Mme Jacqueline Chevé. Mais cela se fait déjà !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Effectivement, madame la sénatrice.

Par conséquent, il s’agit non pas de rompre un équilibre existant, mais bien de renforcer les devoirs de l’ANPE et de la collectivité cocontractante en vue d’éviter certaines dérives. C’est, me semble-t-il, un point très important.

Nombre d’intervenants ont déclaré souscrire à la philosophie générale du projet de loi tout en exprimant un regret. Selon eux, adopter ce texte reviendrait à admettre que les revenus du travail ne soient plus suffisants pour vivre.

Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons déjà accepté, et c’est tant mieux, que les contribuables ayant des revenus les plus élevés payent des impôts…

M. Guy Fischer. Pas assez !

M. Jean-Pierre Sueur. Ils bénéficient du bouclier fiscal !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. … pour financer les aides au logement, les prestations familiales ou les autres dispositifs de soutien destinés à ceux qui ont les revenus les plus faibles.

Mme Jacqueline Chevé. Ce sont les salaires qu’il faut augmenter !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. De grands auteurs sociaux ont même évoqué la notion de « sursalaire ».

Plus précisément, certains orateurs – je pense par exemple à M. Philippe Dominati – ont prôné le recyclage de la prime pour l'emploi pour financer le RSA. Pourquoi n’avons-nous pas retenu cette idée ? Tout simplement parce que ni la droite ni la gauche ne sont favorables à une diminution de cette prime. C’est bien la preuve que nous écoutons le Parlement. En l’occurrence, j’ai été interpellé à douze reprises sur le sujet à l’occasion des questions d’actualité ! Personnellement, je trouvais que fixer le plafond d’éligibilité à la prime pour l'emploi à 4,7 fois le SMIC, ce n’était plus social ; mais les parlementaires ont refusé que l’on touche à ce dispositif, et je leur ai donné satisfaction, de manière démocratique.

Par ailleurs, la prime pour l'emploi constitue effectivement un soutien pérenne pour les personnes disposant de faibles revenus, même si elle ne s’applique pas seulement à elles. Nous considérons déjà qu’un couple ayant deux enfants et percevant des revenus correspondant à 2,5 fois le SMIC ne peut pas s’en sortir seul, et nous lui versons un complément. Aujourd'hui, je viens vous dire qu’un couple ayant deux enfants et percevant des revenus correspondant au SMIC a également besoin de revenus complémentaires. En d’autres termes, adopter le RSA revient non pas à sacraliser un système absurde, mais bien à compléter le dispositif en y intégrant celles et ceux qui n’en bénéficiaient pas jusqu’à présent. À mon sens, c’est un point très important.

Il existe donc une forme de cohérence entre le maintien de la prime pour l'emploi et l’institution du RSA. Désormais, nous aurons effectivement intérêt à la hausse des revenus des salariés, car cela créera des économies sur ces deux dispositifs.

À présent, je souhaite répondre à Mme Gélita Hoarau, ainsi qu’à MM. Jacques Gillot, Jean-Paul Virapoullé et Claude Lise, qui m’ont interrogé sur l’outre-mer, sujet très important il est vrai.

Le Gouvernement ne souhaite effectivement pas appliquer immédiatement le RSA en outre-mer, car les territoires ultramarins bénéficient de dispositifs d’insertion spécifiques, comme l’aide au retour à l’activité, l’ARA, ou le revenu de solidarité, le RSO. Si nous décidions l’entrée en vigueur directe de cette mesure en outre-mer, nous arriverions – vous me permettrez l’expression – comme un chien dans un jeu de quilles ! Il y aurait très certainement des perdants. Nous ne pouvons pas nous le permettre.

Nous avons donc fixé une date butoir pour nous laisser un peu de temps. Le Gouvernement est prêt à aller plus vite si nous trouvons des solutions. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté d’ouvrir une concertation avec les exécutifs ultramarins, comme cela nous était demandé. Ainsi, le 5 novembre prochain, Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, et moi-même rencontrerons les présidents de conseil général pour en discuter.

Par ailleurs, nous avons nommé un parlementaire en mission, le député René-Paul Victoria, afin de proposer des solutions en six mois.

