SEANCE DU 13 FEVRIER 2002


DÉMOCRATIE DE PROXIMITÉ

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la démocratie de proximité (n° 192, 2001-2002).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte présenté par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la démocratie de proximité est un texte de compromis, mais l'essentiel des principes défendus tout au long de la première lecture par le Sénat a été respecté.
Ce texte porte donc incontestablement l'empreinte de notre assemblée et il reflète la plupart des souhaits et préoccupations exprimés au cours du mois de janvier dernier dans cet hémicycle.
A cet égard, je souhaite rappeler les quelques principes qu'au nom de la commission des lois j'avais soulignés, le 8 janvier, en introduction à notre débat.
Premier principe : préserver, en toutes circonstances, la primauté de la démocratie élective par rapport à une démocratie participative, ce qui ne veut pas dire que nous ne soyons pas ouverts, bien au contraire, à la concertation et à la discussion permanente avec le monde associatif.
Deuxième principe : respecter la diversité des collectivités locales, notamment les expériences acquises en leur sein, afin d'éviter de plaquer sur l'ensemble un même schéma uniforme.
Troisième principe : assurer une plus grande égalité des citoyens face aux fonctions électives. Tel fut l'objet du débat concernant le statut des élus.
Quatrième principe : confirmer le rôle de la commune dans l'édifice institutionnel français. C'est le point qui avait le plus préoccupé les intervenants, émanant de tous les groupes. Sur ce plan aussi, les conclusions de la commission mixte paritaire reflètent la volonté de l'immense majorité des sénateurs.
Enfin, cinquième et dernier principe : assurer une meilleure lisibilité des transferts de compétences aux collectivités territoriales. Nous nous sommes engagés dans la voie d'une plus grande clarté.
Dès lors se posaient au Sénat un certain nombre de questions que j'évoquerai rapidement.
Première question : le Sénat devait-il laisser à d'autres le soin d'adopter le statut de l'élu, pourtant voté voilà un an déjà, ici-même, sur le rapport de notre collègue Jean-Paul Delevoye ? En prenant notre part dans le vote de ce statut, nous restons simplement logiques avec nous-mêmes par rapport à la position adoptée voilà un an.
Deuxième question : fallait-il rester à l'écart d'un processus de décision supprimant le recours au suffrage universel direct pour l'élection des conseils intercommunaux ? Dans les circonstances actuelles, le Sénat devait, me semble-t-il, être partie prenante et, à cet égard, les conclusions de la commission mixte paritaire portent également son empreinte.
Troisième question : fallait-il renoncer à élaguer l'essentiel de dispositions contraignantes et fastidieuses alourdissant le fonctionnement des collectivités territoriales ? Le Sénat devait également être partie prenante à cet effort de simplification.
Enfin, quatrième question : fallait-il hésiter à introduire davantage de lisibilité dans l'organisation des services départementaux d'incendie et de secours et à redonner aux sapeurs-pompiers volontaires, au côté des sapeurs-pompiers professionnels, la place juste et irremplaçable qui doit leur revenir ? Sur ce plan, nous devons nous en tenir, dans nos commentaires et dans nos explications, au texte qui résulte de nos travaux, et non aux rumeurs et interprétations déformantes de la réalité que, parfois, nous avons pu lire au cours des dernières semaines.
La réponse à toutes ces questions s'impose d'elle-même : je pense, en mon âme et conscience, que le Sénat ne peut rester à l'écart d'un processus législatif qui concerne le fonctionnement et l'avenir des collectivités territoriales.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de formuler quelques souhaits pour l'avenir, après le débat, certes très long, mais nécessaire, auquel a donné lieu l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité.
Tout d'abord, il faudra éviter, et ce quel que soit le Gouvernement, de déclarer l'urgence pour des textes relatifs aux collectivités territoriales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.) En fait, c'est la commission mixte paritaire qui a été conduite à accomplir le travail de deuxième lecture. Tirons les leçons de cette expérience et ne la renouvelons pas !
Ensuite, il faudra également éviter, s'agissant des collectivités territoriales, d'élaborer des textes trop multiformes, qui entraînent de longs débats. La nature des problèmes extrêmement différents qui figuraient dans ce projet de loi nous a amenés à avoir des discussions générales à répétition, discussions approfondies qui s'avéraient nécessaires.
Enfin, il faudra que l'on apprenne à prendre davantage en considération les initiatives du Sénat. Le Sénat est une assemblée qui a l'habitude, en particulier s'agissant des collectivités territoriales, de faire son travail avec sérieux, en approfondissant les problèmes, en nourrissant leur examen de l'expérience acquise par les uns et par les autres ; je pense, en l'occurrence, au texte relatif au statut de l'élu, que le Sénat a adopté voilà un an. N'eût-il pas mieux valu, il y a quelques mois déjà, inciter l'Assemblée nationale à s'engager dans ce débat ?
M. Josselin de Rohan. Ce n'était pas leur idée !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Je voudrais enfin, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout ayant été dit au cours d'une longue mais sérieuse première lecture, vous adresser un certain nombre de remerciements.
Je veux vous remercier, monsieur le ministre, car nous avons pu avoir avec vous un dialogue franc et sans concessions.
M. Joseph Ostermann. Sans concessions, oui !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. Je veux également remercier les trois rapporteurs pour avis, Patrick Lassourd, Michel Mercier et Xavier Darcos, pour la contribution essentielle qu'ils ont apportée à ce débat.
Je veux encore remercier les très nombreux intervenants, sur l'ensemble des travées, que ce soit dans un esprit constructif ou dans un esprit critique, car l'un et l'autre sont nécessaires pour aboutir à des conclusions positives, d'avoir, chacun à leur manière et avec leur tempérament propre, contribué à enrichir le débat.
Je veux enfin remercier le président de la commission des lois, qui a apporté sa compétence et ses convictions à un débat qui, je l'espère, sera clos ce soir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 25 juin 2001, après plusieurs journées de débat, a également été adopté, modifié, par le Sénat, le 24 janvier dernier, à l'issue, là encore, de plusieurs semaines de débat.
