PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, les débats consacrés aux questions internationales par le Parlement sont rares et souvent un peu décalés dans le temps. Nous ne découvrons pas, mes chers collègues, le triste sort fait aux parlementaires en la matière.

Notre débat intervient au lendemain de la commémoration des attentats du 11 septembre 2001, qui a donné lieu à une atroce surenchère verbale entre les dirigeants d'Al-Qaida et le président des Etats-Unis, alors même que le Fatah et le Hamas viennent de conclure, après des mois de négociations, un accord permettant la constitution d'un gouvernement d'union nationale en Palestine, accord qui comporte la reconnaissance implicite du droit à l'existence d'Israël par le Hamas.

Nous aurions tort, me semble-t-il, de n'y voir qu'un arrangement de papier destiné à faciliter la reprise de l'aide internationale.

Nous mesurons tous le défi que représente l'interminable conflit du Proche-Orient. Depuis cinquante ans, les mêmes images de ruines et d'exode, de missions onusiennes, de tournées d'émissaires spéciaux visitant tour à tour les chefs d'État de la région selon un ordre immuable, les mêmes images d'accolades ou de poignées de mains ministérielles alimentent les informations. Le conflit devient de plus en plus complexe, de plus en plus inextricable.

Nous savons tous ce que nous avons à perdre à voir grandir, aux portes de l'Europe, des générations qui ne connaissent pour tout langage que celui des armes.

Nous savons tous que nos pays sont devenus dangereusement perméables à une violence terroriste chaque jour plus imprévisible et plus radicale.

Nous savons tous que la violence ne cesse de croître dans cette région, au fur et à mesure que les rancunes s'exacerbent.

Nous refusons tous de laisser le fossé se creuser entre le monde musulman et ses voisins.

Nous savons, mais nous ne savons pas comment agir. Cet été, comme par le passé, nous sommes restés impuissants.

Il y a quelques mois, nous étions nombreux à penser que les Libanais, en dépit d'un modèle confessionnel contestable et d'une organisation politique archaïque, avaient fait l'essentiel du chemin, un an après l'assassinat de Rafic Hariri, en manifestant massivement leur volonté de retrouver leur souveraineté et de s'affranchir des luttes d'influence de leurs puissants voisins que sont la Syrie et l'Iran, en faisant en sorte que progresse l'idée d'un désarmement du Hezbollah au rythme de son inscription dans la vie démocratique du Liban.

Puis, il y a eu la guerre cet été. Aujourd'hui, les armes se sont tues. Il ne nous reste plus qu'un triste bilan à dresser : un tiers du territoire libanais est détruit ; les infrastructures du Sud-Liban, les routes, les usines, les écoles, les hôpitaux, les maisons sont à reconstruire ; la population manque de tout ; les sols sont impraticables, truffés de mines et de bombes ; les personnes réfugiées et déplacées sont légion, 1 500 000 Israéliens et Libanais sont aujourd'hui sur les routes.

Une fois de plus, faute d'une politique efficace dans la région il ne reste plus qu'à réparer, déminer le sud du pays, acheminer une aide humanitaire importante, nettoyer les côtes libanaises et syriennes souillées par la marée noire du 14 juillet dernier.

Une fois de plus, nous arrivons après la bataille pour recoller les pots cassés.

Une fois de plus, nous n'aurons pas su proposer d'alternative à la guerre.

Une fois de plus, la violence a eu raison du dialogue.

Une fois de plus, les peuples de la région sortent du conflit plus amers, plus divisés, plus humiliés, plus brisés.

N'y aurait-il donc pas d'autres solutions que d'assister en silence à la radicalisation des masses et à la montée des extrémismes ? N'y aurait-il donc aucun moyen d'enrayer l'escalade de la violence ?

Bien entendu, nous pouvons gloser à l'infini sur la responsabilité des uns et des autres en utilisant la rhétorique bien connue de la poule et de l'oeuf. Le Hezbollah a évidemment eu tort de franchir la ligne bleue pour enlever des soldats israéliens. Mais force est de reconnaître que la riposte d'Israël, destinée, selon les propres termes du chef d'état-major de l'armée israélienne, le 12 juillet dernier, à « faire revenir le Liban vingt ans en arrière », n'a rien réglé. Elle ne saurait en aucun cas être considérée comme une riposte proportionnée et adaptée à la réalité de l'affront.

Si de telles actions étaient menées pour la première fois, nous pourrions espérer qu'Israël apprenne de ses erreurs. Mais, en l'occurrence, ce n'est pas le cas : il s'agit non pas de maladresses, mais bien d'une politique pensée et assumée comme telle depuis près d'un demi-siècle.

Cette politique a pour effet de discréditer systématiquement les interlocuteurs représentatifs, en les soumettant à des injonctions paradoxales et en les privant des moyens de respecter leurs engagements. Je pense notamment à Yasser Arafat, qui a été emprisonné dans son palais de la Mouqata'a, ainsi qu'à l'arrestation de ministres, de députés et du président du Conseil législatif palestinien, Aziz Dowek. Certes, le résultat des élections en Palestine n'a réjoui aucun d'entre nous ; nous n'avions pas souhaité la victoire du Hamas. Mais, reconnaissons-le, ce scrutin s'est déroulé dans des conditions satisfaisantes, à la suite d'un processus électoral qui a peu d'équivalents dans cette partie du monde.

En outre, la politique israélienne tend à fournir des prétextes aux radicaux de deux camps pour continuer la guerre. De ce point de vue, la poursuite de l'implantation des colonies en Palestine, le refus de la souveraineté libanaise sur les fermes de Chebaa et les freins interminables à l'échange de prisonniers illustrent le caractère désastreux de cette politique, qui a pour effet de renforcer ce qu'elle prétend combattre.

À cet égard, dans une tribune récemment parue dans le journal Le Monde, qui a d'ailleurs suscité une réponse aujourd'hui, John Le Carré déclarait ceci : « Quand vous tuez cent civils innocents et un terroriste, est-ce que vous gagnez ou perdez la guerre contre le terrorisme ? ?Ah, me rétorquerez-vous, mais ce terroriste aurait pu tuer deux cents personnes, mille personnes, plus encore !? Se pose alors une autre question : si, en tuant cent personnes innocentes, vous provoquez l'émergence future de cinq nouveaux terroristes et leur procurez une base populaire qui jure de leur fournir aide et soutien, garantissez-vous un avantage aux prochaines générations de vos concitoyens, ou vous êtes-vous créé l'ennemi que vous méritez ? »

Mes chers collègues, je souhaite que les choses soient bien claires entre nous : je n'ai nullement l'intention de nier le droit à la sécurité d'Israël ou le caractère scandaleux des déclarations du président Ahmadinejad ! Au contraire, mais pensez-vous réellement que la sécurité d'Israël soit d'une quelconque manière renforcée par les choix du gouvernement israélien ? N'est-elle pas plutôt mise en péril par ceux-ci ? Ce n'est pas moi qui pose cette question, c'est le peuple israélien lui-même qui demande des comptes à son gouvernement ! Nous devons donc également nous interroger, même s'il s'agit d'un sujet difficile sur lequel personne ne se risquerait à émettre des jugements à « l'emporte-pièce ».

