SEANCE DU 19 DECEMBRE 2002


MARCHÉS ÉNERGÉTIQUES

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 100, 2002-2003) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux marchés énergétiques et au service public de l'énergie.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la ministre, il est de tradition, je crois, que le ministre de tutelle fasse la synthèse des travaux de la commission mixte paritaire. Aussi vous laisserai-je le soin de traiter des principaux volets du texte. Permettez-moi simplement de souligner que la commission mixte partiaire est parvenue à un juste équilibre entre la rédaction du Sénat - nous avions conforté le texte initial - et celle de l'Assemblée nationale qui, à son tour, a renforcé ce texte dans le bon sens.
J'en veux pour preuve, notamment, le libellé de l'article 2, relatif à l'éligibilité des consommateurs de gaz, ou celui de l'article 4, en ce qui concerne les dérogations au principe de libre accès au réseau gazier.
Consciente de l'enjeu que constitue le financement du service public de l'électricité, l'Assemblée nationale a, à son tour, enrichi le volet « électrique » qui avait été adopté par le Sénat en première lecture. L'Assemblée nationale a ainsi tenu à souligner l'importance de ce dispositif d'initiative sénatoriale.
J'ajoute que les travaux de la commission mixte paritaire se sont déroulés dans un climat très constructif. Je tiens à rendre un hommage tout particulier à mon collègue M. François-Michel Gonnot, rapporteur de l'Assemblée nationale, que ce soit dans les travaux préparatoires ou pour les deux ou trois points qui restaient en discussion avant la réunion de la commission mixte paritaire.
J'aurai aussi un mot pour nos collègues de l'opposition qui, sans souscrire au texte que nous avons adopté - je leur en donne acte -, ont abordé ces travaux avec une « sérénité constructive ». Je crois que M. Raoul ne me démentira pas ! (Sourires.)
Avant de conclure mon propos, je souhaiterais enfin évoquer les grands enjeux auxquels nous seront confrontés dans les mois à venir.
Lors du conseil européen des ministres de l'énergie du 25 novembre dernier, vous avez, madame la ministre, obtenu ce que je considérais comme de grandes avancées par rapport aux propositions de la Commission. Je crains que l'opinion publique n'ait pas apprécié à leur juste valeur les progrès enregistrés par notre pays en matière d'énergie. Je tenais à vous donner acte, madame la ministre, de ces avancées.
D'autres grands chantiers sont en cours actuellement auxquels il nous faudra nous atteler, je pense, en particulier, au grand débat sur l'énergie, que vous vous êtes engagée à tenir, madame la ministre, et qui aura lieu dans les mois à venir, sur le renouvellement du parc nucléaire, notamment.
Nous avons abordé la transposition de cette directive avec pragmatisme et sans aucune idéologie, considérant que l'ouverture des marchés énergétiques devait être progressive et maîtrisée. Je souhaite que nous poursuivions nos travaux dans le même esprit au cours des mois qui viennent et tiens à vous assurer, madame la ministre, que la majorité sénatoriale soutient, dans ce domaine, pleinement votre action. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à me féliciter de la célérité avec laquelle la commission mixte paritaire a pu se réunir et aboutir à un texte commun permettant ainsi à la Haute Assemblée, et à l'Assemblée nationale, ce soir, d'examiner le texte qu'elle vous propose.
Je l'ai indiqué lors des débats, la transposition en droit français de la directive « gaz » était tout à fait urgente. Je me réjouis que le travail conjoint du Gouvernement et des assemblées ait permis d'accomplir en quatre mois ce qui n'avait pu être fait en quatre ans.
Je renouvelle, à cet égard, l'engagement que j'avais pris devant votre assemblée de publier, dans les meilleurs délais, les décrets qui seront nécessaires au bon fonctionnement du marché du gaz.
La commission mixte paritaire a permis d'améliorer encore le texte et je tiens à en remercier ses membres, notamment le président de la commission des affaires économiques, M. Gérard Larché, et votre rapporteur, M. Ladislas Poniatowski, qui a accompli, au nom de la Haute Assemblée, un travail remarquable.
