SEANCE DU 11 DECEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 46, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 24 de la Constitution est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le Sénat, saisi par les collectivités territoriales et les citoyens, des initiatives d'ordre législatif, les examine.
« Il transmet à l'Assemblée nationale les dispositions éventuellement adoptées.
« Saisi par l'Assemblée nationale ou le Gouvernement d'un projet ou d'une proposition de loi portant sur l'organisation ou les compétences des collectivités territoriales, le Sénat le transmet à ces dernières pour examen. Une loi organique établira les conditions d'examen par le Sénat des amendements adoptés par les collectivités concernées. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Cet amendement a pour objet de donner un véritable rôle aux collectivités territoriales dans l'élaboration de textes législatifs les concernant directement.
Dans un premier temps, notre amendement pose le principe que les collectivités territoriales, mais aussi les citoyens, peuvent transmettre des initiatives d'ordre législatif au Sénat. En effet, la décentralisation n'est pas seulement le transfert de compétences envers les collectivités, c'est aussi une approche démocratique et citoyenne de l'Etat vis-à-vis des citoyens qui doit les associer à cette démarche décentralisatrice.
Nous proposons donc que le Sénat joue ce rôle d'interface en qualité de représentant des collectivités territoriales. C'est également l'occasion d'éclairer les citoyens, en les associant au processus législatif, sur le rôle de notre institution.
Cet amendement participe à la réforme du Sénat. Plutôt que de vouloir à tout prix obtenir la primauté sur les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales, le débat que nous menons aujourd'hui pourrait être l'occasion d'engager une véritable réflexion sur le rôle du Sénat.
C'est pourquoi nous vous demandons, dans un souci de décentralisation réellement démocratique, d'adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Ce dispositif a été rejeté en première lecture. Il conduirait tout simplement à une remise en cause des droits du Parlement et réduirait le Sénat à un rôle de chambre des collectivités territoriales. Or, aux termes de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. »
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 46.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidart-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 24 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La juste représentation du corps électoral par les deux chambres qui composent le Parlement est garantie par une adaptation régulière à l'évolution de la population. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Cet amendement propose l'adaptation des deux assemblées, l'Assemblée nationale et le Sénat, à l'évolution de la population française, qui n'est pas prise en compte aujourd'hui. Nos deux assemblées ne représentent plus guère la population française puisque, s'agissant de l'Assemblée nationale, les circonscriptions législatives sont fondées sur un recensement de la population datant de 1982. Quant au Sénat, il représente la France de 1975.
On parvient à quelques disparités de représentation, d'ailleurs parfois aggravées par le découpage des circonscriptions électorales ou par le mode de scrutin. Nous pouvons rappeler notamment que le nombre des membres de l'Assemblée nationale n'a pas suivi l'évolution de la population française. Ainsi a-t-on découpé 577 circonscriptions correspondant à peu près à une population de 57 millions d'habitants recensée en 1982, alors qu'elle s'élève, d'après le recensement de 1999, à plus de 60 millions d'habitants.
Cet amendement s'inscrit dans un démarche de rénovation du Sénat. S'il veut se voir accorder plus de compétences, il ne peut rejeter toute réforme en la matière.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Le Sénat a rejeté en première lecture un amendement identique, sans rapport avec les dispositions du projet de loi constitutionnelle. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous voterons pour cet amendement mais, personnellement, je ne lui donne pas la même signification que celle qui a été exposée.
C'est une bonne chose, en effet, que les deux assemblées représentent justement le corps électoral. Il n'est pas besoin, pour autant, d'augmenter le nombre des députés et des sénateurs qui sont déjà, à mon humble avis, beaucoup trop nombreux.
En revanche, il est parfaitement possible de redécouper les circonscriptions pour tenir compte de l'évolution démographique.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Nos collègues et amis communistes ne m'en voudront pas de dire que leur amendement - dont M. Dreyfus-Schmidt vient par ailleurs de dire, sur le fond, l'intérêt qui lui est porté - n'ajoute rien et est sans effet.
Il s'agit de l'application du principe d'égalité. Or le principe d'égalité est permanent et doit s'appliquer tout le temps. Par conséquent, on doit l'appliquer constamment.
