SEANCE DU 5 NOVEMBRE 2002


M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 148 est présenté par MM. Peyronnet et Bel, Mme Blandin, MM. Charasse et Courteau, Mme Durrieu, MM. Dreyfus-Schmidt, Dauge, Frimat, Frécon, Lagauche, Lise, Marc, Mauroy, Raoul, Sueur et les membres du groupe socialiste.
L'amendement n° 189 est présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar et Mme Terrade.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
« Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 72 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour défendre l'amendement n° 148.
M. Jean-Claude Peyronnet. L'amendement n° 148 tend à inscrire dans la Constitution le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les étrangers non-ressortissants de l'Union européenne résidant en France. Il devrait bien entendu s'accompagner de conditions relatives à la durée de résidence qui restent à déterminer ; celle-ci, en tout état de cause, devrait être assez longue.
Nous avions déjà fait cette proposition au cours de la précédente législature ; elle avait été votée par l'Assemblée nationale, mais n'a pas été examinée par le Sénat. Il y a peu encore, elle semblait faire l'objet d'un consensus, et les plus hautes autorités de l'Etat elles-mêmes y paraissaient favorables. En réalité, chacun semble désormais rentrer dans sa coquille, et l'on voit cette idée reculer au profit de celle de l'intégration et de la naturalisation.
M. Henri de Richemont. A juste titre !
M. Jean-Claude Peyronnet. Donner le droit de vote aux étrangers pour les élections municipales n'est pas contradictoire avec leur intégration. Bien au contraire : c'est un moyen d'intégration.
Il nous semble que, dix ans après la révision de juin 1992, qui a accordé le droit de vote aux élections municipales aux ressortissants communautaires, il est temps d'aller un peu plus loin, de franchir le pas.
Cela permettrait de mettre un terme à certaines anomalies, telle celle qui voit des ressortissants étrangers privés du droit de vote quand leurs enfants en bénéficient.
M. Hilaire Flandre. Ils n'ont qu'à se faire naturaliser !
M. Jean-Claude Peyronnet. Par ailleurs, les étrangers disposent du droit de vote pour certaines élections, par exemple l'élection des délégués du personnel. C'est, à l'évidence, un moyen important d'intégration dans l'entreprise.
Nous pensons que, de la même façon, accorder le droit de vote aux étrangers dans les conseils municipaux serait un moyen d'intégration dans la cité. Ce serait aussi un moyen de renforcer la démocratie locale. Bref, on ne peut y trouver que des avantages.
On notera que cette reconnaissance touche à la notion de citoyenneté et non à celle de souveraineté nationale. Il s'agit bien des élections locales, et nous plaçons cette proposition après l'article 72, non dans le titre 1er, qui traite de la souveraineté nationale.
Nous pensons que le Sénat s'honorerait d'inclure cette disposition dans la Constitution, faisant ainsi accomplir un grand pas à l'intégration des étrangers et avancer la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon, pour défendre l'amendement n° 189.
M. Henri de Richemont. Elle va dire la même chose !
M. Jean Chérioux Bis repetita...
M. Jean Bizet. Même angélisme !
Mme Josiane Mathon. Ecoutez ! Vous jugerez après !
La République française a mis un siècle et demi à reconnaître le droit de vote des femmes.
MM. Philippe de Gaulle, Josselin de Rohan et Gérard Braun. Grâce au général de Gaulle !
Mme Josiane Mathon. Elle persiste, contre ses propres valeurs, qui lui font fonder la communauté nationale sur le sol et non sur le sang, à le refuser aux étrangers qui ont choisi de vivre sur le territoire national.
M. Philippe de Gaulle. Qu'ils deviennent alors Français !
Mme Josiane Mathon. Elle doit, aujourd'hui, non seulement mettre fin à cette injustice, mais encore donner toute sa signification à la conception de la citoyenneté. Chaque femme ou chaque homme qui choisit de vivre sur le sol français, quelle que soit sa nationalité, doit être reconnu citoyenne ou citoyen.