Outre de sensibles améliorations rédactionnelles, plusieurs amendements méritent, de mon point de vue, d'être soulignés.
En premier lieu, la nouvelle rédaction de l'article 4 permet de préciser les conditions d'attribution aux opérateurs de transport des dérogations leur permettant de refuser, le cas échéant et temporairement, l'accès à leurs réseaux, pour des raisons techniques, économiques ou d'accomplissement de leurs missions de service public.
La rédaction de l'article 11 A consacré au service public a été clarifiée, et le découpage en trois articles distincts en permet une meilleure compréhension du texte.
Le nouvel article 11 C, centré sur la sécurité des personnes et des installations intérieures, témoigne en particulier de l'acuité d'une préoccupation qui a été rappelée par tous et à laquelle le Gouvernement entend apporter des réponses en 2003, comme je m'y suis engagée.
Toutefois, la scission de l'article 11 A en trois articles a abouti à supprimer le décret en Conseil d'Etat nécessaire pour définir les modalités d'application du dispositif de diagnostic en cas de vente d'un bien immobilier. Je ne pense pas que telle était l'intention de la commission mixte paritaire. Je vous proposerai donc de l'ajouter.
Dans le domaine de l'électricité, les précisions apportées au mécanisme d'acquittement de la contribution aux charges de service public par les autoproducteurs à l'article 20 bis sont également bienvenues. Enfin, l'article 20 septies précise utilement la composition de la commission de déontologie de la Commission de régulation de l'électricité.
Le Gouvernement comprend par ailleurs que les assemblées aient préféré renvoyer à la discussion de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains les dispositions relatives au financement du développement des réseaux d'électricité.
Enfin, en ce qui concerne l'énergie éolienne, la commission mixte paritaire a souhaité compléter le dispositif prévu par l'Assemblée nationale par deux mesures nouvelles : l'obligation de constituer des garanties financières au fur et à mesure de l'exploitation afin de s'assurer de la remise en état du site en fin de vie, la mise en place d'un schéma régional éolien indiquant les secteurs géographiques qui paraissent les mieux adaptés.
Sur ce dernier sujet, je vous proposerai néanmoins de modifier la formulation de la disposition qui prévoit que les conseils régionaux peuvent confier l'élaboration des schémas aux services de l'Etat ; c'est une disposition qui me semble peu conforme à l'organisation des pouvoirs au niveau régional.
Ces mesures qui visent à faciliter une meilleure acceptation par l'opinion publique des éoliennes et à s'assurer que leur développement s'inscrit dans une logique de développement durable me paraissent tout à fait souhaitables. Le Gouvernement s'emploiera à les mettre en oeuvre rapidement en veillant à ce que les délais d'instruction des dossiers d'implantation d'éoliennes soient compatibles avec le développement de cette industrie.
Je rappelle en effet que la France s'est engagée à porter à 21 % en 2010 la part de son électricité produite à partir d'énergies renouvelables et que les éoliennes constituent assurément une filière qu'il convient de mobiliser pour atteindre cet objectif.
En conclusion, le Gouvernement est tout à fait satisfait du travail qui a été accompli et ne vous proposera donc que les deux amendements mineurs susmentionnés. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Yves Coquelle.
M. Yves Coquelle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà déjà réunis aujourd'hui pour entériner les conclusions de la commission mixte paritaire concernant le projet de loi relatif aux marchés énergétiques.
C'est en un temps record que nous avons débattu d'un projet de loi déclaré d'urgence qui pourtant représente des enjeux capitaux pour l'avenir de notre secteur énergétique, en même temps qu'il imprime des choix de société tout à fait contestables.
Nous ne pouvons que désapprouver une telle méthode expéditive, qui nous prive d'un réel débat démocratique, transparent, s'appuyant sur une consultation large des usagers et des salariés, particulièrement concernés par l'avenir de notre service public.
Nous la désapprouvons d'autant plus que ce texte va bien au-delà d'une simple transposition de la directive européenne de 1998 relative aux règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.
En étendant son texte à l'ensemble du champ énergétique, le Gouvernement montrait qu'il ne se contenterait pas d'une transposition a minima de la directive « gaz ». Il ouvrait ainsi habilement la porte à une offensive visant le démantèlement du service public de l'électricité.
