Sommaire

Présidence de M. Roland du Luart

Secrétaires :

Mme Anne-Marie Payet, M. Daniel Raoul.

1. Procès-verbal

2. Débat sur les conséquences de la sécheresse de 2003

MM. Éric Doligé, au nom de la commission des finances ; Jean-Claude Frécon, au nom de la commission des finances ; Mme Fabienne Keller, au nom de la commission des finances.

MM. Claude Biwer, Yvon Collin, Bernard Vera, Mmes Nicole Bricq, MM. Michel Houel, Jean-Pierre Sueur, Laurent Béteille, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Paul Alduy.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.

3. Démission d'un membre d'une commission

4. Candidatures à des commissions

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

5. Nomination de membres de commissions

6. Avenir de l’industrie du raffinage en France. – Discussion d'une question orale avec débat

M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question.

MM. Martial Bourquin, Aymeri de Montesquiou, Jacques Gautier, Thierry Foucaud, Serge Andreoni, Michel Billout.

MM. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie ; Jean-Claude Danglot.

7. Ordre du jour

Compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Anne-Marie Payet,

M. Daniel Raoul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Débat sur les conséquences de la sécheresse de 2003

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les conséquences de la sécheresse de 2003, organisé à la demande de la commission des finances.

La parole est à M. Éric Doligé, au nom de la commission des finances.

M. Éric Doligé, au nom de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face à certaines situations il est parfois difficile de maîtriser sa colère. Après le choc du moment, après le désespoir, tous ceux qui ont eu à subir des catastrophes sont souvent gagnés par une colère qui s’exprime peu à peu.

La catastrophe provoquée par la tempête Xynthia est inacceptable. Elle représente une forme d’échec de la politique actuelle de prévention des inondations, du côté tant de l’État et des collectivités que de la société civile.

Les conséquences de la sécheresse de 2003 sont tout aussi inacceptables et peuvent également provoquer la colère. Ce phénomène connu n’a pas été traité par notre société qui, face à de telles situations, reste sourde aux appels à l’aide et temporise, sans prendre les décisions de sauvegarde les plus élémentaires. Or l’art de gouverner, c’est prévoir et non pas refuser de traiter les problèmes.

Au cours de ce débat, je ne vous lirai pas les multiples courriers et appels au secours que j’ai reçus, comme vous tous, de personnes en détresse. Ces nombreux témoignages ont conduit à la constitution, au cours de l’année 2009, d’un groupe de travail au sein de la commission des finances, chargé d’étudier les conséquences de la sécheresse de 2003. Ses travaux ont fait l’objet d’un rapport d’information, intitulé Un passé qui ne passe pas, dont Fabienne Keller et Jean-Claude Frécon sont les auteurs. Ces derniers vous parleront respectivement de la réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, ou régime CAT-NAT, et des leçons à tirer, pour l’avenir, de la sécheresse de 2003.

Je ne reviendrai pas en détail sur cet événement climatique. Chacun, ici, en connaît l’ampleur : 138 000 sinistres, un coût de plus de un milliard d’euros et de nombreuses familles plongées, encore aujourd’hui, dans une situation de détresse, leur logement ayant été rendu impropre à l’habitation.

J’indiquerai tout d’abord que la prise en charge des conséquences de la sécheresse de 2003 n’est pas allée sans difficultés. Les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ont dû être progressivement adaptés, faute de quoi seule une poignée de foyers sinistrés aurait été indemnisée. Au final, cette évolution n’a permis de classer que la moitié des 8 000 communes ayant sollicité cette reconnaissance. Vous ne nous ôterez pas de l’idée, monsieur le secrétaire d’État, que le recalibrage progressif des critères a reposé, au moins en partie, sur des considérations budgétaires, afin d’éviter que le coût total des indemnisations n’entraîne l’appel en garantie de l’État.

En outre, l’insuffisance des données scientifiques et techniques sur lesquelles a reposé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle – je veux parler ici du fameux zonage de recueil de données météorologiques « Aurore » – a conduit à des situations d’iniquité patente. Ainsi, des communes aux caractéristiques géologiques similaires et ayant connu des conditions météorologiques identiques en 2003 ont pu se voir accorder des traitements opposés pour la seule raison qu’elles étaient rattachées à des stations météorologiques différentes. Il faut cesser d’utiliser des artifices administratifs pour éviter d’indemniser !

Enfin, la mise en œuvre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation, décidée en 2005, a révélé plusieurs faiblesses, la plus importante consistant à fonder l’instruction des dossiers sur de simples devis. Si ce choix a été motivé par le souci d’indemniser rapidement les victimes, il a toutefois conduit à octroyer des indemnisations dont le montant a pu se révéler très insuffisant au regard des travaux effectivement nécessaires.

Au total, la sécheresse de 2003 aura causé un désarroi profond et durable ; le maintien de collectifs d’élus ou de sinistrés, toujours très actifs, les saisines fréquentes dont nous faisons l’objet en tant que parlementaires, ou encore les recours juridictionnels intentés par les victimes ou les communes démontrent que la situation n’est pas soldée. Tous ceux qui se battent ont en effet subi de réelles injustices.

Monsieur le secrétaire d’État, des circonstances cruelles veulent que nous débattions de cette sécheresse alors que la France déplore la perte de vies humaines et des dégâts matériels considérables à la suite de la tempête Xynthia. Établir une sorte de hiérarchie entre ces deux événements serait particulièrement malvenu : dans toutes les circonstances où un aléa naturel affecte gravement notre pays, la solidarité nationale doit se manifester avec une égale diligence.

Certes, la sécheresse n’est pas la tempête, nul n’ayant perdu la vie. Mais combien de familles éprouvent encore de graves difficultés, leur maison, fruit de l’investissement de toute une vie, étant désormais invendable ou nécessitant des travaux de confortement qu’elles n’ont pas les moyens de payer ? La tempête est soudaine, brutale et spectaculaire, alors que la sécheresse est dispersée, sourde, progressive et, en cela, moins sujette à la médiatisation qui suscite les grands élans de compassion nationale. Mais est-ce une raison pour oublier que, sept ans après, elle fait encore des victimes ?

Le 16 mars dernier, à La-Roche-sur-Yon, le Président de la République a prononcé un discours duquel je n’ai pas un seul mot à retrancher et qui augure d’une mobilisation importante des ressources publiques pour indemniser les sinistrés ou pour favoriser la prévention. Il a évoqué la mobilisation du Fonds d’aide au relogement d’urgence, une nouvelle extension du champ d’intervention du Fonds « Barnier », l’indemnisation des pertes non assurables des agriculteurs et ostréiculteurs, un soutien exceptionnel aux collectivités territoriales, ou encore le financement de la rénovation des digues.

Nous souscrivons à cette mobilisation, parce qu’elle est nécessaire, et surtout parce qu’elle prouve que des moyens exceptionnels peuvent être dégagés lorsque la situation l’exige.

J’ignore quels seront les montants consolidés qui seront consacrés par l’État à la gestion des suites de la tempête Xynthia. Peut-être nous l’indiquerez-vous tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État. J’ignore également quelle enveloppe serait nécessaire pour solder définitivement le dossier de la sécheresse de 2003, mais je doute fort que les ordres de grandeur soient sensiblement supérieurs.

Comme le disait le Président de la République à propos de Xynthia, « l’enjeu n’est pas seulement financier. Ce qui est en question, c’est la possibilité pour des personnes qui ont perdu leur maison [...] de pouvoir retrouver un toit pour recommencer à vivre ! » Les sinistrés de la sécheresse de 2003 ne demandent pas davantage : ils désirent recommencer à vivre normalement.

Dans son rapport, la commission des finances a souhaité que la totalité du reliquat de fonds constaté au titre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation soit exclusivement consacrée au versement des aides aux victimes de la sécheresse. Qu’en est-il, aujourd’hui, monsieur le secrétaire d'État ?

Nous souhaitons également que le Gouvernement mette en œuvre une vague complémentaire d’indemnisations. Nous sommes soucieux de l’équilibre des finances publiques et conscients des effets d’aubaine et des demandes reconventionnelles qui ne manqueraient pas de se manifester. C’est la raison pour laquelle nous avons suggéré que ces indemnisations soient réservées aux personnes sinistrées ayant déjà déposé un dossier dans le cadre de la procédure exceptionnelle et soient conditionnées à la réalisation d’une expertise préalable. Quelle réponse le Gouvernement apporte-t-il à cette préconisation ?

Monsieur le secrétaire d’État, ne me dites surtout pas que cela serait trop compliqué et que l’équité, comme me l’a répondu Mme Jouanno, ne le permet pas. Je n’accepterai pas cette réponse.

Le Président de la République, qui peut servir de référence, a démontré dans son discours du 16 mars que lorsque l’on veut, on peut.

Je demande que ce dossier reçoive le même traitement que celui qui fait l’objet de sollicitations du Président de la République. Les vingt-huit observations que nous avons faites sont réalistes ; elles peuvent gommer le passé et prévenir le futur. Le Président de la République l’a dit, l’État ne laissera pas tomber les sinistrés de la tempête ; nous souhaitons qu’il ne laisse pas tomber les sinistrés de la sécheresse. Pour ma part, je ne le ferai pas et chercherai tous les moyens, si vous ne nous les proposez pas, pour répondre à leur légitime attente. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Frécon, au nom de la commission des finances.

M. Jean-Claude Frécon, au nom de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le président de notre groupe de travail, Éric Doligé, vient d’interroger le Gouvernement sur les moyens de solder le passé. Il a évoqué les multiples appels que nous avons reçus. Par exemple, voilà deux jours, des documents concernant les départements de la Drôme et de l’Ardèche, dans la vallée du Rhône, me sont parvenus. Dans ce dernier département, seul le dossier de dix-huit des soixante maisons touchées par la sécheresse a été accepté.

Ma collègue Fabienne Keller et moi-même allons maintenant vous demander comment vous penser préparer l’avenir, monsieur le secrétaire d'État.

Les auditions que notre groupe de travail a consacrées à la prévention du risque de subsidence nous ont donné l’impression que l’État avait tardé à agir.

La subsidence est un phénomène de gonflement et de retrait des terres, en particulier des terres argileuses, qui provoque les dégâts que nous avons constatés. Comme le disait à l’instant Éric Doligé, le caractère lent et diffus de ce phénomène n’a pas joué un rôle d’aiguillon suffisant. Contrairement à une inondation ou à une tempête, qui suscite une prise de conscience très rapide parmi la population, une sécheresse ne fait apparaître ses conséquences qu’au bout de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

De fait, nous avons constaté qu’une large gamme d’outils et de procédures favorise, en théorie, l’information préventive du public sur le risque de subsidence. Mais quelle est la portée réelle de ces outils et de ces procédures quand certaines communes de l’Essonne où nous nous sommes rendus – mais nous aurions pu aller en de nombreux autres endroits –, département particulièrement exposé à l’aléa retrait-gonflement, prescrivent dans leur plan local d’urbanisme la plantation d’arbres à haute tige à proximité des habitations, ce type de plantation favorisant justement la survenance du phénomène de subsidence ? Il faut donc mettre en rapport tous les risques.

Au fond, le problème n’est pas tant l’absence de procédures que l’acclimatation insuffisante des services de l’État, des élus locaux et des populations à ce phénomène. Dans ces conditions, nous avions appelé à une sensibilisation accrue au risque, et en particulier à la mise en œuvre, avant la fin de 2010, d’une procédure d’alerte spécifique des élus locaux, assortie de recommandations permettant à ces derniers de mieux prendre en compte ce risque dans l’exercice de leurs compétences d’urbanisme, d’instruction et de délivrance des permis de construire. Où en est-on, monsieur le secrétaire d'État ? Êtes-vous en mesure de nous confirmer que cette recommandation sera suivie d’effet dans les mois qui viennent ?

S’agissant de nos concitoyens, si soucieux soient-ils de s’informer des risques naturels auxquels ils s’exposent, il est permis de douter qu’ils aient systématiquement le réflexe de consulter les documents publics mis à leur disposition. Il faut être réaliste et pragmatique : le message préventif ne sera jamais mieux reçu qu’au moment où les particuliers choisissent leur logement, c'est-à-dire au moment où ils préparent leur demande de permis de construire.

Le groupe de travail, dans ses conclusions, a salué la création du dispositif d’information acquéreur-locataire, qui permet d’informer les populations sur les risques naturels et technologiques majeurs au moment de l’achat du terrain ou de la prise à bail. Pour que ce dispositif s’applique, il est nécessaire qu’un plan de prévention des risques ait été prescrit ou approuvé dans la commune de résidence. N’est-il pas possible de faire sauter ce verrou et de généraliser ce dispositif, même en l’absence de plan de prévention des risques ?

Après l’information nécessaire, j’en viens aux règles de construction, sur lesquelles il y a beaucoup à dire. Il nous semble qu’aucune adaptation significative au phénomène de subsidence n’est intervenue depuis 2003. Comment expliquer cette inertie alors même que les conséquences de ce phénomène peuvent être circonscrites par des techniques relativement simples à mettre en œuvre ?

Aujourd’hui, un obstacle majeur à la prévention réside dans les conditions de montage des contrats de construction de maisons individuelles. Ces contrats ne favorisent pas la réalisation d’une étude de sol, pourtant nécessaire, puisque, au moment de leur signature, le propriétaire de la maison n’est souvent pas encore propriétaire du terrain. De même, le contrat de construction, dès lors qu’il a été signé, comporte un engagement sur le coût global de l’opération mais sans étude de sol, ce qui rend impossible, dans les faits, un redimensionnement des fondations.

Quelles solutions s’offrent-elles à nous ? Faut-il imposer une première évaluation de la présence d’argile dans le sol lors de la vente d’un terrain, évaluation à la charge du vendeur ? Cette solution offrirait l’avantage d’adapter le prix du terrain au risque et de permettre au constructeur de dimensionner son offre en connaissance de cause.

Faut-il aller plus loin et rendre obligatoire dans les zones à risques une étude de sol plus complète, attachée au projet définitif de construction ? Faut-il, enfin, pour les constructions neuves dans ces zones, instituer une obligation réglementaire de profondeur minimale de fondations ? Sur l’ensemble de ces points, des réponses sont attendues, monsieur le secrétaire d'État, et je ne doute pas que vous pourrez nous les fournir.

Pour lutter contre le risque, il faut le connaître. Par conséquent, l’efficacité des nouvelles normes de construction implique l’achèvement impératif de la cartographie de l’aléa argileux par le bureau de recherches géologiques et minières, ou BRGM. Le groupe de travail vous le demande avec insistance, monsieur le secrétaire d'État.

Afin de renforcer le caractère opérationnel de cette cartographie, nous avons suggéré que les collectivités territoriales particulièrement exposées à cet aléa soient aidées, via le Fonds de prévention des risques naturels majeurs, à affiner la cartographie, de manière à disposer d’une information fiable à l’échelle des parcelles. Tant que cette cartographie n’est pas disponible, les élus locaux doivent gérer des risques qu’ils sont dans l’incapacité de mesurer.

Le moment semble opportun pour agir puisque, comme le rappelait mon collègue Éric Doligé dans son intervention, l’extension du champ des interventions du Fonds « Barnier » semble à nouveau à l’ordre du jour.

Monsieur le secrétaire d'État, les recommandations du groupe de travail n’ont, en définitive, rien de révolutionnaire. Elles pourraient même passer pour timorées lorsqu’on les compare au véritable réquisitoire prononcé par le Président de la République dans son discours du 16 mars dernier. De fait, le chef de l’État déplore un retard généralisé sur les plans de prévention des risques, retard imputable à des « approches bureaucratiques », à des « manœuvres dilatoires » qui l’ont conduit à prendre l’engagement de « remettre de l’ordre dans notre politique de prévention et de gestion des risques ».

La commission des finances nourrit, à ce stade, une ambition plus limitée, mais elle souhaite que ces préconisations soient rapidement suivies d’effet.

Au lendemain de la tempête Xynthia, le président du conseil général de Vendée a rappelé que « là où la mer est venue, la mer reviendra ». Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je le dis, là où la sécheresse est survenue, la sécheresse surviendra à nouveau. L’amélioration de la connaissance des risques, de l’information préventive et de l’adaptation des règles d’urbanisme et de construction au risque de subsidence ne doit pas être différée.

Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour nous apporter des réponses encourageantes. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, au nom de la commission des finances.

Mme Fabienne Keller, au nom de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je conclurai donc cette présentation à trois voix du rapport de notre groupe de travail. Je dois d’ailleurs indiquer que j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec mes collègues Éric Doligé et Jean-Claude Frécon, ainsi qu’avec l’ensemble des membres de ce groupe.

Je concentrerai mon propos sur les propositions relatives au régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Dans un premier temps, je formulerai des remarques d’ordre général sur la sécheresse ; dans un second temps, j’évoquerai la catastrophe Xynthia, qui doit nous encourager à poursuivre notre réflexion sur le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

S’agissant d’abord de la sécheresse, nous avons observé qu’aucune des parties prenantes ne sollicitait l’exclusion totale du risque de subsidence du régime CAT-NAT. De fait, une telle exclusion impliquerait que les assureurs et réassureurs prennent en charge ce risque, cette couverture s’accompagnant de prix et de franchises élevés. Par ailleurs, cette exclusion totale pénaliserait gravement l’ensemble des assurés occupant des bâtiments existants, ce qui ne nous est pas apparu équitable.

Pour autant, sont aujourd’hui évoquées certaines exclusions partielles, en particulier pour les bâtiments couverts par la garantie décennale, les constructions neuves, au motif qu’elles doivent être couvertes par une garantie dommages-ouvrage, ou encore l’exclusion des dégâts superficiels occasionnés par la subsidence, le régime ne couvrant désormais que les dommages mettant en cause la solidité de la structure.

Nous avons étudié avec soin l’ensemble de ces pistes dans notre rapport.

Nous nous sommes également posé la question d’une exclusion pure et simple de la garantie CAT-NAT pour les ouvrages construits en violation des règles. Si l’adaptation des règles de prévention et de construction aboutissait à de nouvelles prescriptions en matière d’études de sol ou de profondeur minimale des fondations, nous serions plutôt favorables à une telle exclusion, sous réserve d’informer en amont, et de façon circonstanciée, les maîtres d’ouvrage.

J’en viens maintenant aux critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle liée à la sécheresse. Comme l’a indiqué Éric Doligé, nos travaux ont démontré que leur adaptation progressive n’avait pas permis de les « objectiver » totalement et d’aboutir à un dispositif stabilisé, fiable et transparent. Nous sommes conscients que l’amélioration de ces critères est tributaire de l’avancée de travaux scientifiques complexes ayant pour objet de modéliser ce mécanisme de gonflement-dégonflement.

Les représentants de Météo-France nous ont indiqué que, dès la fin de l’année, un dispositif scientifique fiable permettant de cartographier plus clairement ce risque et de le signaler sera disponible. Monsieur le secrétaire d'État, êtes-vous en mesure de nous confirmer que cette échéance sera respectée ?

Au-delà de la seule sécheresse, il semble qu’une refonte globale de notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles s’impose.

Le Président de la République, que je citerai à mon tour, a récemment jugé ce régime « incompréhensible », « parfaitement inefficace, puisqu’il n’incite nullement à la prévention », et « injuste ».

Le groupe de travail a un jugement un peu plus nuancé dans la mesure où le caractère solidaire de ce financement a donné globalement satisfaction. Néanmoins, la sévérité du constat établi par le chef de l’État pourra peut-être nous permettre de remettre enfin à plat ce régime des catastrophes naturelles, réforme tant de fois annoncée.

En quoi cette réforme doit-elle consister ? Tout d’abord, la procédure de reconnaissance doit être plus transparente : les critères et seuils élaborés par la commission interministérielle doivent faire l’objet d’une traduction normative et d’une information accessible aux assurés.

En revanche, nous ne jugeons pas opportune la suppression de l’arrêté interministériel. Nous l’avons constaté lors de la tempête Xynthia, ces arrêtés constituent aussi une manifestation de solidarité nationale et ont une portée « symbolique » qui ne doit pas être sous-évaluée. Par ailleurs, l’absence d’intermédiation des pouvoirs publics serait susceptible de fragiliser la position des assurés face aux assureurs.

La modulation de la surprime en fonction de l’exposition aux risques nous semble également à exclure, s’agissant des particuliers, parce qu’elle est incompatible avec le principe de solidarité qui fonde le régime des catastrophes naturelles. En revanche, sa mise en œuvre est possible pour les professionnels, plus à même de recourir à l’expertise pour réduire leur exposition au risque.

Enfin, il semblerait que la sinistralité des catastrophes naturelles, quel que soit leur type, soit appelée à augmenter. C’est pourquoi nous avons invité le Gouvernement à évaluer rapidement la capacité de la Caisse centrale de réassurance à faire face à des événements climatiques plus fréquents, plus intenses et donc plus coûteux, liés notamment au réchauffement climatique.

Permettez-moi enfin quelques réflexions en lien avec la catastrophe qu’ont vécue les départements de la Vendée et de la Charente-Maritime voilà quelques semaines.

Hier, nous avons créé une mission sur la tempête Xynthia au sein de notre assemblée, qui sera présidée par notre collègue vendéen Bruno Retailleau. Bien sûr, cette mission traitera de la question des indemnisations et des mesures à prendre à court terme, notamment pour interdire les constructions et en déplacer certaines. Mais je forme le vœu qu’elle nous permette aussi d’approfondir le sujet du traitement des catastrophes naturelles et de lui donner une suite opérationnelle.

En effet, nous connaissons bien, mes chers collègues, le sujet des catastrophes naturelles : les inondations de la Somme voilà quelques années, la catastrophe industrielle qu’a été l’explosion de l’usine AZF, la sécheresse de 2003, Xynthia aujourd’hui. Tous ces événements ont donné lieu à de grands moments d’émotion populaire. Cependant, de sept à dix ans plus tard, notre réglementation et nos pratiques ne sont que marginalement modifiées.

Mme Nicole Bricq. Tout à fait !

Mme Fabienne Keller. Ce grand écart entre, d’une part, le formalisme très abouti des plans de prévention, qu’ils concernent la technologie ou les inondations, et, d’autre part, la réalité de la prise en compte de ces risques doit nous interpeller et nous obliger à l’action.

Hier, ce sont près de cinquante morts que nous déplorions sur les côtes françaises à cause de Xynthia. Nous constatons une fois de plus que nos outils sont inadaptés et méritent d’être réformés. Comme l’ont proposé mes collègues Éric Doligé et Jean-Claude Frécon, je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous engagiez à travailler sur la réforme globale de ces dispositifs de prévention. Plus précisément, je souhaiterais que le Gouvernement s’attache à réformer l’ensemble de ce régime d’indemnisation des catastrophes naturelles et l’ensemble des dispositifs de prévention qui lui sont attachés. (Applaudissements.)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la première fois depuis fort longtemps, la sécheresse de 2003 a touché un nombre impressionnant de communes : près de 8 000 d’entre elles, semble-t-il, ont été concernées. Dans la mesure où il s’agissait d’un phénomène qui ne répondait pas aux critères classiques de prise en charge au titre du régime des catastrophes naturelles, le gouvernement de l’époque a tardé à prendre des arrêtés reconnaissant cet état de fait.

Ce n’est que courant 2004, et donc avec de longs mois de retard, que des arrêtés furent enfin pris. Cependant, ils ne concernèrent alors qu’environ 1 300 communes sur les 8 000 qui avaient adressé des dossiers, ces derniers recensant plusieurs dizaines de milliers de maisons d’habitation victimes de désordres consécutifs aux mouvements de terrain induits par cette sécheresse d’une intensité exceptionnelle.

Devant le mouvement de protestation soulevé par cet état de fait, j’avais alors déposé, avec plusieurs de nos collègues sénateurs, une proposition de loi tendant à préciser que tous les mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols seraient désormais pris en compte – et ce, je le souligne, quelle que soit leur intensité – pour le classement d’une commune ou d’une partie de commune en zone de catastrophe naturelle. Le bureau de recherches géologique et minière pouvait d’ailleurs mettre en place ce dispositif, comme cela avait été évoqué lors du débat dans cette assemblée.

Il faut rappeler, en effet, que la garantie d’assurance relative à l’indemnisation des catastrophes naturelles ne peut intervenir que si cette situation est constatée par un arrêté ministériel. Sans ce dernier, aucune indemnisation n’est possible.

Faisant suite à nos insistantes interventions, le Gouvernement dut se rendre à l’évidence, et des arrêtés supplémentaires furent pris, portant le nombre de communes concernés à 4 441, ce qui était déjà bien plus acceptable mais encore très insuffisant au regard des 8 022 communes qui avaient déposé des dossiers, représentant 138 000 sinistres.

Certes, un fonds spécial d’indemnisation fut mis en place et doté de 218,5 millions d’euros. Ce fonds a permis de faire bénéficier 2 370 communes d’indemnisations complémentaires. Cependant, ces dernières n’ont pas toujours permis, loin s’en faut, de réparer les dommages subis par les maisons d’habitation, dont le coût avoisinait dans certains cas, en cas de reprise des fondations, près de 150 000 euros par habitation, ce qui est considérable.

D’un côté, indemnisations insuffisantes, d’un autre côté, indemnisations inexistantes pour les habitants de près de 1 200 communes touchées par ce phénomène : cette situation doit aujourd’hui, comme à l’époque, nous interpeller.

Je remercie la commission des finances d’avoir mis en place sur ce problème un groupe de travail, lequel a publié un excellent rapport d’information sur la situation des sinistrés de la sécheresse de 2003 et sur celle du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Les conclusions de ce rapport me paraissent d’autant plus pertinentes qu’elles reprennent les grandes lignes de mon propre rapport présenté dès le 8 juin 2005 au nom de la commission de l’économie en analyse de la proposition de loi que nous avions déposée, à laquelle nous avions décidé de joindre une autre proposition de loi, déposée sur le même sujet par notre collègue Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste.

Certes, la commission de l’économie puis le Sénat, au cours de la séance du 16 juin 2005, ne firent pas entièrement droit à nos demandes. Une proposition de loi fut néanmoins adoptée, qui améliorait la transparence de la procédure de catastrophe naturelle : en amont, par la mise en place d’un programme national de prévention des risques liés à la sécheresse ; en aval de la catastrophe, par la création de commissions consultatives départementales, auxquelles participeraient des élus locaux, des assurés et des assureurs.

Je regrette que cette proposition de loi, comme bien d’autres, hélas ! n’ait jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Que disions-nous à l’époque?

Nous disions d’abord que le traitement de la sécheresse de 2003 a donné lieu à un large mécontentement, qui rend assurément nécessaire une réforme du système ; nous disions aussi qu’il existe un manque de transparence évident en amont et en aval de la catastrophe naturelle, et que, après la catastrophe, les victimes n’ont aujourd’hui d’autres droits que celui d’attendre la décision des ministères, ce qui n’est pas toujours acceptable.

Nous remarquions également que les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle devaient être clarifiés afin de mieux prendre en compte la réalité des dommages, les actuels critères, abscons, donnant le sentiment, à tort ou à raison, que l’on veut indemniser le moins possible de communes ou de familles concernées.

Nous préconisions de diffuser, avant la catastrophe, l’information sur les risques et sur la façon de les prévenir en généralisant l’information sur l’existence des risques liés à la sécheresse, la connaissance de ces risques devant déboucher sur des mesures de prévention visant les particuliers et les professionnels.

Nous affirmions que les iniquités ressenties et constatées depuis la sécheresse de 2003 exigent une réponse, que le choix de la commune comme périmètre de reconnaissance de la catastrophe naturelle explique une partie du sentiment d’iniquité et que, par ailleurs, les mesures en faveur de l’équité exigent un rappel de la responsabilité des assureurs.

Enfin, nous signalions qu’il fallait à tout prix accélérer la mise en place des informations sur la qualité des sols avant la construction, comme le proposait le BRGM, ce qui fut un élément important de la discussion générale lors du vote de cette proposition de loi en 2005.

Il était alors proposé que, pour un coût de 10 millions d’euros, le programme de cartographie déjà engagé par le BRGM pour définir les zones argileuses à risque puisse être considérablement accéléré et terminé en l’espace de trois ans. Cette proposition n’a, hélas ! pas été suivie d’effet, ce qui est tout à fait regrettable, car cela nuit à la prévention.

Nous sommes aujourd’hui en 2010 et, sept années après la sécheresse de 2003, il y a encore des familles qui n’ont obtenu aucune indemnisation leur permettant de limiter les dégâts.

Par ailleurs, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est toujours aussi peu transparent. Les propositions que nous avions formulées sur la transparence, tout à fait convergentes avec celles qui figurent dans le rapport de nos collègues Fabienne Keller et Jean-Claude Frécon, mériteraient enfin d’être prises en considération.

En ce qui concerne l’adaptation des normes de construction, il serait grand temps d’instaurer des règles plus strictes en matière de constructibilité dans les secteurs en difficulté ou susceptibles de l’être à l’avenir.

Enfin, s’agissant de la réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, j’ai lu, sous la plume de nos deux collègues, que « si le risque sécheresse doit rester couvert par ce régime, des exclusions partielles peuvent néanmoins être envisagées, concernant les ouvrages couverts par les garanties décennale ou dommages-ouvrage, les dégâts superficiels ou les bâtiments construits en violation des règles de prévention ou de construction ».

Je pense, pour ma part, qu’il serait dangereux de n’avoir recours qu’à des exclusions partielles. Faire jouer une garantie décennale ou une garantie dommages-ouvrage, c’est entraîner nos compatriotes dans un parcours du combattant procédurier, voire judiciaire, qui serait encore pire que le système actuel. Quant aux dégâts superficiels qui ne nécessitent, par exemple, qu’un ravalement ou des travaux légers, ils occasionnent tout de même une charge de quelques milliers d’euros ; je ne vois pas pourquoi cette somme devrait rester uniquement à la charge des assurés.

Réformons le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles en le rendant plus transparent, plus rapide surtout, et plus équitable, mais ne donnons surtout pas le sentiment à nos compatriotes qu’ils seront moins bien assurés demain qu’hier contre ce risque.

Réglons une fois pour toutes la situation des victimes de la catastrophe de 2003 qui n’ont pas obtenu satisfaction : ce serait à notre honneur, et à l’honneur du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État ! Il n’a fallu que quelques jours pour que les départements concernés par la terrible tempête du 28 février 2010 soient classés en zone de catastrophe naturelle et que les sinistrés puissent ainsi être indemnisés. Ce n’est certes pas une consolation ; néanmoins, par rapport aux sept années d’attente consécutives à la sécheresse de 2003, cela marque une différence positive que je me plais à signaler.

Enfin, faisons le nécessaire pour faire passer les messages d’information et de prévention aux futurs constructeurs : c’est ce que nous avions décidé en priorité lors de la présentation de la proposition de loi, et je regrette que cela n’ait pu aller plus loin : nous nous trouverions peut-être dans une meilleure situation aujourd’hui. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la tempête Xynthia, qui vient de frapper durement l’ouest de la France, nous rappelle combien les aléas climatiques peuvent être dévastateurs. En 2003, notre pays a été frappé par une sécheresse d’une ampleur exceptionnelle, dont les conséquences ne sont pas complètement éteintes aujourd’hui, comme l’ont souligné très justement nos collègues de la commission des finances en intitulant leur rapport Un passé qui ne passe pas.

La canicule de l’été 2003, avec 14 802 décès qui peuvent lui être imputés, a été la catastrophe naturelle la plus grave et la plus fatale pour la France au cours de ces cinquante dernières années. Ce nombre de victimes est bien évidemment l’aspect sans doute le plus dramatique de cet événement. Il est irréparable, et nous nous souvenons qu’il a plongé de nombreuses familles dans la détresse.

Une fois la sécheresse passée, l’heure du bilan matériel est venue. Il a été particulièrement lourd, avec plus de 8 000 communes touchées par les sinistres et des milliers de personnes concernées par des procédures d’indemnisation longues, qui n’ont pas toujours été à la hauteur des attentes.

En notre qualité d’élus – mon département a été particulièrement touché –, nous avons tous vécu sur le terrain les conséquences de cette canicule. Très vite, nous avons pu constater l’insuffisance de la procédure de catastrophe naturelle, du moins dans sa première phase.

Tout d’abord, plusieurs éléments ont conduit à sous-évaluer les dégâts. L’imprécision et la rigidité des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ont posé des difficultés. Une stricte application aurait d’ailleurs conduit à ne classer que 200 communes seulement. Par ailleurs, ces critères se sont révélés particulièrement inadaptés pour apprécier le phénomène de retrait-gonflement des sols argileux.

Quant au zonage Aurore, qui aboutissait à exclure de nombreuses communes du fait de leur rattachement à une station d’observation parfois trop lointaine ou d’un bilan hydrique trop grossier, il a été fortement contesté.

Les faiblesses de ces outils ont limité l’état de catastrophe naturelle à 4 441 communes dans un premier temps, et l’insuffisante prise en compte du volume total de sinistres a été vécue à l’époque comme une véritable injustice.

La question des communes non classées mais limitrophes de départements entièrement déclarés en état de catastrophe naturelle a également soulevé des inégalités particulièrement criantes et mal vécues sur le terrain.

Il faut reconnaître que l’État n’est pas resté sourd à cette situation, poussé par la mobilisation des élus et des associations de sinistrés. Certes, la réponse est arrivée un peu tardivement, mais elle est arrivée quand même.

En effet, la loi de finances pour 2006 a permis d’aller plus loin, en prévoyant une procédure exceptionnelle d’indemnisation. Nous sommes nombreux sur ces travées, quel que soit l’endroit où nous siégions, à avoir regretté à l’époque la méthode retenue, qui n’a pas privilégié l’élargissement des critères de reconnaissance.

Sans méconnaître les contraintes liées à l’équilibre financier du régime CAT-NAT, le recours à une procédure exceptionnelle encadrée sur le plan budgétaire n’a pas permis de satisfaire toutes les demandes d’indemnisation. À ce jour, les 218,5 millions d’euros apportés par la loi de finances pour 2006 et par la loi de finances rectificative qui l’a suivie n’ont pas complètement rempli leurs objectifs. Des centaines de familles n’ont toujours pas pu faire valoir leurs droits résultant des dommages causés à leurs habitations, en particulier lorsque le phénomène de subsidence a décalé l’apparition des fissures.

C’est pourquoi, chaque année, afin de répondre aux attentes des assurés, mais aussi aux injustices constatées, nous demandons une rallonge dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Toujours en vain pour le moment, hélas… Compte tenu du nouvel effort budgétaire qui devra être fourni pour aider les victimes de la tempête Xynthia, l’exercice risque d’être encore plus périlleux l’année prochaine, s’agissant de la sécheresse de 2003. Cependant, nous ne manquerons pas de rappeler l’État à son devoir de solidarité nationale envers les sinistrés qui n’ont pas encore reçu le moindre euro.

Je souhaiterais d’ailleurs profiter de ce débat pour évoquer également la situation des agriculteurs. En effet, on a parfois tendance à oublier que certains d’entre eux ont fortement souffert de cette canicule historique.

Les cultures hivernales en particulier, qui avaient déjà subi les effets d’un hiver très froid et d’un gel tardif, furent atteintes par la vague de chaleur qui débuta en juin 2003, avançant ainsi le développement des récoltes de dix à vingt jours, ce qui n’est pas négligeable. Une maturation hâtive, entamée de surcroît sur un sol très desséché, a entraîné des baisses vertigineuses de rendement, en particulier pour le fourrage dont le déficit avait atteint 60 % dans notre pays. Mais les cultures de pommes de terre et le secteur viticole ont aussi été très sérieusement touchés par le manque d’eau.

Les agriculteurs sont donc aussi les grandes victimes de ces intempéries : le temps, qui est parfois leur allié, peut aussi très vite devenir leur ennemi le plus redoutable.

Les exploitants de la côte atlantique viennent de le vivre en voyant une tempête extrême anéantir complètement des installations agricoles et des parcs à coquillages. Certes, un soutien spécifique de l’État est à chaque fois mis en place, mais les plans agricoles s’avèrent bien souvent insuffisants pour répondre à tous les dégâts et, surtout, aux pertes de revenus consécutives aux sinistres sur les exploitations.

C’est pourquoi, mes chers collègues, je suis attaché à la mise en place d’une assurance récolte pérenne destinée à répondre plus parfaitement aux demandes d’indemnisation des agriculteurs. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion de débattre dans cette assemblée d’une proposition de loi que j’avais déposée sur ce thème. Mais ce texte, malgré l’intérêt suscité et le succès d’estime reçu, n’a pas été adopté. On peut le regretter, mais je compte poursuivre ce débat, une nouvelle proposition de loi ayant été déposée avec le soutien de mes collègues du RDSE.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire sur ce thème qui soulève beaucoup de questions. L’excellent et très complet rapport de nos collègues Éric Doligé, Jean-Claude Frécon et Fabienne Keller mériterait sans doute de connaître des prolongements législatifs, tant il est riche de propositions particulièrement pertinentes. Il est important, en effet, de mieux réparer les risques, de mieux les assurer, mais aussi, si possible, de mieux les prévenir. La multiplication des phénomènes climatiques extrêmes est une réalité qu’il nous faut désormais prendre en compte, dans l’intérêt de tous nos concitoyens. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sept longues années se sont écoulées depuis la sécheresse de 2003, plus longues encore pour les victimes de cette catastrophe naturelle, qui souffrent toujours de vivre dans des maisons fissurées et qui espèrent que les pouvoirs publics vont enfin entendre leur désarroi.

Comment imaginer qu’en avril 2010 ce dossier ne soit toujours pas clos, que des familles continuent de subir les conséquences de ce phénomène climatique et que leurs dossiers de demande d’indemnisation n’aboutissent pas ?

Certes, la sécheresse de 2003 a été d’une exceptionnelle gravité. Mais force est de constater que la source du blocage à laquelle nous sommes confrontés sur ce sujet provient essentiellement du refus du Gouvernement d’y apporter les réponses satisfaisantes en temps voulu.

Pourtant, la question de l’indemnisation des sinistrés de la sécheresse de 2003 a déjà fait l’objet de nombreux débats depuis 2006, lors de l’examen des différentes lois de finances et lois de finances rectificatives. À chaque fois, nous avons réitéré avec constance nos demandes d’indemnisation supplémentaire. Mais, à chaque fois, le Gouvernement nous a opposé une fin de non-recevoir.

Face à cette situation de blocage, et sur proposition du président Jean Arthuis, la commission des finances a décidé de créer en son sein un groupe de travail, dont j’étais membre. Celui-ci a accompli un important travail de réflexion, nourri par de très nombreuses auditions et par un déplacement sur le terrain dans mon département de l’Essonne. Pour la première fois, un bilan exhaustif de la sécheresse de 2003 a été effectué et des recommandations constructives ont été adoptées, à l’unanimité.

J’espère par conséquent que ce travail n’aura pas été produit en vain et qu’il sera suivi de mesures concrètes.

La sécheresse de l’été 2003 fut en effet exceptionnelle par son ampleur et les dégâts qu’elle a occasionnés : 138 000 sinistres ont été enregistrés mais, sur les 8 000 communes qui ont sollicité leur classement en catastrophe naturelle, seules 4 441 ont bénéficié de cette classification.

J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer les critiques développées à l’encontre des critères scientifiques qui ont fondé la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, notamment sur le mode de rattachement de chaque commune aux stations de référence du zonage Aurore.

Le groupe de travail a d’ailleurs relayé ces critiques dans son rapport. Il a ainsi constaté que des communes pourtant limitrophes ont vu leur dossier être traité de façon différenciée, certaines étant reconnues en état de catastrophe naturelle alors que leurs voisines, rattachées à un autre centre météorologique, en avaient été exclues. Ainsi, dans mon département, particulièrement touché, cinquante-six communes ont été exclues de la procédure de catastrophe naturelle.

Les deux assouplissements des critères de reconnaissance, effectués en janvier et en juin 2005, se sont révélés finalement insuffisants puisque, comme le souligne le groupe de travail, de larges zones n’ont pas été reconnues.

Le premier constat que nous pouvons donc établir est le manque de fiabilité des critères appliqués pour reconnaître ou non l’état de catastrophe naturelle.

Le groupe de travail en appelle d’ailleurs à davantage de transparence de la part des pouvoirs publics sur ce point. En effet, nombreux sont les sinistrés qui se sont interrogés sur les conditions dans lesquelles ces critères ont été assouplis, situation qui a fait naître chez eux un profond sentiment d’injustice dans le processus d’éligibilité de leur dossier.

Le second constat est le fait que s’est ajoutée à cette gestion très imparfaite des critères de reconnaissance l’inflexibilité du Gouvernement dans la mise en œuvre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation.

Plus personne sur ces travées ne conteste l’insuffisance de cette indemnisation d’un montant de 238,5 millions d’euros, mise en œuvre par l’article 110 de la loi de finances pour 2006, puis par la loi de finances rectificative pour 2006.

À l’insuffisance des sommes affectées est venue s’ajouter la complexité de l’instruction des dossiers. Le sentiment d’injustice provoqué par l’exclusion de certaines communes de la procédure de catastrophe naturelle a dès lors fait place à un profond désarroi chez les sinistrés, déconcertés par les procédures mises en place.

Outre la technicité des dossiers à constituer, l’exigence de deux devis détaillés à fournir dans des délais extrêmement courts, alors même que les professionnels se sont trouvés indisponibles face à un afflux de demandes, n’a fait qu’amplifier des disparités de traitement entre les requêtes des sinistrés.

De fait, les services de l’État n’ont disposé que de devis, voire de simples estimations ne portant parfois que sur les désordres observables, et non sur les causes structurelles des sinistres, alors que chacune des demandes aurait dû bénéficier de comptes rendus d’expertise élaborés avec le concours des compagnies d’assurance.

Au final, le montant des sommes débloquées pour mettre en œuvre la procédure exceptionnelle d’indemnisation s’est révélé insuffisant. Certains sinistrés n’ont pas du tout été indemnisés, tandis que d’autres l’ont été insuffisamment.

Cette situation a fait l’objet de nombreux débats dans cet hémicycle, sous l’impulsion des parlementaires de tous bords qui ont relayé les revendications des associations de défense des sinistrés de leurs départements.

Au cours de ces débats, plusieurs ministres se sont engagés à agir en faveur d’une solution équitable. Je ne citerai que Michèle Alliot-Marie, qui, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2008, répondait en ces termes à une question de notre collègue Jean-Pierre Sueur portant sur l’indemnisation complémentaire à apporter aux sinistrés : « Je viens d’obtenir l’accord de Bercy pour répondre au problème posé. Une disposition vous sera donc soumise lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative, qui devrait permettre un règlement au début de 2008. Ainsi, dans un délai assez court, sera résolu un problème qui se posait depuis longtemps. »

M. Jean-Pierre Sueur. De belles paroles !

M. Bernard Vera. Monsieur le secrétaire d’État, si cet engagement avait été tenu,…

M. Jean-Pierre Sueur. Cela se saurait !

M. Bernard Vera. … nous n’aurions sans doute pas eu besoin de nous réunir aujourd’hui !

Vous comprendrez à quel point le constat est amer pour les personnes sinistrées toujours incapables de remettre en état des habitations lézardées, fissurées, fortement fragilisées. Elles se trouvent dans une profonde détresse, comme le groupe de travail a pu le constater lors son déplacement dans l’Essonne au mois de juin dernier. Depuis sept ans, elles sont confrontées à un mur de silence et d’incompréhension de la part du Gouvernement et n’attendent qu’une chose : qu’une solution digne leur soit enfin apportée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)

Cette situation justifie la mobilisation toujours très active des élus et des associations, afin de trouver une solution pour les dossiers qui restent ouverts. Dans l’Essonne, par exemple, sur 575 dossiers déposés en préfecture, les associations de défense des sinistrés estiment de 40 à 50, soit environ 8 % du total, le nombre de ceux qui ne sont pas encore clos.

Par ailleurs, le manque de transparence, les carences administratives, l’absence de procédure d’alerte des communes et les conditions d’indemnisation augurent mal de la gestion future de catastrophes naturelles aussi importantes que celle de 2003, alors que tous les experts s’accordent sur la probabilité d’une augmentation significative du risque de canicule. D’après les scénarios les plus optimistes, le nombre de jours de sécheresse sera multiplié par un facteur supérieur à cinq à l’horizon 2070.

Le groupe de travail s’est attaché dans son rapport à recenser les lacunes, les défaillances et les carences budgétaires qui maintiennent dans le désarroi et la détresse de trop nombreuses familles. Dans l’espoir de trouver enfin une solution à un passé qui ne passe pas, il a émis un certain nombre de recommandations sur la manière de gérer les suites de la sécheresse, les leçons à tirer pour l’avenir ou encore le régime de catastrophe naturelle, dont il a réaffirmé, à juste titre, le caractère protecteur, fondé sur le principe de solidarité nationale.

Plusieurs de ces recommandations peuvent être suivies d’effet très rapidement, monsieur le secrétaire d’État : leur mise en œuvre ne dépend que de la volonté du Gouvernement.

La première concerne l’instauration, avant la fin de l’année 2010, d’une procédure d’alerte et d’information des communes sur les risques liés au phénomène de subsidence. Les maires des communes situées en zone d’aléa argileux doivent être rapidement alertés sur les enjeux liés à ce phénomène et se voir adresser des consignes leur permettant de prendre en compte ce risque dans leurs dossiers d’urbanisme.

De plus, le groupe de travail souligne la nécessité d’apporter une aide aux collectivités particulièrement exposées, afin qu’elles puissent se doter de cartographies complémentaires à celles du BRGM, opérations potentiellement éligibles au Fonds de prévention des risques naturels majeurs.

La deuxième recommandation concerne l’utilisation du reliquat du fonds constaté au titre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation. Selon le ministère de l’intérieur, le montant encore disponible s’élèverait à 1,833 million d’euros. Il devrait donc, selon nous, être exclusivement consacré au versement des aides en faveur des victimes de la sécheresse. Alors que l’enveloppe budgétaire est déjà faible, il est difficilement compréhensible qu’elle ne soit pas utilisée dans son intégralité.

La troisième recommandation est particulièrement attendue par les personnes sinistrées : elle suppose la mise en œuvre, par le Gouvernement, d’une vague complémentaire d’indemnisations, qui seraient réservées aux personnes ayant déposé un dossier dans le cadre de la procédure exceptionnelle.

Monsieur le secrétaire d’État, l’État doit réparation aux sinistrés qui n’ont bénéficié d’aucune aide financière et à ceux dont les indemnités ont été insuffisantes en raison de la complexité des procédures d’instruction.

Au cours de sa mission, le groupe de travail a pu constater que « la gestion de la sécheresse 2003 avait suscité, chez les personnes sinistrées comme chez beaucoup d’élus locaux, un désarroi profond et durable ». La persistance et la vivacité de certaines revendications imposent désormais de solder positivement ce douloureux dossier.