En outre, le Conseil constitutionnel a rappelé, en ce qui concerne notamment le Sénat, que sa loi électorale doit faire l'objet d'une adaptation à l'évolution démographique. Il n'empêche que cette adaptation n'a pas eu lieu puisque le précédent gouvernement n'a pas voulu remettre en cause la composition actuelle du Sénat, à la suite d'une tentative de création de siège qui n'avait pas abouti.
Par conséquent, mes chers collègues, votre amendement ne sert à rien. Si vous écriviez qu'une assemblée dont on n'a pas adapté la composition en fonction de la démographie ne peut pas être élue, ce serait une autre paire de manches ! Mais, tant qu'on se borne à affirmer des principes qui existent déjà par ailleurs et qui ne sont accompagnés d'aucune sanction, on perd un peu son temps !
S'il s'agit de soutenir la démarche et l'idée, bien entendu, on est d'accord. De là à dire que, si cet amendement était adopté, il en résulterait un grand changement par rapport à la situation actuelle, je dis à nos amis communistes que, malheureusement, ce n'est pas le cas.
M. Jean Bizet. Remarque très pertinente !
M. le président. La parole est à M. Louis Moinard, pour explication de vote.
M. Louis Moinard. Je tiens à souligner que le Sénat représente, certes, des populations, mais aussi des territoires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Clipperton ! (Sourires.)
M. Louis Moinard. Je prendrai trois exemples : la Corse compte deux départements, une région et trois cent mille habitants ; le Lot, la Lozère et la Creuse représentent moins de trois cent mille habitants et vivent dans la rue de Vaugirard, à Paris, trois cent mille habitants.
M. Michel Charasse. Et zéro terrain de bohémiens !
M. Louis Moinard. Cela ne se gère pas obligatoirement de la même façon.
Mme Nicole Borvo. C'est déjà le cas !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 47.

(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Nicole Borvo. C'est mal parti, la représentation du Sénat !
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Au début du premier alinéa de l'article 25 de la Constitution, il est ajouté deux phrases ainsi rédigées :
« La durée des pouvoirs de l'Assemblée nationale est de cinq ans, celle du Sénat, de six ans. Est éligible au Parlement tout Français ayant vingt-trois ans. »
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "la durée des pouvoirs de chaque assemblée" sont supprimés. »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Cet amendement vise, d'une part, à inscrire dans la Constitution la durée du mandat des assemblées, réduite à six ans pour le Sénat et, d'autre part, à fixer un âge d'éligibilité unique pour l'Assemblée nationale et le Sénat. Pourquoi ne pas inscrire la durée des mandats des deux assemblées dans la Constitution, comme c'est déjà le cas pour le mandat présidentiel ?
Par ailleurs, il serait temps de concrétiser les propositions de réduction du mandat sénatorial, qui émanent non seulement du groupe communiste républicain et citoyen, mais également de la majorité. En effet, parmi tous les éléments du statut électoral des sénateurs, la durée du mandat est sans doute celui qui suscite le plus d'interrogations et de critiques. J'en veux pour preuve que pas moins de sept propositions de loi organique ont été déposées entre juin et octobre 2000 sur le bureau du Sénat.
Cet amendement a également pour objet de fixer à vingt-trois ans l'âge unique d'éligibilité à l'Assemblée nationale et au Sénat. Les Françaises et les Français ont la capacité d'élaborer la loi à partir de vingt-trois ans à l'Assemblée nationale, pourquoi n'en serait-il pas de même au Sénat ? Cette mesure traduit encore notre volonté de rapprocher les institutions des citoyens, et particulièrement le Sénat, qui est mal connu et parfois même jugé inutile.
Cet amendement vise, là aussi, à inscrire une démarche décentralisatrice.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Le Sénat a rejeté en première lecture un amendement identique. Nous considérons qu'il est sans rapport avec les dispositions du projet de loi constitutionnelle. La commission y est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 48.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme M. André, M. Bel, Mmes Blandin et Y. Boyer, MM. Carrère et Cazeau, Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Courrière, Courteau, Frimat, Frécon et C. Gautier, Mme Herviaux, MM. Lagauche, Lagorsse, Lejeune, Lise, Marc, Miquel, Moreigne, Le Pensec, Pastor, Picheral, Plancade, Raoul, Saunier, Sueur, Sutour, Teston, Trémel, Vézinhet, Vidal et Auban, Mme Campion, MM. Domeizel, Dussaut, Godefroy, Haut, Madrelle, Percheron, Roujas et Vantomme, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
« Art. 53-3. - Dans le respect du premier alinéa de l'article 2, la République peut reconnaître les principes prévus par la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 7 mai 1999. »
La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Eléments de notre patrimoine culturel, les langues régionales sont en voie de disparition. Tenter de freiner ce déclin devrait être une ardente obligation. Je rappelle que, chaque jour qui passe, de nombreuses personnes parlant des langues régionales décèdent, alors que parmi les jeunes qui viennent au monde à l'heure actuelle seuls 1 % à 2 % sont en situation d'apprendre celles-ci. Ce patrimoine risque donc de totalement disparaître.
M. Hilaire Flandre. C'est bien vrai !
M. François Marc. De nombreuses initiatives ont été prises au cours des vingt dernières années pour favoriser l'enseignement des langues régionales et donc la préservation de ce patrimoine.
Cependant, chacune de ces initiatives s'est heurtée à l'opposition du Conseil constitutionnel, qui, à chaque fois, a rappelé que la Constitution ne permettait pas d'aller plus loin dans la démarche législative pour reconnaître les langues régionales.
Nous nous étonnons donc que M. le ministre ait récemment déclaré devant l'Assemblée nationale qu'il n'y avait pas lieu de modifier la Constitution parce qu'une simple loi suffirait.
Or, mes chers collègues, et c'est ce qui justifie le dépôt de cet amendement, le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 29 novembre 2002, a pris des décisions draconiennes : il a confirmé, bien sûr, que l'enseignement par immersion n'était pas acceptable, mais, surtout, il a constaté que tous les enseignements des langues régionales en France, dans le cadre du système traditionnel, qu'il s'agisse d'enseignement public, confessionnel ou associatif, comme dans les classes européennes, étaient en contradiction avec les dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires.
Le Conseil d'Etat, dans cet arrêt du 29 novembre 2002, a donc estimé qu'il était sans doute nécessaire d'élaborer une loi pour permettre la reconnaissance de ces formes d'enseignement.
Tout le monde mesure la conséquence immédiate de cet arrêt : les familles qui ont scolarisé leur enfant dans un enseignement bilingue sont légitimement amenées à se demander si, la pérennité de ces enseignements n'étant plus assurée, elles doivent y laisser leurs enfants ou dès à présent les en retirer.
L'ensemble des filières s'adresse à nous, aux parlementaires comme au Gouvernement, pour que des dispositions soient prises.
Pour en venir à l'amendement n° 3 rectifié, il vise à nous donner une base constitutionnelle nous permettant de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires que la France a signée en 1999, sous l'impulsion du Premier ministre et avec l'accord du Président de la République.
Cette signature retenant trente-neuf des quatre-vingt-quatorze alinéas a été assortie d'une déclaration interprétative. A l'issue de cette signature, le Président de la République a sollicité l'avis du Conseil constitutionnel.
Celui-ci a fait connaître sa position : la charte contenait des dispositions contraires à la Constitution, nouvelle confirmation de la situation que je dénonce.
Si cet amendement est adopté, et une fois la charte ratifiée, le juge constitutionnel comme le juge administratif sauront clairement que le législateur souhaite la survie des langues régionales.
Tout en considérant comme fondamental l'alinéa 1er de l'article 2 de la Constitution, qui énonce que la langue de la République est le français, nous souhaitons revenir à l'interprétation qui prévalait lors de l'adoption de ce nouvel alinéa de l'article 2 en 1992, à savoir que les langues régionales n'étaient pas visées par cet ajout.
Mes chers collègues, pourquoi cet amendement est-il proposé en deuxième lecture ? Vous l'avez bien compris, c'est cet arrêt du Conseil d'Etat intervenu il y a quelques jours, qui place l'ensemble des enseignements bilingues en France dans une situation catastrophique, qui nous a poussés à le déposer.
Ces enseignements ne sont plus reconnus, les familles sont dans l'expectative, et même dans l'inquiétude, quant à leur pérennité.
C'est pourquoi quarante-deux sénateurs du groupe socialiste et un apparenté ont signé cet amendement qui permettra de sécuriser immédiatement ces filières.
Mes chers collègues, nous avons souvent entendu dire ici ces derniers temps que « l'unité n'est pas l'uniformité ». Belle formule, et tellement vraie ! Mais pourquoi ne s'appliquerait-elle pas aux langues ?
Je vous invite donc, mes chers collègues, à suivre les signataires de l'amendement n° 3 rectifié. J'ai noté que M. de Rohan, président du groupe de l'UMP, avait maintes fois déclaré publiquement en Bretagne que, s'il fallait modifier la Constitution pour aller dans ce sens, il serait nécessairement d'accord. J'attends donc que M. le président du groupe de l'UMP apporte son soutien à notre démarche.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission des lois, mais je sais que cela ne vous suffira pas, mon cher collègue.
J'ajoute donc qu'il est sans rapport avec le présent projet de loi consitutionnelle, sauf à l'y « raccrocher » par le biais que vous avez évoqué, ce qui me conduit à parler des textes qui régissent l'enseignement des langues régionales dans notre pays.
Le texte de base est la loi « Deixonne » du 11 janvier 1951. Quatre langues sont qualifiées de langues régionales : le basque, le breton, le catalan et l'occitan. Le corse, quant à lui, peut être étudié en tant que tel depuis le décret Fontanet du 16 janvier 1974. La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse comporte plusieurs dispositions destinées à favoriser son apprentissage et son usage. Deux décrets du 12 mai 1981 et du 20 octobre 1992 ont ajouté à cette liste le tahitien et les langues mélanésiennes.
Tel est l'état de la législation.
La position exprimée à deux reprises par le Conseil constitutionnel ayant été exposé par M. Marc, je n'y reviens pas.
Je me demande pourquoi nos collègues socialistes, qui nous ont tant parlé de l'indivisibilité et de l'unité de la République, veulent à tout prix faire apparaître comme essentielle la ratification d'une charte dont certaines clauses sont contraires aux principes du droit français, notamment de notre droit constitutionnel, et à nos habitudes.
M. Marc a dit que pour traiter ce problème il fallait une loi. Certes, mais une loi simple suffirait. Il faut peut-être « peigner » les textes anciens et les remettre à l'ordre du jour, mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'en passer par la Constitution.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, et pour répondre à M. Marc, je dirai d'abord qu'il faut y voir clair dans les différentes catégories de normes juridiques.
Le Conseil d'Etat a annulé une circulaire. Pour légiférer sur le même point, inutile de modifier la Constitution. L'annulation de la circulaire Lang n'implique donc pas que si l'on veut parvenir à ce que souhaitait M. Lang, qui je crois a appartenu au socialiste, il faut modifier la Constitution. C'est un premier point qui me paraît extrêmement important.
Deuxième point, s'agissant maintenant de l'avis de Conseil constitutionnel sur la charte européenne, je veux citer les deux raisons qui l'ont conduit à estimer qu'elle était contraire à la Constitution, car, compte tenu de ce qui a pu être dit ici et à l'Assemblée nationale sur la conception que les uns et les autres avaient de la République, cela me paraît important.
La charte, si elle était ratifiée, serait en contradiction avec la Constitution, d'une part, du fait de l'impossibilité constitutionnelle - qui me paraît assez opportune - de reconnaître « des droits collectifs à quelque groupe que ce soit définis par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyances », d'autre part, parce que la Constitution impose l'usage de la langue française aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public...
M. Michel Charasse. C'est l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 15 août 1539 !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. ... et interdit corrélativement aux « particuliers de se prévaloir dans leurs relations avec les administrations et les services publics d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français » et empêche qu'ils puissent être « contraints à un tel usage ».
Il me semble que ces deux motifs sont suffisants pour que nous n'allions pas dans une telle direction. Or, en proposant de modifier la Constitution, vous nous suggérez, monsieur Marc, de passer outre ces deux objections. Cela me paraît déraisonnable.
Enfin, la Constitution permet tout à fait, et nous y sommes, je crois, les uns et les autres attentifs, les expressions culturelles régionales. Il s'agit là d'un véritable enjeu, et les collectivités locales comme l'Etat soutiennent l'éclosion du théâtre régional et de toutes formes d'expression culturelle en langues régionales de manière à préserver la diversité de ce patrimoine français auquel nous sommes tous attachés.
Pour toutes ces raisons, avec beaucoup de conviction et de force, je demande donc au Sénat de ne pas adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. M. le garde des sceaux nous a apporté quelques précisions qui n'éclairent toutefois en rien le débat. En effet, selon le Conseil d'Etat, il faut une loi, et, selon le Conseil constitutionnel, aucune loi ne sera recevable au regard de la Constitution dans son état actuel.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Ce n'est pas ça !