Il convient également d'évoquer un point qui n'a pas été abordé depuis le début de ce débat : le saccage systématique des infrastructures civiles et la mort de très nombreux civils eux-mêmes ne peuvent en aucun cas être qualifiés de « dommages collatéraux » ! En effet, selon Amnesty International, une telle politique serait délibérée et elle se serait même parfois traduite par des crimes de guerre !

Qui peut admettre la notion de « punition collective » - c'est bien de cela qu'il s'agit - quand des villages entiers, quand tout le sud du Liban, sont concernés par les bombardements ? La question est posée. En effet, loin d'affaiblir le Hezbollah, l'intervention israélienne l'a incontestablement renforcé au sein du peuple libanais. Certes, et je ne le conteste pas, des voix divergentes se font entendre au sein de la communauté chiite, que l'on nous présentait volontiers voilà quelques semaines comme unanimement animée par la volonté d'en découdre.

Dans ces conditions, comment peut-on sortir d'une telle situation ?

Nous le voyons bien, la diplomatie américaine au Proche-Orient ne constitue pas une solution. « Gendarmes du monde » à la fin du XXe siècle, les États-Unis ont beaucoup moins bien réussi leur entrée dans le deuxième millénaire. Leur croisade laborieuse contre un terrorisme insaisissable et protéiforme a écorné leur image de toute-puissance. Les tentatives répétées d'imposer le modèle démocratique par la force en Irak ou en Afghanistan ont toutes échoué. Plus grave encore, leurs manoeuvres maladroites pour préserver les approvisionnements pétroliers américains ont jeté le discrédit sur leur diplomatie au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

De surcroît, et j'insiste sur ce point, nous ne partageons pas les thèses américaines sur la « guerre des civilisations ». Nous ne prêterons donc pas la main à ce combat.

L'Amérique a dressé contre elle une bonne partie du monde arabo-musulman. Par conséquent, les États-Unis n'apparaissent pas un acteur légitime au Proche-Orient.

Et puis il y a l'Europe, le grand voisin si proche par l'histoire et par la culture. L'Europe tente de promouvoir une diplomatie fondée sur le respect de l'autre et le dialogue ; elle pourrait faire passer l'intérêt commun avant les intérêts de quelques-uns. De ce point de vue, les peuples du Proche-Orient attendaient beaucoup de nous. Nous aurions pu agir d'une seule voix et relever le premier grand défi de politique étrangère et de sécurité commune si nous avions été suffisamment patients, impartiaux et confiants pour asseoir tous les fauteurs de guerre à une table et les guider vers un accord de paix acceptable par tous.

Mais, soyons honnêtes, si l'Europe a fait défaut, c'est parce que la quasi-totalité des États membres qui étaient en situation d'entreprendre ce que je viens d'évoquer ont préféré utiliser leurs canaux traditionnels.

Certes, le Premier ministre a sans doute raison de saluer l'adoption à l'unanimité de la résolution 1701 et de rappeler le rôle important joué par la diplomatie française. Mais nous devons tout dire et ne pas nous mentir à nous-mêmes.

Faut-il omettre de rappeler qu'une telle unanimité a été acquise après des jours et des jours de tergiversations pendant lesquels Israël a pu, sinon « finir le travail », du moins intensifier les bombardements soixante-douze heures encore avant la suspension des combats et le retrait partiel des troupes ? Ferons-nous l'impasse sur l'incompréhension générale qui a suivi l'annonce par le Président de la République d'un engagement limité à 200 hommes et sur la déception que cela a suscité tant en Israël qu'au Liban ?

Quoi qu'il en soit, la résolution 1701 a été adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies et je m'en félicite. Je m'associe aux voeux formulés par Pierre Mauroy pour qu'elle soit suivie d'autres initiatives et d'autres pas permettant une reprise effective du dialogue. J'ajoute que j'apprécie la retenue et la lucidité dont ont fait preuve les intervenants précédents devant l'étendue et la complexité de telles questions.

Pour terminer, vous me permettrez d'aborder deux sujets dont on a peu parlé aujourd'hui.

Je voudrais d'abord évoquer le dossier des bombes à sous-munitions. Elles sont très meurtrières, très dangereuses, notamment pour les enfants, auxquels il est évidemment très difficile d'interdire de jouer à l'extérieur. Selon l'ONU, quelque 100 000 de ces bombes se trouveraient aujourd'hui encore dans le sud du Liban et dans quelques quartiers de Beyrouth.

De telles armes ont déjà provoqué la mort de treize personnes et en ont blessé plus de cinquante autres. Nous devons donc engager un véritable travail de déminage, même s'il sera évidemment ralenti par la méconnaissance des zones où se trouvent ces engins. En outre, l'Europe et la communauté internationale devraient joindre leurs efforts pour réclamer à Israël les cartes des zones concernées, ce qui permettrait d'accélérer le déminage et d'éviter de nouvelles victimes civiles. Au-delà, nous devrions surtout porter une attention plus grande à l'action de Handicap International, qui vise à interdire totalement ces bombes.

J'en viens au second sujet que je souhaitais évoquer. Je viens d'apprendre le décès de Solange Fernex, députée européenne honoraire des Verts, qui a voué sa vie au désarmement et à la paix ; beaucoup d'entre vous l'ont bien connue. À cet égard, je voudrais aborder la question nucléaire, ainsi que nombre d'entre vous l'ont fait au cours de ce débat.

Certes, la communauté internationale a raison de pointer le danger considérable que fait peser la politique d'équipement militaire de l'Iran en la matière. Pourtant, il est indispensable d'avancer non seulement vers le désarmement nucléaire militaire de l'Iran, mais également vers une dénucléarisation de toute la région. En la matière, nous ne devons pas faire deux poids, deux mesures. Une telle politique doit également concerner le nucléaire israélien.