La droite sénatoriale vous a bien compris, madame la ministre. Par ses amendements, elle a entamé le travail de démolition des dispositions fondamentales de la loi « électricité » de février 2000.
Nous avions raison de considérer que votre projet de loi, parce qu'il va fortement fragiliser les entreprises publiques EDF et GDF, détruire au lieu de conforter les liens industriels qui les unissent, constitue une première étape vers la privatisation de notre service public de l'électricité et du gaz.
Les conséquences, nous le savons, risquent d'être désastreuses ! Vous justifiez, madame la ministre, l'ouverture à la concurrence par les gains de productivité qu'elle serait susceptible de générer et qui devraient bénéficier, en dernière instance, au petit consommateur.
Comme le dit M. François-Michel Gonnot, rapporteur de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, il s'agirait d'« une conséquence économique mécanique de la libéralisation » !
Nous continuons, quant à nous, de nous interroger sur les vertus de ce que l'on a qualifié, à partir des années soixante-dix, de retour du marché et qui s'apparente plutôt au retour de formes de concurrence non maîtrisées, une concurrence qui risque de dégénérer en une véritable guerre de prix.
Or, pour garder une partie de leur clientèle, EDF et GDF ont accordé de substantielles baisses de tarifs aux gros clients éligibles.
Les effets sur les prix pour les petits consommateurs ne sont certainement pas aussi mécaniques qu'on pourrait le croire. Ils sont le résultat d'un rapport de force et des pressions qu'exercent les gros industriels.
Nous savons que les PME et, a fortiori, les particuliers ne disposent pas d'un tel pouvoir de négociation et qu'ils constituent en revanche une clientèle captive.
A Gaz de France, les tarifs à destination des ménages ont augmenté de 30 %, ces deux dernières années. Rien ne justifiait une telle augmentation. Au contraire, au vu des résultats de l'entreprise, dont le bénéfice net atteint 766 millions d'euros, la facture des particuliers aurait pu diminuer de 15 % !
L'augmentation des tarifs à destination des ménages est contraire aux principes mêmes du service public, qui impliquent une tarification en fonction du coût de revient.
Le gaz et l'électricité ne sont pas des biens comme les autres, parce qu'ils répondent aux besoins fondamentaux et vitaux des populations. Le préambule de la Constitution de 1946 faisait, à juste titre, une place à part aux entreprises comme EDF et GDF, en disposant que : « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la nation. »
Pourquoi remettre en cause les « monopoles naturels » qui ont fait preuve par le passé de leur efficacité sur le plan tant économique que social ?
C'est également notre indépendance énergétique qui est remise en cause, nous avons eu maintes fois l'occasion de le signaler au cours de ce débat. Le monopole d'importation de GDF en était la garantie.
Le choix du Gouvernement, madame la ministre, est plus politique qu'économique. Il porte en lui les germes d'une liquidation totale de nos services publics.
Nous attendons toujours des précisions sur votre future grande loi d'orientation sur les énergies, qui devrait faire l'objet d'un grand débat national, nous avez-vous dit. (Mme la ministre acquiesce.)
Nous avons appris, grâce à la presse, que le Conseil européen du 25 novembre dernier avait prévu l'ouverture totale à la concurrence à l'horizon de 2007.
Vous avez souhaité, madame la ministre, que la Commission européenne se livre à un bilan d'étape en 2006 « si besoin est de prendre des mesures correctrices qui pourraient s'imposer ». Vous ajoutiez que « seule une situation très dégradée » pourrait constituer un obstacle à l'ouverture du marché aux particuliers.
La crise californienne, l'affaire Enron, la faillite de British Energy sont-ils à exclure d'un bilan tristement noir mais s'appuyant sur des faits avérés ? Ces exemples sont significatifs, selon nous, de l'incompatibilité rédhibitoire qui existe entre les exigences de service public et la concurrence.
Les pays qui ont libéralisé leur secteur énergétique ont pourtant mis en place des autorités de régulation chargées, comme leur nom l'indique, de veiller à la régulation de la concurrence, de faire en sorte qu'elle soit maîtrisée et compatible avec les missions de service public !
