SEANCE DU 13 FEVRIER 2002


RÉGIME DE RETRAITE
COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE
POUR LES NON-SALARIÉS AGRICOLES

Adoption d'une proposition de loi déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 126, 2001-2002), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles. [Rapport n° 211 (2001-2002) ; avis n° 191 (2001-2002).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est présenté vise à compléter un dispositif que nous avons commencé à mettre en place il y a quelques années, dans le cadre d'un programme pluriannuel qui avait lui-même pour objet de remédier à l'une des injustices les plus criantes et les plus insupportables dans la société française : je veux parler des retraites agricoles.
Ayant moi-même été, à l'Assemblée nationale, voilà quelque temps, rapporteur du budget annexe des prestations sociales agricoles, j'ai, année après année, dénoncé ce scandale que constituaient les plus basses retraites - c'est un problème que tous les élus ruraux connaissent bien - et qui entachait notre système de solidarité.
Il importait donc de remédier à cette situation. C'est ce que nous avons entrepris de faire.
Le gouvernement précédent avait lui-même commencé à prendre des mesures, mais, en 1997, le gouvernement de Lionel Jospin a entamé un plan pluriannuel de revalorisation des retraites agricoles et, cette année, le budget de 2002 comporte la dernière tranche de ce programme de revalorisation des retraites agricoles, pour un montant de 1,6 milliard de francs en année pleine - je parle en francs, puisque nous avons adopté cette mesure avant la mise en place de l'euro - ce qui va nous permettre de ramener toutes les retraites minimales, celles des exploitants, de leurs conjoints, des aides familiaux, au niveau des minima vieillesse.
Cet effort de solidarité nationale représente, toutes mesures cumulées, entre 26 et 27 milliards de francs, ce qui montre bien qu'en cinq ans le budget de l'Etat a participé largement à cet effort de rattrapage.
En même temps, nous savons tous que cet effort de solidarité considérable n'est pas suffisant et qu'il ne permettra pas aux non-salariés d'atteindre des niveaux de retraite comparables, par exemple, à ceux dont bénéficient les salariés en raison de l'absence de régimes de retraite complémentaire. Pour parvenir à un montant équivalent, il fallait donc mettre en place un système de régime de retraite obligatoire par répartition pour compléter le programme pluriannuel de revalorisation des plus basses retraites.
Tel est l'objet de cette proposition de loi, qui a été adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale.
Je crois que, tous ensemble - il n'y a plus de clivage politique quand il s'agit de la solidarité nationale à l'égard des retraités agricoles : nous connaissons tous, dans nos départements, des exemples absolument criants et scandaleux, car les intéressés ne touchent que de très faibles revenus - tous ensemble, donc, nous pouvons nous entendre pour adopter ce dispositif de revalorisation et de mise en place d'un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition. Nous aurons alors contribué à la solution du problème des retraites agricoles dans notre pays, ce qui représentait une gageure voilà encore quelques années.
Tel est le sens de cette proposition de loi, sur laquelle je reviendrai à l'occasion de la discussion des articles. Qu'il me soit simplement permis de dire un mot, à la fin de cet exposé général, de la situation politique dans laquelle nous nous trouvons à la veille de la fin de la session parlementaire.
Les organisations professionnelles agricoles - en particulier la principale d'entre elles, la FNSEA - et l'assemblée permanente des chambres d'agriculture m'ont demandé - mais le message a dû vous être transmis à vous aussi - que ce texte soit adopté avant la fin de la session parlementaire. Je ne ferai pas cette injure aux organisations professionnelles de penser qu'elles craignent en quoi que ce soit une alternance - ou qu'elles l'espèrent... - même si chacun peut avoir des jugements sur le sujet. (Murmures.) Toutefois, ce texte était attendu depuis très longtemps, et tous souhaitent très vivement que nous puissions aboutir rapidement.
Je souhaite donc que ce texte, qui a fait l'objet d'un consensus à l'Assemblée nationale, fasse également l'objet d'un consensus au Sénat. Je n'ose, certes, rêver qu'il y sera adopté en termes identiques - cela signifierait que, d'entrée de jeu, je briderais un débat qui sera sûrement très riche - mais je tiens à mettre chacun en face de ses responsabilités. Les agriculteurs, leurs organisations professionnelles et les retraités agricoles ainsi que leurs associations, qui comptent de très nombreux adhérents, nous attendent et nous regardent. Par conséquent, si nous voulons que ce texte soit adopté définitivement avant l'interruption des travaux parlementaires, il faut que nous soyons responsables et que nous ayons des attitudes cohérentes.
Quoi qu'il en soit, compte tenu des enjeux et des discussions que nous avons pu avoir les uns et les autres dans la préparation de ce débat, je ne doute pas que nous puissions aboutir à une bonne solution de compromis dès ce soir. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le ministre, cette proposition de loi est capitale, vous l'avez rappelé. Vous souhaitez éviter tout clivage, et c'est bien dans cet esprit que l'ensemble du Sénat a travaillé. Néanmoins, vous me permettrez de commencer cette intervention par un regret : il aura fallu atteindre l'extrême fin de cette législature pour que le Gouvernement se décide enfin à inscrire cette proposition de loi, sur laquelle il avait pourtant déclaré l'urgence, à l'ordre du jour de notre assemblée.
Avant d'examiner le texte de la proposition de loi adoptée le 11 décembre par l'Assemblée nationale et celui de la pertinente proposition de loi de M. Gérard César et plusieurs de ses collègues du groupe du Rassemblement pour la République, je souhaiterais rappeler pourquoi un régime complémentaire obligatoire par répartition est aujourd'hui indispensable et comment le Gouvernement a malheureusement retardé une prise de décision inéluctable.
Voilà cinquante ans, les non-salariés agricoles se sont dotés d'un régime d'assurance vieillesse. Ils ont fait le choix de cotiser peu, sur une assiette insatisfaisante, le revenu cadastral.
Certes, il est toujours facile de refaire l'Histoire et de critiquer nos anciens. Mais, lorsqu'ils ont pris cette décision, ils ne savaient pas que, compte tenu de prix alimentaires toujours plus bas afin de « nourrir la France » puis l'Europe, leurs revenus resteraient pour beaucoup d'entre eux modestes. Ils ne savaient pas non plus que la vente de leur exploitation au moment de leur retraite, censée dégager un pécule important, s'avérerait souvent difficile, voire impossible.
Des cotisations peu élevées, s'appliquant à des revenus modestes : il n'est pas besoin d'être expert pour comprendre pourquoi les retraites agricoles sont aujourd'hui peu importantes.
Certes, un effort important de revalorisation a été mené depuis 1994. La loi de modernisation agricole de 1995 a ainsi permis aux veuves de bénéficier du cumul entre droits propres et droits dérivés, puis chaque loi de finances, depuis 1997, a permis d'accorder des revalorisations aux anciens chefs d'exploitation, aux veufs et aux veuves ainsi qu'aux aides familiaux.
La dernière étape de ce processus de revalorisation a été atteinte grâce à la loi de finances pour 2002 : désormais, un retraité agricole bénéficie d'une pension de retraite au moins égale au minimum vieillesse, ce qui représente 569 euros par mois, soit 3 735 francs, sous réserve, bien entendu, d'une carrière complète en agriculture, soit 37,5 années de cotisations.
Il est désormais nécessaire, si nous voulons que les exploitants agricoles d'aujourd'hui bénéficient de meilleures retraites que celles de leurs parents ou de leurs grands-parents, de mettre en place un régime de retraite complémentaire obligatoire.
Dès 1998, la mutualité sociale agricole avait souhaité la création d'un tel régime. Lors de son congrès de Versailles de mars 1999, la FNSEA avait pris position de manière tout à fait claire en sa faveur. Ce n'était pourtant pas gagné d'avance.
Grâce à notre collègue Dominique Leclerc, le rapport sur les retraites agricoles prévu à l'article 3 de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 devait inclure l'étude des « possibilités juridiques et financières de la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire ».
Ce rapport, qui devait être déposé dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi, soit avant le 10 octobre 1999, n'a été remis qu'en janvier 2001 ! Ledit rapport, du reste, s'est contenté de deux pages et demie sur le sujet, quelques paragraphes traitant prudemment des conditions de mise en oeuvre et de gestion du nouveau régime. Sa dernière phrase valait cependant engagement, puisqu'il y était indiqué que le Gouvernement proposerait au Parlement « le texte nécessaire à la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire ».
Ce texte, le monde agricole l'espérait lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2002, afin que le régime soit opérationnel dès le 1er janvier de cette année. Mais le Gouvernement a alors semblé décidé à oublier sa promesse.
Il a fallu toute l'obstination de quelques parlementaires - Germinal Peiro, Alain Marleix et les collègues de son groupe à l'Assemblée nationale, Gérard César au Sénat, et il convient de leur rendre hommage - pour que ce sujet arrive aujourd'hui enfin en discussion, par l'intermédiaire des deux propositions de loi qui sont soumises à notre examen.
Le texte des deux propositions de loi constitue cependant un cadre nécessairement inachevé.
L'objet de ces deux propositions de loi est de mettre en place un régime de retraite complémentaire obligatoire qui permette aux chefs d'exploitation, sous réserve d'une carrière complète en cette qualité et d'une cotisation de 2,84 %, de bénéficier au minimum de 1 175 euros, soit 7 708 francs annuels supplémentaires. Le total atteint par le montant minimum de la pension de base et le montant minimum de la pension de retraite complémentaire atteindrait ainsi 8 008 euros, soit 52 527 francs.
L'augmentation représente près de 100 euros par mois : le total minimum de la pension de base et de la pension complémentaire serait ainsi de 667 euros et 30 centimes, soit 4 377,20 francs, c'est-à-dire exactement 75 % du SMIC net, ce qui était souhaité.
Les exploitants déjà retraités bénéficieront de ce montant minimum.
Naturellement, la cotisation n'étant pas plafonnée, la petite fraction de non-salariés agricoles bénéficiant de revenus satisfaisants pourra acquérir, dans les années à venir, des droits tout à fait intéressants.
Comme me l'ont précisé les représentants du monde agricole que j'ai pu auditionner en tant que rapporteur, le cadre de ces propositions de loi reste cependant inachevé. Un grand nombre de non-salariés agricoles reste ainsi au bord du chemin. Il s'agit avant tout des agricultrices.
Le Gouvernement se targue d'avoir créé, dans la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999, le statut de conjoint collaborateur, mais il ne faut pas oublier que le projet de loi Vasseur prévoyait un tel statut !
Ce même gouvernement restera celui qui aura exclu les conjoints collaborateurs du nouveau mécanisme de retraite complémentaire. (M. le ministre fait un geste de dénégation.)
Un effet pervers est tout à fait possible : on peut ainsi imaginer que certaines « co-exploitantes » se transformeront en « conjointes collaboratrices » afin d'acquitter des charges sociales moins élevées.
Je crois qu'il était possible de faire preuve d'imagination et de donner la possibilité aux conjoints collaborateurs de s'affilier à titre facultatif au nouveau régime, moyennant une cotisation réduite à la charge du chef d'exploitation : le choix aurait été ainsi au moins ouvert.
Les conjoints survivants - et nous savons que cette appellation désigne avant tout des veuves - sont exclus du nouveau régime. L'Assemblée nationale a réussi à « sauver » les futures veuves, c'est-à-dire celles qui perdront leur mari après le 1er janvier 2003 et qui pourront ainsi bénéficier d'une pension de réversion, mais une agricultrice qui perdra son mari le 31 décembre 2002 n'aura aucun droit. Pardonnez-moi d'être un peu macabre, mais cela me paraît nécessaire.
Le système est particulièrement inique, puisque pour que la pension de réversion soit obtenue par le conjoint survivant, il faut que la pension d'origine ait été liquidée. En d'autres termes, si un exploitant agricole décède après trente-six années de cotisations juste avant d'avoir liquidé sa pension, sa veuve ne touchera rien du régime de retraite complémentaire : l'exploitant agricole aura ainsi consenti un effort de cotisation à perte.
De telles situations ne sont pas satisfaisantes.
Certes, l'argument du coût financier de l'extension du régime aux veuves est mis en avant. Le Gouvernement évoque ainsi un montant, à terme, de 100 millions d'euros, qui serait - dans sa logique - pris intégralement en charge par la profession, ce qui signifie une majoration sensible des cotisations des actifs. Nous devons prendre en compte cet élément.
Mais l'on aurait pu tout au moins « cibler » des droits sur des populations le justifiant tout particulièrement, par exemple les « mono-pensionnées à carrière courte ».
Pour bénéficier de la retraite complémentaire obligatoire, il faudra justifier de trente-deux années et demie à trente-sept années et demie en tant que non-salarié agricole, dont dix-sept années et demie de cotisations en tant que chef d'exploitation. Un certain nombre d'agricultrices, prenant la tête de l'exploitation à la suite du décès de leur époux - en attendant que leur fils ou leurs fille soit en mesure de devenir exploitant - ne justifient pas de dix-sept années et demie de cotisations. Ainsi, les mono-pensionnées à carrière courte sont à l'écart des mesures de revalorisation et resteront oubliées du nouveau régime de retraite complémentaire, du moins pour l'instant. Il nous reviendra donc d'y remédier.
Le financement du nouveau régime est également critiquable. A l'Assemblée nationale, le Gouvernement a complété la proposition de loi de M. Germinal Peiro, en se bornant à inscrire le principe d'une « participation financière de l'Etat dont les modalités sont fixées en loi de finances ». Cette participation, qui est une « première » dans le cadre des régimes complémentaires, s'explique en raison du choix de faire bénéficier du nouveau régime les exploitants déjà retraités. S'il est exact que seule la loi de finances peut en fixer le montant, il aurait été tout au moins souhaitable que le Gouvernement précise les différents éléments financiers, ce qu'il n'a pas fait.
Monsieur le ministre, lors de la discussion ici-même du BAPSA pour 2002, le 4 décembre dernier, je vous avais demandé de nous indiquer le montant de la participation de l'Etat. Vous m'aviez répondu que vous préfériez en donner la primeur à l'Assemblée nationale, lors de la discussion de la proposition de loi de M. Peiro, le 11 décembre, ce qui était tout à fait compréhensible.
Mais, monsieur le ministre, le 11 décembre dernier, à l'Assemblée nationale, vous n'avez pas souhaité évoquer le montant prévu de la participation pour 2003 ! Alors, je le sais, vous dites que « c'est le Parlement qui décidera chaque année ». Mais vous semblez oublier un détail de poids : l'article 40 de notre Constitution. C'est bien le Gouvernement qui proposera le montant de la participation dans le projet de loi de finances ! Le Parlement n'aura comme seules possibilités que de diminuer ce montant ou de le supprimer !
Je crois qu'il aurait été préférable - qu'il serait préférable, monsieur le ministre - que vous précisiez ce soir l'ensemble des données financières, à titre indicatif. De telles informations seraient de nature à éclairer le vote de la représentation nationale, même si, bien évidemment, seule la loi de finances pour 2003 constituera la véritable réponse.
Nous n'avons pas eu d'études d'impact. Mais, d'après les chiffres communiqués par les services de votre ministère, le produit total des cotisations atteindrait annuellement de 260 millions à 270 millions d'euros, c'est-à-dire entre 1,7 milliard et 1,8 milliard de francs. Compte tenu des charges supportées par le régime - entre 410 millions et 457 millions d'euros - il est possible d'en déduire que le montant de la participation financière de l'Etat devrait être compris entre 150 millions et 183 millions d'euros, c'est-à-dire entre 1 milliard et 1,2 milliard de francs.
Le texte de la proposition de loi précise que le taux de la cotisation et la valeur de service du point de retraite sont déterminés « dans le respect de l'équilibre entre les ressources et les charges du régime ». Mais une telle disposition ne présente qu'un sens relatif, puisque l'équilibre repose sur une inconnue : la participation financière de l'Etat. Celle-ci n'est fixée par aucun paramètre. En fonction des besoins financiers du moment, l'Etat pourra d'une année sur l'autre diminuer sa participation financière et faire apparaître, de manière artificielle, un « déficit » du régime, qu'il appartiendra aux exploitants agricoles de combler.
Il aurait été préférable de fixer la participation financière de l'Etat en fonction d'un pourcentage des dépenses ou des recettes de cotisations du régime.
Lorsque l'Assemblée nationale a souhaité instituer une pension de réversion pour les futures veuves, le Gouvernement a imposé de rajouter une phrase précisant que la participation financière de l'Etat ne couvre pas les dépenses liées à cette réversion. Comme cette participation, une fois de plus, n'est déterminée selon aucun critère objectif, cette précision apparaît tout à fait inutile - nous en reparlerons lors de la discussion des articles.
La proposition de loi de notre excellent collègue Gérard César diffère sur deux points fondamentaux du texte de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale : d'abord, elle englobe l'ensemble des conjoints survivants ; ensuite, elle prévoit de mettre en place la mensualisation des pensions de retraite.
Le troisième point essentiel de cette proposition de loi est de construire aujourd'hui la première étape du dispositif. La commission aurait naturellement souhaité davantage. Mais, nous le savons tous, ce texte est imparfait et inachevé.
La commission aurait beaucoup à dire sur la désinvolture du Gouvernement : ce texte aurait dû être le sien. Elle ne peut pas non plus passer sous silence son caractère électoraliste ; ce texte a fait et fera l'objet d'une récupération politicienne.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Mais non !
M. Jean-Marc Juilhard, rapporteur. Cependant, il est nécessaire de faire preuve de responsabilité. Les efforts financiers liés à l'extension du régime aux conjoints survivants et aux aides familiaux ne sont pas négligeables. La mensualisation, qui n'apportera aucun pouvoir d'achat supplémentaire aux retraités agricoles, représente un coût de trésorerie important. Elle n'en reste pas moins un souhait fondamental de la profession et des retraités.
La commission des affaires sociales a considéré qu'il était important, aujourd'hui, compte tenu de la conjoncture politique - celle de la fin d'une législature - de construire ensemble la première étape du régime complémentaire. La construction parfaite et complète de ce régime, afin qu'il n'y ait ni exclus, ni laissés-pour-compte, prendra peut-être plusieurs années. Mais il est nécessaire de commencer aujourd'hui.
Telles sont les raisons qui ont conduit la commission des affaires sociales à proposer de rester dans le cadre financier de la proposition de loi et à adopter une série d'amendements ayant pour objet de clarifier et de préciser le texte.
Deux d'entre eux lui paraissent particulièrement importants : le premier tend à fixer dans la loi l'objectif visé, à savoir le minimum des 75 % du SMIC pour le total représenté par la pension de base et la pension complémentaire ; le second donne au régime la possibilité d'évoluer, en confiant de manière permanente au Conseil supérieur des prestations sociales agricoles le soin d'évaluer sa montée en charge et d'étudier notamment les possibilités d'extension aux conjoints et aux aides familiaux.
Une fois de plus, la commission des affaires sociales - sans renier aucune des critiques développées dans son rapport - a décidé de faire preuve d'esprit de responsabilité. Le texte que pourrait voter le Sénat ce soir serait susceptible d'être adopté conforme par l'Assemblée nationale ou de faire l'objet d'un accord en commission mixte paritaire, ce qui serait - je crois - un hommage rendu à notre assemblée et le signe de sa participation à ce qui est indubitablement une grande avancée sociale, attendue par la très grande majorité des agriculteurs.
Telles sont les grandes orientations retenues par la commission des affaires sociales. (Applaudissement sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gérard César, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition constitue depuis longtemps une attente forte et légitime des agriculteurs.
La faiblesse persistante du niveau des pensions agricoles ne permet pas aux deux millions de retraités issus de l'agriculture de vivre décemment, d'autant que le capital susceptible d'être retiré, au moment du départ en retraite, de la cession des exploitations est aujourd'hui moins valorisable du fait du faible dynamisme des installations.
En outre, l'évolution des modes de vie en milieu rural, le départ des jeunes vers la ville et la décohabitation qui en découle laissent bien souvent les agriculteurs âgés beaucoup plus isolés.
Certes, il existe un régime de retraite complémentaire facultatif, le complément de retraite volontaire agricole, le COREVA. Force est de constater que ce régime, outre qu'il est difficilement accessible aux agriculteurs les plus modestes, n'a pas l'efficacité requise du fait de son caractère non obligatoire. Ce régime - je tiens à le souligner - conserve néanmoins toute sa légitimité comme futur troisième étage du système de retraites agricoles. Je souhaiterais, à cet égard, monsieur le ministre, que vous confirmiez le maintien de la déductibilité fiscale des cotisations versées.
Par ailleurs, le plan de revalorisation des retraites agricoles mis en avant par l'actuel gouvernement, mais engagé sous la précédente majorité, ne garantit qu'un niveau de pension égal au minimum vieillesse, soit environ 567 euros, ou 3 720 francs par mois, c'est-à-dire, tout au plus, la parité avec les régimes de base des autres secteurs professionnels.
Seule la création d'un régime complémentaire obligatoire par répartition pourra porter les pensions de retraite agricoles à 75 % du SMIC, c'est-à-dire à 808 euros, conformément au souhait de la profession.
Elle permettra, en outre, la reconnaissance du travail passé des exploitants agricoles, qui, depuis 1945, ont relevé le défi de l'autosuffisance alimentaire et ont hissé la France au rang de la deuxième puissance exportatrice de produits agricoles et alimentaires.
La commission des affaires économiques est donc, sur le principe, très favorable à la mise en place du nouveau régime. Votre rapporteur pour avis et plusieurs de ses collègues avaient, à cet égard, présenté, à l'automne dernier, une proposition de loi qui, bien qu'ayant les mêmes objectifs, s'avérait plus ambitieuse s'agissant - je reviendrai tout à l'heure sur ces points - du champ des bénéficiaires du futur régime et des modalités de versement des pensions.
Sur le plan du fonctionnement, l'architecture qui nous est proposée est globalement satisfaisante.
Mettant en oeuvre la solidarité entre les générations, le choix d'un régime par répartition permettra la prise en charge des exploitants déjà retraités, qui n'ont pas eu l'opportunité de cotiser.
Selon les estimations généralement citées, le montant minimal de la retraite complémentaire devrait représenter environ 1 143 euros, soit 7 500 francs par an, c'est-à-dire à peu près 630 francs par mois.
L'attribution de la gestion du nouveau régime à la mutualité sociale agricole consacre une expérience incontestable au service de la protection sociale des agriculteurs.
Enfin, l'inscription dans la loi du principe de la contribution publique au financement de la retraite complémentaire obligatoire par répartition s'avérait indispensable au regard de la situation démographique du régime agricole, au risque, sinon, de faire peser sur les cotisants une charge financière insupportable puisque le coût de ce régime devrait représenter entre 377,2 millions et 452,6 millions d'euros, soit entre 2,5 milliards et 3 milliards de francs.
Toutefois, il convient de souligner les lacunes de cette proposition de loi.
En ce qui concerne, tout d'abord, le champ des bénéficiaires, les conjoints collaborateurs et les aides familiaux ne bénéficieront pas, dans un premier temps, de la retraite complémentaire. Prenant acte de l'importante charge financière qui en résulterait pour les cotisants, la commission des affaires économiques reconnaît que leur intégration immédiate serait difficile. La proposition de loi aurait toutefois pu prévoir, comme le suggère notre excellent collègue M. Jean-Marc Juilhard, de leur ouvrir ce régime à titre facultatif. La commission des affaires économiques souhaite, en tout cas à terme, un élargissement du régime à ces catégories de personnes qui travaillent quotidiennement sur les exploitations, et demande un engagement fort en ce sens.
Par ailleurs, cette proposition de loi exclut du champ du nouveau régime les 470 000 personnes devenues veuves avant 2003, contrairement à ce que proposait le texte présenté par votre rapporteur pour avis et plusieurs de ses collègues. Seuls les conjoints survivants devenus veufs à compter du 1er janvier 2003 auront droit à une pension de réversion.
Estimant qu'il s'agit d'une discrimination inacceptable, je vous présenterai un amendement étendant le bénéfice de la retraite complémentaire agricole obligatoire à l'ensemble des conjoints survivants.
La deuxième grande lacune de ce texte, comme l'a souligné le rapporteur, concerne la participation de l'Etat au financement du régime. En particulier, le Gouvernement n'a pas souhaité préciser, dans l'amendement qu'il a fait adopter à l'Assemblée nationale, le montant de la contribution publique, renvoyant la définition de celle-ci aux lois de finances.
En outre, il a fait adopter une disposition précisant que cette contribution publique ne peut servir au financement des dépenses relatives aux pensions de réversion. Cette disposition est inacceptable : elle risque d'obérer la viabilité financière du futur régime en faisant reposer la charge des pensions versées aux veuves sur les seuls exploitants agricoles. La commission des affaires économiques proposera, par conséquent, un amendement visant à supprimer cette disposition.
Enfin, la proposition de loi qui nous est soumise n'est pas suffisamment ambitieuse au regard des modalités de versement des pensions. La mise en place de ce nouveau régime doit être l'occasion de moderniser celui-ci.
La formule du versement trimestriel, qui est aujourd'hui utilisée pour les retraites de base, risque, en l'absence de disposition législative contraire, d'être étendue aux retraites complémentaires. A la question récurrente de la mensualisation des retraites agricoles, le Gouvernement a pris l'habitude de répondre par le problème du coût de cette réforme.
Or il convient de souligner que ce coût ne serait, s'agissant des retraites de base, qu'un coût purement comptable correspondant à la nécessité d'avancer, la première année, l'équivalent de deux mensualités dès lors que les retraites sont actuellement payées à trimestre échu.
Par ailleurs, ce coût serait même nul pour les retraites complémentaires puisque, ce régime n'existant pas encore, aucun différentiel comptable n'est susceptible d'apparaître.
Il serait dommage, vous en conviendrez, monsieur le ministre, d'imposer, pour les retraites complémentaires, une formule de versement trimestriel sur laquelle il faudrait, tôt ou tard, revenir avec un coût plus important pour les finances publiques.
Aussi, la commission des affaires économiques proposera-t-elle deux amendements, l'un visant à prévoir la mensualisation du paiement des retraites complémentaires agricoles, l'autre tendant à imposer le versement mensuel des pensions de base.
Cette réforme, prévue par la proposition de loi sénatoriale, permettra l'instauration de la mensualisation des retraites agricoles et complétera avantageusement le texte que nous examinons aujourd'hui.
En conclusion, malgré la dimension électoraliste évidente de cette réforme (Protestations sur les travées socialistes)...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Oh !
M. Claude Domeizel. Alors, on ne ferait plus rien !
M. Gérard César, rapporteur pour avis ... qu'a soulignée M. Juilhard, réforme qui aurait pu être menée à bien beaucoup plus tôt et prise en compte dans la loi de finances pour 2002, la commission des affaires économiques a donné un avis favorable à cette proposition de loi,...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Elle n'est donc pas si électoraliste que cela !
M. Gérard César, rapporteur pour avis. ... car il s'agit, avant tout, de ne pas décevoir une attente forte des agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux d'intervenir aujourd'hui dans la discussiongénérale sur le problème des retraites agricoles. En tant qu'agriculteur et élu du milieu rural, c'est l'une de mes principales préoccupations depuis de nombreuses années. Lorsque j'étais député, j'ai participé activement aux débats, notamment lors de l'examen de la loi demodernisation agricole, qui ont abouti au début de la revalorisation des retraites agricoles. Ces débats avaient déjà lieu dans la perspective de la mise en oeuvre d'un dispositif de retraite permettant aux agriculteurs de recevoir une pension représentant 75 % du SMIC. M'étant battu en faveur de ce dossier, je ne peux que me réjouir que ce texte soit examiné, aujourd'hui, avant la fin de la législature.
Après les dernières mesures de revalorisation prises à l'occasion du budget, il était temps de mettre en place un système de retraite complémentaire, la retraite de base ne pouvant pas permettre d'atteindre 75 % du SMIC, soit un niveau de vie décent pour les personnes concernées.
Le régime des retraites agricoles a déjà connu une forte dégradation due au rapport démographique particulier cotisants - retraités. Toutefois, à la différence d'autres catégories professionnelles, ce ratio est à peu près stabilisé et devrait moins se dégrader au cours des prochaines années. Dans ce contexte, on sait très bien que le montant minimal de la retraite agricole de base ne pourra pas atteindre 75 % du SMIC net pour les chefs d'exploitation.
Le système des contrats de complément de retraite volontaire agricole, dits COREVA, créé par la mutualité sociale agricole à la suite du décret du 26 novembre 1990, instituait un moyen de retraite complémentaire. Mais, outre que ce système par capitalisation n'était pas obligatoire, il n'était pas non plus accessible aux revenus les plus modestes, d'où ses limites. Aujourd'hui, le régime agricole est un des derniers régimes de retraite d'indépendants à ne pas disposer d'un régime de retraite complémentaire obligatoire.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont oeuvré pour que ce texte de justice sociale soit présenté au Sénat avant la fin de la législature : le Gouvernement, bien sûr, les élus qui se sont mobilisés, sans oublier les syndicats agricoles et, surtout, les associations de retraités.
Ainsi, à l'heure de la retraite, les acteurs du monde agricole, qui ont contribué et contribuent pleinement à l'activité économique de la France, seront enfin justement traités.
Permettez-moi de saluer ici l'excellent travail des commissions des affaires sociales et des affaires économique. Je souhaite que les modifications qu'elles vont proposer soient adoptées sans polémique et sans surenchère. Il n'est pas question de différer ou de faire barrage à l'adoption de cette proposition de loi. Elle comporte, certes, des lacunes et des imperfections, mais c'est une bonne base de travail. Il reste maintenant à l'améliorer.
Parmi les points soulevés par nos commissions, je commencerai par l'extension du dispositif aux conjoints et aides familiaux.
La loi d'orientation agricole de 1999 a permis la création d'un statut en faveur des conjoints collaborateurs. Je comprends que leur ouvrir, comme aux aides-familiaux, le bénéfice du dispositif qui nous est proposé entraînerait un coût important. On ne peut toutefois pas laisser de côté ces conjoints et aides familiaux qui travaillent sans relâche et contribuent à l'essor des exploitations. Si l'on ne peut obtenir une telle extension à l'occasion de l'examen de ce texte, il faudra impérativement y revenir lors d'un prochain débat.
Le deuxième point évoqué par les commissions concerne l'extension du bénéfice de la pension de réversion à l'ensemble des conjoints survivants.
Si ce texte fait bénéficier les retraités actuels ainsi que les actifs de points gratuits pour les périodes antérieures aux régimes, pourquoi exclure aujourd'hui les veufs et les veuves du bénéfice de la pension de réversion ? Ne pas adopter une mesure leur permettant d'en bénéficier serait une injustice pour ces retraités dont la situation financière est des plus modestes.
Le troisième point évoqué par les commissions concerne la participation de l'Etat.
Monsieur le ministre, nous le savons, ce régime de retraite complémentaire ne peut être mis en place sans recourir à la solidarité nationale. C'est pourquoi nous aurions souhaité que, dans cette proposition de loi, soient précisées les conditions de la contribution financière de l'Etat. Selon moi, celle-ci doit s'appliquer à l'ensemble du dispositif. De plus, les pensions de réversion ne doivent ni être exclues du champ de la solidarité nationale ni reposer sur les seuls actifs.
Le dernier point évoqué par les commissions concerne la mensualisation du versement des retraites.
On ne peut admettre que les agriculteurs soient les seuls à percevoir leur retraite tous les trimestres, alors que toutes les autres catégories professionnelles la reçoivent tous les mois. J'ai bien compris que cette mesure entraîne un coût de trésorerie important l'année de sa mise en oeuvre, mais le fait même de revaloriser ces retraites justifie la mensualisation. Je soutiendrai donc les amendements en ce sens.
Conscient que ce texte représente une avancée significative pour les retraités non salariés du monde agricole et qu'il est attendu par l'ensemble des personnes concernées, je voterai ce texte en souhaitant vivement que les améliorations proposées par le Sénat soient prises en compte dès aujourd'hui et que nous puissions, au cours des prochaines années, proposer des amendements permettant d'instaurer pour tous un régime de retraite qui mette fin à l'injustice actuelle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue député de la Dordogne, Germinal Peiro, constitue un grand pas en avant pour le monde agricole. Chacun en est d'ailleurs bien conscient, puisque le texte a déjà été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Il faut tout d'abord rappeler, parce que c'est un gage de réussite, que la proposition de loi a fait l'objet d'une longue concertation avec les organisations professionnelles. Le travail accompli en amont, qui a permis d'aboutir à un consensus, a donc été important et méticuleux.
Il convient de le souligner pour rendre hommage à l'auteur de la proposition de loi et à tous ceux qui ont participé à ces fructueux échanges. C'est un très bon exemple de travail parlementaire. En effet, on a vu l'un des nôtres réunir toutes les parties intéressées pour faire avancer, par le dialogue, un dossier, et ce, j'y insiste, dans l'intérêt de nos concitoyens.
Je ne saurais oublier, d'ailleurs, l'action forte des retraités, notamment de l'un d'entre eux, M. Maurice Bouyou, ancien conseiller général de la Dordogne, qui a su, au fil des années, mobiliser les retraités agricoles sur ce dossier.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Un homme remarquable !
M. Bernard Cazeau. Vous avez tout à fait raison, monsieur le ministre !
Je crois important aussi de rappeler que l'adoption de ce texte permettra de tenir l'un des engagements que le M. Premier ministre a pris lors de la campagne pour les élections législatives de 1997 : porter à 75 % du SMIC net les retraites des agriculteurs ayant accompli une carrière complète de chef d'exploitation. Cet engagement sera ainsi tenu à l'égard de 465 000 agriculteurs dès le 1er janvier 2003.
Ce n'est d'ailleurs pas le premier progrès, en matière sociale, qui soit accompli depuis 1997 en faveur des agriculteurs. Ainsi, dernièrement, nous avons voté la transformation de l'assurance accidents du travail et maladies professionnelles en une véritable branche de sécurité sociale avec une gestion unifiée.
En matière de retraites, le plan quinquennal 1997-2002, en fonction jusqu'à la fin de cette année, aura permis la revalorisation des plus faibles retraites. Le statut de conjoint collaborateur a été mis en place avec une possibilité de rachat de points. Ainsi, en 2002, le niveau du minimum vieillesse est atteint pour les chefs d'exploitation et les veuves, avec 567 euros par mois, et le niveau du second membre du foyer bénéficiaire du minimum vieillesse est atteint pour les conjoints et aides familiaux, avec 450 euros par mois.
Depuis 1997, ce sont plus de 21 milliards de francs qui ont été consacrés à cet effort en faveur des vieux agriculteurs et de leurs conjoints, et nous vous en félicitons, monsieur le ministre.
Depuis cette date, les retraites des veuves ont progressé de 45 % - il faut dire que l'on partait effectivement de très bas - et celles des conjoints de 80 %.
C'est donc une longue marche qui a été accomplie depuis la première retraite des exploitants agricoles, créée en 1955. La progression, nous devons le reconnaître, a été lente, compliquée par les caractéristiques spécifiques de la profession et par une démographie défavorable à la mise en oeuvre d'un système de retraite par répartition.
Néanmoins, nous parvenons aujourd'hui à poser le deuxième pilier du dispositif de retraite des agriculteurs, alors qu'existent déjà pour tous la retraite de base et un système de retraite complémentaire par capitalisation volontaire. Celui-ci est toutefois peu accessible à la majorité du monde agricole.
Ce nouveau régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition s'adressera donc à tous les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, sans discrimination, aux seules conditions d'âge et de durée d'activité, communes à tout régime de retraite. Il couvrira également les préretraités ainsi que les personnes affiliées volontaires à l'assurance vieillesse des non-salariés agricoles.
Le régime entrera en vigueur au premier janvier 2003, c'est-à-dire à la fin du plan quinquennal de revalorisation des retraites, auquel je faisais référence tout à l'heure.
Pour la période antérieure, ainsi que pour les agriculteurs déjà en retraite, des points gratuits seront attribués, là aussi à condition qu'ils aient exercé la profession pendant le temps nécessaire, c'est-à-dire trente-sept années et demie, dont dix-sept et demie en tant que chef d'exploitation.
Le régime sera géré par la Caisse centrale de mutualité sociale agricole avec, évidemment, des comptes séparés des autres régimes, mais avec, surtout, la garantie de l'expérience de cette institution. Ces modalités de gestion permettront des économies d'échelle, une meilleure transparence et une plus grande rentabilité des placements en raison de la masse financière en jeu.
J'en viens maintenant aux modalités de financement du régime. Le texte prévoit qu'il s'agira des cotisations calculées sur la base de la totalité du revenu professionnel ou de l'assiette forfaitaire. Ces cotisations seront déductibles fiscalement et socialement.
Cela m'amène à faire deux remarques.
Le coût global prévu du nouveau régime s'élève à trois milliards de francs, sur lesquels le Gouvernement s'étant engagé, si j'ai bien compris, à respecter un financement reposant pour deux tiers sur les cotisations et pour un tiers sur l'aide de l'Etat.
Il s'agit, bien entendu, d'une disposition exceptionnelle, un régime complémentaire étant, par définition, alimenté par les cotisations des futurs bénéficiaires. Cette mesure est toutefois nécessaire pour faire vivre le nouveau régime.
Un point d'équilibre a donc été trouvé entre le montant prévisible des cotisations et la nécessaire aide de l'Etat. Il en résulte que, pour rester dans les limites d'un budget supportable, le système doit être précisément calibré. Dans la situation actuelle, le nouveau régime complémentaire ne profitera donc qu'aux chefs d'exploitation eux-mêmes.
Bien entendu, chacun aurait préféré mettre en place un mécanisme plus généreux, englobant notamment les veuves, et avec une extension aux conjoints collaborateurs, aux conjoints d'exploitant et aux aides familiaux, bref à tous les actifs agricoles non salariés. Mais il en serait résulté un triplement du coût total et, fatalement, une remise en cause de l'ensemble de l'édifice.
Qui serait en mesure de financer un régime ainsi élargi ? Eu égard aux autres régimes complémentaires préexistants, il paraît difficile que l'Etat prenne en charge la quasi-totalité de la retraite complémentaire des agriculteurs. Dans le même temps, il nous semble quasiment impossible de demander aux agriculteurs de financer par leurs cotisations les 9 milliards de francs qu'il faudrait alors trouver.
Nous sommes donc devant l'impossibilité financière d'aller au-delà, pour le moment, j'y insiste, d'une retraite complémentaire par répartition au bénéfice des seuls chefs d'exploitation.
Cela ne signifie pas que le régime n'a pas vocation à s'élargir, mais il reviendra aux organisations professionnelles, en fonction de la démographie et du revenu agricole, de déterminer selon quelles modalités et dans quelle direction.
A l'heure actuelle - et ce sera ma deuxième remarque - doit d'abord être posée la question du montant de la cotisation qui sera demandée aux agriculteurs. En effet, pour indispensable qu'il soit, le régime complémentaire de retraite par répartition implique une assiette minimale de cotisation de 2028 SMIC horaire, soit aujourd'hui 88 664 francs. Les deux tiers environ des exploitants agricoles, qui sont des exploitants familiaux, n'atteignent pas ce revenu. Nombre d'entre eux ont en effet des revenus inférieurs. Il sera donc certainement nécessaire, dans l'élaboration des textes d'application, et en concertation avec les organisations professionnelles, d'étudier comment résoudre ce problème.
Il faut, là aussi, trouver un point d'équilibre, de conciliation entre des exigences contradictoires permettant d'assurer à tous les chefs d'exploitation ayant accompli une carrière complète une retraite globale de 75 % du SMIC au moins, tout en fixant un montant supportable de cotisations.
Cela m'amène à vous demander, monsieur le ministre, si l'aide de l'Etat peut prendre la forme d'une intervention permettant d'appliquer un taux progressif de cotisations pour les agriculteurs les plus modestes.
Qu'en sera-t-il lorsque le niveau de revenu sera nettement inférieur à 2028 SMIC par an ? Le groupe socialiste ne peut rester indifférent à cette question. Il s'agit non pas de demander une participation plus élevée de la collectivité nationale, mais d'organiser cette participation de telle sorte que l'effort contributif soit équitablement réparti entre les membres de la profession.
Ces questions, si elles doivent être posées pour préparer l'avenir, ne sauraient masquer l'importance de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Il s'agit véritablement du socle d'un nouveau régime de protection sociale en direction d'une catégorie professionnelle longtemps défavorisée dans ce domaine.
Progressivement, mais grâce aux efforts conjoints du Gouvernement et de sa majorité, ainsi que des représentants professionnels, les agriculteurs bénéficient d'une mise à niveau par rapport aux autres catégories d'actifs. Cela se fait sans tapage ni proclamation démagogique ou préélectoraliste, monsieur César (Protestations sur les travées du RPR),...
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Bernard Cazeau. ... mais de façon sérieuse, dans la clarté et la concertation. (M. Paul Blanc fait un geste dubitatif.) Eh oui ! monsieur Blanc !
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'exprimer, au nom du groupe socialiste, notre satisfaction quant à cette méthode de travail fructueuse et notre soutien pour votre action. Le groupe socialiste votera ce texte très important, impatiemment attendu par l'ensemble du monde agricole. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 a consacré un acte politique important dans son article 1er en inscrivant au même rang que les principes d'orientation concernant la production, donc les actifs, un alinéa relatif à la revalorisation progressive et à la garantie de retraites minimales pour les agriculteurs qui ont cessé d'exercer une activité professionnelle. En même temps que les contrats territoriaux d'exploitation, les CTE, ce sont aussi les retraites qui ont mobilisé l'attention de votre prédécesseur, puis la vôtre, monsieur le ministre.
L'effort de programmation qui s'est ensuivi s'élèvera à plus de 21 milliards de francs à la fin de cette année et permettra d'atteindre le seuil du minimum vieillesse au profit de celles et de ceux qui, jusqu'alors, devaient le plus souvent se contenter de très faibles moyens de subsistance.
Songeons, en effet, que l'on est passé depuis 1997 d'une retraite d'un montant minimum d'environ 2 790 francs mensuels à une retraite de l'ordre de 3 720 francs pour les chefs d'exploitation, ce qui revient à une augmentation de 29 %, les veuves voyant leur pension progresser de 45 %, et d'une retraite de l'ordre de 1 600 francs mensuels à une retraite de 2 955 francs pour les conjoints et les aides familiaux, soit une augmentation de 79 %.
Les chefs d'exploitation à carrière courte n'ont pas été complètement oubliés, pas plus que les conjoints, qui se sont vu doter d'un statut et de la faculté de racheter des points de retraite proportionnelle. Ce sont ainsi plus de 800 000 personnes qui ont bénéficié du dispositif et des adaptations qui y sont liées. Même si parfois - on peut le comprendre - la majorité sénatoriale a tendance à vouloir minorer cette action quinquennale, jamais un gouvernement n'a produit un tel effort en faveur des retraités agricoles.
M. Claude Domeizel. Jamais !
M. Jean-Marc Pastor. Certes, la construction du régime agricole de couverture du risque vieillesse n'est pas récente et il a été assis et modernisé depuis l'époque de sa création en 1952. Mais rendons à ce gouvernement ce qui lui appartient : les retraites ont été revalorisées de manière progressive par le passé, voire de façon segmentée entre 1993 et 1997, et n'avaient pas fait l'objet d'une telle saisie à bras-le-corps jusqu'à il y a cinq ans.
Il nous revient à présent d'enclencher la création d'une autre étape, un régime de retraite complémentaire. (M. Flandre s'exclame.) En effet, le système COREVA, ou complément de retraite volontaire agricole, n'avait institué qu'un régime d'assurance par capitalisation en la matière. En outre, presque toutes les professions en dehors de l'agriculture se sont déjà pourvues d'un régime complémentaire obligatoire par répartition, qui autorise l'accueil des retraités sans préjudice de leurs options de cotisation antérieures, ce qui est énorme. La retraite par capitalisation vient en général après ; il s'agit du troisième pilier du système général.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui sera applicable le 1er janvier 2003, si elle aboutit au Parlement, ce dont je ne peux douter. Ce processus interviendra donc à la sortie du plan de revalorisation, qui prendra fin le 31 décembre 2002.
Parmi les objectifs des rédacteurs du texte, notamment notre collègue Germinal Peiro, je crois utile de réaffirmer un certain nombre de points.
La loi française doit entériner la constitution d'un socle de droits à la retraite complémentaire en faveur de nos agriculteurs qui, depuis des générations, ont travaillé pour nourrir nos compatriotes et qui ont subi un régime d'assurance vieillesse que je qualifierai de souffrant.
Par ailleurs, la loi doit y faire figurer le principe d'une retraite obligatoire et par répartition, symbole d'une solidarité entre les générations et de la mutualisation des forces et des faiblesses du monde agricole depuis le siècle dernier. Cela mérite d'autant plus d'être affirmé en ce début du troisième millénaire que le travail agricole est devenu solitaire, alors qu'il était beaucoup plus collectif auparavant.
Il est un autre objectif que je tiens à citer : la recherche d'un équilibre entre la volonté d'améliorer la situation des retraités et celle de faire en sorte que les mesures soient supportables par les paysans aux revenus les plus faibles.
Enfin, je ne passerai évidemment pas sous silence l'objectif d'atteindre 75 % du SMIC pour les retraites des chefs d'exploitation qui ont accompli une carrière complète. Il correspond à un engagement pris pendant la campagne des élections législatives de 1997.
M. Claude Domeizel. Et nous savons tenir nos engagements !
M. Jean-Marc Pastor. Ces objectifs, sur lesquels la quasi-totalité des organismes professionnels et des syndicats agricoles se sont retrouvés, ont permis d'avancer sur les grandes lignes de la proposition de loi que nous examinons.
Je souligne la gratuité du dispositif pour les actuels retraités, qui bénéficieront de points sans avoir à acquitter les cotisations qui y sont normalement attachées s'ils remplissent des conditions de durée d'activité. Ils pourront ainsi prétendre à une retraite complémentaire de l'ordre de 7 700 francs par an dès 2003. Autrement dit, la retraite agricole de base avec la retraite complémentaire minimale passera d'environ 3 700 francs par mois à 4 200 francs pour une période complète.
Quant aux agricultrices et aux agriculteurs qui contribueront au régime, leurs cotisations seront déductibles, fiscalement et socialement, et elles ou ils bénéficieront de points gratuits pour celles et ceux qui sont en activité.
A titre tout à fait exceptionnel s'agissant d'un régime complémentaire, la solidarité ne s'exercera pas qu'entre les générations d'agriculteurs : compte tenu du ratio d'environ un actif pour deux retraités, le régime serait bien évidemment très rapidement déficitaire et cette loi n'aurait aucun sens. La solidarité jouera dès lors entre tous les agriculteurs confondus et la société, ce qui est tout à fait exceptionnel, mes chers collègues, puisque aucun autre régime complémentaire ne bénéficie d'un tel avantage de l'Etat.
En optant pour environ un milliard de francs sur les trois milliards de francs, le Gouvernement envoie un signal fort de son attachement à la cause agricole, que je tiens à rappeler.
M. Gérard César, rapporteur pour avis. C'est le tiers !
M. Jean-Marc Pastor. La discussion des députés a permis des avancées, mais elle s'est heurtée au principe de réalité : le régime doit être financé. Nous nous y heurterons aussi, mes chers collègues, au fil de la discussion des articles.
Il n'empêche que ce régime est d'ores et déjà appelé à évoluer. Il s'agit, pour les parlementaires, d'ancrer le socle de la retraite complémentaire et d'en assurer la pérennité. Mais un élargissement de ce socle aux conjoints et aux aides familiaux paraît inéluctable sur le court terme.
Quant aux veuves, leur situation traduit une large marge de travail, même si le texte prévoit que les futures veuves dont le conjoint aura bénéficié de la retraite complémentaire pourront obtenir une pension de réversion. Il est urgent, d'ici à 2003, de compléter le socle de base de cette retraite complémentaire en direction, notamment, des veuves à carrière courte qui pourraient prendre la suite de leur époux.
Le groupe socialiste, très attaché à cette mesure sociale, proposera un amendement en ce sens.
La mensualisation du paiement, qui a été évoquée à cette tribune par plusieurs de mes collègues, figure au nombre des questions qui se poseront inévitablement. Cela ne concerne pas que la retraite complémentaire, même si nous vous proposerons aujourd'hui, monsieur le ministre, un amendement à cet égard.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous rendre attentif à un point crucial du débat, qui a déjà fait l'objet de discussions et mérite, à mon sens, que l'on y porte une attention particulière ; je veux parler, après Bernard Cazeau, de la répartition de l'effort de cotisation.
Le décret qui sera pris en application de l'article L. 732-59 du code rural devrait fixer à 88 685 francs l'assiette de cotisation.
Je me dois de vous alerter, monsieur le ministre, sur les difficultés qu'engendrerait la fixation d'un plancher à ce niveau. En effet, pour bon nombre de paysans, ce plancher serait nettement supérieur à leurs revenus. Je vous demande, monsieur le ministre, de tenir compte de cet élément lors de l'élaboration des décrets. A défaut, certains petits propriétaires qui se situent en dessous de cette référence de base - et ce sont les plus nombreux - seraient amenés à payer proportionnellement plus cher par rapport à leurs revenus.
M. Hilaire Flandre. Il n'ont qu'à passer au bénéfice réel !
M. Jean-Marc Pastor. Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, de veiller à ne pas inscrire dans les textes un seuil qui ne correspondrait pas à la réalité et pénaliserait les exploitants aux revenus les plus faibles.
Cela étant, globalement, monsieur le ministre, le groupe socialiste serait favorable aujourd'hui à un vote conforme, ou quasi conforme, afin que cette proposition de loi soit adoptée définitivement le plus tôt possible et profite, dès 2003, à plus de 465 000 retraités agricoles.
Il y a urgence, mes chers collègues, et le Sénat s'honorerait en donnant cette chance au monde agricole.
A nous aussi de profiter de la période comprise entre le vote de cette proposition de loi et le 1er janvier 2003, et de mener un travail complémentaire sans doute nécessaire - pourquoi ne pas constituer un groupe de travail de parlementaires ? -, ne serait-ce que pour affiner une série de questions aussi importantes que celles de la situation des non-pensionnés, des veuves à carrières courtes, de l'assiette des cotisations et du mode de cotisations. Et il s'agit de le faire avant que les décrets soient pris, permettant ainsi de projeter le dispositif dans le temps en distinguant ce qui, en plus du socle, serait immédiatement possible - avant, bien sûr, la perception des premières cotisations, dès 2003 - de ce qu'il conviendra d'étaler dans le temps en respectant, bien sûr, les orientations de ceux qui vont être amenés à payer, c'est-à-dire les actifs.
L'équilibre souhaité et attendu, comme on a pu le comprendre tout à l'heure aux propos de certains, est incontestablement au coeur même du débat. Toujours plus, oui ! Mais pensons aussi à ceux qui auront à participer financièrement. Il y a donc, je crois, un minimum de réflexions à engager.
Avec notre rapporteur, nous pensons que le Conseil supérieur des prestations sociales agricoles, faute d'un groupe de parlementaires, devrait également pouvoir travailler dans ce sens, afin d'affiner et d'améliorer ce texte initial, ce socle initial qu'il est important de voter le plus rapidement possible.
Nous vous félicitons du dépôt de cette proposition de loi, qui vient s'ajouter à l'engagement pris sur les retraites de base pour qu'elles atteignent, en cinq ans, le minimum vieillesse, complété par la retraite complémentaire permettant d'atteindre les 75 % du SMIC.
Voilà donc un nouveau socle social solide, une garantie pour l'avenir, mais vous sentez déjà, monsieur le ministre, quelle est notre conviction à aller au-delà encore !
C'est un énorme effort que nous consentons, un pas énorme que nous faisons en direction de femmes et d'hommes méritants, qui ont beaucoup donné à la société et qui attendent aujourd'hui que l'on concrétise des engagements pris par plusieurs hommes politiques.
Nous serons, sachez-le, vigilants pour que ce texte soit encore amélioré. Mais, sachez aussi que nous sommes fiers d'être là, aujourd'hui, à vos côtés, monsieur le ministre, pour soutenir et porter ce texte dans nos campagnes. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hilaire Flandre. Il n'y a jamais eu autant de collègues socialistes inscrits dans un tel débat ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas revenir sur les arguments qui nous motivent pour le vote de cette proposition de loi tendant à la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles : ils ont été développés par les intervenants qui m'ont précédé.
Je rappellerai seulement que ce texte s'inscrit dans le droit-fil des engagements pris par Lionel Jospin lors de la campagne électorale de 1997 : porter à 75 % du SMIC les retraites des cotisants non salariés agricoles.
La revalorisation des plus faibles retraites prévue sur cinq ans représente tout de même 28,5 milliards de francs !
M. Hilaire Flandre. Ajustez vos chiffres ! M. Pastor vient d'avancer celui de 21 milliards de francs.
M. Claude Domeizel. Je me bornerai surtout, dans cette intervention, à placer cette question dans le contexte plus général des retraites.
En tant que membre du conseil d'orientation des retraites, je tiens à souligner que nous devons être prudents pour toute modification du grand édifice que représentent les retraites dans notre pays : la moindre modification de l'un des régimes est susceptible de perturber l'ensemble ; j'en veux pour preuve l'exemple du calcul de la compensation, dans laquelle intervient le montant des retraites agricoles, c'est-à-dire les plus basses.
La situation est-elle toujours admissible pour les anciens exploitants ? Des mesures ont été prises, et je ne reviendrai pas, sur les chiffres. Aussi soutenons-nous cette proposition de loi.
Permettez-moi cependant de rappeler que, pour payer les 2 000 000 de retraites, les cotisations ne parviennent pas à équilibrer le régime. Sachez que, sur 100 euros que reçoit un retraité agricole, 50 euros viennent de la cotisation des actifs agricoles, 50 euros de la solidarité inter-régimes, c'est-à-dire l'Etat, le régime général et la CNRACL.
On l'a déjà dit, ce texte est une première dans l'histoire de notre pays, et ce à un double titre. Tout d'abord, nous allons créer une caisse complémentaire pour les non-salariés, ce qui, jusqu'à ce jour, n'avait jamais été fait ; ensuite, contrairement à l'esprit du système par répartition - chacun le connaît : les actifs cotisent pour les retraités -, l'Etat s'est engagé à participer financièrement dès la création.
Qui plus est, jamais, jusqu'à ce jour, ni la solidarité nationale ni la solidarité entre régimes n'avaient joué en faveur des régimes complémentaires.
Cette proposition de loi permet de satisfaire l'engagement pris par Lionel Jospin, et nous la voterons.
Mais, avant de conclure, permettez-moi de m'exprimer sur les amendements essentiels.
Sur l'article 1er, l'un de nos amendements, identique à celui de la commission des affaires sociales, réaffirme l'engagement de Lionel Jospin pris en 1997 sur les 75 % du SMIC.
Cela étant, toute réflexion faite, je suis convaincu qu'il n'est pas souhaitable que la loi encadre trop dans le détail tant le montant de la pension que le financement, notamment la participation de l'Etat. Il faudrait, nous dit-on, que cette participation soit d'un tiers. Je pense, moi, qu'il n'est pas bon de la graver dans le marbre et qu'il nous faut, au contraire, laisser de la marge, les régimes de retraites exigeant le temps long.
Je prends un exemple, celui de la retraite des hospitaliers des collectivités locales. Au moment de la création du régime, il était question d'inscrire dans les textes que la répartition serait d'un tiers pour les salariés et de deux tiers pour les employeurs. Heureusement que cela n'a été fait ni dans la loi ni dans les décrets car, sinon, M. Barre, en 1980, n'aurait jamais pu faire varier la cotisation des employeurs et, aujourd'hui, les salariés n'assureraient que 13 % du total.
S'agissant du paiement mensuel des allocations, je souscris au principe.
Personne ne comprend, en effet, pourquoi les exploitants agricoles sont les seuls à connaître des versements trimestriels. Il ne faut cepndant pas perdre de vue que le passage de quatre à douze versements est un exercice financier plus difficile qu'il n'y paraît, car ce problème, avant tout de trésorerie, se traduirait par des difficultés financières pour un an de l'ordre de 1,4 milliard d'euros. Notre rapporteur l'a d'ailleurs relevé lui-même. Permettez-moi de souligner que le BAPSA ne détient aucune réserve et qu'il doit même emprunter jusqu'à 2,210 millions d'euros pour faire face à des problèmes ponctuels de trésorerie.
Je suis tellement persuadé que le versement mensualisé est indispensable que j'avais projeté de déposer un amendement en ce sens : je proposais - pensant satisfaire tout le monde - que les retraites puissent être versées mensuellement à terme échu pour les allocataires, mais en étalant la mise en oeuvre par tranches d'âges, sur trois ans ou sur cinq ans.
J'ai renoncé à le déposer, pour ne pas avoir la responsabilité de l'échec du présent texte et parce que je pense qu'il faut aller vite.
Mes chers collègues, l'essentiel est avant tout de voter le plus rapidement possible la création d'une retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles.
Soyons raisonnables !
La première étape, le plan quinquennal, est arrivé aujourd'hui à son terme, au prix de l'effort financier considérable reconnu par les attributaires. Mettons en place ce nouvel étage, au prix d'un nouvel effort financier de la solidarité nationale.
Je crois savoir que les agriculteurs souhaitent de notre part le vote d'un texte conforme à celui de l'Assemblée nationale ce qui, dois-je le dire, honorerait la Haute Assemblée.
Les autres mesures, tout aussi indispensables, viendront dans un troisième temps.
Faisons preuve de sagesse, non pas pour nous faire plaisir, mais pour la satisfaction des exploitants agricoles, car ils attendent de nous avant tout des actes, et vite ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le ministre, le 4 décembre dernier, lors de l'examen, par le Sénat, du budget annexe des prestations sociales agricoles, j'étais intervenu, au nom du groupe de l'Union centriste, pour appeler votre attention sur l'impérieuse nécessité de mettre en place une retraite complémentaire obligatoire pour les agriculteurs, accompagnée d'une mensualisation des retraites agricoles.
Eh oui, aujourd'hui encore, les exploitants agricoles ne disposent pas de retraite complémentaire, contrairement aux artisans ! C'est l'une des raisons pour lesquelles leur retraite est très faible. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous avons demandé au Gouvernement, à maintes reprises, de porter le montant minimal de la pension pour une carrière complète de chef d'exploitation à 75 % du SMIC net.
Les exploitants agricoles constituent aujourd'hui l'une des dernières catégories professionnelles à ne pas bénéficier d'un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition. Ce problème devait être résolu : une vraie solidarité s'impose à l'égard des retraités de l'agriculture.
Le groupe de l'Union centriste ne peut donc que se féliciter aujourd'hui de voir une proposition de loi traitant de ce sujet enfin inscrite à l'ordre du jour de nos travaux. C'est que cette question préoccupe, très légitimement, l'ensemble du monde agricole, et depuis bien des années.
Ce texte est donc une avancée sociale majeure pour l'ensemble des retraités agricoles, qui bénéficient actuellement de pensions d'un niveau extrêmement bas. Toutefois, étant très incomplet, il ne peut constituer qu'une première étape.
Cette proposition de loi institue un régime obligatoire par répartition accordant des droits gratuits aux actuels retraités et aux actifs pour les périodes antérieures aux régimes. Il crée aussi un véritable « deuxième étage » de retraite pour les actuels actifs, qui pourront ainsi acquérir, en plus de la retraite de base, des droits personnels en matière de retraite complémentaire.
Cependant, il est apparu que l'Etat souhaitait limiter sa participation au financement et imposer des restrictions, puisqu'il ne veut pas s'impliquer dans les prestations servies aux veuves des chefs d'exploitation. Les veuves doivent pourtant avoir les mêmes droits que les chefs d'exploitation, et celles de ma génération ont toutes travaillé sur l'exploitation autant que leur mari.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous ne pourrons qu'apporter notre soutien à l'amendement de la commission des affaires économiques qui tend à accorder le bénéfice de cette pension de réversion à l'ensemble des conjoints survivants, y compris à ceux qui sont déjà veufs ou veuves.
Comme notre rapporteur, M. Jean-Marc Juilhard, l'a très bien fait observer, l'exclusion des veufs et des veuves actuels se justifie d'autant moins que le régime de retraite complémentaire profitera aux retraités d'avant 2003 et donnera rétroactivement des points de retraite gratuits aux exploitants agricoles ayant travaillé avant cette date.
La profession ne peut accepter une charge supplémentaire déjà importante - de l'ordre de 2,5 % des revenus professionnels - sans que l'Etat accompagne cet effort dans les mêmes proportions. Elle réclame donc un contrôle des niveaux de cotisations à travers l'intégration du régime de retraite complémentaire obligatoire au BAPSA. Cette mesure permettrait, de surcroît, une vision globale de la protection sociale des non-salariés agricoles.
La profession demande également que l'indexation de la valeur du point de retraite complémentaire sur la valeur du point du régime de base soit prévue par le texte, afin de maintenir le pouvoir d'achat des retraités, tant actuels que futurs.
Enfin, pour garder une cohérence entre les différents régimes de retraites agricoles - régime de base, régime complémentaire obligatoire et dispositions actuelles relatives aux régimes complémentaires par capitalisation - la profession demande que l'assiette des cotisations soit plafonnée à trois fois le plafond de la sécurité sociale.
Elle estime, en effet, que ce nouveau « deuxième étage » du régime de retraite agricole n'a pas vocation à se substituer à tous les systèmes complémentaires. De plus, elle fait observer que le régime aurait une charge trop importante s'il devait servir des droits sans limitation de cotisations, et que ce n'est ni son rôle ni sa raison d'être. Au-delà d'un certain seuil, la profession estime que la retraite complémentaire ne peut être que du ressort d'un régime volontaire.
En fait, cette proposition de loi, qui était prometteuse par son intitulé, est, dans son contenu, assez décevante, car très incomplète. Le régime proposé est en effet institué au bénéfice des seuls chefs d'exploitation ou d'entreprise agricoles, laissant ainsi de côté les conjoints et les aides familiaux.
Par ailleurs, le texte proposé par le Gouvernement ne prévoit pas la mensualisation des versements, alors que cette mesure est réclamée par les agriculteurs retraités depuis des années, ce qui est très compréhensible.
Enfin, comme l'ont très bien fait observer nos deux rapporteurs, il faut déplorer que ce texte ne soit qu'une loi pour l'instant virtuelle, puisqu'elle ne doit entrer en vigueur que dans un an, le 1er janvier 2003, et surtout parce que le Gouvernement n'a même pas précisé le montant envisagé de la participation de l'Etat, ce qui ne pourra être fait que lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2003.
Dans le contexte actuel des élections nationales, le Parlement va interrompre ses travaux le 22 février, c'est-à-dire à la fin de la semaine prochaine. Nous n'avons donc que très peu de temps pour débattre de cette importante question de la retraite des agriculteurs.
Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même avons bien compris qu'il est nécessaire, dans l'intérêt des agriculteurs, de trouver rapidement, avant même la fin de cette session parlementaire, un consensus entre le Sénat et l'Assemblée nationale pour qu'un certain nombre de mesures soient définitivement votées.
En conséquence, la commission des affaires sociales a pris la fort sage décision de conserver le cadre financier de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale, souhaitant qu'une première étape soit enfin acquise.
S'agissant de la mensualisation des pensions de base, nous avons pris acte de l'engagement du Gouvernement de déposer un rapport pouvant permettre d'éclairer le débat. Nous souhaitons que ce dépôt soit fait avant l'examen du prochain BAPSA pour 2003, afin que le Sénat puisse en débattre dès cet automne.
La mensualisation des retraites agricoles, qui font actuellement l'objet d'un versement trimestriel, pourrait être envisagée à partir d'un seuil minimum, afin d'éviter des surcoûts de gestion.
Pour l'heure, nous voterons l'amendement de la commission des affaires économiques qui tend à prévoir une mensualisation du paiement des pensions de retraite complémentaire.
Nous souhaitons également que la seconde étape prévoie l'extension de la couverture à toutes les catégories, y compris aux conjoints et aux aides familiaux. Un réel effort de solidarité est donc nécessaire.
Vous pouvez comptez sur moi, monsieur le ministre, pour que cette question figure au centre de nos débats dès cet automne, lors de l'examen du budget annexe des prestations sociales agricoles pour 2003.
Mes collègues de l'Union centriste et moi-même apporterons notre soutien aux amendements de la commission des affaires sociales et de la commission des affaires économiques, qui améliorent, dans la mesure du possible, le texte adopté par l'Assemblée nationale. Il ne nous est pas possible d'aller au-delà aujourd'hui, notamment en matière de mensualisation du régime de base.
Nous souhaitons que ce texte puisse être adopté conforme par nos collègues députés ou fasse l'objet d'un accord en commission mixte paritaire, afin que ses dispositions, qui intéressent au premier chef tous nos amis agriculteurs, soient adoptées avant le 22 février prochain. C'est ce qui s'appelle une collaboration constructive du Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR et sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui deux propositions de loi ayant le même objet, même si leur contenu diverge sur plusieurs points. Elles visent toutes deux à créer un régime de retraite complémentaire obligatoire, répondant ainsi à une vive préoccupation du monde agricole. Elles ont vocation à permettre que les pensions atteignent au minimum 75 % du SMIC. Je défendrai d'ailleurs un amendement posant expressément ce principe.
En effet, en dépit d'une contribution déterminante à la richesse nationale depuis des décennies, les pensions de retraite versées aux agriculteurs sont - on le sait - les plus basses des régimes d'assurance vieillesse.
Il n'est pas étonnant, en conséquence, que près du tiers des bénéficiaires de l'allocation supplémentaire du fonds de solidarité vieillesse soient des agriculteurs.
Il convient de rappeler que cet état de fait s'explique par le double choix effectué en 1952 par le monde agricole, lors de la création du régime d'assurance vieillesse : les agriculteurs avaient souhaité ne pas être intégrés au régime général et avaient choisi des cotisations peu élevées, ne donnant bien évidemment droit qu'à des prestations faibles.
Or, si les agriculteurs, comme l'ensemble des non-salariés, ont longtemps pu bénéficier de la vente de leur exploitation, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il semble donc opportun de mettre en place un dispositif équilibré de retraite complémentaire, d'autant que les perspectives démographiques nous le permettent. C'est là un point important.
Le rapport démographique du régime des exploitants agricoles est très particulier. En effet, il ne devrait guère se dégrader au cours des vingt prochaines années, passant de 0,4 à 0,37, contrairement aux rapports démographiques du régime général et des régimes spéciaux. Il restera très déséquilibré pendant de nombreuses années, mais les besoins de financement diminueront en fonction du nombre de retraités, qui devrait être divisé par deux d'ici à 2040.
Cette période de stabilisation démographique semble donc extrêmement favorable à l'instauration d'un régime complémentaire obligatoire de retraite par répartition.
Quant au volet financier, il est bien évidemment essentiel. Le régime mis en place doit répondre à deux enjeux : un coût de mise en route élevé et une participation de l'Etat pérenne.
Il n'est pas besoin de chercher plus loin pour connaître les raisons du retard qui a été pris dans l'élaboration d'un tel régime complémentaire.
Pour autant, sa mise en place semble faire l'unanimité.
A l'occasion d'un colloque sur les retraites agricoles, organisé à l'Assemblée nationale le 12 octobre 1998, Mme Gros, présidente de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole, s'était prononcée pour le principe d'un régime de retraite complémentaire obligatoire. En outre, comme M. le rapporteur l'a rappelé, le congrès de la FNSEA avait approuvé, en mars 1999, le projet de création d'un régime complémentaire obligatoire.
Le Parlement avait pris ses responsabilités à l'occasion de l'adoption de la loi d'orientation agricole.
Comme le texte du projet de loi ne contenait initialement aucune disposition relative à un échéancier de revalorisation des retraites agricoles, un article prévoyant le dépôt d'un rapport sur les retraites agricoles avait été finalement adopté.
Rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales à l'époque, j'avais été à l'origine de l'introduction de deux précisions concernant l'étude des possibilités juridiques et financières de la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles et la présentation des modalités de financement des différentes mesures qui étaient proposées.
Le Gouvernement a toujours fait preuve d'une grande prudence sur la mise en place d'un régime complémentaire obligatoire, même s'il en a approuvé très tôt le principe. En effet, le 24 octobre 2000, vous vous êtes engagé d'une manière plus précise devant les organisations professionnelles, monsieur le ministre.
Toutefois, le rapport demandé par le Parlement, enfin publié en janvier 2001, était, pourrait-on dire, d'une timidité maladive, ne prévoyant rien quant au financement, ni au regard du calendrier.
Cela explique que nous soyons saisis aujourd'hui non pas d'un projet de loi du Gouvernement mais de deux textes d'initiative parlementaire.
Je ne reviendrai pas sur le nouveau régime que ces textes visent à créer. Le groupe du Rassemblement pour la République en approuve à la fois les objectifs et le contenu.
Je souhaite m'attarder, en revanche, sur quelques problèmes auxquels les textes n'apportent pas de réponse.
Tout d'abord, le cas particulier des conjoints survivants me préoccupe.
L'exclusion des personnes perdant leur conjoint chef d'exploitation avant le 1er janvier 2003 paraît injuste et inéquitable. Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur. Ainsi, à quelques jours près, deux veuves ne percevront pas la même pension, alors que les droits acquis pourraient être similaires. Il est nécessaire de rechercher une solution, surtout dans les cas où les conjoints survivants n'ont aucun autre droit propre à la retraite. Un amendement déposé par notre collègue Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques, permettra de soulever cette question lors de la discussion des articles.
Un autre problème se pose pour les veuves monopensionnées qui reprennent l'exploitation au décès de leur époux, en attendant de la transmettre à un enfant en âge d'être lui-même chef d'exploitation. Alors que les époux auraient pu prétendre, de leur vivant, à une retraite complémentaire, les veuves cotisent elles-mêmes pendant quelques années sans acquérir aucun droit puisque leur carrière à titre personnel est trop courte. Il paraît donc équitable qu'elles puissent bénéficier, sous certaines conditions à définir, d'une prestation du régime de retraite complémentaire à titre partiel.
J'ai donc déposé, avec plusieurs de mes collègues, un amendement allant dans ce sens.
Permettez-moi d'aborder, à mon tour, le problème de la mensualisation du versement des pensions.
Le régime agricole est désormais le seul régime vieillesse à servir des pensions de retraite trimestrielles. Les régimes vieillesse des artisans et des commerçants ont opté tout récemment pour la mensualisation.
La sociologie rurale montre une évolution qu'il convient de prendre en compte. La revalorisation des retraites agricoles explique également que la mensualisation devienne désormais une priorité.
La Caisse centrale de la mutualité sociale agricole a étudié le coût financier de la mensualisation des retraites agricoles. En effet, la mensualisation représente une charge de trésorerie importante l'année de sa mise en oeuvre, puisque les pensions sont actuellement versées à trimestre échu. Ce coût a été estimé à 8,8 milliards de francs. Il serait naturellement moins élevé si seules les pensions supérieures à un seuil minimum faisaient l'objet d'un versement mensuel.
Mais nous pouvons d'ores et déjà prévoir une telle disposition, comme le propose M. Gérard César, et je ne peux que l'approuver. Il s'agirait ainsi d'une première étape.
Enfin, le problème central reste celui du financement. En effet, la principale difficulté posée par la création d'un régime complémentaire obligatoire - et cela explique probablement le retard du Gouvernement à présenter des propositions - tient au financement du dispositif.
Or la viabilité de ce régime dépend de notre capacité à poser aujourd'hui des bases solides pour asseoir son équilibre financier.
Si les différents régimes complémentaires créés chez les salariés et chez les non-salariés reposent sur le seul effort des futurs bénéficiaires, il paraît difficile d'imposer aux agriculteurs, qui supportent déjà des charges importantes, une contribution supplémentaire de grande ampleur. Tous les intervenants l'ont dit, la participation de l'Etat s'impose.
Or la participation financière de l'Etat, qui est définie en loi de finances, ne peut et ne doit pas dépendre de dotations aléatoires qui remettraient en cause la pérennité du régime.
De plus, il est prévu que cette participation ne pourra aucunement couvrir les dépenses afférentes aux pensions de réversion de retraite complémentaire versées pour les conjoints survivants. Au-delà de la complexité comptable qu'entraîne une telle précision, elle est choquante parce que la prise en charge de cette dépense devrait relever de la solidarité, donc de l'Etat, et non pas des seuls actifs. Nous soutiendrons bien évidemment la position prise par nos deux commissions sur ce dossier.
Quant aux cotisations des agriculteurs, leur montant doit être limité, afin de tenir compte des capacités contributives d'une catégorie professionnelle déjà fortement éprouvée par des crises successives, ainsi que par des charges sociales et fiscales particulièrement lourdes.
Enfin, la création de ce régime n'est pas exclusive d'un effort individuel des agriculteurs, à travers le régime par capitalisation dont ils bénéficient déjà. Il faut toutefois préciser que la très grande majorité des produits financiers présents sur le marché ne semble pas correspondre à leurs besoins.
Pour conclure, j'indique que le groupe du Rassemblement pour la République votera la présente proposition de loi amendée par la Haute Assemblée, afin qu'elle permette un réel progrès social pour l'ensemble du monde agricole. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale, la création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire en faveur des non-salariés agricoles est très attendue des agriculteurs.
Chacun s'accorde à reconnaître que, en la matière, les chefs d'exploitation agricole ont été exclus du progrès social dont ont pu graduellement bénéficier l'ensemble des autres catégories socioprofessionnelles.
Faire accéder cette catégorie sociale à des conditions décentes de retraite constitue donc une impérieuse nécessité, d'autant plus que, dans la majorité des cas, la retraite intervient après une longue vie de dur labeur. Pour nombre d'exploitants agricoles, en effet, les quarante années de travail effectif sont largement dépassées !
Comment ne pas souligner aussi l'extraordinaire mutation qu'a connue notre secteur agricole depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? En quelques décennies, le travail des agriculteurs s'est fortement complexifié, exigeant simultanément le recours aux technologies nouvelles, à des fins de rationalisation du travail, et aux biotechnologies, facteurs d'accroissement de la productivité agricole.
On ne peut, dès lors, que regretter que les performances techniques accrues n'aient pas eu leur traduction en termes de revenus, comme juste reconnaissance du relèvement des qualifications. La faiblesse actuelle des pensions de retraite est évidemment révélatrice à cet égard !
Par leur travail, nos paysans auront permis à la France non seulement d'accéder en quelques décennies à l'autosuffisance alimentaire, mais aussi de devenir la deuxième puissance exportatrice de produits agroalimentaires.
Chacun a donc conscience des efforts, tant quantitatifs que qualitatifs, qu'ils ont dû consentir depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, efforts qui, comme le soulignait le 11 décembre dernier, lors du débat à l'Assemblée nationale, mon collègue et ami Félix Leyzour, créent des droits et justifient la reconnaissance de la nation.
Je ne reviendrai pas sur l'évolution des retraites au cours de cette législature, bien qu'on mesure facilement le chemin qu'il reste encore à parcourir : peut-on vivre dignement aujourd'hui avec des pensions aussi modestes ? Le niveau actuel des retraites, qui représente tout juste un minimum de subsistance, ne peut qu'engendrer privations et frustations de toutes sortes devant les nouveaux besoins suscités par la vie moderne.
Les membres des générations présentes ne vivent plus comme les anciens qui, bon gré mal gré, trouvaient place dans l'exploitation qu'ils avaient cédée à leurs enfants et au sein de laquelle ils continuaient à participer à divers travaux de la ferme. Outre le fait que, dans bien des cas, les exploitations ne sont plus reprises par les enfants, les modes de vie agricoles ont fortement évolué, se rapprochant de ceux des autres catégories socioprofessionnelles.
Il était urgent, dans un souci de justice sociale, de franchir une étape supplémentaire.
Cette proposition de loi devrait donc permettre aux chefs d'exploitation retraités de compléter à hauteur de 74 euros le montant de leur pension de base, qui atteindra ainsi 75 % du SMIC net, soir 641 euros, c'est-à-dire 4 207 francs. C'est mieux qu'auparavant, mais c'est encore insuffisant !
Je ne peux que rappeler la position constante de notre groupe, qui n'a eu de cesse de réclamer, quelle que soit la majorité en place, une revalorisation permettant de porter le montant de la retraite des non-salariés agricoles à 75 % du SMIC brut à l'horizon de 2002. Dès l'examen du projet de loi de finances pour 1999, nous avions souhaité que les pensions des autres catégories atteignent le minimum de 3 000 francs.
Nous nous sommes donc toujours battus en faveur de la revalorisation des pensions de base, toutes catégories d'actifs agricoles confondues. La mise en place d'un système de retraite complémentaire représente certes une avancée, mais il n'en demeure pas moins que l'augmentation du montant des pensions de base doit demeurer au nombre des objectifs prioritaires.
Nous regrettons également que les conjoints d'exploitants, qui sont principalement des femmes, soient exclus du bénéfice du nouveau régime. Ils contribuent pourtant, à l'égal du chef d'exploitation, à assurer les revenus de cette dernière. C'est donc là une véritable injustice qu'ils subissent, un grave retard qui subsiste à l'heure de la parité entre hommes et femmes ! Dans ce domaine-là aussi, nous attendions des avancées notables.
Il devient, en outre, urgent de remédier à une autre injustice sociale, qui voit les agriculteurs exclus du bénéfice de la mensualisation. Les coûts qui résulteraient de l'instauration de cette mesure seraient certes importants, puisqu'ils sont estimés à environ 8,8 milliards de francs. Les obstacles à la mensualisation sont multiples. A cet égard, la MSA devrait se séparer d'une trésorerie importante, qu'elle sait bien gérer et valoriser.
Si la proposition de loi de notre collègue Gérard César est ambitieuse et généreuse,...
M. Gérard César, rapporteur pour avis. Merci !
M. Gérard Le Cam. ... un mystère demeure cependant : pourquoi un tel texte n'a-t-il pas vu le jour lorsque la droite était au gouvernement ? (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Gérard César, rapporteur pour avis. La gauche y est depuis si longtemps !
M. Gérard Le Cam. Pour les nombreuses raisons que j'évoquais tout à l'heure, la solidarité nationale à l'égard du monde agricole devrait être plus affirmée, d'autant que le nombre des actifs a fortement diminué par rapport à celui des retraités, si bien que l'on ne compte plus, aujourd'hui, que quatre actifs pour dix retraités.
Limité à environ 182 millions d'euros, soit 1,2 milliard de francs, selon l'hypothèse la plus haute avancée par M. le rapporteur, le montant de la participation de l'Etat compromet d'ores et déjà, par son insuffisance, l'extension du régime complémentaire aux conjoints collaborateurs et aides familiaux, ainsi qu'à l'ensemble des actuels conjoints survivants par le biais des pensions de réversion. Celle-ci entraînerait en effet un alourdissement des cotisations, auquel seraient bien incapables de faire face les non-salariés agricoles aux revenus les plus modestes. Or on sait que le nombre de ces derniers s'est fortement accru ces dernières années !
Une récente enquête de l'Institut national de la recherche agronomique souligne en effet que, au cours des dix dernières années, les inégalités de revenus ont nettement progressé dans le secteur agricole.
Actuellement, 40 % des exploitations dégagent un revenu par actif familial à temps complet inférieur au SMIC. Au nombre de celles-ci figurent les petites exploitations qui se sont excessivement endettées en tentant d'accroître leur productivité et celles, faiblement modernisées, qui n'ont pu s'inscrire dans le modèle productiviste, ainsi que les exploitations concernées par des marchés faiblement organisés ou sur lesquels les prix connaissent d'importantes fluctuations : maraîchage, arboriculture, élevage porcin, aviculture, viticulture ordinaire - je vise bien sûr ici les exploitations les plus fragiles de cessecteurs.
Dans un tel contexte, les petites exploitations, pourtant essentielles en termes d'aménagement du territoire, peinent à subsister et à dégager un revenu convenable, les marges étant d'ailleurs souvent accaparées par la filière aval, tout particulièrement par la grande distribution.
Si la solidarité nationale doit jouer, la solidarité doit aussi s'exercer à l'intérieur de la profession agricole.
De ce point de vue, le financement du nouveau régime de retraite complémentaire soulève de nombreuses interrogations. Il n'est, en tout cas, pas tolérable que les plus faibles revenus soient soumis à une surcotisation et il est nécessaire que le montant de l'aide de l'Etat soit dégressif à raison de l'importance du revenu. Rappelons à cet égard que les exploitants aux revenus les plus élevés peuvent se constituer une retraite complémentaire par capitalisation, alors que l'on sait que la retraite des exploitants à faibles revenus sera très modeste.
A titre d'exemple, un revenu annuel de 35 000 francs, soumis à la cotisation forfaitaire, engendrerait une cotisation réelle de 7,2 %. Or le revenu de plus d'un tiers des exploitants agricoles se situe en dessous de ce niveau. Un revenu annuel de 20 000 francs entraînerait, quant à lui, une cotisation réelle de 12,6 %, et un revenu annuel de 10 000 francs une cotisation réelle de 25 %. A l'autre extrêmité de l'échelle des revenus, soit pour la tranche des revenus supérieurs à 2 028 fois le SMIC horaire, la contribution réelle serait fixe et limitée à 2,84 % !
Parallèlement, la contribution de l'Etat par individu progressera en fonction de l'importance croissante des revenus. S'agissant de la tranche des revenus élevés, la participation de l'Etat ne devrait plus intervenir, au titre de l'allégement des cotisations, pour les revenus supérieurs au plafond de la sécurité sociale.
Devons-nous encore ajouter que les revenus les plus élevés bénéficient de déductions fiscales non négligeables, dont ne peuvent évidemment pas profiter les revenus les plus modestes, au rang desquels figurent évidemment les revenus non imposables ?
J'attends, monsieur le ministre, des éclaircissements de votre part sur ces anomalies.
Le nouveau système ne profite pas à l'ensemble des non-salariés agricoles - nous aurons l'occasion d'y revenir lors de la discussion des amendements que nous avons déposés - et, de plus, son mécanisme, assis sur une cotisation forfaitaire pour les revenus inférieurs à 2 028 fois le SMIC horaire et sur une cotisation à taux fixe de 2,84 % pour les tranches de revenus supérieurs à ce même seuil, est particulièrement inégalitaire !
Le taux de cotisation n'étant pas définitivement établi, je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous tiendrez compte de mes remarques, afin d'opérer les ajustements nécessaires à une plus grande justice sociale.
Soumettre les revenus les plus faibles à une cotisation forfaitaire qui se traduirait, dans les faits, par une surcotisation constituerait, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une grave aberration, que le groupe communiste républicain et citoyen ne saurait cautionner.
Nous voterons, bien sûr, cette proposition de loi qui devrait permettre aux chefs d'exploitation de bénéficier d'une retraite d'un montant un peu plus digne. C'est un pas en avant, et nous ne sommes pas des partisans de la politique du tout ou rien ! Nous veillerons cependant à ce que certaines corrections puissent être apportées au mécanisme de base de ce nouveau régime de retraite complémentaire par répartition.
Par ces propos, nous avons souhaité, monsieur le ministre, souligner les efforts réels consentis par un gouvernement de gauche en faveur des retraites agricoles au cours de cette législature.
Nous considérons cependant qu'il ne s'agit que d'une étape : les insuffisances en matière de niveau de retraite, de parité et de proportionnalité contributive sont assez éloquentes pour que nous puissions mesurer le chemin qui reste à parcourir. Les solidarités de l'Etat, de la profession et de l'aval de la filière agricole devront de nouveau être sollicitées pour que, demain, le monde des agriculteurs ne soit plus un monde à part. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. Paul Raoult. Très bien !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je serai bref, car si nous pouvions achever l'examen de ce texte avant la suspension de la séance pour le dîner, cela nous permettrait d'éviter de le reprendre à une heure avancée de la nuit.
Je voudrais, en préambule, rendre hommage à deux personnalités issues du même département, la Dordogne.
Mes pensées les plus chaleureuses iront d'abord à M. Bouyou, qui a été pendant de longues années responsable de l'Association nationale des retraités agricoles de France. Son état de santé lui a interdit d'assister aujourd'hui, comme il l'aurait souhaité, à notre débat, qui touche de près à la lutte qu'il a menée durant des décennies. Qu'il reçoive ici, dans l'épreuve qu'il traverse, le témoignage de notre solidarité.
Je voudrais également rendre hommage à un parlementaire, M. Germinal Peiro. Sans doute jugera-t-on curieux que je fasse l'éloge d'un député devant la Haute Assemblée,...
M. Hilaire Flandre. Il sera peut-être sénateur un jour ! (Sourires.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. C'est tout le mal que je lui souhaite ! (Nouveaux sourires.)
... mais le rapport qu'il a rédigé se trouve à l'origine de tous nos travaux, lesquels ont débouché sur le dépôt de cette proposition de loi.
Je répondrai maintenant rapidement à certains des propos qui ont été tenus au cours de la discussion générale.
Je passerai, avec le sourire, sur les accusations d'électoralisme. En effet, en tant qu'élu, je n'ai jamais compris ce terme de façon péjorative : si l'on appelle « électoralisme » la démarche qui consiste à répondre aux attentes de nos électeurs, va pour l'électoralisme !
M. Paul Raoult. Très bien !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Après tout, des centaines de milliers d'agriculteurs retraités nous demandent avec force de persister dans la voie que nous avons empruntée, et si les écouter revient à faire de l'électoralisme, alors je suis électoraliste !
Par ailleurs, je dirai, là encore avec le sourire, à M. César, avec qui mes relations sont toujours courtoises, que, si cet électoralisme était aussi partisan qu'il semble le penser, il ne s'apprêterait pas à voter, comme il l'a annoncé, cette proposition de loi. Cet électoralisme-là, vous êtes disposé à le partager ! Tant mieux, je m'en réjouis ! (Rires et applaudissements sur les travées socialistes.)
Pour en revenir au fond du débat, les différents orateurs ont soulevé des problèmes financiers et d'articulation du dispositif que je comptais aborder à l'occasion de l'examen des amendements.
Si nous dotons les exploitants agricoles d'un régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition, ils bénéficieront d'une amélioration de leurs droits à retraite en contrepartie d'un effort contributif équivalent à celui des autres catégories socioprofessionnelles. Le montant total de leurs retraites, pensions de base et pensions complémentaires confondues, pourra alors atteindre au moins 75 % du SMIC net. Cela correspond justement à ce que M. Bouyou et ses amis avaient demandé et à l'engagement que nous avions pris : à cet instant, je veux affirmer clairement que nous tiendrons cet engagement, par le biais de la proposition de loi dont nous débattons ce soir.
Toutefois, cela pose des problèmes financiers. Comme cela s'est déjà pratiqué à l'occasion de la création d'autres régimes de retraite complémentaire, nous avons prévu de verser des points, sans contrepartie de cotisations, aux chefs d'exploitation actuellement retraités, qu'il me paraissait tout à fait inenvisageable - je pense que vous serez tous d'accord avec moi sur ce point - d'exclure du bénéfice de cette avancée sociale.
Lors du débat à l'Assemblée nationale, le Gouvernement, soucieux de la viabilité de ce nouveau régime dans un contexte de profonde dégradation démographique du régime social agricole, avait introduit un amendement prévoyant la contribution financière de l'Etat à son équilibre, dans des conditions qui seront fixées par la loi de finances.
A cet égard, s'agissant de la répartition de l'effort à consentir, M. Domeizel a eu raison d'indiquer que, si nous définissions d'une manière trop contraignante les éléments du dispositif, les évolutions à venir risqueraient de nous prendre en défaut. J'ajoute - et je m'adresse à des parlementaires animés de la volonté de contrôler l'action du Gouvernement - que, à partir du moment où nous prenons l'engagement que le montant de la contribution de l'Etat à ce régime de retraite complémentaire obligatoire par répartition sera soumis à un vote annuel lors de l'examen du projet de loi de finances, vous avez l'assurance que les mesures arrêtées n'échapperont pas à votre contrôle et seront adaptées à la situation, ce qui me paraît très important.
Le champ de ce régime doit être défini au regard des contraintes de financement, qui s'imposeront aux exploitants agricoles redevables de cotisations aussi bien qu'à l'Etat. Sur ce plan, je n'en appellerai pas à la rigueur et à la nécessité d'éviter une éventuelle dégradation des finances publiques, car je pense que ce point fait l'objet d'un consensus entre nous ; mais je voudrais attirer l'attention du Sénat sur le fait que l'effort contributif que pourront supporter les exploitants actifs a une limite. C'est pourquoi je suis convaincu que, dans le cadre qui nous est fixé, il n'est pas possible d'ouvrir le bénéfice au-delà des chefs d'exploitation. On peut en rêver, et j'en rêve moi-même, mais imaginez l'effort contributif exceptionnel que cela imposerait aux exploitants aujourd'hui en activité ! Il faut donc être raisonnable.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit également l'existence d'une pension de réversion pour les veuves de chef d'exploitation pour lequel la retraite aurait été liquidée après 2003. Cependant, le financement de cette réversion demeure intégralement à la charge des cotisants du régime.
Enfin, j'en reviens au dernier point, c'est-à-dire le souci de parité et d'amélioration des droits à retraite des conjoints.
Le Gouvernement ne peut qu'être sensible à cette revendication. Je veux tout de même rappeler que c'est ce Gouvernement qui a proposé la création du nouveau statut de conjoint exploitant, dans la loi d'orientation agricole de 1999, que ce statut revalorise les droits à retraite de ces conjoints, que 80 % des titulaires de l'ancien statut de conjoint participant aux travaux ont opté pour le nouveau statut depuis 1999 et que, par ailleurs, comme je l'ai souligné, les conjoints constituent une composante à part entière des populations visées par le plan de revalorisation pluriannuel des retraites de base. Par conséquent, un effort considérable a déjà été fait.
Toutefois, l'intégration de cette catégorie, à ce stade de création du régime, n'est, là encore, pas financièrement concevable, sauf à envisager un doublement du taux de cotisation, que refusent, je vous le dis clairement, les organisations professionnelles agricoles, que vous avez sans doute vous aussi consultées.
Dès le vote de la loi - qui prévoit l'application du nouveau régime au 1er janvier 2003, soit dans moins d'un an - donc, je l'espère, dans les jours à venir, nous élaborerons, en concertation étroite avec l'ensemble des acteurs concernés, les décrets permettant de définir les paramètres de fonctionnement du nouveau régime, le taux de cotisation et le montant des prestations. La fixation de ces paramètres devra, bien sûr, logiquement tenir compte d'un taux de rendement le plus proche possible des autres régimes de retraite complémentaire. La définition de ces paramètres sera menée de front avec la fixation du montant de la participation financière de l'Etat, dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2003, ainsi que je l'ai expliqué tout à l'heure.
Telles sont les réponses que je souhaitais vous apporter à la fin de la discussion générale, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de mieux éclairer la discussion des articles. Sur ces bases, nous devrions parvenir très rapidement à un texte de compromis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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