M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bien !

M. Christian Gaudin. Pour ces trois raisons, nous vous proposerons à nouveau d’abroger conjointement l’ISF et le bouclier fiscal, en compensant le manque à gagner notamment par la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu. Avec cette réforme, la fiscalité gagnerait en simplicité, mais surtout en équité.

Aujourd’hui, nous devons trouver non seulement des solutions, mais aussi de l’inspiration. Pour cela, nous tourner vers nos voisins proches et moins proches est toujours utile.

Si nous regardons du côté du Japon, nous constatons qu’il est possible de passer d’un endettement de 100 % à 200 % du PIB.

A contrario, nous pouvons aussi observer comment, voilà quelques années, le Canada est parvenu à redresser la situation de ses finances publiques. En 1994, le Wall Street Journal annonçait la faillite de ce pays. Le déficit public s’élevait à plus de 5 % du PIB alors que la dette atteignait 67 % de la richesse intérieure. En trois ans, ce déficit était résorbé ; en dix années, la situation financière du pays était assainie.

Le pays, le modèle social, la situation mondiale, la période, tout diffère, et il s’agit non pas de dresser des comparaisons, ni de chercher un modèle, mais de tirer des enseignements utiles.

Le premier de ces enseignements, c’est qu’avant l’action il est indispensable de passer par une phase que les Canadiens ont appelé la « conscientisation ».

La « conscientisation », c’est un effort concerté de lucidité et de responsabilité de la part des acteurs publics, des élus locaux, de la société civile. C’est la conviction que remettre le problème à plus tard, c’est hypothéquer l’avenir des générations futures. C’est la volonté partagée de donner aux citoyens de demain la possibilité de bâtir l’avenir de leur choix.

Concrètement, cette étape exige clarté et dialogue. Je citerai un exemple, certes modeste. En organisant chaque année, par grand secteur dans mon département, un rendez-vous de proximité avec les élus et en rapprochant ces derniers des entreprises installées sur leur territoire, j’ai constaté que le dialogue qui se nouait entre collectivités et entrepreneurs profitait non seulement au lien social, ainsi qu’au développement et à l’animation des territoires, mais surtout à la compréhension mutuelle. Cela doit permettre de rapprocher les points de vue et les préoccupations de tous les acteurs concernés au lieu que ceux-ci se tournent le dos.

En allant à la rencontre de nombreuses entreprises dans le cadre des travaux que je mène actuellement sur le crédit d’impôt recherche, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget de la recherche, j’ai constaté que de nombreuses PME hésitaient à recourir à ce crédit d’impôt parce qu’elles craignaient l’administration fiscale. Or cette administration peine parfois à suivre l’utilisation des sommes perçues par les holdings de grandes entreprises au titre de cette mesure.

Aujourd’hui, il faut accepter le fait que le retour de la croissance passera, notamment, par une baisse des charges imposées aux entreprises, en particulier celles qui pèsent sur leurs investissements. Mais nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur la répartition des richesses. Cela doit aller de pair : il est urgent de permettre à l’entrepreneur d’être plus compétitif, tout en répartissant mieux les fruits de la création de richesse.

La « conscientisation » implique, pour les collectivités territoriales, d’accepter, en même temps que le besoin de compétitivité des entreprises, leur propre besoin de se moderniser et d’être plus compétitives.

La suppression de la taxe professionnelle ne peut pas consister uniquement en une substitution ; il faut réformer en profondeur. En ce sens, figer la situation actuelle, avec ses anomalies, ses inégalités, serait une erreur grave. Comme l’a indiqué le rapporteur général, cette réforme importante ne peut pas être adoptée à l’emporte-pièce et nous souscrivons pleinement à son examen en deux temps, mais aussi à la clause de révision.

Nous proposons des principes clairs pour guider la répartition des ressources entre collectivités lors du projet de loi de finances rectificative pour 2010 et nous jugeons indispensable que le dispositif qui sera adopté à cette occasion soit réexaminé après la réforme des compétences des collectivités territoriales.

