SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


M. le président. L'amendement n° 18, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 308 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Dans le deuxième alinéa, les mots : "d'un enregistrement sonore" sont remplacés par les mots : "en tout ou partie, d'un enregistrement audiovisuel ou sonore".
« II. - Dans la première phrase du quatrième alinéa, après les mots : "L'enregistrement", sont insérés les mots : "audiovisuel ou".
« III. - La seconde phrase du quatrième alinéa est ainsi rédigée :
« L'enregistrement audiovisuel ou sonore peut encore être utilisé devant la cour d'assises statuant en appel, devant la Cour de cassation saisie d'une demande en révision, ou, après cassation ou annulation sur demande en révision, devant la juridiction de renvoi. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. L'appel en matière criminelle est une bonne chose. Toutefois, les victimes font remarquer combien il peut être difficile, voire douloureux, pour elles, dans certaines affaires, de répéter intégralement en appel ce qu'elles ont déjà dit en première instance et même ce qu'elles ont vécu, qui peut être absolument poignant et ravageur.
L'article 308 du code de procédure pénale permet au président de la cour d'ordonner l'enregistrement sonore du procès, et il est prévu que l'enregistrement peut servir pendant le procès ou en cas de renvoi après cassation.
Le présent amendement tend à modifier l'article 308 pour venir en aide aux victimes sans remettre en cause, bien entendu, l'oralité des débats, qui est un principe fondamental de notre droit.
Il prévoit tout d'abord que l'enregistrement pourra désormais être audiovisuel. Il s'agira là d'une faculté si les moyens existent et si le président de la cour le décide.
L'amendement tend, en outre, à permettre l'utilisation de l'enregistrement devant la cour d'assises d'appel, ce qui n'est pas prévu aujourd'hui. Dans ce cas, la victime ou le témoin ne seront pas dispensés de comparaître, ce qui serait contraire au principe de l'oralité des débats, mais cette mesure permettrait de limiter la durée de leur audition ainsi que, éventuellement, le nombre de questions qui leur sont posées.
Le dispositif qui est proposé est entièrement facultatif, j'y insiste. Il ne porte pas atteinte au principe du procès pénal. L'appel en matière criminelle doit prendre en considération le fait qu'il est extrêmement difficile pour les victimes, notamment en matière d'infractions sexuelles - qui sont souvent le lot de ce type de procès - de revivre à plusieurs reprises des faits abominables. Tel est le souhait, notamment, des associations de victimes.
Je rappelle que le texte dont nous traitons a deux titres : la présomption d'innocence et le droit des victimes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Il est important de rappeler que l'appel du ministère public a été aussi demandé par les associations de victimes. Mais elles ont découvert, pour certains crimes en particulier, la difficulté de l'appel, y compris d'ailleurs son caractère quelque peu « aléatoire » je reprends leur expression.
Actuellement, l'enregistrement sonore est susceptible de servir éventuellement à l'instruction d'une procédure en révision, hypothèse assez rare. Il faudrait avoir une idée précise de ce que représente la réforme que vous proposez, parce que le fait de généraliser l'utilisation de l'enregistrement et de passer à un enregistrement audiovisuel constitue bien autre chose qu'une simple modification technique.
Cette réforme requiert d'abord une expertise préalable auprès des juridictions et du barreau ainsi qu'une réflexion avec les associations de défense de victimes, car il convient de bien mesurer les conséquences d'un enregistrement audiovisuel.
Ne court-on pas, en effet, le risque de voir les comportements à l'audience modifiés du seul fait de la présence d'une caméra, sachant que l'enregistrement peut être réutilisé ?
Les victimes elles-mêmes, dans l'intérêt desquelles cette réforme interviendrait - c'est bien l'objet de notre discussion - ne risquent-elles pas de se voir opposer des contradictions entre leur témoignage en appel et celui qui aurait été enregistré au cours du premier procès ?
On peut se demander, finalement, si l'enregistrement ne servira pas, dans certains cas, à malmener des victimes, à les mettre en face de contradictions au lieu de les protéger, surtout qu'il y a vraisemblablement eu - rappelons-le - dans le cas que nous envisageons, un acquittement de la première cour d'assises, sans quoi on voit mal pourquoi il y aurait eu appel, sauf en cas de coaccusation ! Il pourrait donc y avoir une forte volonté de la part des défenseurs de mettre les victimes en difficulté.
Ne risque-t-on pas, plus généralement, de s'enliser aussi dans une utilisation sans limite de l'enregistrement de la première audience, le second procès devenant une sorte de commentaire du premier ?
Il me semble, en tout cas, que cette objection mérite examen et ne permet pas l'adoption immédiate de l'amendement proposé, aussi intéressant soit-il, et je crois qu'il l'est.