C’est un devoir de solidarité que l’État doit assumer, en raison de l’absence de fiabilité des procédures de classement en état de catastrophe naturelle et de l’insuffisance des montants affectés à la procédure d’indemnisation exceptionnelle.

Monsieur le secrétaire d’État, il est impératif que, sept ans après, le débat débouche enfin sur le règlement définitif de cette catastrophe. Je souhaite que le Gouvernement s’engage en ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean-Paul Alduy applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si nous sommes réunis ici ce matin, c’est grâce à M. le président de la commission des finances, qui a pris l’initiative de constituer un tel groupe de travail, sans doute fatigué d’entendre depuis plusieurs années les revendications régulièrement réaffirmées d’une poignée de sénateurs…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne suis jamais fatigué ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq. J’ai moi-même, comme mon collègue Bernard Vera, été membre de ce groupe de travail. Outre M. Arthuis, je tiens donc également à remercier ses rapporteurs, Mme Keller et M. Frécon et, bien sûr, son président, M. Doligé, qui a mené nos travaux de main de maître.

Monsieur le secrétaire d'État, c’est une longue marche, à laquelle ont pris part trois séries d’acteurs, qui nous a conduits aujourd'hui à évoquer la catastrophe naturelle qu’a représentée la sécheresse de 2003, notamment, car, si celle-ci n’est pas un cas isolé, elle a tout de même été, tous mes collègues l’ont dit, d’une ampleur exceptionnelle.

Au premier rang des acteurs figurent les associations et les collectifs de sinistrés, qui ont su s’organiser dans les départements les plus touchés, dans le mien, la Seine-et-Marne, mais aussi dans l’Essonne et le Loiret. Des coordinations interdépartementales se sont même créées, comme en Île-de-France.

Les maires se sont également mobilisés, en constituant, eux aussi, des collectifs. Devant la non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et tous les dysfonctionnements précédemment évoqués, ils ont porté le fer devant le tribunal administratif. Si les communes de Seine-et-Marne, dont je veux saluer les maires présents aujourd'hui en tribune, notamment le président de la coordination, ont été déboutées, elles ont fait appel.

Bien évidemment, il faut aussi saluer les initiatives engagées par les sénateurs des départements concernés. Dès 2004, Claude Biwer a déposé une proposition de loi et, l’année suivante, avec plusieurs de mes collègues, dont Jean-Pierre Sueur et Daniel Reiner, j’ai fait de même au nom du groupe socialiste.

Ces deux textes, qui ont finalement été débattus, réclamaient la transparence, l’équité, la responsabilisation des acteurs, la proximité, autant d’exigences que l’on retrouve dans les conclusions tirées par les rapporteurs du groupe de travail.

À l’époque, le groupe socialiste, bien qu’un peu déçu par le débat qui ne lui avait pas donné entière satisfaction, s’était rallié à la proposition de loi de Claude Biwer, amendée mais insuffisante à ses yeux, et l’avait votée. Le problème, c’est que ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et que le Gouvernement n’y a pas donné suite par voie réglementaire, alors qu’il aurait pu le faire.

Toutefois, face à la mobilisation des associations et à l’opiniâtreté des sénateurs, le Gouvernement a instauré une aide exceptionnelle dans la loi de finances pour 2006, complétée dans la loi de finances rectificative pour 2006.

Monsieur le secrétaire d’État, lors de nos différents déplacements effectués dans le cadre du groupe de travail, à la préfecture de l’Essonne notamment, nous avons pu faire le constat suivant : contrairement à ce qui s’était passé en 2003, les services de l’État se sont réellement mobilisés pour cette aide exceptionnelle, même si nous avons identifié plusieurs faiblesses dans les modalités de sa mise en œuvre.

Je citerai simplement les réserves émises à cet égard par les représentants de la Fédération française du bâtiment lors de leur audition devant le groupe de travail. Elles résument bien, me semble-t-il, les dysfonctionnements constatés dans l’application de cette procédure exceptionnelle : défaut d’information des victimes, délais trop courts, consultation trop faible des professionnels en amont, enveloppe bien trop réduite – cela a été dit, je ne m’y attarderai pas –, gestion technique et financière réalisée en fait par les sinistrés eux-mêmes.

Au total, le taux de rejet des dossiers déposés dans le cadre de cette procédure exceptionnelle a été de 36 %. Loin de répondre à l’attente des sinistrés, elle a engendré de nouvelles et légitimes frustrations, car certaines plaies en voie de cicatrisation se sont rouvertes à cette occasion.

Des parlementaires irréductibles, pour la plupart présents ici ce matin, ont continué à se battre chaque fois qu’ils le pouvaient. Je remercie Jean-Claude Frécon d’avoir cité le département de l’Ardèche : à l’époque, notre collègue Michel Teston, qui ne pouvait assister à notre débat, en était le président du conseil général, et il s’était beaucoup battu pour la reconnaissance des sinistres.

Finalement, le groupe de travail fait un constat sévère de la gestion de la crise. Il souligne lui aussi avec force, après avoir procédé à de nombreuses auditions pendant plusieurs mois, l’opacité de la procédure, la réponse trop partielle et souvent injuste fournie par l’État, le dépassement des délais.

Au travers de ce rapport, notre objectif était que le dossier ne soit pas refermé, et il ne peut pas l’être. Nous avons voulu souligner la nécessité de renforcer la responsabilité des acteurs, élus locaux, constructeurs, propriétaires, l’État, bien sûr, responsable des politiques de prévention. Mais ce dernier, Mme Keller l’a rappelé, a visiblement du mal à assurer le financement, alors que c’est pourtant sa mission. Il y va ainsi de la cartographie des zones d’aléa argileux, élément essentiel pour les maires. Très souvent – c’est le cas dans mon département –, le conseil général finance cette action auprès du BRGM.

Aujourd'hui, c’est la question de la mise en application de nos recommandations qui est posée. Si le Sénat excelle dans la rédaction des rapports, en l’occurrence, il faut que nos propositions, toutes pertinentes, soient suivies d’effet.

Depuis l’adoption du rapport par la commission des finances en octobre dernier, nous avons eu de nouveau un débat lors de l’examen de la loi de finances pour 2010. Puisque la LOLF le permet, le groupe socialiste a présenté des amendements visant à affecter des crédits au programme de la mission « Écologie, développement et aménagement durables », en vue, notamment, de passer enfin à une cartographie généralisée.

Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie, s’était alors, ici même, engagée à ce que le reliquat des crédits votés pour l’aide exceptionnelle dans le cadre de la loi de finances pour 2006 soit affecté à l’indemnisation des victimes. Monsieur le secrétaire d'État, cela a-t-il été fait ?

La demande de renouvellement de l’aide exceptionnelle, que nous avions formulée dans ce même débat, a été rejetée par le Gouvernement.

Concernant le dispositif d’alerte, Mme Jouanno avait pris l’engagement de faire dans les trois mois, c'est-à-dire pour mars 2010, « un rapport complet, accompagné d’un calendrier sur la mise en place du dispositif d’alerte élaboré avec Météo France » ; elle avait toutefois refusé la demande de crédits formulée par le groupe socialiste et portant sur 10 millions d'euros. Cela avait amené Éric Doligé à déclarer ceci : « Je le répète, si un amendement de même nature est présenté à nouveau par mes collègues sur un texte quelconque pour essayer de faire face à cette situation, et si nous n’avons pas, dans trois mois, une réponse précise […], je le voterai. »

M. Jean-Pierre Sueur. C’était l’amendement prévoyant une dotation complémentaire de 180 millions d’euros !

M. Éric Doligé. J’attends un nouvel amendement !

Mme Nicole Bricq. Ne vous inquiétez pas, monsieur Doligé, notre opiniâtreté n’est pas du tout émoussée ! Je suis en train de vous le prouver, et les collègues qui vont me succéder ce matin poursuivront dans cette voie !

Triste conclusion : sept ans après, le passé n’est pas soldé et l’avenir ne se prépare pas. Le constat est sévère, mais c’est la réalité. Le passé ne passe pas pour de nombreuses victimes, qui sont persuadées au fond d’elles-mêmes qu’elles ont été sacrifiées à des considérations d’abord budgétaires.

De fait, le groupe de travail de la commission des finances s’est demandé pourquoi l’État avait préféré mettre en œuvre un mécanisme ad hoc plutôt que d’adapter les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget, avait déclaré en novembre 2005 à l’Assemblée nationale que l’élargissement des critères « risquerait d’entraîner immédiatement un appel en garantie » – nous arrivons à la fameuse Caisse centrale de réassurance ! – « qui pèserait directement sur le budget de l’État ». Nous y sommes !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

Mme Nicole Bricq. Ce choix budgétaire a pu renforcer la conviction que le traitement réservé aux sinistrés n’était pas lié à leur seule situation objective : en Seine-et-Marne, certains ont été indemnisés tandis que leurs voisins, de l’autre côté de la rue, ne l’ont pas été. Et ce qui s’est produit dans les communes de mon département a dû se produire également dans celles de bien d’autres ! De nombreux sinistrés attendent toujours les fonds nécessaires pour restaurer et sécuriser leurs habitations.

Le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales a chargé ses services d’étudier la proposition de la coordination seine-et-marnaise – qui a demandé à être reçue –, en liaison avec leurs correspondants du ministère du budget. Cela date du 15 mars 2010 : ce n’est pas vieux, monsieur le secrétaire d’État !

Dans l’Ardèche, que je citais tout à l’heure, notre collègue Michel Teston a récemment reçu les représentants de l’association ardéchoise de défense des sinistrés de la sécheresse : aucune commune du département n’a été reconnue en état de catastrophe naturelle pour la sécheresse de 2003, alors que 36 communes ont bénéficié de l’aide exceptionnelle de 2006. Là aussi, de nombreux sinistrés sont dans l’attente.

Les considérations budgétaires invoquées par le Gouvernement doivent être mises en perspective : entre 1988 et 2007, le coût des indemnisations au titre des catastrophes naturelles représente pour les assureurs un total de 34 milliards d’euros. Le coût de la tempête de 1999 a été évalué à 6,9 milliards d’euros et celui de la tempête Xynthia, me semble-t-il, à 1,5 milliard d’euros. Les prévisions pour la période 2001-2030 s’élèvent à 50 milliards d’euros.

Se pose donc le problème de la fameuse Caisse centrale de réassurance. Dans le rapport, où lui sont tout de même consacrées plusieurs pages, le constat est clair, mais – je viens de relire le passage – prudent : si aujourd’hui la capacité de réassurance de la Caisse doit évidemment être renforcée, il est précisé : « quand les finances publiques le permettront ». Nous touchons là au nœud gordien de l’affaire, et c’est pour cela que j’ai voulu y insister.

Nous serons confrontés à d’autres catastrophes, celles du passé ne sont pas soldées, et nous avons un problème financier. Si l’État ne se donne pas les moyens d’apporter son financement, via l’adossement, à la Caisse centrale de réassurance, que se passera-t-il ? Les primes seront augmentées ? Soit ! Ce sont donc les ménages qui paieront ! Cela suffira-t-il ? Nous savons tous parfaitement que non. Il faut donc faire des choix : la politique, c’est faire des choix, et gouverner, c’est agir en responsabilité.

Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes tous attachés au régime instauré par la loi de 1982, le régime de solidarité nationale, ce point n’a pas fait débat entre nous. Mais nous, parlementaires, devons-nous attendre, notamment pour les modifications des règles d’urbanisme et des porters à connaissance – tout cela est recensé dans le rapport –, que le ministère de l’intérieur, le ministère du développement durable, le ministère des finances, et j’en oublie peut-être, se mettent d’accord ? Pouvons-nous nous en remettre à la lenteur du processus réglementaire ?

On nous invite à attendre la publication à la fin de l’année du résultat des réflexions menées à la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages du ministère du développement durable par les cinq groupes de travail chargés de définir un nouveau corpus réglementaire. Mais cela fait des années que nous attendons ! En cet instant, je vous le dis, je pense que, tant d’un point de vue budgétaire que d’un point de vue réglementaire, puisque certaines codifications sont nécessaires, pour le passé comme pour l’avenir, ce dossier ne progressera que si le Gouvernement s’en donne les moyens. Cela devrait, à mon sens, passer par la nomination auprès du Premier ministre d’un délégué interministériel chargé de ces questions, sans quoi on va nous dire de ne pas nous inquiéter, que cela va arriver… et cela n’arrive jamais.

Monsieur le secrétaire d’État, aujourd’hui, nous attendons de l’État qu’il s’attelle à la tâche, nous attendons de vous que vous nous disiez très précisément et sans délai ce que vous allez faire. Nous le devons aux sinistrés, nous le devons aux parlementaires, nous le devons aux maires qui sont en premier lieu responsables. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Paul Alduy applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Houel.

M. Michel Houel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je citerai pour commencer mon intervention un chiffre très significatif : sur les 374 requêtes, émanant de 12 départements, adressées au Médiateur de la République à la suite de la sécheresse de 2003, plus d’un tiers ont concerné mon seul département, la Seine-et-Marne : 137 saisines, concernant 100 communes.

J’interviens donc à double titre : en tant que parlementaire contrôlant l’action du Gouvernement, mais aussi en tant que sénateur représentant les communes de mon département et président de l’Union des maires de Seine-et-Marne.

De ce dernier point de vue, je suis bien placé pour savoir combien les communes de Seine-et-Marne ont souffert des conséquences de la sécheresse de 2003. Je sais aussi que la réparation des préjudices subis demeure encore insuffisante.

Les maires ont notamment été confrontés à des problèmes d’iniquité de traitement et au manque de clarté des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, pourtant indispensable pour que les dossiers des sinistrés soient pris en charge par les compagnies d’assurance.

Comment expliquer que, dans mon département, des communes comme Claye-Souilly, Quincy-Voisins ou Esbly, où quantité d’habitations ont été dégradées par les mouvements de terrain qu’a provoqués le phénomène de déshydratation et réhydratation des sols argileux, n’aient pas été reconnues en état de catastrophe naturelle alors même qu’elles l’avaient été lors de précédentes sécheresses et a contrario d’autres communes pourtant limitrophes et situées sur le même type de sol géologique ? Les exemples sont nombreux, monsieur le secrétaire d’État, et je pourrais en citer bien d’autres !

Il est vrai que la loi de finances pour 2006 a créé une procédure d’aide exceptionnelle hors CAT-NAT, à hauteur de 180 millions d’euros, dont ont bénéficié 4 400 de ces communes discriminées. Ce montant a été porté à 218,5 millions d’euros par la loi de finances rectificative pour 2006. Les élus concernés sur le terrain que nous sommes le savent bien : malgré cela, l’indemnisation est encore insuffisante.

M. Jean-Pierre Sueur. Très insuffisante !

M. Michel Houel. En Seine-et-Marne, seuls 44 % des dossiers ont été retenus. Même dans les communes qui ont été reconnues en état de catastrophe naturelle, le niveau des indemnisations n’a pas dépassé 20 % du montant nécessaire pour financer la totalité des travaux destinés à assurer la pérennité des ouvrages sinistrés.

N’oublions pas non plus le caractère parfois très progressif des conséquences pernicieuses des aléas climatiques, en particulier sur les sols argileux. Ainsi, les dégradations n’étant pas apparues immédiatement, des habitations endommagées par la sécheresse n’ont pas été prises en compte, dans le cadre de l’arrêté de catastrophe naturelle, dans la répartition des montants distribués. Je donnerai un exemple très précis, pris dans ma commune, Crécy-la-Chapelle. Voilà six mois, j’ai alerté le préfet en demandant la réouverture de certains dossiers, des sinistres étant apparus après coup dans certaines maisons.

Monsieur le secrétaire d’État, nous disposons du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, et de bien d’autres organismes. Ce n’est pas suffisant : il faut que l’État manifeste une véritable volonté et fasse preuve d’une très grande fermeté pour imposer aux maires de tenir compte dans leurs documents d’urbanisme des risques liés aux sols argileux. Il ne s’agit pas d’interdire de construire, il s’agit simplement que les documents d’urbanisme édictent des règles beaucoup plus strictes pour les fondations. Car bien souvent, dans les zones pavillonnaires, les constructions ont pour fondations une simple semelle posée à même la terre, le garage étant attenant à l’habitation : bien évidemment, au moindre trouble, l’ensemble se désolidarise et les problèmes apparaissent.

Bien sûr, dans le département de Seine-et-Marne – son nom veut bien dire ce qu’il veut dire : les cours d’eau y sont nombreux ! –, des plans de prévention des risques d’inondation, des PPRI, ont été élaborés. Les maires les refusent.

Mme Fabienne Keller. C’est tout le sujet !

M. Michel Houel. Alors, monsieur le secrétaire d’État, il faut taper du poing sur la table, il faut faire preuve d’une très grande fermeté, il faut que le préfet parvienne à ce que ces communes les incluent dans leurs documents d’urbanisme. Il n’est pas admissible que certaines des communes concernées les appliquent tandis que d’autres traînent des pieds. Sur ce point, il est absolument nécessaire d’agir.

Voilà plusieurs années que, de projet de loi de finances en projet de loi de finances, de collectif budgétaire en collectif budgétaire, le problème est toujours posé sans jamais être résolu. Lors de l’examen de la première loi de finances rectificative pour 2009, nous avons enfin abouti à quelque chose de plus concret : la création d’un groupe de travail spécifique au sein de la commission des finances du Sénat. Au nom du groupe UMP, je tiens à en saluer le président, Éric Doligé, le rapporteur, Fabienne Keller, ainsi que tous les membres ici présents. Leurs conclusions sont à la fois pragmatiques et réalistes ; elles ne doivent pas, monsieur le secrétaire d’État, rester lettre morte.

M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà ! C’est là tout le problème !

M. Michel Houel. Il y va de la confiance des relations entre le Parlement et le Gouvernement, ainsi que de la reconnaissance de notre travail et de notre connaissance du terrain.

Nous sommes des élus responsables, nous sommes conscients des difficultés budgétaires actuelles, renforcées par la crise. Néanmoins, nous constatons sur le terrain que des situations très difficiles subsistent : il s’agit d’une question d’équité.

Un collectif réunissant près de la moitié des communes laissées pour compte en Seine-et-Marne et représentant un bassin de plus de 260 000 habitants a relevé depuis l’été 2003, sur les différents territoires concernés, des fissures en façade, des décollements entre différents corps d’ouvrages, des affaissements de dalles, des dislocations de cloisons, des distorsions de portes et fenêtres, bien souvent à ne plus pouvoir fermer ni les fenêtres ni les volets – tous désordres auxquels j’ai fait allusion tout à l’heure.

Et que dire des retraités qui ont investi toutes leurs économies dans la construction d’une maison qu’ils comptaient transmettre à leurs enfants et qui aujourd’hui tombe en ruine ?

Discourons peu et sans ambages : nous constatons sur le terrain que le montant global des indemnisations a été insuffisant, et la procédure d’aide exceptionnelle, censée diminuer le nombre des situations d’iniquité, a été encadrée par des conditions trop strictes de forme et de délai. Le rapport du Sénat préconise des indemnisations complémentaires très ciblées, intervenant après expertise. Cela me semble raisonnable, et le groupe UMP soutient cette proposition.

De manière plus générale, la modernisation du régime CAT-NAT, telle que la préconise avec pertinence le groupe de travail sénatorial, est d’autant plus indispensable et urgente que les catastrophes naturelles semblent à la fois plus fréquentes et plus graves que par le passé. La dernière tempête, Xynthia, survenue voilà moins d’un mois, en est malheureusement le parfait exemple. (Applaudissements sur les travées de lUMP et sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Commençons donc, monsieur le secrétaire d’État, par citer William Shakespeare,…

M. Jean-Pierre Sueur. … qui, dans l’une de ses pièces, fait dire à l’un de ses personnages : « Des mots, des mots, des mots, toujours des mots ! » Et, plus récemment, quelqu’un disait : « Paroles, paroles, paroles ! »

M. Éric Doligé. Ah ! Dalida !

M. Jean-Pierre Sueur. Je vous remercie, monsieur Doligé, de faire preuve d’une grande culture en la matière ! (Sourires.)

Sur cette question, c’est le fonds qui manque le plus ou, plutôt, ce sont les fonds qui manquent le plus ! Tous les collègues qui m’ont précédé à cette tribune ont déjà souligné l’ensemble des démarches entreprises depuis 2003 – voilà déjà sept ans ! – et ont des avis convergents sur la situation. Ce débat ne prendra tout son sens qu’avec la réponse que vous allez nous donner, monsieur le secrétaire d'État, et les espèces sonnantes et trébuchantes que vous allez nous apporter.

Vous le savez, le montant des préjudices est estimé à 1,5 milliard d’euros. Or, à ce jour, une enveloppe, qui a été complétée, a pu être dégagée à hauteur de quelque 228 millions d’euros. Cela a été souligné, nombre de nos concitoyens sont dans la détresse car ils ne peuvent faire face aux dépenses occasionnées par les graves dommages que leur habitation a subis.

Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi aussi de dire que la gestion de ce dossier a été marquée par une profonde injustice.

En effet, si l’on regarde la liste des communes déclarées sinistrées au titre de la loi sur les catastrophes naturelles, on constate de très grandes disparités.

Pour prendre l’exemple du département du Loiret, cher à Éric Doligé et à moi-même, l’excellent rapport d’information de nos collègues Frécon et Keller souligne que « M. Claude Naquin, président du Collectif national de défense des sinistrés de la sécheresse de 2003, a indiqué que “les seules communes du Loiret à avoir été reconnues en état de catastrophe naturelle ont été celles qui étaient rattachées à une station météorologique d’un département voisin”, situation qu’il a jugée “abracadabrante” ».

M. Laurent Béteille. « Abracadabrantesque » ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà cinq ou six ans, j’avais demandé ici même à cette tribune à M. Hortefeux, alors chargé des collectivités territoriales, de venir dans le département du Loiret afin qu’il m’explique pourquoi la commune de Dammarie-sur-Loing avait été déclarée sinistrée et pas celle de Beauchamps-sur-Huillard, qui l’a été depuis, ce dont je me réjouis. Plus de 200 communes du Loiret avaient demandé à être inscrites en état de catastrophe naturelle ; une trentaine l’ont été et 186 d’entre elles n’ont pas obtenu satisfaction.

Très franchement, je vous invite, monsieur le secrétaire d'État – nous vous recevrons avec plaisir ! – à nous rendre visite, car nous serons contents de vous entendre exposer les raisons météorologiques et géologiques pour lesquelles certaines communes ont été déclarées sinistrées et pas d’autres.

Mme Nicole Bricq. Il ne peut pas !

M. Jean-Pierre Sueur. En toute objectivité, on constate qu’aux raisons géologiques et météorologiques se sont ajoutées des raisons géopolitiques, qui ont souvent pesé davantage. Il y a donc eu beaucoup d’injustice en la matière.

J’aurais pu vous livrer toute une série de citations émanant de personnalités diverses, mais je respecterai le temps qui m’a été imparti.

Ainsi, le 20 janvier 2005, M. Dominique de Villepin a déclaré, en réponse à M. Mortemousque : « À ma demande, M. le Premier ministre a accepté de prendre en compte les situations personnelles. Nous allons donc d’ici au 15 février définir de nouveaux critères. »

Mme Nicole Bricq. Quelle année ? (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. Or aucun nouveau critère n’a été retenu dans ce laps de temps !

Mon collègue Bernard Vera vous a déjà communiqué, et je l’en remercie, la réponse que m’avait faite, en 2007, Mme Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur : « Je viens d’obtenir l’accord de Bercy pour répondre au problème posé. Une disposition vous sera soumise lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative, qui devrait permettre un règlement au début de 2008. Ainsi, dans un délai assez court, sera résolu un problème qui se posait depuis longtemps. » Aucune suite !

M. Dominique Bussereau déclarait, en 2008 : « Dans l’immédiat, aucune nouvelle dotation budgétaire n’est prévue, mais je prends néanmoins bonne note, monsieur Sueur, de votre appel. Dès demain, je ferai part de votre demande à Mme le ministre de l’intérieur. »

Et je pourrais continuer ainsi les citations…

Très franchement, nous en avions assez de constater que les bonnes intentions n’étaient suivies d’aucun effet, et je remercie de tout cœur nos collègues Éric Doligé, Fabienne Keller et Jean-Claude Frécon d’avoir rédigé ce rapport d’information, qui comporte des recommandations importantes.

Concernant la proposition n° 9, « le groupe de travail souhaite que la totalité du reliquat de fonds constaté au titre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation soit exclusivement consacré au versement des aides aux victimes de la sécheresse. » Monsieur le secrétaire d'État, qu’en est-il ?

Le 1er décembre 2009, Mme Chantal Jouanno indiquait : « Cette disposition ne relève pas du domaine législatif, mais je m’engage très clairement à ce que le reliquat soit affecté à l’indemnisation des victimes. Cela ne pose aucune difficulté. » Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous en apporter la confirmation ? Les associations, que je salue, ont demandé un bilan tant des aides qui ont été attribuées au titre de la première et de la deuxième enveloppe que des situations restées sans réponse.

Dans sa proposition n° 10, qui est particulièrement importante, « le groupe de travail demande au Gouvernement de mettre en œuvre une vague complémentaire d’indemnisations. Afin de circonscrire les effets d’aubaine et de limiter les demandes reconventionnelles, ces indemnisations pourraient être réservées aux personnes sinistrées ayant déjà déposé un dossier dans le cadre de la procédure exceptionnelle et devraient être conditionnées par la réalisation d’une expertise préalable. »

Je ne reviendrai pas sur l’intervention de Mme Bricq à propos des déclarations de M. Doligé, sauf pour préciser, sous le contrôle de l’intéressé, que celles-ci portaient sur un amendement par le biais duquel nous demandions 180 millions d’euros. Cher collègue Doligé, vous nous aviez répondu que c’était beaucoup, mais que toute somme inférieure, quelle qu’elle soit, serait la bienvenue et à la mesure de l’attente de nos concitoyens.

Vous aviez même ajouté, mon cher collègue : « Toutefois, si un tel amendement venait à être représenté dans les trois prochains mois et que le Gouvernement ne dispose toujours pas d’un chiffrage précis, je voterai cet amendement. » Ce que n’a pas précisé Mme Bricq, par modestie, c’est que le compte rendu intégral de nos débats, qui rend également compte des mouvements de séance, a noté : « Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. » Je le réitère ici aujourd'hui.

Je me tourne vers vous, monsieur le secrétaire d'État. Vous comprenez bien que de nouvelles déclarations d’intention provoqueraient une réelle déception. Nous estimons que l’État doit consentir un effort, qui vous est d’ailleurs demandé par tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Cet effort doit être raisonnable, mais à la hauteur de ce qui est nécessaire, à savoir, au minimum, quelques dizaines de millions d’euros, pour montrer que la République prend en compte la détresse, je dis bien « la détresse », d’un certain nombre de nos concitoyens. Aussi, tout est dans la réponse financière qui nous sera aujourd'hui apportée ou dans l’engagement que vous pouvez prendre eu égard au prochain projet de loi de finances rectificative. Cela fait sept ans que nous en parlons, nous espérons que le Gouvernement s’engagera enfin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir, à mon tour, dans ce débat, non pas évidemment pour répéter une fois de plus ce que mes autres collègues ont fort bien dit et que je partage, mais essentiellement parce que j’ai eu l’occasion de rencontrer personnellement de nombreuses victimes de la sécheresse de 2003 et j’ai constaté leur profonde détresse et leur incompréhension.

Oui, la sécheresse de 2003 a causé un désarroi profond et durable chez nos concitoyens victimes de cette catastrophe, car certains d’entre eux ont été insuffisamment indemnisés, voire pas du tout. Par ailleurs, les élus des communes m’ont confié qu’ils ne comprenaient pas les incohérences constatées dans le cadre de l’indemnisation.

J’ai rencontré la semaine dernière Bernard Zunino, le maire de Saint-Michel-sur-Orge, qui, une fois encore, a attiré mon attention sur ce grave problème.

Les nombreux recours intentés par les victimes ou les associations de victimes ou, encore, les communes démontrent, si besoin était, que la gestion de la sécheresse de 2003 n’est pas soldée et ne peut pas rester en l’état.

Dans le département de l’Essonne, 55 communes n’ont pas été reconnues en situation de catastrophe naturelle. Sur 575 dossiers de sinistres déposés en préfecture, 265 ont été déclarés éligibles et ont fait l’objet d’une indemnisation partielle au titre de l’article 110 de la loi de finances pour 2006.

Avec l’ensemble des parlementaires de ce département, nous n’avons pas ménagé nos efforts. Personnellement, j’ai posé un certain nombre de questions au Gouvernement lors de l’examen des différents projets de loi de finances ou projets de loi de finances rectificative. L’Union des maires de l’Essonne, que je préside, s’est directement impliquée dans ce combat et a d’ailleurs aidé les communes à introduire des recours contre l’arrêté initial de catastrophe naturelle, jugé injuste.

Dès lors, je tiens à saluer l’initiative de la commission des finances de notre assemblée qui a constitué en son sein, en février 2009, un groupe de travail dédié à la situation des sinistres enregistrés lors de la sécheresse de 2003 et, au-delà, à la réforme d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Ce groupe de travail s’est d’ailleurs rendu, dans mon département, à Brétigny-sur-Orge et à Saint-Michel-sur-Orge pour constater la situation de ces communes qui n’ont pas été déclarées sinistrées, alors qu’un certain nombre de personnes ont vu leur habitation complètement dégradée par le phénomène de déshydratation et de réhydratation des sols. Nous avons également tenu une réunion à la préfecture d’Évry pour établir un diagnostic de la mise en œuvre des procédures d’indemnisation. À cet égard, je ne reviendrai pas sur les insuffisances du dispositif que mes collègues ont signalées avant moi.

Nous le reconnaissons, des efforts considérables ont été réalisés par l’État, des moyens financiers ont déjà été dégagés, mais il n’en demeure pas moins que la solution n’est toujours pas trouvée.

Le régime des catastrophes naturelles qui assure la protection des biens contre les dégâts causés par des phénomènes exceptionnels révèle des insuffisances, plus particulièrement encore en matière de sécheresse, les autres phénomènes étant peut-être plus facilement identifiables, ne serait-ce que par leur côté plus spectaculaire.

Ce dispositif manque de transparence ou, en tout cas, de lisibilité, et les assurés, comme les élus, s’interrogent sur les modalités d’éligibilité du sinistre, sur les décisions d’indemnisation ou de refus d’indemnisation, notamment, comme cela a été souligné, lorsque deux communes contiguës ne sont pas traitées de la même manière, ce qui est ressenti comme injuste pour les assurés, les associations et les élus.

En outre, le dispositif exceptionnel de la loi de 2006 a prévu des délais très courts, compte tenu du fait que les sinistrés ont dû déposer en préfecture deux devis de travaux. Les préfectures ont statué sur la base de devis et non d’expertises approfondies incluant des sondages de sol.

Sept ans plus tard, cela a été déjà dit, mais je me dois de le répéter, beaucoup de sinistrés vivent encore dans des pavillons instables, invendables, voire inhabitables, et n’ont pas les moyens de les réparer.

Le groupe de travail a fait un rapport de grande qualité. Il a dressé un état des lieux de la sécheresse de 2003 et formulé des préconisations de nature à solder définitivement ce dossier complexe et douloureux.

À mon tour, j’en appelle au Gouvernement pour qu’il prenne des mesures nécessaires à l’achèvement du processus d’indemnisation des victimes, afin que celles-ci obtiennent justice, et à la consolidation du régime d’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles.

Toutefois, si je partage l’avis de la commission des finances sur la nécessité de conserver un arrêté interministériel, je pense que ce texte ne doit pas être trop précis, car cela aboutirait tout naturellement à des restrictions et à des injustices.

Enfin, le Gouvernement doit renforcer la protection de nos concitoyens grâce à une politique de prévention des risques et à des règles de construction. Ainsi est-il absolument nécessaire de généraliser l’obligation d’étude de sol dans les zones argileuses à risque, à condition d’en établir la cartographie. Mais je ne vais pas reprendre les propos qui ont été déjà tenus par d’autres.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois vraiment que la situation n’a que trop duré ! Il est nécessaire d’assurer à nos concitoyens une véritable indemnisation et d’apporter des mesures de justice à l’ensemble des victimes, afin que ce dossier puisse enfin être clos ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.

Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sept années se sont bientôt écoulées et la question de l’indemnisation des sinistrés demeure. Cela fait sept années que des familles ont tout perdu, qu’elles ont vécu des drames psychologiques et financiers, qu’elles se sont battues et se battent encore pour leur dignité et contre l’injustice. Ce sont sept années douloureuses que ces familles ont vécu dans l’attente ; elles ne doivent plus attendre.

La sécheresse de 2003 a été exceptionnelle à plus d’un titre et ses conséquences ont été dramatiques pour beaucoup.

Elle a été exceptionnelle par son intensité : 138 000 sinistrés, des dégâts estimés à 1 108 millions d’euros par la Caisse centrale de réassurance. Or, comme cela a été dit, le gouvernement de l’époque n’a pas apporté une réponse à la hauteur de la situation.

Une enveloppe budgétaire de procédure d’indemnisation exceptionnelle a été adoptée à l’occasion de la loi de finances pour 2006. Son montant de 180 millions d’euros a été porté par le Parlement à 218,5 millions d’euros. Inexistante pour certains, elle s’est révélée bien insuffisante pour les autres. Le compte n’y était pas ; je suis certaine que vous en conviendrez.

Exceptionnelle, la sécheresse de 2003 l’est également par ses caractéristiques. Les critères scientifiques traditionnels employés pour reconnaître l’état de catastrophe naturelle se sont avérés peu opérationnels. Des assouplissements et des réaménagements ont été nécessaires. Ils ont ainsi abouti à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pour environ 4 000 communes sur plus de 8 000 qui l’avaient sollicité !

Comme l’ont rappelé nos collègues au nom de la commission des finances, tant le rapport d’information fait au nom de cette commission que l’opiniâtreté et le travail réalisé par nos collègues Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste nous permettent aujourd’hui d’avoir ce débat.

Toutefois, ces réajustements ont été opérés en fonction de considérations budgétaires, afin d’éviter que le coût des indemnisations au titre du régime CAT-NAT n’entraîne l’appel en garantie de l’État. À ce titre, ils ont été ressentis par les sinistrés et les élus comme manquant d’objectivité.

Enfin, la sécheresse de 2003 a mis en évidence les imperfections du zonage météorologique utilisé. Ainsi, des communes voisines qui, pourtant, avaient des caractéristiques géologiques identiques se sont vu appliquer des traitements différenciés, au seul motif qu’elles étaient rattachées à des zones différentes.

Improvisation, arbitraire et incompréhension sont les qualificatifs que nous avons tous entendus et que nous entendons encore dans nos permanences ou lors de nos rencontres avec les sinistrés, pour décrire la gestion de cette catastrophe.

Le déplacement du groupe de travail dans le département que je représente, l’Essonne, a mis en exergue les difficultés extrêmes vécues par les familles, difficultés que je reprendrai pour illustrer ce qu’a vécu et ce que vit encore un trop grand nombre de concitoyens dans l’ensemble des départements qui ont été cités au cours de ce débat.

Parmi les familles visitées, l’une d’elle, habitant Saint-Michel-sur-Orge, a vu son dossier rejeté en préfecture à la suite d’une erreur d’interprétation d’un rapport d’expertise. En 2006, les devis s’élevaient à plus de 80 000 euros de travaux. Aujourd’hui, la situation est bloquée. Ce couple proche de la retraite ne peut pas emprunter auprès d’organismes financiers en raison de problèmes de santé et de l’âge.

Dans une autre commune essonnienne, Arpajon, une femme seule a bénéficié d’une aide de 25 000 euros, alors que la consolidation de son logement était estimée à 120 000 euros. La commune n’ayant pas été reconnue en CAT-NAT, les assurances n’interviendront pas.

L’indemnité exceptionnelle mise en place n’a apporté aucune solution juste et raisonnable aux dommages de 2003. Très insuffisante en général, elle a pu aussi, de façon exceptionnelle, être anormale, voire excessive dans certains cas. C’est la raison pour laquelle je suis pleinement favorable à la demande faite par le groupe de travail sénatorial de mise en œuvre d’une indemnisation complémentaire.

De même, il faut reverser la totalité du reliquat du fonds constaté au titre de la procédure exceptionnelle d’indemnisation aux victimes. La proposition de réserver ces indemnisations à ceux qui ont déjà déposé un dossier dans le cadre de la procédure exceptionnelle et réalisé une expertise préalable va dans le bon sens, j’y insiste, monsieur le secrétaire d'État.

L’adaptation des normes de construction, l’information des acquéreurs, la sensibilisation des élus de communes exposées au risque argileux ainsi que des recommandations à leur intention sont également indispensables.

La sécheresse de 2003 a mis en évidence un dispositif de reconnaissance qui manque de transparence. Ce point concerne notamment la définition de « l’intensité anormale d’un agent naturel ». Elle ne rend pas précisément compte des critères et des seuils physiques retenus pour la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

Des aménagements sont donc nécessaires. Ils doivent répondre à un triple objectif, à savoir la transparence, l’équité et la rapidité. Mais le maintien d’un régime obligatoire faisant appel à la solidarité ne peut être remis en cause.

Si la prise d’arrêtés interministériels constitue une manifestation de solidarité nationale, je suis favorable aux préconisations du rapport, précédées de celles que contenait le texte de Mme Nicole Bricq et de ses collègues socialistes, qui sont une incitation à décentraliser l’élaboration de la prise de décision de déclaration de l’état de catastrophe naturelle. Il est urgent que l’objectivation des critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle entre en vigueur rapidement, afin que les élus et les citoyens en aient connaissance.

L’énorme travail des associations de sinistrés, qui sont très présents ce matin dans nos tribunes et que, à mon tour, je salue, a mis en évidence les multiples dysfonctionnements, opacités ou traitements discriminatoires d’une préfecture à une autre. Il est d’ailleurs regrettable que ces derniers ne soient pas plus associés aux réformes en cours.

J’aimerais croire que ce travail n’a pas été vain ; mais les événements récents tendent à prouver que le Gouvernement n’a pas encore su tirer les leçons de cette catastrophe. J’en veux pour preuve les difficultés rencontrées par les familles et les élus victimes des périodes de sécheresse de 2005 et de 2009.

Une fois encore, l’Essonne, comme d’autres départements, est touché fortement et les communes se battent encore aujourd’hui pour obtenir des réponses quant à leur classement en CAT-NAT.

La mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia apportera à son tour analyses et propositions sur les questions de responsabilité.

Souhaitons que tous ces travaux parlementaires qui se succèdent soient un jour suivis d’effet, tant sur la prévention des risques, la répartition des indemnisations, la transparence des décisions et des critères que sur les seuils retenus. Nos concitoyens l’attendent ; le Gouvernement doit nous entendre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bernard Vera applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, étant le dernier orateur,…

Mme Nicole Bricq. Mais non le moindre ! (Sourires.)

M. Jean-Paul Alduy. … je ne vais pas répéter tout ce qui a été dit. Vous l’avez compris, monsieur le secrétaire d’État, sur l’ensemble des travées de cette assemblée, les analyses et le diagnostic sont les mêmes, et chacune et chacun d’entre nous approuve le très bon rapport présenté par nos collègues Fabienne Keller et Jean-Claude Frécon.

Je me limiterai à vous dire mon ressenti et à vous faire partager quelques instants le désarroi et la révolte des familles de mon département, dont l’association est ici présente (L’orateur montre une des tribunes du public.), qui continuent de se battre pour obtenir la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle des communes de Perpignan et de Cabestany.

Au travers de cette évocation, monsieur le secrétaire d’État, j’espère vous convaincre – mais je sais que vous êtes déjà convaincu ! – qu’il est grand temps à la fois de réformer le régime d’indemnisation et de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, et de le compléter par des mesures réglementaires de prévention et d’information, comme cela est préconisé dans le rapport.

Rendez-vous compte, le 1er avril 2010 nous parlons encore de la sécheresse de 2003 !

Mme Nicole Bricq. Et ce n’est pas une mauvaise plaisanterie !

M. Jean-Paul Alduy. Dans mon département, 144 familles continuent de se battre – je dis bien « de se battre » ! – depuis sept ans contre ce que j’appellerai l’acharnement des différents ministères concernés.

Qu’on en juge ! À la fin de 2005, un arrêté interministériel exclut les communes de Perpignan et de Cabestany. Nous faisons appel et nous obtenons du tribunal administratif l’annulation de l’arrêté. Ce texte, sur le détail duquel je ne reviendrai pas, démontre, à l’évidence, que les critères définis sont inopérants ; nous gardons espoir.

En mars 2009, sentant qu’il allait perdre, l’État définit un nouvel arrêté avec les mêmes arguments et la même démarche. Bien évidemment, le tribunal administratif annule de nouveau cet arrêté. Et voilà que, en février dernier, on fait appel. On gagnera l’appel ! Mais que se passera-t-il ? On ira en cassation, un nouvel arrêté sera défini… Ce n’est pas sérieux !

Il s’agit véritablement d’un acharnement destiné à éviter de traiter le sujet au fond. Le rapport de nos collègues démontre les voies sur lesquelles on doit aujourd’hui s’engager pour, enfin, mettre un terme à ce dispositif.

Il est vrai que la procédure d’indemnisation a été exceptionnelle ; globalement, elle représente le tiers des indemnisations évaluées. Mais elle a été suivie d’un sentiment d’injustice et de désarroi qui a aggravé encore le ressenti et la situation locale.

Pendant sept années, des familles se sont endettées pour réaliser des travaux de première urgence, des maisons sont restées invendables et des ménages ont été mis en danger physiquement, financièrement et moralement.

Monsieur le secrétaire d’État, et ce sera ma conclusion car je ne suis pas là pour reprendre tout ce qui a déjà été dit sur l’ensemble des travées de cette assemblée, il est temps de clore ce dossier.

M. Bernard Vera. Très bien !

M. Jean-Paul Alduy. Et je ne vois pas d’autre méthode que la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il est temps de le faire, car il y va de la crédibilité de la parole de l’État au moment où une autre catastrophe naturelle de grande ampleur vient de frapper la côte vendéenne.

Tel est mon ressenti. Comme Mme Nicole Bricq l’a dit tout à l’heure, je crois sincèrement que ce long débat au Sénat, ce véritable chemin de croix...

Mme Nicole Bricq. Une longue marche !

M. Jean-Paul Alduy. ... doit maintenant trouver sa conclusion,...

Mme Nicole Bricq. Sans crucifixion ! (Sourires.)

M. Jean-Paul Alduy. ... effectivement, si possible sans crucifixion ! (M. Laurent Béteille applaudit. – Plusieurs sénateurs de l’Union centriste et du groupe socialiste applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la récente tempête Xynthia, qui a provoqué le décès de 53 de nos concitoyens et martyrisé le littoral vendéen et charentais, a conduit le Gouvernement à déclarer, sans délai, l’état de catastrophe naturelle pour quatre départements et à appliquer le droit commun pour les autres communes touchées.

Confronté à la sécheresse de 2003, le Gouvernement a également su prendre des mesures spécifiques et évolutives. C’est tout l’objet de ce débat au sein de la Haute Assemblée.

Avant d’apprécier l’action gouvernementale menée lors de la sécheresse de l’été 2003, phénomène naturel à cinétique lente, donc moins brutal et moins médiatique, je tiens à rappeler que la France est l’un des seuls pays européens, avec la Grande-Bretagne, à recenser la sécheresse comme catastrophe naturelle. Notre pays a d’ailleurs plus de mérite en la matière que notre voisin britannique, moins concerné par ce problème. Les autres pays comparables au nôtre considèrent qu’il s’agit d’un risque connu d’avance pour lequel une action préventive appropriée peut être menée, notamment en termes de techniques de construction ; c’est également un élément important de ce débat.

Je tiens à féliciter tous ceux qui ont participé à ce groupe de travail sur la sécheresse, et tout d’abord son président, Éric Doligé, ses rapporteurs Jean-Claude Frécon et Fabienne Keller, mais aussi ses autres membres : Nicole Bricq, Adrien Gouteyron, Jean-Jacques Jégou, Aymeri de Montesquiou et Bernard Vera, parmi lesquels certains viennent de s’exprimer.

Face à un phénomène climatique exceptionnel, l’État a su revoir les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle.

En 2003, la nation a été confrontée à un phénomène climatique exceptionnel, tant sur le plan du nombre de communes concernées – plus de 8 000 sur quelque 36 000 ! – qu’en termes climatologiques. Ce phénomène climatique s’est produit pendant la période estivale alors qu’il intervient habituellement lors de la période hivernale.

Le Gouvernement, il faut également le rappeler, a tenu compte de cette double réalité en adaptant les critères de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Sans cette initiative gouvernementale majeure, seules 200 communes auraient pu bénéficier classiquement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles en application des critères antérieurs.

La commission interministérielle, composée à la fois des experts du ministère de l’écologie et de représentants de Bercy, sous la présidence du ministère de l’intérieur, est désormais chargée d’émettre des avis sur les demandes communales en appliquant des critères qui couvrent au mieux toutes les situations rencontrées. En effet, des données météorologiques précises fondées sur un rapport de Météo-France, associées à la présence vérifiée d’argile sur une partie du territoire de la commune, permettent de caractériser si le phénomène présente, conformément à la loi, un caractère anormal ou non.

La solidarité nationale, déconcentrée dans son exécution, répond à la demande des sinistrés.

Conscient que toutes les situations, notamment celles qui ont été signalées par les parlementaires et les maires, n’ont pu être réglées, malgré les adaptations techniques que je viens d’évoquer, le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre un dispositif exceptionnel de solidarité nationale doté de 218,5 millions d’euros prévu par la loi de finances pour 2006, en faveur des sinistrés des communes non reconnues, alors qu’en principe ils ne pouvaient prétendre à aucune indemnisation.

Cet effort financier, important en période de difficultés budgétaires, a porté sur les dégâts les plus significatifs, touchant au rétablissement de l’intégrité de la structure, du clos et du couvert des résidences principales. En effet, le Gouvernement a souhaité concentrer l’aide exclusivement sur le foyer, jugé essentiel à la vie quotidienne des sinistrés, en faisant le choix de ne pas couvrir les dégâts occasionnés à des résidences secondaires.

Je rappelle à M. Collin que les agriculteurs sont éligibles au régime des calamités agricoles, notamment pour les dégâts aux récoltes et, pour les dommages causés aux bâtiments, au régime des catastrophes naturelles, et ce dans le respect des règles communes. Je vais évoquer avec le ministre de l’agriculture ces sujets que je connais bien car ils concernent aussi mon canton, et je tiendrai M. Collin informé des évolutions qui se feront jour sur ce dossier des calamités agricoles affectant les bâtiments.