M. François Marc. Les débats qui ont eu lieu récemment dans l'Europe entière sur les langues régionales ont pourtant révélé qu'un grand nombre de pays avaient, eux, compris l'importance qui s'attache à la préservation de ce patrimoine. La charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été adoptée par un ensemble de pays, tels l'Espagne, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, l'Autriche et l'Allemagne. Pourquoi la France ne veut-elle pas ratifier cette charte européenne, dont trente-neuf dispositions ont été validées par le gouvernement précédent, en accord avec le Président de la République ? Pourquoi ne nous donnons-nous pas la possibilité d'autoriser le Gouvernement à signer cette charte et, de ce fait, à débloquer le processus qui permettra une véritable expression des langues régionales ?
Dans ce débat, M. de Rohan, président du groupe de l'UMP, a maintes fois déclaré qu'il faudrait, si nécessaire, modifier la Constitution. Je demande donc un peu de cohérence ! Pourquoi notre assemblée n'accepte-t-elle pas ces arguments ? Pourquoi la nécessité, qui est aujourd'hui reconnue par tous en Europe, de préserver notre patrimoine de langues régionales est-elle à ce point ignorée par le Gouvernement et par sa majorité ?
Je demande donc instamment que l'on donne au Gouvernement les moyens de favoriser les langues régionales dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, pour explication de vote.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, quelle que soit la sympathie que j'ai, et elle est grande, pour les signataires de cet amendement, je n'y ai pas ajouté mon nom. Sans entrer dans le détail, je soulèverai un point de droit.
Notre Constitution prévoit dans son article 54 que lorsque le Conseil constitutionnel déclare qu'un accord international n'est pas conforme à la Constitution, sa ratification ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution : c'est le texte même de l'article 54.
Or, en ce qui concerne les accords internationaux, toutes les décisions intervenues dans le domaine de l'article 54 depuis 1958, toutes, sans exception aucune, ont toujours comporté dans l'article 1er de la décision la formule selon laquelle le traité ou l'accord concerné ne pourrait être ratifié qu'après révision de la Constitution, lorsque, bien entendu, le Conseil constatait qu'il n'y avait pas conformité.
Cela s'est toujours vérifié, sauf dans un cas, celui de la charte sur les langues.
Dans ce cas, à l'article 1er de sa décision, pour la première et unique fois depuis 1958, le Conseil se contente de dire que la charte n'est pas conforme, un point c'est tout !
Pourquoi le Conseil constitutionnel n'a-t-il pas repris pour la charte la formule qu'il retient habituellement et que depuis 1958 il a toujours retenue pour les accords internationaux qui nous ont amenés à réviser la Constitution ?
Pour la raison très simple, mes chers collègues, que dans sa décision que M. le garde des sceaux vient de rappeler après M. le rapporteur le Conseil constate que la charte porte atteinte, entre autres, aux principes d'indivisibilité de la République et d'égalité.
M. Adrien Gouteyron. Eh oui !
M. Michel Charasse. Or, mes chers collègues, ces principes-là garantissent la forme républicaine du gouvernement en France et, aux termes de l'article 89, dernier alinéa, de la Constitution, la forme républicaine du gouvernement ne peut pas faire l'objet d'une révision.
Donc, pour la première et unique fois, le Conseil constitutionnel a dit en fait dans ce cas, de la façon la plus claire : « Je ne peux pas vous demander de réviser la Constitution parce qu'elle n'est pas révisable, la République en France n'étant pas révisable. »
Je comprends nos amis qui soutiennent la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, car il faut avoir conscience que, dans leur province, dans leur région, il y a des impatiences très fortes auxquelles ils sont bien obligés de répondre, mais je veux leur dire ceci : vous devez, chers amis, expliquer aux populations concernées que, lorsque l'on fait partie de la République française, il y a des droits et des avantages, mais il y a aussi, et peut-être surtout et d'abord, des devoirs et des obligations.
M. Jean-Pierre Schosteck. Très bien ! Cela fait plaisir à entendre !
M. Michel Charasse. On ne peut pas nous demander de l'ignorer pour satisfaire des sentiments, que moi je comprends parce que, au fond, je suis, en Auvergne, au bord de l'Occitanie, et qu'il y a une bagarre terrible pour savoir si l'auvergnat est de l'occitan et quelle est la langue locale qu'il faut parler. Je le dis à François Marc, c'est moins simple qu'en Bretagne !