Je suis très préoccupée par l'état agonique des négociations en révision du traité de non-prolifération des armes nucléaires. C'est pourquoi je ne peux que plaider, madame la ministre, monsieur le ministre, pour que nous ne passions pas cet espoir de dénucléarisation par pertes et profits. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

(M. Christian Poncelet remplace M. Adrien Gouteyron au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous pouvons être fiers de notre pays.

Durant les terribles événements subis par le Liban, la France a été au premier rang ; elle l'est encore aujourd'hui. Elle a su être présente et se porter volontaire en raison des liens historiques qu'elle a tissés avec ce pays. Ces derniers lui confèrent d'ailleurs une responsabilité particulière.

La France doit assumer son engagement très ancien en faveur de la souveraineté et de l'indépendance du Liban et offrir un avenir à ce pays.

Absolument rien ne saurait justifier la destruction systématique et délibérée du Liban. En quelques semaines, ce pays a été dévasté et quinze années d'efforts ont été réduites à néant. Les ponts ont été éventrés, l'aéroport a été bombardé, le port a été pilonné, des missiles ont été tirés à Tripoli, au nord du Liban, les radios et la télévision ont été attaquées et des populations civiles, y compris des innocents tels que des enfants, des femmes et des vieillards, ont été touchées. En outre, les conventions de Genève ont été malmenées des deux côtés de la frontière.

Comme toujours, ce sont les civils qui font les frais d'une guerre.

Au cours des derniers vingt-huit jours, 932 Libanais ont été tués et plus de 3 000 blessés. En outre, 913 000 personnes sont devenues des réfugiés.

Au même moment, Israël vivait l'épreuve de la vulnérabilité. Le nombre de victimes israéliennes s'élève à 84 morts et 867 blessés.

Au fil des jours, des centaines de milliers de Libanais, un million au plus fort de la guerre, ont fui les bombardements. Le sud du pays a été quasiment vidé de ses habitants.

On m'a même rapporté ce fait : des lance-roquettes étaient cachés dans les écoles de la ville chrétienne de Cana. La réplique militaire israélienne s'exécutait automatiquement, selon une trajectoire fixe, alors que les tireurs s'en étaient allés. L'école était anéantie.

Certains réfugiés ont été accueillis par leurs familles, par des amis ou dans des établissements scolaires publics, dans des régions plus sûres. D'autres ont été évacués par la France.

En raison du blocus et des bombardements d'axes routiers, le Liban s'est retrouvé presque coupé du monde. La destruction des voies de communication intérieures a considérablement entravé tous les déplacements dans le pays.

Suite aux bombardements menés par Israël, le 14 juillet dernier, sur les réservoirs de la centrale électrique de Jiyé, à vingt-cinq kilomètres environ au sud de Beyrouth, entre 10 000 et 35 000 tonnes de pétrole se sont déversées dans la mer. Cela a créé une marée noire qui a touché les 180 kilomètres de côtes du pays et de nombreux autres rivages méditerranéens. Cette pollution écologique n'a fait qu'aggraver les immenses difficultés auxquelles le peuple libanais était confronté.

Le Liban n'aurait-il pas le droit de vivre ? Serait-il l'otage d'une guerre venue d'ailleurs ?

Les situations sont complexes et imbriquées. Israël aspire à la sécurité, tandis que le Liban a soif de liberté. Le Moyen-Orient est en crise. Ainsi, le conflit israélo-palestinien n'est toujours pas résolu, l'Irak reste dans la tourmente et les tensions dans le Golfe diffusent leurs effets dans tout le Proche-Orient.

Le Liban est victime des coups que les puissances régionales n'osent pas se donner.

À cet égard, je me dois de rendre hommage au Président de la République.

M. Alain Gournac. Très bien !

Mme Christiane Kammermann. Lorsque le Liban saigne, le Président de la République est toujours là pour lui porter assistance.

Mme Christiane Kammermann. Ses interventions ont eu le mérite de lever quelques ambiguïtés. Dans la confusion générale, il s'est fait entendre. Grâce à lui, la France joue son rôle de modérateur et de médiateur.

Permettez-moi de féliciter également nos ministres. Je pense notamment à Dominique de Villepin, Premier ministre, et à Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Ce dernier a souvent pris le chemin de Beyrouth sous les bombes, et ce avec beaucoup de courage, afin de réaffirmer le soutien total de la France à la volonté du gouvernement libanais de restaurer la souveraineté de l'État sur l'ensemble du territoire. (M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, acquiesce.)

Le ministre de la défense, Michèle Alliot-Marie, le ministre de la santé et des solidarités, Xavier Bertrand, et le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, Dominique Perben, se sont également rendus sur place ou dans la région à plusieurs reprises.

Je remercie également notre ambassadeur au Liban, M. Bernard Emié, et son équipe de la façon extraordinaire dont ils ont géré les rapatriements, avec une autorité et une efficacité exemplaires, ainsi qu'avec beaucoup de coeur. J'en profite pour signaler la présence, dans les tribunes du public, de Mme Isabelle Emié, épouse de l'ambassadeur. Elle agissait aux côtés de son mari, dans l'ombre, mais avec une grande efficacité. De nombreuses personnes étaient présentes chaque jour pour aider au rapatriement.

Nous sommes donc fiers de notre ambassadeur et de tous ceux qui l'ont entouré : les agents de l'ambassade, ceux du consulat, toutes les associations confondues, l'Union des Français de l'étranger en tête, les conseillers des Français de l'étranger.

Notre reconnaissance va aussi à notre ambassadeur à Chypre, M. de La Tour du Pin, et à son équipe. À Nicosie, à Larnaka, un véritable pont aérien a été établi avec la France et tout le monde s'est mobilisé, de jour comme de nuit, afin d'organiser l'accueil des réfugiés français.

Sans toutes les personnes citées, ainsi que les Croix rouges libanaise et française, le Comité d'entraide aux Français rapatriés, le Samu, l'armée, la sécurité civile, rien n'aurait pu se faire.

La Caisse des Français de l'étranger, présidée par le sénateur Jean-Pierre Cantegrit, a réagi dès la première semaine de guerre en prenant des mesures spécifiques en réponse à la situation d'exception des Français du Liban.

Le 12 août, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté la résolution 1701, qui prévoit un règlement par étapes de la crise. Notre pays a pris une part déterminante dans son élaboration. L'application de cette résolution implique de veiller à l'achèvement du retrait israélien parallèlement au déploiement de la FINUL renforcée, à la libération des soldats israéliens enlevés, au respect de l'embargo sur les armes, au désarmement des milices et, enfin, au règlement de la question des fermes de Chebaa. L'objectif de la France était de parvenir à un véritable cessez-le-feu et à une solution durable qui garantisse la pleine souveraineté du Liban et la souveraineté d'Israël. Notre diplomatie a maintenu le dialogue avec les deux pays tout au long du conflit.