La responsabilisation des collectivités doit être accompagnée d’une rénovation de leur autonomie financière, c’est-à-dire de leur autonomie fiscale, mais aussi de leur autonomie en termes de dépenses. Nous défendrons un amendement pour que les décisions entraînant la création d’une dépense pour les collectivités soient soumises à l’accord des associations représentatives des élus locaux, comme l’avait préconisé au Sénat la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales.

La conscientisation doit être suivie de l’action. De l’un à l’autre, évidemment, il y a un pas. L’action, ce n’est pas la réduction générale et indiscriminée des dépenses publiques. Ce n’est pas non plus la poursuite de la chimère qui voudrait que l’on puisse faire toujours plus avec toujours moins. L’action exige de nous une discipline. Nous ne pouvons pas prétendre redresser notre situation en augmentant les dépenses et en baissant les impôts. C’est impossible.

Voilà, mes chers collègues, les quelques lignes de conduite qui guideront, je l’espère, nos efforts tout au long de l’examen de ce projet de loi et au-delà, vers la sortie de l’ornière. Assurément, la voie à emprunter n’est ni facile ni rapide, mais rien n’est plus encourageant que d’évoluer vers le succès. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, un budget s’apprécie dans un contexte macroéconomique, dans un schéma général de finances publiques, et dans l’orientation fiscale à laquelle il se réfère.

Le Gouvernement a bâti son budget sur une hypothèse de croissance de 0,75 %, hypothèse prudente alors que les experts tablent plutôt sur 1,2 %. Mme la ministre de l’économie s’est réjouie de la croissance de 0,3 % annoncée au troisième trimestre de 2009. S’il est vrai qu’au point de vue technique cela signifie la fin de la récession, cela ne peut masquer la réalité. Je vais citer des chiffres qui sont quelque peu différents de ceux qui nous ont été cités ce matin.

En effet, si l’on compare l’année 2008 à l’année 2009, c’est-à-dire la période ayant précédé la crise financière et son explosion, et la période actuelle, la perte de richesse pour notre pays est de 55 milliards d’euros, soit près de 2,75 % de croissance perdue. Si la tendance de 2007 s’était poursuivie, c’eût été comparativement 5 % de richesse en moins, soit environ 100 milliards d’euros. Que veulent dire ces chiffres ? Cela signifie, en clair, un appauvrissement de la France et des Français.

Dès lors, la question est dans toutes les têtes : comment se fera l’ajustement ? Traduite de manière plus triviale, la question que se posent tous les Français est simple : qui paiera ? Force est de constater que, jusqu’à présent, ce ne sont paradoxalement pas les riches, et ce à cause de la rigidité idéologique du Président de la République et du Gouvernement.

Ce matin, madame, monsieur les ministres, vous vous êtes consolés en vous comparant à nos partenaires européens. Certes, si l’on se compare à l’Irlande, qui avait fondé toute sa stratégie sur le dumping fiscal et la financiarisation de son économie, on peut se réjouir. Mais quand on regarde comment l’Allemagne, notre partenaire essentiel, est entrée dans la crise, on ne peut pas se réjouir.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’Allemagne s’engage dans des baisses d’impôt !

Mme Nicole Bricq. Nous faisons donc face à un contexte économique morose, où la faible croissance sera synonyme, quelle qu’elle soit, d’accentuation du chômage de masse, auquel il faudra ajouter un état très dégradé des finances publiques, un déficit de 141 milliards d’euros en 2009, et un déficit annoncé de 116 milliards d’euros en 2010. Le Premier ministre, du reste, a annoncé qu’il ferait connaître sa stratégie de finances publiques au début de l’année 2010, afin de ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2014.

