M. Hervé Morin, ministre de la défense. Très bon rapport !

M. Josselin de Rohan, président de la commission. … elle avait dressé un état des lieux d’une OTAN profondément transformée depuis la fin de la guerre froide et qu’elle avait appelé à définir plus clairement notre position, dès lors que nous étions, dans les faits, l’un des principaux acteurs de l’organisation.

La décision du Président de la République est cohérente en ce qu’elle s’insère dans la stratégie d’ensemble définie par le Livre blanc pour mettre en adéquation nos moyens, notre cadre d’action sur le plan international et les nécessités de notre défense et de notre sécurité.

Elle est cohérente parce qu’elle appréhende l’intérêt de notre pleine participation aux organes de direction et aux postes de responsabilité de l’OTAN à l’aune d’une réalité incontestable : notre contribution constante à toutes les opérations de l’Alliance depuis quinze ans.

À cet égard, le Premier ministre a évoqué la semaine dernière un « ajustement » de notre position. Je crois en effet que, s’il fallait véritablement rechercher un bouleversement, ce n’est pas dans la politique française d’aujourd’hui qu’on le trouverait, mais plutôt, je l’ai dit tout à l’heure, dans les mutations intervenues au sein de l’OTAN avec la fin de la guerre froide.

Cela a été abondamment souligné ces derniers mois, il n’y a plus grand-chose de commun entre l’OTAN d’avant-hier, destinée à faire face à une menace unique, identifiée et permanente, et celle qui s’est investie, depuis le conflit des Balkans, dans les missions de gestion de crise.

Force est également de constater que la France, sous les gouvernements successifs, a pleinement accompagné ce mouvement. C’est d’ailleurs sous une autre majorité qu’ont été prises les décisions majeures d’intervenir au Kosovo et en Afghanistan, qui sont à la base de nos deux engagements principaux dans les opérations de l’OTAN. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

MM. Alain Gournac, Jean-Marc Juilhard et Christian Cambon. Très bien !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Dès lors, la question d’un renforcement de notre présence dans les structures internes de l’Alliance se posait de manière légitime.

L’indépendance de notre politique étrangère et de notre politique de défense ne peut aucunement s’en trouver affectée.

Nos obligations au regard du traité de l’Atlantique Nord ne sont en rien modifiées. Elles demeurent ce qu’elles n’ont jamais cessé d’être depuis soixante ans, c’est-à-dire qu’elles n’impliquent aucune automaticité et laissent à la France, comme aux autres pays membres, sa totale liberté d’appréciation dans une organisation qui fonctionne sur la base du consensus à tous les stades de la décision.

Au demeurant, l’action menée par la France sur la scène internationale et la capacité d’initiative dont elle fait preuve sur tous les grands dossiers ne laissent aucun doute sur la volonté du Président de la République et du Gouvernement de continuer à faire entendre la voix de notre pays, à faire valoir nos positions et à jouer notre rôle propre, à l’opposé de toute idée d’alignement ou d’effacement dans un « bloc ».

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. L’ambition européenne doit, bien entendu, demeurer l’un des axes majeurs de notre politique extérieure et de notre politique de défense.

La politique européenne de sécurité et de défense a pris corps. Elle est plus que jamais nécessaire dans le contexte de crise économique et financière, qui doit nous inciter à regrouper nos efforts et à mutualiser nos moyens.

Notons cependant que les plus hautes autorités américaines se sont prononcées en sa faveur : le président Bush, au sommet de Bucarest, et le vice-président Biden, à Munich.

Sans doute cette politique ne s’est-elle pas développée aussi rapidement que nous pouvions le souhaiter. Il reste beaucoup à faire pour rapprocher les politiques d’équipement, consolider l’industrie européenne de défense et renforcer la capacité de l’Union européenne à mettre sur pied et diriger des opérations.

Mes chers collègues, nous avons entendu ces derniers temps beaucoup de professions de foi sur la défense européenne, y compris de la part de ceux qui avaient activement œuvré au rejet du traité constitutionnel en 2005 avant de s’opposer au traité de Lisbonne. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Hervé Morin, ministre. Tout à fait !

M. Didier Boulaud. Il y en avait aussi chez vous !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Mais l’Europe de la défense ne se décrète pas depuis Paris, pas plus qu’elle ne peut se proclamer du haut d’une tribune. Elle se construit avec l’ensemble de nos partenaires et, de ce point de vue, nous pouvons, à mon sens, avoir deux certitudes.

La première, c’est que la détermination de la France à développer la PESD reste toujours aussi forte. Le Président de la République l’a redit le 11 mars : « Construire l’Europe de la défense et de la sécurité, c’est une priorité absolue. » Les progrès engrangés durant la présidence française constituent un jalon important sur la voie de nouvelles avancées.

La seconde certitude, c’est que, si nous prétendons édifier l’Europe de la défense indépendamment de l’OTAN ou, a fortiori, contre elle, nous irons inévitablement à l’échec.

Vingt de nos partenaires européens, et parmi eux les plus importants, sont également membres de l’OTAN, sans restriction aucune quant à leur degré de participation aux structures de décision et de commandement.

M. Didier Boulaud. Ils ne mettront pas un centime dans l’Europe de la défense !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est pourquoi il me paraît tout à fait cohérent, si l’on veut donner de vraies perspectives à l’Europe de la défense, d’insister, comme le fait le Président de la République, sur la complémentarité entre celle-ci et l’OTAN. Ce n’est pas en déclarant la pleine participation à l’OTAN incompatible avec l’Europe de la défense que nous fédérerons nos partenaires sur le projet européen, alors même que ceux-ci manifestent en nombre croissant un intérêt pour sa mise en œuvre !

Nous avons une chance sur deux, mes chers collègues, de réaliser une politique européenne de sécurité et de défense en étant à l’intérieur de l’OTAN ; nous n’avons aucune chance de le faire en restant au-dehors. Les pays de l’Europe de l’Est, par exemple, ne voudront pas troquer la sécurité problématique d’une politique européenne contre la sécurité que leur donne l’Alliance atlantique. C’est un fait ! (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Bernard Piras. C’est une affirmation, non une démonstration !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Pour conclure, je formulerai deux observations.

Premièrement, comme je l’ai déjà souligné, la modification de notre position dans les structures de l’OTAN ne peut être considérée comme un objectif en soi. Certes, nous tirons les conclusions de notre implication croissante dans les opérations, et nous souhaitons avoir la place qui nous revient dans les différents circuits de décision, mais il s’agira surtout de prendre toute notre part à la définition du rôle, des missions et du fonctionnement d’une organisation qui doit se réformer et s’adapter à un monde qui change très rapidement.

Les questions sont nombreuses : la stratégie en Afghanistan ; les relations avec la Russie ; la révision du concept stratégique ; le rééquilibrage des responsabilités entre Européens et Américains ; la rationalisation des structures.

C’est pourquoi je me félicite que la France revendique une implication plus forte dans la transformation de l’Alliance et je souhaite, bien sûr, que les moyens lui en soient donnés dans le cadre de la nouvelle répartition des grands commandements.

Deuxièmement, notre capacité à peser sur le cours des affaires internationales tiendra moins à notre statut dans une organisation, à notre présence ou à notre absence au sein de tel ou tel comité ou états-majors qu’à notre propre volonté de suivre une stratégie cohérente et de nous donner les moyens de la mettre en œuvre.

M. Hervé Morin, ministre. Tout à fait !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il n’y a dans le traité de l’Atlantique Nord aucune disposition qui nous contraigne d’aligner notre politique sur celle de l’un de nos alliés, fût-il le plus puissant d’entre eux, si tel n’est pas notre intérêt, aucune disposition qui nous oblige à participer à une opération ou à une expédition que nous désapprouverions, aucune consigne qui puisse forcer, sur le terrain, une unité française à exécuter des ordres contraires à la volonté de nos états-majors.

Le rôle joué par la France dans le conflit russo-géorgien et l’opposition aux modalités de l’élargissement, manifestée au sommet de Bucarest, témoignent de la volonté de notre pays d’agir de manière indépendante et conforme à notre vision du monde. (M. Didier Boulaud s’exclame.)

La véritable garantie de notre indépendance et de notre influence dans le domaine international réside en réalité dans notre capacité de redresser notre économie et nos finances publiques, de maintenir l’unité de notre pays, de marquer notre volonté de faire face aux difficultés que nous rencontrons et de triompher des obstacles sur notre route.

C’est de nous et de nous seuls, et de notre détermination, que dépendront notre sécurité et notre défense. Ni l’OTAN, ni l’Europe ne pourront rien pour nous si nous sommes une nation démissionnaire. Ni l’Europe, ni l’OTAN ne pourront jamais nous forcer à nous plier à des politiques auxquelles nous ne consentirions pas parce que nous ne serions plus un peuple libre. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur plusieurs travées de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la question de la place de la France dans l’OTAN doit être abordée en fonction du rôle que joue notre pays dans un monde qui a fondamentalement changé depuis les années soixante.

Le rôle de la France, aujourd’hui, est avant tout un rôle européen. Certes, notre horizon ne se réduit pas à l’Europe, mais c’est bien là que se situe le premier cercle de notre identité et de notre action. Désormais, la France se définit d’abord comme un État membre de l’Union européenne.

Qu’on me pardonne cette évidence : nous construisons l’Europe avec nos vingt-six partenaires. Mais c’est avec nos partenaires tels qu’ils sont ; or, sur les questions de défense, beaucoup ont une vision différente de la nôtre.

Une participation plus complète aux structures de l’OTAN ne va pas bouleverser la donne de notre action extérieure et de notre défense, mais elle va tout simplement parachever un rapprochement engagé depuis le début des années quatre-vingt-dix, et qui a fait de la France le quatrième contributeur de l’Alliance.

Si cette participation plus complète ne constitue donc pas, dans les faits, un changement majeur, elle est un symbole politique important, qui va modifier l’image de la France. Notre pays sera vraisemblablement perçu comme plus proche des Etats-Unis. Il est possible que, dans certaines parties du monde, son image s’en trouve quelque peu altérée, au moins dans un premier temps. (M. le ministre des affaires étrangères, M. le ministre de la défense et M. le président de la commission des affaires étrangères s’exclament.)

Cependant, si l’on admet que la construction européenne est bien au centre de notre action extérieure, c’est avant tout sous cet angle européen qu’il faut apprécier ce symbole politique.

Nous le savons tous : lorsque la France parle de défense européenne, lorsqu’elle parle d’« Europe puissance », elle est toujours soupçonnée de jouer l’Europe contre l’OTAN. Tant que ce soupçon n’aura pas disparu, reconnaissons-le, nous ne parviendrons pas à convaincre nos partenaires d’aller vraiment vers une identité européenne de défense.

Il faut donc surmonter ce blocage si nous voulons donner toutes ses chances à l’Europe de la défense.

Naturellement, notre investissement accru dans l’OTAN ne va pas, comme par miracle, désarmer toutes les préventions et lever tous les obstacles, mais nous faisons sauter un verrou et privons ainsi nos partenaires d’un alibi. Or nous avons de sérieux arguments pour justifier la construction d’un pilier européen de l’Alliance.

Personne ne peut dire que l’Union n’a pas d’intérêts propres et de responsabilités spécifiques. Personne ne peut dire que les États-Unis seront toujours là pour assurer la stabilité au voisinage de l’Europe. Il y aura très vraisemblablement des situations où les États-Unis jugeront que leurs intérêts ne sont pas suffisamment en jeu pour intervenir, alors que les Européens jugeront, quant à eux, qu’il est nécessaire d’agir. Or, s’ils n’ont pas les moyens d’une action autonome qui soit organisée et cohérente, ils n’agiront pas, ou ils agiront mal. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. L’Europe a besoin d’une capacité d’action autonome. Cette capacité, elle ne pourra la constituer que sous une forme compatible avec l’Alliance.

Il est un moment où il faut cesser de « tourner autour du pot » : l’Europe de la défense ne peut se construire que sur la base d’un accord franco-anglais ; nous avons vu quelle impulsion a donné, voilà dix ans, l’accord de Saint-Malo.

M. Didier Boulaud. Il est tombé à l’eau !

M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Sur cette base, en partant de presque rien, nous avons accompli des progrès qui, s’ils restent bien en deçà de ce qui serait nécessaire, ont néanmoins été extrêmement rapides. Nous ne pourrons pas aller beaucoup plus loin sans lever l’hypothèque que constituent nos rapports avec l’OTAN.

Bien entendu, notre retour dans l’OTAN ne garantira pas de manière absolue les progrès de l’Europe de la défense, mais il les rendra possible. Le jeu en vaut la chandelle ! Car s’il est un domaine où l’on peut parler du « coût de la non-Europe », c’est bien celui de la défense.

Certes, l’effort de défense des pays européens est sans commune mesure avec celui des États-Unis : en moyenne, moins de 1,7 % du PIB, contre 4,5 % pour les États-Unis. Le total des dépenses de défense des pays membres représente à peu près 40 % des dépenses des Etats-Unis au même titre.

Globalement, les Européens n’en dépensent pas moins plus de 200 milliards d’euros pour leur défense : ce n’est pas rien ! Surtout, il faut mettre ce montant en rapport avec les objectifs que peut raisonnablement se fixer l’Union européenne. Il s’agit non pas de construire une superpuissance, mais d’avoir une capacité d’action autonome pour remplir les missions que fixent les traités européens.

Il est frappant de constater que les effectifs cumulés des armées des pays membres de l’Union dépassent ceux de l’armée américaine : 2 290 000 hommes pour l’Europe, 2 075 000 pour les États-Unis. Les moyens humains sont là ; il nous reste à apprendre à mieux agir ensemble.

Ce qui fait la différence, c’est l’investissement, c’est-à-dire les dépenses d’équipement et de recherche-développement : l’investissement américain par soldat est cinq fois supérieur à l’investissement européen par soldat. Un écart aussi considérable s’explique en partie par le fait que les Européens ne sont pas prêts à consentir les mêmes efforts que les Américains en matière de défense. Force est en outre de reconnaître que les Européens ont été jusqu’à présent incapables de mutualiser ce type de dépenses, alors qu’elles dépassent les possibilités des États membres pris séparément.

Si l’on admet, d’une part, que nous avons besoin d’une Europe de la défense et, d’autre part, que celle-ci ne pourra se construire qu’en étant compatible avec l’Alliance et complémentaire de celle-ci, il faut alors en accepter la conséquence : il n’est pas dans l’intérêt de l’Europe que nous maintenions une ambiguïté sur notre place au sein de l’OTAN ; aujourd’hui, elle est un frein plus qu’un atout pour l’Europe de la défense.

En conclusion, je voudrais rappeler la formule d’Edgar Faure : « Il n’y a pas de politique sans risques, mais il y a des politiques sans chances. » En modifiant notre position au sein de l’OTAN, nous donnons de meilleures chances à l’Europe de la défense ; c’est, à mon avis, le critère essentiel qui doit nous guider dans ce débat. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de lUnion centriste et du RDSE.)

M. Didier Boulaud. On peut toujours rêver ! Même à soixante ans, on peut croire au père Noël !

M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Louis Mermaz. En écoutant votre exposé, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, je pensais à deux vers de Baudelaire tirés du poème Réversibilité : « Ange plein de gaîté, connaissez-vous l’angoisse ? » et « Ange plein de santé, connaissez-vous les Fièvres ? » Votre démonstration me donnait en effet l’impression que tous vos arguments pouvaient être inversés ; d’où, mon cher collègue, permettez-moi de vous le dire, une certaine fragilité de votre argumentation…

Voici donc le Sénat engagé dans un débat, que je qualifierai de « débat fantôme », sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, plus d’une semaine après l’Assemblée nationale en a elle-même débattu et alors que le Président de la République a déjà officiellement notifié sa décision au secrétaire général de l’Organisation.

M. Didier Boulaud. C’est honteux !

M. Louis Mermaz. Nous avions d’ailleurs connu quelque chose de semblable en matière d’audiovisuel puisque la suppression de la publicité sur les chaînes publiques avait été décrétée avant que le Parlement ait fini d’en délibérer.

M. Louis Mermaz. Au moment où l’attention des Français est tournée vers d’autres sujets – l’aggravation de la crise, l’approfondissement des inégalités par le biais du bouclier fiscal, qui est en passe de devenir le symbole de toute une politique, l’augmentation du chômage, dont nous attendons avec angoisse les chiffres qui tomberont officiellement demain, la montée de la protestation sociale… –, voici un débat qui se déroule dans une atmosphère feutrée, aseptisée, puisqu’il n’y aura pas de vote, loin du regard des médias, car il est déphasé par rapport à l’actualité.

Le Gouvernement, en engageant la semaine dernière sa responsabilité devant l’Assemblée nationale sur l’ensemble de sa politique étrangère, voulait en fait interdire à sa majorité de se prononcer sur le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Il savait parfaitement qu’il épargnerait ainsi toute contrariété au Président de la République. Il savait également que les députés de la majorité ne prendraient pas le risque de s’opposer au Président-chef de l’UMP, qui tient la clé des prochaines investitures législatives et supervise le découpage en cours des circonscriptions électorales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Cambon. N’importe quoi !

M. Louis Mermaz. Ainsi, en moins de dix jours, en procédant « à l’étouffée », vous avez brisé, dans les domaines de la défense et de la diplomatie, le consensus qui existait dans notre pays depuis des décennies et que les présidents de la République successifs avaient respecté.

Le débat qui s’est déroulé mardi dernier à l’Assemblée nationale, malgré la forte mobilisation de l’opposition, est resté somme toute académique puisque les jeux étaient faits. Certains se seront cependant souvenus de l’affrontement de haute tenue qui opposa, au printemps 1966, le Premier ministre Georges Pompidou et François Mitterrand.

Là aussi, le général de Gaulle avait décidé seul et mis le Parlement devant le fait accompli. Cependant, même si la méthode adoptée alors était éminemment contestable, comparaison n’est pas raison. En effet, de Gaulle s’était efforcé pendant huit ans d’infléchir les positions américaines, avant, du fait du silence obstiné de notre allié, d’en tirer les conséquences, sans bien sûr sortir de l’Alliance atlantique, qui assurait à l’Europe de l’Ouest une protection indispensable au temps de la guerre froide. François Mitterrand n’avait pas manqué de faire observer combien il aurait en effet été illusoire de croire qu’on pût rompre avec une telle alliance.

Depuis, la France a poursuivi sa route, solidaire de ses alliés, mais se refusant à tout alignement.

C’est avec cette tradition que le Président de la République actuel a pris le risque de rompre. Dès le mois d’avril 2008, à la fin de la présidence Bush, il avait annoncé à Bucarest le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, sans se poser la question du contexte international, à une époque où la croisade menée contre le « Mal » au Moyen-Orient avait abouti à une série de désastres en Irak, et alors que l’annonce de l’installation d’un bouclier antimissiles aux frontières de la Russie risquait de faire peser des menaces sur la paix.

Le Président de la République a développé dernièrement ses intentions au cours d’un colloque organisé à l’École militaire par la Fondation pour la recherche stratégique, devant un aréopage hétéroclite, composé de militaires et de personnalités diverses, transformé soudain en une sorte de chambre des corporations.

Et tout cela alors que personne, à commencer par les États-Unis, ne demandait rien à notre pays !

Les raisons invoquées pour justifier cette initiative étrange sont multiples et de circonstance. Nous aurions ainsi davantage d’influence sur les Etats-Unis… Cela ferait bon effet sur nos partenaires européens, qui préfèrent l’OTAN existante à un projet européen de défense, certes encore évanescent…

Le président Chirac, après s’y être aventuré, avait dû renoncer à une démarche semblable faute d’avoir obtenu des Américains un minimum d’assurances, telles que l’accession de notre pays au commandement des forces militaires en Méditerranée, ce qui aurait été autrement substantiel que les commandements non opérationnels de Norfolk ou de Lisbonne qu’on nous fait miroiter. Mais l’accord de Saint-Malo, que M. le président de la commission des affaires étrangères a évoqué, a précisément été conclu entre la France et la Grande-Bretagne au lendemain du refus français d’intégrer plus complètement l’OTAN.

M. Hervé Morin, ministre. Cela n’a rien à voir !

M. Louis Mermaz. Comme quoi, lorsqu’on sait dire non, cela peut avoir des effets tout à fait bénéfiques sur la défense européenne.

J’ai été stupéfié – et je pense, mes chers collègues, que vous partagerez mon étonnement, voire mon indignation – d’entendre le Premier ministre parler, à l’Assemblée nationale, de la faiblesse, à l’époque, de la proposition de Jacques Chirac, lequel souhaitait justement que la France prenne le commandement opérationnel de Naples, « ce qui aurait conduit un officier français » – je cite le Premier ministre – « à commander des forces américaines ».