Le 17 août, le gouvernement de M. Fouad Siniora a pris la décision courageuse de déployer l'armée libanaise au sud du fleuve Litani, où elle n'avait pas stationné depuis quarante ans, dans le but de créer une zone tampon s'étendant jusqu'à la frontière.

Je souhaite rappeler l'action de notre gouvernement, qui a agi en urgence pour répondre aux besoins des populations : l'évacuation de 11 000 Français, ainsi que 2 500 ressortissants d'autres nationalités, dans des conditions souvent très difficiles.

À la demande du Gouvernement, l'assurance maladie a mis en place un dispositif dérogatoire de prise en charge des frais de santé des Français rapatriés du Liban. Tout a été mis en oeuvre pour accueillir au mieux les réfugiés du Liban. Nos compatriotes présents dans le nord d'Israël ont également été aidés et le ministre des affaires étrangères leur a rendu visite.

La mobilisation humanitaire a été décrétée. Le Président de la République a appelé à l'ouverture de corridors humanitaires : des vivres, des médicaments, de l'eau potable, des groupes électrogènes pour les hôpitaux ont été envoyés.

Avec l'installation en cours de quinze ponts métalliques Bailey, pour lesquels notre pays mobilise plus de deux cents militaires du génie, la France contribue fortement au rétablissement des voies de communications vitales pour le pays.

Le Président de la République a insisté sur le respect de l'intégrité territoriale du pays, souhaitant le rétablissement de l'autorité, de la stabilité et de la souveraineté du Liban. Il s'agit là de l'intérêt de tous les Libanais, quels qu'ils soient. Le chef de l'État a demandé que soit appliquée la résolution 1559 qui prévoit le désarmement des milices.

La France a également assumé ses responsabilités sur le plan militaire. Elle a renforcé de manière importante son contingent au sein de la FINUL : il sera porté à 2 000 militaires français. Un premier bataillon de 900 hommes rejoindra par voie maritime le Liban d'ici au 15 septembre. Ces troupes seront dotées d'un armement qualifié de « robuste et dissuasif » par les militaires, encore traumatisés par le « syndrome Drakkar ».

Vers la fin du mois, un deuxième bataillon français d'environ 700 hommes viendra renforcer ce contingent. Face aux risques encourus, des garanties précises ont été obtenues quant à l'efficacité de la mission confiée à une FINUL renforcée et à la sécurité de nos soldats. La France assumera le commandement de la force sur place, confié au général Pellegrini jusqu'en février 2007. À cet effort s'ajoutent les 1 700 hommes déployés au titre du dispositif aérien et naval Baliste, en charge depuis le 12 juillet de l'approvisionnement de la FINUL.

Au-delà du soutien militaire à la paix, la France a pour priorité l'aide à la reconstruction du Liban. Lors de la conférence de Stockholm, le 31 août dernier, la ministre déléguée aux affaires européennes a annoncé une contribution de plus de 40 millions d'euros. Pour aller plus loin, le Président de la République a appelé à un vaste élan de solidarité dans le cadre d'une future conférence internationale.

Le Liban a trop longtemps été le théâtre des affrontements des pays de la région, qui doivent comprendre que leur intérêt réside dans un Liban souverain et indépendant.

N'ayant pu me rendre au Liban, j'ai rejoint les rangs de ceux qui oeuvraient à Paris pour les rapatriés, en allant à Roissy attendre l'arrivée des avions et à la cellule de crise du Quai d'Orsay. À cette occasion, j'ai été témoin de l'immense courage du peuple libanais.

N'oublions pas le magnifique travail du directeur des Français de l'étranger, M. François Barry Delongchamps, et de son directeur adjoint, Mme Le Bihan, ainsi que leur équipe. Je salue également la très grande qualité de l'accueil que le Comité d'entraide aux Français rapatriés, le CEFR, dirigé par le président Casamitjana, a réservé aux réfugiés : 2 000 personnes ont été reçues à Roissy par ses services et 386 personnes ont été accueillies dans les locaux du Comité d'entraide aux Français rapatriés. L'aide du CEFR fut indispensable. À ce propos, il serait tout à fait juste que ce comité voie son budget augmenter compte tenu des moyens qu'il a déployés pour accueillir les réfugiés du Liban dans les meilleures conditions possibles.

Dans le cadre de l'année de la Francophonie, je tiens à souligner la nécessité de la promotion de la francophonie et de la culture française, en péril au Liban, afin de ne pas laisser le champ libre aux intégristes.

La rentrée scolaire se prépare dans notre important réseau d'enseignement français au Liban. Nombre de familles françaises ont eu leur maison dévastée ou leurs membres ont perdu leur emploi. Il serait par conséquent souhaitable que les situations difficiles soient examinées avec beaucoup de compréhension, au cas par cas, au niveau de chaque établissement, et que des solutions adaptées et proportionnées soient mises en oeuvre : bourses exceptionnelles, éventuelles allocations spéciales de rentrée scolaire, délais de règlement des frais de scolarité.

La situation reste très fragile au Liban et le conflit peut reprendre à tout moment. Depuis l'arrêt des hostilités, le 14 août, treize personnes ont été tuées et cinquante-deux autres blessées par l'explosion de bombes à sous-munitions, comme Mme Voynet l'a rappelé. Ces bombes ont un taux très élevé de non-explosion immédiate qui en fait de vraies bombes à retardement. Les villages et les terrains de culture sont devenus de véritables champs de mines. Les plans des zones sur lesquels ces bombes ont été lâchées sont imprécis, ce qui nuit à leur déminage. Voila qui accroît encore les dangers dans un pays attaqué de toutes parts.

Jeudi 7 septembre, Israël a levé le blocus aérien et maritime imposé au Liban depuis près de deux mois, sous conditions. La levée de ce blocus était exigée dans la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est la fin d'un chapitre pénible pour tous les Libanais, et la France y aura participé avec toute la force de ses valeurs.

Dans ce contexte géopolitique compliqué et troublé, permettez-moi, madame la ministre, d'attirer votre attention sur certains points.

Le cargo Fast Arrow a accosté ce matin dans le port de Beyrouth avec treize chars Leclerc. Pouvez-vous nous dire quelle sera la contribution de la France à la surveillance maritime des côtes libanaises ? Quel sera le rôle précis de nos forces sur place ? Le contrôle de la frontière syro-libanaise entrera-t-il dans le cadre de compétences de la FINUL renforcée ? Qu'en est-il de la frontière nord du Liban, point de passage des armes en provenance de Syrie ?

