SEANCE DU 12 DECEMBRE 2001


M. le président. « Art. 7. - I. - Il est inséré, dans la section 4 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l'éducation, un article L. 312-11-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312-11-1 . - La langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse. »
« II. - Le deuxième alinéa de l'article L. 4424-5 du code général des collectivités territoriales est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L'Assemblée adopte, dans les mêmes conditions, un plan de développement de l'enseignement de la langue et de la culture corses, dont les modalités d'application font l'objet d'une convention conclue entre la collectivité territoriale de Corse et l'Etat.
« Cette convention prévoit les mesures d'accompagnement nécessaires et notamment celles relatives à la formation initiale et à la formation continue des enseignants. »
L'amendement n° 14, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Compléter le texte proposé par le I de l'article 7 pour l'article L. 312-11-1 du code de l'éducation, par un alinéa ainsi rédigé :
« Cet enseignement ne saurait toutefois revêtir un caractère obligatoire pour les élèves ; il ne saurait non plus avoir pour objet de les soustraire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. L'article 7 est le deuxième article pilote, phare, repère, etc., de ce projet de loi : il traite de l'enseignement de la langue corse dans les écoles maternelles et élémentaires.
Tout a été dit, et le contraire aussi, par l'Assemblée nationale et, en particulier, par le président de sa commission des lois, qui nous explique - sans rire - que, grâce à la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, cet enseignement n'est désormais ni obligatoire ni optionnel !
Pour ma part, je ne sais pas travailler dans le flou artistique.
En première lecture, le Sénat avait voulu expressément signifier qu'il s'agissait d'un enseignement facultatif en précisant qu'il était « proposé », mais ce terme a déclenché une véritable guerre de religion en commission mixte paritaire.
Il serait en effet inutile de préciser le caractère facultatif, celui-ci étant évident puisque le Conseil constitutionnel a tranché en ce sens sur la même phrase en ce qui concerne la langue polynésienne, en indiquant, de surcroît, qu'il fallait, s'agissant des autres enseignements, respecter certaines règles.
Dont acte, c'est un enseignement facultatif, même si je ne sais toujours pas pourquoi il ne faut pas le dire.
J'ai tout de même été amené à proposer à la commission spéciale, qui a bien voulu me suivre, d'apporter une précision allant, monsieur le ministre, dans le sens de l'Assemblée nationale - nous y allons même avec un enthousiasme dont vous n'avez pas idée !
Nous abandonnons en effet le mot « proposé », c'est-à-dire que nous acceptions les termes de l'Assemblée nationale en y ajoutant juste les termes employés par le Conseil constitutionnel lui-même dans la décision qu'il a rendue sur l'enseignement de la langue polynésienne.
Autrement dit, nous précisons que : « cet enseignement ne saurait toutefois revêtir un caractère obligatoire pour les élèves ; il ne saurait non plus avoir pour objet de les soustraire aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci. »
Si le Sénat veut bien nous suivre, c'est ce texte qui sera soumis à l'Assemblée nationale, et nos collègues députés devront alors prendre la responsabilité ou d'accepter d'expliciter, en l'assortissant des termes mêmes du Conseil constitutionnel, la phrase qu'ils ont votée, ou de refuser cet ajout, ce qui serait, me semble-t-il, l'aveu qu'ils veulent introduire de manière implicite autre chose que ce que nous voulons rendre lisible ! (M. Chérioux applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. La rédaction proposée reprend, en fait, la réserve interprétative du Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 avril 1996 relative à l'apprentissage de la langue tahitienne en Polynésie française.
Le Gouvernement s'est déjà exprimé sur le caractère non obligatoire de l'enseignement du corse et souhaite maintenir la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale, qui insiste sur la généralisation de l'offre d'enseignement.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel vaut par elle-même et s'impose à tous sans qu'il soit besoin de la reprendre dans la loi.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Je veux relever que le Gouvernement est défavorable à l'introduction dans le projet de loi d'une phrase extraite d'une décision du Conseil constitutionnel !
Vous vous êtes exprimé avec beaucoup de franchise et une grande honnêteté, monsieur le ministre, mais je veux souligner devant le Sénat la responsabilité que prend ce faisant le Gouvernement, alors qu'il s'agit d'un sujet délicat, sur lequel les déclarations publiques sont divergentes et alors que nous avons constaté, à notre grand regret, que le débat a été porté sur la place publique pour répondre aux exigences de mouvements qui ne sont pas favorables au maintien de la Corse dans la République.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Je suivrai, bien sûr, la commission. Si j'interviens, c'est parce que je ne comprends pas la position du Gouvernement.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale n'est pas clair. Pour le comprendre, il faut faire référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle, vous l'avez souligné, monsieur le ministre, s'impose à tous.
La commission propose donc de reprendre la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans le texte.
Ainsi, on ne pourra pas l'interpréter autrement, tandis que, s'il faut se référer à une décision du Conseil constitutionnel pour le comprendre, il risque d'être source de contentieux.
Le législateur se doit de faire des textes clairs et applicables. Ce devoir, le Sénat le remplira en votant un texte explicite qui ne prêtera pas à confusion !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. Paul Girod, au nom de la commission spéciale, est ainsi libellé :
