M. le président. Le sous-amendement n° 62, présenté par M. de Richemont, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le I de l’amendement n° 42 pour l’article L. 218-18 du code de l’environnement par les mots :

dans une limite de 5 millions d’euros

La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. La loi Perben II a aggravé fortement les sanctions relatives aux pollutions par les navires en cas de rejet volontaire. En effet, l’amende peut atteindre une fois la valeur du navire ou quatre fois la valeur de la cargaison.

Or il faut savoir qu’à bord des porte-conteneurs actuels la valeur d’un conteneur peut être de 100 000 euros. Cela signifie que la valeur de la cargaison à bord des porte-conteneurs peut atteindre 3 milliards d’euros, ce qui pourrait entraîner une amende de 12 milliards d’euros.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la suite des drames de l’Erika et du Prestige on a souligné à plusieurs reprises le paradoxe suivant : ce sont les navires les plus vieux, qui ont le moins de valeur et le plus petit tonnage, qui transportent les produits les plus polluants et les plus dangereux !

Si l’on appliquait les sanctions telles que prévu, un navire transportant une marchandise particulièrement dangereuse serait passible d’une amende bien moindre qu’un navire plus important, en bon état, bien entretenu, transportant des marchandises non dangereuses, mais pouvant être néanmoins à l’origine d’une pollution.

C’est la raison pour laquelle l’objet de ce sous-amendement est de plafonner le montant de l’amende à 5 millions d’euros.

Une amende de 5 millions d’euros, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est déjà une amende très importante. C’est une amende supérieure à toutes celles qui existent aujourd’hui en Europe. À ma connaissance, il n’en a jamais été prononcé de ce montant par aucun tribunal.

Ce sous-amendement vise également à prendre en considération le fait que, aujourd’hui, le financement des navires est assuré, en référence à l’article 39 C du code général des impôts, qui a remplacé le groupement d’intérêt économique fiscal, le GIE fiscal, par les banques, lesquelles sont propriétaires du navire pendant toute la durée du financement, l’armateur n’étant que le locataire.

Il est bien évident que, si les banques ne peuvent apprécier exactement les pénalités encourues, elles éprouveront quelque réticence à financer ce type de navire, ce qui sera au détriment du pavillon français.

C’est la raison pour laquelle, sans remettre en cause les dispositions de la loi Perben II, il est fondamental, si l’on veut développer la filière de la marine marchande, de plafonner l’amende en question à 5 millions d’euros.

M. le président. Le sous-amendement n° 88, présenté par MM. Desessard et Muller et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :

Compléter le texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-19 du code de l’environnement par une phrase ainsi rédigée :

Ces peines peuvent être appliquées à l’affréteur et/ou au commanditaire du fret.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Je ferai tout d’abord une remarque de forme.

Je ne sais pas s’il faut féliciter M. le rapporteur de sa rapidité d’exécution…

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Tout à fait !

M. Jean Desessard.… ou s’il faut s’en inquiéter puisque nous n’avons pas eu le temps d’examiner les dossiers.

Souvent, les personnes aves lesquelles je discute reprochent au Sénat d’aller un train de sénateur. Je vois que M. Bizet veut changer cela !

M. Georges Gruillot. C’est un grand sportif ! (Sourires.)

M. Jean Desessard. Mais entre aller un train de sénateur et prendre son temps pour étudier les textes, il y a une différence ! La rapidité, la précipitation avec lesquelles vous voulez nous faire travailler nous empêche de traiter correctement les dossiers !

Vous avez déposé cet amendement n° 42 mercredi dernier et nous n’avons eu qu’une semaine pour le sous-amender. Et encore, nous ne connaissions pas l’avis du Gouvernement !

Vous allez dire : ce n’est que pour une fois, ce texte doit être examiné en urgence, etc. Mais enfin, ce n’est pas la première fois que cela se produit et j’ai l’impression que ce ne sera pas la dernière !

Si vous voulez redonner du crédit au travail parlementaire, il faut vous y prendre autrement !

En ce qui concerne le fond de mon sous-amendement n° 88, je citerai l’exemple de l’Erika, qui a sombré le 12 décembre 1999 au large des côtes françaises. Il est intéressant de constater que le tribunal de grande instance de Paris a, le 15 janvier 2008 et en l’absence de textes clairs, eu l’audace de mettre en cause la responsabilité de l’affréteur, la société Total, en le condamnant à une amende maximale de 375 000 euros, pour « faute d’imprudence », caractérisée par le fait que l’affréteur Total n’a pas tenu compte de l’âge du navire - près de vingt-cinq ans - et de « la discontinuité de sa gestion technique et de son entretien ».

Cette catastrophe et d’autres sont à l’origine d’un tournant majeur dans l’évolution du droit de la sécurité maritime.

Je tiens à ce titre à saluer les mesures mises en place par l’Union, destinées à éviter la survenance de ce type de dommages. Cependant, nous manquons cruellement de moyens quant aux mesures à prendre et, plus particulièrement, quant aux personnes à mettre en cause.

Ce projet de loi est justement l’occasion de clarifier la situation juridique à ce sujet et de renforcer les moyens existants. En effet, à côté de ces mesures de prévention qui tendent à se multiplier, je vous invite aujourd’hui, mes chers collègues, à améliorer le dispositif d’imputabilité.

Je propose donc, par ce sous-amendement, d’élargir les possibilités de recours des parties civiles, publiques ou privées, de pollutions marines, en leur offrant la possibilité d’engager la responsabilité de l’affréteur ou du commanditaire du fret. Je pose à ce titre trois conditions non cumulatives.

Les personnes précitées peuvent ainsi être tenues pour responsables : soit en cas de négligence quant au choix du transporteur – j’ai cité à l’instant l’exemple de Total – il serait à ce titre judicieux que le terme même de « négligence » soit clairement défini en droit interne ; soit parce que ce même transporteur n’offre pas des garanties pour assurer totalement le paiement des réparations ; soit, enfin, parce que l’affréteur ou le commanditaire ont imposé un cahier des charges incompatible avec le respect des normes environnementales.

M. le président. Le sous-amendement n° 63, présenté par M. de Richemont, est ainsi libellé :

I. - Supprimer les II et III du texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-20 du code de l’environnement.

II. - En conséquence, dans le IV du même texte, remplacer les mots :

aux I à III

par les mots :

au I

La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Ce sous-amendement concerne le deuxième niveau de peine.

Je suis bien sûr le premier à considérer que les armateurs qui se sont rendus coupables, par l’intermédiaire des membres d’équipage, d’une pollution volontaire, d’un rejet volontaire à la mer, par exemple en déballastant à terre pour faire des économies, ou d’une pollution involontaire mais résultant d’une négligence doivent être condamnés.

Mais on peut se poser des questions sur l’alternative. Dans l’amendement n° 42 rectifié, il est question soit de « violation délibérée », soit de « dommage irréversible ou d’une particulière gravité » à l’environnement.

D’abord, et c’est un vrai débat, un dommage par pollution marine peut-il être irréversible ? C’est une question sur laquelle les experts ont débattu longuement sans apporter de réponse.

Ensuite, on peut se demander s’il est légitime d’infliger une sanction pénale uniquement en fonction de la nature du dommage.

Madame la secrétaire d’État, à bord d’un navire bien entretenu, auquel l’armateur a porté toute la diligence nécessaire, un fait imprévisible, tel qu’une avarie de barre ou une innavigabilité soudaine, voire une erreur de navigation, peut provoquer un abordage entre deux navires et, de ce fait, créer une pollution importante. La pollution peut être considérable, mais il est évident qu’elle ne résulte en aucune façon d’un acte volontaire ou d’une négligence dans l’entretien du navire.

C’est la raison pour laquelle sanctionner pénalement un dirigeant de navire, non pas parce qu’il a été négligent ou parce qu’il a commis un acte volontaire, mais uniquement parce qu’il est résulté d’un acte fortuit une pollution considérable, me paraît tout à fait excessif. C’est pourquoi j’ai déposé ce sous-amendement.

M. le président. Le sous-amendement n° 89, présenté par MM. Desessard et Muller et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :

Compléter le IV du texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-20 du code de l’environnement par une phrase ainsi rédigée :

Ces peines peuvent être appliquées à l’affréteur et/ou au commanditaire du fret.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Il s’agit d’un sous-amendement de cohérence avec la proposition déjà formulée dans le sous-amendement n° 88, à propos duquel je me suis précédemment expliqué.

M. le président. Le sous-amendement n° 90, présenté par MM. Desessard et Muller et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet, est ainsi libellé :

Supprimer le texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-22 du code de l’environnement.

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Vous voyez que, même dans l’urgence, nous nous sommes efforcés de déposer quelques sous-amendements, mais ils auraient certainement été mieux formulés si nous avions eu plus de temps. (Sourires.)

Le sous-amendement n° 90 a pour objet de supprimer le texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-22 du code de l’environnement, ainsi formulé : « Les dispositions des articles L. 218-11 à L. 218-20 ne sont pas applicables aux navires de guerre et navires de guerre auxiliaires, ainsi qu’aux autres navires appartenant à un État ou exploités par un État et affectés exclusivement au moment considéré à un service public non commercial. »

Je signale que les États ne sont pas exempts des responsabilités environnementales. J’ai donc du mal à comprendre cet alinéa, que je propose par conséquent de supprimer.

M. le président. Le sous-amendement n° 64, présenté par M. de Richemont, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de l’amendement n° 42 rectifié pour l’article L. 218-23 du code de l’environnement, supprimer les mots :

depuis un navire étranger

La parole est à M. Henri de Richemont.

M. Henri de Richemont. Mon dernier sous-amendement a, pour moi, une importance particulière.

Aux termes de la convention de Montego Bay, lorsqu’un dommage, une pollution ou même un acte a été commis en haute mer, c’est la loi du pavillon qui s’applique et, en ce qui concerne les pénalités pour rejet, la seule sanction que peut infliger un État, c’est une amende, et non une sanction pénale.

Le paradoxe est que, de ce fait, au large des côtes françaises et en haute mer seuls les navires battant pavillon français et les membres d’équipage à bord de ces navires peuvent se voir infliger une sanction pénale.

On m’objectera que la convention de Montego Bay doit s’appliquer et que, à partir du moment où les Français sont protégés à l’étranger, il est normal que nous protégions de la même façon les étrangers dans nos eaux territoriales.

Mais cessons l’hypocrisie ! Tout le monde sait que, par « navire étranger », on entend « pavillon de complaisance ». Je peux vous assurer, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, qu’aucun État accordant des pavillons de complaisance n’a poursuivi pénalement un armateur ou un membre d’équipage pour avoir enfreint une règle édictée par les conventions de l’organisation maritime internationale, l’OMI, ou une disposition pénale. Aucune, en tout cas, pour rejet de pollution maritime !

Il se trouve donc que, en haute mer, ne pourraient se voir infliger une sanction pénale que les commandants français ou les commandants se trouvant à bord d’un navire français. Il y a là une discrimination grave qui va à l’encontre, madame la secrétaire d’État, de notre volonté de rendre attractifs le pavillon français et le pavillon européen.

Je suis de ceux qui pensent que la sécurité maritime passe par l’augmentation du nombre de navires sous pavillons français et européen. En effet, c’est le contrôle de l’entretien et du bon état du navire par l’État du pavillon qui, seul, permet de détecter d’éventuelles défectuosités au niveau des infrastructures. Donc, plus il y aura de navires sous pavillon français et sous pavillon européen, plus la sécurité maritime sera renforcée.

Or, par ce texte, en réservant les sanctions pénales uniquement aux armateurs français et à leurs membres d’équipage, vous incitez les armateurs à naviguer sous pavillon de complaisance, ce qui va à l’encontre du but recherché.

Telle est la raison pour laquelle j’ai déposé ce sous-amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean Bizet, rapporteur. À propos du sous-amendement n° 62, qui vise à plafonner les sanctions financières supportées par les responsables d’infraction de rejet à 5 millions d’euros, à titre liminaire, je tiens à préciser que le problème du plafonnement des sanctions pécuniaires provient des dispositions actuelles du code de l’environnement et non du dispositif de transposition adopté par la commission.

Sur la variabilité des peines, je voudrais faire remarquer à M. de Richemont qu’il existe dans notre droit d’autres exemples de peines variables. Ainsi, les peines prévues pour l’ouverture des magasins le dimanche varient en fonction du nombre de salariés employés le week-end.

En ce qui concerne l’absence de plafonnement, je précise que le montant des peines prévues à l’article L. 218-18 n’est qu’une limite supérieure que le juge n’est pas obligé d’atteindre. Il est bien dit que « l’amende peut être portée au-delà du montant prévu ». Le juge raisonnera en fonction de la nature et de la gravité de la pollution constatée. Avant de prononcer une peine, il est vraisemblable qu’il attendra les résultats d’expertise – documents de voyage ou de l’affréteur – pour évaluer la valeur de la cargaison ou du navire. Cela respecte bien le principe d’une proportionnalité des peines.

Néanmoins, je reste sensible à deux arguments de notre collègue.

Paradoxalement, les armateurs des navires peu scrupuleux s’exposent à des amendes plus faibles s’ils exploitent des navires de faible qualité, ce qui est effectivement contre-productif.

Par ailleurs, l’absence de plafond pose des problèmes pour l’assurance des navires français, ce qui peut constituer un frein au développement de notre flotte de commerce.

C’est pourquoi – et nous en avions débattu en commission – je tends vers un avis de sagesse, mais, avant de préciser dans quelle direction pourrait s’orienter cette sagesse, je souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur ce sous-amendement.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 88, je partage les préoccupations de nos collègues signataires. Toutefois, je leur demande de bien vouloir le retirer, puisqu’il est en fait déjà satisfait. (M. Jean Desessard s’exclame.)

La directive oblige bien les États à prévoir dans leur législation que l’ensemble des acteurs de la chaîne de transport susceptibles d’avoir une implication dans un rejet puissent être sanctionnés, comme je vous l’ai dit tout à l’heure.

L’article L. 218-19 dispose que sont sanctionnables le propriétaire, l’exploitant ou leur représentant légal ou dirigeant de fait - c’est peut-être sur ce point qu’il faut mettre l’accent, monsieur Desessard - s’il s’agit d’une personne morale, ou toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire.

Cet article permet donc de sanctionner toute la chaîne de transport, c’est-à-dire toutes les personnes qui ont une responsabilité dans la conduite du navire, y compris l’affréteur et le commanditaire du fret.

M. Jean Desessard. Pas l’affréteur ! Où cela figure-t-il ?

M. Jean Bizet, rapporteur. Je vous invite, monsieur Desessard, à relire l’article L. 218-19, vous le verrez très clairement. Cette disposition est de nature, me semble-t-il, à répondre à vos attentes.

Par conséquent, la commission demande le retrait de ce sous-amendement, auquel, sinon, elle donnera un avis défavorable.

Je ne cherche pas à vous tromper, monsieur Desessard, - vous savez, que ce n’est pas mon style, ni d’ailleurs celui d’aucun de mes collègues de l’UMP - si vous relisez l’article L. 218-19,…

M. Jean Desessard. Je l’ai sous les yeux !

M. Jean Bizet, rapporteur.… vous constaterez que le commanditaire du fret est précisément intégré dans la chaîne des responsabilités.

Le sous-amendement n° 63 vise à supprimer les deuxième et troisième niveaux de gravité pour les infractions de rejet involontaire de polluants en mer. Je précise que ces deuxième et troisième niveaux correspondent justement à la transposition de la directive communautaire. La suppression de ce paragraphe reviendrait à contrevenir à nos obligations communautaires, ce qui ne m’apparaît pas opportun. Nous manquerions à notre obligation élémentaire de transposition.

En effet, la directive « pollution marine » définit les infractions de pollution : celles-ci sont commises soit « intentionnellement », soit non intentionnellement, à savoir « témérairement » ou par « négligence grave ». Donc, malheureusement, je ne peux pas accéder à votre requête, monsieur de Richemont.

En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer ce sous-amendement, auquel, sinon, je donnerai un avis défavorable.

Le sous-amendement n° 89 est en coordination avec le dispositif proposé au sous-amendement n° 88. Je demande donc à nos collègues de bien vouloir retirer ce sous-amendement, qui est déjà satisfait.

J’en viens au sous-amendement n° 90. L’article L. 218-22 exonère les navires d’État des sanctions applicables pour les rejets de polluants en mer. Je comprends à ce propos les préoccupations de nos collègues, mais je ne peux que leur rappeler que l’article 3 de la directive exclut explicitement ce type de navires et que le droit international exonère également les navires d’État.

Ainsi, conformément à l’article 32 de la convention de Montego Bay, « il ne peut être porté atteinte aux immunités dont jouissent les navires de guerre et les autres navires d’État utilisés à des fins non commerciales ».

Or la loi ne peut pas modifier une convention internationale. Ce n’est pas de notre compétence. C’est de la compétence du Président de la République, s’il le souhaite.

En outre, je tiens à observer que la directive n° 2004/35/CE exclut très clairement toute atteinte aux régimes de responsabilité civile en vigueur.

Pour toutes ces raisons, je demanderai à notre collègue de retirer ce sous-amendement n° 90, faute de quoi je formulerai un avis défavorable.

Le sous-amendement n° 64 vise à soumettre les navires français et étrangers aux mêmes peines pour les infractions de pollution commises au-delà de la mer territoriale. Je comprends bien la préoccupation exprimée par notre collègue.

Je lui rappellerai simplement que nous raisonnons, en l’espèce, sur les eaux internationales. Tout comme la directive communautaire ici transposée, notre droit national respecte les conventions internationales en application de l’article 55 de notre Constitution. Nous ne pouvons pas intervenir sur ce type de norme.

M. Henri de Richemont. Je ne demande pas cela !

M. Jean Bizet, rapporteur. En l’occurrence, la convention de Montego Bay, que nous avons ratifiée, dispose clairement que « seules des peines pécuniaires peuvent être infligées en cas d’infractions […] commises par des navires étrangers au-delà de la mer territoriale ».

Je tiens donc à rappeler à notre collègue que, dans les eaux internationales, les navires étrangers sont insaisissables, l’État côtier ne pouvant infliger que des peines d’amende.

Ainsi, la loi ne saurait faire échec à une convention internationale. Je le regrette, parce qu’une telle disposition permettrait de moraliser la situation, mais elle ne relève malheureusement pas de la compétence du législateur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 42 rectifié, je l’ai déjà dit dans la discussion générale. Il nous faut transposer la directive n° 2004/35/CE : l’amendement de la commission des affaires économiques me semble tout à fait conforme à cet objectif.

En revanche, monsieur de Richemont, le Gouvernement ne peut pas souscrire à votre sous-amendement n° 62, et le problème ne tient pas au niveau du plafonnement de l’amende, mais à une question de principe.

Le texte de l’amendement n° 42 rectifié a pour objet de renforcer le dispositif de réparation des dommages graves causés à l’environnement. Il ne s’agit pas d’étalonner les réparations possibles. Aussi, le plafonnement des sanctions pose un problème de principe. Je comprends vos arguments, monsieur le sénateur, mais, soyez rassuré, les niveaux maximaux ne sont jamais atteints.

Au sujet de l’amendement n° 88 de M. Desessard, M. le rapporteur a rappelé les dispositions de l’article L. 218-19 du code de l’environnement, je n’y reviendrai donc pas.

M. Jean Desessard. Je n’arrive pas à trouver ce qu’y lit M. le rapporteur !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Je le relis donc. Le texte de cet article, dans la rédaction résultant de la rédaction de la commission, permet de poursuivre « le dirigeant de fait, s’il s’agit d’une personne morale [exploitant le navire, ou] toute autre personne […] exerçant [à bord], en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire. »

Au-delà de la rédaction de cet article, je vous rappelle que ces dispositions ont permis au tribunal correctionnel de Paris, dans le procès de l’Erika, d’engager des poursuites et d’entrer en voie de condamnation à l’encontre non seulement du gestionnaire et de l’armateur du navire, mais encore de l’affréteur au voyage propriétaire de la cargaison de fuel, en raison de la connaissance qu’il aurait dû avoir de l’état du navire par l’intermédiaire de son service de vetting, chargé d’examiner la fiabilité du navire.

M. Jean Desessard. Mais il n’y a rien dans la loi !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. C’est bien la démonstration que, grâce à la jurisprudence, il peut y avoir une interprétation très vaste…

M. Jean Desessard. Que vous restreignez !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Non : que confirme l’article L. 218-19 du code de l’environnement dans la formulation lue par M. le rapporteur. Je partage donc son avis : votre sous-amendement est d’ores et déjà satisfait.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 63, je ne peux pas vous laisser dire, monsieur de Richemont, qu’on n’a jamais démontré le caractère irréversible de certaines pollutions marines. Quand le dommage causé à la biodiversité entraîne la disparition d’une espèce ou d’un écosystème, il est bien irréversible. Ce n’est pas forcément le cas de la pollution d’une plage où l’écosystème peut se reconstituer mais, si la pollution entraîne la mort biologique de tout un écosystème, le dommage est clairement irréversible, cela a été prouvé.

Par ailleurs, votre sous-amendement n° 63 vise à supprimer les causes d’aggravation des infractions de pollutions par imprudence. Je veux revenir sur les raisons pour lesquelles les termes que vous critiquez ont été retenus dans la rédaction de l’amendement n° 42 rectifié de la commission.

L’objet même de la directive 2004/35/CE est d’obliger les États membres à prévoir des sanctions dissuasives pour les rejets commis par négligence grave ou par témérité, à côté des infractions de rejets volontaires. Nous manquerions à notre devoir de transposition de la directive si nous ne traduisions pas la notion de négligence grave dans notre législation pénale, qui ne la connaît pas à proprement parler.

Plutôt que de reproduire des termes que le juge national n’a jamais été conduit à rencontrer ni à interpréter à ce jour – et qui pourraient donc poser des problèmes –, la commission a estimé préférable de se référer à des concepts déjà maniés par le juge en utilisant les termes de « violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence » ou bien de « faute caractérisée ». Ils sont couramment interprétés dans d’autres types de poursuites et fournissent matière à une jurisprudence qui permet ainsi d’avoir des références.

Ces mêmes notions ont été introduites dans le code pénal par votre collègue Pierre Fauchon, dans les lois du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d’imprudence ou de négligence et du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Elles sont aujourd’hui considérées comme donnant lieu à une jurisprudence abondante et équilibrée.

Enfin, s’agissant de la répression aggravée du rejet ayant eu pour conséquence un dommage environnemental « irréversible » ou « d’une particulière gravité » – je ne reviens pas sur le concept d’irréversibilité –, il ne semble ni anormal ni exceptionnel de prévoir que les montants des sanctions soient relevés.

On peut établir un parallèle avec d’autres dispositions du code pénal : les homicides involontaires sont plus lourdement punissables que les blessures involontaires. Il est donc normal, dans le cas présent, que la peine soit alourdie en fonction de la gravité du dommage causé.

Le Gouvernement souhaite conserver la gradation des peines et est donc défavorable au sous-amendement n° 63.

Le sous-amendement n° 89 appelle la même réponse que le sous-amendement n° 88.

Sur le sous-amendement n° 90, qui porte sur les navires d’État et les navires de guerre, je souscris entièrement à l’explication donnée par M. le rapporteur.

M. Jean Desessard. Cela veut dire que l’État est au-dessus des lois !

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État. Mais non !

Le droit international public n’interdit pas à l’État français de sanctionner les rejets de ses propres navires. Mais les peines sont essentiellement supportées par l’armateur : donc l’État se condamnerait lui-même.

L’État est la seule personne morale de droit public dont la responsabilité pénale ne peut pas être engagée.

M. Jean Desessard. Il n’y a pas que la responsabilité pénale !