Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs, je voudrais prolonger le débat qui s’est engagé tout à l’heure d’une manière assez brutale et presque caricaturale entre M. Fourcade et M. Caffet.

Non, monsieur le rapporteur, il n’y a pas, d’un côté, ceux qui auraient de l’ambition pour l’Île-de-France, et, de l’autre, ceux qui se contenteraient d’un saupoudrage ! Sur des sujets aussi complexes, il est difficile d’affirmer de manière péremptoire que certaines politiques fonctionnent et d’autres pas.

Je me souviens de la phrase terrible qui ouvrait le rapport d’activité pour 2004 de la DATAR, qui célébrait alors son quarantième anniversaire. Cet organisme reconnaissait qu’il était à peu près impossible de tirer réellement le bilan de quarante années de politiques d’aménagement du territoire. Selon ce rapport, la situation aurait peut-être été plus difficile encore si de telles politiques n’avaient pas existé. C’était là une manière quelque peu étrange d’affirmer leur efficacité…

Vaut-il mieux concentrer les efforts sur les territoires qui manifestent encore de la vitalité, qui disposent d’équipements de recherche, de cerveaux, de projets, ou investir davantage dans ceux qui, se trouvant dans une situation plus difficile, ne peuvent espérer tirer seuls leur épingle du jeu ? Au cours des quarante dernières années, les habitudes et les conceptions ont évolué.

Des générations d’étudiants sont allées étudier dans le nord de l’Italie les systèmes productifs locaux, les SPL, les clusters et les pôles de compétitivité. On constate souvent l’efficacité d’un système de coopération, peaufiné au cours du temps, qui est fondé sur la confiance entre acteurs locaux, l’adéquation fine des productions aux besoins, la réactivité des sous-traitants et la curiosité des fournisseurs. Il est difficile de reproduire cela de manière autoritaire, surtout quand on est confronté à la misère de l’évaluation et qu’on se bat simplement à coups de concepts et d’idéologies.

Quand on veut bien examiner ce qui se passe réellement sur le terrain dans nos départements, on constate que la plupart des emplois sont aujourd’hui créés par des PME, et même par de petites entreprises, innovantes ou traditionnelles, dans les secteurs du bâtiment, des métiers de bouche ou des services rendus à la personne. En ce qui concerne les grandes entreprises, les emplois relèvent davantage des fonctions supports, de la logistique ou des services que des activités de recherche.

Je ne dis pas que votre démarche n’a pas de sens, mais j’estime qu’au lieu de se battre à coups de caricatures, il convient d’étudier de près ce qui peut servir la dynamique de développement des territoires. Il en va de cette politique comme de la politique sociale : des mesures sont efficaces à certains endroits quand toutes les conditions sont réunies, d’autres ne le sont pas. En tout état de cause, il ne me semble pas que la DATAR ait jamais considéré, en quarante années d’activité, qu’un « super métro » reliant des pôles économiques puisse contribuer aussi peu que ce soit au développement de territoires quand les logements, les services publics, les équipements hospitaliers, éducatifs ou culturels ne sont pas au rendez-vous.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l’article.

Mme Catherine Tasca. Monsieur le secrétaire d’État, l’article 1er, notamment son premier alinéa, mérite une attention particulière, car il est la clé de notre incompréhension mutuelle.

Le gouvernement auquel vous appartenez a malheureusement pris l’habitude de parsemer ses textes de propos incantatoires qui pourraient créer autant d’espoirs que de vives désillusions.

En effet, il y a tout dans cet article 1er : chacun en a sa part, et tous l’ont en entier. Il annonce tout à la fois un développement économique durable, solidaire, créateur d’emplois, la réduction des déséquilibres sociaux, territoriaux et fiscaux et, par surcroît, l’association des collectivités territoriales et des citoyens. C’est trop beau ! Mais il s’agit bel et bien d’un pur effet d’annonce, et la suite du texte démontre amplement que cela ne va pas au-delà. Dès lors, ne vous étonnez pas de susciter un profond sentiment de défiance.

La loi – faut-il le rappeler ? – n’est pas un exercice déclaratoire. Elle doit être normative, et non pas votive. Elle doit créer des obligations concrètes dont le Parlement et les citoyens doivent pouvoir juger. La suite du débat montrera, malheureusement, que votre texte n’atteint pas cet objectif.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.

M. David Assouline. Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi n’assumez-vous pas le fait que le Grand Paris est un projet de transport, point final ! Les premières versions du texte en témoignent.

Quelle que soit la dénomination retenue, Paris Métropole ou Grand Paris, la plupart des acteurs, toutes tendances politiques confondues, commençaient à être convaincus de la nécessité de penser une « ville-monde », une agglomération dans toute sa complexité, avec ces dimensions fondamentales que sont, notamment, le transport et le logement, en vue d’un développement durable.

Mais vous êtes venu casser ce consensus naissant en prétendant régler l’ensemble des problèmes à partir d’un projet de transport, le Grand huit, le reste devant suivre !