M. Hervé Morin, ministre. Eh oui !

M. Louis Mermaz. Qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce que cette alliance où nous ne pouvons prétendre, de manière égalitaire, exercer un commandement sur les autres puissances ?

Aujourd’hui, et c’est proprement ahurissant, on ne voit pas ce que la France a obtenu ou pourrait obtenir.

M. Louis Mermaz. Le Président de la République se jette dans une aventure dont il n’a exploré ni les tenants ni les aboutissants.

Mme Catherine Tasca. C’est son habitude !

M. Louis Mermaz. Sans poser de préalables ni recevoir de garanties, il décide seul de signer un chèque en blanc que personne ne lui demandait, acceptant l’alignement et la banalisation de la politique française.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il en est coutumier !

M. Jean-Louis Carrère. Il n’y connaît rien !

M. Louis Mermaz. Pendant ce temps, la présidence française de l’Union européenne, que certains ont célébrée avec enflure, n’a pas fait avancer d’un iota le dossier de la défense européenne, même si deux ou trois plans alambiqués ont été évoqués.

Rien de nouveau n’a été prévu concernant l’état-major européen, qui reste une académie, rien sur l’élaboration des prémices d’une stratégie commune,...

M. Hervé Morin, ministre. C’est faux !

M. Louis Mermaz. … rien sur l’Agence européenne de défense ou encore sur la création d’une force d’intervention rapide de 50 000 ou 60 000 hommes.

On ne voit pas, maintenant que l’ensemble des pays alliés va se retrouver dans des structures totalement intégrées, pour quelles raisons nos partenaires européens accepteraient soudain de bâtir parallèlement une défense européenne à laquelle les États-Unis ont jusqu’alors opposé une sorte de veto. Pourquoi ne considéreraient-ils pas que celle-ci fait double emploi ?

Avant de conclure, je vous poserai trois questions, messieurs les ministres.

Premièrement, la guerre s’éternise en Afghanistan, où une issue militaire au conflit apparaît de plus en plus aléatoire. Le nouveau président américain semble envisager un changement de politique pour répondre aux exigences économiques et sociales des populations, ce qui permettrait de s’orienter progressivement vers un retrait. C’est la thèse que nous avons toujours défendue. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)

M. Didier Boulaud. Exactement ! Et on nous a traités de lâches !

M. Louis Mermaz. Mais, en attendant, vous apprêtez-vous, dans le cadre de l’OTAN, à remettre aux États-Unis le commandement de la totalité des troupes françaises engagées en Afghanistan, après modification de leur affectation ?

M. Jean-Louis Carrère. Vous vous êtes trompés, encore une fois !

M. Louis Mermaz. Cette question demeurera posée, même si elle ne reçoit pas de réponse aujourd’hui.

Deuxièmement, avons-nous désormais l’assurance que le Président de la République et le Gouvernement maintiendront en état la force de dissuasion nucléaire française, indissociable de notre souveraineté, et conserveront la maîtrise totale de son emploi, gage d’indépendance et de sécurité dans un monde incertain ? Je pose cette question même s’il n’est pas envisagé, pour le moment, que nous siégions dans le groupe des plans nucléaires.

Troisièmement, alors que l’OTAN, dominée par les États-Unis, supervise le commerce des armes, quelle place conserveront nos propres industries d’armement ?

Est-il raisonnable de nous aligner, alors que nous ignorons tout des intentions américaines et que nous ne sommes évidemment en rien associés à l’élaboration de la politique internationale des États-Unis ? J’ai entendu dire que nous partagerions avec les États-Unis une même culture militaire. Si celle-ci devait consister à débuter l’engagement de toute opération par des bombardements massifs et indistincts, cela correspondrait-il réellement à la tradition des militaires français ? Je ne le pense pas ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Peut-être une nouvelle ère va-t-elle s’ouvrir avec la présidence Obama. Mais qu’en savons-nous encore ? Le Président de la République et le Gouvernement parlent d’influencer cette politique, comme si nous n’allions pas, au contraire, conforter le rôle prépondérant de l’administration américaine dans l’Alliance ! Ignorons-nous, au demeurant, que les États-Unis se réservent d’intervenir quand et où bon leur semble en dehors des structures de l’Alliance atlantique, sans en référer forcément au Conseil de sécurité de l’ONU ?