En tout cas, il faut expliquer aux populations concernées qu'à partir d'une certaine limite le ticket n'est plus valable !
Le Conseil constitutionnel, chers amis, a rendu une décision qui nous rappelle que l'on ne saurait réviser la Constitution pour ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. C'est tout simplement interdit.
C'est la raison pour laquelle, sans entrer autrement dans le détail, et même si l'on comprend la démarche de nos collègues, il faut reconnaître que nous sommes là au-delà de la limite où nous pouvons satisfaire les voeux des populations, même s'ils sont parfaitement légitimes sentimentalement, historiquement et culturellement parlant, sans porter atteinte à la Constitution.
M. François Marc. C'est faux !
M. Michel Charasse. Excusez-moi, mon cher collègue, mais je lis les textes !
M. François Marc. C'est totalement faux !
M. Michel Charasse. Je n'ai donc pas signé cet amendement, car, moi, et j'en reparlerai dans un instant, je n'accepte pas de réviser la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. François Marc. C'est totalement faux !
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia, pour explication de vote.
M. Robert Del Picchia. Mon excellent collègue ayant tout dit à propos de la Constitution, je me contenterai d'ajouter un petit détail sur cette exception culturelle ou cette particularité que l'on peut avoir dans chaque région.
Pourquoi l'école diwan ne fonctionne-t-elle pas ? Tout simplement, parce que le français a été enseigné en seconde langue et que, dans la République, cela ne se peut pas !
Il y a plus grave : dans les matières, comme la physique ou les mathématiques, impliquant l'emploi de termes techniques n'existant pas en breton c'est le terme anglais qui était utilisé. C'est là une dérive qui ne saurait être autorisée.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt et Sueur, est ainsi libellé :
« Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« La dernière phrase du troisième alinéa de l'article 89 de la Constitution est ainsi rédigée :
« Le bureau du Congrès est alternativement celui du Sénat et de l'Assemblée nationale - . »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voilà un amendement important qui, en vérité, a deux objets.
D'abord, c'est un appât pour essayer de vous faire abandonner votre parti pris, lequel consiste à renoncer à votre droit d'amendement et à la navette. En fait, nous essayons de vous tenter ! Bien entendu, il n'est pas question pour nous de voter cet amendement qui, en réalité, est fait uniquement pour vous, car il est tout à fait contraire à notre conception de l'équilibre des pouvoirs et des assemblées au sein du Parlement ! (Sourires.)
Le second objet de cet amendement est de soumettre à la majorité sénatoriale des idées pour les prochaines révisions constitutionnelles.
M. Jean-Jacques Hyest. Ah !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En effet, comme elle a pour habitude de demander à chaque fois un accroissement des pouvoirs du Sénat, elle trouvera peut-être que nous n'allons pas assez loin en proposant que le bureau du Congrès soit alternativement celui du Sénat et celui de l'Assemblée nationale.
M. Hilaire Flandre. Evidemment ! Je suis tenté de sous-amender !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Elle pourrait souhaiter que le bureau du Sénat soit le bureau du Congrès, purement et simplement ! Ce sera pour une autre fois !
De même, nous avions pensé déposer d'autres amendements tendant, par exemple, à proposer que le Sénat examine en priorité le projet de loi de finances ou le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dispose, pour procéder à cet examen, du laps de temps qui est actuellement dévolu à l'Assemblée nationale. Les calendriers pourraient même être carrément inversés !
Bref, de nombreuses possibilités s'offrent pour les prochaines révisions constitutionnelles. Cela étant dit, nous nous réservons de retirer cet amendement, mais, pour l'instant, nous le maintenons.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Je suis quelque peu perplexe ! (Sourires.) Si je ne connaissais pas son sérieux, son talent et son goût du droit, je penserais que M. Dreyfus-Schmidt s'amuse ! (Rires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Charasse. Le Congrès s'amuse !
M. René Garrec, rapporteur. Mais je peux me tromper, je dois me tromper !
En tout cas, je voudrais féliciter nos collègues socialistes, qui, pour la première fois aujourd'hui, proposent de renforcer les pouvoirs du Sénat !
Cependant, la disposition présentée est assimilable à un cavalier et va à l'encontre de la position de la commission des lois. J'émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement, mais j'imagine, monsieur Dreyfus-Schmidt, que vous avez pris plaisir à cet exercice !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 4 est retiré.

Article 4