Politiquement, cependant, cela faisait un peu court, notamment pour s’adresser, lors de la campagne des élections régionales, aux citoyens confrontés aux difficultés de la vie dans l’agglomération parisienne. Les élus locaux, même ceux de l’UMP, savent bien que les problèmes de l’Île-de-France ne pourront pas être réglés par le seul Grand huit. La question est bien plus complexe, et un maillage d’une tout autre envergure s’impose, y compris en matière de transports.

Alors vous faites de la politique un peu à la manière du Président de la République : vous présentez un article dont le premier alinéa est consensuel, manifeste l’ambition de mettre en œuvre un véritable projet d’agglomération, en espérant que l’arbre suffira à cacher la forêt… Mais tout le reste vient contredire cet article, y compris ce fameux objectif affiché de construction de 70 000 logements par an, puisqu’un amendement du Gouvernement visera à supprimer l’article 19 bis, le seul du projet de loi consacré au logement. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) C’est une dépêche de l’AFP qui nous l’a appris, monsieur le secrétaire d’État, mais si vous infirmez cette information, je m’en réjouirai.

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Je vais vous répondre.

M. David Assouline. En tout état de cause, le premier alinéa de l’article 1er aurait pu définir le cadre d’un projet du Grand Paris prenant en compte tous les aspects du développement d’une métropole. Il est dommage qu’il n’en soit pas ainsi et qu’il ne s’agisse en fait, comme le montrera la suite du débat, que de nous imposer d’en haut à tout prix un métro souterrain, un Grand huit, qui viendra de plus contrecarrer un projet en cours et un débat public que vous entendez empêcher par l’adoption de ce projet de loi.

J’espère que, sur ce dernier point au moins, monsieur le secrétaire d'État, nous aurons une bonne surprise d’ici à la fin de ce débat… En effet, on ne peut pas dire, comme l’a fait tout à l’heure M. Fourcade, que l’on est prêt, notamment au sujet de l’Arc Express, à rechercher des solutions plus harmonieuses, et prévoir en même temps, grâce à M. Pozzo di Borgo, dont je salue la contribution (Sourires. – M. Jean-Pierre Caffet applaudit), que l’adoption du présent texte rendra caduc le débat public qui doit prochainement débuter.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.

Mme Bariza Khiari. La rédaction initiale de l’article 1er, avant le passage sous les fourches caudines de l’Assemblée nationale puis du Sénat, brillait par sa modestie et son manque de vision, comme l’a souligné M. Caffet. Ce fait suffirait sans doute à témoigner du manque patent d’ambition dont souffre globalement le texte.

Dans sa version actuelle, l’article 1er, de portée désormais plus générale, fait référence à des problématiques métropolitaines plus nourries et ouvre sur une réflexion un peu plus aboutie.

Cependant, je reste dubitative, même s’il est certes fait mention de la nécessité de lutter contre les inégalités territoriales sur les plans sociaux et fiscaux, ainsi que de l’importance de combattre les déséquilibres qui caractérisent les métropoles contemporaines, notamment la dichotomie Est-Ouest s’agissant de l’Île-de-France. À cet égard, M. Bodin vient à l’instant de nous éclairer sur l’absence de rééquilibrage vers l’Est : comment un métro souterrain pourrait-il, à lui seul, remédier à la situation actuelle ?

Il existe, en revanche, un projet dont la finalité ultime est la constitution d’une aire métropolitaine plus solidaire, à la fois attractive et ambitieuse : le schéma directeur de la région d’Île-de-France, qui a fait l’objet d’études minutieuses et d’une concertation poussée. Ce travail a été approuvé par la région, par une majorité des départements et par de nombreuses collectivités territoriales. Pourtant, l’article 1er reste silencieux à son sujet, ce qui est difficilement compréhensible. D’un côté, on affirme qu’il s’agit, par le présent texte, d’unir Paris, les villes environnantes et l’État ; de l’autre, on nie le travail des différents acteurs.

En fait, nous ne comprenons que trop bien : l’article 1er mentionne des principes sur lesquels l’État s’assoira par la suite. Il ne s’agit que d’un énoncé déclaratif d’apparat. La suite du texte, qui est la négation pure et simple de cet article, m’incite à m’exprimer contre ce dernier. Nous refusons de cautionner une recentralisation déguisée se parant, à l’article 1er, des atours séduisants du développement durable et de la lutte contre les inégalités, avant de rejeter ces principes par la suite.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Je tiens à souligner que le Gouvernement n’a nullement déposé d’amendement de suppression de l’article 19 bis.

M. David Assouline. C’était donc une simple rumeur ?

M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Si nous nous mettons à commenter les dépêches de l’AFP, les débats risquent de devenir encore plus compliqués qu’ils ne le sont déjà !

M. David Assouline. Il s’agit tout de même d’une source sûre, pas comme le Canard enchaîné !

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif au Grand Paris
Discussion générale

9

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 7 avril 2010, à quatorze heures trente et le soir :

1. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Grand Paris (n° 123, 2009-2010).

Rapport de M. Jean-Pierre Fourcade, fait au nom de la commission spéciale (n° 366, 2009-2010).

Texte de la commission (n° 367, 2009-2010).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)

Le Directeur adjoint

du service du compte rendu intégral,

FRANÇOISE WIART