Quelle sera la nature de l'aide apportée à l'armée libanaise ? Quels seront les coûts de cette opération ?

Il semblerait que la communauté française sur place, 17 000 personnes - 18 000 étaient inscrites avant la guerre -, ait été quelque peu oubliée dans la distribution des aides qui ont afflué au Liban.

Concernant les aides alimentaires et pharmaceutiques transportées dans le cadre de l'opération « un bateau pour le Liban », pas une palette de vivres ou de médicaments n'a été destinée aux familles françaises qui étaient dans le besoin.

Dès lors, dans le but de mieux contrôler l'acheminement de l'aide française au Liban, serait-il envisageable de susciter la formation d'un comité de contrôle ad hoc afin que les aides économiques et humanitaires soient gérées dans la plus grande transparence ?

Il serait souhaitable d'envisager que des fonds d'urgence soient dégagés à destination du service social de l'ambassade de France à Beyrouth et de la Société française de bienfaisance, qui pourraient les gérer en fonction des demandes qui leur seront adressées.

Une prise en charge exceptionnelle au titre de l'allocation de chômage pourrait-elle être créée pour les personnes ayant perdu leur emploi du fait de cette guerre ?

Nos concitoyens sur place souffrent, avec l'ensemble de la population, d'un problème d'eau majeur, le réseau de canalisations ayant été entièrement détruit par les bombardements. La construction de stations de traitement des eaux ainsi que de stations de pompage est-elle prévue ?

Des rumeurs font état de craintes d'attentats terroristes au Liban. Quelles informations avez-vous à ce sujet ? Dans une telle éventualité, la France serait-elle en mesure de prévenir et d'assister la population ?

Le Liban est cher à notre coeur. Souhaitons ensemble qu'une paix durable s'y installe et que plus jamais le pays des cèdres ne serve de champ de bataille aux guerres des autres. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, je souhaiterais faire un bref rappel au règlement.

La Constitution de 1958, tranchant avec les constitutions précédentes des iiie et ive, a supprimé les « motions surprises ». Par conséquent, désormais, nous ne pouvons déposer dans nos assemblées que des motions qui répondent parfaitement aux caractéristiques du règlement, à savoir motion de censure à l'Assemblée nationale, motion tendant à modifier le règlement ou à demander un référendum, etc.

Personnellement je le regrette un peu car, à l'issue de ce débat que vont conclure les ministres dans un instant, nous aurions pu demander à M. le président du Sénat d'adresser un message du Sénat à celles et ceux qui, pendant l'été, quand la France était à la plage, dans nos ambassades de Beyrouth et de Chypre, au sein de nos armées, sur nos bateaux et dans nos services à Paris, rentrés de vacances ou de permission, se sont dépensés avec courage et sans compter leur peine pour venir en aide aux Français du Liban et à des ressortissants d'autres pays, et pour assurer une évacuation que je qualifierais d'impeccable tant sur place qu'à Paris.

Je n'oublie pas non plus, madame la ministre de la défense, nos soldats restés sous la mitraille avec la FINUL, parce qu'ils participaient déjà à la FINUL au moment où ses positions étaient prises pour cible par certains tirs.

Monsieur le président, j'ignore si ma proposition correspond aux souhaits du Sénat. Mais ce dernier s'honorerait d'adresser un message au Premier ministre pour lui demander de transmettre à l'ensemble de ces personnels l'hommage de notre Haute Assemblée.

M. Michel Charasse. Ce serait une bonne manière de démontrer, comme le débat d'aujourd'hui l'a fait largement ressortir, que la représentation nationale est plus que satisfaite du travail de celles et de ceux qui, au coeur des vacances, se sont consacrés à aider nos compatriotes, y compris sous les bombes. (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur Charasse, je ne vois, bien sûr, aucune objection à cette proposition. Je vous rappelle cependant que, tout à l'heure, M. Gouteyron, dans son excellente intervention, a déjà rendu hommage à toutes celles et tous ceux qui ont participé à l'élan de solidarité qui s'est manifesté dans tous les domaines en faveur du Liban.

Cela étant, et si la Haute Assemblée en est d'accord, je ne peux qu'accepter le principe de ce message, qui renforcera les nombreuses interventions sur ce sujet, au cours desquelles un vibrant hommage a été rendu à ces personnes. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, je vous donnerai lecture du texte de ce message à l'issue du débat.

La parole est à Mme le ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier chacun des orateurs du consensus qu'ils ont exprimé sur l'attitude et l'action de la France dans cette guerre qui a frappé le Liban.

Je me suis rendue ce matin à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle pour rencontrer deux cents des militaires, appartenant au régiment de marche du Tchad et au 6e-12e régiment de cuirassiers, qui s'apprêtaient à s'envoler directement pour Beyrouth. Le message d'approbation et de soutien que vous leur transmettez aujourd'hui aura, à n'en pas douter, une influence extrêmement importante sur la manière dont ils assumeront leur mission. À cet égard, je tiens à remercier M. Charasse de son initiative.

Au cours de ce débat, vous avez démontré, les uns et les autres, votre parfaite connaissance du dossier. C'est la raison pour laquelle je me contenterai de faire le point sur la situation actuelle, en précisant les conditions dans lesquelles nos militaires ont été déployés et les implications financières qui en découlent. J'essaierai également de mettre en perspective les enjeux de cette opération et la situation actuelle au Liban.

Sur le plan sécuritaire, le cessez-le-feu est globalement respecté, notamment s'agissant de l'espace aérien ; à terre, sur l'ensemble du théâtre d'opérations, aucun incident significatif n'a été rapporté au cours de ces derniers jours ; en mer, le blocus a été levé et un seul incident a été noté le 10 septembre dernier. Les règles d'engagement maritime seront d'ailleurs avalisées cette semaine par la cellule stratégique mise en place auprès de M. Guéhenno.

Dans le même temps, les deux premiers ponts Bailey sont d'ores et déjà en service au sud de Beyrouth et deux autres sont en cours de construction. Au fur et à mesure de l'avancement des travaux, les déplacements non seulement des Libanais, mais aussi et surtout de l'armée libanaise, sont facilités, cette dernière pouvant se déployer davantage ; elle est aujourd'hui présente dans le sud du pays.

S'agissant des moyens que la France met en oeuvre, deux forces bien distinctes sont sur place.

