SEANCE DU 11 DECEMBRE 2002


M. le président. L'amendement n° 72, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade etM. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le premier alinéa de l'article 39 de la Constitution est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« L'initiative des lois appartient concurremment au peuple, à ses représentants, au Premier ministre.
« Lorsqu'une proposition de loi émane d'au moins dix pour cent des électeurs inscrits, elle est inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans un délai de six mois.
« Toute proposition de loi émanant des membres du Parlement fait l'objet d'un avis de la commission compétente dans un délai de six mois. »
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc. A l'heure où chacune et chacun aspirent à participer aux grandes décisions, il faut aller avec audace vers une République véritablement démocratique,...
M. Gérard Braun. Oh ! Il n'est pas possible d'entendre de telles choses de votre part ! On aura vraiment tout entendu !
Mme Hélène Luc. ... restituant aux citoyennes et aux citoyens des droits et des pouvoirs.
Le Gouvernement lui-même déclare vouloir, avec la réforme constitutionnelle, rapprocher les citoyens des lieux de décision. Que l'on mette enfin les paroles en pratique ! Le Parlement a le pouvoir d'en décider ; le Sénat s'honorerait de donner le ton !
Le développement de la citoyenneté est la condition de la démocratie. Refuser de mettre en oeuvre les outils possibles pour accroître cette citoyenneté, c'est refuser de chercher une solution à la crise de la politique, qui s'est pourtant manifestée dans les urnes avec une inquiétante acuité le 21 avril dernier.
Permettez-moi de citer M. le Premier ministre. Le 24 septembre dernier, devant les recteurs, les inspecteurs d'académie et les délégués régionaux à la recherche et à la technologie, il déclarait : « Le Gouvernement que j'ai l'honneur de diriger n'oublie pas le 21 avril et le 1er mai. Le 21 avril, c'était un peu l'exaspération : "La République, ça marche mal". Le 1er mai et le 5 mai, c'est : "On croit bien aux valeurs de la République et on veut les partager". Nous avons ce message à assumer et je souhaite vraiment qu'on puisse l'assumer. » Avec qui M. le Premier ministre va-t-il assumer ces responsabilités ?
Comme cela a été fait en première lecture, tant à l'Assemblée nationale qu'ici même, vous allez refuser une disposition aux termes de laquelle 10 % des électeurs inscrits pourraient présenter une proposition de loi. Comment voulez-vous que les citoyens s'intéressent à ce que fait le Parlement s'ils n'ont pas eux-mêmes le droit de faire des propositions de loi ? Lors des consultations organisées par le Président de la République, nous lui avions soumis, avec M. Robert Hue et M. Alain Bocquet, cette disposition visant à permettre à 10 % de pétitionnaires de présenter une proposition de loi. Il nous avait répondu : c'est une bonne idée !
Puisque le Président de la République est issu de votre majorité laquelle est ultramajoritaire à l'Assemblée nationale et au Sénat, donnez un peu de pouvoir aux citoyens ! Donnez un peu de pouvoir aux femmes et aux jeunes qui étaient dans la rue et qui vous ont apporté leurs suffrages.
M. Hilaire Flandre. On croit rêver !
Mme Hélène Luc. Vous avez des responsabilités à leur égard, parce qu'il n'y a pas deux sortes de citoyens.
M. Gérard Cornu. C'est la démocratie !
Mme Hélène Luc. Il faut cesser de considérer qu'il y aurait de « petites » questions que l'on pourrait réserver aux habitants avec un petit référendum et de « grandes » questions qui seraient réservées à la décision de quelques-uns et, comme on le constate aujourd'hui, sans véritable discussion.
M. Jean-Pierre Schosteck. Les élus du peuple !
Mme Hélène Luc. Si l'on veut redonner aux citoyens confiance dans la politique, dans leur intervention, il est urgent de leur donner les moyens concrets, les espaces utiles pour cette intervention.
C'est pourquoi, mes chers collègues, vous ne vous déshonoreriez pas en votant notre amendement, qui est tout à fait raisonnable. (M. le garde des sceaux rit.) Monsieur le garde des sceaux, je vous vois rire. Pourtant, c'est très sérieux. Vous pourriez donner votre avis. Vous avez obtenu les suffrages de tous ces citoyens. Que faites-vous de leurs suffrages ? Donnez un peu de pouvoir à ces citoyens !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Je suis au regret de constater qu'un tel amendement est sans rapport avec les dispositions du projet de loi constitutionnelle.
Mme Hélène Luc. Comment cela sans rapport ? Ça alors !
M. René Garrec, rapporteur. De plus, le Sénat a rejeté un amendement similaire en première lecture.
Enfin, cela me rappelle quelque chose. Ne s'agit-il pas de la Constitution de l'An I, plus connue sous le nom de Constitution montagnarde ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Effectivement !
Mme Hélène Luc. C'est lamentable ! Vous refusez la discussion !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
Dans le texte de la réforme constitutionnelle, le Gouvernement a proposé un certain nombre d'élargissements des modalités d'exercice de la démocratie directe. Ce qui a été retenu par le Sénat puis par l'Assemblée nationale est un élément intéressant, en particulier d'animation de la vie locale, avec le droit de pétition, les possibilités d'organiser des consultations locales et les référendums locaux. Cela va dans le sens d'une plus large participation de la population.
Quant aux grandes affaires nationales, elles sont traitées à la fois à travers les pouvoirs du Parlement et, lorsque le Président de la République le décide et sur un certain nombre de sujets prévus par la Constitution, par la voie du référendum. A l'heure actuelle - dans une dizaine d'années, la situation aura peut-être évolué - cet équilibre est conforme à notre tradition démocratique et aux habitudes républicaines françaises, avec ces possibilités d'ouverture au niveau de la vie locale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Luc, pour explication de vote.
Mme Hélène Luc. Monsieur le garde des sceaux, vous ne voulez pas de référendum sur ce projet de loi constitutionnelle ; vous ne voulez pas que les citoyens fassent des propositions ; vous ne voulez pas que, comme nous le proposons dans cet amendement, toute proposition de loi émanant des membres du Parlement fasse l'objet d'un avis de la commission compétente dans un délai de six mois. C'est pourquoi nous nous retrouvons avec des propositions de loi relatives au droit de vote des étrangers sur lesquelles on tergiverse depuis des années.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. On n'en veut pas !
Mme Hélène Luc. Alors que les partis politiques disent qu'il faudra bien que les étrangers votent,...
M. Hilaire Flandre. On n'a jamais dit cela !
Mme Hélène Luc. ... les propositions de loi relatives à cette question ne sont jamais discutées. J'étais à la conférence des présidents quand il était question que l'on fasse voter les étrangers : tous les groupes disaient qu'ils étaient pour.
M. Jean-Pierre Schosteck. On est contre !
Mme Hélène Luc. Pourquoi ne nous mettons-nous pas d'accord pour autoriser les étrangers à voter ?
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ce n'est pas l'objet du présent projet de loi constitutionnelle !
Mme Hélène Luc. J'y reviens. D'ailleurs, ces questions se rejoignent. Lors des consultations qui ont été organisées dans les municipalités, les Maghrébins étaient fiers et heureux de pouvoir se prononcer. Alors qu'ils paient des impôts, qu'ils participent aux discussions, aux associations de parents d'élèves et aux amicales de locataires, ils n'auraient pas le droit de voter ? Il en va de même en ce qui concerne les propositions de loi : on ne donne pas la parole aux citoyens. C'est bien triste ! Ce n'est pas ainsi que l'on confortera la République.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 72.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 73, présenté par Mmes Borvo et Mathon, MM. Bret, Autain et Autexier, Mmes Beaudeau et Beaufils, M. Biarnès, Mme Bidard-Reydet, M. Coquelle, Mmes David, Demessine et Didier, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam et Loridant, Mme Luc, MM. Muzeau, Ralite et Renar, Mme Terrade et M. Vergès, est ainsi libellé :
« Après l'article 5, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, au titre XII de la Constitution, un article 72-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 72-1-1. - Une ou plusieurs collectivités territoriales représentant 10 % du corps électoral national sont habilitées à déposer des propositions de loi relatives à leur domaine de compétence sur le bureau du Sénat. »
La parole est à Mme Hélène Luc.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. En l'occurrence, c'est du fédéralisme !
Mme Hélène Luc. Dans le droit-fil de nos propositions précédentes, il s'agit de rapprocher la sphère locale de la sphère nationale, en conférant à une ou plusieurs collectivités territoriales représentant 10 % des électeurs inscrits un pouvoir d'initiative législative.
C'est sans nul doute un bon moyen de promouvoir les préocupations locales qui émanent des instances décisionnelles des collectivités mais aussi des citoyens vivant au sein de ces collectivités.
Cet amendement prévoit également que ces initiatives législatives seront déposées sur le bureau du Sénat, ce qui s'inscrit, là encore, dans une volonté de modernisation de notre assemblée, en vue de lui faire jouer le rôle d'une véritable interface entre les collectivités territoriales et le Parlement, et pas uniquement le Sénat. Vous allez certainement me rétorquer que ce dernier est le représentant des collectivités locales, et qu'il n'y a donc pas de raison de leur donner la parole.
Nous ne proposons pas que celles-ci aient la possibilité de faire la loi. Nous voulons simplement faire évoluer la République, redonner du sens aux idées, un peu laissées de côté, de « démocratie directe » et de « participation des citoyens », qu'il n'est jamais bon d'oublier dans une démocratie.
Cet amendement a simplement pour objet de rapprocher les Français, avec leurs préocupations légitimes concernant leur vie quotidienne, du processus d'élaboration de la loi.
Voilà pourquoi nous proposons cet amendement, et nous vous demandons de l'adopter, mes chers collègues.
Mais nous savons que vous ne l'adopterez pas pour deux raisons. D'une part, parce que vous venez d'expliquer que vous êtes contre.
M. Jean-Jacques Hyest. Elle fait les questions et les réponses ! De plus, elle explique notre vote !
Mme Hélène Luc. D'autre part, parce que vous refusez la discusion. En effet, vous n'avez qu'une idée à l'esprit : examiner ce projet de loi « à la sauvette » et l'adopter conforme afin qu'il soit définitivement voté.
En région parisienne, dans mon département, les assises des libertés locales qui devaient préparer ce projet de loi n'auront lieu que le 25 janvier, c'est-à-dire après que le texte aura été adopté.
M. Jean-Jacques Hyest. Vous inversez le processus.Il faut d'abord que la réforme constitutionnelle soit adoptée !
Mme Hélène Luc. Voilà comment vous procédez ! Telle est votre conception de la concertation.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, rapporteur. Je voudrais simplement rappeler que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. René Garrec, rapporteur. C'est pourquoi, aux termes de l'article 39 de la Constitution, l'initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement, et non aux collectivités territoriales.
Enfin, je rappelle que, pour ces raisons et pour d'autres que je ne developperai pas, le Sénat a rejeté un dispositif similaire en première lecture.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Défavorable !
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certains ont pu remarquer que nous avions voté contre l'amendement précédent.
M. Hilaire Flandre. Nous l'avions observé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous voterons également contre le présent amendement.
Vous dites que vous voulez, vous aussi, chers collègues, la participation du public. Mais lorsque vous inscrivez dans la Constitution qu'on pourra faire une pétition pour demander qu'une question soit inscrite à l'ordre du jour des collectivités territoriales, c'est parfaitement ridicule. En effet, ça se fait tous les jours...
M. Jean-Pierre Sueur. Encore heureux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et, la proportionnelle aidant, il est parfaitement possible à une minorité de demander l'inscription de toute question à l'ordre du jour.
En l'occurrence, c'est la même chose. Nous sommes navrés de dire à nos amis communistes que, en effet, il y a des parlementaires pour déposer les propositions de loi. Nous sommes là pour cela. Ce n'est pas en s'obligeant à le faire parce que ce serait demandé par une minorité qui n'aura pas trouvé le moindre parlementaire pour le faire que nous valoriserons le Parlement que nous renforcerons son image.
Nous ne pourrions adopter cet amendement. Nous nous sentons même obligés de voter contre.
Mme Hélène Luc. C'est bien dommage !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 73.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 6