Les 179 articles issus des travaux du Sénat ont fait l'objet d'un examen minutieux par les quatorze membres de la commission mixte paritaire, qui, le 29 janvier, sont parvenus à un accord sur les 150 articles restant en discussion, 18 articles ayant auparavant fait l'objet d'un vote conforme des deux chambres.
L'Assemblée nationale a adopté ce texte le 5 février dernier. Le Gouvernement se réjouit de cet accord, qui permettra, à l'issue de l'adoption définitive, dès ce soir, je l'espère, de mettre en oeuvre dans les meilleurs délais des dispositions qui sont d'autant plus attendues par les élus locaux qu'elles sont susceptibles de résoudre nombre de problèmes qui se posent à eux. J'y reviendrai, brièvement, je vous rassure. (Sourires.)
Cet accord, me semble-t-il, comme tout bon accord, permet de concilier les souhaits de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que les objectifs et la philosophie qui sous-tendaient le projet de loi initial du Gouvernement.
Si les apports de l'Assemblée nationale et du Sénat, apports que j'avais salués et reconnus au moment de l'examen du texte par chacune des deux assemblées, ont enrichi ce texte, il n'en reste pas moins vrai que les dispositions essentielles du projet de loi, son noyau dur, en quelque sorte, ont été approuvées par la commission mixte paritaire.
Première traduction législative de la nouvelle étape de la décentralisation, ce projet de loi a en effet pour objet d'approfondir la démocratie locale par la mise en oeuvre, notamment, de nombre des 154 propositions du rapport Mauroy et d'organiser, comme je m'y étais engagé personnellement, certains transferts de compétences, essentiellement au bénéfice des collectivités régionales.
Je me réjouis, de ce fait, de constater qu'un bon nombre de ces dispositions, parfois assouplies dans leurs modalités, mais avec mon consentement exprès ou implicite, ont été approuvées par les sénateurs comme par les députés, au moment de la commission mixte paritaire.
Je rappelle brièvement qu'il s'agit, notamment, de l'institution des conseils de quartier, obligatoire à compter de 80 000 habitants et facultative entre 20 000 et 80 000 habitants. Dans ce dernier cas, d'ailleurs, il sera possible de bénéficier de dispositions incitatives, telle l'instauration d'adjoints de quartier. Je tiens à rappeler très clairement, à cet égard, que les expériences en cours, qui correspondent à l'objectif de ce projet de loi de faire mieux participer les habitants aux décisions qui les intéressent, et ce quelle que soit la dénomination retenue, pourront être considérées comme satisfaisant aux dispositions de ces articles.
Au-delà des conseils de quartier, je prends acte avec satisfaction de l'accord conclu sur les mairies annexes, sur les commissions consultatives des services publics, sur la place réservée à l'opposition dans les bulletins d'information des collectivités locales, sur les missions d'information et d'évaluation, ainsi que sur toutes les dispositions intéressant les conseils économiques et sociaux régionaux ou les communes de Paris, Lyon et Marseille, concernant principalement les pouvoirs et moyens accrus confiés aux conseils et aux maires d'arrondissement.
Sur ce point, qui m'est cher, vous le savez, je me réjouis de la réforme qui est engagée ici de la loi du 31 décembre 1982, vingt ans après la promulgation de la loi dite « Paris-Marseille-Lyon ».
De l'animation de la vie locale à l'information des habitants, de la gestion des équipements de proximité au recrutement de collaborateurs dans les mairies d'arrondissement, les dispositions sont nombreuses qui accroissent les pouvoirs et les moyens des maires, mais aussi des conseils d'arrondissement, et leur confèrent une liberté accrue.
L'instauration d'une certaine souplesse était nécessaire, tout particulièrement pour le recrutement des collaborateurs des maires d'arrondissement, et ce sans référence aucune à un seuil démographique par arrondissement. En effet, une telle limite ne serait pas pertinente, eu égard aux conditions de travail des maires d'arrondissement, qui ne disposent vraiment que de ces seuls collaborateurs de cabinet.
Je salue également l'accord conclu sur le titre IV du projet de loi, relatif à la Commission nationale du débat public ainsi qu'à la réforme de l'enquête publique. Là encore, avec, d'ailleurs une prise en compte significative des apports importants du Sénat et de l'Assemblée nationale, la démocratie participative pourra être approfondie dans toutes les collectivités locales.
Je regrette, à bien des égards, qu'ait été supprimée la mention, introduite par voie d'amendement par l'Assemblée nationale, du principe de l'élection au suffrage universel direct des délégués des communes au conseil communautaire.
M. Patrick Lassourd. Heureusement !
M. Jean-Pierre Schosteck. Oui, heureusement !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Quoique fermement opposé à la supracommunalité, je ne le suis pas, en revanche, à une légitimité démocratique accrue des groupements de communes, à condition, bien sûr, que soit respectée et même réaffirmée la primauté communale.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la même chose ! C'est exactement ce que cela veut dire !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Mais le débat n'est pas encore arrivé à son terme et nous aurons, je n'en doute pas, à le reprendre le moment venu.
M. Patrick Lassourd. Sans vous !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Je le rappelais tout à l'heure, ce projet de loi a pour objectif premier d'approfondir la démocratie locale, donc de soutenir la démocratie participative, mais aussi, dans le même temps, de renforcer la démocratie représentative, socle de notre démocratie.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est trop d'objectifs !
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. Le titre II de ce projet de loi, tel qu'il a été présenté dans les conclusions de la commission mixte paritaire, répond à cette préoccupation.
Reprenant les initiatives parlementaires des députés, notamment ceux du groupe communiste de l'Assemblée nationale, mais aussi des sénateurs, avec la proposition de loi du sénateur Alain Vasselle, rapportée par M. Jean-Paul Delevoye, il permettra aux élus de mieux concilier vie professionnelle, vie personnelle et fonction élective, en présentant des mesures concrètes et importantes dans tous les domaines, allant de la candidature jusqu'à la fin du mandat, et même au-delà, avec l'allocation de fin de mandat.
Là encore, je veux remercier et féliciter la commission mixte paritaire d'avoir entendu les demandes récurrentes des élus locaux.
Les transferts de compétences aux collectivités régionales, tels que soumis à votre examen aujourd'hui, reprennent, en outre, l'essentiel des transferts proposés par le Gouvernement et retiennent plusieurs de ceux que vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, proposés et adoptés en première lecture.
