M. Roland Courteau. C’est cela !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Nous le savons bien – peut-être mes collègues reviendront-ils sur ce point –, certains agents de la police et de la gendarmerie n’acceptent pas, parfois, de prendre en compte ces faits. C’est pourquoi des plaignants se retournent vers leurs parlementaires pour leur demander d’être attentifs à cet aspect des choses. Félicitons-nous, malgré tout, de l’amélioration de l’écoute des victimes, qui est certainement en corrélation étroite avec les actions de sensibilisation des personnels.

Le Gouvernement peut-il solennellement s’engager à poursuivre les efforts dans ce sens, en évitant le piège qui consisterait à craindre de « mauvais » chiffres, alors que ceux-ci confirment de façon très positive la levée d’un tabou ?

De façon plus précise, j’insisterai sur quatre points.

Nous avons bien noté que le Gouvernement avait attribué à l’élimination des violences faites aux femmes le label « Campagne d’intérêt général » pour l’année 2009 et prévu une reconnaissance de celle-ci comme « grande cause nationale » en 2010.

Ces initiatives médiatiques améliorent la prise de conscience de l’opinion et sont indispensables. Nous serons attentifs aux moyens financiers que vous leur consacrerez pour appuyer l’action des associations. Leur mobilisation est indispensable en ce domaine, mais ce n’est pas avec leurs seuls moyens, pauvres parfois, qu’elles peuvent agir !

Notre devoir consiste aussi à attirer l’attention sur le silence des femmes qui se trouvent dans les situations les plus tragiques.

Je souhaite revenir sur une demande que j’avais déjà formulée en séance à l’occasion de la discussion du texte qui allait devenir la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ; je veux parler du renouvellement des titres de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales.

M. Brice Hortefeux, alors en charge de l’immigration, m’avait indiqué en séance les raisons pour lesquelles le Gouvernement refusait d’introduire dans la loi l’automaticité de ce renouvellement pour les victimes de violences. Mais il s’était engagé – le compte rendu de nos débats du 4 octobre 2007 en atteste – à donner des instructions aux préfets, non par voie orale, mais par circulaire, afin que ces derniers prennent en considération cette demande, qui était soutenue par nombre d’entre nous. Madame la secrétaire d'État, où en est, à votre connaissance, le processus d’élaboration de ces instructions ?

Pour faciliter la prise en charge des victimes, vous prévoyez la mise en place de référents locaux qui ont vocation à suivre le parcours individualisé de la victime. Je m’interroge sur l’articulation de ce dispositif avec celui, très riche, des chargées de mission départementales et des déléguées régionales, d’autant que les services déconcentrés de votre ministère font actuellement l’objet d’une profonde réorganisation dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques, la RGPP.

Même si cela n’a rien à voir avec ce sujet, je vous supplie, madame la secrétaire d'État, de veiller à ce que vos services ne soient pas répartis dans des secteurs où ils seraient moins facilement à votre disposition pour mener vos politiques. Il y va de l’efficacité de toutes les femmes dans ce domaine !

Enfin, j’insisterai sur les questions d’hébergement et de réinsertion des femmes victimes de violences. Le Gouvernement a annoncé, à cet égard, une expérimentation tendant à développer les familles d’accueil et à rendre les victimes prioritaires pour l’accès au logement. Qu’en est-il, sur le terrain, des réalisations concrètes de ce programme ?

À propos de ces questions d’hébergement, je tiens très solennellement à réaffirmer que, contrairement à ce qui se produit encore parfois, et l’on peut comprendre pourquoi, le principe de base est celui de l’éviction de l’agresseur, et non de la victime, du domicile du couple.

M. Roland Courteau. C’est cela !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Quant aux mesures de réinsertion des victimes, je souligne d’abord qu’elles sont essentielles, car c’est la dépendance économique des femmes qui explique bien souvent leur silence à l’égard des violences, donc le temps important qui s’écoule entre le moment où elles disent subir des violences et celui où elles acceptent de quitter leur domicile avec la certitude qu’elles seront, elles et leurs enfants, souvent, sorties d’affaire.

