SEANCE DU 6 DECEMBRE 2001


M. le président. La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adressait à Mme le garde des sceaux, mais elle est absente. J'ai cependant cru comprendre de la réponse du ministe de l'intérieur à mon éminent collègue M. Schosteck qu'il partageait sa réponse entre nous deux.
J'en viens à mon propos.
Si j'en crois les citations publiées récemment dans la presse, le 2 décembre dernier, le Syndicat de la magistrature a appelé l'ensemble des magistrats judiciaires « à soulever d'office lors de décisions particulières les moyens tirés de l'inconstitutionnalité de dispositions législatives » destinées à lutter contre le terrorisme qui figurent dans la loi sur la sécurité quotidienne.
M. Jean Chérioux. C'est inacceptable !
M. René Garrec. Le Syndicat de la magistrature demande aux magistrats d'« en écarter au besoin l'application », et même d'annuler des procédures liées à l'application de la loi.
Face à des propos qui visent à s'opposer au texte voté par le Parlement - sur l'initiative du Gouvernement, je le rappelle, monsieur le ministre, et Dieu sait que nous étions à vos côtés à ce moment-là - je voudrais connaître votre réaction. Je souhaite surtout savoir quelles mesures vous envisagez de prendre afin de sanctionner de telles consignes, voire ceux qui les suivraient.
Je vous rappelle que l'article 10 de l'ordonnance de 1958 sur le statut des magistrats précise qu'est interdite aux magistrats toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur impose leur fonctions.
J'aimerais que votre réponse ne soit pas celle qu'aurait pu me faire Mme le garde des sceaux et selon laquelle vous ne pourrez rien faire tant que le Congrès du Parlement n'aura pas été réuni à Versailles.
M. René-Pierre Signé. Qui ne l'a pas réuni ? C'est Chirac !
M. René Garrec. Le seul objet de ce Congrès, je le rappelle pour mémoire, était de modifier la composition du Conseil supérieur de la magistrature et son rôle de nomination.
M. René-Pierre Signé. C'est la faute à Chirac !
M. René Garrec. Cette réforme, que nous connaissons bien pour l'avoir votée - je l'ai personnellement votée - n'est en effet pas nécessaire pour faire respecter la discipline des magistrats, elle ne change rien à la procédure statutaire, dont le garde des sceaux est responsable au premier chef puisqu'il lui appartient de saisir le Conseil supérieur de la magistrature des manquements disciplinaires.
Ne nous dites pas non plus...
M. René-Pierre Signé. Il fait les questions et les réponses !
M. René Garrec. ... que le garde des sceaux prendra une circulaire après nous avoir répété que celles-ci ne pouvaient concerner que la politique pénale à mettre en oeuvre par les procureurs. Au demeurant quel crédit les membres du Syndicat de la magistrature y accorderont-ils après que leur secrétaire a affirmé ne plus accorder « aucune confiance » au garde des sceaux ? (La question ! sur les travées socialistes.)
Dans une autre affaire concernant ce même syndicat, vous-même, monsieur le ministre de l'intérieur, ici présent,...
M. René-Pierre Signé. La question !
M. René Garrec. ... avez indiqué avoir porté plainte.
Hier soir, M. le Premier ministre nous a fait savoir...
M. René-Pierre Signé. La question !
M. René Garrec. Vous auriez dû écouter le Premier ministre, mon cher collègue !
Mme Hélène Luc. M. Garrec a dépassé son temps de parole, monsieur le président !
M. le président. Moins que vous, madame Luc !
M. René Garrec. Hier soir, le Premier ministre a fait savoir qu'il avait retardé la nomination à un nouveau poste d'un magistrat. Envisagez-vous, monsieur le ministre,...
M. René-Pierre Signé. Ah ! voilà la question !
M. René Garrec. ... en l'absence de Mme le garde des sceaux, de saisir sans délai le Conseil supérieur de la magistrature ?