Que ce soit en matière d'intervention économique, de gestion des réserves naturelles et des inventaires faunistiques et floristiques, de formation professionnelle, de transport maritime, de gestion des ports et de gestion des aéroports, ou encore de soutien à l'industrie cinématographique, je me réjouis de ces transferts consensuels et importants.
Je prends acte de l'extension de ces transferts dans le domaine culturel, avec les expérimentations en matière d'inventaire du patrimoine et de classement des monuments historiques, ou, dans le domaine du tourisme, avec le rôle accru de coordination confié aux conseils régionaux. Il faudra accorder une attention particulière aux conditions d'application de ces articles nouveaux.
Pour ce qui est des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, l'accord, tel qu'il a été formulé, examiné de manière apaisée, me paraît équilibré et susceptible de préserver les droits et les devoirs de chacune des catégories de collectivités, dans un souci de meilleur service rendu à la population.
Nous aurons, je le suppose, malgré tout, à réévoquer et à préciser les conditions de financement de ce service, d'ici au terme de la période de gel des contributions des communes et des groupements de communes au budget des SDIS et avant d'aborder la nouvelle étape de 2006.
Je regrette toutefois que la commission mixte paritaire n'ait pas retenu la possibilité pour tout jeune, de s'engager comme volontaire, sous certaines conditions, à partir de seize ans.
Je veux, en outre, rendre hommage - je suis sûr que vous vous joindrez à moi - aux sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, qui, au péril de leur vie, se sacrifient au service de nos concitoyens. Compte tenu des échanges qui ont eu lieu et de certaines interventions que nous avons entendues dans cette enceinte, je tenais à le dire avec solennité.
Que ces sapeurs-pompiers soient donc remerciés chaleureusement pour l'action qui est la leur et pour la qualité du service rendu à la population.
Enfin, les nouvelles modalités de recensement, approuvées par la commission mixte paritaire, vont améliorer la connaissance de la population de nos collectivités, l'affiner, et donc permettre une meilleure prise en compte de leurs besoins.
Les conséquences, lourdes parfois, de ces recensements seront étudiées, j'en prends l'engagement formel, avant toute mise en oeuvre d'une quelconque mesure, par un groupe de travail composé d'élus locaux et de représentants des ministères concernés.
Je ne m'étendrai pas sur les autres dispositions du projet de loi, même si, quantitativement, elles représentent une partie non négligeable du texte, si ce n'est pour dire qu'introduites, souvent, par les élus, les praticiens de l'Assemblée nationale et ceux du Sénat, elles ont toutes un objectif louable. Même si j'ai quelques regrets de l'adoption de certaines dispositions ayant trait à l'extension du bénéfice du fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, aux établissements supérieurs qui ne sont pas propriétés des collectivités locales, notamment, ou à certaines modifications de la loi du 12 juillet 1999, je considère qu'il s'agit globalement d'un accord équilibré.
Conformément à notre tradition républicaine, la commission mixte paritaire s'est prononcée favorablement pour un texte de compromis sans compromission, qui respecte la volonté du Gouvernement, celle de l'Assemblée nationale et celle du Sénat. La commission mixte paritaire a su trouver un équilibre répondant à l'attente des collectivités locales, des élus et de la population.
Je veux remercier tous les sénateurs membres de cette commission, M. le président de la commission des lois, René Garrec, M. le rapporteur pour avis, Patrick Lassourd, Mme Josiane Mathon, MM. Jean-Pierre Schosteck, Paul Girod et Jean-Claude Peyronnet, sans oublier, bien sûr, les membres suppléants.
Permettez-moi d'adresser un remerciement tout particulier au rapporteur, M. Daniel Hoeffel, qui a su tenir compte de l'intérêt général avec le sens aigu du dialogue et de la démocratie qui le caractérise. (Applaudissements.)
Le Gouvernement respecte cet accord conclu à l'unanimité, sans aucun vote contraire, dans une commission pluraliste où étaient représentés tous les groupes politiques, de la majorité comme de l'opposition. En dépit de ses réserves portant sur quelques-unes - rares - des dispositions acceptées, il ne présentera aucun amendement et s'opposera à tout amendement qui remettrait en cause cet accord unanime.
Je ne doute pas que ce texte sera voté aujourd'hui, car il répond aux préoccupations des élus comme à celles de la population et il est le résultat d'un accord unanime de la commission mixte paritaire.
Je ne doute pas non plus que toutes les autres considérations seront mises de côté et que, d'un tel accord, tous pourront se féliciter, dans l'intérêt du pays.
Je féliciterai, enfin, tous les administrateurs de la Haute Assemblée et, particulièrement, de la commisison des lois, de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, qui ont su traduire, très souvent en excellente collaboration avec les services du ministère de l'intérieur et du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, ces dispositions nombreuses, parfois complexes et techniques.
Au moment où ce débat va s'achever, je l'espère positivement, c'est peut-être la dernière fois que j'ai l'occasion, mesdames, messieurs les sénateurs, de m'exprimer devant vous dans cette législature, sauf en cas de questions d'actualité au Gouvernement, jeudi prochain. Sachez que j'ai toujours trouvé plaisir à partager ces échanges, même lorsqu'ils étaient vifs, parce que c'est cela, mesdames, messieurs les sénateurs, la démocratie ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons vécu avec beaucoup d'intérêt la journée consacrée aux travaux de la commission mixte paritaire. Cette journée extrêmement riche nous a permis de parvenir à un texte ample comprenant de nombreux articles, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre. J'ai pu observer également qu'un grand nombre d'articles ont été adoptés par la commission mixte paritaire dans la rédaction proposée par le Sénat.
C'est dans un esprit de dialogue que nous avons travaillé avec vous, monsieur le ministre, et avec vous aussi, monsieur le rapporteur.
Ce texte comprend des mesures essentielles, cela a été dit, pour les élus locaux. Elles auront, il est vrai, des répercussions très concrètes sur la vie de nos collectivités. Ainsi, il est essentiel de permettre aux élus locaux de concilier leur vie professionnelle et leur mandat électif, de favoriser leur réinsertion professionnelle après un mandat, s'ils n'ont pas la chance d'enchaîner avec un autre mandat. C'est une question qui était toujours posée, mais qui restait sans réponse.
Le texte comprend de nombreuses dispositions relatives aux élus des arrondissements de Paris, Lyon et Marseille, aux élus de l'intercommunalité, aux membres du Conseil supérieur des Français de l'étranger. Il serait vraiment dommage de ne pas pouvoir les appliquer, car elles sont absolument nécessaires. Il en est de même des mesures portant sur les droits de l'opposition dans nos assemblées locales.
S'agissant des transferts de compétences, dont il vient d'être question, je souligne qu'ils sont loin d'être négligeables.
La méthode expérimentale qui est proposée pour un certain nombre de transferts de compétences, s'agissant notamment des ports, des aérodromes et des structures relatives au patrimoine culturel, mérite d'être développée.
Chacun sait bien qu'il ne suffit pas d'annoncer ni même de voter des réformes, si l'on n'étudie pas leur fonctionnement sur le terrain afin d'en tirer les conséquences pour introduire des améliorations.
Les mesures concernant les services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, permettront de clarifier la situation : les départements se verront confier un pouvoir accru et l'apport des communes sera fixé progressivement jusqu'en 2006.
Les dispositions concernant le débat public, les enquêtes publiques, sont très importantes. Nous avons réussi à concilier deux exigences essentielles : permettre le débat, la concertation et empêcher que des procédures lourdes, longues et complexes n'entravent l'action des élus, afin de faire en sorte que les collectivités locales puissent mener à bien, avec efficacité, leurs projets.
A cet égard, je note les avancées très importantes que constituent le fait que le débat entre l'Etat et la collectivité locale sera déconcentré, le fait que l'on pourra enfin prendre en compte les conclusions de l'enquête publique par la déclaration du projet, c'est-à-dire qu'on n'aura plus à présenter un projet finalisé pour l'enquête publique, qui trouvera tout son sens, et le fait qu'il n'y aura plus obligation de revenir vers leConseil d'Etat ou vers le Gouvernement chaque fois que des réserves ou des avis défavorables auront été exprimés. Il en est de même pour les nombreuses mesures sur l'environnement, le patrimoine naturel, les conservatoires naturels, etc.
Bien entendu, le débat s'est focalisé sur deux dispositions. Nous ne partageons pas les craintes qui se sont parfois manifestées au regard de ces deux questions comme si, finalement, la commune, à laquelle nous sommes tous très attachés, était doublement menacée...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est très vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. ... d'une part, par les quartiers et, d'autre part, par l'intercommunalité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous pensons que plus de démocratie, plus de concertation, plus de participation des habitants dans les quartiers conforte la commune et qu'aujourd'hui, dans les communes qui ont une certaine importance, il convient que l'on fasse vivre la démocratie au niveau des quartiers.
C'est pourquoi nous nous réjouissons qu'un accord soit intervenu pour que ces conseils de quartier existent, non pas comme prévu dans le projet initial, monsieur le ministre, mais à partir du seuil de 80 000 habitants, étant entendu qu'ils pourront être mis en oeuvre dès 20 000 habitants, c'est-à-dire dans les communes comptant entre 20 000 et 80 000 habitants, et que pourront aussi être nommés les adjoints chargés des quartiers, qui sont, bien entendu, le corrélat de cette disposition.
Nous pensons qu'il y a non pas antinomie mais complémentarité entre la démocratie dans les quartiers et la vie communale, et qu'il en va de même pour l'intercommunalité.
Nous croyons qu'il est inéluctable de s'orienter vers une représentation démocratique, avec le recours au suffrage universel direct, pour les assemblées intercommunales. D'ailleurs, vous le savez, mes chers collègues, c'est la position qui a été exprimée tant par M. le Président de la République que par M. le Premier ministre. Il est non pas absurde mais nécessaire de solliciter les électeurs dans les grandes communautés urbaines, les communautés d'agglomération, dont les compétences sont vastes et qui gèrent des budgets considérables.
Si l'on considère que le recours au suffrage universel est légitime dans une commune de cent cinquante habitants, et nous y sommes favorables, comment justifier que le recours au suffrage universel ne serait pas pertinent pour les grandes entités que sont aujourd'hui beaucoup d'intercommunalités ?
Dès lors, nous considérons que plus de démocratie pour l'intercommunalité ne va pas contre la commune, que l'on peut envisager l'une et l'autre sans que ce soit contradictoire : après tout, les conseils généraux sont élus au suffrage universel à l'échelon des cantons. Les conseils municipaux sont également élus.
Si demain on vote au suffrage universel pour la commune et l'intercommunalité, il y aura davantage de démocratie. Qui s'en plaindra?
Mes chers collègues, le groupe socialiste se réjouit de l'accord qui est intervenu en commission mixte paritaire.
Certes, nous aurions souhaité aller plus loin, en particulier dans la direction qu'indiquait le rapport élaboré par M. Pierre Mauroy, et nous aurions souhaité d'autres avancées.
Nous n'en considérons pas moins les avancées que permettra le projet de loi que nous votons ce soir comme très importantes. La démocratie locale, comme la décentralisation, est un long chemin ; nous aurons accompli, sur ce long chemin, une importante étape, avant d'autres, après d'autres, et tout cela va assurément dans le bon sens ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tel qu'il nous est parvenu de l'Assemblée nationale avant son examen par le Sénat, le projet de loi relatif à la démocratie de proximité nous faisait irrésistiblement penser à la liste des objets acquis dans les brocantes par le père de Marcel Pagnol, décrits dans La Gloire de mon père : « Une muselière crevée (0,50 F), un compas diviseur épointé (1,50 F), un archet de contrebasse (1 F), une scie de chirurgien (2 F), une longue-vue de marine où l'on voyait tout à l'envers (3 F), un couteau à scalper (2 F), un cor de chasse un peu ovalisé avec une embouchure de trombone (3 F) sans parler d'objets mystérieux dont personne n'avait jamais pu trouver l'usage et qui traînaient un peu partout à la maison ».
La Haute Assemblée, et il faut s'en féliciter, a remis de l'ordre, de la simplicité et de la clarté dans un fatras qui n'avait rien de poétique ni d'innocent. Elle a justement élagué quelques articles unvicies, duovicies ou terquadragies (Sourires) dont l'énoncé moliéresque cachait mal des intentions aussi partisanes qu'inapplicables.