Il s'agit, d'une part, de la force Baliste, qui a été envoyée dès le deuxième jour de la crise et qui a très largement participé à l'évacuation de nos ressortissants, ainsi qu'à celle des étrangers et des Libanais qui souhaitaient quitter le pays. Cette force comporte précisément 1 558 hommes et les quatre bâtiments Siroco, Foudre, Cassard et Montcalm, ainsi qu'un détachement « air », avec un Transal et trois hélicoptères. Le détachement de génie qui construit les ponts Bailey appartient à cette force.

Il s'agit, d'autre part, de la FINUL. D'ores et déjà, 975 hommes sont déployés sur le terrain au sein de la FINUL, une moitié à Nakoura et l'autre à Beyrouth. Ils sont en train de coordonner les moyens des futurs débarquements. Les personnels de ce bataillon commencent à arriver par avion ; ils seront au complet à Beyrouth le 15 septembre. Au fur et à mesure de la réalisation des travaux de peinture nécessaires, en particulier sur les chars, ce bataillon se déploiera dans le Sud, plus précisément dans la région de Bint Jubayl

Pour mettre en oeuvre ces missions, nous avons exigé des garanties à la fois d'efficacité et de sécurité pour nos personnels. C'est d'ailleurs ce qui a parfois été mal compris. Lors de la fameuse semaine à laquelle M. Mauroy a fait référence, certains ont eu le sentiment que nous refusions de nous engager, alors même que nous discutions des conditions de cet engagement. Madame Voynet, nous avons immédiatement décidé de déployer 200 hommes pour renforcer la FINUL. Je note d'ailleurs que nous avons été le seul pays à faire cet effort, alors que la situation n'était pas encore stabilisée. On devrait donc nous en féliciter plutôt que de dire que ce n'est pas suffisant !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Nous avons attendu que les conditions très fermes que nous avions posées soient remplies pour augmenter les effectifs. Au demeurant, les pays, notamment l'Italie, l'Espagne et la Suède, qui, à la même date, annonçaient l'envoi de leurs contingents posaient les mêmes conditions que nous, mais peut-être pas aussi ouvertement. Lorsque nous avons obtenu satisfaction sur ces différents points, lesdits pays ont immédiatement confirmé le déploiement de leurs forces, ce qu'ils n'avaient pas fait quelques jours auparavant.

Nous avons exigé que notre mission soit très précisément définie, car nous refusons d'envoyer des hommes avec pour seule consigne de se référer à une résolution qui, par nature, demeure relativement floue. Un militaire sur le terrain a besoin de savoir très exactement ce qui lui est demandé.

Aujourd'hui, la mission est explicite, à la fois « positivement » et « négativement » : nous savons ce que nous ferons et ce que nous ne ferons pas. Ainsi, nos forces assureront le soutien de l'armée libanaise, mais elles n'auront pour fonction ni de désarmer le Hezbollah ni de surveiller la frontière syrienne.

Par ailleurs, nous avons effectivement accepté de prendre en charge la mission confiée à la force navale transitoire, en attendant que les Allemands prennent la relève. Notre tâche a été facilitée, car une frégate de la force Baliste était déjà sur place ; celle-ci se consacre à la zone des 6-12 milles nautiques des eaux territoriales libanaises.

Nous avons également insisté sur l'importance de la chaîne de commandement, qui doit garantir et l'efficacité de l'opération et la sécurité des forces engagées. Plusieurs d'entre vous ont, à juste titre, rappelé les catastrophes qui ont, pour certaines, occasionné la mort de plusieurs dizaines de nos militaires. L'une des causes était justement le trop grand flou dans ce domaine, et c'est précisément ce que nous ne voulons plus.

Nous avons obtenu satisfaction auprès du Département des opérations de maintien de la paix. En temps habituel, il ne possède pas de cellule qui soit consacrée à la conduite d'une seule opération, puisqu'une soixantaine d'officiers suivent simultanément les dix-sept opérations onusiennes. Or, aujourd'hui, il existe bien une cellule spécifiquement dédiée à l'opération au Liban.

De la même façon, nous voulions que des consignes explicites soient données pour le cas où nos forces seraient au contact d'éléments s'apprêtant à faire usage de leurs armes. Eh bien ! la force létale devient un moyen d'action possible pour la FINUL : nos militaires auront le droit de tirer à balles réelles s'ils sont attaqués, ce qui n'est pas l'usage dans les règles de fonctionnement normal de l'ONU.

Par ailleurs, il est impensable que des militaires chargés d'une mission soient empêchés d'aller en patrouille tout simplement parce que des personnes se mettent en travers de leur route. Tel ne sera pas le cas au Liban : la FINUL pourra se déplacer librement dans sa zone d'opération sans être bloquée et faire usage de toute la force nécessaire à la réalisation de sa mission.

Monsieur Zocchetto, nous avons exigé la plus grande sécurité pour nos militaires. Le résultat des négociations me semble conforme à nos voeux. De plus, nous disposons d'une force de réserve, sous le commandement du général Pellegrini, qui est capable de réagir rapidement face à toute dégradation des conditions de sécurité. Le premier bataillon français en fera d'ailleurs partie.

Pour des raisons à la fois psychologiques et d'efficacité, nous voulions ne pas être les seuls à participer à cette opération : nous souhaitions que le plus grand nombre de pays, européens ou non, y prennent part. De ce point de vue également, nous sommes très satisfaits des contributions annoncées, en particulier au niveau de nos partenaires européens. Nous désirons que certains pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU annoncent également quelle sera leur contribution et précisent la forme qu'elle prendra.

Tous ces éléments sont très importants, notamment au regard des enjeux de l'opération ; ceux-ci sont au nombre de trois.

Le premier enjeu, c'est, bien entendu, la souveraineté du Liban. Or il n'y a pas d'État souverain lorsque l'armée de cet État n'est pas la seule en mesure de détenir la force sur l'ensemble du territoire. Nous nous réjouissons que, pour la première fois depuis quarante ans, l'armée libanaise puisse se déployer dans le sud du pays.

Le Liban doit également se reconstruire. Une nouvelle fois, me direz-vous ! Effectivement, une telle situation s'est déjà produite trop souvent. Mais nous savons que les Libanais en ont la volonté, qu'ils en sont capables, et la communauté internationale doit leur apporter son aide.

Le deuxième enjeu, c'est la stabilité de tout le Moyen-Orient. En effet, s'il n'y a pas au Liban une zone de paix et de stabilité, il n'y en aura pas ailleurs. À l'évidence, l'amélioration de la situation dans ce pays ne réglera pas tous les problèmes du Moyen-Orient. En tout état de cause, si nous n'intervenons pas au Liban, cette zone deviendra l'une des plus dangereuses et explosives, monsieur Mauroy. Car c'est aussi de la lutte contre le terrorisme qu'il s'agit. Or cette lutte pour notre protection passe non seulement par des actions directes, comme en Afghanistan, mais aussi par la solution apportée à des crises, dont certaines, nous le savons très bien, servent de prétexte au développement du terrorisme.

La question du terrorisme ne se règlera pas simplement par les armes : il faut développer chez les peuples un sentiment de justice, notamment en favorisant l'essor économique.

Je souhaite donc que tous soient davantage mobilisés non seulement au Liban, mais également dans toutes les « zones grises » où prospèrent les conditions du terrorisme. Pour ce faire, nos partenaires européens doivent se mobiliser et consacrer les moyens financiers nécessaires afin que leur pays puisse réellement contribuer à l'élaboration de la défense européenne.

Madame Kammermann, l'action que nous allons mener au Liban coûtera environ 120 millions d'euros au budget de la défense ; il convient de distinguer le coût de l'opération Baliste et celui du renforcement de la FINUL. Nous espérons que cet engagement financier donnera lieu à quelques remboursements de la part de l'ONU.

Je suis bien consciente que ces fonds proviennent de la nation française et que nous devons en être économes. Mais ce n'est pas considérable lorsqu'il s'agit de protéger ceux qui ont subi les effets de la guerre et ceux qui sont exposés au risque terroriste. Nous savons tous, au lendemain de l'anniversaire du 11 septembre, ce que signifie cette menace.

Tout cela justifie que nous soyons encore plus reconnaissants à nos militaires des risques qu'ils prennent au nom de la France et pour la paix. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous apporter, après le Premier ministre et le ministre de la défense, quelques précisions sur la situation au Liban.

Je tiens tout d'abord à remercier les orateurs qui se sont exprimés au nom de l'amitié franco-libanaise, et au premier rang M. Gouteyron, président du groupe d'amitié.

J'ai également été très sensible aux remerciements que vous avez tous adressés à nos personnels. Effectivement, ceux-ci ont travaillé tout l'été, que ce soit à Beyrouth, à Nicosie, ou encore à Tel-Aviv, car lors du blocus imposé par Israël au Liban, nous avions besoin de communiquer avec les autorités israéliennes afin de sécuriser les « corridors humanitaires ».

Pour être bref, je dirai que nous cherchons à atteindre quatre objectifs.

Notre premier objectif est évidemment de consolider le cessez-le-feu qui a été rendu possible par la résolution 1701, votée à l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies dans la nuit du 11 au 12 août dernier, à New York. La diplomatie s'est mobilisée pour faire voter cette résolution. Il faut maintenant qu'elle s'engage à la faire respecter sur le terrain.

Aujourd'hui, les hostilités ont cessé, mais je tiens à insister sur l'importance de la levée du blocus israélien, aérien et maritime, au Liban, à la fin de la semaine dernière, ce qui représente une application très importante de la résolution 1701. Mais la situation reste très fragile.

Il faut donc consolider ces acquis en progressant sur les autres volets de ladite résolution, ce qui passe par la poursuite du fameux « double mouvement », à savoir le déploiement de l'armée libanaise au sud du pays et le retrait israélien, avec une FINUL renforcée. Cela est en bonne voie. Mais cette consolidation passe aussi par l'achèvement du retrait des troupes israéliennes au sud de la « ligne bleue ». Je suis sûr que celui-ci pourra être réalisé rapidement.

Le deuxième objectif concerne le processus politique : le Président de la République l'a toujours dit, la moindre présence d'une force multinationale sur le terrain est impossible sans processus politique.

Ce processus politique est inscrit dans la résolution 1701 Il concerne, bien évidemment, le sort des prisonniers libanais retenus en Israël, la libération immédiate et sans condition des deux prisonniers israéliens, la question des fermes de Chebaa, ce problème étant inscrit pour la première fois, noir sur blanc, dans une résolution des Nations unies, et le désarmement du Hezbollah, sur lequel je reviendrai. C'est le plan en sept points du gouvernement de Fouad Signora qui a été repris.

Cela implique également une lecture très attentive du rapport qu'établira le secrétaire général des Nations unies après la longue tournée qu'il va effectuer dans la région.

Le troisième objectif, c'est la reconstruction du Liban. Lors de la conférence de Stockholm, 940 millions de dollars ont été annoncés à cette fin, dont 40 millions d'euros pour la France.

Pour autant, nous réfléchissons déjà, avec les autorités libanaises, à la reconstruction du Liban sur le long terme ; une réunion sur ce thème pourrait se tenir à Beyrouth, si les conditions sont favorables, ou à Paris.

Le Premier ministre a chargé M. Jean-Pierre Jouyet, chef de l'Inspection des finances, d'une mission interministérielle sur ce sujet. Celui-ci vient de se rendre au Liban pour procéder à une première évaluation de la situation et des besoins du pays dans les différents domaines liés à la reconstruction.

Permettez-moi de formuler une remarque : s'il faut financer la reconstruction du Liban, la France, l'Union européenne et la communauté internationale seront présentes. Mais nous aimerions, je le dis à titre personnel, que les pays du Golfe soient également présents.

Le quatrième objectif dépasse le cadre du Liban puisqu'il concerne l'émergence d'une solution globale au Proche-Orient, évoquée par MM. Bret, Gouteyron et Mauroy.

Le conflit au Liban a permis de mettre en relief l'imbrication des crises qui existent au Moyen-Orient et, notamment, le conflit israélo-palestinien, qui est la clef de toutes ces crises. Il n'y aura jamais de stabilité dans cette région tant que le conflit israélo-palestinien ne sera pas réglé. Or celui-ci, comme le conflit israélo-libanais, ne peut recevoir de solution militaire. Il est donc urgent de créer les conditions d'une relance des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens.

Différentes initiatives ont été prises. Ainsi, la Ligue arabe a proposé que le Conseil de sécurité ouvre la voie à une résolution permettant de relancer le processus de paix. L'Égypte a, quant à elle, suggéré au Conseil de sécurité d'organiser une discussion entre les deux parties.

Il faut cependant rester prudent, car la pire des choses serait une division de la communauté internationale sur ce sujet au sein du Conseil de sécurité. Malheureusement, nous avons assisté à des échecs successifs au cours des dernières années.

Le Président de la République a proposé une voie qui, une fois de plus, devrait être suivie par la communauté internationale : demander au Quartet de donner une nouvelle impulsion à la relance du processus de paix. Cette proposition sera débattue lors de l'Assemblée générale des Nations unies, à New York, où je me rendrai la semaine prochaine aux côtés du Président de la République.

