l'aéronautique et de la flotte à des structures administratives centralisées qui buteront rapidement sur les contraintes lourdes du code des marchés publics ?
Quel est, monsieur le ministre, dans ce domaine où vos compétences économiques reconnues guident sûrement un jugement lucide, le choix le plus opportun ?
Le troisième domaine concerne l'acquisition de certains équipements. Nos amis britanniques ont choisi un contrat de service pour s'assurer la disponibilité du matériel voulu, en fonction des besoins, par une simple participation à l'achat, en laissant la maintenance au prestataire privé, qui peut utiliser ces équipements lorsque la marine n'en a pas besoin. C'est ainsi que la Royal Navy va disposer de six navires de transport supplémentaires à moindre coût.
Cet exemple pourrait-il inspirer la défense française ou la future force de réaction rapide européenne pour répondre à ses besoins de transport stratégique maritime en complément des bâtiments militaires ?
Ce dernier point me conduit, monsieur le ministre, à vous poser, mais brièvement malgré l'importance du sujet, ma seconde question : qu'en est-il de la mise en place, dans le cadre de la construction de la défense européenne, d'une gestion commune des moyens de transports maritimes comparable à ce qui se fait en matière de ravitaillement en vol ou de transport aérien ?
Telles sont, monsieur le ministre, puisque telle est désormais la règle, les quelques interrogations que le rapporteur pour avis du budget de la marine est en mesure de formuler à propos du budget 2002... pour vous soumettre à la question. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Faure, rapporteur pour avis.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour le nucléaire, l'espace et les services communs. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le domaine nucléaire, après plusieurs années d'érosion continue, nous enregistrons une forte augmentation des crédits. Elle correspond à la poursuite des grands programmes de modernisation de nos deux composantes et au programme de simulation.
Notre commission se félicite de la préservation des crédits du nucléaire, bien que la dégradation du budget de la défense ne la rende malheureusement possible qu'au détriment de l'équipement classique. La dissuasion demeure, y compris dans le contexte que nous connaissons aujourd'hui, la garantie ultime de nos intérêts vitaux. Nous avons sur ce point été très attentifs aux propos tenus le 8 juin dernier par le Président de la République, qui a démontré comment notre dissuasion s'adaptait aux menaces nouvelles, notamment la prolifération des armes de destruction massive.
Nous sommes cependant très réservés face au décalage de deux ans de l'admission au service actif du quatrième sous-marin nucléaire lance-engins de nouvelle génération. Lié à des contraintes budgétaires, ce décalage remet en cause un calendrier soigneusement réaménagé voilà trois ans, qui prévoyait notamment d'avancer de deux ans la livraison du missile M 51 pour la coordonner avec la mise en service du lance-engins. Tout cela ne nous semble pas cohérent, sans parler des problèmes d'organisation pour l'industriel. Par ailleurs, qu'advient-il des importantes économies annoncées par la direction générale pour l'armement, la DGA, il y a trois ans sur ce programme ?
Dans le domaine spatial, nos ambitions se limitent désormais aux programmes d'observation optique Hélios II et de télécommunications Syracuse III dont vous avez annoncé la mise en place pour 2003. L'acquisition d'une capacité d'observation tout temps est désormais suspendue à un partenariat avec l'Allemagne et l'Italie. Mais quel est le degré réel d'engagement de ces deux pays dans ces programmes, en particulier sous l'angle financier ? A quelle échéance pourrait fonctionner un système européen d'observation spatiale organisé autour d'Hélios II et des équipements radars italiens et allemands ?
S'agissant de la Délégation générale pour l'armement, nous regrettons la stagnation, année après année, des dotations d'études-amont, inférieures de 25 % à leur niveau de 1996. L'écart se creuse non seulement avec les Etats-Unis, mais aussi avec notre voisin britannique. Peu visibles aujourd'hui, les conséquences de cette politique sur nos capacités technologiques face à nos concurrents se feront sévèrement sentir à l'avenir.
Ma question suivante porte sur la Direction des constructions navales, la DCN. Le calendrier de sa transformation en société et le maintien du capital aux mains d'un seul actionnaire, l'Etat, permettront-ils réellement à la DCN de faire valoir ses atouts dans les restructurations européennes en cours ? Par ailleurs, comment le projet de société commune avec Thalès s'articule-t-il avec ce changement de statut ?
Ma dernière observation concerne le service de santé des armées. En 2002, l'effort portera sur un recrutement d'infirmiers, qui vient compenser l'application des 35 heures dans les hôpitaux militaires. En revanche, nous sommes très inquiets face à la détérioration des effectifs de médecins des armées, faute de succès du recrutement direct. Le plan de revalorisation mis en place cette année apparaît tardif et insuffisant. Une action beaucoup plus vigoureuse s'impose pour renforcer l'attractivité de la carrière médicale militaire et conserver ainsi la haute qualité du soutien médical de nos armées.
En conclusion, malgré quelques motifs de satisfaction, en particulier dans le domaine nucléaire, ce budget souffre du renouvellement d'opérations aussi contestables que la ponction sur le titre V au profit du budget civil de recherche et développement, et surtout du non-respect, pour la troisième année consécutive, des engagements de stabilisation des crédits d'équipement pris par le Premier ministre en 1998.
Le recul de notre investissement de défense fragilise considérablement les objectifs retenus par le projet de programmation pour les années 2003-2008. Il nous entraîne à contresens, face aux exigences d'un environnement international incertain, ce qui nous conduit à émettre un avis défavorable sur ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. François, rapporteur pour avis.
M. Philippe François, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la section « Gendarmerie ». Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il se trouve que la gendarmerie traverse aujourd'hui une crise sans précédent dans son histoire, et l'on est amené à penser que le projet de budget pour 2002 ne répond malheureusement pas à l'insatisfaction des personnels, dont les signes se multiplient sous des formes que je ne saurais d'ailleurs toujours approuver.
Certes, nous mesurons, monsieur le ministre, les efforts que vous avez déployés pour obtenir certaines améliorations significatives, présentées lors du Conseil supérieur de la fonction militaire la semaine dernière. Mais ces mesures apparaissent trop tardives.
Je regrette vivement que les dispositions nécessaires n'aient pas été prises, alors même que les signaux annonciateurs d'une grave crise se sont accumulés au cours des derniers mois sous l'effet de nombreux facteurs : des brigades débordées et fragilisées par la substitution de volontaires aux professionnels ; des infrastructures vétustes, souvent indignes du logement que l'Etat se doit de fournir à ses serviteurs ; une gendarmerie mobile suremployée et accaparée, comme la territoriale, par des tâches extérieures à sa mission première de sécurité ; enfin, un climat d'insécurité marqué par la multiplication d'actes de violence contre les forces de l'ordre elles-mêmes !
Dans ce contexte, trois motifs de préoccupation doivent être soulignés : les effectifs, les rémunérations et le statut militaire.
Le premier sujet de préoccupation concerne l'évolution des effectifs. Les besoins dans ce domaine doivent s'apprécier au regard de missions qui ne cessent de s'alourdir. Faut-il le rappeler, la gendarmerie s'investit toujours davantage dans les zones périurbaines. Mais le renforcement du dispositif dans ces zones dites « sensibles » entraîne souvent un déplacement de la délinquance, devenue de plus en plus mobile, vers les zones rurales. En tant que maire d'une commune de Seine-et-Marne, je peux en témoigner. C'est pourquoi la nécessité d'un fort maillage territorial conserve toute sa pertinence.
Par ailleurs, la présence de la gendarmerie sur les théâtres extérieurs tels que les Balkans constitue aussi une contrainte au moment où l'augmentation des effectifs suffit à peine à couvrir les besoins de sécurité nationale.
Face à des missions accrues et de plus en plus difficiles, la gendarmerie a aujourd'hui un besoin impératif de personnels professionnels supplémentaires. Or, aux termes de la loi de programmation qui s'achève, l'augmentation des effectifs de l'armée a exclusivement reposé sur des volontaires destinés à prendre progressivement la place des appelés du service national. A l'évidence, il est aujourd'hui nécessaire de stabiliser le nombre de ces volontaires et d'accroître les effectifs des professionnels.
La future loi de programmation ne donne aucune indication précise sur l'évolution des effectifs. Vous avez cependant annoncé, monsieur le ministre, lors du conseil supérieur de la fonction militaire, un plan de recrutement de 3 000 sous-officiers sur trois ans, à compter de l'année prochaine. Pouvez-vous nous préciser les conditions de financement de ce programme qui apparaissent aujourd'hui bien imprécises ?
Le deuxième motif de préoccupation a trait aux rémunérations. Depuis 1989, la revendication d'une indemnité destinée à compenser la disponibilité permanente des gendarmes est récurrente mais reste non satisfaite. Naturellement, les attentes se sont aiguisées alors que, avec la mise en oeuvre des 35 heures, l'écart entre les conditions civile et militaire s'élargit. La pression s'est encore accrue cette année avec la mise en place de l'euro et la réactivation du plan Vigipirate renforcé. Quant à la menace terroriste, ne risque-t-elle pas de mobiliser les forces de gendarmerie sur une période dont il n'est pas possible de prévoir le terme ?
Les aspirations des personnels se sont cristallisées autour du treizième mois. Les mesures annoncées devant le conseil supérieur de la fonction militaire traduisent une avancée qui, hélas ! est cependant en deçà de la demande et ne paraît pas de nature à apaiser le malaise des personnels. En outre, elles sont financées par un prélèvement inadmissible sur un titre V déjà particulièrement contraint. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelles dispositions complémentaires envisagez-vous pour mettre fin à la crise actuelle ?
L'exercice, certes, est difficile, car les armées regardent du côté de la gendarmerie qui, elle-même, regarde du côté de la police ! Il peut donc y avoir des effets de contagion très lourds pour les finances publiques. Faudrait-il, dès lors, comme d'aucuns en ont exprimé le voeu, séparer la gendarmerie du ministère de la défense, avec, pour conséquence, une remise en cause du statut militaire de l'institution ? ( M. le ministre marque son intérêt. )
Ce serait, à notre sens, une faute, et une faute historiquement grave, car la dualité des forces de police constitue un élément fondamental de l'Etat de droit.
M. Jean Chérioux. Bien sûr !
M. Philippe François, rapporteur pour avis. Par ailleurs, les personnels de la gendarmerie sont, nous le savons, fondamentalement attachés au statut militaire. Aussi est-il essentiel, monsieur le ministre, que vous réaffirmiez ici, solennellement, la position du Gouvernement sur ce sujet crucial pour notre démocratie.
Pour conclure, les crédits prévus dans le projet de loi de finances marquent manifestement une sous-estimation des besoins de la gendarmerie. C'est la raison pour laquelle je me joindrai aux autres rapporteurs de la commission des affaires étrangères pour vous inviter, mes chers collègues, à rejeter le budget de la défense.
La crise actuelle ne trouvera pas sa solution dans des mesures de circonstance, car elle traduit aussi des inquiétudes plus profondes sur la place et sur les missions dévolues aux forces de sécurité. C'est pourquoi il me paraît indispensable et urgent de fixer un cap clair à notre politique de sécurité en engageant, avec l'ensemble des acteurs intéressés, une large concertation sur les objectifs et les moyens de l'action de l'Etat dans ce domaine. Sachez, monsieur le ministre, que le Sénat apportera sa contribution à ce débat essentiel pour l'avenir de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon, rapporteur pour avis.
M. Serge Vinçon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la section « Forces terrestres ». Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères et de la défense trouve, au titre III du budget des forces terrestres, certains motifs de satisfaction avec, d'une part, la poursuite du redressement des crédits de fonctionnement et, d'autre part, les premières mesures spécifiques d'amélioration de la condition militaire depuis 1997. J'avais insisté, l'an passé, sur les risques d'une évolution divergente entre les conditions de vie et de travail des militaires et celles des civils. Ces mesures, bien que modestes encore et limitées aux sous-officiers, sont positives.
Confirmez-vous, monsieur le ministre, qu'il ne s'agira là que d'une première étape et qu'il faudra aller plus loin, notamment pour les jeunes officiers ?
Au-delà des aspects budgétaires, la commission des affaires étrangères estime que l'armée de terre a relevé avec succès le principal défi de sa professionnalisation, à savoir le recrutement d'engagés. Pour autant, elle aura connu, ces dernières années, un sous-effectif permanent, qui n'est pas seulement conjoncturel et lié à la fin du service national. Des déficits préoccupants subsistent non seulement pour les personnels civils, alors même qu'un millier de postes auront été supprimés par rapport à la loi de programmation, mais aussi pour les militaires, dans la catégorie des volontaires. Cette situation pèse lourdement sur des unités très sollicitées.
S'agissant des personnels civils, ma première question, nous avons quelques difficultés à avoir un point précis de la situation. Chaque année, on nous assure que les recrutements du dernier trimestre et ceux de l'année suivante résorberont bientôt le déficit. Mais, pour l'armée de terre, la situation ne s'est pas améliorée et s'est même plutôt dégradée. Des mesures précises sont-elles envisagées pour 2002 ou faudra-t-il continuer à s'accommoder longtemps encore de cette situation très pénalisante ?
Ma deuxième question concerne les volontaires. Face aux difficultés à pourvoir la totalité des postes, ne croyez vous pas que la cible de la loi de programmation est trop ambitieuse et qu'il faudrait tout simplement transformer un certain nombre de postes de volontaire - entre 1 000 et 2 000 - en postes d'engagé ?
J'en viens aux crédits d'équipement. Pour l'armée de terre, ils reculent de plus de 7 %. Pour sa dernière année d'exécution, c'est un décrochage définitif par rapport aux objectifs de l'actuelle loi de programmation. Cet affaissement de l'effort d'équipement va accentuer des retards déjà très préoccupants dans la modernisation des matériels. Compte tenu des échéances tardives de remplacement, il faudra compter, pour de nombreuses années encore, sur des équipements vieillissants, donc coûteux en entretien et en remise à niveau. La situation de nos capacités aéromobiles est particulièrement inquiétante, le NH 90 n'étant pas prévu avant 2011, et nous craignons un réel affaiblissement de nos capacités opérationnelles. Cette situation tendue fait peser de lourdes contraintes sur la gestion du titre V.
Je regrette ainsi qu'en raison du contexte budgétaire la question du renouvellement de nos capacités antichar soit laissée en suspens. Face au risque de perte, en France, de la capacité industrielle dans ce domaine, envisagez-vous, monsieur le ministre, de relancer le programme Trigan pour le remplacement de nos actuels missiles Milan, avec les fortes perspectives à l'exportation qui en résulteraient ?
Ma troisième question concerne l'hélicoptère Tigre. Les besoins de l'armée de terre comme ceux d'éventuels acheteurs étrangers plaident aujourd'hui très fortement pour le développement d'une version polyvalente dite « HAD », au lieu et place de nos deux versions, conçues dans un tout autre contexte. Les moyens financiers nécessaires à ce développement utile seront-ils mis en place ou peuvent-ils être transférés ?
En conclusion, nous constatons que, pour les crédits de paiement, le niveau prévu pour 2002, conjugué aux très fortes annulations décidées en cette fin d'année, risque de provoquer des reports de charges et des difficultés de paiement l'an prochain. Quant à l'enveloppe accordée pour les autorisations de programme, elle oblige à reporter plusieurs commandes, amplifiant ainsi les retards accumulés ces dernières années.
C'est pourquoi la commission des affaires étrangères et de la défense a émis un avis défavorable sur ce projet de budget. ( Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE. )
M. le président. La parole est à M. Pintat, rapporteur pour avis.
M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour la section « Air ». Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à l'armée de l'air par le projet de budget de la défense pour 2002 se montent à 5,202 milliards d'euros, soit une croissance d'environ 1,8 % par rapport au budget voté en 2001.
Cette croissance correspond globalement au taux de l'inflation et le montant des crédits affectés à l'armée de l'air doit donc être considéré comme stable.
Alors que l'armée de l'air, comme les autres armées, a réussi sa professionnalisation, il est toutefois dommage de constater qu'elle est sous-dotée au regard de ses besoins, notamment pour ses équipements.
Rappelons que la part du budget de la défense dans le produit intérieur brut a chuté, passant de 2,6 % à 1,8 % entre 1991 et 2001.
Deux aspects du budget de l'armée de l'air me semblent particulièrement susceptibles de porter préjudice à son bon fonctionnement : le premier tient aux tensions affectant les recrutement de certains corps qui la composent, le second porte sur les difficultés prévisibles de constitution de son parc de matériel de transport et de combat aérien.
S'agissant des recrutements, l'armée de l'air a le privilège de ne pas rencontrer, du moins jusqu'à présent, de difficultés pour s'attacher les services des futurs officiers. En revanche, comme dans l'ensemble du ministère de la défense, des tensions d'inégale importance sont apparues dans les recrutements des militaires techniciens de l'air, des volontaires et des personnels civils. Pour faire court, les contraintes inhérentes à la condition militaire détournent de nombreuses vocations.
Ma question est donc d'ordre général, et rejoint les inquiétudes déjà exprimées par plusieurs de mes collègues : comment « compenser » les contraintes de la vie militaire et rendre ce métier attractif dans une société dont les conditions générales de vie s'éloignent de ces contraintes de façon croissante ?
Je m'interroge également sur les équipements. Là encore, de nombreuses questions inquiètent très légitimement les parlementaires, comme vous l'avez déjà perçu, monsieur le ministre.
Ainsi, le projet d'avion A 400M, destiné à remplacer nos Transall à l'horizon 2007, traverse, en ce moment même, une passe très difficile. Les incertitudes italiennes et, surtout, allemandes risquent de mettre en péril un projet capital y non seulement sur le plan opérationnel, mais aussi sur le plan industriel.
La politique européenne de défense serait gravement atteinte dans sa crédibilité si un projet aussi emblématique venait à être compromis. Nous vous serions reconnaissants, monsieur le ministre, de faire le point sur ce dossier devant la Haute Assemblée.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Xavier Pintat, rapporteur pour avis. Par ailleurs, l'avenir de l'industrie européenne en matière d'aviation de combat s'annonce problématique.
Au moment où le Rafale tente de s'insérer dans la difficile compétition ouverte par le renouvellement des flottes de nombreux pays, le projet américain de JSF, ou Joint Strike Fighter - il porte sur un total de 6 000 appareils dont les premiers exemplaires arriveront à l'horizon 2009, soit à peine trois ans après la livraison du premier escadron de Rafale à l'armée de l'air - ne risque-t-il pas de marginaliser notre industrie, tant nationale qu'européenne, dans un secteur stratégique pour la décennie future ?
Dans ce contexte, monsieur le ministre, l'initiative du 19 novembre dernier prise par six pays européens, dont le nôtre, de s'engager à financer et à réaliser le développement de nouveaux systèmes d'armes aériennes est-il de nature à compenser la pression qui s'exerce sur nos équipements aériens majeurs ?
Monsieur le ministre, pour conclure, va-t-on assez vite pour adapter notre outil militaire à un environnement très dangereux, traversé par des menaces nouvelles et multiformes dues au terrorisme international ? Tel est le grand défi que nous devons relever ensemble, et ce projet de budget, par ses insuffisances du point de vue des équipements, n'est pas de nature à nous rassurer.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donc émis un avis défavorable à l'adoption de ce budget, et son président vous expliquera les raisons de cet avis en détail tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Répondant aux rapporteurs spéciaux, j'ai indiqué tout à l'heure les grandes lignes du projet de loi de finances.
Bien naturellement, les orateurs qui se sont exprimés au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense se sont préoccupés de l'adéquation du projet de budget à l'évolution de la situation internationale et intérieure.
Nous savons que le budget du ministère est conçu pour donner au pays les moyens de faire face à ces défis. C'est pourquoi des adaptations limitées sont nécessaires chaque année, tant dans la gestion que dans les prévisions mêmes. Nous en aurons confirmation dans le projet de loi de finances comme dans la loi de finances rectificative.
Je ne reviendrai pas sur les questions catégorielles, qu'ont évoquées certains orateurs, puisque je les avais déjà abordées tout à l'heure, en réponse aux rapporteurs spéciaux. Je souhaite en revanche commenter les remarques de M. François sur la gendarmerie.
Je tiens à souligner les mesures importantes que le Gouvernement a prises pour répondre aux besoins de l'arme et aux attentes de ses personnels. Ainsi, la rémunération des militaires de la gendarmerie départementale augmentera de 1 275 euros par an, et les gendarmes des unités mobiles bénéficieront de 870 euros supplémentaires et de huit jours de temps libre. Ces mesures sont donc beaucoup plus substantielles que celles que contenaient tous les plans précédents.
Le Gouvernement a par ailleurs manifesté sa volonté de poursuivre la concertation, dès les semaines à venir, sur des sujets concrets répondant, une fois encore, aux préoccupations qui se sont exprimées, en particulier, en matière d'effectifs supplémentaires ; c'est bien là, en effet, la première réponse à apporter au problème de la surcharge de travail.
Monsieur François, les budgets qui vous ont été présentés pour 2000 et pour 2001 n'ont pas été adoptés par le Sénat. Celui qui vous est soumis aujourd'hui prévoit au total la création de 1 700 postes de sous-officiers. Il faut, en effet, faire un bref retour sur ce point de la loi de programmation.
M. François a eu l'honnêteté de le reconnaître, la loi relative à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 - qui avait été, en revanche, adoptée par la majorité sénatoriale - ne prévoyait aucune création de poste de sous-officier dans la gendarmerie. Au cours des deux dernières années, 1 700 postes de gendarmes ont été créés, et le Gouvernement arrêtera dans les semaines qui viennent un plan comportant la création de 3 000 postes de sous-officiers supplémentaires.
Cet effort était nécessaire et, assurément, la situation aurait été bien meilleure s'il avait été engagé plus tôt.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous arrivons à la fin d'une législature !
M. Alain Richard, ministre de la défense. C'est possible, mais la dernière n'a pas disparu des mémoires, monsieur le président de la commission !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Certes, mais il faut aussi accepter son propre bilan !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je regrette que cela vous dérange...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela ne me dérange pas !