Le Sénat s'est opposé avec succès au remplacement de l'intercommunalité par la supracommunalité,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien!
M. Josselin de Rohan. .. à l'opposition de deux légitimités issues du suffrage universel, celle des communes et celle des groupements de collectivités.
Si la plupart des communes n'ont plus les moyens d'assumer seules certaines activités essentielles dans le domaine de l'économie, de l'urbanisme, de l'environnement ou de l'équipement, elles n'entendent pas pour autant renoncer à leur individualité, leur histoire et leur âme. La coopération intercommunale ne peut être fondée ni sur la contrainte, ni sur l'anonymat, ni sur la domination. Elle doit s'appuyer sur le respect mutuel, la confiance et la délégation. Elle est, en tout cas, une association de collectivités égales en droit.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Très bien !
M. Josselin de Rohan. En rappelant avec force ces principes, notre assemblée reflétait la volonté de l'immense majorité des communes françaises qui ont pu s'exprimer à travers les associations de maires et l'Association des maires de France.
Nous saluons en outre avec satisfaction les avancées obtenues pour les élus locaux. Ces mesures doivent beaucoup à la proposition de loi relative au statut de l'élu adoptée l'an passé par le Sénat grâce à nos deux excellents collègues, Alain Vasselle et Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France, auxquels il convient de rendre l'hommage qui leur est dû.
Il est juste et il est bon que ceux qui se sont « multipliés » dans les fonctions qu'ils ont exercées au service de la collectivité et qui ont souvent consenti de grands sacrifices familiaux, professionnels ou même pécuniaires, ne soient pas pénalisés du fait de leur dévouement. Un mandat local n'est pas un métier, même si beaucoup d'élus s'y consacrent à plein temps ; mais la démocratie aurait tout à perdre si l'accès aux responsabilités n'était réservé qu'à ceux qui sont dans l'aisance ou à ceux que leur profession met à l'abri du risque et de la conjoncture.
C'est pourquoi les mesures prévues par la loi ne sont ni des avantages ni des privilèges mais des compensations et la juste reconnaissance des services rendus.
Nous prenons acte des mesures de décentralisation que traduisent les transferts de compétences accordés aux régions dans le domaine des ports et des aéroports. Les régions sont prêtes à assumer leurs responsabilités, pourvu qu'elles obtiennent au préalable la transparence sur la situation financière des équipements pris en charge et les ressources indispensables à leur entretien et à leur développement. Soyez assurés, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous serons très attentifs sur ce point.
Le Sénat a réussi à obtenir la disparition de certaines procédures absurdes qui, sous couvert de démocratisation, auraient paralysé l'action des exécutifs locaux en les mettant à la merci des agitations démagogiques et irresponsables. Il n'a pas pu, malheureusement, tout supprimer.
En témoignent les demandes abusives de commissions d'enquête que pourront multiplier ceux pour qui le bon fonctionnement des services publics importe moins que la volonté d'obstruction.
En témoignent aussi les commissions consultatives des services publics locaux, dont la création et la consultation sont obligatoires pour les collectivités locales, mais dont, bien entendu, l'Etat s'exonère.
En témoigne, enfin, le cadenassage de la vie communale, avec les conseils de quartier, qui, de facultatifs, deviennent obligatoires dans les communes de plus de 80 000 habitants et risquent de devenir sinon un niveau d'administration supplémentaire, du moins un forum de contestation permanente des municipalités en place où des palabreurs patentés s'en prendront aux élus du suffrage universel. Ces conseils risquent d'être, au mieux, des structures oratoires et, au pire, des structures conflictuelles.
Parce que nous n'avons pas un goût immodéré pour le rapprochement des points de vue, surtout lorsque ces points de vue traduisent des conceptions très différentes de la participation et de la démocratie locale, parce que, malgré les efforts louables de la Haute Assemblée, trop de dispositions du texte qui nous est présenté nous paraissent inacceptables, parce que nous reviendrons, je l'espère, sur certaines de ces mesures en cas d'alternance politique, notre groupe, dans sa majorité, s'abstiendra sur le projet de loi, ne voulant pas condamner ce que ce texte a de bon ni cautionner ce qu'il a de mauvais. (Applaudissements sur les travées du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Girod.
M. Paul Girod. Malgré toute l'amitié que j'ai pour M. le rapporteur, malgré les propos que vous avez tenus tout à l'heure, monsieur le ministre, je ne voterai pas les conclusions de la commission mixte paritaire.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, et c'est un peu pour cette raison que je vous interpelle en cet instant, que j'étais membre de cette commission mixte paritaire, et vous avez affirmé que le texte élaboré par celle-ci avait été adopté à l'unanimité.
M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur. J'ai dit : « sans opposition ».
M. Paul Girod. Non, vous avez dit qu'il avait été adopté à l'unanimité, monsieur le ministre ! Excusez-moi d'insister sur ce point, mais vous l'avez affirmé à plusieurs reprises.
Or, comme j'étais privé de droit de vote, compte tenu des règles qui régissent les commissions mixtes paritaires et de l'équilibre interne de celle à laquelle je participais,...
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !
M. Paul Girod. ... le président Garrec avait eu la courtoisie de rappeler, après le vote, effectivement unanime, que, si j'avais pu voter, je me serais abstenu sur l'ensemble du texte - je l'en avais avisé auparavant - comme je m'étais abstenu sur l'article 1er, qui, à mes yeux, constituait la pierre de touche et ne justifiait pas, même s'agissant du texte définitif, que l'on accepte le reste du dispositif.
Il est vrai que celui-ci comportait d'excellentes mesures, en ce qui concerne notamment le statut des élus locaux ou les transferts de compétences, à cela près que, si j'ai bien suivi les débats qui se sont déroulés dans les deux assemblées, l'idée de procéder à ces transferts de compétences est née d'incidents survenus à l'Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi relatif à la Corse. Afin d'obtenir certains votes favorables de l'opposition nationale, qui se sont raréfiés par la suite, des promesses avaient été faites à cet égard, en quelque sorte sur le coin de la table. Ces transferts de compétences gardaient cependant un caractère expérimental, qu'il aurait d'ailleurs peut-être mieux valu conférer aussi à ceux qui étaient prévus par le projet de loi relatif à la Corse !
Quoi qu'il en soit, l'ensemble du texte, qui a été largement exalté tout à l'heure, en particulier par notre collègue Jean-Pierre Sueur, est marqué, nous a-t-on dit, par une certaine idée de la démocratisation. Pour ma part, j'aurais plutôt tendance à parler d'intrusion, et j'ai surtout remarqué que l'on prévoyait la création, ici et là, de comités, d'instances de concertation et de commissions d'enquête. Bref, qu'on le veuille ou non, il s'agit d'un dispositif qui « polluera » profondément la vie des collectivités territoriales, d'autant plus que c'est par le biais de la loi qu'on leur impose de le mettre en oeuvre.
Je ne connais pourtant pas de maire de grande ville qui ne s'interroge spontanément à propos de la diversité des quartiers qui composent la commune qu'il administre et qui ne cherche de solutions aux difficultés que suscite cette situation. Mais ces solutions, chaque maire les définit en fonction de la spécificité de sa ville, de même que les conseils régionaux ont été amenés - je parle sous le contrôle d'un certain nombre de présidents de conseil régional présents ce soir dans cet hémicycle, notamment M. Garrec - à adopter des règlements intérieurs ou des habitudes de travail qui, à ma connaissance, n'ont jamais conduit personne à crier au non-respect des droits de l'opposition.
Par conséquent, inscrire dans la loi des règles et des méthodes que les collectivités locales devraient, de par la Constitution, pouvoir librement choisir d'adopter ou non me semble relever d'un esprit tout à fait centralisateur. C'est la raison pour laquelle je me suis abstenu sur l'article 1er, qui est pour moi, je le répète, la pierre de touche de ce texte. Je crains que la volonté de conserver les éléments positifs que comporte le projet de loi n'ait fait passer au second plan le respect de la libre administration des collectivités locales par elles-mêmes.
Il existe à mes yeux une équivoque, et ce n'est pas l'article 15 quadragies , avec les quelque trente millions d'euros qu'il prévoit - nous devons d'ailleurs cette disposition à notre collègue Michel Charasse, à qui les collectivités territoriales pourront tirer un coup de chapeau, et j'imagine qu'elle aurait été maintenue même si la commission mixte paritaire avait échoué, parce que je ne vois pas l'Assemblée nationale refuser cette facilité aux collectivités locales - qui permettra de restaurer l'équilibre interne du texte.
Je ne vous surprendrai donc pas, mes chers collègues, en annonçant que je m'abstiendrai sur les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme Mathon.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme du travail parlementaire sur ce texte. Avant de nous prononcer sur les conclusions de la commission mixte paritaire, il nous appartient d'évaluer les avancées, ou plutôt les évolutions, qui sont intervenues.
Rappelons que ce projet de loi trouve son origine dans les conclusions de l'important travail accompli, en vue de passer à une autre phase de la décentralisation, par la commission présidée par M. Pierre Mauroy. Un texte gouvernemental honnête, mais loin d'être révolutionnaire, a été tranformé, après un laminage en règle par la majorité sénatoriale et un marchandage en commission mixte paritaire, en un patchwork de mesures. (Protestations sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan. Un marchandage ? On ne marchande pas en commission mixte paritaire ! C'est indécent !
M. Patrick Lassourd. C'est scandaleux de dire cela !
Mme Josiane Mathon. En tout cas, c'était donnant-donnant ! Mes propos ne sont pas scandaleux !
M. Patrick Lassourd. Retirez-les ! C'est scandaleux !
Mme Josiane Mathon. Ce que j'ai trouvé scandaleux, c'est le procédé ! Je suis libre de mes opinions !
M. Patrick Lassourd. Cela ne s'est pas passé comme cela ! Vous n'y étiez pas, vous ne savez pas ce que vous dites !
Mme Josiane Mathon. J'y étais, monsieur Lassourd, du moins au début.
Quoi qu'il en soit, où est le souffle ambitieux d'une loi-cadre favorisant la participation responsable des citoyennes et des citoyens aux décisions publiques les concernant ? Où sont les grandes avancées marquantes d'une nouvelle étape de la décentralisation ? Nous ne pouvons nous féliciter du texte adopté en commission mixte paritaire.
En fait, il présente un danger, celui de décevoir ces femmes et ces hommes, ces jeunes qui espèrent en leurs élus, qui espèrent que le débat parlementaire fera progresser notre société, dans une démocratie avancée, renouvelée et participative.
Ce qui n'aura pas été permis à cette occasion, les sénateurs communistes espèrent que la prochaine législature le permettra.
M. Josselin de Rohan. On peut toujours rêver !
Mme Josiane Mathon. Eh oui, on peut toujours rêver !
Au-delà de ce texte, des idées ont pu être développées au cours de nos travaux. De nombreux partenaires du mouvement associatif y ont contribué et ont été attentifs aux arguments de chaque groupe.
Pour notre part, nous persistons à ne pas vouloir opposer l'intervention directe des citoyens aux responsabilités assumées par les élus du suffrage universel. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Qui n'entend pas la demande de lieux de dialogue, l'exigence d'espaces propices à la réflexion collective, à l'élaboration en commun, entre élus et citoyens, de propositions permettant de répondre aux besoins sociaux ? Vous, sans doute, chers collègues de la majorité sénatoriale !
M. Patrick Lassourd. C'est ça, vous allez nous donner des leçons de démocratie !
Mme Josiane Mathon. Qui prend le risque d'ignorer l'aspiration à une démocratie participative et rejette, au nom du principe de la libre administration des communes, la généralisation des conseils de quartier ? Nous regrettons d'ailleurs que ceux-ci, rendus obligatoires dans les seules villes de plus de 80 000 habitants, demeurent placés sous la tutelle des conseils municipaux. C'est là une étrange manière de concevoir la citoyenneté ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Où est l'égalité républicaine ? Cette dernière est fort peu compatible avec le refus constant de la majorité sénatoriale de reconnaître aux résidents étrangers non communautaires le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Christian Cointat. Et la réciprocité ?
Mme Josiane Mathon. Au terme de ce débat, nous ne voyons toujours pas quel danger ferait planer sur la République le fait de permettre la prise de responsabilités officielles par cette partie de la population qui vit, travaille et s'investit dans nos quartiers et dans nos villes !
M. Patrick Lassourd. Et les élus, ils font quoi ?
Mme Josiane Mathon. Eh oui, la peur de partager le pouvoir semble guider l'attitude de la majorité sénatoriale, qui se refuse également à favoriser la prise de responsabilités au sein du mouvement associatif.
M. Josselin de Rohan. N'importe quoi !
Mme Josiane Mathon. En effet, comment interpréter de façon positive votre rejet de notre proposition d'instaurer un crédit d'heures pour les salariés occupant des fonctions de responsable bénévole d'une association ? (Rires sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Patrick Lassourd. Vous portez des lunettes déformantes !
Mme Josiane Mathon. Certes, nous nous félicitons des avancées qui ont été obtenues en ce qui concerne le titre II, consacré aux conditions d'exercice des différents mandats. Plusieurs mesures vont ainsi dans le bon sens et favorisent une plus grande mixité sociale parmi les élus, qu'il s'agisse des congés pour campagne électorale, des crédits d'heures pour permettre l'exercice du mandat, des garanties de formation et de l'allocation spécifique au terme de celui-ci, de la protection contre d'éventuelles sanctions disciplinaires ou un licenciement ou de la rénovation du régime indemnitaire des élus : autant d'idées contenues dans la proposition de loi de ma collègue députée Jacqueline Fraysse, adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale et qui trouve ici une traduction.
Cependant, il sera nécessaire d'aller plus loin pour élaborer un véritable statut de l'élu, qui, dans notre esprit, doit permettre aux individus, hommes ou femmes - notamment aux femmes ! - de s'engager au service de l'intérêt collectif au travers d'un parti politique, d'une association ou d'une mutuelle.
Alors que les enjeux évoqués par l'intitulé du texte et dans l'exposé des motifs auraient mérité un large débat public, nous avons eu droit à une déclaration d'urgence et dû supporter d'entendre, dans cette enceinte, des propos choquants et blessants à l'encontre d'un corps de fonctionnaires aussi estimable que celui des sapeurs-pompiers. (Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Patrick Lassourd. C'est ça, la majorité plurielle !
Mme Josiane Mathon. Notre groupe s'est efforcé de répondre à la fois à leurs préoccupations et aux exigences de qualité s'agissant du service à rendre à la population.
Par ailleurs, où est passée l'ambition réformatrice affichée par les promoteurs du texte ?
Déjà des inquiétudes s'expriment en ce qui concerne le droit d'option pour la fonction publique territoriale ouvert aux agents des directions de l'équipement placés sous l'autorité fonctionnelle d'un président de conseil général.
M. Josselin de Rohan. Où est Charasse ?
Mme Josiane Mathon. Cette disposition n'était ni nécessaire ni urgente, d'autant que les services du ministère de l'équipement, des transports et du logement procèdent à une évaluation de la situation de ces agents.
M. Josselin de Rohan. Il n'y a pas le feu !
Mme Josiane Mathon. De même, la décentralisation floue de la gestion du patrimoine suscite des craintes, dont a témoigné la presse ce week-end. N'existe-t-il pas un risque que des agents de l'Etat voient, à terme, leur statut « territorialisé », dans la logique des transferts de compétences mis en oeuvre ?
En conclusion, nous avons affaire ici à un texte dont les dispositions devront être reprises et développées pour que nous puissions atteindre les objectifs qui avaient été fixés au préalable. Pour toutes les raisons que j'ai évoquées, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons tous souligné, même si nos appréciations sont parfois divergentes, que le texte issu des délibérations de la commission mixte paritaire constitue la traduction d'un compromis entre les thèses qui ont été défendues par les députés, d'une part, et celles qui ont été soutenues par les sénateurs, d'autre part. Toutefois, il porte de façon évidente la marque des travaux du Sénat.
La volonté de nos collègues députés d'aboutir, la qualité des débats et l'approfondissement du texte réalisé par le Sénat ont permis, sous l'habile et efficace présidence de M. Garrec, de trouver un accord en commission mixte paritaire. Notre rapporteur Daniel Hoeffel, tout au long du processus, que ce soit en première lecture ou en CMP, a su dégager avec brio les conditions de cet accord, en s'appuyant sur les principes fondamentaux d'une véritable décentralisation.
Aussi le texte qui nous est présenté ce soir, même s'il conserve un caractère évident de projet de loi portant diverses dispositions, n'en constitue-t-il pas moins un ensemble intéressant, en ce qui concerne tant les principes qu'il affirme que les avancées qu'il permet en matière de décentralisation.
S'agissant des principes, j'évoquerai d'abord celui selon lequel la démocratie locale repose sur les élus municipaux et sur la commune : ce sont les deux pierres angulaires de la démocratie de proximité, même si ce ne sont pas les seules.
L'efficacité de la démocratie locale suppose, certes, une meilleure association du citoyen aux décisions et justifie que les structures intercommunales ne deviennent pas un échelon supérieur aux communes.
C'est donc à juste titre que ce texte organise l'association des habitants à l'exercice démocratique au travers de conseils de quartier, qu'il nous est proposé de respecter des modalités qui ont fait leurs preuves dans les communes ayant déjà mis en place de tels conseils et de ne rendre obligatoire cette nouvelle forme de démocratie que là où la proximité s'estompe, c'est-à-dire dans les plus grandes villes.
Il est tout aussi justifié que ce texte n'organise pas le mode de désignation des délégués intercommunaux. Sur ce point, je dirai à notre collègue Jean-Pierre Sueur que, si le scrutin peut être direct ou indirect, le suffrage est toujours universel. Aujourd'hui, les délégués aux conseils intercommunaux sont élus, certes, au scrutin indirect, mais au suffrage universel, ce qui est essentiel. Sur ce sujet, le débat est ouvert, mais les réflexions ne sont pas achevées. Il ne servait donc à rien, dans un texte comme celui qui nous était soumis, de poser des règles alors que rien n'est prêt pour les accueillir dans notre droit quotidien. Avant de décider quoi que ce soit, il faut d'abord que l'intercommunalité s'installe bien dans ses meubles et, ensuite, si cela est nécessaire, que le débat soit approfondi sur ce point.
Le second principe que je veux relever, qui est très largement répandu et qui sous-tend de nombreux articles de ce texte, c'est celui selon lequel l'organisation administrative locale ne doit pas être nécessairement uniforme. On peut organiser les choses - on doit le faire - en tenant compte de la diversité des situations et des expériences locales. C'est en s'appuyant notamment sur ce principe que la commission mixte paritaire a repris la position du Sénat quant à la future organisation des services départementaux d'incendie et de secours après 2006. A ce moment-là, il sera possible de choisir telle ou telle forme d'organisation locale : garder l'établissement public ou aller vers une gestion directe par le département.
C'est le même principe qui a inspiré le texte qui nous est soumis ce soir, en permettant le maintien de structures de démocratie participative telles qu'elles existent dans nombre de communes de notre pays.
Ce qui, pour nous, fait l'intérêt de ce texte, même si certaines de ses dispositions nous plaisent moins, c'est le fait qu'il soit largement un texte qui permet et qui ouvre, et qu'il ne soit que rarement un texte qui oblige. C'est, je crois, une de ses qualités.
Au-delà des principes qui sont ainsi rappelés et qui, demain, peuvent fonder plus assurément la décentralisation dans notre pays, ce texte réalise un certain nombre d'avancées intéressantes. On en a souligné quelques-unes et j'y reviens brièvement.
Il s'agit, tout d'abord, bien sûr, de la situation des élus locaux et des conditions d'exercice des mandats locaux. Nous en avons souvent parlé dans notre assemblée. C'est notre rôle premier.
Il faut souligner que la plupart des propositions qui sont faites ce soir - on l'a rappelé - sont issues d'un texte que le Sénat avait voté. Monsieur le ministre, je vous remercie de l'avoir dit dans votre intervention liminaire. Nos collègues MM. Vasselle et Delevoye ont en effet été très largement à l'origine du texte qui a inspiré les dispositions dont nous discutons ce soir. Elles ont pour objet d'ouvrir à toutes et à tous la possibilité concrète d'être candidat à un mandat local et, surtout, de l'exercer, si les électeurs l'on voulu, tout en évitant de créer une professionnalisation des élus.
Un équilibre satisfaisant a été réalisé, qu'il s'agisse du rôle des adjoints, de la reconnaissance de ce rôle à travers les indemnités qu'ils pourront percevoir, des facilités d'exercice du mandat local - formation ou temps nécessaire pour exercer ce mandat - ou des conditions de réinsertion professionnelle des élus quand ils n'exerceront plus de mandat.
Une seconde catégorie d'avancées est constituée par tout ce qui tend vers une certaine clarification des compétences, même si, à l'évidence, tout n'est pas fait dans ce texte. Cependant, c'est sans doute la première fois que la notion de « chef de file » apparaît dans un texte à valeur normative.
Je relèverai deux exemples de la mise en oeuvre de cette notion.
Premier exemple : le rôle de la région est reconnu en matière d'intervention dans le domaine économique, notamment en ce qui concerne l'aide directe aux entreprises, et c'est une bonne chose. Le Sénat a longuement débattu de ce point. Il n'était pas évident que nous prenions cette décision. Il est bien que la région se voie reconnaître, dans le domaine de l'intervention directe dans la vie économique, le rôle de chef de file.
Second exemple : s'agissant des services d'incendie et de secours, le département se voit confier le rôle de chef de file.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Et les communes, de quoi seront-elles chef de file ?
M. Michel Mercier. Mon cher collègue, dans notre pays - et c'est heureux ! - toutes les communes sont dans un département et dans une région, même quand elles sont situées dans la banlieue parisienne ! Elles peuvent donc concourir, par leur présence, leur action et leurs élus, à la mise en oeuvre de l'ensemble de ces dispositions. M. Michel Mercier. Toujours en ce qui concerne les services d'incendie et de secours, je voudrais ajouter quelques précisions.
Le débat a été parfois passionné, peut-être trop. Les dispositions qui ont été retenues l'ont été dans un climat serein et apaisé. Celles qui nous sont proposées ce soir me semblent intéressantes à un double titre.
D'abord, elles réintroduisent les élus locaux, communaux et départementaux, dans la gestion quotidienne des services d'incendie et de secours, alors qu'ils avaient peut-être été confinés dans un rôle uniquement financier.
Ensuite, ces dispositions vont conforter l'idée selon laquelle les corps de sapeurs-pompiers sont constitués de corps de sapeurs-pompiers professionnels et de corps de sapeurs-pompiers volontaires. Ce n'est que par l'amalgame des sapeurs-pompiers professionnels et des sapeurs-pompiers volontaires que l'on trouvera les moyens de bien assurer la sécurité civile dans notre pays. Ce soir, nous donnons et reconnaissons aux sapeurs-pompiers volontaires tout leur rôle et leur capacité. De nombreuses dispositions vont conforter le rôle des volontaires, qu'ils soient considérés en tant qu'individus ou comme membres d'un corps de première intervention qui, grâce à ce texte, gardera son caractère communal.
Par ailleurs, et ce n'est pas un point de détail, monsieur le ministre, le texte que nous allons voter dans quelques instants permettra d'engager des sapeurs-pompiers dès l'âge de seize ans. C'est, en tout cas, ce qui ressort des débats de la commission mixte paritaire. En effet, si la disposition concernée ne fait plus état de l'âge de seize ans, on peut engager avant l'âge de dix-huit ans un sapeur-pompier volontaire dès lors qu'il a satisfait à l'examen de premiers secours.
En conclusion, ce texte, une fois débarrassé d'un certain nombre de dispositions inopérantes ou constituant d'inutiles ou paralysantes limitations à l'exercice de la démocratie locale, nous a permis en quelque sorte de « revisiter » quasiment toutes les questions relatives à la décentralisation. De ce point de vue, l'utile travail qu'il constitue nous permettra demain, une fois passées les échéances majeures que notre pays va connaître, de repartir du bon pied pour bâtir plus solidement la République territoriale que nous appelons de nos voeux. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'Union centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur certaines travées socialistes.) M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.