Dans ce contexte, l'annonce par le président Mahmoud Abbas de la mise en place, tant attendue, d'un gouvernement d'union nationale représente une évolution importante pour la région, car elle peut permettre de sortir de l'impasse dans laquelle se trouvait le processus de paix depuis les élections générales palestiniennes et la victoire du Hamas.

La communauté internationale espère ainsi faire admettre à l'ensemble des Palestiniens trois principes : la reconnaissance d'Israël, celle des accords signés entre Israël et l'OLP et, comme l'a dit le président de la commission des affaires étrangères du Sénat à plusieurs reprises, au cours de cette année, le renoncement explicite et public à la violence.

Je compte me rendre très prochainement - probablement vendredi, samedi et dimanche prochain - dans les territoires palestiniens et en Israël pour faire le point de la situation avec les principaux acteurs du processus de paix.

En conclusion, permettez-moi de revenir sur deux sujets qui ont été abondamment évoqués par les orateurs : d'une part, le Hezbollah et, d'autre part, le rôle joué par les pays limitrophes du Liban, c'est-à-dire l'Iran et la Syrie.

Plusieurs d'entre vous, notamment M. Pierre Mauroy, se sont interrogés à propos du désarmement du Hezbollah. Le désarmement de toutes les milices, y compris du Hezbollah, est prévu dans la résolution 1701 ; celle-ci tient compte des accords de Tahef et fait mention de la résolution 1559 des Nations unies visant le désarmement de toutes les milices, donc le Hezbollah.

Tel est l'objectif non seulement de la communauté internationale, mais aussi, et surtout, des Libanais, qui ont engagé un dialogue national au début de l'année, lequel doit se poursuivre.

On me dit souvent que je serais naïf de croire au désarmement du Hezbollah. Or la solution purement militaire n'est pas possible ; nous avons pu le constater avec Israël, qui connaît mieux que personne chaque mètre carré du Sud-Liban.

La seule solution, c'est celle qui a été retenue le 16 août au soir, lorsque l'ensemble du conseil des ministres libanais a approuvé la résolution 1701, qui prévoit le désarmement du Hezbollah. Or des ministres présents étaient proches du Hezbollah. L'unique possibilité, c'est de faire passer le Hezbollah de sa condition de milice armée à celle de parti politique. C'est tout l'enjeu, c'est tout l'espoir de la diplomatie française, derrière le Président de la République.

Le dialogue national qui a été engagé permet de mener une réflexion sur la stratégie du gouvernement libanais en matière de défense nationale et d'organisation de l'armée libanaise. Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, en particulier M. Gouteyron, ce qui est en cause, c'est la souveraineté libanaise. Or il n'y a pas de souveraineté d'un pays sans armée. Ce sont les Libanais qui devront décider de la manière de conduire à bon port le désarmement des milices. Le conflit l'a montré, nous ne trouverons d'issue à cette situation que par la voie du dialogue.

Enfin, nous attendons une pleine contribution des pays de la région à la mise en oeuvre de la résolution 1701. Toute violation de cette résolution risquerait de compromettre le cessez-le-feu, donc la recherche d'une solution durable. Parmi ses dispositions figure l'embargo sur les armes. Je peux comprendre les Israéliens, qui ne voulaient pas lever le blocus tant qu'ils n'étaient pas sûrs de la mise en place d'un embargo sur la livraison d'armes.

J'en viens à l'Iran et à la Syrie. Comme l'a rappelé M. Vinçon, l'Iran aspire à se voir reconnaître un rôle régional de premier plan. Nous devons, M. le Premier ministre l'a souligné, l'encourager par le dialogue à assumer ses responsabilités en agissant en faveur de la stabilité.

Nous serons vigilants et attentifs aux gestes que feront les autorités de Téhéran pour faire baisser la tension au Liban, comme dans le reste de la région. Ce sera l'occasion de mesurer la volonté de l'Iran de jouer à l'avenir un rôle constructif dans la recherche de la paix.

Évidemment, nous avons pris connaissance du rapport de M. El Baradei, directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique, qui indique que l'Iran ne joue pas le jeu : aujourd'hui, l'Iran n'est pas en conformité avec la résolution 1696 votée par le Conseil de sécurité le 31 juillet dernier, résolution qui oblige ce pays à suspendre ses activités d'enrichissement de l'uranium.

À ceux qui parlent de l'esprit de Münich, à ceux qui souhaitent une confrontation, je dirai que, jusqu'au dernier moment, il faudra que la France et les amis de la France continuent à croire au dialogue, car le choc des civilisations, qui oppose, d'un côté, l'Orient et, de l'autre, l'Occident, serait dramatique pour l'ensemble de la planète. Tendons la main à l'Iran pendant qu'il en est encore temps et demandons-lui de savoir raison garder.

Monsieur Zocchetto, je n'ai pas rencontré le Président iranien, mais je me suis entretenu avec le ministre iranien des affaires étrangères à Beyrouth. Permettez-moi de trouver votre propos paradoxal : vous doutez du bien-fondé du dialogue et de la diplomatie en Iran au moment même où vous soulignez qu'aucune solution militaire ne peut régler le problème du Moyen-Orient. Nous n'y parviendrons que par le dialogue !

Madame Voynet, la France a soutenu, à plusieurs reprises, la proposition du président égyptien, M. Moubarak, visant à préserver le Moyen-Orient d'armes de destruction massive.

S'agissant de la Syrie, l'expérience conduit à la vigilance. Les autorités de Damas doivent respecter les règles du jeu fixées par la communauté internationale.

Nous avons fait voter, à l'unanimité, la résolution 1595, y compris par la Ligue arabe, qui était présente au Conseil de sécurité. Il faut que la Syrie respecte cette résolution, qui a créé une commission d'enquête internationale sur l'assassinat de députés, de journalistes, de civils et du Premier ministre Rafic Hariri. Cela vaut également pour les résolutions 1701 et 1550.

Comme l'a dit le Président de la République, le retour de la Syrie dans le concert des nations ne pourra intervenir que si celle-ci remplit les obligations internationales qui s'imposent à elle comme aux autres pays.

En situation de crise, lorsqu'on voit clair au départ, on est suivi par les autres. Or je pense que le Président de la République a vu clair dans cette crise dès le début, et ce pour l'unique raison qu'il s'est situé dans la droite ligne du respect des principes universels de notre pays : le respect de la souveraineté des peuples, le respect de la souveraineté territoriale d'un pays et le respect de l'indépendance nationale. De plus, le Liban est un ami de toujours. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)