Accorder le droit de vote à tous ceux qui vivent dans notre pays - leur pays -, souvent d'ailleurs depuis longtemps, qui contribuent à son développement et à sa richesse, ce serait leur donner un signe fort de reconnaissance.
Je rappellerai que beaucoup d'entre eux s'impliquent dans les syndicats, les associations locales, et jouent un rôle important pour maintenir le lien social là où les difficultés sont grandes.
L'histoire de notre pays est aussi celle de ces millions d'étrangers qui l'ont construit. Nombreux sont ceux qui l'ont défendu au nom de ses valeurs de liberté et de fraternité.
M. Gérard Braun. Et d'égalité !
Mme Josiane Mathon. Il est urgent que le droit consacre enfin le fait qu'ils sont membres à part entière de ces communautés de vie, d'histoire, de culture et de projets que sont nos villes.
M. Hilaire Flandre. Et nos campagnes !
Mme Josiane Mathon. De plus, l'exercice de la citoyenneté est un facteur essentiel d'intégration à la société française.
C'est pourquoi les sénatrices et sénateurs communistes ont depuis longtemps, par voie d'amendements, comme aujourd'hui, ou par le biais d'une proposition de loi, comme en 1990, proposé d'instaurer, pour les étrangers vivant en France, le droit de vote de d'éligibilité aux élections municipales.
Depuis lors, les ressortissants de l'Union européenne ont acquis ce droit de vote, et l'élargissement de l'Europe va permettre à de nouveaux résidents d'en faire usage. Il devient de plus en plus injuste, et pour le moins paradoxal, de continuer à le refuser à des femmes et des hommes qui ont choisi notre pays pour y vivre. L'Assemblée nationale a adopté, voilà plus de deux ans, une proposition de loi en ce sens. Elle n'a jamais été mise à l'ordre du jour de notre assemblée. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Par le gouvernement socialiste !
M. Josselin de Rohan. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? C'était vous qui maîtrisiez l'ordre du jour !
Mme Hélène Luc. Vous étiez majoritaires à la conférence des présidents ! Si vous aviez voulu la mettre à l'ordre du jour, vous l'auriez fait !
M. Josselin de Rohan. Pas du tout ! C'était le Gouvernement qui avait la maîtrise de l'ordre du jour !
Mme Josiane Mathon. Au moment où s'ouvre un débat sur l'intégration, le Sénat s'honorerait en adoptant l'amendement que nous lui soumettons aujourd'hui.
Permettez-moi une dernière remarque : M. le Premier ministre oppose le droit de vote des étrangers non communautaires à l'acquisition de la nationalité, débat qui lui paraît plus important.
M. Henri de Richemont. Il a raison !
Mme Josiane Mathon. Nous pensons, pour notre part, que chacun doit avoir la possibilité de choisir entre demander la nationalité française ou conserver la sienne. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Henri de Richemont. Ou les deux !
Mme Josiane Mathon. La double nationalité, nous la reconnaissons.
Par ailleurs, qu'y a-t-il de plus essentiel que d'offrir à chacune et à chacun les conditions d'une pleine citoyenneté ? Pour cela, il faut le droit de vote et plus que le droit de vote : la démocratie représentative ne suffit pas. Le scrutin du 21 avril dernier nous a rappelé combien la citoyenneté doit se nourrir de la démocratie directe.
M. Henri de Richemont. Qu'est-ce que ça veut dire ?
M. Hilaire Flandre. Robert Hue doit s'en souvenir !
Mme Josiane Mathon. Il faut développer à grande échelle et à tous les niveaux les structures et les moyens de la participation citoyenne ouverte aux hommes et aux femmes de toutes origines. C'est ce que nous avons proposé, sans succès, lors de l'examen du projet de loi relatif à la démocratie de proximité. Aujourd'hui, il n'est pas trop tard pour avancer dans ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupecommuniste, républicain et citoyen.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. La question est complexe, intéressante, et elle mérite une réflexion approfondie.