Nous nous serons battus sur tous les bancs pour que la composition de la CRE soit la plus démocratique possible. Mais nous ne pensons pas qu'elle parviendra à rendre compatibles les lois du marché et la préservation d'un service public ayant pour mission de répondre aux besoins essentiels des populations et des citoyens.
Le Gouvernement, madame la ministre, a fait le choix de nous orienter vers une société plus inégalitaire, creusant plus encore les inégalités sociales et territoriales à travers la casse de nos services publics. Ce texte constitue à nos yeux un exemple !
Voilà pourquoi nous y sommes fortement opposés, comme l'ensemble des organisations syndicales, qui, en outre, craignent pour leur statut, et comme le sera à n'en pas douter l'ensemble des petits consommateurs. C'est d'ailleurs bien pour cela qu'ils n'ont pas été consultés.
Madame la ministre, le groupe communiste républicain et citoyen votera sans hésitation contre les conclusions de la commission mixte paritaire relative à la directive « gaz ».
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d'aborder le fond de ce texte, permettez-moi de saluer le travail remarquable accompli par notre rapporteur et l'esprit qui a régné aussi bien en commission qu'en commission mixte paritaire, qui doit sans doute beaucoup à la personnalité de Ladislas Poniatowski. Je vous remercie, monsieur le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Je le redis publiquement, la transposition de la directive constitue une obligation que nous ne nions pas. Cependant, le texte qui nous est présenté va beaucoup plus loin que l'accord de Barcelone et entérine ce que vous avez accepté, madame la ministre, lors du Conseil européen.
Lors du sommet de Barcelone, la France avait obtenu deux garanties à l'ouverture du marché : le préalable d'une directive cadre sur les services publics et la non-ouverture des marchés domestiques. Le Président de la République d'alors qui, jusqu'à preuve du contraire, est toujours le même, s'en était d'ailleurs félicité. Depuis lors, la situation a évolué et aurait dû vous conduire à tirer des conclusions après la crise énergétique californienne, les déboires de British Railways et British Energy et vous conforter sur les acquis de Barcelone.
Or que présentez-vous ajourd'hui ? Une transposition ultralibérale de la directive. Contrairement aux engagements du président Chirac, vous avez lâché, à Bruxelles, le service public sans aucune garantie, sans même une évaluation avant l'ouverture du marché de consommation domestique. On connaît pourtant la France bien plus forte dans d'autres domaines comme celui de la pêche ou de la réforme de la politique agricole commune.
Même nos collègues de la majorité se sont crus obligés d'élaborer une résolution demandant au Gouvernement de préserver efficacement le service public de l'énergie et réaffirmant leur attachement à l'unité des opérateurs nationaux de l'énergie que sont EDF et GDF. Ils ont tout particulièrement affirmé leur attachement à EDF-GDF Service, auquel nos collectivités font souvent appel et dont la qualité des services est reconnue par les enquêtes de satisfaction.
Je vous donne acte de quelques avancées lors de la discussion parlementaire concernant la sécurité, les autorités concédantes et le renforcement de l'électrification rurale, sous réserve des discussions à venir sur la participation pour voie nouvelle et réseaux, PVNR, mais aussi de la présence de représentants de nos assemblées dans la CRE, qui renforce le contrôle du Parlement.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Tout à fait !
M. Daniel Raoul. Ce texte est cependant plus que timide sur le service public, renvoyé à des décrets - vous venez de les évoquer, madame la ministre - dans l'article 11. Il abandonne dans les faits le service public de l'énergie et livre nos concitoyens à la seule loi ou dictature des marchés.
Permettez-moi d'émettre des doutes quant au dispositif permettant en théorie de baisser les tarifs à due concurrence des charges de service public afin que la facture des ménages ne se traduise pas in fine par une augmentation. Il s'agit - veuillez me pardonner cette expression un peu facile - d'une véritable « usine à gaz ».
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe socialiste votera contre ce texte, qui est dangereux pour l'avenir de notre pays, de nos concitoyens et des entreprises EDF et GDF ainsi que de leurs salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, d'une part, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement ; d'autre part, étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, le Sénat statue d'abord sur les amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :