Mme Bariza Khiari. … elle a tenu avec efficacité son rôle d’expertise juridique. Et nous sommes attachés à sa pérennité.

Je ne comprends pas que l’on puisse reprocher à la HALDE de tenir son rôle quand nous-mêmes, législateur, ne parvenons pas à contrôler l’application de nos votes !

Nous avons ensemble, mes chers collègues, de part et d’autre de l’hémicycle, voté trois dispositifs de lutte contre les discriminations : le CV anonyme, un mécanisme d’aide aux vieux travailleurs migrants et la suppression des emplois liés à une condition de nationalité. Or aucun de ces votes n’a été suivi d’effet. Pourtant, je suis intimement convaincue que la lutte contre les discriminations ne peut se cantonner à de grands discours généreux et qu’il vaut mieux, en la matière, des décisions limitées mais concrètes et effectives.

Je regrette le temps et l’énergie perdus dans les débats d’évitement récurrents sur les statistiques ethniques et les velléités de discriminations positives. Nous devons changer nos pratiques, pas nos principes : nos principes sont bons !

La lutte contre les discriminations doit s’appliquer à faire de l’ingénierie sociale. C’est ainsi, notamment, que s’est exprimée la volonté du législateur avec le CV anonyme. Sa mise en place aurait permis, au moins à l’étape de la sélection des candidatures, de gommer les différences tant raciales que sociales, ne laissant la place qu’à des données objectives d’expérience, de compétences et de formation.

Notre tradition de méritocratie républicaine impose l’anonymat aux concours et aux examens écrits. Il faut aujourd’hui étendre ce principe au CV, l’anonymat au moment de la sélection des CV permettant au recruteur d’intervenir en toute objectivité, en fonction des seuls critères de qualification, avant, bien entendu, qu’un entretien donne au candidat l’occasion de faire valoir sa personnalité. Cet outil aurait une portée pédagogique évidente et permettrait de lutter contre le conformisme des recruteurs et l’autocensure des candidats à l’emploi.

Évidemment, la lutte contre les discriminations ne saurait se réduire à la promotion du CV anonyme. Je n’ai pas la naïveté de croire qu’il s’agirait d’une panacée ; il ne s’agit que d’un outil parmi d’autres.

Malheureusement, après son adoption dans le cadre de la loi pour l’égalité des chances, le Gouvernement a renoncé à adopter le décret d’application. À cet égard, j’ai été très surprise d’entendre, en janvier dernier, face à un panel de Français réunis à l’occasion d’une émission de télévision, le Président de la République se flatter d’avoir fait adopter ce dispositif !

Monsieur le secrétaire d'État, voici donc ma première question : pourquoi cette disposition législative, pourtant revendiquée face aux Français par le Président la République, n’est-elle toujours pas appliquée ?

La deuxième mesure votée par le Parlement et qui n’est toujours pas entrée en vigueur concerne les vieux travailleurs migrants. Venus pour la plupart du Maghreb pour travailler en France dans les années 1960 et 1970, ceux que l’on appelle aujourd’hui les « chibanis » avaient l’intention de retourner dans leur pays une fois leur labeur terminé.

Les chibanis sont des hommes vieux, seuls, pauvres, souvent analphabètes. Leur quotidien tourne autour du foyer SONACOTRA, des parties de dominos et des maigres sommes qu’ils envoient à leur famille restée au pays et qui, à leurs yeux, représentent la légitimité même de leur existence. Aujourd’hui, ils sont de facto assignés à résidence.

En effet, après avoir connu une vie professionnelle faite de contrats courts, souvent non déclarés et mal rémunérés, dans le bâtiment ou l’agriculture, ils ne peuvent prétendre aujourd’hui à une pension décente : ils perçoivent en moyenne 150 euros de retraite contributive, auxquels s’ajoute le minimum vieillesse, soit, au total, 620 euros mensuels. Toutefois, pour bénéficier du minimum vieillesse, il leur faut résider en France de façon « stable et régulière »…

Les chibanis se trouvent ainsi confrontés à un véritable dilemme : rester en France afin de pouvoir envoyer un petit pécule à la famille restée au pays, ou y rentrer, avec leur minuscule retraite pour seule ressource. Aussi font-ils le plus souvent le choix de demeurer en France, dans des conditions d’extrême précarité et de très grande solitude.

À l’occasion de la discussion du projet de loi instituant le droit au logement opposable, ou DALO, le Sénat, en plein accord avec M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, a voté en faveur de la création d’un dispositif tout à fait innovant qui permet à cette catégorie de retraités pauvres de retourner chez eux pour des périodes longues tout en préservant leurs ressources et leurs droits.

Une telle aide a une portée effective forte, mais elle est aussi symbolique, car ce vote intervenait deux ans après l’adoption de l’article sur « l’aspect positif de la colonisation ». Compte tenu de l’effet déplorable qu’a produit cette formule sur les populations immigrées venues de l’ancien empire français, il était temps que la République fasse taire ses atavismes coloniaux !

Le nouveau dispositif aurait pu y contribuer, en reconnaissant que ces immigrés issus des anciennes colonies, qui ont participé à la reconstruction et à la croissance économique de la France, ont droit, comme tout individu, à une retraite décente.

L’unanimité qui s’est créée autour de cette question est à l’honneur du Sénat. Apporter une réponse à la situation inacceptable des chibanis était affaire de dignité, pour eux, certes, mais aussi pour la République.

D’où ma deuxième question, monsieur le secrétaire d'État : pourquoi, en dépit de ce vote unanime, le Gouvernement n’a-t-il pas adopté le décret d’application nécessaire ?

La troisième disposition votée par le Sénat concernait les « emplois fermés ». Cette expression désigne les professions libérales ou privées dont l’exercice est soumis à la double condition de diplôme et de nationalité. Quelque 600 000 emplois se trouvent concernés. Il s’agit d’une législation obsolète, connotée et moralement condamnable. À formation et diplôme identiques, un ressortissant étranger ne dispose pas des mêmes droits selon qu’il est issu de l’Union européenne ou d’un autre pays !

La proposition de loi que j’ai présentée visait à supprimer la condition de nationalité. Elle a été votée à l’unanimité des groupes politiques du Sénat en février 2009, mais elle n’a pas encore fait l’objet d’un examen à l’Assemblée nationale. Il faut néanmoins noter que le Gouvernement a intégré une partie des dispositions de ce texte dans la loi dite « Hôpital, patients, santé et territoires ».

Ainsi, depuis août 2009, les médecins et les personnels de santé dont les métiers étaient visés par la clause de nationalité peuvent bénéficier d’un statut identique à celui de leurs collègues français, à condition toutefois, monsieur le secrétaire d'État, que soient obtenus des engagements en ce qui concerne le changement de situation administrative des diplômés concernés.

Enfin, je ne peux pas ne pas faire le lien entre la criminalisation de l’immigration que le Gouvernement met en place de façon systématique et les discriminations dont souffrent nos concitoyens.

En ce moment même, le conseil des ministres examine un nouveau texte – le sixième depuis 2002 ! – tendant à durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Et cette fois encore, ces derniers, uniquement parce qu’ils sont étrangers, sont traités comme des criminels. Cela devient du harcèlement législatif !

Enfin, monsieur le secrétaire d'État, j’ai cru comprendre que le Gouvernement souhaitait, pour resserrer les rangs de sa majorité, revenir à ses « fondamentaux » en faisant adopter au plus vite une loi « anti-burqa ».

Il est important de rappeler que le port de cet accoutrement ne constitue pas une prescription coranique. La burqa ne peut donc être qualifiée de « voile intégral islamique », comme le titrait hier encore un grand journal du soir. Cette qualification erronée, de plus en plus répandue, contribue, là encore, à stigmatiser une confession et toute une partie de la population française.

Nous, socialistes, condamnons avec fermeté le port du voile intégral, que nous jugeons bien entendu incompatible avec les valeurs de la République. Nous estimons également que la burqa peut être de nature à troubler l’ordre public. Néanmoins, en la matière, il nous semble nécessaire de privilégier des voies de l’action publique pour lutter contre cette pratique sectaire : la pédagogie, oui, la démagogie, non ! Aussi, nous nous opposerons à une loi de circonstance, qui risquerait fort de ne contenir que des dispositifs juridiquement contestables, inadaptés ou inapplicables.

Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point : l’intégration ne passera pas par une nouvelle stigmatisation infligée à une population qui, au quotidien, souffre déjà de racisme et de discrimination.

La France que nous aimons est une République formée de citoyens égaux, sans distinction d’origine, de sexe, ou de religion, comme l’énonce notre Constitution. La France que nous aimons est celle qui, pendant des décennies, est parvenue à relever le défi politique consistant à sublimer les identités particulières pour forger une identité collective puissante, tournée vers l’émancipation, l’égalité, la méritocratie et la construction commune d’un avenir.

Les déclarations du Gouvernement, les décisions qu’il prend, mais aussi celles qu’il ne prend pas, fragilisent jour après jour cette France-là et dessinent une société fracturée, marquée par l’inégalité, l’injustice et l’exclusion. Face à cette démission républicaine de la majorité politique, les socialistes resteront mobilisés !

Par des mesures simples, les parlementaires de toutes tendances ont voulu s’attaquer aux pratiques discriminatoires. À travers notre vote, nous avons adressé un message d’espoir aux populations fragilisées. Alors, monsieur le secrétaire d'État, pourquoi ces trois votes n’ont-ils pas été suivis d’effets ? Oui, pourquoi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, une discussion sur la lutte contre les discriminations est la bienvenue dans notre hémicycle, même si, malheureusement, il faudrait bien plus qu’une heure et demie de débat et un auditoire beaucoup plus large pour tenter de réparer les dégâts causés par les politiques de discrimination menées par le Gouvernement, ainsi que les clichés xénophobes véhiculés – faut-il le rappeler ? – par certains des ministres eux-mêmes !

Qu’elles soient à vocation électoraliste ou qu’elles expriment un racisme ordinaire, les phrases qui ont été prononcées ont de quoi donner le vertige. Néanmoins, ce n’est peut-être pas là le plus grave, car si les paroles s’envolent, les écrits restent.

En effet, ces dernières années, malgré une campagne de communication tonitruante, les politiques publiques menées par le Président de la République et le Gouvernement n’ont fait qu’accentuer les discriminations, qu’elles soient raciales, sociales, d’accès aux soins, générationnelles ou liées au sexe.

Le discours prononcé par le Président de la République à l’École polytechnique le 17 décembre 2008 est à ce titre particulièrement éloquent. En effet, le chef de l’État passait en revue les différents espaces où sévissent les discriminations, pour s’en indigner. Il se demandait si l’on pouvait « encore parler de République quand l’école ne parvient plus à compenser les handicaps sociaux. »

Ce questionnement est assez paradoxal quand on sait que ce gouvernement est celui qui a supprimé le plus de postes de professeurs : plus de 11 000 en 2008, 13 000 en 2009, et 16 000 suppressions supplémentaires sont prévues pour 2010, tout cela au détriment des établissements situés dans les quartiers les plus défavorisés et des filières professionnelles, qui subissent les coupes les plus importantes.

Face à cette pénurie dramatique, les « internats d’excellence » présentés comme le dispositif phare du volet éducation de la dynamique « Espoir banlieues » font pâle figure.

M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas si mal !

Mme Éliane Assassi. Regardons les résultats, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest. Mais ils sont excellents !

Mme Éliane Assassi. Je crois que nous n’en faisons pas la même lecture !

M. Jean-Jacques Hyest. Regardez les documents qui sont à votre disposition !

Mme Éliane Assassi. Passons outre au débat sur la discrimination positive, qui a été choisie de préférence à l’augmentation des moyens pour tous, et attachons-nous justement, monsieur Hyest, aux résultats : pour l’instant, 120 élèves, de la quatrième à la seconde, sont concernés par ce dispositif. Ils devraient être 500 à l’horizon 2011... En somme, pour un jeune placé en internat d’excellence, des centaines de postes sont supprimés, au détriment de milliers d’élèves !

Dans le même discours, le chef de l’État posait la question suivante : « Comment faire aimer la République à ceux qu’elle tient à l’écart ? À ceux qui ont la conviction que, quoi qu’ils fassent, quels que soient […] les sacrifices qu’ils consentent, ils ne peuvent pas réussir ? »

Au regard de l’abstention plus que massive que l’on constate dans les quartiers populaires, notamment chez les jeunes, la question paraît en effet plus que légitime. Le dernier rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles a montré que la situation des quartiers bénéficiant de la politique de la ville s’était encore dégradée depuis les émeutes de 2005. De fait, dans les ZUS, c'est-à-dire les zones en question, le chômage est plus fort que partout ailleurs sur le territoire, et l’écart se creuse toujours davantage. À caractéristiques de diplôme, de sexe, d’origine du père et de nationalité identiques, un jeune habitant de ZUS a encore environ 1,3 fois moins de chances d’obtenir un emploi stable qu’un jeune vivant dans un autre quartier.

À cette réalité s’ajoutent des problèmes urbains cruciaux, un enclavement très fort, un déficit d’équipements et de présence de l’État. Si la crise économique sert d’alibi pour expliquer cette situation, nous estimons, pour notre part, que l’absence de politiques publiques et le désengagement de l’État, à travers la suppression des services publics de proximité, sont les véritables responsables de ce déclin.

À cet égard, l’exemple des inégalités face à la santé est particulièrement éloquent. L’accès aux soins est en effet de moins en moins garanti. La réforme hospitalière produira à terme des inégalités territoriales majeures. En outre, les franchises médicales, présentées comme indolores, ferment la porte de l’accès à la santé pour bon nombre de nos concitoyens. C’est ce qu’a affirmé le Conseil d’État dans un arrêt du 6 mai 2009 annulant en partie un décret de 2007 au motif que le montant des franchises prévues était de nature à « compromettre le droit à la santé ».

Quant à la loi du 11 février 2005 sur le handicap, malgré les promesses électorales, elle a été peu à peu vidée de son contenu à coups de reports des contributions financières des entreprises, de dérogations aux règles d’accessibilité, de remises en cause des compensations, de retraits de l’État, celui-ci abandonnant la prise en charge éducative, et de diminutions de l’allocation aux adultes handicapés.

Face à ce terrible constat, l’Association des paralysés de France a qualifié 2009 d’« année noire du handicap », et elle n’hésite pas à parler d’une « régression sociale majeure ».

Enfin, dans le discours que j’ai déjà cité, le chef de l’État se demandait : « Comment faire comprendre la République à l’enfant qui se sent prisonnier de son milieu, de son quartier, de ses origines ? ». J’oserai répondre : certainement pas en durcissant toujours davantage les conditions d’accès à une situation légale de résidence !

La politique délirante d’expulsions menée par le Gouvernement a produit les pires résultats en termes de discriminations : des parents retirés à leurs enfants, des jeunes adultes expulsés vers des pays qu’ils ne connaissaient pas, des femmes raccompagnées dans le pays qu’elles avaient fui pour pouvoir vivre libres, des personnes renvoyées dans des zones en guerre... J’arrête là la liste, qui pourrait être encore longue !

Quant à ceux qui sont parvenus à sortir du labyrinthe bureaucratique de l’obtention du permis de séjour ou de la nationalité française, ils continuent à subir les stigmates de leurs origines. Une enquête menée en 2008 par l’INSEE et l’INED montrait que 40 % des personnes ayant déclaré une discrimination sont immigrées ou enfants d’immigrés, alors que ces catégories ne représentent que 22 % de la population adulte résidant en France.

Une étude tout aussi récente menée par deux chercheurs du CNRS a fait apparaître que, pour un individu, les « chances » de subir un contrôle d’identité inopiné par les services de police variaient, en fonction de la couleur de sa peau, de 1 à 7…

Dans ce contexte, les confusions entretenues par le Gouvernement entre immigration, « identité nationale », religion et délinquance ne font que banaliser toujours plus ces discriminations. Au premier chef, bien entendu, la création d’un ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale alimente cet amalgame.

Comme le disait à juste titre M. Diène, rapporteur spécial de l’ONU contre le racisme, entendu au mois de juin 2007 par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, ce ministère contribue à la « banalisation du racisme », favorisant en même temps une « lecture ethnique et raciale des questions politiques, économiques et sociales, et le traitement idéologique et politique de l’immigration comme un enjeu sécuritaire et comme une menace à l’identité nationale ».

Face à la multiplication des discriminations – j’aurais pu ajouter celles qui existent dans le monde du travail, notamment en matière d’égalité professionnelle et salariale entre hommes et femmes –, quels ont été les outils mis en place par le Gouvernement ?

Les internats d’excellence ? Cela vient d’être rappelé, ils ne concernent qu’une centaine d’élèves !

La présence de 25% d’élèves boursiers dans les classes préparatoires ? On en est resté, à cet égard, au stade de la simple déclaration !

Mme Éliane Assassi. L’augmentation de 25 % de l’allocation aux adultes handicapés à l’horizon 2012 ? Cela ne permettra même pas à ses bénéficiaires d’atteindre le seuil de pauvreté !

La mise en place du plan « Espoir banlieues » ? De l’avis de tous, ce programme est une coquille vide et un échec total !

Des autorités indépendantes chargées de défendre les droits des citoyens ? La suppression de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, celle du Défenseur des enfants décidée arbitrairement et sans aucune concertation et, comme nous le craignons, celle de la HALDE, dont les compétences sont largement reconnues, au profit d’un Défenseur des droits aux prérogatives aussi larges que floues, laissent augurer le pire.

Depuis trois ans, la lutte contre les discriminations a fait l’objet de nombreux débats, de plans de communication, de rapports, comme celui de M. Yazid Sabeg, qui a sans doute été « classé à la verticale », de déclarations fracassantes. Pour quels résultats ? Les dispositifs mis en place n’ont eu qu’un effet marginal, voire ont été sans effet aucun, et les politiques de casse sociale et de démantèlement des services publics menées par le Gouvernement n’ont fait que multiplier les cas de discriminations.

C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, en matière de lutte contre les discriminations, je mets un zéro pointé à ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les points évoqués par notre collègue Bariza Khiari. Je partage en grande partie son point de vue. Si le Gouvernement veut être crédible en matière de lutte contre les discriminations, il doit passer des paroles aux actes et prendre les mesures réglementaires attendues depuis trop longtemps.

Ainsi, voilà presque quatre ans que, sur l’initiative de Nicolas About, le CV anonyme a été introduit dans la loi. Si tout le monde comprend que, en raison du caractère novateur de cette mesure, sa mise en place demande un peu de temps, personne ne peut croire en revanche, après quatre ans de réflexions et de négociations sans résultat, que seule la complexité explique cet échec.

Monsieur le secrétaire d'État, si le Gouvernement veut convaincre, il lui faut montrer plus de volonté et de détermination, ce dont il n’a pas manqué sur d’autres sujets.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite que nous profitions de ce débat pour nous interroger sur l’évolution de la langue et des mots que nous utilisons lorsque nous abordons le problème des discriminations.

En réalité, quand nous évoquons ce sujet, nous ne faisons que nous pencher sur l’un des plus vieux problèmes des sociétés humaines, celui de l’injustice et de l’inégalité. Les esclaves romains parlaient d’affranchissement, les révolutionnaires français exigeaient l’égalité des droits, nous, nous parlons de discriminations, mais il s’agit du même sujet. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Mais la question est surtout de savoir quels présupposés et quelle conception de la société véhicule souterrainement ce nouveau vocabulaire.

La Révolution française nous a légué une lourde promesse : celle de pouvoir, grâce à la politique, abolir l’injustice et les inégalités sociales. Jusqu’à une période récente, ce combat pour l’égalité était un combat collectif, porté par l’idée de progrès : nous allions vers une société plus juste et plus équitable. Depuis les années 1970, cette confiance en l’avenir s’est fissurée : les inégalités et le sentiment d’injustice s’amplifient de nouveau. La promesse n’est pas tenue. Qui est responsable de ce recul ?

C’est ici, je crois, qu’intervient le basculement dans le vocabulaire de la discrimination : celui-ci est exactement contemporain du moment où est apparue une faille dans l’idée de progrès. Sur quels présupposés se fonde une analyse des injustices sociales en termes de discriminations ? Parler de discrimination, c’est parler de la volonté de traiter différemment, de traiter moins bien, d’exclure. Ce que sous-entend ce champ lexical, c’est que, si des injustices existent, elles relèvent de la responsabilité de ceux qui maltraitent ou qui excluent.

On perçoit là le danger politique et l’erreur intellectuelle qu’il y a à penser les inégalités en termes de discriminations. Car nous tendons maintenant à considérer que ce problème ancien des injustices, qu’aucune société humaine n’a véritablement réussi à résoudre, est dû à certaines personnes qui discriminent, c’est-à-dire qui maltraitent et excluent. Quelle régression !

Le combat pour l’égalité, hérité des Lumières, reposait sur l’idée d’un projet collectif, sur un espoir d’amélioration commune qui animait l’ensemble de la société. Le vocabulaire de la lutte contre les discriminations renvoie au contraire chaque individu à ses origines et généralise la suspicion envers les autres. Il fait l’impasse sur les aspects collectifs pour tout ramener à l’individu. Il réduit les problèmes généraux à des problèmes de personne.

Je prendrai l’exemple de l’accès au logement. Différentes enquêtes ont montré que, à niveau de ressources égal, il était plus difficile pour une personne dont le nom avait une consonance étrangère de devenir locataire. C’est donc la preuve que des discriminations existent dans l’accès au logement.

Cela étant, quel est le véritable problème en matière de logement ? C’est évidemment le fait que le nombre global de logements est insuffisant, que la demande est plus forte que l’offre. On voit donc bien le caractère à la fois limité et presque nuisible de l’approche du problème du logement en termes de lutte contre les discriminations. Le combat pour l’égalité d’accès au logement conduit à insister sur le vrai problème, c'est-à-dire le manque global de logements, alors que la lutte contre les discriminations donne à croire que, si certaines personnes n’ont pas d’appartement, c’est parce que d’autres refusent de leur en louer un.

D’un côté, on insiste sur les problèmes collectifs, on incite chacun à prendre part à la résolution des difficultés de l’ensemble de la société. De l’autre, on appuie sur ce qui divise, on simplifie à outrance des problèmes collectifs pour les réduire à des cas personnels.

Je prendrai un second exemple. Le droit européen ne comporte pas de principe général « à travail égal, salaire égal » valable pour tous, mais il énumère les motifs pour lesquels l’employeur n’a pas le droit de traiter moins bien un salarié. Parmi ces motifs, on trouve l’origine, la race, le sexe ou encore l’orientation sexuelle. On voit bien que, dans ce cas, le droit pensé en termes de lutte contre les discriminations, et non de combat pour l’égalité, entraîne le repli sur soi dans une posture victimaire : pour protester contre une inégalité salariale, un employé ne pourra pas faire valoir un principe général applicable à tous, mais devra montrer que l’employeur a voulu délibérément le traiter différemment en raison de ses origines ou de son orientation sexuelle. Comment peut-on maintenir la cohésion sociale dans notre pays si le droit même cantonne les citoyens à leurs origines et les incite à se diviser ?

Dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'État, il est vital que le gouvernement français réagisse à Bruxelles pour mettre fin à la propagation d’un droit communautariste européen dans les législations nationales, donc dans la nôtre. Voilà maintenant deux ans que la commission des affaires sociales a adopté, à l’unanimité, une résolution demandant au Gouvernement de modifier la sixième directive anti-discrimination, en cours de négociation. On sait que les représentants de la France à Bruxelles n’en ont tenu aucun compte. La directive qu’elle vise est pourtant dangereuse et la France gagnerait à rejoindre l’Allemagne dans son opposition ferme à ce texte.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous soumettre. Si je devais les résumer, je le ferais en ces termes : soyons fidèles à l’héritage des Lumières, efforçons-nous de bâtir une société plus juste en rassemblant les citoyens ; privilégions par conséquent le combat pour l’égalité par rapport à la lutte contre les discriminations. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Jean-Jacques Hyest applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question orale avec débat sur les dispositifs de lutte contre les discriminations me permet de revenir sur un sujet sur lequel notre Assemblée a travaillé voilà quelques mois et qui me tient particulièrement à cœur.

Bariza Khiari et les membres du groupe socialiste ont déposé au mois de janvier 2009 une proposition de loi visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées. Il s’agissait de supprimer la condition de nationalité pour l’exercice de dix professions réglementées dans lesquelles cette condition ne se justifiait pas ou ne se justifiait plus et qui entraînait des discriminations particulièrement illégitimes à l’égard de ressortissants extracommunautaires qui remplissaient pourtant toutes les conditions de diplôme requises.

La commission des lois m’avait désigné pour être le rapporteur de ce texte. J’ai donc entendu les représentants de l’ensemble de ces professions pour vérifier ce qui pouvait justifier de laisser perdurer une telle situation et de maintenir une condition de nationalité.

Cette vérification ayant été faite, sur les dix professions concernées, la profession d’avocat, pour cause de forte concurrence internationale, et celle de guide-interprète ont été retirées du champ de la proposition de loi. Sur les huit professions restantes, les dispositions du texte concernant les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens ont été reprises par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, définitivement adoptée en juillet 2009.

Il reste aujourd’hui quatre professions pour lesquelles les discriminations liées à la nationalité persistent : celles d’architecte, de vétérinaire, de géomètre-expert et d’expert-comptable. Je vous rappelle qu’il s’agit de personnes qui ont un diplôme français, qui sont tout à fait intégrées dans notre communauté, qui maîtrisent parfaitement la langue et sont en situation régulière. Toutes ces conditions sont donc remplies ! Pourtant, la condition de nationalité subsiste et les empêche d’exercer le métier pour lequel elles ont été formées, et très souvent dans notre pays.

La condition de nationalité peut être justifiée lorsqu’il s’agit d’officiers publics ou ministériels. Mais, pour les professions que je viens de citer, il ne s’agit en général que de restrictions historiquement datées, qui sont apparues pour la plupart au début du xixe siècle ou entre les deux guerres mondiales, dans des contextes de crise ou de tensions internationales. Elles sont donc aujourd’hui parfaitement injustifiées et discriminatoires.

La discrimination est d’autant plus choquante que ces règles restrictives sont parfois détournées. Nous sommes là en pleine hypocrisie ! Par le biais de la sous-traitance ou de postes de contractuels dans la fonction publique, un certain nombre de ces ressortissants extracommunautaires exercent leur profession, mais dans des conditions différentes. Ainsi, l’État lui-même contourne ses propres règles !

Pour les professions libérales, des procédures d’exception longues et stigmatisantes sont parfois possibles.

Comment expliquer des exigences supplémentaires pour ces professions, monsieur le secrétaire d’État ?

Par exemple, un architecte étranger peut gagner un grand concours international proposé par la France, mais il ne peut ouvrir de cabinet dans notre pays !

M. Charles Gautier. Cela s’est déjà produit. Il devra trouver un « cabinet porteur » français et s’y faire embaucher pour travailler sur son propre projet !

Les exigences sont les mêmes pour les vétérinaires, alors même que le problème est à peu près réglé pour le corps médical. Cela signifie donc que nous sommes plus exigeants pour faire soigner nos chats, nos chiens ou nos vaches que pour faire soigner nos enfants ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Bariza Khiari. C’est vrai !

M. Charles Gautier. Notre assemblée, face à ces constats et suivant le bon sens qu’on lui accorde généralement, a adopté à l’unanimité – c’est assez rare pour que ce soit souligné – la proposition de loi de notre amie Bariza Khiari, modifiée par la commission des lois.

Malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Une partie du texte ayant été satisfaite par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », le chemin à parcourir pour bannir ces dernières discriminations n’est pourtant plus très long ! Encore faut-il que votre majorité, monsieur le secrétaire d'État, s’en donne les moyens.

En tant que rapporteur de cette proposition de loi, je m’associe naturellement aux demandes insistantes de notre collègue Bariza Khiari pour que le Gouvernement règle rapidement le sort de ces quatre dernières professions à souffrir de telles discriminations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’histoire de notre pays est ainsi faite que les vagues successives de migrations, sans remonter à des temps immémoriaux, ont enrichi chacune à leur tour le corps de la nation. Les récents chiffres publiés par l’Office des migrations internationales de l’ONU montrent d’ailleurs que la France est la deuxième terre d’accueil de migrants dans le monde.

Notre pays, fort de son idéal de patrie des droits de l’homme, peut s’enorgueillir d’une longue tradition d’accueil des étrangers, tradition dont on trouve déjà la trace dans l’introduction du droit du sol à l’article 3 du titre II de la Constitution de 1791.

L’enracinement républicain de ce droit, en 1889, fut certes motivé par l’idée de fournir davantage d’hommes aux armées, dans l’obsession d’une revanche face à l’Allemagne.

Les vagues successives d’immigration ont d’ailleurs, d’une manière générale, coïncidé avec les soubresauts de l’histoire du monde. Systématiquement, l’étranger fut pointé du doigt, exclu, assigné à un rôle de bouc émissaire responsable de tous les maux, avant d’être finalement, et heureusement, accepté. Il en va évidemment de même aujourd’hui.

En revanche, ce qui est nouveau, c’est l’urgence qu’il y a de définir un véritable modèle d’intégration pour ces étrangers et surtout pour leurs enfants, tous Français à part entière.

Notre pays est aujourd’hui divers dans son corps social, mais il demeure monolithique pour ce qui relève des leviers du pouvoir politique ou économique. Cela doit changer !

Quel espoir la République peut-elle offrir aux filles et fils d’immigrés lorsqu’ils subissent dans leur vie quotidienne la lèpre des discriminations ?

Comment ne pas s’inquiéter des chiffres alarmants de l’abstention dans certains quartiers populaires aux élections régionales, preuve – s’il en fallait encore une – du rejet qu’inspire à une partie de nos compatriotes le modèle de société qui leur est offert ?

Comment ne pas être consterné lorsque ce gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, nous impose une réforme des collectivités territoriales qui s’affranchit sans scrupule du principe de parité entre hommes et femmes ?

L’égalité des citoyens, proclamée à l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, n’est encore qu’une chimère.

Les discriminations sont bien sûr multiples et aux plus visibles s’ajoutent les plus insidieuses, tout aussi aliénantes, puisqu’elles visent le sexe, l’origine ethnique, l’origine sociale, le handicap, l’orientation sexuelle, l’opinion politique.

Le combat pour l’abolition de ces discriminations a malheureusement un bel avenir !

Les délits de faciès ou de patronyme sont d’une consternante banalité : la HALDE a d’ailleurs connu en 2009 une hausse de 21 % des requêtes.

La République ne doit pourtant laisser personne sur le bord du chemin. Dans son discours prononcé à l’École polytechnique le 17 décembre 2008, le Président de la République indiquait qu’il souhaitait prendre à bras-le-corps le problème des discriminations, avec le volontarisme d’intention qu’on lui connaît…

Les annonces semblaient aller dans la bonne direction : diversification de la composition des classes préparatoires aux grandes écoles, création d’internats d’excellence, généralisation du CV anonyme, création d’un label « diversité » pour les administrations et les entreprises, diversification des nominations aux postes de hauts fonctionnaires. Hélas ! et malheureusement sans surprise, ces annonces n’ont pas été suivies d’effets ni de mesures concrètes, laissant nos compatriotes discriminés dans leur juste colère.

Depuis 2002, malgré les divers textes législatifs, plans de lutte ou autres mesures annoncées, la ségrégation sociale n’a pas reculé d’un iota.

La nomination médiatisée de « personnalités issues de la diversité » à de hauts postes cache, avec grande difficulté, la multiplication des zones reléguées aux marges de la République.

M. Yvon Collin. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. Je prendrai un autre exemple, celui de la rénovation bâclée des grands ensembles urbains. Elle a produit une forme de ségrégation, elle-même source d’augmentation du nombre d’exclus du pacte républicain. Ce point sera au cœur de mes préoccupations lors de la discussion du projet de loi relatif au Grand Paris, qui se tiendra au Sénat la semaine prochaine.