Messieurs Béteille et Vera, l’instruction des dossiers, qui ont pu être déposés au terme d’un délai passé de deux à quatre mois, s’est effectuée au niveau des préfectures de chaque département, au plus près des réalités locales. Ces commissions composées des services compétents de l’État, assistées d’experts des assurances, ont traité près de 19 000 demandes. On recense un faible nombre de recours contentieux : moins de 2 %, soit 356 dossiers.

À cet égard, il est à noter, monsieur Alduy, que dans une grande majorité des cas, que ce soit au titre des catastrophes naturelles ou de l’article 110 de la loi de finances pour 2006, les juridictions administratives se prononcent dans le sens des arguments développés par l’État.

Au total, 84 % des communes ont été indemnisées, soit au titre des catastrophes naturelles, soit au titre du dispositif exceptionnel de l’article 110 de la loi de finances pour 2006.

Je tiens à préciser à Mmes Campion, Bricq, ainsi qu’à MM. Vera et Sueur, que la quasi-totalité de l’enveloppe des 218,5 millions d’euros a été consommée. Les « reliquats » de cette somme, soit 3,6 millions d’euros en juin 2009, ont déjà fait l’objet de nouvelles attributions aux sinistrés, au vu des demandes des préfets, pour un montant de 1,9 million d’euros. Les deux décisions déjà prises en 2009 et 2010 seront complétées jusqu’à épuisement des montants encore disponibles, soit 1,7 million d’euros. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Monsieur Doligé, votre groupe de travail sur la sécheresse l’avait souhaité, le Gouvernement vous a suivi.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est toujours la même somme !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je vous signale, monsieur Houel, que le chiffre évoqué de 20 % d’indemnisation correspond à une décision des compagnies d’assurance ou des mutuelles, sous la souveraine appréciation des tribunaux judiciaires. L’indemnisation de l’assuré par sa compagnie ne saurait évidemment concerner l’État, car il s’agit de relations contractuelles.

Messieurs Houel et Béteille, la situation des communes limitrophes s’explique aisément. Si elles ne relèvent ni des mêmes zones météorologiques ni des mêmes stations de référence, placées dans des situations différentes, avec des résultats différents, elles ne sauraient obtenir le même traitement.

Vous noterez cependant, comme M. Vera, que le Gouvernement a accepté, dans le cadre de l’article 110 de la loi de finances pour 2006, un amendement parlementaire accordant une enveloppe de 30 millions d’euros, sans préjudice des autres aides, aux sinistrés des communes limitrophes de communes reconnues en état de catastrophe naturelle. C’est d’ailleurs le cas pour un nombre significatif de dossiers dans votre département, monsieur Béteille : 100 sinistrés sont dans cette situation, sur un total de 246 dossiers éligibles.

Monsieur Doligé, je vous ai écouté et entendu, même si je dois attirer votre attention sur certains chiffres. Il y a eu 138 000 sinistres « catastrophes naturelles » indemnisés à hauteur d’un peu plus de 1 milliard d’euros, alors qu’au titre de l’article 110 de la loi de finances pour 2006, 12 000 sinistrés ont obtenu 218,5 millions d’euros.

Mais laissons là les comparaisons chiffrées. Il convient, au terme de ce débat, de se tourner vers l’avenir pour mieux appréhender ce phénomène et, dans la mesure du possible, le prévenir.

Une réforme en profondeur du régime des catastrophes naturelles, que souhaite également Jean-Paul Alduy, est nécessaire sur le plan tant législatif que réglementaire.

Après la tempête Xynthia, le Président de la République, dans son discours de La Roche-sur-Yon du 16 mars dernier, a tracé des perspectives claires pour améliorer le fonctionnement du régime global d’indemnisation des catastrophes naturelles. Cela sera fait dans les meilleurs délais, en étroite collaboration avec mes collègues Christine Lagarde, François Baroin et Jean-Louis Borloo.

Les travaux vont commencer, et nous devons viser trois objectifs : inciter à la prévention, favoriser une indemnisation rapide des sinistrés, offrir plus de visibilité qu’aujourd’hui à l’ensemble des acteurs sur les conditions de déclenchement des garanties « catastrophes naturelles ». L’État a donc bien pris en compte les préoccupations exprimées par votre groupe de travail. Ces objectifs, madame Keller, seront poursuivis dans le respect du principe de la solidarité nationale, qui est au cœur du régime « catastrophes naturelles ».

Au-delà de ces grands objectifs, nos travaux devront également s’intéresser aux modalités de traitement des sécheresses, en particulier en lien avec la question de la prévention. L’ensemble de ces points devra être discuté avec la représentation nationale.

Je tiens à souligner, à cet égard, que les phénomènes de retrait-gonflement des argiles ont représenté 42 % du coût des dommages « CAT-NAT » sur la période 1995-2006. C’est considérable quand on sait qu’il existe pour le risque sécheresse des moyens de prévention efficaces, étant donné le lien direct entre la qualité des bâtiments et leur vulnérabilité devant le risque de subsidence.

Des réflexions ont été menées sur l’adaptation des règles de construction au phénomène du retrait-gonflement des argiles. Vous pouvez compter, madame Keller, sur la détermination totale du Gouvernement pour donner une traduction réglementaire de ces avancées.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Monsieur Doligé, ces travaux s’appuieront sur votre rapport d’information, dont je tiens à saluer encore une fois la grande qualité, et aussi sur le rapport des inspections de 2005, qui avait souligné les points positifs du dispositif assuranciel et institutionnel français tout en suggérant des pistes d’amélioration en termes de transparence et de prévention. Les inspections mettaient l’accent sur la coordination nécessaire entre les politiques de prévention, dont les mécanismes doivent être rendus plus efficaces, et l’indemnisation.

Messieurs Biwer et Frécon, depuis 2003, des progrès ont été réalisés en termes tant de cartographie que de plans de prévention des risques naturels.

Ainsi, le Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM, a déjà cartographié soixante-cinq départements, soit les deux tiers, et tous seront consultables sur Internet au début de l’année 2011.

Par ailleurs, au 31 décembre 2009, 1 000 plans de prévention des risques naturels relatifs à la sécheresse ont été approuvés ; 1 288 sont actuellement prescrits. À cet égard, je me permets, monsieur Biwer, de rappeler qu’en 2003 seuls 514 plans de cette nature avaient été décrétés ; aucun n’avait encore fait l’objet d’une approbation.

Sans attendre cette nécessaire réforme, je puis d’ores et déjà vous annoncer des améliorations substantielles, qui correspondent, monsieur Doligé, aux remarques formulées par votre groupe de travail.

J’ai bien entendu le message délivré par M. Houel sur son département. Des instructions seront données au nouveau préfet de Seine-et-Marne, M. Jean-Michel Drevet, nommé hier en conseil des ministres, pour aller de l’avant et accélérer le traitement des dossiers. Je l’appellerai personnellement dès qu’il aura pris ses fonctions. Je ferai de même, monsieur Doligné, à l’égard du nouveau préfet de la région Centre, préfet du Loiret M. Moisselin, et je n’aurai garde d’oublier l’Essonne, monsieur Béteille.

Ces améliorations substantielles ont trait, par exemple, au zonage climatique de Météo-France dénommé « Aurore », antérieur à la sécheresse de 2003, qui a fait l’objet de vives critiques de la part d’un certain nombre d’élus, comme des sinistrés et de leurs associations. C’est pourquoi Météo-France a proposé un « quadrillage » plus fin du territoire, comportant des mailles de huit kilomètres sur huit. Les mesures et l’appréhension des problèmes liés à la sécheresse n’en seront que meilleures.

Il s’agit d’un progrès scientifique considérable par comparaison avec les outils dont nous disposions précédemment, une station de référence pouvant alors être distante du sinistre de plusieurs dizaines de kilomètres.

Monsieur Doligé, je vous annonce que désormais les 824 demandes communales relatives à la sécheresse de 2009 actuellement recensées par mes services feront l’objet d’un traitement grâce à ce nouvel outil d’analyse performant. Cela représente un espoir et constitue une avancée pour les communes concernées.

Le ministère de l’intérieur prendra une autre initiative au sujet des critères qui permettent d’estimer si, conformément à la loi du 13 juillet 1982, le caractère anormal de l’agent naturel est ou non avéré. Dès le mois d’avril, les organismes scientifiques, comme le Bureau de recherches géologiques et minières ou le Laboratoire central des ponts et chaussées, seront invités à coordonner leurs efforts avec les administrations concernées, pour améliorer la pertinence des critères et pour les rendre sinon incontestés – le seront-ils jamais ? –, du moins fondés sur les connaissances scientifiques les plus robustes et les plus pointues.

Il s’agit, vous l’aurez compris, de préserver l’originalité de la France en Europe en maintenant le risque lié à la sécheresse dans le cadre des catastrophes naturelles tout en améliorant l’appréhension du phénomène et sa prévention. Il conviendra cependant d’être attentif au respect de l’esprit de la loi du 13 juillet 1982, fondement du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, afin d’assurer le meilleur équilibre possible entre, d’une part, l’indemnisation, jugée toujours trop faible, et, d’autre part, la nécessaire prévention, toujours estimée trop contraignante par nos concitoyens.

La maîtrise des prélèvements, qui constituent les ressources du régime, doit aussi être pour nous une « obligation de résultat ».

M. Jean-Pierre Sueur. Et l’indemnisation complémentaire ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a bien entendu vos messages. Il sera ouvert à toute proposition formulée dans le cadre d’un projet de loi de finances ou d’un projet de loi de finances rectificative, sous le contrôle du président de la commission des finances de la Haute Assemblée, présent en cet instant dans l’hémicycle.

Comme je l’ai dit précédemment, il faut améliorer et réformer le fonctionnement du régime global d’indemnisation, conformément aux propos tenus par M. le Président de la République lorsqu’il s’est rendu en Vendée voilà quelques jours à la suite de la tempête Xynthia.

Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les conclusions que je voulais tirer avec vous au terme de l’important et enrichissant débat que nous avons eu ce matin. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Les applaudissements sont maigres et on en reste toujours à la même somme !

M. le président. Nous en avons terminé avec ce débat sur les conséquences de la sécheresse de 2003.

3

Démission d'un membre d'une commission

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. François Fortassin, comme membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Le groupe intéressé a fait connaître à la présidence le nom du candidat proposé en remplacement.

Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales en remplacement de Jacqueline Chevé, décédée, et le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire à la place laissée vacante par M. François Fortassin, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)

PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

5

Nomination de membres de commissions

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen et le groupe socialiste ont présenté des candidatures pour la commission des affaires sociales, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et la commission des finances.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- M. François Fortassin, membre de la commission des finances, à la place laissée vacante par M. Michel Charasse, dont le mandat de sénateur a cessé.

- M. Serge Godard, membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, à la place laissée vacante par M. François Fortassin, démissionnaire ;

- M. Ronan Kerdraon, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de Jacqueline Chevé, décédée.

6

Avenir de l’industrie du raffinage en France

Discussion d'une question orale avec débat

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 55 de M. Jean-Claude Danglot à M. le ministre chargé de l’industrie sur l’avenir de l’industrie du raffinage en France.

Cette question est ainsi libellée :

« Alors que le Gouvernement prône la revitalisation de l’industrie française, qui a perdu 100 000 emplois depuis janvier 2009, et l’indépendance énergétique, le groupe Total a annoncé qu’il ne procéderait pas à la révision des installations, procédure préalable à l’autorisation d’exploitation. Cette décision, qui touche la raffinerie des Flandres de Dunkerque-Mardyck, relance les inquiétudes qui pèsent sur l’avenir de la raffinerie des produits pétroliers en France. Cette fermeture reportée de manière éhontée par le groupe pétrolier pour cause d’élections régionales, dans le plus grand mépris de ses salariés, est sans aucun doute le premier acte d’un désengagement plus large du marché du raffinage.

« La suppression des sites de raffinages entraînerait non seulement des effets désastreux dans le domaine de l’emploi, mais priverait également notre pays d’un outil industriel de première importance pour la politique énergétique.

« En effet, la construction de nouvelles unités de raffinage ou la délocalisation des sites nationaux dans les pays producteurs pose des difficultés stratégiques en termes d’indépendance énergétique. Le coût du transport des produits raffinés est beaucoup plus élevé que celui du pétrole brut. De plus, on peut légitimement s’inquiéter des risques de délocalisation pour la pétrochimie, très dépendante de l’industrie du raffinage et des prix des matières premières issues du pétrole. L’entreprise GPN, filiale de Total, usine chimique située à Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais, est un exemple des répercussions de la politique du groupe sur une large palette d’activités industrielles. La cession de l’usine chimique à l’espagnol Maxam risque d’entraîner la suppression de soixante-quatorze emplois directs.

« Enfin, au moment où le Gouvernement met l’accent sur le développement durable, il devrait peser le coût environnemental en termes de transports de la délocalisation des activités de raffinage.

« Il souhaiterait donc connaître les intentions concrètes du ministre de l’industrie afin de relancer l’activité industrielle de raffinage en France. Il souhaiterait également connaître les actions qu’il entend mener pour que le groupe pétrolier Total adopte des choix conformes aux intérêts sociaux, économiques et environnementaux de la France. »

La parole est à M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question.

M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis trente ans, le secteur industriel a connu en France un véritable déclin. Il a déjà perdu près de deux millions d’emplois et la crise économique a encore précipité cette tendance amorcée au début des années quatre-vingt.

En laissant au marché et à la libre concurrence le soin de tout régler, en méconnaissant la valeur travail au profit du capital, nos gouvernements ont précipité, aux niveaux européen et national, le phénomène de désindustrialisation.

Les allégements de cotisations sociales, la défiscalisation des heures supplémentaires, les aides publiques accordées aux banques et aux entreprises, sans contrepartie effective, toutes les mesures prises par la droite ces derniers mois n’ont pas su répondre aux défis majeurs de la relance de l’emploi et de l’industrie.

Le Gouvernement n’a pas su endiguer les fermetures d’usines, les suppressions d’emplois, les délocalisations. Au contraire, certaines entreprises ont trouvé dans la crise prétexte pour licencier.

Dans ce contexte, le 3 septembre 2009, Nicolas Sarkozy a annoncé, lors d’une visite de l’usine de l’équipementier Faurecia, la tenue d’états généraux de l’industrie. Entre-temps, au début du mois de mars, l’équipementier a fait une annonce moins plaisante : celle de la fermeture, d’ici à la fin de 2010, de son site d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, dont une partie de la production sera transférée vers des sites voisins, et la suppression de 179 emplois sur 508.

Il est urgent d’appliquer d’autres politiques. La mise en œuvre de mesures gouvernementales contre-productives a fait perdre trop de temps au pays. Durant l’année écoulée, les suppressions d’emplois, les fermetures de sites se sont multipliées. Le couperet est notamment tombé sur l’usine Continental de Clairoix, l’équipementier Molex de Villeneuve-sur-Tarn, l’unité de production de téléviseurs de Philips de Dreux, les usines chimiques de Celanex, dans les Pyrénées-Atlantiques, ou encore la cokerie de Carling, en Lorraine.

Depuis le début de l’année, le Gouvernement n’a rien fait pour son industrie, mais les sites continuent de fermer…

Monsieur le ministre, nous l’avons tous constaté dans nos territoires, l’emploi industriel traverse une crise profonde. Le rapport intermédiaire des états généraux de l’industrie sur le diagnostic et les enjeux prioritaires dresse un constat sans appel.

Depuis 2000, la population active industrielle a perdu 500 000 emplois. Or, depuis 2008, cette baisse n’est plus compensée par la hausse des emplois dans les services à l’industrie. La diminution de l’emploi industriel affecte tous les secteurs : les biens de consommation, les biens intermédiaires, l’automobile, les biens d’équipement, l’énergie et l’agroalimentaire. La balance commerciale de l’industrie française se dégrade.

Pour le secteur automobile, le solde exportations-importations a été négatif pour la première fois en 2008.

Le secteur manufacturier représente en France 16 % de la valeur ajoutée, alors qu’il compte pour 30 % de la valeur ajoutée produite en Allemagne.

Vous n’avez de cesse de citer ce pays comme modèle. La concurrence européenne a provoqué la disparition complète du secteur des machines-outils en France. Pour maintenir cet avantage, l’Allemagne a provoqué un dumping social. Selon l’OCDE, le coût de la main-d’œuvre a augmenté dans la plupart des pays en Europe, mais l’Allemagne a, elle, mis en place une stratégie de baisse des rémunérations. Est-ce le modèle vers lequel nous devrions tendre ?

Le 15 janvier 2010, lors de la clôture des états généraux de l’industrie, monsieur le ministre, vous avez employé des mots très forts : vous appelez de vos vœux une « révolution industrielle » ; vous dites qu’il faut encourager la localisation compétitive en France des outils de production et de recherche et développement ; vous souhaitez un capitalisme industriel socialement responsable. Nous attendons de voir s’il ne s’agit pas de nouveaux effets d’annonce !

Vous avez insisté sur la nécessité de renforcer l’emploi et la formation dans l’industrie. Vous avez proposé « d’ici à la fin des états généraux de travailler à la création d’une banque de l’industrie ». Que s’est-il passé depuis ? Rien !

Le 4 mars 2010, le Président de la République a évoqué les « cinq leviers d’action pour un renouveau industriel en France ». Les paroles sont séduisantes, et l’opération de communication continue…

Prenons deux exemples révélateurs de l’état d’esprit du Gouvernement et du manque de considération à l’égard des salariés et des entrepreneurs. Vous dites vouloir « mettre l’industrie au cœur d’un grand projet commun » et, à ce titre, vous affirmez vouloir revaloriser le rôle « industriel » de l’État actionnaire, en plaçant un administrateur du ministère de l’industrie chez Renault, La Poste et France Télécom.

Si vous souhaitez vraiment que les grandes « entreprises publiques s’inscrivent en cohérence avec la politique industrielle de l’État », il suffit de garantir une maîtrise publique des grands secteurs économiques. Au contraire, vous avez fait le choix de brader nos entreprises publiques, au détriment des salariés et des usagers !

Autre proposition : associer une charte de l’emploi à chaque investissement du FSI, le Fonds stratégique d’investissement. Le terme « charte » ne leurre personne, sans compter que vous prenez bien soin de préciser que les exigences sociales devront être « réalistes » ! Encore des propositions a minima sans aucune force contraignante !

La réalité, celle que vivent les Français, c’est la casse de leur outil de travail. Combien de travailleurs se trouvent un beau matin à la grille de leur usine ! Combien ont vu les locaux être « déménagés » et leur outil de travail disparaître en douce ! Ces pratiques sont intolérables et les Français ne les tolèrent plus ! Face à cela, le Gouvernement reste impuissant.

L’abstention aux élections régionales, la montée du Front national, notamment dans les régions industrielles, en sont les conséquences directes.

Dans ce contexte, l’avenir de l’industrie du raffinage, ébranlée par le désengagement des groupes pétroliers, plus particulièrement Total, apparaît bien sombre. C’est pourquoi nous avons, dès le début de l’année, sollicité ce débat.

Le secteur industriel du raffinage constitue un levier indispensable pour l’économie française. L’industrie du raffinage fait vivre des territoires entiers.

La France comptait 23 sites en 1978, mais n’en a plus que 13 aujourd’hui, du moins si le site de Dunkerque reste en fonction. La fermeture des sites de Bordeaux et Pauillac a privé le Sud-Ouest de raffineries ; si le site de Dunkerque ferme, ce sera le cas pour le Nord – Pas-de-Calais. Aujourd’hui, le site de Dunkerque est la cible mais, demain, ceux de Gonfreville, Donges, Provence, Feyzin ou Grandpuits seront visés.

Les autres compagnies pétrolières risquent de suivre la même logique : Esso, à Port-Jérôme - Gravenchon et Fos-sur-Mer, Petroplus, avec les raffineries de Petit-Couronne et Reichstett, ou enfin LyondellBasell et Ineos, avec les sites de Berre et Lavéra.

Or toutes ces raffineries sont le cœur de bassins d’emploi. Les industries de chimie de base, de parachimie, la fabrication de savons, de produits d’entretien, la pharmacie, le caoutchouc, les matières plastiques sont directement liés à l’activité de raffinage.

La fermeture de la raffinerie des Flandres, outre les conséquences dramatiques pour les familles des travailleurs concernés – 380 salariés et 450 sous-traitants directs –, aurait des répercussions très négatives sur le tissu économique et social tant local que régional.

Les principales synergies avec la raffinerie des Flandres concernent de nombreux emplois : Ryssen, 46 salariés ; APF, 10 salariés et sous-traitants ponctuels ; SRD, 260 salariés, 30 intérimaires et 60 sous-traitants directs ; Lesieur, 260 salariés, 30 intérimaires et 60 sous-traitants directs ; Air liquide, 53 salariés ; Rubis Terminal, 43 salariés ; DPC, 10 salariés ; Polychim, 75 salariés et 10 sous-traitants directs ; Polimeri Europa France, 440 salariés et 250 sous-traitants directs.

Devant l’absence de coopération du groupe pétrolier pour évaluer l’incidence de la fermeture, la chambre de commerce et d’industrie du Dunkerquois a lancé une enquête. Le vice-président de la CCI a indiqué qu’ils estimaient « de 450 à 600 le nombre d’emplois directement impactés ». Ce nombre pourrait même être porté à 1 000 si l’on y ajoute les emplois induits.

Le port de Dunkerque, qui a subi de plein fouet la crise économique et celle de la sidérurgie en particulier, va être encore fragilisé. Avec 45 millions de tonnes contre 57,7 millions en 2008, le trafic du port de Dunkerque a enregistré, pour la première fois depuis dix ans, une baisse. La présidente du directoire du port a exprimé son inquiétude quant aux répercussions de l’arrêt du raffinage sur l’activité du port. Total représente 20 % du chiffre d’affaires annuel du port et permettait notamment de mutualiser les coûts des services portuaires.

Le cas de la raffinerie de Dunkerque a également montré le cynisme de Total, qui avait annoncé aux salariés qu’ils seraient fixés sur leur sort après les élections. Que penser des déclarations récentes de Christophe de Margerie, directeur général de Total, qui a pris l’engagement « de ne rien faire sur les cinq autres raffineries pendant les cinq ans à venir » ? Quand on sait que la question de l’avenir d’un site de raffinage se pose techniquement tous les cinq ans, on a compris !

Quant au projet de terminal méthanier à Dunkerque, présenté comme une compensation pour les suppressions d’emplois liés au raffinage, il est en réalité ancien.

Monsieur le ministre, vous avez affirmé dès la fin du mois de janvier que le pétrolier envisageait de s’associer à hauteur de 10 % à ce projet de terminal méthanier à Dunkerque, afin, disiez-vous, d’atténuer les conséquences pour l’emploi d’une éventuelle fermeture de sa raffinerie. Or, notamment pour alimenter ses centrales à gaz, EDF avait confirmé, dès le mois de juillet 2008, poursuivre ses études sur le projet, dont le coût est estimé à 1 milliard d’euros. L’entreprise publique a déjà retardé le calendrier de la mise en service de cet équipement, initialement prévue en 2011.

En bref, non seulement ce projet devait créer une centaine d’emplois en plus de ceux de la raffinerie, et non pallier très partiellement la fermeture du site, mais, en plus, il devrait voir le jour en 2014 !

En outre, les promesses d’activités industrielles de substitution, créées à coup d’aides publiques, ne constituent pas des solutions satisfaisantes. La proposition de création d’un centre d’assistance technique et d’une école de formation, la reconversion du site en dépôt de carburants ne suffiront pas à endiguer les répercussions économiques néfastes pour toute la zone industrielle du littoral.

Report du sort des salariés après les élections régionales, manipulations autour du projet alternatif pour compenser la fermeture de la raffinerie, absence d’information sur les conséquences de la fermeture sur les sous-traitants… Nous ne pouvons tolérer la malhonnêteté du groupe Total et du Gouvernement ! Nous n’abandonnerons pas les salariés face à de tels comportements !

La stratégie de Total est claire : avec ses projets de construction de dépôts ou de transformation de sites de production en dépôts, le groupe entend délocaliser ses activités industrielles situées en France et en Europe vers des pays dans lesquels les exigences sociales, salariales, environnementales et les normes de sécurité sont moindres.

Comment ne pas évoquer, au passage, un autre aspect de cette stratégie de désengagement national, qui consiste, pour le groupe, à céder ses filiales à des groupes belges ou espagnols ? C’est actuellement le cas chez GPN Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais. Les 238 salariés concernés quitteront Total sans aucune garantie durable et en perdant leurs acquis.

Rien ne justifie la fermeture du site de Dunkerque.

L’entreprise ne perd pas d’argent. Total, sixième groupe mondial en termes de chiffre d’affaires, a réalisé des profits de 13,9 milliards d’euros en 2008 et de 8 milliards d’euros en 2009. Le problème est simple : le pétrolier ne veut pas mettre cet argent au service des besoins de l’entreprise, des salariés et du pays.

L’outil industriel n’est pas obsolète et les marchés des essences, du fioul et du gazole n’ont pas disparu. En 2009, les raffineurs ont construit de nouveaux sites dans les régions pétrolières et les pays émergents, au Moyen-Orient et en Asie.

Quant à l’argument tiré de la fin du pétrole, il nous reste encore quelques décennies et nous devrions les mettre à profit pour préparer la reconversion industrielle. Dernièrement, le directeur général de Total a expliqué que les réserves étaient suffisamment importantes en Ouganda pour justifier que le groupe s’y installe…

Enfin, l’argument selon lequel on ne peut pas tout à la fois vouloir le pétrole et ne pas polluer ne tient pas. Des efforts considérables sont déjà réalisés dans le secteur de la construction automobile pour économiser le carburant. On peut et on doit concilier, à long terme, le maintien de l’industrie pétrolière et les exigences environnementales.

Nous ne sommes pas encore prêts technologiquement pour vivre sans pétrole !

Le développement durable est un concept très pratique quand il s’agit de justifier des politiques socialement injustes. Le groupe Total ne se soucie pas vraiment du coût environnemental de son activité. D’ailleurs, le choix de reconversion du site n’est pas innocent : une fermeture engendre des frais et les coûts de dépollution, difficiles à évaluer, incitent souvent les industriels à reconvertir ou à vendre les sites concernés.

Sur ces sujets de l’après-industrie, du coût environnemental et, surtout, de l’impact sur la santé publique des activités industrielles, des réformes sont nécessaires. Nous avions demandé que la responsabilité des sociétés mères soit engagée pour éviter d’autres ArcelorMittal, et le Gouvernement s’était engagé à mener des démarches en ce sens lors de la Présidence française de l’Union européenne. Mais, là encore, rien ne s’est passé !

Face aux profits des grands groupes, à la rémunération de l’actionnariat, vous faites bien peu de cas, monsieur le ministre, de l’emploi et de la santé des travailleurs !

Un article du Monde daté du 23 février 2010, dans la rubrique « Élections régionales », reprend vos paroles : « Nous garantirons l’emploi des salariés de Total et la non-fermeture de la raffinerie ». Pourquoi faites-vous le contraire une fois les élections passées ? Pourquoi voulez-vous que les Français votent pour vous si vous démissionnez aussi facilement face au patronat, au nom de l’impuissance ?

Aujourd’hui, les salariés du site de Total à Dunkerque sont en lutte. Cette lutte pour travailler et produire en France, pour conjuguer emploi et intérêt de la nation, c’est la lutte de tous les travailleurs !

Les sénateurs de mon groupe soutiennent sans faille les salariés qui réclament le redémarrage des installations et la reprise de la production. Ils refusent cette dérive qui consiste à capter les profits au détriment de l’investissement et de l’emploi, et, en conséquence, demandent au Gouvernement de mener enfin une politique industrielle susceptible de répondre à ces enjeux.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.

M. Martial Bourquin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi un préalable. Nous sommes aujourd’hui le 1er avril, jour renommé pour les plaisanteries. Le prix du gaz augmente aujourd’hui de 9,5 % pour cette année. J’espère, monsieur le ministre, que vous nous annoncerez en fin d’intervention que cette mesure n’est qu’une blague, certes très mauvaise, mais une blague tout de même. J’ai effectivement une pensée pour les ménages les plus modestes qui subiront cette augmentation. Ils n’ont vraiment pas besoin de cela dans un contexte de crise économique et sociale d’une ampleur inégalée !

L’annonce soudaine par la direction de Total de la fermeture de la raffinerie des Flandres a subitement braqué le projecteur sur le sort de l’ensemble de la filière du raffinage dans notre pays et, à travers elle, des douze raffineries présentes sur le territoire.

Or les menaces qui pèsent sur le raffinage ne sont pas nouvelles. Au début des années quatre-vingt, après les deux chocs pétroliers, nous nous étions déjà posé la question de conserver ou non une indépendance énergétique et une capacité de production dans notre pays. Les derniers chiffres de l’Agence internationale de l’énergie montrent bien une tendance lourde à la baisse de la consommation des produits raffinés, commune à toute l’Europe et accentuée au cours des dernières années.

De la même manière, qui pourrait prétendre que nous venons de découvrir avec stupeur que les énergies fossiles n’auraient plus à l’avenir le même impact sur notre économie qu’auparavant ? De toute manière, comme vient de le souligner mon collègue Jean-Claude Danglot, cela ne peut pas être l’alibi pour des fermetures et des délocalisations.

On ne peut pas non plus ignorer, dans les politiques publiques, qu’il faudra s’orienter vers une diversification énergétique et prendre en compte les légitimes préoccupations environnementales.

Des signaux d’alerte existaient déjà. Il y a un an, le 10 mars 2009, Total annonçait la suppression de 550 emplois dans le raffinage, ce qui avait alors sincèrement ému Laurent Wauquiez, du moins en apparence. Le secrétaire d'État chargé de l'emploi avait indiqué que ce plan lui restait « en travers de la gorge ». Visiblement, il s’en est remis depuis et la lente agonie du raffinage s’est poursuivie, sans d’autres indignations constructives.

J’ai entendu dire dernièrement que le Grenelle de l’environnement serait responsable de la crise du raffinage que nous vivons actuellement.

Si crise il y a, elle est sans doute considérablement renforcée par le défaut d’anticipation, l’absence de régulation et l’absence d’investissement, ce qui a laissé toute la place à Total pour mener ses opérations de recherche du profit, sans contrepartie et, surtout, sans prise en compte de ses responsabilités industrielles, sociales et environnementales.

Car, en fait, qui doit décider des tenants et aboutissants de la politique énergétique ? Ce n’est ni Total ni M. Christophe de Margerie, de même que ce n’est pas Carlos Ghosn qui décide de la stratégie industrielle automobile, s’il convient de délocaliser, à quel rythme il faut le faire, s’il est souhaitable ou non de construire des voitures électriques. C’est à vous, monsieur le ministre, à votre Gouvernement et à la représentation nationale de décider et de dicter la politique à mener à nos entreprises !

Cette question du raffinage recouvre effectivement celle de l’indépendance énergétique du pays. Nous examinerons prochainement un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche : si l’indépendance alimentaire est fondamentale, l’indépendance énergétique l’est tout autant !

Le 15 avril prochain doit se tenir la fameuse table ronde sur l’avenir du raffinage, avec des représentants des salariés de Total et d’Exxon Mobil. Je n’ai absolument rien contre M. Jean-Louis Borloo, rien, surtout, contre ses préoccupations environnementales : j’ai les mêmes, et chevillées au corps !

Pourtant, monsieur le ministre, l’avenir du raffinage et, parlons clairement, la reconversion des bassins industriels potentiellement concernés à moyen terme ne se résument pas à une question environnementale et énergétique. C’est une question industrielle au premier chef, et une question complexe qui demande de prendre en compte la totalité de la filière, sans occulter les sous-traitants et en allant jusqu’à considérer les conséquences sur d’autres sites pétrochimiques, contraints d’évoluer et de s’adapter. Les conséquences portuaires, notamment sur le port de Dunkerque, seront sans doute très importantes.

À ce titre, cette table ronde doit avoir pour objectif principal de clarifier publiquement la stratégie que vous préconisez et de nous permettre de savoir si vous vous donnez les moyens d’atteindre les buts fixés, y compris les moyens financiers.

À ce jour, j’ai pourtant la douloureuse impression – et je ne suis pas le seul – que Total entend déterminer seul l’avenir du raffinage. Monsieur le ministre, je ne crois pas qu’il faille continuer à accepter sans sourciller que le groupe détienne un pouvoir aussi exorbitant sur toute une partie de la politique énergétique française.

En 2008, je le rappelle, car le chiffre est éclairant, Total a réalisé les plus importants bénéfices jamais engrangés par une entreprise française : 13,9 milliards d’euros ! Total a d’ailleurs réinvesti, selon ses dires, 59 % de ses bénéfices. Elle n’en a pas moins continué à verser à ses actionnaires 4,9 milliards d’euros en 2008, après leur avoir versé 4,7 milliards d’euros en 2007. Par ailleurs, Total continuerait de procéder à des rachats d’actions pour un montant, tenez-vous bien, mes chers collègues, de 5,5 milliards d’euros.

Vous en conviendrez, ce n’est pas du tout le quotidien des petites et moyennes entreprises, qui rencontrent aujourd’hui de nombreux problèmes de trésorerie.

Total dispose actuellement d’une trésorerie très importante, qui devrait lui permettre de voir sereinement l’avenir et, surtout, d’assumer les responsabilités qui sont les siennes. D’autant que, il faut le souligner également, Total continue de conduire des partenariats avec l’État.

Je me permets de rappeler quelques faits.

En 2009, Total est engagé avec l’État et a reçu, à ce titre, 7,2 millions d’euros via l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, pour des recherches sur des agrocarburants de deuxième génération, dans le cadre d’un financement pluriannuel du projet « BioTfuel ».

En 2010, Total, encore lui, va considérablement bénéficier de la disparition de la taxe professionnelle et de l’enterrement – un enterrement de première classe ! – de la taxe carbone. Je dispose des chiffres pour la région Nord - Pas-de-Calais : la communauté urbaine de Dunkerque perdra 13 millions d’euros. Cette perte sera, certes, compensée cette année, mais aucune information n’est donnée pour les années suivantes. Je crois que de tels allégements fiscaux nécessitaient un minimum de contreparties, notamment sociales et industrielles.

Hier, Total a annoncé avoir obtenu le 1er mars 2010, par arrêté ministériel, le « permis de Montélimar » pour une durée de cinq ans. Ce permis permettra à Total d’explorer une zone de 4 327 kilomètres carrés en vue d’en démontrer le potentiel en shale gas.

Ces investissements sont nécessaires et sont sources de perspectives de développement et d’emplois intéressantes. À ce titre, monsieur le ministre, j’aimerais beaucoup que vous nous en disiez plus sur les retombées économiques et les conséquences en termes d’emploi attendues. Qu’avez-vous négocié ? Qu’avez-vous exigé ?

J’ai interrogé Didier Guillaume, président du conseil général de la Drôme, qui est très concerné par ces concessions. Notre collègue m’a dit ne pas avoir eu connaissance des possibles développements économiques et sociaux pour son département de cette opération. Je crois qu’il serait temps de réunir les élus de la région.

Même si cet investissement gazier me paraît prometteur, il ne doit pas rimer avec l’abandon pur et simple des bassins d’emploi jugés moins directement rentables. Il ne serait pas acceptable de déshabiller Pierre pour habiller Paul, Total ayant tout à fait les moyens de mener les deux de front.

Le risque est effectivement grand qu’il revienne aux pouvoirs publics et aux contribuables d’assumer toutes les conséquences sociales de ce désengagement, y compris le reclassement effectif des salariés et des sous-traitants, à charge pour les collectivités locales d’en assumer également les conséquences humaines.

Monsieur le ministre, il est vraiment temps que l’État français cesse de se faire dicter sa politique industrielle par les grands groupes.

Ces entreprises ont une responsabilité industrielle, sociale, environnementale, et c’est à vous qu’il revient d’en définir les contours comme de les faire respecter.

Monsieur le ministre, j’en viens à mon dernier point.

En avril 2009, vous avez installé dix commissaires à la réindustrialisation…

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Onze !

M. Martial Bourquin. …- soit !- présents dans onze régions, dont le Nord-Pas-de-Calais. Ces commissaires, chargés de « prévenir, accompagner et rebâtir » les bassins d’emploi en difficulté,  étaient dotés d’un fonds de 100 millions d’euros.

L’exemple du désengagement de Total et les conditions inacceptables dans lesquelles ce dernier a été opéré, au mépris de la concertation la plus élémentaire, attestent les grandes limites du dispositif que vous avez choisi de mettre en place. Ces commissaires n’ont pas les moyens de prévenir des transitions industrielles d’une telle ampleur. L’enveloppe de 100 millions d’euros est très insuffisante : il faudrait sans aucun doute l’abonder.

Il y a plus d’un an, en juin 2009, mon collègue François Rebsamen proposait une contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grosses entreprises, notamment Total. Sa proposition, que nous avons soutenue et que votre majorité avait rejetée, aurait permis de redistribuer et de provisionner pour l’avenir des sommes qui font aujourd’hui cruellement défaut pour mener une politique de transition industrielle, de sécurisation des parcours professionnels et d’accompagnement des personnels digne de ce nom.

Je vous demande donc instamment de reprendre la main sur la politique énergétique, monsieur le ministre, d’associer les collectivités locales et territoriales et de nous proposer une stratégie industrielle d’ensemble, qui devrait certainement être plus européenne qu’elle ne l’est actuellement.

L’indépendance énergétique de notre pays et de l’Union européenne n’est pas l’affaire de Total, elle est bien de la responsabilité de la représentation nationale. Selon l’adage, gouverner, c’est prévoir. Pour ma part, il me semble que le Gouvernement subit plus qu’il ne prévoit !

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Louis Borloo déclarait le mois dernier en annonçant l’organisation d’une table ronde sur l’avenir de l’industrie du raffinage : « Il y a en matière de raffinage […] un certain nombre d’interrogations, […] les salariés […], l’ensemble des producteurs, distributeurs et raffineurs veulent y voir clair sur l’avenir de cet outil industriel ».

Depuis les années quatre-vingt, l’industrie de notre pays ne cesse de se dégrader en termes d’emplois et d’activités. La crise actuelle frappe tous les secteurs, en particulier la chimie, l’aéronautique et l’automobile, durement touchées par un ralentissement de leur activité dû à la baisse des commandes.

La France doit se battre sur tous les fronts pour sauver ses fleurons industriels.

Aujourd’hui, l’industrie chimique française est, après l’automobile et la métallurgie, le troisième poste d’activité. Elle génère plus de 180 000 emplois directs. Son rôle stratégique est lié à tous les autres secteurs de l’industrie manufacturière. Depuis quelques années, cette industrie est confrontée à des difficultés de plus en plus pénalisantes en raison du retard accumulé dans ses efforts de recherche et de développement, de l’insuffisance des investissements nécessaires à la modernisation de ses sites et de l’image dégradée par des catastrophes écologiques récurrentes, notamment des marées noires à répétition.

Les produits issus du raffinage et de la pétrochimie constituent une catégorie bien particulière, car ils assurent à eux seuls la quasi-intégralité du transport routier. Lorsque, pour des raisons sociales, les sites sont bloqués, c’est toute notre économie qui en pâtit.

Au-delà de l’indépendance énergétique et du coût du transport international des produits raffinés, qui est beaucoup plus élevé que celui du pétrole brut, il est nécessaire de s’attacher à maintenir nos sites afin de ne pas dépendre d’aléas extérieurs dans un monde de plus en plus marqué par l’instabilité et par les menaces pesant sur les voies d’approvisionnement.

Les nouveaux acteurs qui émergent, tels que la Chine ou l’Inde, contestent directement la position de notre pays dans l’économie mondiale. Ainsi, la Chine est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de produits chimiques, après avoir ravi la quatrième place à la France il y a déjà dix ans.

L’état et la compétitivité de l’industrie française sont directement liés aux variations des prix des matières premières et énergétiques : l’instabilité des cours pétroliers ne facilite pas la pérennité d’activités totalement liées aux hydrocarbures.

Néanmoins, en dépit des nombreux efforts réalisés par le Gouvernement ces derniers mois, notamment pour relancer la compétitivité, la recherche et l’innovation, le premier groupe pétrolier français a mis en place une politique de désengagement du marché du raffinage en France, faute de débouchés nationaux et de marges suffisantes. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)

On peut comprendre que le directeur général de Total défende le bon fonctionnement de son entreprise, mais l’avenir de ses salariés constitue bien évidemment une préoccupation majeure. Le PDG souligne la nécessité d’une mutualisation avec les autres groupes pétroliers plutôt que de perdre de l’argent dans ce secteur, nonobstant les bénéfices considérables dégagés par les autres activités.

C’est à cette mutualisation qu’il faut s’attacher. Je remarque qu’il ne peut être reproché à Total de s’implanter à Abu Dhabi, car les produits manufacturés sont destinés non au marché français, mais à celui de l’Extrême-Orient : la société pourra ainsi créer des emplois directs et indirects en France pour concevoir et faire fonctionner cette raffinerie et les bénéfices seront réinvestis en majeure partie dans l’entreprise.

Aujourd'hui, un élément est devenu fondamental, l’environnement, et il ne peut plus être ignoré. Il devient très difficile de maintenir de vieilles raffineries et quasi irréalisable d’implanter en France une nouvelle raffinerie. Quelle que soit l’amélioration de la technologie, l’image reste celle d’une activité très polluante. Diverses associations et ONG arrivent à agréger des oppositions fortes au point de rendre extrêmement difficile, sinon impossible, la concrétisation de tels projets.

Pour réduire l’impact de l’activité sur l’environnement, le raffinage propre, l’efficacité énergétique et les catalyseurs innovants sont des pistes de recherche qui devraient permettre de répondre aux exigences de plus en plus fortes du développement durable.

L’hebdomadaire Paris Match titrait le mois dernier : « Le raffinage occidental au bord de l’overdose ». Au-delà des mots, la problématique du raffinage est générale en Europe : la « diésélisation » du parc automobile, qui a fait chuter la demande d’essence, et la baisse de consommation des produits pétroliers ont contribué à une surcapacité en matière d’essence de l’ordre de 10 % à 15 %.

Nos raffineries ne sont plus adaptées à la demande européenne : nous importons du gazole et nous exportons vers les États-Unis de l’essence dont ils ne voudront bientôt plus, car leur marché arrive à saturation. C’est la « pire crise » depuis vingt-cinq ans pour cette activité, constatait récemment le directeur général de Shell, Peter Voser, qui, en prenant ses fonctions, avait promis à ses salariés « de la sueur et des larmes ». Notre collègue Jean-Claude Danglot pose donc une question cruciale.

Dans quinze jours, se tiendra la table ronde sur l’avenir du raffinage, notamment pour répondre à la demande expresse de syndicats de salariés. Je souhaite, monsieur le ministre, vous proposer quelques pistes de réflexion.

Par sa position géographique privilégiée, avec ses trois façades maritimes, la France traite le pétrole dans ses ports. Cet atout doit être optimisé par une concertation avec nos voisins européens afin de répondre à leurs besoins tout en créant chez nous les emplois induits par cette activité.

Jusqu’à présent, chaque raffinerie traitait un seul type de pétrole pour un produit raffiné déterminé. Il faudrait établir une stratégie de long terme pour prévoir au mieux l’évolution de nos approvisionnements pétroliers et des nouvelles énergies qui remplaceront le pétrole, afin d’adapter nos volumes de raffinage et les structures nécessaires.

Les raffineries ayant, dans notre pays, un avenir incertain, on pourrait imaginer la reconversion en clusters, technopoles ou pôles de compétitivité pétrochimiques, de sites industriels qui, autrement, fermeront dans les années à venir. L’enseignement, la recherche, la formation draineraient ainsi nombre d’emplois. C’est un secteur à forte capacité d’innovation dans lequel les partenariats public-privé ne cessent de se développer.

Enfin, la géopolitique du raffinage devient un enjeu énergétique mondial, que nous ne pouvons ignorer dans notre réflexion.

Le Général de Gaulle, en son temps, s’était efforcé d’assurer l’indépendance énergétique de la France. Soyons créatifs, imaginons de nouvelles technologies, de nouveaux procédés pour rester fidèles à cette volonté d’indépendance. Cette créativité renforcera notre position dans une économie mondialisée.

Mes chers collègues, gardons-le à l’esprit, qui contrôle l’énergie détient le pouvoir ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir du raffinage en France et en Europe est une vraie question stratégique.

Comme cela vient d’être souligné, le secteur est dans une mauvaise situation, qui n’est pas simplement liée à la crise actuelle, même si celle-ci l’a amplifiée, mais qui résulte avant tout d’un problème structurel. Mon collègue Aymeri de Montesquiou vient de le rappeler, cette situation ne concerne pas seulement la France, mais également de nombreux pays européens et tous les groupes pétroliers.

Début février, l’Union française des industries pétrolières a évoqué une situation « critique », confirmant des pertes, pour les douze raffineries françaises, de « 150 millions d’euros par mois » depuis mars 2009, un recul de la demande de 2,8 % en 2009 et de près de 9 % sur dix ans.

Le raffinage fait face, dans son ensemble, à une baisse de la demande résultant des politiques d’incitation à la réduction de la consommation, des progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique et des premiers effets de la lutte contre le changement climatique. Cette baisse, d’ordre structurel et non conjoncturel, est considérée comme durable par tous les acteurs et experts de ce domaine. Il en résulte une situation de surcapacité, antérieure à la crise économique que nous traversons, mais qui s’en est trouvée aggravée.

En Europe, de nombreuses raffineries sont soit à l’arrêt, soit en attente d’adaptation, soit même en vente. On retrouve le problème aux États-Unis. Concrètement, à la fin de l’année 2009, la surcapacité du raffinage dans le monde s’établissait autour de 7 millions de barils par jour, alors que la capacité totale s’élevait, elle, à 87,2 millions de barils par jour.

Cette surcapacité se concentre essentiellement sur l’Europe et l’Amérique du Nord. À l’inverse, au Moyen-Orient et en Asie, les investissements dans de nouvelles capacités s’enchaînent. D’ici à 2030, ces zones bénéficieront de 70 % des investissements mondiaux du secteur, contre seulement 11 % pour l’Europe et l’Amérique du Nord. Dans le même temps, 15 % des capacités européennes, et jusqu’à 20 % aux États-Unis, devraient fermer.

Le recul du raffinage en Europe est directement lié à la baisse de la consommation de carburants. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les Européens ont diminué de 7,5 % leur consommation de gazole et d’essence sur la période 2007-2009. Et ces chiffres devraient continuer à évoluer d’une à deux dizaines de points dans la décennie à venir.

Ce déséquilibre entre l’offre et la demande a conduit à un effondrement des marges de raffinage en 2009. De nombreuses raffineries en Europe – et pas seulement chez Total – ont dû procéder a des ajustements de capacités, arrêter temporairement des raffineries ou certaines de leurs unités, voire arrêter leur production, lorsqu’il s’est avéré qu’elles produisaient à perte.

