M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. le président. Madame Bricq, vous avez largement dépassé votre temps de parole !

M. Jean-Pierre Sueur. Cela valait la peine !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Le règlement s’applique à tout le monde ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Dominati, rapporteur. Cet amendement me donne l’occasion d’apporter quelques précisions sur les travaux de la commission spéciale, qui s’est saisie de la question du taux de l’usure et en a fait un mécanisme essentiel de la réforme du crédit à la consommation.

Lorsqu’il est réglementé ou administré par l’État – avec l’Italie et la Belgique, la France fait figure d’exception dans l’environnement économique actuel –, le mécanisme du taux de l’usure est illusoire. D’aucuns ont tendance à considérer que les banques distribueront automatiquement du crédit en fonction du taux qui sera déterminé par une autorité étatique. Il n’en est rien ! À l’heure actuelle, malgré un taux de l’usure que certains, à juste titre, dénoncent comme étant trop élevé, seuls 55 % des crédits renouvelables sont affectés. En d’autres termes, 45 % des demandes sont rejetées. Voilà la réalité du marché !

Ce n’est donc pas en déterminant un taux, par une équation équilibrée ou logique, et en définissant un plafonnement que la diffusion du crédit sera améliorée pour autant. En réalité, tous les mécanismes qui conduiront à une baisse obligatoire ou administrée des taux d’usure augmenteront l’exclusion du crédit. C’est une réalité économique.

Nous ne pouvons pas, d’un côté, reprocher à des établissements financiers de faire preuve d’irresponsabilité et, de l’autre, leur demander de prêter obligatoirement à un taux déjà établi. D’une certaine façon, le taux est proportionnel au risque encouru. Il en est ainsi dans le monde entier, à tout le moins dans toute l’Europe.

Madame Bricq, peut-être me suis-je trompé en affirmant que l’abandon d’un taux de l’usure administré datait du gouvernement Rocard et de la loi Neiertz. En revanche, je me souviens des années de politique de blocage des prix – qui n’était pas l’apanage des gouvernements de gauche – et de la période où votre formation politique a accepté l’économie de marché, ce qui a permis à notre pays de s’adapter à son environnement international. Vous avez eu raison de rappeler que le mécanisme du taux de l’usure ne fonctionne plus du tout pour les entreprises.

Avec l’amendement n° 21, vous souhaitez revenir en arrière et proposez un retour à la réglementation. D’autres amendements prévoient des modalités différentes. Sur quelles bases le coefficient a-t-il été fixé entre 2 et 7 ? Pourquoi pas entre 3 et 8 ? Sur quelle réalité économique vous appuyez-vous ?

La règle de détermination des taux de l’usure en France consiste à appliquer une majoration du tiers aux taux effectifs moyens observés au cours du trimestre précédent pour six catégories de prêts aux particuliers.

Toutefois, la commission a estimé que ce mode de calcul entraînait un déséquilibre, notamment pour les crédits renouvelables. C'est la raison pour laquelle elle a décidé de rejoindre la position du Gouvernement et de raisonner en seuils. Madame Bricq, j’ignore d’ailleurs si vous prévoyez un mécanisme supplémentaire ou alternatif.

L’examen des autres amendements déposés sur l'article 1er A nous donnera l’occasion de débattre de nouveau de cette question, puisque d’autres coefficients tendant à réduire encore les taux sont proposés. J’observe à ce titre que le groupe de l’Union centriste est plus sévère que le groupe CRC-SPG et que Philippe Adnot est peut-être plus sévère encore que le groupe de l’Union centriste ! Il n’en reste pas moins que ce mécanisme ne fera qu’accroître les phénomènes d’exclusion du crédit.

La réforme du crédit à la consommation proposée par la commission est bonne. Il s’agit de ne plus faire le départ entre crédit affecté et crédit renouvelable et de fixer un seuil à 3 000 euros. En outre, un mécanisme permettant une offre de crédit différente a été élaboré. La conjonction de ces deux mesures rend donc judicieux le dispositif qui vous est proposé par cet article.

C'est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.

(M. Roger Romani remplace M. Jean-Claude Gaudin au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement est favorable à un bon endettement et non à un malendettement. C'est la raison pour laquelle il est préférable d’associer des taux à des seuils plutôt qu’à une catégorie de crédit à la consommation, comme c’était le cas jusqu’à présent.

Nous avons calculé les effets de la mesure prévue par cet amendement. Fixer un coefficient compris entre deux et sept fois le taux des prêts sur le marché interbancaire à douze mois entraînerait un rationnement considérable du crédit !

Avec un coefficient de deux, le taux de l’usure, qui est aujourd'hui à 1,77 %, atteindrait 3,54 % et la plupart des crédits à la consommation disparaîtraient, purement et simplement ! Avec un coefficient de sept, ce taux progresserait jusqu’à 12,4 % et ce seraient 22 milliards d'euros de crédit à la consommation qui disparaîtraient. Là encore, cela équivaudrait à une baisse de 1,2 point de PIB.

Pour toutes ces raisons, à l’instar de la commission, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ou, à défaut, son rejet.

M. le président. Madame Bricq, l'amendement n° 21 est-il maintenu ?

Mme Nicole Bricq. Il n’est donc pas du tout dans nos intentions de retirer cet amendement.

C’est à la loi de régler ce problème. Pour nous, il s’agit d’un acte fondamental.

Nous avons déposé un amendement de repli, car nous considérons a fortiori que la période transitoire prévue par le Gouvernement est trop longue.

Nous n’avons pas suffisamment discuté du mode de calcul en commission, c’est ici qu’il nous faut le faire. J’observe du reste que le groupe socialiste n’est pas le seul à vouloir réformer le taux de l’usure par la loi !

Dans la mesure où le Sénat est saisi en premier de ce texte, c’est à lui d’orienter la discussion. Il ne faut pas attendre l’initiative des députés, d’autant que nous ne savons toujours pas quand ce texte leur sera soumis.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Le Sénat a l’initiative de la réforme du taux de l’usure !

Nous considérons que la mesure qui consiste à remplacer des catégories de crédit par des montants est de nature à changer le modèle économique de la distribution du crédit renouvelable par rapport à celle du crédit affecté. Il n’est pas souhaitable d’aller au-delà et de figer dans la loi des coefficients ou des valeurs d’écart, pour deux raisons.

D’abord, nous travaillerions à l’aveuglette, sans avoir les instruments d’appréciation permettant d’imaginer quelle serait la réponse du marché. Une telle initiative risquerait de se retourner contre ceux dont vous souhaitez défendre les intérêts, madame Bricq. Nous ne saurions la conseiller. Il est préférable de laisser au pouvoir exécutif la responsabilité de le faire. Telle est bien notre démarche.

Nous nous situons sur le plan des principes : c’est le domaine de la loi.

Ensuite, il appartient au Gouvernement d’appliquer et de fixer les montants ou les coefficients. Au demeurant, nous serons là pour évaluer, constater et, le cas échéant, solliciter le Gouvernement si le marché ne nous semble pas s’infléchir comme il convient. Je vous indique, mes chers collègues, que cette remarque vaut tant pour l’amendement n° 21 que pour toute la série d’amendements déposés par Mme Bricq.

Par ailleurs, je me permets d’attirer votre attention sur ce qui est fort bien et fort techniquement décrit par M. Dominati dans son rapport. L’unification des prêts, solution que nous préconisons, va s’opérer progressivement. À la page 166 du rapport précité, il est bien question de mettre le marché à l’épreuve. Il faut donc se doter d’une période d’observation. Si nous voulions que la modification issue de la loi entre en vigueur de manière trop brutale, je le répète, nous risquerions d’obtenir des effets pervers, en tout cas susceptibles d’être contraires aux intérêts que vous voulez défendre.

Il y a aussi un problème de séparation entre le domaine de la loi et celui du règlement. Serait-il en effet raisonnable de fixer un coefficient et de revenir dessus six mois ou un an après ? Ce ne serait pas conforme à la distinction que le Constituant a établie entre le domaine de la loi et le domaine du règlement.

Pour l’ensemble de ces raisons, notre devoir, mes chers collègues est de suivre la proposition de la commission et du Gouvernement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 21.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Biwer, Portelli et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :

Avant le I de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :

... - Dans le premier alinéa, les mots : « de plus du tiers » sont remplacés par les mots : « de plus du dixième ».

La parole est à M. Claude Biwer, pour présenter l'amendement n° 1 rectifié bis.

M. Claude Biwer. Le taux d'usure défini par l’article L. 313-3 du code de la consommation dépasse, à l'heure actuelle, les 20 % ce qui, rapporté au taux d'inflation – environ 1 % – et au coût de la ressource financière – environ 4 % – paraît très largement excessif.

Or, les crédits renouvelables ou revolving sont très souvent proches du taux d’usure, ce qui contribue au surendettement des particuliers.

La commission spéciale, consciente de ce problème, propose de redéfinir le taux d’usure et de faire en sorte que, désormais, le plafond du taux des crédits à la consommation soit fixé selon leurs montants. Par ailleurs, les crédits renouvelables et amortissables seront fondus dans une même catégorie, ce qui est très positif.

Cependant, la méthode de calcul du taux d'usure avec l'application d'un taux multiplicateur de 1,33 au taux moyen de chaque nature d'opération demeure inchangée.

Le présent amendement vise à ramener à 1,10 ce coefficient multiplicateur, ce qui permettrait de réduire le taux d'usure.

M. le président. L'amendement n° 59 rectifié, présenté par Mmes Terrade et Pasquet, M. Vera et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :

Avant le I de cet article, ajouter un paragraphe ainsi rédigé :

... - Dans le premier alinéa, les mots : « de plus du tiers » sont remplacés par les mots : « de plus du cinquième ».

La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Nous voici au cœur du débat, dès l’engagement de la discussion des articles : cet amendement, à l’instar d’autres, porte sur la question des taux d’intérêt des prêts à la consommation, notamment des prêts non affectés.

Malgré les réponses d’ores et déjà apportées par M. le rapporteur et par M. Marini, je vais développer mon argumentation.

Le débat concerne donc le taux d’usure, mais aussi, plus généralement, la formation des taux, telle qu’elle existe dans notre pays et qui conduit aux taux effectifs globaux, que nous pouvons observer dans de nombreux cas.

La crise financière récente a induit, rappelons-le, une raréfaction du crédit bancaire ordinaire et souvent du crédit affecté, crédits destinés aux entreprises comme aux particuliers.

Cette raréfaction, a priori combattue par les mesures de sauvetage du secteur financier prises par les États dits « développés », a été accompagnée d’une course en avant vers la réduction du loyer de l’argent, course menée notamment par les banques centrales. Pour la Federal Reserve américaine comme pour la banque centrale du Japon, le taux directeur est aujourd’hui proche de zéro, tandis que la Banque centrale européenne, animée quoique un peu tardivement du même souci, a fixé son taux directeur à 1 %. Le crédit interbancaire a d’ailleurs suivi la même évolution, se situant désormais aux alentours des 4 %, conduisant les banques françaises à faire de moins en moins appel aux services de la Société de financement de l’économie française, mise en place dans le plan de sauvetage bancaire du mois d’octobre dernier, comme je l’ai rappelé tout à l’heure.

Pour autant, les taux d’intérêt pratiqués dans le domaine des prêts à la consommation, et singulièrement des crédits renouvelables, demeurent particulièrement élevés, flirtant souvent avec des niveaux de 15 % à 18 % et appliquant, parfois, la limite autorisée pour la fixation du taux d’usure.

Nous proposons donc que le taux d’usure soit immédiatement réduit, parce qu’il convient d’envoyer un signe, notamment aux consommateurs : il est en effet nécessaire de réduire les charges d’intérêt découlant de la pratique de ces instruments financiers.

Nous restons évidemment ouverts à toute proposition visant à encadrer les pratiques de crédit mises en œuvre par les organismes spécialisés dans ces domaines. Un tel encadrement pourrait notamment se faire par référence aux taux du crédit interbancaire, en abandonnant, par exemple, le recours à la spécificité de chaque produit et en se dirigeant vers une limitation par prise en compte effective du coût de collecte de la ressource, du risque encouru par le prêteur, et des contraintes, souvent fort limitées, liées à la distribution.

Évidemment, d’aucuns soutiendront que s’attaquer ainsi aux pratiques opaques des établissements de crédit et de leurs filiales spécialisées dans le crédit renouvelable est un obstacle au développement et à la croissance.

Ainsi peut-on lire dans un article de Nicolas Bouzou, économiste libéral attitré : « On nous rétorquera que la baisse du taux d’usure sur certains types de prêts doit permettre de lutter contre le surendettement. C’est se tromper à deux titres. D’une part, selon les chiffres de la Banque de France, le surendettement trouve son origine essentiellement dans un accident de la vie, à savoir une perte d’emploi, un divorce ou une maladie. Le seul excès de crédits n’explique que 14 % des cas de surendettement, et ce taux est en recul depuis plusieurs années. D’autre part, il est absurde de réduire le surendettement en diminuant l’accès au crédit et, au passage, en sacrifiant la croissance économique, c’est-à-dire en augmentant un peu plus le chômage. »

Mais il faudra bien, un jour, que l’on nous explique pour quelle raison et de quelle manière se forment les taux dans notre pays.

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter l’amendement n° 59 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Dominati, rapporteur. Je rappelle que c’est le Parlement qui s’est saisi du mécanisme du taux d’usure et qui l’a introduit dans la loi. Mais les parlementaires que nous sommes sont confrontés à la difficulté d’évaluer le bon fonctionnement du mécanisme.

Le fait que les amendements nos 1 rectifié bis et 59 rectifié proposent des taux allant du simple au double puisque l’amendement défendu par M. Biwer est deux fois plus sévère que celui qu’a soutenu Mme Terrade,…

Mme Odette Terrade. Comme quoi…

M. Philippe Dominati, rapporteur. … montre bien combien il est difficile pour le législateur de disposer des instruments permettant de résoudre un problème aussi difficile.

Répondre à la question qui consiste à savoir comment joue le mécanisme des taux de l’usure est extrêmement difficile. Même si génération après génération, les plus brillants fonctionnaires ont essayé de trouver une solution, de décennie en décennie, l’équation a dû être modifiée.

Je le répète, la France est une exception puisque trois pays seulement pratiquent le mécanisme du taux de l’usure, qui n’est pas celui des taux sur le marché bancaire. Ce n’est pas parce que le taux de l’usure sera abaissé que, automatiquement, celui des crédits renouvelables le sera aussi. Au demeurant, si ce dernier taux diminue, nous risquons de mettre en péril le crédit affecté. Il existe en effet une réelle concurrence sur ce segment du marché. En réalité, l’accès au crédit sera rendu plus difficile.

C’est pourquoi la commission spéciale vous demande, monsieur Biwer, madame Terrade, de bien vouloir retirer vos amendements, faute de quoi elle émettra un avis défavorable, d’autant qu’il est très difficile de déterminer parmi les taux que vous proposez lequel est le bon.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable.

Nous avons procédé à un calcul au sujet des propositions qui nous sont soumises et qui, toutes deux, aboutiraient à un rationnement très important du crédit, qu’il s’agisse du crédit immobilier ou, surtout, du crédit à la consommation.

Monsieur Biwer a été extraordinairement ambitieux : selon sa proposition, la modification du coefficient entraînerait un rationnement de 46 milliards d’euros de crédit à la consommation. Selon la proposition formulée par Mme Terrade, le rationnement, un peu plus modeste, s’établirait à 24 milliards d’euros d’encours. Cette somme est néanmoins assez importante, dans un contexte où le Gouvernement souhaite maintenir le crédit à la consommation.

M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, pour explication de vote sur l'amendement n° 1 rectifié bis. .

M. Claude Biwer. Monsieur le rapporteur, j’ai bien compris le sens de votre réponse. Cet amendement, peut-être abusif sur le plan des taux, nous aura au moins permis de discuter des méthodes.

Satisfait du type de fonctionnement que vous nous proposez, je le retire.

M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 59 rectifié.

Mme Nicole Bricq. Madame la ministre, comme M. le rapporteur, vous contestez l’intérêt de la réduction du taux de l’usure dans la loi. Cela dit, vous avez fait remarquer qu’il existait une grande distorsion entre les deux propositions qui nous sont faites. Mais vous ne nous indiquez pas quel serait le bon taux. Pour appuyer votre argumentation, vous nous assénez des chiffres que nous, modestes parlementaires, sommes dans l’incapacité de vérifier.

Nous avons l’habitude, notamment lors de la discussion du projet de loi de finances, de ces discours qui s’appuient sur des chiffres dont nous nous rendons compte, par la suite, lors de l’exécution du budget, qu’ils étaient soit très supérieurs, soit très inférieurs à la réalité. Ne nous assénez donc pas de tels chiffres !

Nous avons procédé à l’audition de l’ensemble des professionnels des banques et des établissements de crédit. Ils nous ont dit qu’ils étaient favorables à une modification tendant à prendre en considération non plus les catégories mais les montants des prêts. C’est ce que vous nous proposez. Selon eux, si le taux du crédit renouvelable est abaissé, celui des autres crédits augmentera, à partir d’un certain seuil. Par conséquent, si le Parlement n’encadre pas la négociation que mènera le Gouvernement avec la profession, comme toujours sera retenue l’hypothèse formulée par les établissements bancaires, ce que nous ne voulons pas.

C’est pourquoi, même si l’amendement n° 59 n’est pas parfait, nous le voterons.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Il s'agit là d’un point très important de notre dispositif.

Actuellement, on distingue le crédit affecté et le crédit renouvelable, deux catégories à part, pour lesquels les taux d’usure sont différents.

En ce qui concerne le crédit renouvelable, le taux de l’usure, de mémoire, est de 20,5 % (Mme la ministre acquiesce.) Or, dans les publicités comme dans la pratique, ceux qui demandent ce type de financement se voient imposer le taux maximum, c'est-à-dire l’usure.

M. Daniel Raoul. Un taux de 19,95 % !

M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Absolument, monsieur Raoul, et parfois même davantage.

S'agissant du crédit affecté, le taux de l’usure est actuellement de 10 % environ.

À travers le dispositif que nous proposons, nous voulons que les établissements raisonnent désormais en fonction du montant du crédit accordé, selon que celui-ci représente moins de 3 000 euros, entre 3 000 et 6 000 euros ou plus de 6 000 euros.

Ainsi, une personne qui, aujourd'hui, serait exclue du crédit affecté car elle n’est pas assez solvable et qui devrait donc souscrire un crédit renouvelable à 20 % pourrait alors emprunter à 12 %, 13 % ou 14 %.

Compte tenu de l’ajustement qui se produira, la réforme que nous proposons devrait entraîner un déplacement de la demande, du crédit renouvelable vers le crédit affecté, c'est-à-dire des prêts les moins sécurisants vers des formules qui, en principe, sont plus conformes aux nécessités de la gestion des ménages. Tel est notre objectif.

Si, théoriquement, il n'y a pas lieu de douter que ces effets se produiront, il est évidemment assez difficile de prédire dans quels délais et dans quelles conditions chiffrées… C’est pour cette raison que nous devons nous préserver une certaine marge, d’autant que les contrats en cours continueront à s’exécuter et qu’un nouvel endettement se formera dans le cadre que nous sommes en train de définir.

Mes chers collègues, reconnaissez tout de même la vertu de notre proposition : il s'agit bien d’une disposition centrale pour lutter contre le « malendettement ».

Que se passerait-il si nous étions trop ambitieux, c'est-à-dire si nous fixions un taux maximum trop bas ? Nous risquerions tout simplement, comme c’est le cas actuellement avec le crédit affecté, d’écarter de ces financements des personnes, sans doute en grand nombre, qui, du coup, ne pourraient pas satisfaire à leurs besoins. (Mme la ministre acquiesce.)

Il s'agit de trouver un juste équilibre. C’est le marché qui s’en chargera, comme M. le rapporteur l’a souligné à juste titre, mais dans un cadre réglementaire différent, qui ne vise pas à conduire toujours davantage les personnes les plus fragiles vers les prêts les plus coûteux, c'est-à-dire les crédits renouvelables, ceux dont les conséquences sont les plus graves pour les budgets familiaux.

Nous ne pouvons aller au-delà. Il est bien entendu très tentant de fixer les coefficients qui sont en apparence les plus bas, mais cette mesure, j’espère l’avoir montré, risquerait de se retourner contre les intérêts d’un grand nombre d’emprunteurs. Je le répète, avec un dispositif de cette nature, mes chers collègues de l’opposition, vous ne défendriez pas réellement et efficacement les intérêts de celles et ceux dont vous vous préoccupez !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 59 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 14 rectifié ter, présenté par MM. Adnot, Pointereau, Retailleau et Darniche, est ainsi libellé :

Compléter le second alinéa du I de cet article par une phrase ainsi rédigée :

En tout état de cause, est usuraire tout prêt aux particuliers dont le taux effectif global excède, au moment où il est consenti, trois fois le taux annuel de l'intérêt légal.

Cet amendement n'est pas soutenu.

L'amendement n° 20, présenté par Mmes Bricq et Chevé, MM. Sueur, Angels, Anziani, Collombat et Fauconnier, Mme Ghali, MM. Guérini, Hervé, Patriat, Raoul, Teulade, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa du II de cet article, remplacer le chiffre :

huit

par le chiffre :

six

La parole est à M. Daniel Raoul.

M. Daniel Raoul. Après les explications qui ont été fournies par le Gouvernement sur les deux amendements précédents, considérez, mes chers collègues, qu’il s’agit là d’un amendement de repli…

Madame la ministre, nous nous inscrivons cette fois dans votre logique, mais en proposant de réduire le délai de mise en application du nouveau dispositif.

À travers cet article du projet de loi, si j’ai bien compris, il s'agit en fait de redéfinir le taux de l’usure, de telle sorte que le plafond du taux de crédit à la consommation soit fixé en fonction du montant de ce prêt. Il reviendrait au Gouvernement de déterminer les seuils définissant les différentes catégories de crédits en fonction de leur montant.

Madame la ministre, est-il désobligeant de demander sur quelle étude d’impact s’est appuyé le Gouvernement pour définir ces seuils, et comment ceux-ci modifieront les taux ? En effet, il paraît que, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, une étude d’impact doit accompagner chaque projet de loi…

Dans ce cadre, les établissements de crédit devront adapter leur modèle économique en privilégiant les prêts amortissables au détriment des crédits renouvelables, comme M. le président de la commission spéciale vient de nous le confirmer. Pour permettre aux établissements créditeurs de s’adapter – je comprends bien qu’ils éprouveront quelques difficultés à le faire –, et accompagner la mise en œuvre de cette réforme, la commission propose d’habiliter le Gouvernement à prendre des mesures transitoires pendant une période de deux ans.

Madame la ministre, vous nous avez fait ce que je qualifierai de promesse de Gascon, soit dit sans offenser les habitants de votre région, mon cher collègue des Landes. (M. Jean-Louis Carrère. sourit.)

Si nous ajoutons les six mois que prendra peut-être le processus législatif aux deux ans prévus à compter de la promulgation de loi, nous obtenons finalement un délai de trente mois. Les informaticiens des organismes de crédit sont capables d’ajuster leurs modèles en un temps plus court, me semble-t-il !

Cet amendement vise donc à faire passer cette période transitoire de huit à six trimestres, car l’application de cette réforme nous paraît urgente.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Dominati, rapporteur. Mon cher collègue, il fallait effectivement fixer un délai pour permettre au marché de s’adapter, d’autant que le mécanisme prévu n’aura pas les mêmes effets pour toutes les professions.

Tout d'abord, nous faisons preuve d’ambition ; nous pensons que le mécanisme proposé sera un succès et permettra d’atteindre l’objectif pour lequel il a été conçu, à savoir une baisse des taux d’environ six points pour le crédit renouvelable. Or six points de taux correspondent à peu près à six trimestres – un point par trimestre ; telle est notre première base de calcul.

Ensuite, nous devons prendre en compte les différentes professions. Ainsi, dans le nord de la France, deux grandes entreprises de VPC, c'est-à-dire de vente par correspondance, sont très inquiètes quant à leur avenir : elles estiment qu’un délai de deux ans n’est pas suffisant pour leur permettre de s’adapter à un nouveau modèle économique, car elles réalisent entre 40 % à 45 % de leur chiffre d’affaires grâce au crédit renouvelable ; une baisse trop forte des taux les condamnerait aussitôt.

D'ailleurs, ces deux entreprises sont également les clientes les plus importantes de La Poste, me semble-t-il… Cette réforme risque donc d’entraîner des effets en cascade importants, des milliers d’emplois étant en jeu.

Enfin – ce sera mon troisième argument –, nous fixons au Gouvernement un délai maximum, qui pourra être abrégé si le modèle économique change, si la fusion des taux s’accomplit, si la réforme est bien supportée par le marché et se révèle bénéfique pour les entreprises concernées.

Comme vous, monsieur Raoul, je souhaiterais que cette mesure entre en application le plus vite possible et que l’on n’attende pas huit trimestres. Toutefois, dès lors que nous fixons seulement un délai maximum pour le Gouvernement, je ne puis qu’émettre un avis défavorable sur cet amendement tendant à raccourcir la période transitoire.

Je le répète, notre ambition est de baisser fortement les taux, mais il est tout de même nécessaire de laisser au marché le temps de s’adapter. Or, compte tenu des instruments économiques disponibles, je n’ai pas été en mesure, pas plus que les autres membres de la commission, me semble-t-il, d’évaluer véritablement ce délai.