SEANCE DU 24 JUILLET 2002


M. le président. « Art. 15. - L'amnistie n'entraîne pas la restitution ou le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées par la condamnation ; elle ne fait pas obstacle à la réparation des dommages causés au domaine public.
« Elle n'entraîne pas la remise :
« 1° De la faillite personnelle ou des autres sanctions prévues au titre VI de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce et aux articles L. 625-2 et suivants de ce code ;
« 2° De l'interdiction du territoire français prononcée à l'encontre d'un étranger reconnu coupable d'un crime ou d'un délit ;
« 3° De l'interdiction de séjour prononcée pour crime ou délit ;
« 4° De l'interdiction des droits civiques, civils et de famille prononcée pour crime ou délit ;
« 5° De l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale prononcée pour crime ou délit ;
« 6° Des mesures de démolition, de mise en conformité et de remise en état des lieux ;
« 7° De la dissolution de la personne morale prévue à l'article 131-39 du code pénal ;
« 8° De l'exclusion des marchés publics visée à l'article 131-34 du code pénal ;
« 9° De la confiscation d'une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« L'amnistie reste aussi sans effet sur les mesures prononcées par application des articles 8, 15, 16, 16 bis, 19 et 28 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
« Les services du casier judiciaire national sont autorisés à conserver l'enregistrement des décisions par lesquelles l'une des mesures visées au présent article a été prononcée. »
L'amendement n° 63, présenté par Mme Borvo, M. Bret, Mme Mathon, M. Fischer, Mmes Beaudeau, Beaufils et Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Foucaud et Le Cam, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade, est ainsi libellé :
« Supprimer le quatrième alinéa (2°) de l'article 15. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Lors de la discussion générale, au nom de mon groupe, je me suis élevé avec force, comme Charles Lederman l'avait fait en 1995, contre l'exclusion de l'amnistie de la peine d'interdiction du territoire français, plus communément appelée « double peine ». Il est en effet injustifié qu'une telle peine soit confirmée alors même que l'infraction dont elle est la conséquence aura été amnistiée.
Le combat contre la double peine est un combat partagé par de très nombreux démocrates, de gauche comme de droite, comme l'a récemment prouvé M. François Bayrou.
M. Dominique Braye. C'est votre nouvelle référence ! Vous le citez pour la troisième fois depuis le début des débats !
M. Gérard Delfau. Cela n'a rien de déshonorant !
M. Guy Fischer. Monsieur Braye, je ne suis pas, comme vous, partisan ! Lorsque j'entends des déclarations positives, je les approuve et je soutiens leurs auteurs !
M. Patrick Lassourd. Vous êtes sur le bon chemin !
M. Guy Fischer. S'agissant de la double peine, M. Bret et moi-même - avec M. Mercier ! (Sourires.) - nous sommes engagés depuis de très nombreuses années dans les agglomérations marseillaise et lyonnaise, notamment avec la CIMADE. Notre position dans ce débat me paraît donc logique.
La polémique a été relancée à la fin de l'année dernière, rappelez-vous, avec la sortie de l'admirable film-reportage de Bertrand Tavernier, Histoire de vies brisées.
La double peine, c'est cette anomalie de notre droit pénal qui aboutit à punir deux fois une personne pour un même délit au motif exclusif qu'elle n'est pas de nationalité française : condamnation à une peine de prison, d'une part, et interdiction du territoire prononcée par le juge judiciaire ou arrêté d'expulsion pris par l'autorité administrative, d'autre part. Chaque année, ce sont près de 20 000 personnes qui font l'objet d'une peine d'interdiction du territoire français prononcée par un tribunal. Devant l'ampleur du problème, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je le rappelle, ont déposé une proposition de loi sur le sujet.
Mais parmi les personnes ainsi frappées - et c'est là un des points auxquels je souhaite vous sensibiliser, mes chers collègues -...
M. Robert Bret. Ce sera dur !
M. Guy Fischer. ... nombreuses sont celles pour qui cette peine aura des conséquences extrêmement lourdes parce que, vivant en France depuis de longues années, voire depuis des décennies, elles y ont toutes leurs attaches : familiales, privées, sociales et économiques. Le retour dans un pays avec lequel elles n'ont d'autre lien que celui d'une « nationalité de papier » apparaît alors à bien des égards dramatique, car il les sépare de leur famille, de leurs parents, de leurs frères et soeurs, quand ce n'est pas de leur conjoint et de leurs enfants, de leurs amis, de leurs voisins, de leur école ou de leur travail.