M. Alain Richard, ministre de la défense ... et provoque de telles réactions de votre part, mais c'est un simple fait objectif que M. François a bien voulu rappeler : il n'y avait aucune création de poste de sous-officier - 0,0 - dans la loi de programmation adoptée par la majorité du Sénat en 1996 !
M. Philippe François, rapporteur pour avis. Nous n'avions pas prévu les 35 heures, à l'époque !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je suis désolé de déranger en rappelant ce simple fait ! (Vives protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis. C'était avant les 35 heures !
M. Alain Richard, ministre de la défense. C'est possible, mais il y avait déjà des besoins de sécurité qui n'avaient pas été pris en compte.
M. Jean Chérioux. Vous comparez l'incomparable !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je suis désolé de provoquer des réactions aussi vives, mais c'est un fait que j'énonce ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Je vous laisse vous exprimer, messieurs, mais vous savez bien que c'est un fait !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Pas du tout !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Le sujet mérite un peu d'attention et de sérénité !
M. Jean Chérioux. Pas de provocation !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Mais vous devez être capable d'y résister, monsieur le sénateur, avec votre pondération bien connue !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous aussi !
M. Alain Richard, ministre de la défense. C'est ce que je fais : je n'ai interrompu personne, alors que j'étais en désaccord avec nombre d'orateurs.
Ces mesures ont été adoptées à l'issue d'un processus de concertation, et je veux insister sur le rôle central qu'ont joué les représentants statutaires des personnels et les représentants élus des unités : tout au long de la concertation, ils ont exprimé fidèlement les aspirations de leurs collègues, et je sais qu'ils entendent conserver ce rôle essentiel de représentation, dans le respect de l'éthique militaire.
Je soumettrai au Sénat trois réflexions sur cette situation difficile.
D'abord, le Gouvernement est convaincu que les personnels de gendarmerie sont motivés par la volonté loyale d'avoir les moyens de bien mener leur mission au service des Français, justifiant ainsi leur confiance.
Ensuite, le Gouvernement a déjà fait beaucoup, par les mesures qu'il a prises, et il exprime clairement son intention de poursuivre son effort pour répondre mieux encore aux aspirations des personnels et aux besoins de l'arme.
Enfin, le Gouvernement - et je suis tout à fait clair dans ma réponse à M. François sur ce point - tient au statut militaire de la gendarmerie, qui est à la fois un cadre de travail et une garantie. Ce statut doit rester la règle pour tous, dans l'éthique et dans le comportement.
C'est sur la base de ces trois réflexions que le Gouvernement a le devoir de conduire son action.
La situation du service de santé a également été mentionnée, à juste titre. Je confirme à M. Jean Faure que le projet de budget assure le financement de la deuxième étape du plan de revalorisation de la situation des médecins et organise le recrutement de personnels militaires et civils permettant le bon fonctionnement de ce service.
Le recrutement dans le corps des médecins des armées continuera de reposer sur l'augmentation du nombre de places offertes, notamment à l'entrée dans les écoles de formation. Je voudrais insister sur le fait que le nombre de places offertes sera passé de 120 postes en 1998 à 150 postes en 2001 et autant en 2002.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Il n'y a pas de candidats !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Bien sûr que si ! Ne dites pas de choses inexactes, monsieur Faure.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Il y a un déficit de candidats !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Pas du tout ! Les postes de médecins ouverts au concours de l'Ecole de santé sont pourvus par les meilleurs candidats. Je ne voudrais pas que vous laissiez le Sénat ignorer ce fait, monsieur le rapporteur pour avis !
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. C'est vrai depuis des dizaines d'années, et cela reste vrai aujourd'hui. Il faut rester, autant que possible, fidèle aux faits !
Je voudrais préciser à M. Vinçon, qui s'interrogeait sur le recrutement des volontaires, que l'armée de terre, assez naturellement, a fait porter l'essentiel de son effort, au cours des deux dernières années, sur le recrutement des engagés volontaires de l'armée de terre. Ce fut un succès, puisque 2001 a vu le plus grand nombre d'engagements de toute la période contemporaine. Bien entendu, ces engagements se sont aussi appuyés sur le vivier que constituaient les jeunes volontaires de l'armée de terre ; c'est, me semble-t-il, une évolution professionnelle logique.
L'armée de terre va donc pouvoir accentuer maintenant son effort de recrutement en direction des volontaires de l'armée de terre, et le Gouvernement pense que la catégorie des volontaires prendra à l'avenir toute sa place.
Il faut préciser, et je réponds là à M. Boyer, que des postes de personnels civils ont été gelés dans la perspective d'une externalisation, ce qui procure à l'armée de terre des moyens supplémentaires pour répondre à ses objectifs. En outre, s'agissant de la proportion de postes pourvus pour les personnels civils de l'armée de terre, nous étions à un peu plus de 4 200 postes vacants à la fin de l'année 1999, et la fin de l'année présente verra le déficit réduit à moins de la moitié, c'est-à-dire entre 1 800 et 2 000 postes non pourvus. Toutefois, 1 100 postes seulement sont effectivement vacants, puisqu'il faut tenir compte de ceux dont le financement est venu soutenir l'effort d'externalisation.
Ces dernières années, nous avons rapidement progressé dans la voie de l'externalisation. Cette démarche, pour être réussie, doit être acceptée par les personnels civils titulaires. Cela suppose une analyse rigoureuse des activités externalisables, la préparation de cahiers des charges précis et conformes aux règles de la concurrence et l'appropriation par les personnels concernés des outils de contrôle de l'exécution des marchés de prestations concernés. Un effort déjà important a été accompli, et il nous a semblé utile de consolider les acquis dans le projet de budget pour 2002.
J'apporterai maintenant quelques précisions sur les différents programmes d'armement.
S'agissant de la dissuasion - je poursuis ainsi le dialogue avec M. Faure -, la décision de décaler de deux ans le sous-marin lance-engins de nouvelle génération a été prise dans le cadre de l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, approuvée par le conseil des ministres sous la présidence du Président de la République.
Au titre du système de forces « commandement, communication, conduite d'opérations et renseignements », objet d'une autre question de M. Faure, l'engagement de la France dans une mutualisation de l'observation spatiale relève pour nous d'un engagement politique déterminé. (M. Faure, rapporteur pour avis, s'entretient avec M. le président de la commission des finances.) Je rappelle, monsieur Faure, que le programme Hélios II...
Mais vous ne m'écoutez pas, monsieur Faure !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous vous écoutons ! Même sur les médecins, nous ne sommes pas d'accord !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Vous me permettrez néanmoins de répondre à M. Faure sur une question qui, voilà quelques minutes, paraissait l'intéresser !
M. Michel Caldaguès. Oui, mais le ton est déplaisant !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je me passe de votre appréciation, monsieur Caldaguès. Vous faites mieux dans ce domaine !
M. Michel Caldaguès. Vous le verrez tout à l'heure !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Excusez-moi, mais vous ne devriez pas adopter une telle attitude. Ce n'est pas à la hauteur du débat du Sénat.
M. André Rouvière. Ah oui !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je choisis le ton respectueux, objectif et assuré de mes convictions qui convient quand on s'adresse à une assemblée de la République.
M. Claude Estier. Très bien !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je voulais donc dire à M. Faure que la réalisation du programme Hélios II incombant à la France est exactement conforme aux prévisions et aux engagements financiers qui ont été pris.