Il existe, depuis 1992, un article L.O. 227-1 du code électoral selon lequel les citoyens de l'Union européenne résidant en France sont électeurs et éligibles aux élections municipales, sous certaines conditions et sous réserve de réciprocité.
Malheureusement, les dispositions du présent projet de loi constitutionnelle ne traitent pas du droit de vote et de l'éligibilité aux élections municipales. C'est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. Henri de Richemont. C'est hors sujet !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Le Gouvernement émet également un avis défavorable et cela pour deux raisons. Mais, avant de les développer, je souhaiterais faire une observation.
Madame Mathon, je vous ferai remarquer que dans aucun Etat communiste, les étrangers n'ont eu le droit de voter. Cela ne s'est jamais vu ! (Protestations sur les travées du groupe communiste, républicain et citoyen et du groupe socialiste.)
M. Robert Bret. C'est un peu court, comme réponse !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Même à Cuba, ce n'est pas le cas aujourd'hui !
M. Robert Bret. Ça, c'est un argument stalinien !
M. Hilaire Flandre. A Cuba, c'est le parti unique !
Mme Marie-France Beaufils. Nous sommes en France !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Oui, nous sommes en France, et nous aimerions y rester !
Vous savez, moi, je suis le fils d'un étranger qui est mort sans avoir la nationalité française.
Mme Hélène Luc. Justement !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je n'ai donc aucun complexe sur cette question. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Il y a, je l'ai dit, deux raisons pour lesquelles le Gouvernement est hostile à ces deux amendements.
Premièrement, la différence entre les ressortissants de l'Union européenne et les autres étrangers, c'est que les ressortissants de l'Union européenne permettent la réciprocité du droit de vote : les Français peuvent voter dans les autres pays de l'Union européenne. Avec les pays extra-communautaires, cette réciprocité n'est actuellement pas du tout possible. Or, en droit international, quand on accorde un droit, la réciprocité est une exigence absolue.
M. Jacques Peyrat. Très bien !
M. Patrick Devedjian ministre délégué. Deuxièmement, l'intégration suppose l'acquisition de la pleine nationalité et de l'intégralité des droits de vote. Pour en bénéficier, il existe un moyen : devenir Français.
Madame Mathon, j'ai été très choqué lorsque vous avez affirmé qu'il était légitime de vouloir s'intégrer tout en gardant sa nationalité d'origine. Non, ce n'est pas possible ! Si l'on veut s'intégrer, on peut, certes, avoir la double nationalité mais, au moins, il faut acquérir la nationalité du pays dans lequel on souhaite s'intégrer.
Dans certains pays, c'est vrai, on accorde à des étrangers extra-communautaires le droit de vote aux élections locales.
Mais c'est parce que, dans ces pays-là, on n'accorde pas la nationalité. Le droit de vote aux élections locales est en fait un ersatz de la naturalisation. C'est précisément pour ne pas accorder la naturalisation que certains pays - je ne veux pas les désigner pour ne pas créer de difficultés - donnent simplement le droit de vote aux élections locales à des étrangers résidents de longue date. Le droit de vote accordé aux étrangers constitue donc un moyen d'éviter l'acquisition de la nationalité.
Dans notre pays, nous naturalisons chaque année environ 100 000 étrangers ; c'est tout de même le signe d'une intégration qui n'est pas négligeable. D'ailleurs, dans notre pays, l'intégration fonctionne si bien que, sur toutes les travées de cette assemblée, beaucoup sont enfants d'étrangers. De même, un certain nombre de membres du gouvernement actuel sont des enfants d'étrangers. Voilà qui témoigne tout de même de ce que l'intégration dans la République est plutôt une réussite.
Autrement dit, contrairement aux affirmations démagogiques que nous avons entendues, ces deux amendements vont totalement à l'encontre de l'intégration. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Estier. Dites cela à M. Douste-Blazy !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, pour explication de vote.