En Europe, vous le savez, les raffineries ont été conçues pour produire davantage d’essence que de gazole. Or, depuis plusieurs années, la demande européenne porte surtout sur le gazole et, en dépit de nombreuses adaptations, ces raffineries produisent toujours trop d’essence.

Nous sommes ainsi confrontés, et de façon durable, à une inadéquation entre les attentes du marché et l’offre des raffineries européennes.

De plus, les États-Unis, vers lesquels sont exportés les excédents d’essence européens, connaissent également une forte baisse de leur consommation de carburants.

Face à cette situation, les grands groupes pétroliers nous disent avoir engagé un important effort d’adaptation de leur outil de raffinage afin de répondre à l’évolution de la demande et aux réglementations européennes, notamment en matière environnementale. Ainsi, entre 2005 et 2009, Total a investi plus de 6 milliards d’euros dans des activités de raffinage.

Il semble que cela ne soit pas suffisant tant les difficultés structurelles sont grandes. Le douloureux exemple de la raffinerie des Flandres l’illustre bien. Située dans une zone où les capacités de raffinage sont particulièrement importantes – je rappelle qu’Anvers est proche –, cette raffinerie n’a aujourd’hui que peu de débouchés. Elle produisait principalement des essences destinées à l’exportation, en particulier vers les États-Unis. C’est parce qu’elle tournait à perte depuis plusieurs mois que la décision d’arrêt de la production a été prise le 12 septembre 2009. L’absence d’évolution du marché a conduit ensuite à prendre une décision d’arrêt définitif. Comment continuer à mettre sur le marché des productions dont celui-ci n’a pas besoin ?

À nos yeux, l’important est que l’avenir du site soit assuré dans le cadre d’une mutation industrielle exemplaire et que Total s’engage à garantir, soit le maintien d’un maximum de postes sur le site, soit un avenir professionnel digne aux personnes qui devront changer d’activité ou de lieu de travail. Le Gouvernement doit contrôler le respect des engagements de Total, monsieur le ministre. C’est très important pour le développement industriel et la vitalité économique du Dunkerquois et, plus généralement, du Nord-Pas-de-Calais. Je pense notamment à l’avenir des sous-traitants, qui doivent pouvoir poursuivre leurs activités.

Au-delà du cas de la raffinerie des Flandres, la question de l’avenir de toutes les raffineries françaises se pose de manière très réelle. Il y a trente ans, notre pays comptait vingt-deux sites de raffinage. Avec la fermeture du site de Dunkerque, ce chiffre va tomber à onze.

Nous l’avons dit, cette situation résulte d’une évolution structurelle du paysage énergétique français, évolution aggravée par la crise. Pendant des années, les pouvoirs publics – droite et gauche confondues – ont cherché, avec raison, à réduire la dépendance de la France vis-à-vis du pétrole, notamment grâce au développement de l’énergie nucléaire. Cela a réduit la demande de fioul lourd, obligeant les raffineries à le transformer en essence. En outre, la politique fiscale a dopé la consommation de gazole. Ce changement a fragilisé les raffineries françaises, parce qu’il les a rendues de plus en plus dépendantes de leurs exportations d’essence vers les États-Unis.

La lutte contre le réchauffement climatique a marqué une nouvelle étape du processus avec le surcoût lié à l’avènement d’un système de quotas de CO2 et la mise sur le marché des biocarburants.

Bien sûr, la situation du raffinage ne résulte pas uniquement des politiques publiques. La crise produit ses effets, notamment sur les marges des raffineurs, qui s’effondrent, mais ces derniers ont une large part de responsabilité.

M. Jacques Gautier. Ils ont multiplié les projets dans les pays producteurs en Asie et au Moyen-Orient, soucieux de « coller » à l’évolution de la demande.

Il ne s’agit pas à proprement parler d’une délocalisation, puisqu’un marché régional en expansion existe. Mais de tels projets ne se réalisent-ils pas au détriment de l’outil européen de raffinage, qui doit rester un élément essentiel du dispositif des grands groupes pétroliers ?

Par ailleurs, la protection de l’environnement est aujourd’hui bien ancrée dans les mentalités des populations européennes. Ces dernières ont fait le choix de consommer moins d’essence et elles ne sont pas prêtes à changer. Cela n’est pas sans conséquence.

Dans ce contexte, l’avenir du raffinage en France suscite bien évidemment des interrogations. Il doit être une préoccupation nationale. Notre pays ne peut pas laisser cette situation difficile se détériorer davantage.

Le Gouvernement s’est saisi du dossier, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre. Une table ronde se tiendra donc le 15 avril prochain et nous souhaitons que des solutions pragmatiques soient dégagées dans la concertation. À cet égard, je fais bien volontiers miennes les pistes évoquées par Aymeri de Montesquiou.

Nous sommes conscients que l’exercice n’est pas simple. Nous devons trouver le moyen de garantir l’avenir des onze raffineries restant basées en France, tout en maintenant notre volonté de réduire la facture pétrolière et en accélérant notre transition vers les énergies décarbonées. C’est un défi majeur pour notre pays qui demande volonté, imagination et courage. Vous avez toute notre confiance pour le relever, monsieur le ministre.

J’ajoute, que l’on me pardonne cette pique, que le silence des présidents de région à ce sujet est assourdissant. À ma connaissance, aucune solution n’a été avancée par les majorités socialistes et écologistes sur ce point. Y aurait-il dans le domaine de l’énergie – là comme ailleurs ! – des divergences de vue et de stratégies ?

Quoi qu’il en soit, je souhaite que, tous ensemble, nous allions plus loin afin de trouver les solutions qu’attendent les personnels de ces onze raffineries. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd’hui est l’illustration de l’affrontement de deux logiques.

L’une est portée par les groupes pétroliers, qui, à l’instar de Total, n’ont d’autre horizon que la rentabilité immédiate, l’accumulation de profits et le versement de dividendes toujours plus élevés à leurs actionnaires. Il suffit de regarder les chiffres, n’en déplaise à Aymeri de Montesquiou !

L’autre logique, qui fait appel à l’intelligence et qui se soucie de l’avenir industriel, du développement économique, de l’indépendance énergétique, est portée par les salariés, les représentants dont ils se sont dotés et leurs syndicats.

Inutile de préciser la logique que je soutiens.

Ne disposant que de cinq minutes de temps de parole, je concentrerai mon propos sur les trois raffineries et plateformes pétrochimiques qui se trouvent en Seine-Maritime.

Le site de Total à Gonfreville-l’Orcher, qui emploie 1 500 personnes, a vu ses effectifs amputés de 250 postes, en mars 2009, du fait d’une restructuration.

Les salariés de cette usine se sont mobilisés aux côtés du personnel d’autres raffineries du groupe pour montrer leur solidarité avec leurs collègues de Dunkerque. Au-delà de cette action, il s’agissait pour eux de défendre leur propre outil de travail.

La résistance et la détermination de tous ces salariés ont eu raison d’une partie des projets de M. de Margerie.

Leur mobilisation a également contraint le Président de la République à organiser une table ronde consacrée à l’avenir du raffinage. Néanmoins, le délai de cinq ans qui a été annoncé représente une véritable épée de Damoclès sur le devenir de ce secteur.

Les salariés du site de Gonfreville-l’Orcher avaient anticipé les éventuels retournements de conjoncture ou les modifications susceptibles d’affecter la consommation de carburants. La droite, quant à elle, semble découvrir la situation. Elle oublie surtout de citer certains chiffres, notamment les profits de Total.

Ces salariés avaient ainsi proposé la construction d’une unité dite de « conversion profonde », ce qui aurait permis de traiter ce que l’on appelle le fond de baril et de fabriquer des produits pétroliers légers. La pérennité du site aurait donc été assurée quoi qu’il arrive. Ils se sont malheureusement toujours heurtés à la surdité des dirigeants du groupe, dont la seule préoccupation était et demeure les résultats financiers.

Les 220 millions d’euros d’investissement promis par Total, dont vous nous parlerez peut-être dans votre intervention, monsieur le ministre, relèvent de l’effet d’annonce et ne créeront aucun emploi. J’ai en effet appris ce matin qu’un plan de suppression de 290 emplois, hors sous-traitants, est à l’œuvre. Pour mémoire, je le rappelle, car la droite se garde bien de donner ces chiffres, un emploi dans l’industrie pétrolière induit cinq emplois de sous-traitance.

La capacité de raffinage du site de Gonfreville-l’Orcher sera donc réduite d’un tiers, soit l’équivalent de la production de la raffinerie de Dunkerque. Onze millions de tonnes seront désormais raffinés, contre seize millions auparavant.

J’en viens à la raffinerie d’Exxon à Notre-Dame-de-Gravenchon, qui compte 1 100 salariés et qui est adossé à un site pétrochimique où sont employées 1 400 personnes.

Un plan de restructuration du secteur des huiles est là aussi actuellement à l’œuvre. Il vise à supprimer 70 emplois, qui viendront s’ajouter aux 500 postes déjà supprimés en 2000 lors de la fusion entre Mobil et Esso.

Les salariés et leurs représentants ne sont pas, là non plus, restés dans l’expectative. Depuis de nombreuses années, ils proposent que des investissements soient réalisés dans des installations permettant de produire plus de gazole afin de participer au rééquilibrage de la production intérieure de ce carburant.

Enfin, je voudrais évoquer la situation de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, dans la banlieue de Rouen.

Cette entité était autrefois la propriété de Shell. En 2007, à l’image des projets actuels de Total, la multinationale anglo-néerlandaise a décidé de s’en séparer afin de délocaliser le raffinage dans les pays producteurs.

La mobilisation des salariés et le soutien des élus locaux ont permis, une fois encore, à cette usine d’échapper à ce destin funeste et de trouver un repreneur, à savoir une société dont le raffinage est le cœur de métier, même si le centre de recherche a été délocalisé en Chine.

Une fois de plus, l’action revendicative aura été payante : les emplois ont été préservés, 44 nouvelles embauches ont été acquises et 73 millions de dollars sont désormais consacrés à la maintenance et à la réinternalisation, là où Shell ne dépensait que 11 millions de dollars.

Oui, nous pensons qu’il faut l’intervention des salariés pour faire bouger les choses, n’en déplaise à nos collègues de l’UMP, qui, on l’a vu tout à l’heure encore, ne rendent pas compte de la réalité !

C’est pourquoi, monsieur le ministre, avant cette table ronde, notre groupe vous incite à prêter l’oreille non seulement aux syndicats, aux salariés - considérez leur intelligence, leur esprit de responsabilité, leur attachement à leur outil de travail -, mais aussi à tous les élus de la nation.

Je pense plus que jamais, avec Martial Bourquin et Jean-Claude Danglot, qu’il est d’actualité d’avoir un contrôle public pour servir l’intérêt général.

Je pense également plus que jamais que la question de notre indépendance énergétique est aujourd’hui posée. En la matière, monsieur le ministre, nous avons besoin de réponses.

Je pense enfin, au regard du dernier conflit qui s’est déroulé dans les usines de raffinage en France, qu’il est plus que jamais d’actualité d’octroyer – là comme ailleurs - un droit d’intervention et de décision aux salariés, à leurs représentants et à leurs organisations syndicales dans la gestion de leur entreprise.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Andreoni.

M. Serge Andreoni. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreux faisceaux se sont récemment croisés pour mettre en lumière la question cruciale de l’avenir du raffinage, qui est en danger et, avec lui, toute la filière de la pétrochimie.

En Europe, il a clairement été annoncé que 10 % à 15 % des cent quatorze raffineries pourraient fermer pour cause de surcapacité de production.

En France, ne subsisteront bientôt plus que onze raffineries, puisque Total a annoncé la fermeture de celle des Flandres. Certes, le groupe s’est engagé à ne plus fermer aucune raffinerie d’ici à 2015 et il vous appartiendra, monsieur le ministre, de faire respecter cet engagement. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ?

Quelle est la stratégie au regard de la situation de la France, où la consommation d’essence a baissé de moitié en trente ans et alors que, dans un marché majoritairement diesel, importer du gazole s’impose comme une nécessité ?

La consommation de produits pétroliers a reculé de 2,8 % en 2009 et la production de la chimie de 12,5 %, entraînant la fermeture d’Azur Chimie à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône et la suppression de 108 emplois, de même que celle de l’unité de production de polyéthylène et de polypropylène de LyondellBasell à Fos-Feuillane, qui comptait 80 salariés, dont une cinquantaine ont fort heureusement été repris sur le site de Berre-l’Étang.

Les adaptations nécessaires pour répondre à des exigences légitimes du point de vue environnemental sont par ailleurs très coûteuses et les marges très faibles, puisqu’elles étaient de 23 euros par tonne en 1995, et de 15 euros, voire 10 euros, en 2008. De ce fait, on ne peut que craindre certaines fermetures. C’est là une raison de plus, monsieur le ministre, pour tout faire afin de préserver l’existant et pour se fixer comme objectif fort une véritable réindustrialisation du pays.

Dès lors, comment s’adapter à l’évolution du raffinage ? Comment encourager les investissements des opérateurs spécialisés qui tendent à remplacer les groupes pétroliers traditionnels ? Quelle sera votre politique environnementale après l’abandon de la taxe carbone ? Quid de l’application de la directive du Conseil du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution, dite IPPC ?

Il nous faut prendre acte du déplacement du marché mondial du raffinage depuis le bassin de l’Atlantique Nord vers le bassin Asie-Pacifique. Dans ce secteur, les trois quarts des projets concernent désormais l’Inde, le Vietnam ou la Chine. C’est en Asie et au Moyen-Orient que montent en puissance les producteurs de chimie de base, ces zones concentrant 50 % de la production mondiale de polyéthylène.

Pour autant, l’activité de raffinage est-elle définitivement condamnée en France ? Non ! Alors que nous ne maîtrisons pas notre approvisionnement en pétrole, le maintien de cette activité ne représente-t-il pas notre indépendance énergétique ? Il y a là un enjeu économique et politique essentiel, que nous ressentons très fortement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et plus particulièrement dans le département des Bouches-du-Rhône.

Monsieur le ministre, qu’en est-il de la situation dans cette région, à laquelle vous êtes comme moi très attaché –nous avons d’ailleurs siégé ensemble pendant de nombreuses années au conseil régional. Elle compte 140 établissements et 18 000 emplois liés directement au raffinage et à la chimie. La chimie provençale assure 10 % de la production nationale, 44 % de la production d’éthylène et 50 % de celle de chlore. Le complexe industriel de Fos-Berre-Lavéra est le premier pôle d’Europe du Sud et représente 5 % de la chimie européenne. Les Bouches-du-Rhône comptent quatre raffineries : Esso à Fos-sur-Mer, Total à Lavéra, LyondellBasell à Berre-L’Étang et Ineos à Martigues, ces deux dernières ayant un site intégré et assurant donc une activité pétrochimique d’aval. Ces quatre raffineries représentent le tiers des capacités de raffinage de la France, soit 30 millions de tonnes, ainsi que 3 500 emplois directs et 11 000 emplois indirects répartis entre une centaine d’entreprises. Vous aurez compris, monsieur le ministre, que j’entends surtout défendre l’industrie pétrochimique de Fos-sur-Mer et de l’étang de Berre.

Il est en outre à noter que la Société du pipeline sud-européen a expédié, en 2009, 15,5 millions de tonnes depuis Fos-sur-Mer pour alimenter les raffineries de Feyzin, de Reichstett, de Cressier en Suisse et de Karlsruhe en Allemagne, tandis que le volume import-export de Dépôts pétroliers de Fos a atteint 6,3 millions de tonnes.

Le poids du secteur de la chimie est capital pour les sites de LyondellBasell et d’Ineos. Il représente 3 000 emplois et justifie à lui seul l’existence de l’activité de raffinage, car la synergie est totale et irremplaçable. La perte d’une raffinerie aurait de lourdes conséquences sur le secteur de la chimie, d’autant que l’aval de l’activité de raffinage dans les Bouches-du-Rhône comprend certes l’approvisionnement local en essence, en diesel et autres carburants, mais également l’alimentation d’autres sites pétrochimiques ne possédant pas de raffinerie, par exemple en Normandie, dans le couloir rhodanien et même dans certains pays européens.

L’activité de raffinage est donc essentielle pour le département des Bouches-du-Rhône et, au-delà, pour toute la région PACA. Les emplois directs représentent une masse salariale de 247 millions d’euros, qui concourt à dynamiser toute l’économie par le biais des dépenses des ménages. En 2009, les investissements ont atteint 180 millions d’euros, dont 101 millions d’euros pour la sécurité et l’environnement, ce qui stimule l’emploi indirect. Pour cette seule activité, la recette de taxe professionnelle et de taxe foncière s’élève à 49 millions d’euros, ce qui permet aux collectivités territoriales de conduire des politiques publiques dignes de ce nom, dans le contexte de terrible crise que nous subissons.

En outre, le simple respect des exigences environnementales, qui sont bien entendu parfaitement légitimes, nécessitera 500 millions d’euros d’investissements sur cinq ans, à partir de 2013. Cet effort important demandé aux entreprises sera, lui aussi, favorable à la création d’emplois indirects.

Je voudrais maintenant aborder un sujet précis, monsieur le ministre. Sur le Grand Port maritime de Marseille, les hydrocarbures représentent les deux tiers du volume global traité – 56 millions de tonnes sur 83. C’est ce trafic qui fait vivre le port et ses salariés. Pour la commune de Berre-l’Étang, le « grand arrêt » en cours entraîne un investissement de 65 millions d’euros, la présence de 2 000 salariés supplémentaires venus de toute la France et une dépense de 35 millions d’euros pour l’amélioration de la qualité de l’air.

Monsieur le ministre, vous comprendrez que, en tant que sénateur des Bouches-du-Rhône, mais aussi et surtout en tant que maire de Berre-l’Étang, où se trouve l’un des deux grands sites intégrés, je suive de très près tout ce qui peut avoir une incidence négative sur l’activité de raffinage. Notre inquiétude est grande !

Cette inquiétude tient d’abord à la crise mondiale, aux surcapacités européennes annoncées et à l’évolution mondiale du raffinage, mais aussi à des considérations locales. En effet, le Grand Port maritime de Marseille va construire une unité de stockage de produits déjà raffinés de 800 000 tonnes, pour un volume annuel importé ou exporté de produits finis de 5 millions à 6 millions de tonnes, voire 8 millions de tonnes : c’est le projet Oiltanking, qui équivaut à la capacité de raffinage d’au moins une de nos quatre raffineries, menacée donc à terme de fermeture, dans un secteur qui connaît une diminution de la demande et se trouve soumis à une réglementation européenne de plus en plus contraignante, la réglementation nationale étant plus sévère encore. Le Grand Port maritime de Marseille a de surcroît le projet d’augmenter ses capacités de stockage jusqu’à 13 millions de tonnes, soit l’équivalent de deux raffineries du pourtour de l’étang de Berre. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’une telle initiative soit judicieuse dans le contexte difficile que traverse actuellement le raffinage, surtout quand on sait que ce projet ne représente au maximum que 10 % des emplois dont la fermeture de l’une de nos quatre raffineries entraînerait la perte ? Si l’on voulait favoriser la délocalisation, on ne s’y prendrait pas autrement…

Je souligne que le Grand Port maritime de Marseille est un établissement public. De ce fait, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour être vigilant et prendre les mesures nécessaires pour limiter autant que faire se peut l’effet catastrophique que la réalisation de ce projet pourrait avoir sur nos raffineries et les drames humains qui en découleraient.

Devant ce tableau peu réjouissant, que pouvons-nous faire et surtout espérer, voire exiger du Gouvernement ? De manière générale, il faut étudier comment attirer de nouveaux investisseurs, puisque nous constatons que les opérateurs historiques se concentrent sur des activités jugées stratégiques et surtout plus rentables, comme la recherche de nouveaux gisements. C’est ainsi que, dans notre département, Shell et BP ont vendu leurs installations respectivement à LyondellBasell et à Ineos, ne prenant en compte que le profit et se dégageant sans scrupules de leurs obligations sociétales. Le groupe Shell a même préféré construire un « monstre » en Chine plutôt que de rester sur notre sol.

Il faut se donner les moyens d’adapter les installations déjà présentes et les pérenniser si cela s’avère rentable. Cela passera par une fiscalité cohérente, une grande politique portuaire et une meilleure intégration des activités de raffinage et de pétrochimie, qui permettrait de réduire les investissements d’adaptation nécessaires. Cela passera aussi par un message clair aux grands groupes de votre part.

Nous ne lutterons pas contre l’évolution structurelle du secteur, mais il faut anticiper les mutations qu’elle impliquera en termes d’emploi et d’activité, de reconversion des outils et surtout des hommes. Il faut travailler dans la transparence avec les salariés, leurs syndicats et les élus locaux concernés.

L’UFIP, l’Union française des industries pétrolières, a d’ores et déjà indiqué que 2013 serait un tournant, la crise n’ayant fait que précipiter une évolution inéluctable. Les enjeux appellent une réflexion européenne afin de définir une politique concertée. Cependant, il faut déjà qu’en France nous soyons d’accord sur les objectifs et qu’une seule voix, forte, exige le maintien des emplois et de l’activité, sous une forme rénovée et adaptée si cela s’avérait nécessaire.

Ne nous leurrons pas : nous payons aujourd’hui le prix de politiques de l’État contradictoires depuis fort longtemps. L’État, en encourageant l’utilisation du diesel, a fragilisé les raffineries, les rendant dépendantes de leurs exportations aux États-Unis – elles représentent 26 % de la production, mais sont en constante diminution ; en prônant l’instauration du système des quotas d’émission de CO2, il a alourdi les coûts de fonctionnement des raffineries ; en favorisant le développement des substituts aux produits pétroliers, il a réduit la demande.

Ces mesures avaient certes toutes leur logique et étaient nécessaires. Cependant, elles auraient dû être accompagnées d’une réflexion sur l’évolution des outils de raffinage, qui sera, je l’espère, l’un des sujets majeurs de la table ronde du 15 avril prochain.

Il n’est pas concevable, monsieur le ministre, de continuer à laisser les grands groupes pétroliers décider seuls de la politique industrielle, de la politique énergétique et des éventuelles délocalisations, avec toutes les conséquences humaines que cela induit.

Tenant un discours offensif lors des états généraux de l’industrie, le Président de la République a souhaité placer l’État au cœur d’une politique de redressement industriel. Mais, des discours aux actes, il y a un pas, qu’il faudra un jour franchir…

Aussi aimerions-nous savoir quelles sont vos intentions concrètes et celles du Gouvernement pour relancer durablement l’activité de raffinage en France. Comment comptez-vous à la fois poursuivre une politique environnementale tout à fait légitime et souhaitable et maintenir le tissu industriel lié au raffinage, garant de notre indépendance énergétique ? J’ai entendu tout à l’heure un orateur déplorer que les régions ne fassent rien en ce sens. Certes, les régions peuvent s’impliquer, mais cela n’est possible que si l’État s’engage.

Le maintien du tissu industriel lié au raffinage est indispensable à plus d’un titre, monsieur le ministre. Il l’est en particulier au regard des ressources des collectivités territoriales concernées, surtout depuis la suppression de la taxe professionnelle, dont le mode de compensation annoncé n’a pas totalement dissipé nos craintes, ne serait-ce qu’en termes de pérennité. Dans les Bouches-du-Rhône, monsieur le ministre, les dotations de compensation et les compensations représentaient, avant la réforme, 16 % des ressources pour le syndicat d’agglomération nouvelle d’Istres-Fos, 14 % pour la communauté d’agglomération Agglopole Provence ; ces pourcentages s’élèveront respectivement à 70 % et à 52 % après la réforme : cela nous place au nombre des collectivités qui seront lésées par celle-ci. Pour mémoire, je rappelle que la suppression de la taxe professionnelle fera perdre au syndicat d’agglomération nouvelle et à l’ensemble des collectivités qui nous entourent, qu’il s’agisse d’Agglopole Provence ou de la communauté d’agglomération de Martigues, la plus grande part de leurs ressources fiscales.