Et, mesdames, messieurs les sénateurs d’outre-mer, nous restons bien entendu à votre écoute pour étudier d’autres mesures spécifiques susceptibles d’être mises en œuvre. Sachez que les départements ultramarins ne seront pas les oubliés de la réforme. D’ailleurs, et je tenais à le souligner, en demandant que le RSA s’applique également en outre-mer, vous apportez en quelque sorte de l’eau au moulin de tous ceux qui considèrent ce dispositif comme un véritable progrès.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous ne nous avez toujours pas répondu sur le bouclier fiscal !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Vous avez raison, monsieur le sénateur. Il s’agit effectivement d’un sujet important.

M. Jean-Pierre Sueur. Pour nous, ce qui serait important, ce serait que la position du Gouvernement évolue !

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Je maintiens que le sujet est important, mais il faut de tout de même le ramener à sa juste proportion.

Vous avez entendu les arguments des différents orateurs, notamment ceux de M. Jean Arthuis, le président de la commission des finances. Vous me permettrez donc de vous parler avec mon cœur.

Nous étions confrontés à deux questions, à savoir, d’une part, les niches fiscales et, d’autre part, le bouclier fiscal. Je voudrais vous rappeler quelques chiffres. Le plafonnement des niches fiscales sur les hauts revenus devrait rapporter autour de 200 millions d’euros, alors que l’inclusion de la taxe de 1,1 % dans le bouclier fiscal aurait représenté une recette supplémentaire comprise entre 20 et 25 millions d’euros. Certes, tout le monde aurait souhaité pouvoir combiner ces deux mesures.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais nous ferons finalement la plus importante des deux, c'est-à-dire le plafonnement des niches fiscales sur les hauts revenus. C’est un pas considérable ! D’ailleurs, cette mesure n’aurait probablement pas pu être décidée si la question du bouclier fiscal n’avait pas été soulevée à l’occasion du présent projet de loi. Désormais, grâce au plafonnement global des niches fiscales, à hauteur de 200 millions d’euros, nous éviterons que certains ne payent pas d’impôts. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

En outre, si j’ai bien compris les discussions entre les commissions des finances des deux assemblées, que M. Jean Arthuis nous a parfaitement exposées, des mesures permettant de tenir les engagements pris tout en favorisant le RSA sur ce point pourraient être adoptées.

Par conséquent, il est des moments où il faut faire preuve de pragmatisme et saisir les progrès qui se présentent. En l’occurrence, une nouvelle prestation de 1,5 milliard d’euros sera destinée aux plus pauvres, et un plafonnement des niches fiscales à hauteur de 200 millions d’euros sera mis en place. Jusqu’à présent, tout le monde en rêvait, mais personne n’osait le faire. Afin de rassurer les élus ultramarins, je précise bien que ce plafonnement sera global. En clair, l’effort d’investissement à l’égard de l’outre-mer restera le même, mais il sera mieux réparti.

Et puis, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, nous vous permettons ainsi de conserver des chevaux de bataille pour la suite ! (Sourires sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais apporter aux différents intervenants.

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.

La discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion des motions.

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mme David, MM. Fischer et Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n°283.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion (n° 7, 2008-2009).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Isabelle Pasquet, auteur de la motion.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le projet de loi mis en discussion aujourd’hui aurait mérité un traitement différent de celui que le Gouvernement lui a réservé.

Toutefois, nous ne pouvons nous satisfaire d’un examen en urgence, qui prive la représentation nationale d’un processus législatif plus complet. Je dois dire à ce sujet combien nous sommes déçus que les deux premiers textes abordés au cous de cette session, à savoir, d’une part, le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion et, d’autre part, ce projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, soient examinés selon cette procédure accélérée, comme le sera d’ailleurs aussi le projet de loi en faveur des revenus du travail.

J’en viens au cœur de ce projet de loi, qui a pour ambition de réduire la pauvreté, notamment pour les travailleurs victimes de ce que l’on appelle, à juste titre, la pauvreté laborieuse.

Ainsi, en 2007, 12,1 % de notre population vivait en dessous du seuil de pauvreté, soit 817 euros par mois. Ce sont donc près 7 millions de personnes qui survivent, chaque mois, avec ces quelques centaines d’euros. Et – c’est un constat inquiétant –, depuis 2005 et pour la première fois depuis trente ans, la pauvreté progresse.