Il est dommage que le Gouvernement n’ait pas saisi l’occasion de l’examen de loi de finances pour nous faire connaître son cheminement ainsi que les ajustements qu’il compte opérer. Nous devons donc en conclure que le budget dont nous parlons est un budget virtuel (M. le ministre proteste.), et ce d’autant plus que l’emprunt voulu par le Président de la République aura des conséquences inévitables sur nos finances.

Maastrichtien ou pas, notre déficit sera de plus de 10 % en 2011 parce qu’il faudra bien intégrer, que vous le vouliez ou non, l’emprunt de 22 milliards d’euros qui devrait nous être annoncé. Il faut rappeler, vous connaissez ces chiffres, que nous empruntons 252 milliards d’euros en 2009 et que, compte tenu du déficit prévisionnel, nous emprunterons 212 milliards d’euros en 2010. Cela relativise l’emprunt.

Le seul ajustement que vous proposez s’opère sur la dépense publique. Cela veut dire que vous refusez d’agir sur les recettes de l’État. Paradoxalement, la seule recette sur laquelle vous jouez dans ce budget, c’est celle des collectivités locales. Vous les privez de leur recette principale tout en ajoutant près de 12 milliards d’euros au déficit.

M. Nicolas About. C’est inexact ! On ne peut pas dire une chose pareille !

Mme Nicole Bricq. Le Président de la République en avait fait la promesse au MEDEF lors de sa campagne de 2007. Que lui importe si tout cela se fait dans l’impréparation et la confusion !

Ce qui n’est pas virtuel, en revanche, c’est l’acharnement du Gouvernement à défendre un schéma fiscal qui s’enferme dans des mécanismes inégalitaires, qui plombe les recettes de l’État et le prive de toute efficacité pour assurer la sortie de crise. Je voudrais vous en citer quelques exemples.

Le Gouvernement a commencé cette discussion budgétaire en faisant taire sa majorité parlementaire, qui souhaitait aménager quelque peu le bouclier fiscal. Tout au plus lui a-t-il consenti un petit correctif technique dans la deuxième partie du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale. Plus tard, sur l’initiative du groupe UMP de l’Assemblée nationale, le Gouvernement a non seulement accepté mais soutenu l’amendement qui vise à fiscaliser les indemnités journalières versées au titre des accidents du travail.

Ce vote est injustifiable ! Il rapporterait 150 millions d’euros au mieux, quand vous amputez dans le même temps de 3 milliards d’euros les recettes de l’État, sans contrepartie, avec la baisse de la TVA dans la restauration. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Vous avez déclaré, monsieur le ministre, à cette occasion, que le système des indemnités journalières des accidentés du travail était une « anomalie fiscale » à « réparer ». Mais c’est bien l’ensemble de notre fiscalité, telle qu’elle est mise en œuvre depuis 2002 qui est une anomalie ! L’initiateur de cette pitoyable mesure, le président du groupe UMP de l’Assemblée nationale, n’a pas froid aux yeux puisqu’il la revendique au nom de « l’équité ». Mais c’est toute la fiscalité qui est inéquitable !

Parmi les quelque 500 niches fiscales, il en est une que M. Copé connaît bien : l’exonération des plus-values sur les titres de participation, créée en 2004 à l’occasion de la loi de finances rectificative et qui a coûté à l’État 12,5 milliards d’euros en 2008 et 8 milliards d’euros en 2009. Dans ces conditions, est-il vraiment nécessaire d’emprunter ?

Vous renvoyez à plus tard l’examen des niches fiscales. Alors que le plafonnement adopté l’année dernière n’a pas prouvé son efficacité, nous proposerons de le modifier. En effet, la feuille de route du groupe socialiste est claire : il s’agit pour nous de rétablir l’impôt dans sa fonction essentielle de redistribution des services publics de qualité et de redistribution à l’égard des plus faibles. Il nous faut réarmer notre fiscalité, tout le monde en convient mais cela reste un sujet tabou. Pourtant, vous savez bien que toute baisse d’impôt est une ineptie financière et économique, car elle se finance à crédit.

Cette confrontation autour de la fiscalité, ce rendez-vous, nous l’aurons avec l’opinion, dont une nette majorité se sent trahie par les promesses fallacieuses qui lui ont été faites en 2007.

Le portrait social dressé tout récemment par l’INSEE est éloquent : stagnation salariale, inégalités de patrimoine, tout conduit les Français à restreindre leur consommation, à différer leurs investissements, et à craindre encore une fois de n’être appelés à des efforts supplémentaires, alors même que les plus aisés continueraient à être protégés au nom de l’attractivité et de la compétitivité.

C’est l’argument que vous avez avancé, madame la ministre, pour justifier, au début de ce quinquennat, le vote de la loi TEPA. Il est significatif que vous repreniez le même argument, pour supprimer la taxe professionnelle sans avoir remplacé cet impôt par un impôt efficient. C’est la principale innovation fiscale de ce budget.

Vous affirmez sans le démontrer qu’elle est un handicap majeur à l’installation et au développement des entreprises. Rappelez-vous l’expression qu’avait utilisée François Mitterrand il y a déjà près d’une trentaine d’années à propos de la taxe professionnelle, qu’il avait qualifiée d’« impôt imbécile » !

M. Nicolas About. Quel visionnaire ! On l’a vu avec le mur de Berlin !

Mme Nicole Bricq. Vous savez très bien que, depuis lors, elle a été réformée, et que la réforme de 1999 qui en supprimait la part salariale a été très bénéfique pour l’emploi, comme cela a été dit ce matin

M. François Marc. La droite veut la rétablir !

Mme Nicole Bricq. Bien sûr, elle pose un problème à nos industries, notamment celles qui sont exposées à la concurrence internationale. Fallait-il pour autant procéder à un allégement général de la fiscalité des entreprises,…

Mme Nicole Bricq. … que vous tentez en vain de présenter comme une réforme de la fiscalité locale ? Que ne défendez-vous nos industries, dans le cadre d’une véritable politique industrielle visant à réarmer notre appareil productif, qui est mal orienté sur les marchés extérieurs et insuffisamment novateur ?

Mais, là encore, votre projet, qui inquiète villes et campagnes, qui trouble votre majorité, impuissante à faire face localement aux craintes et aux angoisses, et qui fait redouter aux ménages d’en supporter le poids, est teinté d’idéologie. Celle-ci repose sur la méfiance à l’égard de l’ensemble des élus, qui gèrent au mieux les collectivités dont ils ont la charge. Le message subliminal du discours prononcé à Saint-Dizier par le Président de la République est le suivant : il y a trop d’élus et ils coûtent trop cher.

Madame la ministre, vous avez eu une phrase malheureuse en disant que vous ne souhaitiez pas « organiser la féodalité ». Doit-on traduire que la décentralisation est une féodalité ? C’est faire injure aux 500 000 élus locaux, souvent bénévoles, et aux 36 000 communes qui font la France. Elles sont le visage de la France !

M. Nicolas About. Ce n'est pas à eux que pensait Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq. Ce retour à la centralisation par le biais de dotations d’État, au demeurant en diminution constante depuis 2002, est une grave régression, et ce d’autant plus que l’État est impécunieux, qu’il paie ses factures à coup d’emprunts et d’intérêts. Certes, les taux sont bas aujourd’hui, mais jusqu’à quand le seront-ils ?

Nos collègues de la majorité sénatoriale qui accepteront le premier volet de la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises se condamnent à l’impuissance et à l’incompréhension de leurs collègues élus et de leurs concitoyens. En effet, comment pourrions-nous répartir de manière satisfaisante un produit qui diminuera de moitié, faute de disposer d’une assiette suffisante ?

À propos de la procédure que vous avez instituée, M. le rapporteur général de la commission des finances a dit qu’elle se déroulerait en « un temps, deux mouvements ». Inversant cette formule, je dirai qu’elle se fera plutôt en « un mouvement et deux temps : dans un premier temps, vous asséchez les ressources, et dans un second temps, vous étouffez le pouvoir local par des projets de loi d’organisation territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Madame la ministre, depuis que vous êtes venue devant la commission des finances, le 9 septembre dernier, défendre la suppression de la taxe professionnelle, votre discours n’a pas varié d’un iota. Vous nous avez dit, en réponse à notre collègue Edmond Hervé, que cette taxe était faite pour les entreprises et non pour les collectivités locales. Tous ceux qui, sur ces travées, s’affirment décentralisateurs ne peuvent nier que la taxe professionnelle, avec tous ses défauts, a été un moteur de la décentralisation et un accélérateur puissant de l’intercommunalité.

Ce que je comprends, à travers les déclarations du Premier ministre, du ministre chargé des comptes publics, et à travers les écrits cosignés par MM. Marini et Longuet, c’est que les collectivités locales devront contracter leurs dépenses pour respecter l’objectif des  3 %. On leur demandera simultanément de soutenir leur effort d’investissement. Elles ont pourtant réduit leur dette de 9,5 % à 7,5 % en 2008, alors que celle de l’État atteindra 84 % du PIB. J’ajoute que leurs dépenses représentent en France 11,3 % du PIB, alors que la moyenne européenne s’élève à 12,7 %.

M. Josselin de Rohan. Et les dépenses de fonctionnement des régions ?

M. le président. Il faut conclure, madame Bricq !

Mme Nicole Bricq. La loi de finances pour 2010 devient, par la médiation de M. Marini, une loi expérimentale et hasardeuse, destinée à préparer des simulations de répartition et à les adapter, le moment venu, aux compétences qui seront redéfinies au mois de janvier.

Madame la ministre, vous défendez avec la même opiniâtreté le milieu bancaire ; nous y reviendrons quand nous présenterons nos amendements. Ce que nous voulons, c’est qu’à l’avenir les contribuables ne soient pas appelés à être les assureurs des risques excessifs pris par les banques.

Mes chers collègues, nous aurons également à évoquer de nouveau la taxe carbone, un impôt mal ficelé dont l’assiette est étroite et injuste. J’y reviendrai au cours de notre débat.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Nicole Bricq. Je conclus, monsieur le président.

Les Français ressentent une lassitude générale. En particulier, ceux qui avaient sincèrement cru à la réforme se détournent de l’homme qui prétendait l’incarner. Le verni a craqué : il ne reste que l’idéologie, la posture et le conservatisme. Je crois véritablement que vient le temps de l’alternance,…

M. Nicolas About. Justes cieux ! (Sourires.)

M. Éric Woerth, ministre. Avec M. Peillon ?

Mme Nicole Bricq. … qui reposera à la fois sur un contrat social conclu avec les Français, dans lequel la fiscalité progressive retrouvera sa juste place, et sur un pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales, afin d’assurer le financement de l’action publique. C’est à ce projet que nous, socialistes, travaillons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, la crise dans laquelle se trouve installé notre pays depuis plus d’un an est, certes, moins spectaculaire qu’à ses débuts.

Les grandes faillites bancaires, de Bern Stern à Lehman Brothers, qui ont plongé le monde dans le souvenir cruel de la grande dépression de 1929, semblent derrière nous. Les banques se sont refait une santé, ou peu s’en faut, parfois avec indécence, d'ailleurs. Ainsi, nous constatons qu’elles sont retournées très vite à leur activité favorite, la spéculation, alors que des dizaines de milliers d’entreprises continuent à mettre la clé sous la porte faute de liquidités pour survivre, faute d’aide de la part desdites banques !

Malgré quelques prévisions optimistes de retour à la croissance, ne nous voilons pas la face, mes chers collègues. De bons indices boursiers ne sont pas forcément le signe d’une véritable reprise, mais plutôt, une fois encore, le reflet du décrochage entre la finance et l’économie réelle.

En effet, la réalité quotidienne de nos concitoyens est bien, hélas, en rapport avec un PIB en recul de plus de 2 % en 2009. Le chômage, qui pourrait bientôt atteindre le chiffre inquiétant de 10 %, et la pauvreté, qui gagne du terrain, en particulier chez les jeunes, attestent d’une crise profonde et durable.

Mes chers collègues, si cette récession est moins grave pour la France que pour les autres pays de la zone euro, dont le PIB avoisine une chute de 4 %, elle est néanmoins plus dure que celles de 1993 et 1975. Le plan de relance, sans doute nécessaire pour juguler la crise à court terme, se révèle insuffisant pour redresser plus fortement la consommation et entraîner une véritable reprise.

Dans ce contexte, l’exercice budgétaire est difficile, nous le reconnaissons. L’état de nos finances publiques est déplorable : les déficits publics dans leur ensemble devraient atteindre 8,5 % du PIB en 2010.

Le pacte de stabilité n’est plus qu’un vieux souvenir, même si Bruxelles risque de le rappeler prochainement à notre mémoire. Le déficit de la France se rapproche de ceux de l’Irlande, de l’Espagne et du Royaume-Uni, qui oscillent entre 9 % et 10 %.

Certes, la situation est exceptionnelle, et nous savons bien, mes chers collègues, distinguer ce qui relève du conjoncturel et ce qui relève du structurel. Toutefois, nous voyons bien aussi que, au-delà des plans particuliers de relance, le pilotage plus classique de notre économie par des choix fiscaux pertinents peine à convaincre et ne concourt pas à améliorer la situation, bien au contraire !

Pour l’essentiel, la politique du Gouvernement consiste, depuis l’adoption de la loi TEPA, à faire des cadeaux fiscaux à ceux qui n’en ont pas vraiment besoin et à prétexter la RGPP pour lutter contre les déficits.

Avec une économie de 500 millions d’euros par an, il faudra beaucoup de temps pour rattraper les 140 milliards d’euros de déficit du budget 2009.

M. Jean-Michel Baylet. À moins, madame, monsieur les ministres, que vous ne supprimiez les écoles, les hôpitaux et les élus qui, paraît-il, coûtent trop cher, la révision générale des politiques publiques ne sera pas le sésame du retour à un déficit soutenable pour notre pays.

Dès lors, puisqu’il faut bien trouver des solutions pour relancer la croissance, le Président de la République a soudainement annoncé, en février dernier, la suppression de la taxe professionnelle, la TP.

Nous y voilà, puisque l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010 jette les bases des deux nouvelles taxes de substitution à la TP, à savoir la cotisation locale d’activité et la cotisation complémentaire.

Madame la ministre, vous présentez la réforme de la taxe professionnelle comme une nouvelle étape de votre politique de soutien à l’investissement et à l’emploi. La disparition de ce prélèvement constituerait, selon vous, une réponse aux délocalisations, et le Président de la République ne se gêne pas pour le claironner. Or c’est faux !

Nous savons très bien que les délocalisations sont motivées par la recherche de salaires bas dans des pays qui n’ont aucune exigence sociale pour leurs travailleurs.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pas seulement !

M. Jean-Michel Baylet. En France, les entreprises considèrent les charges sociales, avant tout, comme le principal frein à leur développement.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !

M. Jean-Michel Baylet. S’agissant de la taxe professionnelle, depuis les réformes portées par Alain Juppé et Dominique Strauss-Kahn, les entreprises comprennent bien que ce prélèvement a aussi une fonction économique et qu’il leur est restitué, certes indirectement, par le biais des investissements que les collectivités locales réalisent en matière d’infrastructures routières, de formation ou de haut débit, par exemple.

Aussi, mes chers collègues, est-il opportun de programmer une telle réforme dans le contexte économique que je viens de rappeler ?

Il faut le reconnaître : la crise a fortement mobilisé les collectivités locales, qui ont pris part aux politiques de relance. Nous qui travaillons sur le terrain, nous avons besoin, aujourd’hui plus que jamais, de sérénité et de clarté pour exercer nos responsabilités.

Or, même si les débats parlementaires lèvent progressivement le voile sur la réforme de la TP, bien des incertitudes demeurent.

La commission des finances tente un compromis pour calmer la grogne qui s’exprime ici sur toutes les travées, à droite comme à gauche, mais le Gouvernement s’entête à vouloir faire passer coûte que coûte, au forcing, une réforme rejetée de toutes parts. Il reste sourd aux messages des parlementaires de tous horizons, qui relaient pourtant le désarroi de milliers d’élus locaux.

Les maires, les conseillers généraux, les conseillers régionaux l’ont encore rappelé cette semaine à Paris à l’occasion du congrès des maires de France : ils s’opposent aux dispositions prévues dans le cadre du projet de loi de finances parce qu’elles ne sécurisent pas les ressources de toutes les collectivités – j’y insiste –, parce qu’elles ne règlent pas la question des dépenses de solidarité, ni pour le passé ni pour l’avenir, parce qu’elles portent atteinte à l’autonomie fiscale des départements et parce qu’elles transfèrent sur les ménages le poids de l’impôt.

La suppression de la TP heurte, vous le savez, le principe d’autonomie financière inscrit dans la Constitution. Ce projet de loi fait peu de cas de l’article 72-2 introduit par la réforme constitutionnelle de mars 2003, et le dispositif de remplacement de la TP déplacera le niveau de la fameuse part prépondérante.

Certes, la TP sera partiellement compensée par le produit d’une nouvelle taxe, la CET, la contribution économique territoriale. Toutefois, sur les quelque 22 milliards d’euros que rapportait la taxe professionnelle, il manque toujours près de 10 milliards d’euros. Pour nous les rendre, le Gouvernement a donc choisi l’option des ressources transférées par l’État : frais d’assiette et de recouvrement, frais d’admission en non-valeur, droits de mutation à titre onéreux, DMTO, taxe spéciale sur les conventions d’assurance, TSCA, taxe sur les surfaces commerciales, Tascom, dotations budgétaires…

Autant dire que le Gouvernement a fait le choix d’une recentralisation, en nous ramenant sous le régime des dotations budgétaires, celui d’une époque révolue depuis les lois de décentralisation, c'est-à-dire depuis 1982.

De surcroît, cette réforme contredit pleinement le principe de la libre administration des collectivités locales, car la multiplication des dotations porte atteinte au droit fondamental des collectivités de fixer et de prélever librement l’impôt.

J’ajoute que ce dispositif entraîne une rupture du lien contractuel entre les citoyens et leurs collectivités. Cette recentralisation nuit donc au pacte qui soude les individus et leurs territoires ; en l’occurrence, la suppression de la TP brise aussi le lien fiscal entre les entreprises et la collectivité.

En outre, s’agissant des dotations, n’oublions pas que celles-ci ne sont pas des recettes actives, et la suppression d’une ressource dynamique privera les collectivités d’un levier fiscal indispensable pour lancer des actions économiques et sociales.

Enfin, les dotations constituent une source d’incertitudes pour les collectivités. Madame, monsieur les ministres, comment bouclerons-nous nos prochains budgets ? Au-delà de 2010, comment croire que la compensation sera intégrale quand on a en mémoire les promesses de dédommagement à l’euro près, formulées au moment de chaque nouveau transfert de compétences, mais jamais tenues dans les faits ?

Je me souviens encore de Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget, en visite à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, le département dont je suis l’élu, évoquant le RMI-RMA et s’engageant à compenser à l’euro près le transfert de cette prestation !