Il est prévu des clauses de revoyure, monsieur le ministre. Soyez persuadé que nous participerons au débat, en y mettant tout le dynamisme dont la disparition de la taxe professionnelle nous aura privés.

Le maintien du tissu industriel est aussi et surtout indispensable pour la sauvegarde des emplois de milliers de salariés confrontés aux éventuelles fermetures de raffineries, comme c’est le cas à Dunkerque, et qui vivent eux aussi dans l’angoisse. Il faut remettre l’homme et le social au cœur de toutes nos préoccupations.

Vos réponses sont attendues avec impatience, monsieur le ministre. Vous appartenez à un gouvernement qui prône la revitalisation de notre industrie, laquelle vient cependant de perdre 100 000 emplois en quinze mois, et 500 000 entre 2002 et 2008. Il faut mettre un terme à la casse industrielle, ces emplois perdus n’ayant pas été compensés dans les autres secteurs d’activité.

L’heure n’est plus aux paroles, monsieur le ministre, mais à des décisions concrètes et salvatrices, qu’attendent ensemble et de façon solidaire les entreprises, les salariés à titre direct ou indirect, leurs syndicats et les élus des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur de la Seine-et-Marne, j’aurais pu insister sur la nécessité de conserver, dans la région d’Île-de-France, cet exceptionnel outil industriel qu’est la raffinerie de Grandpuits, pour des raisons à la fois économiques, industrielles – des synergies ont été créées, notamment, avec les secteurs de la chimie et de l’extraction du pétrole seine-et-marnais – et environnementales. Toutefois, en tant que vice-président du groupe d’études de l’énergie du Sénat, je préfère mettre l’accent sur la nécessité de préserver l’indépendance énergétique tant de la France que de l’Union européenne.

Sur le site internet du groupe Total, nous trouvons cette affirmation : « Beaucoup [de raffineries] se trouvent dans les pays riches gros consommateurs, même chez ceux qui n’ont pas de pétrole ! En construisant des raffineries chez eux, ils se sont assurés une politique de raffinage indépendante. »

Tel est le constat simple et clair fait par ce pétrolier. C’est une évidence, le mouvement de désengagement des groupes pétroliers de l’industrie du raffinage amorcé aux échelons national et européen pose question en termes d’indépendance énergétique.

Pourtant, la politique de Total, propriétaire de la majorité des sites de raffinage français, ne laisse pas de place au doute : on assiste bien à un repli motivé exclusivement par des considérations financières.

Tout d’abord, soyons francs, monsieur le ministre : si rien n’est entrepris pour sauver l’industrie du raffinage, notamment pour maintenir le site des Flandres en activité, dans quelque temps les fermetures concerneront d’autres usines. Lorsque Nicolas Sarkozy a demandé au directeur général de Total de s’engager à ne pas fermer d’autres sites à l’avenir, celui-ci n’a donné des assurances que pour les cinq prochaines années. Or la question de l’avenir des raffineries se pose précisément tous les cinq ans, au moment des grands arrêts techniques. En conséquence, l’engagement de Total pour une si courte durée n’est guère convaincant.

Ensuite, les pétroliers avancent plusieurs arguments pour justifier qu’ils implantent leurs sites de raffinage ailleurs, notamment dans les pays producteurs de pétrole.

En effet, les pétroliers ont multiplié les projets de raffineries dans le Golfe ou en Asie. À titre d’exemple, Total et Aramco vont investir 9,6 milliards de dollars dans la construction d’une raffinerie à Jubail, en Arabie saoudite. Ce site devrait être opérationnel fin 2013. Notons que les raffineries construites sont à la pointe de la technologie, les investissements réalisés étant destinés à faire de la conversion profonde et principalement financés par les pays producteurs. Ainsi, l’Arabie saoudite, au travers d’Aramco, supportera 59 % de l’investissement. On comprend donc l’intérêt de Total pour ce type de solution !

Cependant, l’argument central avancé par Total pour justifier la délocalisation du raffinage tient à la surcapacité des sites français. En réalité, il s’agit plutôt d’une inadaptation de l’outil industriel, due au manque d’investissements du groupe pétrolier. Le nombre de véhicules roulant au diesel ayant augmenté, la demande de gazole s’est accrue. Or toutes les raffineries ne sont pas techniquement en mesure d’en produire. Ainsi, la France exporte 7 millions de tonnes d’essence, mais importe 9 millions de tonnes de gazole.

Dans ce contexte, il est intéressant de noter que, à Fos-sur-Mer, Esso va accroître sa capacité de production de 14 000 barils par jours. La demande existe bien ! Il suffit donc d’investir dans l’outil industriel pour mieux adapter la production aux besoins. Le groupe Total, pour ne citer que lui, a les moyens de tels investissements, compte tenu des profits colossaux qu’il réalise.

La fin de l’ère pétrolière n’est donc pas encore d’actualité. Toutefois, la fermeture progressive des sites de raffinage en France et en Europe, si elle se confirmait, aurait pour conséquence la concentration entre les mains des pays producteurs de tous les outils industriels nécessaires, avec la complicité intéressée des grands groupes pétroliers.

Rappelons que les pays membres de l’OPEP détiennent plus de 70 % des réserves mondiales, correspondant à environ quatre-vingt années de production. À titre de comparaison, les réserves prouvées des États-Unis et de la Russie ne représentent, respectivement, que douze et dix-sept années de production.

Aujourd’hui, 60 % du transport mondial de brut est assuré par la mer. La flotte dédiée au transport de brut est plus importante que celle qui charge des produits raffinés. Mais le rapport pourrait rapidement s’inverser, grâce aux progrès techniques en matière de sécurité des navires pétroliers, notamment avec les bâtiments à double coque.

Or le transport par voie maritime des produits raffinés, outre qu’il a un coût environnemental, présente l’inconvénient majeur, pour les pays importateurs, d’aggraver l’instabilité des prix. En effet, un bateau peut se dérouter facilement pour livrer sa cargaison au demandeur le plus offrant, comme cela s’est passé pour le gaz naturel liquéfié voilà quelques années. L’instabilité est encore renforcée si le produit livré est déjà raffiné. Jusqu’à présent, l’implantation des sites de raffinage permettait une certaine sécurité dans l’exécution des livraisons, le produit – le brut – devant être transformé. Désormais, il suffira de disposer d’une unité de stockage pour réceptionner les produits raffinés, le point de livraison étant fonction du plus offrant et du jeu de la spéculation.

La délocalisation du raffinage, outre les graves conséquences qu’elle aurait sur l’emploi industriel, entraînerait inévitablement une hausse du prix du carburant à la pompe et de la matière première indispensable, notamment, à la pétrochimie. La France, si elle abandonnait cette industrie, accroîtrait donc sa dépendance au pétrole, en devenant rapidement un importateur de produits pétroliers raffinés, très sensibles à la spéculation.

C’est pourquoi nous attendons du Gouvernement, qui prétend fréquemment vouloir moraliser le capitalisme, qu’il prenne des décisions contraignantes à l’égard des grands groupes pétroliers afin de préserver l’activité de raffinage en France, ce qui permettra de garantir l’avenir énergétique et industriel de notre pays et de contribuer à assurer celui de l’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur Danglot, vous avez accusé le Gouvernement de malhonnêteté. De tels propos ne me semblent pas dignes de la Haute Assemblée, et je ne me hasarderai pas à vous répondre sur ce registre, même si vous avez essayé de falsifier la réalité.

La réalité est que, depuis vingt ou trente ans, les gouvernements, de gauche comme de droite, n’ont pas défendu la dimension industrielle de notre pays avec suffisamment de force et de conviction. Aujourd’hui, pour la première fois, aux termes des états généraux de l’industrie et conformément à la volonté du Président de la République, la décision a été prise d’engager la France dans une véritable stratégie industrielle, afin de lui permettre, à la sortie de la crise, de relever les défis qui l’attendent dans la compétition avec les autres grandes nations industrielles.

Orienter notre jeunesse vers les métiers des services, de la finance et de l’économie virtuelle, comme les gouvernements successifs, tant de gauche que de droite, l’ont fait au cours de ces dernières décennies, n’est pas la meilleure voie. Sans doute les responsabilités sont-elles partagées, mais, en tout cas, c’est l’actuel Président de la République et le gouvernement auquel j’appartiens qui ont eu le courage, depuis 2007, d’engager notre pays dans une véritable révolution industrielle.

Vous dites, monsieur le sénateur, que les propositions issues des états généraux de l’industrie ne sont que des mots.

La réalité, c’est que vingt-trois décisions concrètes ont été prises par le Président de la République. J’ai aujourd'hui la charge de les mettre en œuvre, non pas dans six mois ou dans un an, mais tout de suite, avant l’été. La première d’entre elles le sera d’ailleurs dès la semaine prochaine, avec la nomination d’un médiateur de la sous-traitance.

J’ajoute que la loi de finances rectificative que le Sénat a récemment votée a déjà commencé à prévoir l’exécution de ces décisions. Ainsi, sur les 6,5 milliards d’euros issus du grand emprunt national affectés à la nouvelle stratégie industrielle et aux enjeux stratégiques de demain, 500 millions d’euros serviront à financer des « prêts verts » destinés à permettre aux industries françaises de réduire leur facture énergétique pour gagner des marges de compétitivité, ce qui permettra de soutenir l’activité et l’emploi. En outre, près de 200 millions d’euros financeront des aides à la relocalisation. D’ores et déjà, nous constatons qu’un nombre croissant de grandes entreprises et de PME françaises reviennent sur les décisions de délocalisation qu’elles avaient prises au cours des dix à quinze dernières années et rapatrient leur production. Il ne s’agit pas là de simples mots, monsieur le sénateur : ce sont des réalités !

Avant de répondre point par point aux différentes interrogations soulevées, je ferai un bref rappel sur la situation du raffinage en France, même si l’état des lieux a déjà été brillamment dressé par M. Jacques Gautier. Ce sujet sera d’ailleurs à l’ordre du jour de la table ronde sur le raffinage que M. Borloo et moi-même coprésiderons le 15 avril prochain. L’organisation de cette table ronde, qui avait été réclamée par les partenaires sociaux, a été décidée par le Président de la République. Le Gouvernement a fixé une date rapprochée, alors qu’elle devait se tenir dans les six mois.

J’ai pris bonne note des remarques de M. de Montesquiou sur la nécessité d’une mutualisation et d’une stratégie de long terme autour de clusters.

S’agissant de la situation de l’industrie du raffinage en France, j’avoue avoir été quelque peu surpris par les propos tenus tant sur les travées du groupe socialiste que sur celles du groupe CRC-SPG. Les orateurs de l’opposition font mine de penser que le Grenelle de l’environnement, qui a pourtant donné lieu à un débat large et constructif, serait sans conséquences sur les comportements et les modes de consommation. En tout cas, si vous êtes aujourd'hui contre les véhicules hybrides ou électriques, sachez que, pour ma part, je suis favorable à leur développement ! Certaines choses doivent être dites très clairement, car de telles évolutions auront forcément des conséquences sur l’industrie du raffinage dans les années à venir. Le nier, c’est nier une évidence et adopter une vision de l’écologie et du développement durable que nous ne partageons pas. Les débats du Grenelle de l’environnement m’avaient pourtant donné l’impression qu’un consensus s’était dégagé, au sein de la Haute Assemblée, en faveur d’une limitation des émissions de CO2 à l’avenir.

Je voudrais maintenant évoquer les activités de raffinage de Total à l’étranger, pour souligner qu’il s’agit d’abord de se rapprocher des lieux de production. Il en est notamment ainsi pour la raffinerie en cours de construction à Jubail, en Arabie saoudite. M. de Montesquiou a évoqué, quant à lui, l’exemple d’Abu Dhabi.

En définitive, si la situation du raffinage en France est réellement difficile, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas de solution ni d’avenir pour les sites concernés. Le groupe Total continue d’ailleurs d’investir en France. Ainsi, M. Bourquin a évoqué le projet de Montélimar, où 40 millions d’euros seront affectés à l’étude de nouvelles technologies d’exploitation gazière.

Comme je l’ai déjà dit, il existe dans notre pays un véritable problème de surcapacité des raffineries. Dans cette situation difficile, que fait le groupe Total ? Il s’engage à maintenir l’emploi pendant cinq ans, dans cinq de ses six raffineries situées en France. Contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur Billout, cette durée correspond à une demande non pas du Président de la République, mais des salariés eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une concession de la part de la direction de Total. Les partenaires sociaux, avec qui j’entretiens un dialogue permanent, sont particulièrement responsables. Contrairement à certains orateurs siégeant à gauche de cet hémicycle, ils savent bien, eux, que des mutations et des évolutions sont inéluctables et qu’il convient de les anticiper. C’est pourquoi ils ont souhaité un débat sur l’avenir du raffinage, afin que nous nous donnions les moyens de procéder à une telle anticipation et de garantir l’évolution de l’emploi salarié, par requalification ou reclassement à compétences équivalentes.

Je le répète, c’est sur l’initiative des partenaires sociaux, formulée dans un esprit de responsabilité, que le Gouvernement a demandé à Total de prendre un engagement sur cinq ans. Ils ne souhaitaient pas obtenir des garanties à dix ou quinze ans, car ils savent pertinemment que des évolutions interviendront avant cette échéance. Ce qu’ils demandaient, c’était un engagement sur cinq ans, en vue de mettre en place une nouvelle stratégie industrielle pour l’ensemble du secteur du raffinage. Il s’agit d’anticiper, afin de préserver l’emploi salarié. Cela signifie que les salariés des raffineries de Donges, de Feyzin, de Gonfreville-l’Orcher, de La Mède et de Grandpuits ont une garantie quant à l’avenir de leur site. Une telle perspective devrait être de nature à lever beaucoup d’inquiétudes.

En ce qui concerne la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, monsieur Andreoni, la raffinerie de La Mède ne sera pas touchée. L’enjeu, dans cette région, est de développer toutes les formes d’énergie, notamment les énergies renouvelables, en particulier d’origine solaire. J’inaugurerai d’ailleurs demain, à Mouans-Sartoux, la plus grande centrale solaire régionale.

Si les gouvernements que vous avez soutenus dans le passé ne s’étaient pas opposés, notamment par la voix de Mme Voynet, à l’aménagement du canal Rhin-Rhône, l’avenir du port de Marseille, qui serait relié directement à la mer du Nord, serait peut-être mieux garanti que ce n’est le cas actuellement, alors qu’il occupe pourtant une position stratégique en Méditerranée occidentale, entre Gênes et Barcelone. De plus, la mise en œuvre de ce projet aurait répondu aux exigences d’une véritable politique environnementale en matière de transports. Malheureusement, c’est de votre côté que certains ont pris position contre la réalisation de ce lien entre le nord et le sud du pays, stratégique en termes d’aménagement du territoire. C’est pour moi l’occasion de le rappeler !

Ce que l’État peut et doit exiger de Total, c’est qu’il n’y ait pas de fermeture de la raffinerie des Flandres. Le groupe Total se fonde sur une perte de 130 millions d’euros en 2009 pour justifier la décision d’arrêt de production prise en septembre dernier, puis celle de ne pas procéder à l’opération de « grand arrêt ».

Vous avez raison, monsieur Bourquin, d’affirmer que l’État doit imposer ses règles. Nous ne sommes plus à l’époque de la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde, quand M. Jospin disait : « L’État ne peut pas tout faire. » Aujourd’hui, l’État impose au contraire une véritable stratégie industrielle. (M. Jean-Claude Danglot s’exclame.) L’État sait dire à M. Carlos Ghosn, président de Renault, que c’est non pas en Turquie, mais en France que la Clio IV sera produite pour le marché français et une grande part du marché européen. L’État, aujourd’hui, a le courage de dire au directeur général de Total qu’il ne laissera pas fermer la raffinerie des Flandres sans que des contreparties garantissent un avenir à l’ensemble du bassin industriel des Flandres, qu’il s’agisse du site de Total, des sous-traitants ou de l’activité portuaire elle-même. Les temps ont changé ! Vous prétendez nous donner des leçons, mais nous, nous faisons ce que nous disons : c’est ce qui nous distingue. Nous voulons un vrai projet industriel pour le site de Dunkerque, un emploi pour chacun des 370 salariés de la raffinerie, un avenir pour chacun des sous-traitants, une compensation de la perte d’activité pour le port de Dunkerque.

Face aux exigences formulées par le Gouvernement, quelle est la réponse du groupe Total ?

Le projet présenté par Total consiste à maintenir l’emploi sur le site même de Dunkerque, avec la création de trois nouvelles activités, ainsi qu’une participation au projet de terminal méthanier de Dunkerque et à la revitalisation du Dunkerquois.

Total s’engage donc tout d’abord à créer à Dunkerque un centre d’assistance technique aux opérations de raffinage, employant 180 personnes, un centre de formation aux métiers du raffinage, comptant 25 salariés, et un dépôt logistique, employant environ 15 personnes. En outre, 20 salariés pourront occuper des fonctions administratives, ce qui porte à 240 le nombre total d’emplois sauvegardés sur le site de Dunkerque. Les autres salariés de la raffinerie se verront proposer un poste dans les autres établissements du groupe Total situés en France ou le bénéfice d’une fin de carrière anticipée. Il n’y aura aucun licenciement.

En outre, a été signé un accord qui prévoit la participation de Total au projet de construction d’un terminal méthanier par EDF. Le projet, qui mobiliserait 1 200 personnes pendant la phase de construction du terminal, permettrait de créer ensuite environ 50 emplois directs, attribués en priorité au personnel de la raffinerie des Flandres, auxquels s’ajouteraient quelque 150 emplois indirects.

Sur ce dossier, le Gouvernement a pris ses responsabilités depuis le début. Il s’est mobilisé pour l’avenir du Dunkerquois, et il est hors de question qu’un groupe comme Total, qui réalise des bénéfices record – 8 milliards d’euros l’an dernier –, ferme la raffinerie des Flandres sans prendre des engagements clairs et précis.

À ce stade, le Gouvernement constate que Total consent des efforts indéniables, avec la création de nouvelles activités sur le site de Dunkerque et une participation au projet de terminal méthanier, encore insuffisants cependant.

Le projet du groupe Total n’est pas validé par le Gouvernement. Il ne pourra l’être que lorsque Total présentera des solutions concrètes et précises, concernant notamment l’avenir des sous-traitants et le port de Dunkerque. Tant que cela n’aura pas été fait, le Gouvernement considérera que les principales exigences conditionnant la fermeture de la raffinerie des Flandres ne sont pas satisfaites.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter, au terme de ces échanges qui ont été particulièrement riches. Bien évidemment, la discussion se prolongera au-delà de ce débat, notamment lors de la table ronde qui sera organisée le 15 avril prochain et qui réunira l’ensemble des partenaires sociaux. C’est entre les parlementaires, le Gouvernement, les acteurs locaux et les partenaires sociaux que doit se décider l’avenir de notre indépendance énergétique et du raffinage dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question.

M. Jean-Claude Danglot, auteur de la question. Monsieur le ministre, j’ai effectivement parlé tout à l’heure de malhonnêteté politique ; il me semble être en droit d’exprimer un tel jugement, qui ne constitue en aucun cas une attaque personnelle contre vous.

Les salariés du secteur du raffinage, ceux de Dunkerque en particulier, ont raison de ne pas faire confiance aux propositions du groupe Total. Je pense que les propos que vous avez tenus aujourd’hui seront loin de suffire à les rassurer, parce que vous n’avez pas abordé le fond du problème et restez prisonnier des dogmes du libéralisme.

Le Président de la République a récemment déclaré, devant de jeunes universitaires américains, qu’un pays se dirige comme une entreprise et que seuls les résultats comptent. En parlant ainsi de résultats, je ne pense pas qu’il fasse référence à la courbe du chômage ou à celle du pouvoir d’achat, car en la matière les chiffres sont tout à fait négatifs ! Non, les résultats en question sont bien sûr ceux du CAC 40 et des profits de la haute finance, seuls indicateurs à ses yeux de la bonne santé du pays.

Les salariés de Dunkerque mènent une lutte exemplaire. Dans le Nord, nous connaissons trop bien les conséquences des fermetures d’entreprises et la valeur réelle des belles paroles qui les accompagnent. On remet d’abord un chèque au salarié pour qu’il accepte son licenciement – pécule vite épuisé dans une famille modeste ; ensuite viennent des promesses de maintien d’activité, plus ou moins tenues, les nouveaux emplois ne valant en tout état de cause jamais ceux qui ont été perdus, en termes de stabilité, de salaires et d’acquis ; enfin, des cellules de reclassement sont mises en place, mais, dans des secteurs où le taux de chômage est des plus élevés, de nombreux salariés licenciés restent sur le bord du chemin.

Voilà le scénario envisagé par Total si on laisse fermer le site de Dunkerque. Quant aux nombreux sous-traitants, dont le cas n’est guère évoqué, on les laissera tomber ! Ce qui est proposé aujourd’hui à tous ces salariés, c’est du « sang et des larmes », pour reprendre l’expression d’un ancien ministre de droite issu du Pas-de-Calais.

S’il faut redynamiser l’industrie en France, il faut surtout reprendre en main les industries stratégiques lorsque l’intérêt national est menacé par de grands groupes privés qui ne pensent qu’à la courbe de leurs profits.

Total n’est pas un groupe industriel quelconque, car il maîtrise ce qui reste la ressource énergétique essentielle, même si des substituts se mettent progressivement en place. La seule réponse pour enrayer le désengagement progressif et calculé de Total du territoire français passe par la maîtrise publique, et donc par une rupture idéologique.

Dans ce cas précis, l’État doit entrer au capital de Total et se donner le pouvoir d’intervenir dans les choix stratégiques, auxquels les salariés et leurs représentants doivent être pleinement associés. À mon sens, tout le reste n’est que du baratin ! Il n’est plus possible de laisser les requins de la finance décider de la vie ou de la mort de territoires entiers !

Monsieur le ministre, il me semble que vous n’avez pas répondu aujourd’hui à l’attente des syndicats et des salariés, mais un examen de rattrapage se tiendra le 15 avril ! En tout cas, nous ne nous fondons pas sur les mêmes éléments : selon moi, les arguments relatifs aux marges et à l’existence de surcapacités de production avancés par la droite au cours de ce débat sont faux.

En outre, monsieur le ministre, vous caricaturez l’analyse de l’opposition sénatoriale : nous savons très bien que des évolutions sont inéluctables et qu’il existe d’autres options que le « tout pétrole ». Mais, pour l’heure, nous n’en sommes pas au « tout sauf le pétrole ». Trop d’intérêts sont d’ailleurs en jeu.

Enfin, vous passez sous silence l’évolution de la courbe des profits de Total et celle du taux de chômage. Vous appelez de vos vœux une « révolution industrielle » ; quant à moi, je vous propose de nationaliser Total : ce serait là une véritable révolution !

Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

7

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 6 avril 2010 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe).

À quinze heures et le soir

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Grand Paris (n° 123, 2009-2010).

Rapport de M. Jean-Pierre Fourcade, fait au nom de la commission spéciale (n° 366, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 367, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à seize heures dix.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART