M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Gouvernement vient de réaffirmer de manière très claire les grands principes qui déterminent son action en matière de politique étrangère.

Nous avons constaté au cours des derniers mois que la France avait su faire entendre sa voix, défendre avec beaucoup d’énergie sa vision et ses propositions sur tous les dossiers déterminants : la crise financière, le changement climatique, le Proche-Orient, le conflit en Géorgie, la relance de la construction européenne.

Je suis convaincu que si la France choisit aujourd’hui, au terme d’une évolution de près de vingt ans, de participer pleinement aux structures de l’OTAN, ce n’est pas pour renoncer au message qu’elle porte sur la scène internationale ni pour brider le rôle de sa diplomatie, bien au contraire !

Je ne reviendrai pas sur les transformations qui ont fortement modifié, depuis la fin de la guerre froide, le visage de l’OTAN ni sur tous les éléments qui font de la France l’un des principaux acteurs et contributeurs de cette organisation.

Cette situation amenait logiquement à s’interroger sur l’intérêt qu’il y avait à rester en dehors d’instances ou de structures dans lesquelles sont préparées et mises en œuvre des décisions qui influent directement sur les opérations où nous sommes engagés.

Au demeurant, comme l’a dit le Premier ministre la semaine dernière, il s’agit de franchir la « dernière marche » d’un rapprochement qui est devenu très étroit depuis les opérations dans les Balkans, à la fin des années quatre-vingt-dix.

À mes yeux, il est important de souligner que ce renforcement de notre présence dans les structures de l’Alliance atlantique n’altère en rien les fondements de notre politique étrangère et de notre politique de défense.

Le Président de la République a rappelé le 11 mars les trois principes fondamentaux qui ne sauraient être remis en cause : la liberté d’appréciation des autorités politiques françaises, l’indépendance nucléaire de la France et la liberté de décision sur l’engagement de nos forces.

Personne ne peut douter que l’indépendance nucléaire de la France sera préservée, non seulement parce que notre pays restera en dehors du Groupe des plans nucléaires de l’OTAN, instance dont le rôle est d’ailleurs très limité, mais surtout parce que la dissuasion conserve un rôle essentiel dans notre stratégie de défense.

C’est ce que vient de confirmer le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, alors que le projet de loi de programmation prévoit les moyens permettant d’assurer la crédibilité de notre dissuasion dans la durée.

M. Didier Boulaud. Où est la programmation ?

M. Xavier Pintat. Notre dissuasion indépendante reste la garantie ultime de notre sécurité. Elle est aussi et elle restera un élément très important de notre stature sur le plan international.

La dissuasion concourt à la liberté d’appréciation des autorités françaises, autre principe fondamental rappelé par le chef de l’État.

Cette liberté d’appréciation, nous entendons également la renforcer au cours des prochaines années en développant nos « moyens propres de connaissance et d’anticipation des situations », pour reprendre la terminologie du Livre blanc, qui en a fait sa grande priorité.

Le rôle moteur que nous jouons en Europe dans le domaine spatial et les projets ambitieux de satellites d’observation et de renseignement que nous avons programmés me paraissent également bien illustrer notre volonté de conserver l’entière maîtrise de nos choix.

Nous savons l’apport crucial de ces capacités pour l’autonomie de décision dans les situations de crise. En se donnant les moyens de son autonomie, la France démontre, je le crois, qu’elle ne confond pas alliance avec dépendance ou subordination.

M. Xavier Pintat. Je voudrais terminer en soulignant la nécessité pour notre pays de continuer à œuvrer pour l’Europe de la défense. Il y va de l’efficacité de nos efforts de défense, il y va de la pérennité de nos industries, il y va surtout de la capacité de l’Europe à agir par elle-même lorsqu’elle le souhaite.

Je crois que le Président de la République et le Gouvernement, tout au long de ces derniers mois, ont démontré par leurs actes que la France ne renonçait pas à son ambition de renforcer la politique européenne de sécurité et de défense.

C’est, me semble-t-il, rendre un mauvais service à la cause européenne que de vouloir opposer Alliance atlantique et Europe de la défense, car il est évident que bien peu de nos partenaires sont disposés à abandonner l’une au profit de l’autre. Comment convaincre nos partenaires européens, qui, pour vingt et un d’entre eux, sont membres à part entière de l’OTAN, de bâtir avec nous une politique de défense commune si nous posons comme principe absolu que la pleine participation aux structures de l’OTAN est incompatible avec notre vision des choses ?

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Très juste !

M. Xavier Pintat. En participant aux structures de l’Alliance sur le même pied que les autres alliés, nous apportons une clarification qui ne peut qu’améliorer l’approche commune entre Européens.

Il me semble que la décision que nous venons de prendre sur l’OTAN… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud. Vous n’avez pris aucune décision !

M. Charles Gautier. C’est par la radio et les journaux que nous l’avons apprise !

M. Xavier Pintat. … est cohérente avec le rôle que nous jouons dans l’Organisation et avec notre ambition européenne,…

M. Didier Boulaud. Vous n’avez pas voté ! Vous n’existez pas, mon cher collègue !

M. René-Pierre Signé. Vous n’existez qu’a posteriori !

M. Xavier Pintat. … sans remettre en cause les grands axes de l’indépendance de notre politique.

M. Didier Boulaud. Le Sénat n’existe plus ! C’est un mythe ! Ou alors, c’est un moulin !

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Eh bien, démissionnez !

M. Xavier Pintat. Nous devons saisir les moyens supplémentaires que nous donnera une présence renforcée pour faire valoir nos positions tant sur l’avenir de l’OTAN, au moment où se prépare la révision de son concept stratégique, que sur la conduite des opérations.

Mes chers collègues, messieurs les ministres, je suis convaincu que, comme elle l’a toujours fait, la France continuera à faire entendre sa voix et à jouer tout son rôle au service de la paix et de la sécurité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, personne ne nous a demandé de réintégrer les structures militaires de l’OTAN : ni les États-Unis, ni nos alliés européens.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Didier Boulaud. Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement. Cette décision solitaire du Président de la République a été prise sans débat préalable : à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a pris sa majorité en otage en utilisant l’article 49, premier alinéa, de la Constitution ; au Sénat, il n’y a eu ni débat ni vote.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Ah bon ? Et que faisons-nous ici en ce moment ?

M. Jean-Pierre Chevènement. S’il y avait eu un véritable débat, sanctionné par un vote, ainsi qu’un véritable débat dans le pays, le résultat, vous le savez bien, eût été tout autre.

M. Laurent Béteille. Vous n’en savez rien !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je rappellerai d’un mot l’évolution du contexte stratégique depuis 1966.

À l’époque, le général de Gaulle craignait que la doctrine américaine de la « riposte graduée » ne fît de la France un champ de bataille. Mais il craignait aussi que nous ne fussions entraînés dans des guerres qui ne seraient pas les nôtres : ainsi la guerre du Vietnam, qu’il fustigea dans son discours de Phnom-Penh.

M. Hervé Morin, ministre. Le Vietnam n’avait rien à voir avec sa décision !

M. Jean-Pierre Chevènement. Cette éventualité, et je m’adresse à la majorité, n’a rien perdu de son actualité. Le risque de nouvelles guerres s’est déjà concrétisé, notamment en Irak, en Afghanistan, et nul ne sait ce qu’il en sera demain au Proche-Orient, en Iran, au Pakistan, dans le Caucase ou en Asie de l’Est.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Didier Boulaud. Très juste !

M. Jean-Pierre Chevènement. Reprenant les analyses du Livre blanc sur la défense, le Président de la République a évoqué l’apparition de « nouvelles menaces » liées à la mondialisation, concept flou qui recouvre un certain nombre de phénomènes contradictoires caractérisant le monde d’aujourd’hui, mais qui n’explique rien.

Cette analyse néglige les États et l’évolution de la géographie de la puissance. La crise actuelle – crise financière et économique, mais aussi enlisement militaire des États-Unis au Moyen-Orient – montre que les Américains ne sont plus en mesure de dominer seuls le reste de la planète, ni peut-être même de le dominer du tout.

La montée de pays milliardaires en hommes, comme la Chine et l’Inde, mais aussi le retour de la Russie et plus généralement d’anciennes nations ou encore l’émergence de nouvelles puissances structureront le paysage stratégique beaucoup plus que le concept fourre-tout de « mondialisation ».

À l’orée de ces temps nouveaux, le Président de la République a choisi de placer la France dans le sillage américain. En énonçant que nous appartenons d’abord à la « famille occidentale », il semble oublier que nous appartenons avant tout à la famille humaine. (MM. les ministres sourient.)

Dès lors, le risque est grand de voir l’OTAN courir derrière l’ONU – comme si elle pouvait devenir une ONU bis ! –, alors que la France siège comme membre permanent au Conseil de sécurité, aux côtés de puissances telles que la Russie et la Chine. C’est un contresens géopolitique que cette décision !

Que nous demandent, en fait, les Américains ? D’être leurs auxiliaires dans la tâche qu’ils s’assignent de refonder leur leadership. Permettez-moi de citer M. Brzezinski, toujours influent dans les milieux démocrates : « Tout en arguant qu’ils ne sont pas en mesure d’intervenir militairement, les Européens insistent pour prendre part aux décisions […]. Même si les États-Unis demeurent la première puissance mondiale, nous avons besoin d’une alliance forte avec l’Europe pour optimiser notre influence respective. » Et il ajoute : « L’Europe peut faire beaucoup plus sans déployer d’efforts surhumains et sans acquérir une autonomie telle qu’elle mette en danger ses liens avec l’Amérique. »

M. Didier Boulaud. Tout est dit !

M. Jean-Pierre Chevènement. On ne peut être plus clair, en effet !

L’OTAN est un moyen de solliciter davantage la contribution militaire des Européens…

M. Jean-Pierre Chevènement. … à des opérations dont chacun sait très bien qu’elles sont décidées à Washington, tout en empêchant que l’Europe se dote d’une défense autonome.

M. Didier Boulaud. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Chevènement. Or celle-ci est la condition d’une politique étrangère indépendante.

MM. Didier Boulaud et René-Pierre Signé. Eh oui !

M. Bernard Kouchner, ministre. De quand ce discours date-t-il ?

M. Jean-Pierre Chevènement. La décision du Président de la République obéit donc à une logique américaine, celle d’un partage plus favorable pour eux du fardeau, mais nullement des décisions prises au sein d’une alliance qu’ils dominent absolument.

Vous méconnaissez, messieurs les ministres, le poids des entraînements et celui des symboles.

Sept cents officiers dans les états-majors de l’OTAN, cela crée un tropisme dans nos armées, que l’on déshabitue ainsi de « penser national ».

L’argument selon lequel l’Allemagne ou la Turquie, en 2003, auraient pu dire non, c’est un fusil à un coup : quand on est intégré, assis en permanence à la même table, on ne peut dire non tout le temps !

M. Aymeri de Montesquiou. Mais pourquoi dire non tout le temps ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Le Président de la République laisse entendre que la France, en envoyant des officiers généraux dans les états-majors, et pas seulement des soldats sur le terrain, pourra peser sur les décisions. C’est un sophisme : chacun sait très bien que les vraies décisions se prennent à la Maison-Blanche.

Vous méconnaissez enfin et surtout, messieurs les ministres, le poids des symboles. Depuis 1966, la France avait maintenu vis-à-vis de l’OTAN une distance qui lui permettait d’être regardée comme un pays non aligné ; en un mot : indépendant. C’est à cela que vous allez mettre fin ! (MM. les ministres soupirent.)

Vous protestez en déclarant qu’il ne s’agit que d’une impression, et que vous restez indépendants. Mais une impression, en politique internationale, c’est tout !

M. Yvon Collin. Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le Président de la République a justifié la réintégration complète dans la structure militaire de l’OTAN par l’argument de la défense européenne. En nous faisant « plus blancs que blanc », nous dissiperions les suspicions qui auraient freiné les avancées de ladite défense. C’est là une vue bien naïve des choses !

Il n’y a pas de défense européenne, et ce pour trois raisons : parce que les États-Unis ne le souhaitent pas ; parce que les Britanniques s’opposent à la mise sur pied d’une structure d’état-major significative qui permettrait la planification et la mise en œuvre d’opérations proprement européennes ; enfin, parce que les autres pays européens ne sont pas prêts à faire l’effort de se défendre par eux-mêmes.

Pour la France aussi, le risque est grand que l’esprit de défense lui-même, à la longue, se trouve atteint – d’autant que son effort de défense n’a jamais été aussi faible –, car il n’y a pas d’esprit de défense qui vaille en dehors de l’indépendance.

Le risque, et je vais en terminer par là, c’est que nous nous laissions entraîner dans de nouvelles guerres ou de nouvelles politiques qui ne soient pas les nôtres, pour reprendre l’expression du général de Gaulle.

Certes, je ne méconnais pas tout l’intérêt des nouvelles orientations du président Obama. Mais celui-ci ne cache pas que son intention est de refonder un nouveau leadership américain et d’ouvrir la voie à un « nouveau siècle américain ».

M. Charles Gautier. Il a été élu pour ça !

M. Jean-Pierre Chevènement. Votre décision de réintégration complète dans l’OTAN accroît effectivement le risque de nous laisser entraîner dans des guerres qui nous seraient étrangères. Qui peut dire que, dans la crise profonde qui frappe l’économie mondiale, la guerre, demain, en Iran ou ailleurs, ne sera pas encore une fois, aux yeux de dirigeants aux abois, le moyen de forcer le destin ?

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. Alors que nous nous apprêtons à fermer une base militaire en Afrique centrale (M. le ministre de la défense s’étonne), traditionnelle zone d’influence française, mais aussi réservoir de richesses qui suscitent toutes les convoitises, nous ouvrons une nouvelle base à Abu Dhabi, dans le Golfe, région où notre autonomie stratégique est nulle.

Avec la Chine, grande puissance du xxie siècle, une brouille – espérons-le passagère et due peut-être à des impairs ou à des susceptibilités excessives, mais peut-être nous éclairerez-vous à ce sujet, messieurs les ministres – vient obscurcir notre relation. Qui peut croire que cette brouille n’illustre pas aussi notre changement de posture vis-à-vis des États-Unis ?

Enfin, je n’observe pas que les États-Unis aient renoncé à faire entrer un jour l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN.

M. Jean-Pierre Chevènement. Ce jour-là, notre partenariat stratégique avec la Russie deviendra rhétorique !

M. Didier Boulaud. Sur ce point, la position de la France n’est pas claire du tout !

M. Jean-Pierre Chevènement. Je conclurai en soulignant que, bien évidemment, l’indépendance nationale ne se définit pas contre les États-Unis : on peut être indépendant et d’autant mieux allié des États-Unis. Par exemple, nous pourrions venir en aide au président Obama dans un puissant effort de relance économique coordonné à l’échelle mondiale ; c’est d’ailleurs ce qu’il nous demande.

M. Bernard Kouchner, ministre. Et c’est ce que nous faisons !

M. Jean-Pierre Chevènement. Néanmoins, dans le monde multipolaire de demain, il y a place pour une diplomatie française indépendante qui donnerait une voix à l’Europe et contribuerait à l’existence, OTAN ou pas, d’un pôle européen capable de peser sur l’orientation de la politique mondiale.

M. Bernard Kouchner, ministre. Cela s’appelle le G20 !

M. Jean-Pierre Chevènement. Votre décision, messieurs les ministres, rendra cet objectif beaucoup plus difficilement accessible, je vous le dis avec tristesse. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.

M. Michel Boutant. Monsieur le président du Sénat, dans la lettre du 12 mars 2009 adressée aux sénateurs et signée des questeurs et de vous-même, on peut lire : « Le Sénat se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Il l’est, sur le plan institutionnel […]. Il l’est aussi, sur le plan politique, dans un contexte de regain d’un certain antiparlementarisme, qui plus est – fait nouveau par rapport à d’autres périodes – largement tourné contre la Haute Assemblée. »

Eh bien, messieurs les ministres, mes chers collègues, le débat sur la politique étrangère dans lequel nous sommes censés donner notre avis est plutôt un faux débat, voire un débat stérile, dans la mesure où la question du retour de notre pays dans le commandement intégré de l’Alliance atlantique a déjà été tranchée.

De fait, la manière cavalière dont l’exécutif traite, je dirai même maltraite notre assemblée…

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Michel Boutant. … nourrit l’antiparlementarisme en général et la déconsidération du Sénat en particulier. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Le Président de la République, le 20 mars dernier, c’est-à-dire voilà cinq jours, a confirmé que la France avait décidé de « reprendre toute sa place au sein de l’OTAN après le débat au Parlement français ».

Monsieur le président, messieurs les ministres, le Sénat fait-il encore partie du Parlement tel qu’il est défini à l’article 24 de la Constitution ? (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Didier Boulaud. Excellente question !

M. Michel Boutant. Quand le Président de la République, censé veiller au respect de la Constitution, méprise à ce point notre assemblée et la Constitution, il fait de l’irrespect une ligne de rupture dans la société française.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Michel Boutant. Cet agissement soulève des interrogations, au même titre que le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Même si cette question est aujourd’hui moins pressante en raison de la crise économique et sociale et du changement de président aux États-Unis, bien que le nouveau président n’ait pas encore dit grand-chose à ce sujet,…

M. Didier Boulaud. Si, il a dit merci à Sarkozy ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Boutant. … pourquoi ce retour, après quarante-trois ans, au sein d’une organisation dont le but était de faire face à un bloc dans un contexte de guerre froide ?

N’aurait-il pas fallu, préalablement à tout engagement, s’interroger sur la définition d’une doctrine nouvelle, d’une stratégie nouvelle, du périmètre rectifié de l’OTAN, sachant que certaines demandes, comme celle de l’Ukraine et de la Géorgie, créent des difficultés par rapport à la Russie ?

A-t-on perdu de vue la position singulière de la France, en retrait de l’OTAN, mais toujours alliée fidèle des États-Unis ?

Rappelons-nous les semaines qui ont précédé les débuts de la deuxième guerre d’Irak et la parole de la France, qui a cristallisé la position de nombreux pays autour d’elle. Rappelons-nous les aveux du président Bush sur cette période précise au moment où il a quitté la Maison-Blanche.

Dans une interview au New York Times, le 24 septembre 2007, le Président de la République déclarait : « Je conditionnerai un mouvement dans les structures intégrées par une avancée sur l’Europe de la défense. »

Quelles sont ces conditions ? Ont-elles été fixées dans la lettre adressée par le Président de la République au secrétaire général de l’OTAN le 20 mars dernier ? S’agit-il de la construction d’une Europe de la défense, mais avec qui et sur quelles bases ?

On peut pousser la réflexion encore plus loin et se demander si, durant la présidence française de l’Union européenne, n’auraient pu être posées les conditions de ce mouvement, notamment les fondements d’une politique étrangère commune à l’Europe, une politique singulière, élément d’un monde multipolaire, une politique sans arrogance mais sans faiblesse non plus à l’égard de tous les obscurantismes, tous les intégrismes, tous les terrorismes.

Bref, on a sans doute gâché là, et pour longtemps, l’occasion d’émanciper l’Europe sur les plans diplomatique et militaire, ce qui la maintiendra toujours dans l’orbite des États-Unis. Est-ce par souci de mutualisation, par habitude ou par confort ? En tout cas, l’Europe sera privée, en même temps que la France, d’une certaine autonomie et d’une certaine liberté de jouer dans le monde un rôle digne de son histoire, elle qui a vu naître la démocratie et qui a su tirer les leçons de ses déchirements meurtriers pour construire la paix et donner l’espoir au monde. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Didier Boulaud. C’est clair, net et précis ! Et ça les dérange !

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en réalité, le débat qui se déroule aujourd’hui porte non pas sur l’ensemble de notre politique étrangère, mais sur la réintégration de la France dans le commandement militaire de l’OTAN.

Tout d’abord, je tiens à remercier le président du groupe UMP de permettre à un point de vue divergent de la pensée officielle de s’exprimer sur ce sujet.

Même si la lettre et l’esprit de nos institutions permettent la procédure qui a été appliquée, un large débat suivi d’un vote eût été préférable, me semble-t-il, pour que chacun puisse réellement se prononcer.

M. André Lardeux. Au contraire, on noie cette question de la réintégration dans le commandement militaire de l’OTAN dans un ensemble dont il eût été convenable de l’extraire.

En raison de l’égoïsme sacré des États, les relations internationales et les textes qui en résultent ne sont que des accords avec des arrière-pensées : aussi serait-il bon que nous en soyons informés. Dans le cas présent, il me semble que c’est : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. René-Pierre Signé. Et il est à l’UMP !

M. André Lardeux. Or le point de vue que j’exprimerai modestement maintenant est partagé par un certain nombre de mes collègues du groupe UMP, notamment Adrien Gouteyron.

M. Didier Boulaud. C’est pour cela qu’il n’y a pas de vote !

M. André Lardeux. Par souci de clarté et d’honnêteté intellectuelle, je veux faire connaître, mes interrogations, mes doutes ou mes réserves face au retour au bercail de l’OTAN. Pour cela, il n’est nul besoin de faire parler les morts. En effet, personne ne peut dire ce qu’auraient fait de Gaulle, Pompidou ou Mitterrand. Alors, laissons-les tranquilles !