Mme Hélène Luc. Je dois vous avouer, monsieur le ministre délégué, que je suis particulièrement déçue de ce que vous venez de dire, précisément venant de vous, eu égard aux origines que vous avez rappelées.
M. Gérard Braun. Et alors ?
M. Jacques Peyrat. Je ne vois pas le rapport !
Mme Hélène Luc. Nous nous sommes battus ensemble, et avec mon ami Robert Bret, pour faire reconnaître - certes, ce n'est pas le même problème - le génocide des Arméniens.
M. Jacques Peyrat. Vous et quelques autres !
Mme Hélène Luc. Moi aussi, je veux rappeler mes origines. Je suis la fille d'un émigré italien qui a combattu dans la Résistance. J'ai des soeurs qui ont fait de la résistance. Et pourquoi n'auraient-ils pas eu le droit de voter ? Pourquoi la femme de Manouchian et d'autres résistants qui militaient, à l'époque, parmi les FTP-MOI n'auraient-ils pas le droit de voter ?
Mais, pour en revenir à l'époque présente, je veux rappeler ce qui s'est passé en conférence des présidents. La majorité sénatoriale, à un moment donné, a fait mine d'être prête à débattre de cette question. Hélas ! les conférences des présidents se sont succédé et jamais ce sujet n'a été inscrit à l'ordre du jour. Or la majorité sénatoriale peut faire tout ce qu'elle veut en conférence des présidents.
M. Jean Chérioux. Non ! C'est le Gouvernement !
Mme Hélène Luc. De temps à autres, des ministres, des députés, des sénateurs conviennent qu'il faudrait donner le droit de vote aux étrangers. Mais, lorsque la proposition en est faite, il ne se passe plus rien !
M. Hilaire Flandre. Et pourquoi ne se font-ils pas naturaliser ?
Mme Hélène Luc. Alors, ne dites plus que vous êtes pour le droit de vote des immigrés !
M. Hilaire Flandre. Nous ne l'avons jamais dit !
Mme Hélène Luc. Certains d'entre vous feignent d'y être favorables.
Ce problème vaut d'être discuté, car il se pose depuis longtemps et, malgré les promesses qui ont été faites, il n'est toujours pas réglé.
M. Josselin de Rohan. Même pas par la gauche !
M. Hilaire Flandre. Ridicule !
M. Henri de Richemont. La gauche ne l'a pas réglé !
Mme Hélène Luc. Et il faut que l'opinion sache pourquoi.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je pense que manque depuis longtemps à la France un beau message adressé aux populations d'origine immigrée : « Vous êtes les bienvenus. Vous contribuez à notre richesse multiculturelle. Nous ne vous considérons pas comme de simples bras quand manque la main-d'oeuvre, comme des femmes corvéables à merci pour la sous-traitance dans nos grandes chaînes d'hôtel. Nous vous reconnaissons comme de vrais participants à notre démocratie locale. Vous faites notre pain, vous payez des impôts, vous participez à la vie de la cité. Vous avez votre mot à dire. »
Cela aurait été beau, cela aurait été bien reçu, et c'était attendu.
J'ai entendu le Gouvernement évoquer la réciprocité. Cet argument, je ne le retiens pas. Et j'ai surtout entendu, sur les bancs de la majorité sénatoriale, des interjections : « Ils n'ont qu'à devenir Français, ils n'ont qu'à se faire naturaliser. »
M. Jean Chérioux. Absolument !
Mme Marie-Christine Blandin. Absolument, dites-vous, monsieur Chérioux ?
M. Jean Chérioux. Oui, et j'ai le droit de le dire : je suis fier d'être citoyen français ! On doit être fier de l'être.
Mme Marie-Christine Blandin. Le problème, c'est qu'on ne vous entend jamais faire cette proposition aux citoyens de l'Union européenne !
Y aurait-il donc étranger et étranger ?
M. Hilaire Flandre. Evidemment !
Mme Marie-Christine Blandin. Et comment les reconnaissez-vous ?
Quoi qu'il en soit, ce débat ne mérite ni passion ni colère, mais raison et générosité. Cet amendement vous offre l'opportunité d'agir. Si le rendez-vous est raté - et je crains qu'il ne le soit -, ce sera une porte de plus qui se fermera ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe communiste, républicain et citoyen.)
M. Jean Bizet. Pas de leçon de morale !
M. Jean Chérioux. Vous n'avez pas le monopole du coeur !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je reprendrai les deux termes par lesquels Marie-Christine Blandin a conclu son intervention : raison et générosité. Nous devons pouvoir, même à cette heure-ci, aborder sereinement cette question, et tenir compte de l'inquiétude des intéressés. Evitons, dans ces conditions, de nous affronter ! Essayons de parler simplement du fond de ce débat !
Vous avez évoqué, monsieur le garde des sceaux, le 21 avril. Or, le 21 avril, cela a été un choc pour tout le monde, au-delà même de la péripétie d'une simple élection.
M. Hilaire Flandre. Surtout pour vous !
M. Bernard Frimat. On a alors constaté que, parmi ceux qui étaient citoyens et qui avaient le droit de vote, nombreux n'ont pas jugé utile, ce jour-là, de se déplacer. Ils avaient autre chose à faire ! Et, parmi ceux qui ne se sont pas déplacés, un certain nombre de jeunes nous ont dit - et sans doute les avez-vous aussi entendus - que, citoyens français, ils considéraient qu'ils ne pouvaient utiliser leur droit de vote alors même que ce droit avait été nié à leurs parents, qui vivent pourtant sur notre sol de France depuis de nombreuses années, qui y ont travaillé, qui ont d'ailleurs souvent été honorés par la République en se voyant remettre la médaille du travail, mais qui ont aussi payé un lourd tribut avec les accidents du travail. Oui, malgré cela, ce droit leur avait été dénié parce qu'ils n'étaient pas...
M. Hilaire Flandre. Français !
M. Bernard Frimat. ... considérés comme dignes bien qu'étant citoyens.
Je crois que nous avons aussi un message à adresser à cette génération !
Bien sûr, je vous entends : il est toujours possible de demander la naturalisation.
M. Jean Chérioux. Voilà !
M. Bernard Frimat. Vous l'avez suffisamment répété pour que nous ne l'ayons pas entendu, malgré les difficultés d'audition que vous semblez nous reprocher.
Est-ce si grave, pour vous, que la République les reconnaisse comme citoyens pour les élections municipales, pour les élections locales...
M. Josselin de Rohan. Oui, c'est grave !
M. Bernard Frimat. ... de la même façon que nous reconnaissons les étrangers membres de l'Union européenne ? Nous sommes dans un schéma simple, et il n'y a pas lieu de s'énerver.
Pour ma part, je remercie M. Devedjian de sa réponse, qui a le très grand mérite de la clarté. Ainsi, vos positions, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité, je ne les partage pas, mais je peux les entendre et les respecter, d'autant que nous parvenons en cet instant à ce degré d'écoute qui devrait régner normalement dans cette enceinte. Oui, sur le fond, je ne suis pas d'accord avec vous, mais je peux très bien supporter ces divergences, et je crains d'ailleurs que nous n'en ayons encore quelques-unes dans les heures qui viennent.
Voilà pourquoi, en tout cas, le groupe socialiste a demandé un scrutin public sur ces amendements : nous pourrons voir ce soir, de manière calme et sereine, qui accorde ses actes et ses déclarations. Pour nous, les choses sont claires : nous voterons ces deux amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert Del Picchia. Mes chers collègues, on parle beaucoup ce soir des étrangers en France et de leur droit de vote. On oublie qu'il y a deux millions de Français à l'étranger ! Je suis un de leurs représentants et, malheureusement, je puis vous dire que les Français qui résident à l'étranger - je sais de quoi je parle, car j'ai résidé pendant trente ans, et dans plusieurs pays différents - n'ont pas le droit de vote : s'ils veulent voter, on leur demande tout simplement de prendre la nationalité du pays où ils résident.
Je m'appelle Robert Del Picchia, et ce nom est d'origine italienne. Mon père a été naturalisé français et il a bénéficié du droit de vote. M. Forni, ancien président de l'Assemblée nationale, était dans le même cas. Mais, aujourd'hui, j'ai l'impression, mes chers collègues, que ceux à qui l'on veut donner le droit de vote en leur accordant la nationalité française - ce que l'on fait très volontiers dans notre pays - ont honte d'être Français.
Moi, je crois qu'il n'y a pas à avoir honte d'être Français et, si l'on veut voter, alors il faut que l'on devienne Français et que l'on partage l'avenir de la communauté de ce pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy, pour explication de vote.
M. Pierre Mauroy. Je ne crois pas du tout que l'on puisse avoir honte d'être Français ! Le problème ne se pose pas en ces termes. Ainsi, dans ma rue, résident des Algériens qui sont là depuis des années. Nous évoquons souvent ces problèmes-là ensemble.
M. Hilaire Flandre. Ce sont des Français !
M. Pierre Mauroy. Eh bien, quand je leur demande s'ils se sentent Algériens, ils me répondent non. Il est vrai qu'ils sont là depuis longtemps. Mais, quand je leur demande ensuite s'ils se sentent Français, ils me répondent non aussi. En fait, ils se sentent Lillois. (Rires.)
Vous savez bien, mes chers collègues, vous qui êtes maires, à quel point tous les étrangers qui s'implantent dans une commune...
M. Hilaire Flandre. Ils vont demander l'indépendance ! (Sourires.)
M. Pierre Mauroy. ... ont besoin de se sentir enracinés !
Quoi qu'il en soit, mes chers collègues, nous sommes devant un choix réellement décisif : ou bien vous montrerez ce soir que la France est généreuse et solidaire, ou bien vous ne serez que l'expression du conservatisme (Protestations sur les travées du RPR)...
M. Hilaire Flandre. S'ils sont naturalisés...
M. Pierre Mauroy. Oh ! ne racontez pas d'histoires !
M. Jean Chérioux. C'est vous qui racontez des histoires !
M. Pierre Mauroy. Vous savez bien à quel rythme la France naturalise : cela demandera des années et des années...
M. Josselin de Rohan. Elle procède à 100 000 naturalisations par an !
M. Pierre Mauroy. ... et, en fin de compte, cela ne se fera pas.
Nous avons accordé le droit de vote aux ressortissants de membres de la Communauté européenne. Le moment est venu de faire ce geste, ce grand acte de solidarité, et de voter cette disposition pour que tous les étrangers puissent voter et être éligibles.
M. Laurent Béteille. Qu'a fait Jospin pendant cinq ans ?
M. Pierre Mauroy. Ils sont quelques millions en France, et nous devons faire ce geste à leur égard.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission. Cela a un nom : c'est du clientélisme !
M. Gérard Braun. Vous êtes restés cinq ans au pouvoir. Pourquoi ne l'avez-vous fait ?
M. Pierre Mauroy. Mais nous prenons acte que, en fait, vous ne voulez rien faire...
M. Gérard Braun. C'est incroyable !
M. Pierre Mauroy. ... qui relève de la modernité, de la générosité.
Faites ce geste, mes chers collègues !
M. Gérard Braun. Vous avez été cinq ans au pouvoir !
M. Hilaire Flandre. Vous avez été Premier ministre !
M. Pierre Mauroy. Faites ce geste généreux et solidaire ! Ce sera un grand événement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Les arguments pour et contre ayant été largement échangés, les positions des uns et des autres sont clairement définies et toutes les conditions sont donc réunies pour que nous puissions à présent passer au vote.
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 148 et 189.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 25:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 106
Contre 206

Mme Hélène Luc. Il y a quand même un progrès ! On y arrivera !

Article 5