Nous assistons bel est bien à une paupérisation de notre société : les pauvres sont toujours plus pauvres, et les riches, toujours plus riches ! Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la hausse des revenus entre 1998 et 2005. Dans les foyers les plus riches de notre pays, elle a été de 42,6 % pour 0,01 % d’entre eux, quand elle n’était que de 4,6 % pour 90 % des foyers les moins riches.

Les bénéficiaires du RMI, dont il est notamment question ici, ont perdu en cinq ans près de 25 % de leur pouvoir d’achat.

Rappelons également que 30 % des personnes sans domicile fixe sont des salariés. Cette situation ne risque pas de s’améliorer avec la loi sur le logement que votre majorité vient de voter.

Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il y a unanimité, je crois, pour dire qu’il faut agir afin d’éradiquer la pauvreté. Cette dernière est trop souvent appréhendée du seul point de vue monétaire, alors que nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à devoir faire des choix, renonçant à certains soins, se privant de l’accès à la culture, aux loisirs et aux vacances.

Permettez-moi d’ailleurs de saluer à ce titre les très nombreuses associations qui accompagnent chaque jour les plus pauvres de nos concitoyens et qui jouent un rôle fondamental dans le maintien du lien social.

Regrettant que l’on se focalise trop sur l’aspect monétaire de la pauvreté, je partage les inquiétudes de Mme Véronique Davienne, déléguée générale adjointe d’ADT-Quart-Monde, sur votre proposition de modification du baromètre qui permet de quantifier le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire. Ainsi, selon cette association, « si l’on appliquait ce baromètre à la période 2000-2005, il en ressortirait une diminution de 22 % du nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire ».

Vous comprendrez donc que nous soyons étonnés de votre proposition, et qu’il nous est difficile de ne pas faire le lien avec la volonté affichée par le Président de la République de réduire la pauvreté d’un tiers en cinq ans.

Comme l’a dit mon ami Guy Fischer dans la discussion générale, nous sommes contre ce projet de loi. Mais je voudrais, à mon tour, formuler quelques remarques.

Tout d’abord, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne sont pas opposés à ce que chaque heure travaillée donne lieu à rémunération. Ils sont favorables à ce qu’un salarié privé d’emploi ou un bénéficiaire de minima sociaux qui reprend une activité reçoive une rémunération plus importante.

L’avantage financier pour le salarié doit intervenir dès la première heure travaillée. Monsieur le haut-commissaire, nous partageons votre analyse selon laquelle la reprise d’une activité professionnelle ne doit pas déboucher sur une baisse de ressources.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais pourquoi déclarer alors que le texte est irrecevable ?

Mme Isabelle Pasquet. Il s’agirait sinon d’un non-sens économique.

Toute la question est donc de savoir si le RSA est ou non la réponse la plus adaptée.

Nous pensons qu’il ne l’est pas. En effet, ce projet de loi exclut bon nombre de personnes, parmi les plus en difficulté.

Tel est le cas, par exemple, des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans qui sont exclus du dispositif du RSA, à moins qu’ils n’aient un enfant à charge. Et pourtant, une récente étude statistique rendue publique par l’INSEE aurait dû alerter le Gouvernement. Elle montre en effet que, si 13 % de nos concitoyens sont pauvres, ce taux atteint 17 % pour les jeunes adultes.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. C’est vrai !

Mme Isabelle Pasquet. Et encore, je ne parle pas des jeunes chômeurs ou des inactifs, chez qui le taux de pauvreté dépasse les 30 % !

Côté étudiants, la situation n’est guère meilleure. En 2000, 4 % des étudiants ont demandé à bénéficier d’une aide sociale d’urgence. Si ce taux paraît bas, ce n’est pas que les étudiants ne sont pas pauvres, c’est que les pauvres ne deviennent pas étudiants !

Enfin, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen émettent de très forts doutes sur le volet « insertion » de votre projet de loi. De l’avis des associations que nous avons rencontrées, le RSA, associé aux règles relatives aux droits et devoirs des demandeurs d’emplois, va peser sur les publics les plus éloignés de l’emploi, comme les victimes d’addictions ou les personnes sans domicile fixe.

À ce propos, l’ouvrage de Marianne Bernède sur l’expérimentation du RSA dans l’Eure, qui reprend le témoignage du président du conseil général, est très clair. Selon cette étude, si le RSA a fonctionné correctement pour les personnes relativement proches de l’emploi, ce dispositif a trouvé ses limites pour celles qui en sont le plus éloignées, et pour cause ! Ces personnes, du fait de leur situation socioprofessionnelle, doivent pour la plupart passer par la « case » formation professionnelle. Cette évidence, monsieur le haut-commissaire, est totalement occultée dans votre texte !