En outre, on a dit que c'était le président de la cour qui déciderait. Pourquoi le président et pas un autre ? Dans quel cas ? Tout cela posera un énorme problème si les victimes, elles aussi, sont mises en difficulté, par exemple, par une contradiction même apparente sur un détail.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je crois qu'il faut d'abord considérer que cet enregistrement est facultatif et qu'on peut ne pas y procéder.
En outre, les appels ne font pas seulement suite à des acquittements : il peut y avoir un appel du condamné lui-même, il peut y avoir un appel si le parquet estime que la peine a été insuffisante.
Enfin, les risques que vous avez cités, madame le garde des sceaux, sont réels, mais ils le sont en toute hypothèse, même si l'on n'enregistre pas. C'est une des raisons, d'ailleurs, pour lesquelles certains, y compris les associations de victimes, demandent que l'on évite cette seconde épreuve en appel. Il est des victimes qui sont également malmenées par des questions hélas ! en première instance. Ce risque existe donc, quelle que soit la formule, et je crains que l'on ne puisse l'éviter !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 18.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. A propos de l'enregistrement audiovisuel, il y a une question à laquelle j'ai, pour ma part, consacré beaucoup de réflexions.
Une loi de 1985, trop peu mise en usage, prévoit la possibilité d'enregistrer, à des fins de conservation dans les archives, les procès les plus importants. On ne l'a utilisée jusqu'à présent que pour les procès des criminels contre l'humanité. C'est une erreur. Nous devons également conserver dans les archives des procès qui relèvent du quotidien. C'est une nécessité. Je l'ai dit à madame le garde des sceaux : il faut mettre en vigueur, pour les archives historiques de la justice, cette disposition de la loi de 1985. Sinon, nous perdrons une matière essentielle pour l'histoire de notre société.
Pourquoi l'amendement fait-il référence à l'enregistrement audiovisuel ou sonore ? Une chose est l'enregistrement sonore - personne n'y prête attention - autre chose est l'enregistrement audiovisuel, c'est-à-dire la conscience d'un débat qui est « télévisé » en quelque sorte, sans diffusion extérieure. Dès l'instant que l'enregistrement est audiovisuel, chacun sait qu'il y a, très souvent, un changement des attitudes. Dans la recherche très difficile, la quête de la vérité devant la cour d'assises - nous sommes là, il est tout à fait important qu'on s'en souvienne, dans le cadre de l'oralité des débats - ce qui compte, c'est ce qui se passe, je dirai le plus spontanément possible, à l'audience.
Tel qu'il est proposé, l'amendement pose une série de questions qui dépassent cette première considération.
D'abord, l'enregistrement doit-il être facultatif ? Attention ! Dans les règles de procédure, le facultatif n'est pas nécessairement le mieux. C'est le pire, car on dira qu'il y a une rupture d'égalité de condition entre les justiciables. Il faut y réfléchir.
Une autre question qui se pose est celle du droit à l'image. Elle est très importante, même si elle l'est beaucoup moins dans le cas d'un enregistrement sonore. Vous ne pouvez pas vous contenter de dire que l'on va filmer un témoin et pas les autres. La disposition qui a été prise, s'agissant des mineurs, au niveau de l'enquête de police ne peut s'appliquer à la cour d'assises.
De plus, il n'y aura pas de mouvements de caméra. Dans le plan fixe n'apparaîtra pas que le visage de la victime. L'enregistrement devant être intégral, apparaîtront successivement dans le champ non seulement tous les témoins mais inévitablement les jurés. Or je ne suis pas sûr qu'ils souhaitent que leur visage demeure plusieurs années fixé sur une pellicule, surtout avec les risques de fuites éventuelles qui émaillent, hélas ! le cours de notre vie judiciaire.
Le texte actuel prévoit - et ce n'est pas sans importance - que l'on peut utiliser « saisie d'une demande en révision, devant la Cour de cassation ou, après cassation ou annulation sur demande en révision devant la juridiction de renvoi, » l'enregistrement des déclarations faites pour des personnes qui ne peuvent plus être entendues. C'est donc à défaut de pouvoir les entendre qu'on recourt à l'enregistrement. Or la finalité du texte qui nous est soumis est tout autre.
Dans ces conditions, pourquoi procéder à un enregistrement, puisqu'il demeure que la seule chose qui compte, ce sont les déclarations faites à l'audience ? Car c'est seulement à l'audience, et non pas en projetant des images, que le président, les représentants du ministère public, les avocats des parties civiles ou de la défense pourront procéder à l'interrogatoire des témoins d'où ressort toute possibilité de vérité.
On ne peut pas se dire que l'on va procéder à un enregistrement pour accélérer la procédure ou pour éviter les contradictions avec la première instance, afin de pouvoir éventuellement intenter une action en nullité. Notre droit répond, en effet, à des règles qui reposent sur le principe de l'oralité des débats.
L'enregistrement audiovisuel facultatif ne me paraît pas être de nature à améliorer le cours de la justice criminelle. Je n'y vois que des inconvénients et des périls. Je voterai donc contre l'amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 5.

Article 5 bis