« Compléter in fine l'article 7 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« III. - Le CAPES de corse est réintégré dans la section des CAPES de langues régionales : il comporte en conséquence, à côté des épreuves de langue corse, des épreuves écrites et orales dans une autre discipline, choisie par le candidat parmi différentes options, selon des modalités comparables à celles qui prévalent dans les autres CAPES de langues régionales. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Encore un sujet intéressant, sur lequel nous avons d'ailleurs constaté l'ignorance totale du ministre de l'éducation nationale : la particularité du CAPES de corse, seul parmi les CAPES de langue régionale à ne pas comporter d'autres épreuves que le corse.
Ce CAPES n'offre donc à ses titulaires aucune possibilité d'enseigner une autre discipline et les cantonne, pour toute la durée de leur vie professionnelle, dans l'enseignement de cette unique matière.
Il forme, en outre, des enseignants dont les capacités pédagogiques n'ont pas été vérifiées dans les autres matières.
Le Sénat avait donc adopté, en première lecture, une disposition tendant à aligner le CAPES de corse sur l'ensemble des CAPES de langue régionale, ce qui semblait normal, mais l'Assemblée nationale l'a écartée, sous prétexte qu'il s'agissait d'une mesure « discriminatoire » !
Cela vaut peut-être la peine qu'on s'en explique, car, monsieur le ministre, comme le rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale, M. Bruno Le Roux, je suis allé, entre les deux lectures, en Corse et j'ai eu le privilège d'y rencontrer l'« auteur » du CAPES de corse, M. Vinciguerra, à qui j'ai demandé comment ce CAPES bizarre était venu au monde. Sa réponse est intéressante.
Le CAPES de corse avait été promis par un ministre de l'éducation nationale en exercice au moment de son passage à l'université de Corte, en réponse, probablement, à un mouvement de foule...
M. Jean-Pierre Bel. Non !
M. Paul Girod, rapporteur. Si, et vous saurez même dans un instant qui était ce ministre.
M. Jean-Pierre Bel. Non !
M. Paul Girod, rapporteur. Je le tiens de M. Vinciguerra lui-même, lequel a d'ailleurs été le directeur de cabinet d'un de nos collègues, du temps où celui-ci était secrétaire d'Etat au ministère de l'éducation nationale.
Le ministre de l'éducation nationale, rentré à Paris, s'est évidemment posé la question du contenu de ce CAPES de corse. Les instances responsables de l'éducation nationale alors consultées ont toutes émis un avis défavorable à la création d'un CAPES dérogatoire, mais le ministre y tenait parce que c'était un geste politique. Ce ministre, c'était Lionel Jospin, et cela met les événements en perspective ! (M. Chérioux applaudit.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est un CAPES pour illettrés !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le CAPES de corse a été instauré par un arrêté du 16 juillet 1990.
Si je voulais vous suivre - ce que je ne ferai pas - je dirais qu'il est heureux que ce débat sur la Corse ait lieu, car vous vous êtes ainsi aperçu de l'existence de cet arrêté de 1990. Vos amis ont en effet exercé, depuis, des responsabilités, mais jamais aucun ministre de l'éducation nationale n'est revenu sur cette disposition.
M. Jean Chérioux. C'est trop facile !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Peut-être, monsieur Chérioux, mais c'est en tout cas logique, et, pour ma part, j'essaie d'être cohérent.
Les dispositions relatives au programme des épreuves des concours de recrutement des enseignants de la langue corse ne relèvent pas de la loi ; elles dépendent d'un arrêté ministériel, et n'ont donc pas leur place dans le dispositif législatif que nous examinons.
M. Hilaire Flandre. Ça permet de faire n'importe quoi !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. Vous avez raison, monsieur le ministre, mais ce ne serait pas la seule disposition d'ordre réglementaire à trouver place dans cette loi ! Les dispositions relatives à l'enseignement de la langue corse relèvent de cette même catégorie, et cela ne vous empêche pas d'en faire un dispositif « phare ». Alors permettez-nous de faire un dispositif « phare » pour remédier à cette anomalie que sont les actuels CAPES de corse !
Tout cela en dit long ! Nous avons adopté en première lecture une disposition précisant que l'entrée en IUFM - pour l'enseignement dans le primaire cette fois - ne pourrait se fonder exclusivement sur les compétences en langue corse du candidat.
Si je n'ai pas proposé à la commission spéciale de reprendre en nouvelle lecture cette disposition, c'est parce que nous avons reçu par écrit des précisions du ministère de l'éducation nationale quant à l'existence d'autres épreuves, notamment de mathématiques et de français, et, par option, d'épreuves sur la langue corse, le patrimoine historique, naturel, etc., ces dernières épreuves étant assorties d'une bibliographie limitative.
Pourquoi en irait-il autrement pour le CAPES de corse ? D'ailleurs, nous n'avons pas repris, je l'ai dit, la disposition relative à l'entrée en IUFM, au vu de la lettre du ministère de l'éducation nationale, mais je voudrais être sûr que rien ne viendra un jour anéantir les raisons pour lesquelles nous n'avons pas introduit cette précaution dans la loi !
Monsieur le ministre, notre préoccupation, à laquelle je veux vous rendre attentif, c'est que l'enseignement des enfants corses ne « décroche » pas, à cause de l'existence d'une langue régionale vivante - qui, encore une fois, est probablement une ouverture sur l'apprentissage d'autres langues étrangères - du corpus général de l'enseignement en France.
Ces enfants doivent avoir un accès égal à celui de leurs camarades qui étudient sur le continent ou dans d'autres parties du territoire français aux grands concours nationaux.
Monsieur le ministre, si vous voulez, par des mesures de détail, enfermer lentement les enfants qui vivent en Corse dans des types d'enseignements qui décrochent de l'enseignement général, vous commettez contre cette île un péché majeur.
C'est précisément ce que nous voulons éviter en proposant des dispositions dont la place n'est peut-être pas dans la loi, mais dont l'affirmation nous semble nécessaire au progrès de la société corse.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 15, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Sous-section 2

De la culture et de la communication

Article 9