Dans son état actuel, le service public de l’emploi ne suffira pas, en raison de l’aggravation du chômage, de la fusion forcée de l’ANPE et des ASSEDIC, du manque de personnel et des pressions gouvernementales et patronales qui pèseront contre l’intérêt des personnes dont la situation est la plus précaire.

Par ailleurs, nous ne pouvons nous satisfaire d’une annonce politique ambitieuse concrétisée dans les faits par une baisse considérable des moyens. Il faudra nous expliquer le tour de passe-passe qui, entre le budget « travail et emploi » et le budget « solidarité, insertion et égalité des chances », vous permet avec le RSA d’économiser sur le dos des allocataires de l’APL et les demandeurs d’emploi les plus en difficulté.

Pour le Gouvernement, la question sociale est toujours un coût. Vous l’avez dit vous-même, il n’y aura pas un euro à l’inactivité !

Ce discours culpabilisant aurait été audible dans une situation de plein emploi, mais, avec la crise financière et spéculative qui s’étend à l’économie réelle, il devient irréaliste. On parle déjà de quelques 41 000 demandeurs d’emplois nouveaux, sans compter les bénéficiaires du RMI et de l’API qui viendront grossir les rangs des inscrits à l’ANPE. Comment, dès lors, croire que l’on pourra raisonnablement imposer la règle des deux offres ?

Ce qu’il faudrait, c’est investir dans le service public de l’emploi, tant en moyens financiers qu’en personnel, mais également donner aux caisses d’allocations familiales les moyens d’assumer leurs nouvelles missions et non pas les fermer, comme le prévoit le Gouvernement. Ce manque de personnel se traduit déjà par de nombreux retards dans le versement des prestations. Comment croire qu’il pourra en être autrement quand le même nombre d’agents aura à traiter une compétence nouvelle, particulièrement complexe, et ce sans certitude de formation ?

Mais voilà, le Gouvernement, après avoir offert 15 milliards d’euros aux plus riches, …

M. Jean Desessard. Quinze milliards, tout de même ! Et encore, c’est sous-évalué !

Mme Isabelle Pasquet. …cherche à faire des économies, s’attaque au personnel, le considérant comme un outil d’ajustement des dépenses ! À l’inverse, il attribue un peu plus de 10 milliards d’euros à quelques banques, pour répondre à leurs besoins et à ceux des marchés.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et c’est inconstitutionnel, tout ça ?

Mme Isabelle Pasquet. Preuve est faite que des ressources, vous savez en trouver !

Tout cela a alimenté le débat sur le financement du RSA avec la fameuse taxe de 1,1 % sur les revenus du patrimoine, qui accomplit l’exploit de ne pas affecter les patrimoines des plus riches.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr que si !

M. Jean Desessard. Je demande à voir !

Mme Isabelle Pasquet. Quant à la taxation des niches fiscales, autant dire qu’elle est dérisoire face aux milliards qui sont en jeu : il s’agit tout de même de 73 milliards d’euros, soit 27 % de l’ensemble des recettes fiscales de notre pays ! Les quelque 100 contribuables qui gagnent le plus et obtiennent, avec les niches fiscales, une diminution d’impôt supérieure à un million d’euros peuvent dormir tranquilles !

Par ailleurs, vous demandiez initialement 3 milliards d’euros, en dessous de quoi la mise en place du RSA serait impossible. Vous parliez même de votre démission si vous ne les obteniez pas ! Aujourd’hui, vous annoncez un financement de 1,5 milliard d’euros, et votre budget, dans son programme 304, fait état, quant à lui, d’un peu plus de 555 millions d’euros.

De plus, les expérimentations en cours, interrompues sans doute en raison des exigences du Président de la République, font l’objet d’un bilan informatif qui ne peut servir à légitimer votre généralisation. Le projet de loi n’a été expérimenté que sur quelque 4 000 bénéficiaires. Chaque département ayant défini ses propres modalités de mise en œuvre, les expérimentations ne sont pas homogènes.