Je rappelle ensuite, sur la base de l’une des suggestions de notre collègue Roland Courteau dans la proposition de loi initiale, qu’un certain nombre d’emplois relevant du secteur public pourraient être attribués à des personnes victimes de violences conjugales. C’est une mesure importante dont la mise en œuvre s’avérerait utile à ces femmes pour la reconquête de leur propre image. Elle permettrait aussi d’améliorer les conditions d’accueil dans des services qui en ont besoin.

L’aide aux victimes est une nécessité, mais nous devons également prévenir les violences conjugales et combattre énergiquement la récidive. Cela suppose de s’intéresser aussi aux auteurs de violences.

En octobre 2007, le Dr Roland Coutanceau a remis au Gouvernement un rapport dans lequel il insiste sur la notion de récidive chez les hommes violents et constate un véritable « phénomène d’addiction » aux violences conjugales. Pour sortir de ce cercle infernal, il préconise très clairement le développement de la prise en charge thérapeutique des agresseurs, dont l’efficacité est prouvée, et l’envoi systématique aux prévenus d’une convocation pour se présenter auprès d’une structure médicosociale.

Les lois du 5 mars 2007 et du 10 août 2007 ont instauré une injonction de soins pour les auteurs de violences. Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous tracer un bilan de ce qui est réalisé dans ce domaine et des perspectives que vous nous proposez ?

M. Roland Courteau. Bonne question !

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voici les quelques pistes que je souhaitais aborder pour lancer ce débat.

En tant qu’élus, nous sommes tous sollicités à l’occasion de drames familiaux. Il est essentiel que, chacun à notre niveau, nous apportions, au-delà du réconfort moral et humain, les réponses et les solutions les plus efficaces à nos concitoyennes et à nos concitoyens qui perdent pied face aux difficultés les plus cruciales de leur existence. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, les femmes peuvent subir différents types d’atteintes et de violences dans leur vie : dans les espaces publics, au travail, mais aussi dans leur couple. Je souhaite évoquer plus particulièrement ce phénomène de la violence domestique, qui demeure largement méconnu et atteint les femmes de tous les milieux.

Une femme sur dix est victime de violences conjugales, et une femme en meurt tous les trois jours. Un phénomène de cette ampleur et de cette gravité déborde largement la sphère privée et nécessite des réponses appropriées de la société.

La violence au sein du couple n’a un statut particulier que depuis la loi du 22 juillet 1992. Sous l’impulsion de l’Union européenne, les États membres ont été incités à mieux prévenir et traiter le problème.

La loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a permis de mieux organiser l’accueil des victimes et le traitement spécifique des violences faites aux femmes. Depuis 2004, une série de lois a développé et précisé ce dispositif, en s’attachant en particulier à mieux protéger le conjoint.

La possibilité d’évincer du domicile le conjoint violent a été introduite en 2005, cette éviction permettant d’inverser le rapport de force entre les époux et de mieux prendre en compte les intérêts des enfants.

La loi du 4 avril 2006, surtout, qui avait pour origine deux propositions de loi sénatoriales, a apporté des avancées majeures en matière de prévention et de répression des violences au sein du couple. Cette loi a d’ailleurs été adoptée à l’unanimité, ce qui montre qu’il n’existe pas de clivage politique sur un sujet aussi sensible, qui touche à notre conception des rapports entre les êtres humains.

M. Roland Courteau. Heureusement !

Mme Christiane Kammermann. Elle a notamment introduit une circonstance aggravante pour le meurtre commis par le conjoint. Celle-ci a été étendue aux ex-conjoints, ex-concubins ou ex-pacsés, car 31 % des cas de décès surviennent au moment de la rupture du couple ou après celle-ci. Le viol entre époux, qui n’était reconnu que par la jurisprudence, a fait l’objet d’une loi. Notre droit a ainsi rompu avec un non-dit de notre société, imprégnée de l’idée du « devoir conjugal ».

Il y eut encore la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance.

Nous disposons donc d’un dispositif juridique solide. En outre, un second plan triennal particulièrement ambitieux, dont la mise en œuvre a débuté en 2008, est articulé autour de quatre axes prioritaires : mesurer, prévenir, coordonner et protéger.

Le Gouvernement a déposé cette semaine un rapport très complet qui fait le point sur les résultats de la politique nationale menée dans le domaine des violences au sein du couple. Nous vous écouterons attentivement les décrire tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.

Je souhaiterais par ailleurs vous poser plusieurs questions.

Tout d’abord, l’une des dispositions principales du plan triennal vise, me semble-t-il, à mieux quantifier les actes de violence commis à l’encontre des femmes. Les données issues du casier judiciaire donnent une mesure objective, mais elles sont sans doute très en deçà de la réalité, compte tenu de la réticence des victimes à porter plainte. Il faut les compléter par d’autres éléments d’information. Je voudrais connaître les mesures que vous envisagez de prendre dans ce domaine.

À cet égard, je tiens à le souligner, le Conseil économique et social a émis le souhait que soit de nouveau employée la méthodologie de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, qui prévoit une interrogation anonyme et un questionnaire ouvert. Cette enquête pourrait être étendue aux collectivités territoriales d’outre-mer, qui n’avaient pas été prises en compte.

Un rapport d’information déposé par le député Guy Geoffroy en décembre 2007 a posé la question de la disparité des politiques pénales menées par les parquets. Il est en effet anormal qu’il existe, d’un tribunal à un autre, des différences dans la réponse pénale apportée à des faits de violence similaires. Il était prévu qu’en 2008 un guide de l’action publique en matière de violences conjugales adresse un message de grande fermeté pour mettre fin à cette disparité. Pouvez-vous nous préciser si la situation a évolué depuis ?

Je souhaiterais également évoquer le problème de l’hébergement des femmes victimes, car il semble qu’il soit nécessaire d’améliorer le dispositif existant. L’insuffisance des structures d’accueil et d’hébergement a été soulignée par les inspections générales dans un rapport d’évaluation du plan global 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femmes. Je voudrais savoir si l’idée de recourir à des familles d’accueil, qui avait été retenue à titre expérimental, a progressé.

Enfin, les actions de prévention doivent viser plus particulièrement la jeunesse. L’image de la femme est malmenée et de tristes faits divers, tel le phénomène des viols collectifs – les « tournantes » –, sont révélateurs d’un total manque de respect de certains jeunes, qui ne perçoivent souvent même pas la gravité de leurs actes.

Ce n’est qu’en faisant évoluer les mentalités que nous aiderons les femmes victimes à briser le silence dans lequel la peur les enferme et que nous pourrons faire reculer le fléau de la violence. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des violences faites aux femmes, qui nous réunit aujourd’hui, dépasse les clivages politiques, sociaux, culturels et économiques : elle est malheureusement universelle et touche les femmes, les hommes et les enfants.

Fort heureusement, elle a trouvé une première réponse législative grâce à l’adoption, en 2006, de la loi « Courteau ». Permettez-moi, avant de développer mon argumentation, de saisir l’occasion pour rendre hommage à la pugnacité de notre collègue, éminent défenseur des droits des femmes, auquel nous devons cette loi.

Mme Françoise Laborde. Cette loi a marqué, en effet, le début d’une prise de conscience collective de ce fléau, non seulement par les pouvoirs publics, mais également par l’ensemble de la société, et d’une volonté d’agir pour prendre en charge les victimes de manière transversale.

Elle a permis de briser le tabou social reposant sur la loi du silence, liée à la fois à un fort sentiment de culpabilité des victimes et à une indifférence des pouvoirs publics, trop longtemps sourds aux revendications du milieu associatif. Elle a surtout libéré la parole des victimes et prévu des sanctions contre les agresseurs.

On peut se réjouir du chemin parcouru. Cette loi participe d’un bouleversement profond de la société française, qui repose sur la lutte contre le sexisme et toute forme de discrimination liée au genre. Elle a plus prosaïquement permis de soustraire les victimes à leurs agresseurs, d’instituer des mesures de protection d’urgence et de prise en charge par des professionnels au travers d’un dispositif à trois niveaux : l’information, la répression et l’aide aux victimes.

Elle s’inscrit dans la droite ligne de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse, de la loi Neuwirth sur la contraception et de la mise en place du planning familial. Pour autant, le combat contre les violences faites aux femmes est loin d’être gagné.

M. Roland Courteau. Bien sûr !

Mme Françoise Laborde. Nous avons sans doute parcouru la moitié du chemin ; les enjeux sont terribles, puisque trop souvent, hélas ! il est question de vie ou de mort. Sous cet éclairage, la question posée par Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes est pleinement justifiée et la réponse que vous y apporterez, madame la secrétaire d’État, sera déterminante pour l’avenir.

En effet, il a été démontré que 40 % des adolescents violents ont assisté à des violences parentales et que 30 % des enfants violents ont eux-mêmes été victimes de violences. Il y a encore à peine quelques années, ces statistiques n’existaient même pas en France. Pour avancer, nous devons nous inspirer d’exemples étrangers réussis, comme celui de l’Espagne, qui a voté des mesures législatives plus complètes en 2004.

La mise en place d’outils de mesure pertinents et de lieux d’écoute et de conseils aux victimes a conduit à enregistrer, depuis 2004, une hausse de 30 % des plaintes pour faits de violence. Loin de me réjouir d’un tel chiffre, je me contenterai de l’interpréter comme la démonstration de l’efficacité de la loi. Les outils de mesure étant relativement récents, cette évolution semble plutôt apporter la preuve que les victimes dépassent leur peur de témoigner et s’approprient les moyens mis à leur disposition par le législateur.

Tel est le cas dans le département de la Haute-Garonne : le Centre d’information sur les droits des femmes a reçu 3 765 personnes ; 439 demandes étaient liées à la question des violences conjugales et 151 d’entre elles ont débouché, en 2008, sur des consultations juridiques, contre 104 en 2007.

Le témoignage de ces femmes reflète une réalité cruelle. C’est d’ailleurs ce qui motive mon intervention devant vous aujourd’hui. En effet, la violence conjugale physique et psychologique a des retombées désastreuses sur tous les aspects de la vie quotidienne des victimes, que ce soit en matière de santé, d’emploi, de vie sociale, de logement, ou encore d’autonomie financière.

Je n’évoquerai pas plus longuement des sujets pourtant importants, comme la procédure de divorce par consentement mutuel, qui fragilise les femmes victimes de violences, ou encore les circonstances aggravantes, au sujet desquelles un effort de prévention et de transversalité devrait être fait ; je pense, en particulier, aux addictions, notamment à l’alcoolisme.

En revanche, dans une logique pragmatique, je ferai miennes les propositions des principales associations, afin qu’une loi-cadre vienne compléter le dispositif existant et permette à la France de rattraper son retard. C’est le travail accompli sur le terrain par les professionnels et les bénévoles qui doit nous inspirer.

Parmi les principales préconisations, je retiens en particulier les éléments suivants : favoriser un accès au logement prioritaire pour les femmes avec enfants et augmenter le nombre de centres d’hébergement d’urgence ; informer et mettre à l’abri les victimes en temps réel, avant même l’aboutissement des procédures devant le juge aux affaires familiales ; généraliser la formation des personnels qui recueillent la parole des victimes, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou encore à l’École nationale de la magistrature ; instaurer un suivi psychologique gratuit pour les victimes et les enfants ; sensibiliser davantage les élèves des collèges et lycées ; renforcer la protection de l’enfant en instaurant un principe de précaution, notamment concernant l’autorité parentale, en introduisant dans le code civil des mesures temporaires d’éloignement de l’agresseur et de restriction de ses droits, en assurant la confidentialité du nouveau lieu de résidence et en suspendant le droit de visite.

Enfin – et je termine là cette énumération laborieuse, mais non exhaustive – il conviendrait de compléter l’arsenal législatif en introduisant dans le code civil le délit de violence conjugal ; cela me paraît indispensable.

Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, d’insister sur deux pistes qui me tiennent à cœur.

Il faudrait favoriser la reconnaissance juridique des violences conjugales psychologiques répétées avant qu’elles dégénèrent en violences physiques, et participer ainsi à la prise de conscience des victimes elles-mêmes, notamment grâce à des campagnes nationales d’information du grand public. La reconnaissance de la violence faite aux femmes comme cause nationale devrait vous donner l’occasion de le faire

L’autre mesure incontournable à mes yeux est de rendre possible rapidement la suspension provisoire de la communauté de biens, que ce soit pour les comptes bancaires, l’obtention de crédits, ou encore le logement ; je pense en particulier à une inscription sur les baux locatifs des conjoints.

Après l’amélioration des principes par le biais d’initiatives législatives consensuelles se pose la question des moyens mis en œuvre pour les appliquer.

À ce propos, je tiens à vous faire part de mon inquiétude, madame la secrétaire d’État, sur les difficultés rencontrées par certains centres d’information sur les droits des femmes. Leur financement connaît des dysfonctionnements. Il semblerait en effet que, depuis 2008, le champ d’application « violences faites aux femmes » ne soit plus inscrit dans les priorités de certains services de la direction des affaires sanitaires et sociales, la DASS, lesquels, de ce fait, réduisent considérablement les subventions dédiées à ces actions. Le Conseil national s’en est d’ailleurs ému dans un courrier qui vous a été adressé. Je serai attentive à votre réponse sur ce point.

Concernant le référent unique, mis en avant dans le plan triennal 2008-2010, je souligne que près d’un tiers des départements attendent encore l’appel d’offres de la préfecture pour son lancement. Il faut dire que les professionnels de l’accompagnement aux victimes de violences conjugales soulignent le caractère stigmatisant d’un tel guichet unique, surtout en zone rurale. Mais je crois que vous avez déjà pris acte de leurs remarques.

Telles sont les éléments sur lesquels je voulais attirer votre attention, madame la secrétaire d’État. En tant que membre de la délégation aux droits des femmes, je ne manquerai pas de faire pression auprès de vous pour les inscrire dans la loi ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mes chers collègues, le phénomène des violences faites aux femmes est d’une ampleur et d’une gravité considérables, qu’il s’agisse des violences commises en milieu professionnel ou des violences au sein du couple. Ces dernières constituent un phénomène massif qui touche un nombre important de femmes de tous âges, de tous milieux et de toutes origines. Ce mal fut trop longtemps considéré comme un tabou, appartenant à la sphère privée et relégué au rang de simple dispute de ménage.

Quand une femme sur dix est victime de violences, quand une femme décède tous les deux jours et demi sous les coups de son partenaire, quand plusieurs milliers de femmes sont victimes de viol, quand plusieurs dizaines de milliers de femmes sont victimes de mariages forcés, s’agit-il de simples problèmes d’ordre privé ou d’un grave problème de société ?

C’est pour lutter contre un tel fléau que j’avais effectivement déposé, en novembre 2004, une proposition de loi, avec le soutien du groupe socialiste, des Verts et, plus particulièrement, de Michèle André, ancienne secrétaire d’État chargée des droits des femmes.

Il s’agissait pour nous, au départ, d’une proposition de loi-cadre, mais, dans le contexte politique du moment, j’ai vite compris qu’il valait mieux adopter la stratégie des petits pas, plutôt que celle du « tout ou rien ».

Comme a bien voulu le rappeler Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, notre proposition de loi fut ensuite, conjointement à celle qui avait été déposée par le groupe CRC, inscrite à l’ordre du jour des travaux du Sénat, et adoptée après modifications à l’unanimité par le Sénat, puis par l’Assemblée nationale. Enfin, la loi fut promulguée : il s’agit de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs.

Les associations, unanimes, ont considéré que cette loi avait représenté une grande avancée et même un pas sans précédent. C’était en tout cas, faut-il le rappeler, la première fois que le Parlement acceptait de légiférer sur un tel sujet. Dès lors, et puisque la mémoire est parfois fragile, j’en rappellerai les grands axes.

D’abord, cette loi a modifié le code civil sur l’âge légal du mariage des femmes, fixé à dix-huit ans. Nous avons en effet considéré qu’à l’âge de dix-huit ans une jeune fille était mieux à même de résister aux pressions familiales, dans le cas d’un mariage forcé, qu’à celui de quinze ans.

Ensuite, la loi a introduit le mot « respect » dans l’article 212 du même code : les époux se doivent « respect, fidélité, secours, assistance. »

Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. Vous oubliez « mutuellement » !

M. Roland Courteau. Le texte comporte aussi des mesures spécifiques permettant de lutter contre les mariages forcés : aggravation des peines pour les faits commis au sein du couple ; possibilité donnée aux magistrats d’éloigner l’auteur des violences du domicile ; incrimination du viol au sein du couple ; accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences.

Cette loi comporte également des dispositions relatives aux mutilations sexuelles féminines et fait obligation au Gouvernement de déposer tous les deux ans sur le bureau des assemblées parlementaires un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples.

Concernant ce rapport, vous m’avez annoncé mardi dernier, madame la secrétaire d’État, qu’il serait mis en distribution le jour même, ce qui a été fait. Mais convenez qu’il était temps, puisque ce rapport aurait dû être déposé, comme l’a rappelé Michèle André, en avril 2008 ! Il serait d’ailleurs intéressant de savoir si le prochain rapport sera déposé en 2010 ou en 2011.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Nous ferons une session de rattrapage ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. En fait, ce texte nous permet de mieux avancer dans la lutte contre un tel fléau. La loi peut, en effet, devancer les mentalités et en accélérer l’évolution. Mais, je le reconnais, elle n’est pas la seule réponse à apporter pour éradiquer les violences conjugales : elle doit être relayée par d’autres dynamiques pour faire changer certains schémas profondément ancrés dans les mentalités.

Cela étant, je constate que les choses évoluent. Je note que le taux de réponse pénale augmente, passant de 69 % en 2003 à près de 84 % en 2008. Je note également que la prise en charge des victimes s’est améliorée. Je note encore que, depuis les débats qui ont conduit à l’adoption de nos propositions de loi, les faits de violences sont mieux recensés. Souvenez-vous, je l’avais dénoncé ici même, en 2005 : on connaissait en France le nombre de portables dérobés, celui des taille-crayons fabriqués, mais on ignorait le nombre exact de femmes qui décédaient chaque année des suites de violences qu’elles avaient subies.

Je crois savoir que cela a été en partie corrigé. Toutefois, certaines associations, comme Femmes solidaires, regrettent qu’il n’existe pas, d’une façon générale, de données établies selon le sexe. On déplore notamment « un glissement sémantique tendant à englober toutes les violences dans le terme général de “violences intra-familiales” ».

Je me demande aussi pourquoi les suicides consécutifs aux violences conjugales ne sont pas comptabilisés, mais je mesure la difficulté de la chose. Cela dit, force est de constater que, depuis trois ans, le voile du silence s’est déchiré, la parole s’est libérée : les victimes osent enfin dénoncer et porter plainte.

Les plaintes ont ainsi augmenté de 31 % en trois ans sur le plan national et de plus de 58 % dans le département de l’Aude. Ne vous méprenez pas ! Les violences ne se sont pas multipliées dans l’Aude. Vous l’avez compris : il y a une meilleure prise de conscience collective, une meilleure information sur ce type de violences, une meilleure connaissance des droits et, surtout, un travail important de la part des associations spécialisées et de la mission départementale aux droits des femmes.

Bref, les violences sont de moins en moins cachées et le phénomène de moins en moins tabou, ce qui ne signifie pas que la partie est déjà gagnée, loin de là !

L’ampleur et la gravité de ce phénomène sont telles qu’il faut accroître encore l’effort de prévention. J’ai eu l’occasion de dire ici, à plusieurs reprises, que nous avions besoin, avant tout, de mettre en œuvre une prévention massive, celle-là même que nous avions prévue dans notre proposition de loi initiale, en 2004, et que le Sénat et le Gouvernement n’ont pas souhaité retenir soit au nom de la séparation de la loi et du règlement, soit en raison du manque de volonté de débloquer les financements nécessaires à la mise en œuvre d’un tel dispositif préventif.

Certes, je connais le deuxième plan global triennal 2008-2010 qui est actuellement engagé pour combattre les violences faites aux femmes. J’ai bien noté, parmi les douze objectifs fixés, ceux qui visent à « accroître l’effort de sensibilisation de la société pour mieux combattre et prévenir les violences ». Mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de campagnes de sensibilisation plus nombreuses et plus régulières par voie d’affichage et de presse, mais aussi à la radio, à la télévision, au cinéma, sans oublier internet, contre toutes les formes de violences envers les femmes, tant au sein des couples que sur le lieu de travail.

Il faut également faire porter plus fortement l’effort de sensibilisation sur les jeunes. Romain Rolland le disait : tout commence sur les bancs de l’école !