Le lancement du programme italien de satellites d'observation radar a fait l'objet d'un accord formel lors du dernier salon du Bourget, et nous pensons que les premières données seront disponibles en 2004. Tous les contacts que nous entretenons avec nos partenaires italiens démontrent leur détermination à mener à bien un programme dans lequel ils se sont fortement engagés.
J'ai déjà apporté les précisions souhaitables sur le système de forces « Projection mobilité ».
Je reviens sur le système de forces « frappe dans la profondeur ». Les principaux programmes sont poursuivis pour que nous puissions nous rapprocher de l'objectif capacitaire fixé pour 2015. Ces capacités reposent notamment sur l'avion de combat Rafale, dont la première flottille au standard F1 prévue par la programmation sera opérationnelle en 2002. Une tranche conditionnelle de vingt Rafale sera notifiée cette année même. Le programme connaîtra une nouvelle étape avec le développement du standard F2, capable de missions air-sol. De même, les premiers missiles de croisière antipistes Apache seront livrés aux forces avant la fin de cette année et seront pleinement opérationnels à la mi-2002.
Les programmes relevant du système de forces « maîtrise du milieu aéroterrestre » se déroulent conformément aux objectifs fixés par la loi de programmation militaire. Le Gouvernement a lancé la commande du nouveau programme de véhicules de combat de l'infanterie. Il fait tous les efforts nécessaires, en concertation avec l'entreprise titulaire du marché, c'est-à-dire GIAT Industries, pour que ce programme atteigne son objectif et, surtout, respecte la date de sa livraison. Il a notifié dès l'été 2001 la commande des 52 chars Leclerc qui permettront de compléter intégralement la cible de 406 chars fixée par la loi de programmation militaire. Il ne me paraît pas inutile de rappeler cette information. Concernant le Trigan, monsieur Vinçon, vous connaissez la position sans ambiguïté que j'ai exprimée au nom du Gouvernement. Le dialogue avec l'industriel a été poursuivi, et un projet de marché de 61 millions d'euros a été proposé à l'entreprise.
Quant au programme Tigre - qui, à l'issue d'une compétition, a été retenu par l'Australie, il faut le souligner -, l'Espagne a fait part de son intérêt pour ce nouvel hélicoptère. Les Etats parties, la France et l'Allemagne, ainsi que l'industriel, étudient la possibilité de développer une nouvelle version de cet hélicoptère répondant au mieux aux différents pays acheteurs potentiels.
L'observation sur la date de livraison des NH90, qui résulte d'un choix de priorité, appelle deux remarques de ma part : d'abord, le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008, qui a été adopté par le conseil des ministres le 31 juillet dernier, prévoit un effort de modernisation à mi-vie des hélicoptères Puma, ce qui augmentera le potentiel d'aéromobilité de l'armée de terre ; ensuite, le projet de loi de finances rectificative pour 2001, qui vous sera soumis dans les jours qui viennent, prévoit, l'augmentation de la mobilité de nos forces étant conçue comme l'une des réponses aux défis posés par la lutte contre le terrorisme, la commande de huit hélicoptères supplémentaires pour l'armée de terre et de cinq hélicoptères pour les autres armées.
En ce qui concerne le système de forces « maîtrise du milieu aéromaritine », je veux, en réponse à M. André Boyer, souligner que la mise en commun de moyens de transports maritimes dans le cadre de la force de réaction rapide européenne fait l'objet d'une coopération étroite avec nos partenaires néerlandais. Cette mise en commun sera, en effet, l'un des moyens de combler des déficiences européennes. La France joue là son rôle d'impulsion de la défense européenne. Je n'évoque pas maintenant l'A400M puisque je sais qu'il fera l'objet de plusieurs autres questions.
Je veux, à propos de la disponibilité opérationnelle des matériels, indiquer également à M. André Boyer que notre système de forces « préparation et maintien de capacité opérationnelle » connaît une réorganisation pour mieux répondre aux besoins. Il est fondé sur la création de structures spécialisées : le service de soutien de la flotte, le service de maintien des matériels aéronautiques de la défense et, bientôt, la structure de maintenance des matériels terrestres.
Il s'agit là, monsieur Boyer, de structures qui oeuvrent pour les besoins de l'Etat et qui passent des commandes au nom de celui-ci. Je ne vois donc pas comment nous pourrions les dispenser de respecter le code des marchés publics, même s'il faut, bien entendu - et c'est logique -, que le ministère de la défense fasse, au travers de ces structures spécialisées, la meilleure exploitation des dispositions de ce code. Faire appel à la concurrence et comparer aussi objectivement que possible les différentes propositions fait de toute façon aussi partie des missions de l'Etat, et mon ministère doit naturellement se conformer à la règle.
Une question portait sur l'instruction aéronautique.
Alors qu'elles avaient échoué sous les gouvernements précédents, les réorganisations industrielles menées par ce gouvernement ont permis de constituer en Europe un géant de taille mondiale, l' European aeronautic defense and space company, autrement dit EADS, qui est présent sur tous les marchés, qu'ils soient militaires ou civils. C'est le meilleur représentant de l'Europe sur la plan aéronautique.
Le lancement du programme d'études SCAFE concernant la réalisation des études pour le futur avion de combat européen démontre par ailleurs la volonté politique partagée de conserver en Europe toutes les capacités industrielles nécessaires. A M. Pintat, qui constate l'existence d'un projet américain, je veux rappeler que, depuis cinquante ans, les produits de l'aviation de combat française ont toujours été en compétition avec des aéronefs de fabrication américaine. Les Etats-Unis étaient confrontés à un problème de remplacement de génération de matériels et, pour leur nouveau projet, ils ont attribué le marché à l'un des grands constructeurs en compétition : Lockheed Martin.
Sachant que le projet Joint Strike fighter , ou JSF, est encore sur le papier et que de nombreux obstacles devront sans doute être franchis avant sa réalisation, je ne vois pas pourquoi on considérerait que cette concurrence menace davantage le Rafale que les F 15 ou les F 16, non menacés, et les Mirage, qui ont obtenu des marchés importants dans la génération en cours d'emploi.
Sur l'Europe de la défense, j'ajoute une observation, à savoir que l'Union européenne dispose aujourd'hui - et c'est un accomplissement de ce gouvernement - des structures nécessaires pour conduire une opération militaire.
Ces structures fonctionnent. Leurs procédures de travail ont été validées, et l'Union européenne déclarera ses capacités opérationnelles à la réunion du Conseil européen qui se tiendra la semaine prochaine à Laeken.
L'harmonisation et le renforcement des capacités militaires de l'Union européenne se poursuivent. La France y contribue pour environ 20 % et elle impulse le comblement d'un ensemble de déficiences objectivement constatées par nos partenaires et nous-mêmes.
En cette fin de période de programmation, la construction d'une armée européenne, l'engagement de nos armées, tant à l'extérieur que sur notre territoire national, la mise en place de l'Europe de la défense, sont autant de réels accomplissements qui montrent que la politique de la défense menée par ce gouvernement et financée par les budgets successifs a atteint des résultats essentiels.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement estime justifié que le présent projet de budget soit adopté. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Luc applaudit également.)
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Faure, rapporteur pour avis.
M. Jean Faure, rapporteur pour avis. Avec la même courtoisie que celle dont M. le ministre a fait preuve pour me répondre, je tiens à lui dire que nous ne parlons pas de la même chose s'agissant des services de santé.
J'ai parlé d'un déficit réel de médecins et de recrutements insuffisants pour le combler. M. le ministre me répond en annonçant des ouvertures de postes visant à recruter de jeunes étudiants en première année, qui ne seront médecins que dans huit ou neuf ans. Ces ouvertures de postes ne changent donc rien au problème actuel.
De quarante à cinquante postes de médecin sont à pourvoir chaque année et, sur une douzaine de candidatures, seules cinq donnent lieu à une embauche. Le déficit se creuse donc d'année en année, et, sur ce point, vous ne pouvez, me semble-t-il, qu'être d'accord avec moi, monsieur le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur Faure, vous avez pu observer, même si vous ne l'avez pas mentionné dans votre intervention, ce qui est regrettable - je vous le dis toujours avec la même courtoisie -, que la compétition pour ces postes est ouverte à des médecins civils en cours de carrière que l'on voudrait recruter dans les armées.
La transformation des armées, qui a été décidée en 1996 avec votre approbation, s'est fondée sur une période de transition de six années. Les conscrits représentaient plus de 30 % des moyens humains des services de santé. Il n'était naturellement du pouvoir de personne de recruter des médecins en nombre suffisant pour la fin de la période de transition, alors que leur durée de formation est de neuf ou dix ans !
Il a donc fallu s'adapter et procéder à des revalorisations - certes tout à fait justifiées - des postes de médecin, de manière à les rendre attractifs. C'est ce qui a, par exemple, conduit le Gouvernement à augmenter très substantiellement la rémunération des gardes des médecins du service de santé.
Je pense donc qu'il y aurait là, si la majorité sénatoriale voulait l'examiner objectivement, un motif de plus pour voter le projet de loi de budget de la défense.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Elle l'a examiné attentivement !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de cette dernière annuité de la programmation appelle un jugement contrasté.
Il comporte un titre III positif, qui fait droit à des demandes formulées ici depuis longtemps en faveur de l'amélioration de la condition militaire et de l'activité des forces. Cet effort est en cohérence avec le principe d'une armée professionnelle, qui repose sur l'attractivité du métier des armes, nécessaire à un recrutement de qualité, ainsi que sur sa disponibilité, que conditionne un entraînement de haut niveau. Mais une armée professionnelle suppose aussi des matériels performants et pleinement opérationnels. Or, à l'exception du nucléaire, judicieusement conforté, les crédits d'équipement, cette année encore, sont excessivement contraints.
Ce projet de budget conclut, en termes d'équipements, une programmation qui, au fil des encoches et des annulations, aura manqué, même si l'on prend en compte la revue des programmes, de l'équivalent d'une annuité de crédits consommés. Ainsi, en 2001, les annulations en cours d'année de crédits de paiement ont atteint 6 milliards de francs.
C'est enfin par une réduction de 800 millions de francs sur le titre V du présent projet de budget que vous proposerez tout à l'heure au Sénat de financer l'allégement du temps d'activité des militaires.
Malgré cela, cette programmation, nous dit-on, a bénéficié d'un des taux d'exécution les plus élevés par rapport aux précédentes lois de même nature. Rappelons-nous cependant que les dotations d'équipement prévues par l'actuelle programmation étaient elles-mêmes, initialement, en retrait de 20 milliards de francs par an par rapport à celles qui l'ont précédée et que, en contrepartie, lors de la revue de programmes, l'engagement avait été pris par le Premier ministre de maintenir la dotation constante à 85 milliards de francs de 1999. Or cette dotation n'aura en définitive été reprise dans aucune des lois de finances initiales de ces trois dernières années.
Les conséquences négatives sur la modernisation de certains équipements, sur leur entretien et sur leur disponibilité ont été décrites par les rapporteurs. Je n'y reviendrai pas. Elles fondent cependant, pour une très large part, l'avis défavorable émis par la majorité de la commission.
Le projet de budget pour 2002 parachève aussi la réforme de la professionnalisation. Cette réforme majeure, nécessaire et courageuse, a justifié et conforté l'adaptation de nos forces au nouveau contexte stratégique, et les attaques du 11 septembre n'ont pas affecté sa pertinence générale. Il convient, je crois, de rendre hommage aux membres de la communauté militaire, qui, malgré les bouleversements engendrés par cette réforme, ont été les artisans de son succès.
M. Michel Caldaguès. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. La professionnalisation ne signifie cependant pas que ceux qui ne choisissent pas le métier des armes doivent être tenus à l'écart de l'action de sécurité et de défense conduite par nos unités d'active. Le volontariat et la réserve sont indissociables de la professionnalisation : ils l'enrichissent et la complètent. L'apport de la réserve, en particulier -, M. le Premier ministre l'a d'ailleurs rappelé -, est nécessaire, dans le cadre des opérations extérieures comme dans celui de la sécurité intérieure.
Pourrez-vous, monsieur le ministre, nous préciser les grandes lignes du plan d'action décidé par le Gouvernement pour atteindre les objectifs d'effectifs requis par la réserve opérationnelle et les moyens qui lui seront associés ?
Ma seconde question concerne l'avenir de notre industrie d'armement. Vous avez parlé avec fierté - et c'était justifié - de EADS, mais qu'en est-il de GIAT Industries ? L'aménagement du statut de la DCN est actuellement en débat au Parlement. Une adaptation du statut de GIAT Industries serait également nécessaire. Chacun connaît les graves difficultés du secteur : elles ne facilitent pas une transition statutaire souple. Cependant, les atouts technologiques existent et les compétences humaines sont là.
Compte tenu aussi de l'urgence à procéder aux évolutions indispensables, pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer les résultats de votre réflexion sur cette question pour permettre à GIAT Industries, structure sous-capitalisée, de trouver une logique industrielle et commerciale qui favorise son insertion dans l'ensemble européen ?
M. Jean-Guy Branger. Très bien !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. En conclusion, nous constatons que le projet de budget de cette année est déséquilibré au détriment des équipements. En rendant illusoire la transition avec la prochaine loi de programmation, il risque de compromettre l'avenir et notre progression vers le modèle d'armée de 2015 que nous nous sommes, tous ensemble, donné voilà cinq ans et qui se voulait l'instrument d'une influence internationale ambitieuse pour la France et pour l'Europe. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je focaliserai mon propos sur quelques-unes des questions soulevées par M. de Villepin, sans revenir sur les appréciations politiques qu'il a, bien naturellement, portées de façon globale sur ce projet de budget. Il est tout à fait normal que l'opposition joue son rôle, mais le Gouvernement a déjà répondu sur ce point.
Je sais gré à M. de Villepin d'avoir relevé l'effort réalisé en faveur de la condition militaire. Ce dernier s'inscrit dans la logique de notre politique volontariste de professionnalisation des armées et répond à notre souci de préserver l'attractivité des carrières militaires.
Cette action porte ses fruits, puisque les recrutements s'effectuent de façon satisfaisante pour l'ensemble des spécialités. Nous recrutons en effet des candidats dans tous les domaines d'intervention, ce qui représente une très large gamme de métiers, avec un taux de sélection conforme à nos attentes. Cela nous permet d'atteindre les objectifs fixés dans la loi de programmation militaire.
En outre, je souhaiterais souligner, comme l'a fait M. de Villepin, que les volontaires ont leur place dans les armées. Cette innovation figurait dans la loi de programmation militaire de 1996, que le Sénat avait approuvée, mais le statut des volontaires n'avait pas encore été précisément défini. Il avait été alors imaginé de les indemniser à hauteur de 2 000 francs par mois - je vous renvoie au texte de la loi sur ce point -, ce qui ne rendait sans doute pas cette fonction très attirante.
Depuis lors, la réflexion s'est réorientée vers la mise en place d'un statut professionnel de courte durée pour ces jeunes volontaires, dont la rémunération est maintenant équivalente au SMIC et qui bénéficient d'un important effort de formation, lequel prolonge une tradition particulièrement riche en la matière. En effet, les armées françaises ont mené au fil des générateurs et continuent de mener avec beaucoup de coeur une action très profonde de formation et d'insertion. Je suis persuadé que la catégorie des volontaires rendra de grands services aux différentes armes et sera pleinement adoptée par la communauté militaire.
S'agissant de la réserve, elle voit bien sûr ses missions et sa conception même renouvelées, comme l'a souligné M. de Villepin, dans l'optique de la réforme des armées.
A cet égard, 2002 sera une année charnière pour la nouvelle réserve militaire : les derniers appelés ont achevé leur temps de service actif et la réserve doit jouer pleinement son rôle de complément des forces d'active et de trait d'union avec la société civile. A l'occasion du séminaire sur les réserves, le Premier ministre a annoncé un certain nombre de priorités, parmi lesquelles figurent notamment le développement de l'intérêt des jeunes pour la nouvelle réserve grâce à des activités attractives et à l'élaboration d'une formule de transition entre la préparation militaire et un premier stage dans la réserve au cours de l'été suivant, ainsi que la création d'une prime de fidélité au bénéfice des réservistes, à laquelle avait déjà travaillé mon ami Jean-Pierre Masseret lorsqu'il servait à mes côtés. Pour 2002, 8,3 millions d'euros supplémentaires sont de nouveau alloués à la réserve, dont les crédits seront, au total, légèrement supérieurs à 67 millions d'euros.
En ce qui concerne GIAT Industries, le marché auquel il s'adresse tend aujourd'hui à se stabiliser, c'est-à-dire que la baisse du chiffre d'affaires enregistrée au titre des armements terrestres, qui a été le grand obstacle à l'adaptation de l'entreprise, est maintenant enrayée. GIAT Industries poursuit sa réorganisation industrielle, qui lui permet de mieux se mesurer, en termes de productivité, à ses principaux concurrents. Nous achevons la mise en oeuvre du plan stratégique d'adaptation des effectifs de GIAT Industries, qui s'est déroulée sans rupture, sans entraîner de conflits graves sur les plans social et territorial. Il reste maintenant à GIAT Industries à chercher à établir les partenariats internationaux qui lui permettront d'élargir ses perspectives et d'atteindre de nouveaux marchés : un certain nombre de contacts ont été pris à cet égard, qui sont prometteurs.
M. le président. Nous allons maintenant passer aux questions.
La parole est à M. Masseret.
M. Jean-Pierre Masseret. Je vous poserai une rafale de questions, monsieur le ministre ! (Sourires.)
Comme vous l'avez souligné, les problèmes de sécurité et de défense doivent être envisagés selon une approche européenne. Il est donc indispensable que la prochaine loi de programmation militaire s'inscrive dans cette perspective, mais la mise en place de forces de réaction rapide et l'acquisition de capacités stratégiques seront-elles possibles avec des dépenses militaires d'un niveau tel que celui que l'on observe actuellement dans les différents Etats membres de l'Union ?
En outre, comment parvenir à harmoniser les programmations militaires européennes sans avoir procédé à une analyse stratégique commune ? Autrement dit, peut-on réaliser un Livre blanc européen ? Existe-t-il, sur ce plan, une réelle volonté commune des Etats membres de l'Union européenne ?
Par ailleurs, peut-on envisager - faut-il envisager - une inflexion dans la politique d'équipement militaire, afin de donner une plus grande place, demain, aux programmes liés au renseignement, aux missiles de croisière, à l'espace ?
Quant à la dissuasion nucléaire, son poids budgétaire s'accroît sensiblement après des années de décrue. Les programmes prévus, que je ne rappellerai pas ici, car ils sont connus, sont lourds : à l'horizon 2015-2020, peut-on envisager que cette charge budgétaire ne soit plus exclusivement nationale ?
Enfin, les gendarmes formulent, selon des modalités contestables, à mon sens, au regard de leur statut militaire, deux catégories de revendications : ils réclament plus de temps libre, pour être au diapason des autres salariés dans notre société et, surtout, un système indemnitaire mieux adapté à la diversité et aux difficultés spécifiques de leurs missions.
A cet égard, je voudrais souligner, monsieur le ministre, que, sous votre impulsion, ce gouvernement a fait davantage progresser ce dossier que n'importe lequel de ses prédécesseurs. Cependant, pour permettre un traitement plus global de ce sujet, ne serait-il pas pertinent de faire évoluer la loi de 1903 ? Par conséquent, est-il envisageable de préparer une nouvelle loi organique, plus adaptée aux réalités d'aujourd'hui ? Ne serait-ce pas là un signal positif à adresser aux gendarmes ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre. Il a bien fait de quitter le Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. L'Europe est présente dans le projet de loi de programmation militaire, monsieur Masseret. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles cette dernière prévoit des crédits supérieurs aux budgets actuels, car il faut bien que certains pays, à l'instar de la France, fassent preuve de volontarisme pour amener l'Union européenne à se doter notamment de capacités stratégiques de haut niveau, déficitaires chez la plupart de nos partenaires.
Dans cette optique, nous avons donné la priorité aux missiles de croisière, dont les premiers exemplaires nous seront livrés en 2003, sur la base du seul programme de ce type en Europe, franco-britannique en l'occurrence.
De même, nous avons anticipé cette année le lancement du navire de renseignement MINREM - moyens interarmées navals de renseignements électromagnétiques - qui constitue un élément de réponse au défi du terrorisme.
Plus globalement, le « catalogue de capacités », dont la négociation a été entamée entre les Européens et qui décrit les potentiels militaires que ceux-ci veulent mettre en place ensemble pour atteindre leurs objectifs, constitue une amorce de loi de programmation européenne et permet d'engager la discussion, bien entendu purement politique, sur le niveau de contribution des différents pays.
Certes, nous ne sommes pas encore parvenus à instaurer un dispositif aussi rigoureux et exigeant que les critères de convergence qui ont été mis en place sous l'impulsion de plusieurs pays, dont le nôtre, pour réaliser l'union monétaire, mais il existe déjà ce que l'on appelle, dans notre jargon, la « comparaison par les pairs ». Une certaine pression politique s'exerce donc, jusqu'au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, quant aux efforts de défense consentis par les uns et les autres.
Nous agissons ainsi de façon progressive, mais avec une forte volonté politique, pour que les différents Etats membres de l'Union partagent l'effort de défense plus équitablement. Quand ce partage concernera-t-il jusqu'aux moyens de dissuasion ? Une telle évolution ne peut être envisagée qu'à moyen ou à long terme, mais il apparaît tout de même que, du fait de la mise en commun de nombreuses idées et de nombreux projets en matière de défense, le regard de nos amis européens sur la force de dissuasion nucléaire française a sans doute déjà changé : le sentiment d'incompréhension, voire la réticence, éprouvé jusqu'à présent par certains de nos partenaires tend à s'effacer.
S'agissant de la gendarmerie, je formulerai simplement deux observations.
Tout d'abord, comme l'a relevé M. Masseret, le budget de la gendarmerie a fortement augmenté, mesdames, messieurs les sénateurs, pour passer de 21,5 milliards de francs en 1997 à 25 milliards de francs en 2002.
Par ailleurs, il est en effet nécessaire de réfléchir sur l'avenir de la gendarmerie. La loi de programmation de 1996 avait mis l'accent, ce que je comprends très bien, sur la transformation complète de nos armées, et ses dispositions visant la gendarmerie étaient inspirées par une certaine continuité.
Toutefois, devant les défis de sécurité intérieure qui s'imposent maintenant à nous et eu égard à l'exposition internationale de la gendarmerie qui a été évoquée par d'autres orateurs, une réflexion doit être menée sur un projet d'avenir pour cette arme. M. le Premier ministre y a d'ailleurs récemment fait allusion. Dans cette perspective, qui doit permettre de mobiliser les énergies et de nouer une relation confiante avec les représentants des personnels, la question de l'adaptation du statut traditionnel de la gendarmerie sera nécessairement ouverte.
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir sur ce fait sans précédent qui a été déjà mentionné, à savoir la manifestation hier matin, dans la région de Montpellier, de 400 gendarmes en uniforme. Les policiers, qui expriment depuis plusieurs semaines leur mécontentement, sont donc désormais rejoints par leurs collègues de la gendarmerie nationale.
Nous ne pouvons guère nous en étonner, puisque le Sénat a mis depuis plusieurs années en évidence la dégradation du climat général dans la gendarmerie. Cela étant, à défaut de nous en étonner, nous devons nous inquiéter de cette évolution, car nous connaissons leur attachement à leur statut et à ses obligations : il faut que la coupe ait été bien pleine pour que les gendarmes décident de manifester publiquement, tout en trouvant le moyen de le faire avec dignité !
Quelles sont les causes profondes de cette grave crise ? L'activité de cette arme est très intense : ses missions, qui sont tant intérieures qu'extérieures, se multiplient ; 65 000 gendarmes seront mobilisés pour assurer le passage à l'euro dans de bonnes conditions ; tous les personnels sont concernés par le plan Vigipirate, et plus d'un millier d'entre eux sont engagés hors de nos frontières.
Mais c'est surtout dans les secteurs sensibles que les responsabilités de l'arme sont de plus en plus lourdes, puisque la délinquance explose sur l'ensemble du territoire, y compris, bien sûr, dans les zones de compétences traditionnelles de la gendarmerie. Les gendarmes sont donc sur tous les fronts.
L'accroissement considérable des missions ne peut se concevoir que si les effectifs sont accrus, mais la seule ressource supplémentaire réelle réside principalement dans le volontariat. Toutefois, encore faut-il que les gendarmes adjoints soient convenablement formés, comme l'ensemble des personnels, au demeurant ! Mais cette nécessité est aujourd'hui battue en brèche par les contraintes imposées aux unités : c'est en particulier le cas pour les escadrons de gendarmerie mobile, qui consacrent de moins en moins de temps à la formation pour préserver leurs capacités opérationnelles.
Cette insuffisance des effectifs engendre, naturellement, une surcharge de travail. Ainsi, les intéressés accomplissent soixante-dix heures par semaine en moyenne, ce qui est une distorsion avec la société civile très difficile à supporter à l'heure de la réduction du temps de travail.
Les personnels effectuent toujours plus d'heures, dans des conditions de moins en moins bonnes. Par ailleurs, les logements des gendarmes et de leurs familles sont en nombre insuffisant, l'équipement individuel et celui des unités ne suivent pas, et certains types de véhicules ne sont pas adaptés à la poursuite des véritables bolides que possèdent les délinquants.
Si les gendarmes s'expriment désormais au grand jour, alors qu'ils ont toujours supporté des conditions de travail difficiles, c'est bien parce qu'ils souffrent de la grande inadaptation de leur situation à l'accomplissement de leurs missions !
Monsieur le ministre, j'ai entendu tout à l'heure votre réponse aux préoccupations exprimées par notre éminent collègue Philippe François : le Gouvernement a déjà beaucoup fait, avez-vous dit, et il compte poursuivre ses efforts. Je souhaiterais cependant savoir jusqu'où vous comptez aller en matière de contreparties financières à accorder aux gendarmes, compte tenu du passage aux 35 heures de l'ensemble des personnels civils de votre ministère. A tout le moins, quelles mesures de valorisation envisagez-vous pour tenir compte des charges particulières dont sont investies certaines catégories de gendarmes ?
Monsieur le ministre, depuis le 11 septembre, le monde a changé, et je suis convaincu qu'il faudra revoir bien des choses, dans le domaine tant de la sécurité extérieure que de la sécurité intérieure. Il faudra demander durablement des efforts importants à tous ceux qui sont engagés dans ces missions de première importance, mais on ne peut imaginer que ce soit sans contrepartie, sans la reconnaissance de la nation, aussi bien morale que matérielle. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Dans le temps qui m'est imparti, je serai obligé de concentrer ma réponse sur certains des aspects de la question très large de M. Plasait.
A cette occasion, je veux rendre hommage au rôle joué par les parlementaires de cette assemblée comme par ceux de l'Assemblée nationale : relayant les préoccupations légitimes des militaires en général et des militaires de la gendarmerie en particulier, ils permettent à notre vie démocratique de prendre pleinement en compte les aspirations et les besoins des intéressés.
M. Plasait a évoqué les jeunes gendarmes adjoints volontaires. Les 14 000 postes créés à cet effet représentent un potentiel humain important au service de la gendarmerie nationale. La durée de formation de ces jeunes gendarmes adjoints a déjà été allongée et, dans les unités où ils servent, les gendarmes professionnels font un effort remarquable pour soutenir leur intégration. Ces jeunes représentent en tout cas une ressource humaine supplémentaire, et leur nombre va encore augmenter au cours des mois qui viennent.
Le travail de concertation mené avec les représentants de l'arme au sein de la réunion exceptionnelle du conseil de la fonction militaire gendarmerie, qui s'est tenue le 28 février 2000, a permis de prendre des mesures au cours de l'année 2000. J'ai d'ailleurs vérifié de nombreuses fois au cours de mes déplacements qu'un certain nombre de charges avaient été allégées.
L'Observatoire social de la défense, qui est totalement indépendant de la hiérarchie, indique ainsi que, en moyenne, entre le début de l'année 2000 et le début de l'année 2001, la charge de travail des personnels de gendarmerie dans les unités territoriales a pu être soulagée de trois heures hebdomadaires environ.
Il faut poursuivre cet effort et, comme je l'ai dit tout à l'heure, le Gouvernement le fera en s'appuyant sur le rôle essentiel que jouent les représentants statutaires des militaires au sein du conseil de la fonction militaire et les représentants élus des unités.
Nous avons déjà décidé et financé la création de 1 700 postes de sous-officiers et décidé la création de 3 000 postes supplémentaires, ce qui représentera, au total, une ressource humaine de près de 5 000 personnels supplémentaires.
Il convient d'y ajouter un gain d'environ 3 000 postes, grâce à l'achèvement du programme d'intégration des volontaires. Cela représentera un véritable allégement des charges de travail importantes que supporte la gendarmerie.
Le Gouvernement, je le répète, est convaincu que les personnels de la gendarmerie sont motivés par leur volonté de bien mener leur mission au service de la sécurité publique, mais il faut qu'ils en aient les moyens. C'est sur cette base que nous pousuivrons nos efforts financiers... à condition, bien entendu, que le Parlement les soutienne.
M. Philippe Richert. C'est insuffisant !
M. Bernard Plasait. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Je prends acte des réponses de M. le ministre et je le remercie de m'avoir répondu de manière détaillée.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Daniel Hoeffel.)