Pensez-vous au contraire, à l'instar du Syndicat de la magistrature, que les dispositions sur le terrorisme que le Gouvernement nous a présentées et que nous avons votées marquent l'installation d'un état d'exception et une suspension des libertés publiques ? Ou bien pensez-vous, comme M. le Premier ministre, qui est ici présent, que la multiplication de ce type de faits...
M. René-Pierre Signé. Nous ne vous écoutons plus !
M. René Garrec. Cela ne fait pas de mal, d'écouter de temps à autre ! (Protestations sur les travées socialistes.) Moi, je vous écoute avec plaisir.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Garrec !
M. René Garrec. Ou bien pensez-vous, disais-je, que la multiplication de ce type de fait n'est aucunement due à des dysfonctionnements de la justice ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, ma collègue Mme Lebranchu est à Bruxelles, où se tient une réunion du Conseil européen « justice ». J'y serai d'ailleurs moi-même demain pour un Conseil consacré aux affaires intérieures.
Un syndicat de magistrats de l'ordre judiciaire...
M. Charles Revet. De gauche !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Ne soyez pas en contradiction avec la question de M. Garrec !
M. Charles Revet. Mais non !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Un syndicat de magistrats de l'ordre judiciaire a appelé l'ensemble des magistrats à soulever d'office dans les procédures qui leur sont soumises une prétendue inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi relative à la sécurité quotidienne. Or ces dispositions, faut-il le rappeler, ont été adoptées dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat,...
M. René-Pierre Signé. C'est comme pour la présomption d'innocence !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... après un travail très sérieux, notamment s'agissant de toutes les mesures anti-terroristes à caractère temporaire proposées, vous l'avez dit, monsieur Garrec, par le Gouvernement pour lutter contre d'éventuels actes terroristes.
M. René-Pierre Signé. Ils les ont votées !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Seul le Conseil constitutionnel a le pouvoir général d'apprécier la constitutionnalité des lois, lorsqu'il est saisi dans le cadre des procédures prévues par la Constitution.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Hélas !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Pour conclure, je tiens à rappeler que les magistrats ont pour mission de veiller à l'application de la loi, et d'abord de l'appliquer eux-mêmes.
Faut-il le rappeler, la loi est l'expression de la volonté populaire, formulée par les représentants élus de la nation au Parlement, qui sont seuls habilités à la voter.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Dominique Braye. Exactement !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Enfin, je ne peux pas ne pas faire allusion à la question que vous avez évoquée au sujet du Conseil supérieur de la magistrature, mais je crois que c'est un sujet qui ne peut souffrir de commentaires divergents : un projet de loi constitutionnelle a été adopté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat pour modifier la composition de ce Conseil, et l'on pouvait effectivement envisager que, dans le cadre des réformes voulues par tous, cette réforme interviendrait dans le cadre d'une réunion du Congrès en janvier 2000.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est un faux-fuyant !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Mais force est de constater qu'un certain nombre de parlementaires, que vous connaissez bien, ont préféré faire autrement et n'ont pas permis la réunion du Congrès.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est le Président de la République !
M. Jean-Pierre Schosteck. Cela n'a rien à voir !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Faut-il rappeler que, si cette modification de la Constitution, avait abouti, le Gouvernement aurait effectivement présenté un projet de loi organique,...
M. Jean Chérioux. C'est faux !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... notamment au sujet de la responsabilité des magistrats ?
Il n'a pas dépendu du Gouvernement que ce dispositif ne soit pas voté : vous savez très bien que vous êtes à l'origine du gel de cette réforme...
M. René-Pierre Signé. Voilà !
M. Serge Vinçon. C'est faux !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. ... qui aurait permis de régler un certain nombre de questions. (Vives protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je veux enfin, pour terminer, vous dire que l'immense majorité des magistrats fait son travail conformément à la loi et au droit, et que je fais confiance à ma collègue Mme la garde des sceaux pour savoir ce qu'elle a à faire concernant les procédures disciplinaires. (Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations redoublées sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire observer que je vous ai accordé quelques minutes de temps de parole supplémentaires, malgré les protestations de M. Signé ! (Sourires.)

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