Il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de l’OTAN, sur son cadre actuel dans un monde de plus en plus complexe, où la formation d’un bloc purement occidental n’est peut-être pas de nature à nous rapprocher de certains pays, notamment les États riverains de la Méditerranée. À cet égard, certains peuvent légitimement évoquer l’obsolescence d’un OTAN de guerre froide. Quoi qu'il en soit, mieux vaut réfléchir à l’avenir de l’OTAN ou à une éventuelle redéfinition avant la réintégration qu’après.

M. Daniel Reiner. Il a raison !

M. André Lardeux. Pour l’instant, hormis des pétitions de principe, je n’ai entendu aucune réponse convaincante à plusieurs questions.

Quels avantages la France retirera-t-elle de cette décision ? Quelles sont les contreparties en échange des strapontins offerts dans le commandement ? Quel en est le coût politique ? Quel en est le coût financier, étant entendu que cette réintégration ne peut se faire à coût constant pour les armées ?

M. André Lardeux. Si c’est à coût constant, au détriment de quoi cette nouvelle dépense sera-t-elle consentie ? Quelles en seront les conséquences pour le fonctionnement de nos armées ?

Cette décision ne peut manquer de susciter des inquiétudes, même si l’on nous dit que cela ne change rien. Dans ce cas, d’ailleurs, pourquoi aller dans ce sens dès maintenant ?

Les craintes que j’exprime ne sont nullement chimériques.

La première a trait à l’alignement. En changeant de politique étrangère et de politique de défense – sinon, la décision n’a pas de sens –, nous risquons d’apparaître comme un pays suiveur des États-Unis et cela nuira à notre image d’indépendance auprès de nombreux partenaires. Avec la fin de notre liberté de ton, notre capital diplomatique en sera diminué.

Malgré la règle de l’unanimité, nous risquons d’être entraînés dans des aventures dont nous ne pourrons sortir. L’enlisement dans le bourbier afghan, d’où nous ne savons plus comment nous extraire, devrait nous alerter. Malgré les renforts que nous avons envoyés, nous n’avons aucun poids sur la stratégie américaine dans ce pays.

Ma deuxième crainte porte sur le renforcement de l’hégémonie des États-Unis. Certes, ceux-ci sont nos alliés, mais nous n’avons pas à être leurs vassaux. Or, depuis soixante ans, l’OTAN n’a pas évolué dans ce domaine. Nous n’accéderons pas plus que maintenant aux leviers de décisions.

Certes, la nouvelle administration américaine paraît moins aventuriste que la précédente,…

M. Didier Boulaud. C’est sous la précédente que la guerre a été décidée !

M. André Lardeux. … mais, pour l’instant, nous ne percevons pas encore ce qu’elle veut et elle n’a pas montré de signes indiquant qu’elle était prête à partager les responsabilités ; elle montre seulement qu’elle est disposée à partager les charges.

Avant d’aller au-devant des souhaits constants des États-Unis, il serait prudent d’attendre et voir.

Ma troisième crainte est liée à l’absence de perspective d’un retour à l’équilibre des responsabilités entre Américains et Européens. Aucune garantie ne me semble avoir été donnée dans ce sens.

Bien que n’étant guère partisan de l’Europe telle qu’elle se fait, ma quatrième interrogation porte sur la cohérence entre cette décision et la volonté de construction d’une Europe politique et d’une Europe de la défense. À moins que cette décision ne nous amène à revoir totalement notre politique dans ce domaine.

Enfin, le nouveau format de nos armées est-il compatible avec un système qui peut nous entraîner vers de nouvelles interventions ?

En conclusion, j’espère que la décision de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN n’est pas le constat de l’affaiblissement du pays, enclenché par plusieurs décennies de laxisme budgétaire, laxisme qui est la cause de notre délabrement financier, qui nous enlève toute marge de manœuvre et dont l’une des traductions est l’amoindrissement de notre potentiel militaire. Je ne suis pas certain que nous ayons encore les moyens militaires de notre politique extérieure, comme le montre notre affaiblissement diplomatique.

Vous l’avez compris, s’il y avait eu un vote, j’aurais évidemment voté contre cette réintégration. En effet, je n’ai pas oublié qu’en d’autres temps un homme politique qui exerce actuellement d’éminentes fonctions soulignait que « la participation de la France au replâtrage de l’Alliance atlantique s’inscrit à contretemps de l’Histoire »,…