Mais surtout, monsieur le haut-commissaire, ce projet de loi participe à la politique de casse de notre république sociale, menée par Nicolas Sarkozy. Ce dernier a opposé les malades aux biens portants, les malades entre eux, les salariés à ceux qui sont privés d’emploi, les locataires du parc HLM, et, aujourd’hui, vous opposez les bénéficiaires des minima sociaux aux salariés qui peinent pour atteindre un SMIC devenu, de fait, un plafond de rémunération.

Le Conseil national de la résistance est, dans cette perspective, une entrave insupportable à la « France d’après », fondée sur un seul principe : le mérite. Il y aura ceux qui gagnent de l’argent par leur travail, qui acceptent les heures supplémentaires et le travail dominical, et les autres. Il y aura les bénéficiaires des minima sociaux, qui acceptent de subir la règle des marchés et des employeurs, et qui auront droit à l’aide minimum de l’État, et puis, il y aura les autres. Il y aura les méritants, pour qui l’État se mobilisera, et ceux qui, trop éloignés de l’emploi, ne pourront satisfaire aux obligations imposées. Ceux-là perdront leur droit au RSA. De l’aide de l’État, ils ne verront rien car, après tout, leur pauvreté, ils l’auront méritée !

De l’égalité qui sert de socle à notre République, il ne restera rien, et le gouvernement auquel vous appartenez pourra ainsi librement construire sa société rêvée, faite d’une concurrence que vous voulez libre et non faussée.

Le préambule de la constitution de 1946 est réduit à un lointain souvenir que les juristes étudieront demain. Il sera l’exemple que les économistes libéraux ne voudront plus reproduire : ces derniers expliqueront comment un gouvernement, à force d’attaques répétées, a supprimé les droits créances.

Avec le RSA, l’État ne doit plus rien à personne. Toute aide de l’État doit se gagner. Vous l’avez dit vous-même, pas un euro n’ira à l’inactivité, qu’importe si celle-ci est subie !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et l’inconstitutionnalité, là dedans ?

Mme Isabelle Pasquet. Et pourtant, seuls 2 % des demandeurs d’emploi refusent tout travail.

Ce projet de loi bafoue donc l’esprit même de notre bloc de constitutionnalité.

Ainsi, avec un RSA de base s’élevant à peine à 447 euros et un RSA « chapeau » de tout au plus 1 000 euros – et ce sera l’exception –, vous ne respectez pas le dixième alinéa du préambule de la constitution de 1946 qui dispose ceci : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. ». Sachant que 447 euros suffisent à peine pour survivre, comment dès lors envisager un développement ?

Vous méprisez également le onzième alinéa de ce même préambule de la constitution de 1946, qui dispose : « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Diriez-vous que 447 euros sont une somme permettant de vivre convenablement aujourd’hui ?

Monsieur le haut-commissaire, je comprends les associations qui soutiennent le RSA. Toutes dénoncent les mêmes travers que nous, mais elles ne peuvent renoncer – et c’est légitime – à un complément financier qui, même modeste, est toujours utile dans la situation de dénuement que rencontrent bien des foyers.

Mais si nous les comprenons, nous nous devons également de dire que cette mesure est insuffisante et que les conséquences seront lourdes.

Nous nous devons de dire que, pour le même résultat, il existe d’autres possibilités fidèles à l’esprit de notre Constitution et à une conception solidaire et fraternelle de la République.

C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, de voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Bernadette Dupont, rapporteur. Vous estimez, madame Pasquet, que ce texte contreviendrait à une disposition constitutionnelle. Permettez-moi de faire valoir certains éléments.

Vous avez invoqué le préambule de la constitution de 1946. Que dit son cinquième alinéa ? « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » Je crois précisément que le RSA donnera plus grande satisfaction à ce principe, en offrant à ses futurs bénéficiaires, lorsqu’ils sont en mesure de travailler, un accompagnement vers l’emploi.

Le préambule, dans sa grande sagesse, évoque les droits et les devoirs de chacun. Le projet de loi qui nous est présenté participe de la même logique : droit à un accompagnement, en contrepartie duquel le bénéficiaire du RSA s’engage à respecter les engagements contractuels auxquels il a souscrit, dans le but de favoriser son insertion sociale et professionnelle.