C'est en ce sens qu'il convient de parler de « vie brisée », brisée non seulement pour la personne bannie elle-même, mais également pour son entourage, puisqu'elle prive les enfants de père ou de mère, les femmes de mari, les petits-enfants de grands-parents.
De récentes décisions de justice, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, appuient notre démarche contre cette peine complémentaire inhumaine et profondément injuste.
Souvent, les personnes qui en sont l'objet résident depuis très longtemps sur notre territoire. Elles y ont pour la plupart construit une vie familiale et développé des activités professionnelles.
Le débat sur le projet de loi d'amnistie est à notre sens le moyen de relancer le débat, de le faire avancer. Comment accepter, en effet, que le prévenu amnistié français retrouve sa pleine liberté, alors que le prévenu d'origine étrangère sera reconduit à la frontière ?
Notre attitude n'est pas dans l'air du temps, j'en suis convaincu, mais il nous semble de la responsabilité du Parlement, des hommes politiques, du Gouvernement, de le rendre plus respirable.
C'est pourquoi nous vous invitons à adopter notre amendement, qui vise à inclure dans le champ d'application du projet de loi la peine complémentaire d'interdiction du territoire français lorsqu'elle accompagne un délit amnistié. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, dont l'examen serait d'ailleurs plus pertinent lors de la discussion d'un texte relatif à la sécurité qu'à l'occasion des débats sur le projet de loi portant amnistie.
L'amendement n° 63 tend ni plus ni moins à revenir sur un effet traditionnel de l'amnistie, à savoir l'absence complète de remise de l'interdiction du territoire français prononcée à l'encontre d'un étranger qui a été reconnu coupable d'un délit ou d'un crime, et la question de savoir s'il convient de rompre avec cette tradition n'entre pas, me semble-t-il, dans le cadre de notre discussion. M. Fischer a plaidé avec coeur, sans aucun doute, mais ce point mérite d'être débattu de manière beaucoup plus approfondie, et non pas seulement au carrefour des intérêts et des sentiments.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement dans la mesure où l'article 15, dans son ensemble, marque les limites de la démarche de l'amnistie.
En effet, de même qu'il est précisé dans le premier alinéa que « l'amnistie n'entraîne pas la restitution ou le rétablissement des autorisations administratives annulées ou retirées », de même, le deuxième alinéa pose qu'elle n'entraîne pas la remise de neuf types de condamnations, dont celui qui nous préoccupe actuellement.
Cet article traduit donc l'idée que les mesures de sécurité qui peuvent accompagner une condamnation ne sont pas remises en cause par l'amnistie, limitation qui a toujours été la règle. Voilà pour le principe.
S'agissant des peines complémentaires, abordées à l'instant par M. Fischer, je rappellerai que, récemment, l'un de mes prédécesseurs a rédigé une circulaire allant dans le sens d'une plus grande individualisation de leur utilisation. M. Fischer évoquait un cas particuler, mais il existe d'autres peines complémentaires, par exemple le retrait de permis, liées à d'autres types de condamnations.
Il faut donc obtenir que les juges procèdent à un examen au cas par cas, de façon à adapter la peine complémentaire à la réalité familiale et personnelle des personnes concernées. Car, si la peine complémentaire se justifie tout à fait dans le cas de personnes qui ne respectent pas les lois de leur pays d'accueil, il faut également que le magistrat tienne compte des situations concrètes pour éviter certaines situations, que je ne citerai pas ici mais que nous pouvons tous avoir en tête, qui sont effectivement difficiles, notamment lorsqu'un individu ne conserve plus aucune relation avec le pays dont il a la nationalité. La peine complémentaire peut alors être marquée d'une intensité et d'une gravité qui outrepassent l'esprit du texte qui l'a instituée.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter pour compléter l'intervention de M. Fischer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 63.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye.
M. Dominique Braye. Je ne suis d'accord ni avec M. Fischer ni avec M. le garde des sceaux.
Je ne suis pas d'accord avec M. le garde des sceaux lorsqu'il emploie le terme de « peine complémentaire », parce que j'estime qu'il s'agit non pas d'une peine complémentaire, mais d'une conséquence, et je m'en expliquerai.
Je ne suis pas non plus d'accord avec M. Fischer, qui soutient qu'il n'est pas dans l'air du temps. L'air du temps est à la démagogie, et vous y êtes pleinement, monsieur Fischer.
M. Guy Fischer. Non ! L'air du temps est aux propos sécuritaires et à la discrimination !
M. Dominique Braye. Je me suis beaucoup penché sur le problème de la double peine.
M. Robert Bret. Attention de ne pas tomber !
M. Dominique Braye. Comme M. le rapporteur, je pense que cette question devrait faire l'objet d'une discussion approfondie, de façon que l'ensemble des membres de la Haute Assemblée puissent être éclairés.
Je ne reprendrai pas les cas que je connais ; je citerai celui qu'a évoqué la presse ces derniers jours : une personne est sur le point d'être expulsée alors que sa femme est française, que tous ses enfants sont français, que ses sept ou huit frères et soeurs sont français. Il est le seul à ne pas avoir choisi la nationalité française, bien qu'il vive depuis très longtemps en France.
De deux choses l'une.
Soit il a choisi de ne pas adopter la nationalité française tout en étant conscient des conséquences que ce choix pouvait entraîner. A lui d'assumer aujourd'hui sa position. J'ai connu des étrangers qui, comme lui, n'avaient pas voulu de la nationalité française, qui, ayant été condamnés et reconduits à la frontière, ont eu le courage d'assumer leurs responsabilités.
Soit il ignorait les conséquences de son choix mais je n'ose croire à cette possibilité !
Comment en effet des étrangers vivant depuis si longtemps sur le territoire de notre pays, par exemple dans la région marseillaise ou dans la région lyonnaise, n'auraient-ils pas été alertés du fait que, s'ils commettent un délit, ils courent le risque d'être reconduits à la frontière ? Les élus mettent en place des associations, se chargent eux-mêmes d'informer ces populations. Ils ne les laissent pas dans l'ignorance ! Qui pourrait nous faire accroire que des Lyonnais ou des Marseillais, sur notre territoire depuis trente ans, ne sont pas au courant des conséquences que peut avoir une condamnation quand on n'a pas choisi la nationalité française ?
Oui, monsieur Fischer, vous êtes bien dans l'air du temps : vous êtes en pleine démagogie, alors qu'il s'agit d'un problème important qui impose la réflexion en même temps - et, sur ce point, je rejoins tout à fait M. le ministre - que plus d'individualisation. Il faut en effet étudier les situations au cas par cas, parce que toutes sont différentes et l'on ne saurait adopter une solution unique, comme vous l'avez toujours fait ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Robert Bret. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. La question est simple : peut-on être condamné deux fois pour un délit ?
M. Dominique Braye. Ce n'est pas une condamnation !
M. Robert Bret. Si !
M. Dominique Braye. Y a-t-il un arrêt de condamnation ?
Mme Nicole Borvo. C'est l'inégalité devant la justice !
M. Robert Bret. Ces personnes ont commis un délit, ont été condamnées, ont purgé leur peine, mais elles n'en sont pas moins bannies de notre pays. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. On les ramène dans leur pays !
Mme Nicole Borvo. La plupart n'ont pas de pays !
M. Robert Bret. Ces personnes sont le produit de notre histoire, du colonialisme, de l'immigration. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Elles sont arrivées jeunes en France,...
Mme Nicole Borvo. A six mois !
M. Robert Bret. ... ou y ont passé toute leur vie ; elles y sont allées à l'école, elles y ont travaillé, elles s'y sont mariées, elles ont eu des enfants...
M. Dominique Braye. Pourquoi certains choisissent-ils de prendre la nationalité française et d'autres pas ?
Mme Nicole Borvo. Vous ne connaissez pas les règles de naturalisation !
M. Robert Bret. Non seulement on leur fait purger leur peine, mais on les renvoie ensuite dans un pays qui n'est pas le leur,...
M. Dominique Braye. Le pays qu'elles ont choisi !
Mme Nicole Borvo. Pas du tout !
M. Robert Bret. ... dont bien souvent elles ne connaissent pas la langue ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. Ils ont choisi !
M. Robert Bret. Non, c'est plus compliqué ! Vous l'avez vous-même dit tout à l'heure, il ne faut pas être simpliste, surtout lorsqu'il s'agit de vies humaines que l'on est en train de briser !
Sans doute ce sujet fera-t-il - j'ai entendu M. le ministre - l'objet d'un débat d'une autre dimension à l'occasion de l'examen des projets de loi d'orientation et de programmation pour la justice et pour la sécurité intérieure, mais prenons garde aux grandes envolées quand la vie d'hommes et de femmes est en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 63.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Lanier, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après le dixième alinéa (8°) de l'article 15, insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ... De l'interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur. C'est un amendement de coordination avec l'amendement n° 5, que le Sénat a précédemment adopté, s'agissant de l'interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq au plus, une arme soumise à autorisation.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 14.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 15, modifié.

(L'article 15 est adopté.)

Article 16