Je citerai à présent les dixième et onzième alinéas du même préambule :

« La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » 

« Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

Le RSA, qui remplacera le RMI et l’allocation de parent isolé, l’API, et ouvrira droit à un complément de revenus pour les travailleurs les plus pauvres, ne va-t-il pas encore au-delà de cet objectif dès lors qu’il assurera à toute personne, en capacité de travailler ou non, un revenu convenable au regard de ses charges de famille ?

Je crois, ma chère collègue, que votre motion, si elle était adoptée, serait un mauvais signal en direction des personnes qui attendent la mise en œuvre du RSA et qui en ont besoin pour améliorer leur situation professionnelle et leur quotidien.

Aussi, vous comprendrez que la commission émette un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, pour différentes raisons que je vous livrerai une à une, en reprenant les arguments que vous avez développés, madame Pasquet.

D’abord, vous avez contesté l’existence d’indicateurs de réduction de la pauvreté. Or nous avons défini, en accord avec l’ensemble des partenaires sociaux et des associations, un tableau complet d’indicateurs, sur lequel nos points de vue ont convergé.

Afin que ces données ne soient pas manipulables par un gouvernement, nous avons pris en compte, à la demande notamment d’associations comme ATD-Quart Monde, la situation des plus pauvres afin d’y intégrer, à partir de l’indicateur monétaire central, les différentes dimensions, notamment la santé, le logement, le surendettement. Ce tableau de bord constitue aujourd'hui une arme incontestable entre les mains de tous ceux qui veulent vérifier les évolutions de la pauvreté au fil des ans.

En tant qu’ancien président d’association, je me souviens de l’époque où, lorsque nous alertions les autorités sur l’affluence dans les communautés Emmaüs et les files d’attente dans les Restos du Cœur, on nous répondait : « Mais regardez les indicateurs, ils sont bons ! » Je m’étais promis de ne pas reproduire ce type de situation. C’est pourquoi, je le répète, nous avons travaillé avec les différentes associations à l’élaboration de nombreux indicateurs, qui donnent un reflet fidèle et objectif des situations de pauvreté.

Ensuite, il ne faut pas prendre en compte le seul aspect monétaire de la pauvreté, avez-vous dit. Je suis d’accord sur ce point, mais je serai un peu plus nuancé que vous. En effet, les pauvres n’ont pas d’argent, et – je vous le dis très sincèrement – le fait de combler leur pauvreté monétaire en leur donnant plus d’argent répond bien à leurs besoins. À cet égard, l’indicateur permettant de savoir si l’on augmente de 100, 150 ou 200 euros le revenu de ceux qui disposent de ressources extrêmement faibles doit constituer le fil directeur de notre action. Certes, de nombreux autres aspects sont également à prendre en compte, mais je ne pense pas que l’on puisse réduire la pauvreté en occultant la dimension monétaire.

Par ailleurs, vous avez évoqué une enquête, que je connais très bien, montrant que, à Paris, 30 % des personnes sans domicile fixe ont un emploi. Pour ma part, je n’accepte pas cette situation ! Je ne supporte pas de voir des personnes disposant de revenus extrêmement faibles se retrouver hébergées dans les foyers des différentes associations ; je ne supporte pas que des personnes travaillant à Paris soient obligées d’habiter à cent cinquante kilomètres parce que leurs revenus globaux sont inférieurs au loyer qu’on leur demande dans la capitale !

Bien évidemment, de telles situations s’expliquent par différentes raisons, mais, là encore, assurer un revenu supplémentaire de 150 ou 200 euros à ces personnes répond à un besoin. N’oublions pas qu’il s’agit, par définition, de travailleurs pauvres, dont le nombre a augmenté de plus de 20 % au cours des trois dernières années connues.

Notre objectif est clair : d’ici à la fin de l’année 2009 – et je vous donne rendez-vous pour le vérifier –, si la présente motion tendant à opposer l’irrecevabilité n’est pas adoptée et si nous appliquons le dispositif du revenu de solidarité active, le nombre de travailleurs pauvres aura diminué, inversant ainsi pour la première fois depuis de nombreuses années la tendance à la hausse, y compris dans les années où le SMIC a connu ses plus fortes majorations.

Puisque vous avez affirmé que mon analyse et celle du Gouvernement étaient bonnes, je vous indique que c’est en se calant sur ces analyses que nous avons essayé de trouver des solutions.

Vous avez à la fois estimé que le RSA n’était pas un bon dispositif et regretté qu’il ne soit pas appliqué aux jeunes.