M. Nicolas About. Si vous êtes Mirabeau, qui joue le rôle du marquis de Dreux-Brézé ? (Sourires sur les mêmes travées.)

Mme Éliane Assassi. Si servitude il y a, soyez assurés qu’elle ne sera jamais volontaire, et vous devrez alors assumer devant le peuple qui gronde, et devant l’Histoire qui ne ment pas, que vos réformes n’ont été votées qu’au prix de la négation des droits démocratiques.

Vous vous riez des acquis les plus élémentaires issus de la Révolution française : le droit pour les parlementaires de manifester leur opposition par le dépôt d’amendements et par le vote sur ces derniers. C’est totalement inacceptable.

Cela dit, vous ne pouvez pas empêcher les citoyens de manifester leur colère, comme ils le feront encore le 28 octobre et le 6 novembre, car non seulement ils ont pris conscience du caractère néfaste de votre projet, mais surtout, ils savent que, dans le pactole des sociétés du CAC 40, il y a de quoi assurer l’équilibre des retraites !

M. Roland Courteau. Oh que oui !

Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous mesurez bien la gravité de vos actes, mais votre passage en force rompt le contrat social qui fait l’unité de notre pays. C’est, je le répète, d’une extrême gravité.

Nous voterons donc contre ce texte, qui porte l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, celui de la retraite sans décote à 67 ans et la durée de cotisations à 41,5 annuités. Nous ne nous leurrons pas en effet : la CMP réintroduira cette dernière disposition dans le texte.

Ces mesures sont injustes et dangereuses. Elles sont particulièrement défavorables aux plus démunis, ceux dont la carrière professionnelle a été difficile parce qu’ils ont commencé à travailler jeunes, parce qu’ils ont connu de longues années de chômage, parce que leur vie active aura été marquée par l’emploi précaire, ou encore parce qu’ils ont dû interrompre leur carrière. Je pense particulièrement aux femmes, qui sont nombreuses, plus que les hommes, à s’arrêter un temps de travailler ou à passer à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants.

Cumulées, ces trois principales atteintes portées au régime de retraite actuel auront des conséquences dramatiques pour chaque assuré, qui se verra obligé de choisir entre une retraite à taux plein accordée à un âge critique et une retraite à un âge décent, mais en sacrifiant une partie de ce à quoi il a droit.

C’est à un choix scandaleux que l’on contraint les salariés : une retraite miséreuse ou le travail jusqu’à la mort.

Invoquant des arguments démographiques trompeurs, vous faites ainsi porter le choix de vos réformes idéologiques par les travailleurs. Nous n’aurons de cesse de le répéter : ces dispositions pèsent à 85 % sur les salariés, les revenus du capital étant une fois de plus épargnés.

Cette réforme détruit le système de retraite par répartition et la solidarité intergénérationnelle, qui sont pourtant aux fondements de notre système social. Elle est inadmissible, autant que les conditions de sa discussion au Parlement.

Je souhaite une fois encore exprimer toute mon indignation face à votre mépris à l’égard de l’opposition et du peuple de France, un mépris qui traduit cependant une certaine fébrilité dans vos rangs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, vous ne pouvez ignorer que le projet de loi que vous vous apprêtez à faire voter repose sur une hypothèse macroéconomique irréaliste. Vous savez que vous serez amené, face à la faiblesse de la croissance, à réviser vos chiffres à la baisse et, malheureusement, ceux du chômage à la hausse.

Vous savez aussi que vous avez fait un choix de court terme. Vous l’avez fait sous la pression des marchés financiers et des agences de notation. Vous avez ainsi fermé la porte de l’avenir aux jeunes générations.

Bien sûr, vous allez très bientôt être amené à puiser dans le Fonds de réserve pour les retraites et ce sera une très mauvaise opération financière pour le pays. En effet, si vous aviez renoncé à entamer ce fonds avant le terme prévu, c’est-à-dire en 2020, vous auriez engrangé des revenus qui auraient pu être supérieurs au coût de la dette sociale.

Au-delà, je pense qu’il s’agit là de votre part, monsieur le ministre, d’un acte politique, voire idéologique. Il vous fallait absolument, comme la droite s’y emploie consciencieusement depuis 2002, effacer une mesure prise par le gouvernement de gauche de Lionel Jospin.

Par ailleurs, vous avez usé d’une stratégie dont on a bien vu qu’elle était décidée ailleurs. Le groupe UMP n’en était même pas maître ! Cette stratégie devait à toute force s’intégrer dans les séquences de communication du Président de la République. C’est ainsi que vous avez consenti, dans la nuit de mercredi à jeudi, vers deux heures du matin, à vous engager à partir de 2013 dans la voie d’une réforme systémique. C’était bien l’aveu que la réforme que vous proposez depuis le début de la discussion n’était pas celle qu’il fallait au pays.

Pendant longtemps au Théâtre français, à la fin de la pièce, un comédien s’avançait et disait, souvent en latin du reste : « La pièce est dite. » Oui, la pièce est dite, votre texte va être voté, monsieur le ministre, mais vous savez bien qu’il ne s’agira là que d’un épilogue provisoire.

Tout à l'heure, M. Longuet a cru devoir suggérer l’idée d’une inexpérience que trahiraient les propositions de la gauche. Eh bien, j’ose le dire : quoi qu’il puisse penser de nos propositions, le combat va continuer, de manière pacifique, bien sûr, aussi bien ici, dans l’hémicycle, où nous nous retrouverons la semaine prochaine, que dans la rue, puisque deux nouvelles journées d’action sont programmées.

Nous avons également deux rendez-vous d’importance, car il va falloir trouver des recettes. Nous vous ferons encore des contre-propositions à partir du 8 novembre, ici même, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, de même que nous vous reparlerons des propositions fiscales que vous n’avez pas voulu écouter lorsque nous débattrons du projet de loi de finances, à partir du 18 novembre.

Enfin, l’ultime rendez-vous, c’est 2012, l’élection cardinale. Le suffrage universel sera notre juge de paix. Pour notre part, nous avons défendu ici les valeurs de la gauche. Vous avez défendu la vision à court terme de la droite. Nous en reparlerons en 2012 et le peuple saura choisir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce qui s’est passé hier au Sénat ne s’inscrit pas dans la série des incidents habituels de la vie parlementaire. C’est beaucoup plus grave.

Face à l’ampleur de la contestation qui monte dans le pays et dont nous avons voulu nous faire ici les porte-parole au cours de ces dernières semaines, le Gouvernement, suivant la voix de son maître, a décidé de museler l’opposition.

Le mandat de Nicolas Sarkozy est ponctué de coups de force de l’exécutif contre le Parlement : qu’il s’agisse de la suppression du Défenseur des enfants, de la réforme de l’audiovisuel, de la réforme des collectivités locales ou de la réforme des retraites – et la liste n’est pas exhaustive –, le pouvoir personnel a systématiquement pris le pas sur la représentation populaire.

Aujourd’hui, vous passez au cran du dessus : vous envoyez les forces de police contre de jeunes lycéens, vous intervenez de façon violente dans les raffineries en grève, vous méprisez les mobilisations monstres qui agitent le pays depuis plusieurs semaines et vous bâillonnez l’opposition au cœur même d’une institution de la République.

Que cherchez-vous réellement en menant une telle politique ? Doit-on y voir une marque d’irresponsabilité et d’immaturité totale du pouvoir ou un mépris cynique de la démocratie et de la représentation populaire ? Sans doute les deux… En réalité, c’est surtout un aveu d’échec, car vous n’avez trouvé rien d’autre que la violence et la coercition pour imposer cette réforme impopulaire.

Malgré la censure que vous nous imposez, j’évoquerai une ultime fois le sort que vous réservez à la fonction publique dans cette réforme.

Vous avez diminué de 30 000 postes par an les effectifs de la fonction publique, créant ainsi des pénuries dramatiques dans bon nombre de secteurs, à tel point que les inspecteurs généraux de l’éducation nationale tirent la sonnette d’alarme, inquiets du manque cruel de professeurs dans les collèges et les lycées. Aujourd’hui, en guise de réponse à cette carence organisée, vous obligez les fonctionnaires à travailler deux ans de plus. Étonnez-vous ensuite que les lycéens défilent dans les rues !

Vous avez dérégulé, mis en concurrence, privatisé, amputé les services publics et gelé leurs crédits, à tel point que de nombreux secteurs n’arrivent plus à assurer leur mission auprès de la population. Comment les collectivités locales vont-elles pouvoir mener leurs politiques sociales alors que les budgets baissent et que les transferts de charges ne sont pas compensés ? Comment l’hôpital public va-t-il pouvoir continuer à soigner tous les citoyens, quels qu’ils soient et quels que soient leurs revenus, alors que vous l’avez dépouillé de ses moyens et mis en concurrence avec le privé ?

Enfin, vous avez gelé les salaires des fonctionnaires, si bien que leur pouvoir d’achat a baissé de plus de 9 % depuis 2000, baisse qui s’est accélérée ces dernières années. Aujourd’hui, avec cette réforme injuste et impopulaire, vous franchissez un pas supplémentaire en réduisant de nouveau le niveau de vie des fonctionnaires.

Pour légitimer cette politique, vous continuez de montrer du doigt une fonction publique prétendument privilégiée et invoquez pompeusement l’égalité et la justice pour indexer les cotisations de retraite de la fonction publique sur celles du privé. Cette manipulation n’a que trop duré !

Les inégalités en France s’expliquent non par un clivage pas entre la fonction publique et le secteur privé, mais par un partage entre revenus du capital et salaires de plus en plus défavorable à ces derniers. En la matière, ce qui guide le Gouvernement, ce ne sont plus les idéaux de justice et d’égalité, c’est la volonté de préserver les privilèges d’une classe qui ne recherche que l’accumulation des profits.

Au nom du groupe CRC-SPG, en mon nom propre, mais aussi au nom de tous les manifestants, de tous les grévistes et de tous ceux qui les soutiennent, je voterai contre cette réforme inique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Messieurs les ministres, nous voterons résolument contre ce projet de loi.

Non, nous n’acceptons pas que 85 % des financements reposent sur les classes moyennes et populaires, tandis que les catégories les plus aisées sont protégées.

Non, nous n’acceptons pas que ceux qui ont souffert leur vie durant au travail soient les laissés-pour-compte de cette réforme injuste.

D’ailleurs, l’injustice de la réforme est évidente aux yeux d’une proportion largement majoritaire de Français puisque 70 % d’entre eux se rebellent contre le « détricotage » à l’œuvre dans votre texte, car il met en péril un édifice auquel ils sont très attachés.

Non, les Français ne veulent pas vivre dans un monde qui soit pire que celui de leurs parents. Avec eux, nous refusons cette fatalité du pire.

Voilà pourquoi nous avons défendu et pourquoi nous continuerons de défendre « cette ligne de vie, cette ligne de combat », selon le mot de Pierre Mauroy, à qui nous devons la conquête sociale majeure que fut la retraite à 60 ans. Je me devais de le rappeler en cet instant tristement historique, monsieur Fourcade.

Voilà pourquoi, aussi, il faut répondre à l’angoisse des jeunes, particulièrement inquiets et pour leur travail et pour leur avenir. Or, au million de manifestants, le pouvoir a répondu par des déclarations martiales, des déblocages musclés. Le pouvoir a bel et bien braqué le pays contre lui. Il l’a bloqué en refusant de reprendre les négociations.

Enfin, comme si cela ne suffisait pas, vous avez imposé le vote bloqué au Sénat. D’autres que moi ont parlé de « coup de force permanent ». En fait, vous avez empêché la représentation nationale de poursuivre un débat essentiel portant sur un sujet majeur qui engage le pacte social et républicain, car vous êtes gêné, embarrassé, monsieur le ministre : le débat au Sénat éclaire en effet les Français sur la véritable nature de votre projet de loi terriblement injuste. Vous vous êtes empressé de vous débarrasser de la patate chaude !

M. Nicolas About. Vous, vous ne l’avez jamais prise dans les mains !

M. Roland Courteau. Voilà pourquoi vous avez voulu écourter le débat. Voilà pourquoi vous précipitez la réunion de la CMP. Vous avez peur de l’expression du peuple !

Vous avez délibérément choisi, depuis le début, de privilégier l’affrontement, c'est-à-dire de dresser une France contre une autre, alors qu’il aurait fallu opter pour le rassemblement et pour le consensus national.

En fait, le caractère injuste de vos réformes, ce nouveau passage en force, cette façon de diviser sont caractéristiques du mode de gouvernance qui est à l’œuvre depuis trois ans.

Permettez-moi de souligner que la raideur du Gouvernement tranche avec l’esprit de responsabilité de l’opposition sénatoriale, des organisations syndicales et des millions de Français qui ont manifesté. Alors qu’ils vous demandaient l’ouverture de discussions, vous leur avez opposé une fin de non-recevoir !

Voilà bien un projet de loi rétrograde, vu par une majorité de Français comme une provocation. Rien de surprenant, me dit-on du côté de la France d’en bas. C’est effectivement dans la logique des gouvernements qui se sont succédé depuis 2002 : cette réforme s’inscrit bien dans un plus vaste train de mesures rétrogrades, qu’il s’agisse, entre autres de la remise en cause des 35 heures, du travail du dimanche ou des attaques les plus variées contre le code du travail.

Vous avez une idée fixe : revenir sur les avancées sociales de ces dernières décennies, revenir sur les acquis de la période Mitterrand et Mauroy, revenir sur les acquis sociaux du gouvernement Jospin et de la gauche plurielle.

M. Nicolas About. Arrêtez avec le passé ! Songez un peu à l’avenir !

M. Roland Courteau. Face à la montée du rejet de votre texte, la voie de la négociation avec les partenaires sociaux s’offrait encore à vous. Vous lui avez préféré, avec le Président de la République, celle de l’autoritarisme. Quel gâchis pour la France et pour les Français !

Vous avez donc ajouté la régression démocratique à la régression sociale.

Sachez que les traces de ce nouveau coup que vous assenez au peuple français, seront durables. Les Français n’oublieront pas de sitôt ! Vous avez perdu cette bataille devant l’opinion publique, et nous en reparlerons bientôt.

À l’issue de près de trois semaines de débats, jour et nuit, il n’y aura de notre part ni résignation ni abattement, sachez-le. Pour nous, le combat continue. C’est inscrit dans la longue marche de l’humanité.

Vous pourrez freiner cette extension du temps libre, du temps libéré, du temps conquis sur le temps de travail. Mais je vous le répète, vous ne pourrez jamais l’arrêter. Gardez-vous d’oublier que le travail est certes l’un des facteurs essentiels d’intégration sociale, mais il n’est pas le seul facteur d’épanouissement des êtres humains. Il y a aussi le temps des loisirs, de la culture, de l’échange, de la rencontre.

M. Jean-Pierre Fourcade. Et bien d’autres choses encore !

Mme Nicole Bricq. Cela s’appelle l’émancipation !

M. Roland Courteau. Cela implique que les hommes et les femmes disposent de ce temps libéré du travail contraint que vous vous efforcez chaque fois de réduire un peu plus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Christian Cointat. Rendez-vous en 1936 ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Cette réforme des retraites est-elle financée ? Cette question a souvent été évoquée tout au long de nos débats, et comme les réponses apportées manquent pour le moins de clarté, je me permettrai de rappeler quelques points.

Le recul de l’âge de la retraite étant un recul social, il se matérialise par une économie d’un nouveau genre, qui consiste à réduire la dépense publique pour les retraites. Cela satisfait bien entendu tous ceux qui ont les yeux fixés sur la « ligne bleue » des comptes publics et qui pensent que moins de retraites, et donc moins de revenus pour les ménages, c’est moins de déficit !

Une autre économie vient la décote. Cette dernière va coûter singulièrement aux femmes salariées, dont on repousse encore la date de départ à la retraite et qui ne pourront pas réunir les 41,5 années de cotisations induites par l’article 4. Cette décote va tasser le revenu des retraités et pensionnés et contraindre, là encore, à laisser perdurer dans notre législation sociale et fiscale des mesures d’aide aux personnes âgées qui engloutiront rapidement les pseudo-économies que vous aurez programmées.

Une troisième économie tient à la spéculation sur la mort que vous mettez en place avec cet allongement naturel de la vie professionnelle qui découlerait mécaniquement de l’augmentation de l’espérance de vie. Comme si les ouvriers, les employés ou les agriculteurs de notre pays avaient une espérance de vie aussi longue que celle des cadres ! Comme si l’usure des corps était sans effet sur la santé des individus§

Vous l’avez d’ailleurs en partie reconnu en proposant une prise en compte de l’incapacité ou de l’invalidité qui ne vise, en réalité, qu’à dispenser le patronat de continuer à verser des salaires à tous ceux qui ne sont plus suffisamment productifs.

Votre réforme confine d’ailleurs à l’inhumanité. C’est en effet la retraite des ouvriers morts avant l’âge contre la retraite chapeau légitimée de leur patron.

Le financement de cette réforme des retraites se fait d’abord et avant tout contre les salariés et les retraités : elle se traduit par plus de cotisations et moins de pensions ! Travailler plus et plus longtemps pour toucher moins et moins longtemps, voilà le nouveau slogan de Nicolas Sarkozy.

Les mesures de mise à contribution des revenus du capital et du patrimoine, annoncées pour la prochaine loi de finances, procèdent de l’anecdote et relèvent du pur affichage.

Lorsqu’on n’augmente pas le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune, qu’on ne remet pas en cause l’exonération des plus-values des entreprises, qu’on ne touche pas à l’exonération des donations, on ne change rien aux profondes inégalités de patrimoine qui frappent notre pays.

Mais il est une dernière question qu’il convient de bien garder à l’esprit.

Les retraités constituent 20 % de la population française. Les dépenses de retraite, c’est-à-dire les pensions et retraites versées, constituent aujourd’hui 13,5 % de la richesse nationale. Mes chers collègues, honnêtement, est-il juste ou injuste que la France n’accorde à ses retraités que le septième de la richesse nationale, alors qu’ils constituent le cinquième de la population ?

Plutôt que d’organiser la remise en cause de notre système par répartition au profit d’un régime par capitalisation, ne convient-il pas plutôt de se demander comment relever le niveau des retraites ? Car, depuis la réforme Balladur en 1993, l’indexation des pensions sur les prix gèle le pouvoir d’achat des retraités. Cela prive l’ensemble de l’économie d’un potentiel de croissance important, que la retraite à 60 ans avait d’ailleurs en grande partie dégagé.

Aussi, contrairement à une légende abondamment entretenue par tous les catastrophistes, nous ne souffrons pas en France d’une insuffisance structurelle de financement des retraites attribuée abusivement à l’allongement de la durée de vie. Nous souffrons surtout de l’existence de 3 millions de chômeurs, de 3 millions de travailleurs précaires et de près de 9 millions de bas salaires. C’est d’abord là qu’il faut voir la cause de l’assèchement des cotisations sociales.

Voilà les pistes de justice qu’il faudrait exploiter.

Messieurs les ministres, vous avez refusé tout débat sur nos propositions alternatives de financement des retraites. Vous refusez, dans ce projet de loi, de prendre les dispositions nécessaires pour garantir le droit à la retraite pour tous, à 60 ans et à taux plein.

Pour toutes ces raisons, je voterai résolument contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) )

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.

M. Jean-Pierre Caffet. Beaucoup ayant déjà été dit dans ces explications de vote, j’irai à l’essentiel.

En premier lieu, messieurs les ministres, je crois que vous et votre Gouvernement allez rentrer dans l’histoire pour avoir mis en œuvre l’une des pires régressions sociales que la France ait connues depuis plusieurs décennies.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jean-Pierre Caffet. Et cela, vous l’avez fait sans aucun mandat politique.

C’est une régression sociale parce qu’à la suppression du départ à la retraite à 60 ans vous ajoutez des mesures d’âge, ce qui vous amène à construire le système le plus rétrograde, le plus régressif et le plus dur d’Europe pour les salariés.

M. Guy Fischer. Eh oui, c’est vrai !

M. Jean-Pierre Caffet. Le président Fischer l’a rappelé avant moi, à l’allongement de la durée de cotisation vous ajoutez le report de l’âge de départ à la retraite, ce qu’aucun pays européen n’a fait. Aucun pays d’Europe n’a conjointement utilisé ces deux mesures.

M. Jean-Pierre Caffet. Quand les autres pays européens ont utilisé ces mesures d’âge et l’allongement de l’âge de départ à la retraite, ils l’ont fait en se donnant du temps, afin que cette réforme soit humainement et socialement supportable.

M. Jean-Pierre Caffet. C’est ainsi qu’en Allemagne la réforme entrera en vigueur en 2029 et au Royaume-Uni, en 2036.

Vous êtes donc bien en train de construire le système de retraite le plus dur d’Europe.

Le deuxième élément de régression sociale est celui de l’incroyable injustice de cette réforme. Nous en avons beaucoup parlé, et je me contenterai ici de rappeler deux points. D’abord, le financement repose pour l’essentiel sur les salariés : vous n’avez demandé d’effort à personne d’autre ! Ensuite, et cette injustice fondamentale est emblématique de votre réforme, vous vous attaquez aux plus faibles, à ceux dont les carrières sont les plus courtes, notamment, aux femmes.

Le troisième élément de régression sociale est celui de la pénibilité. Vous présentez votre texte comme une nouvelle conquête sociale…

M. Nicolas About. Mais c’est vrai !

M. Jean-Pierre Caffet. … alors que vous avez systématiquement refusé de considérer qu’il pouvait y avoir une dimension professionnelle ou collective dans cette pénibilité. Vous en êtes restés à une conception purement individuelle. Encore fallait-il qu’elle soit avérée puisque ce que vous introduisez dans le texte n’est pas la pénibilité mais l’incapacité constatée et avérée.

M. Nicolas About. Évidemment, puisque c’est au moment de la retraite qu’il faut tirer les conséquences de la pénibilité du travail !

M. Jean-Pierre Caffet. Tout cela pour parvenir à une réforme inefficace, sachant que votre réforme ne financera pas le système de retraite à moyen et long terme : nous l’avons suffisamment prouvé au cours de nos débats.

Il y a également le problème de la méthode qui a présidé à l’élaboration et à la discussion de cette réforme. Pendant des mois, ce furent le refus systématique d’écoute et les manœuvres permanentes. En matière de manœuvres, nous avons d’ailleurs eu un exemple dans la nuit de mercredi à jeudi. Le Gouvernement a en effet voulu faire un arrêt sur image. Il s’agissait de l’image d’un Sénat acceptant unanimement un amendement appelé en priorité par Claude Guéant et proposant une réforme systémique de nos régimes de retraite, c’est-à-dire une réforme qui serait enfin juste, mais dont le débat ne commencerait, évidemment, qu’en 2013.

Monsieur le ministre, que n’avez-vous mené plus tôt cette réflexion sur la réforme systémique ? Car vous aviez un autre choix, celui d’engager le débat avec les forces vives du pays, devant le pays !

M. Nicolas About. Cela a été fait !

M. Jean-Pierre Caffet. Vous auriez pu vous donner deux ou trois ans !

M. Nicolas About. Et vous ? Vous vous êtes donné vingt ans !

M. Jean-Pierre Caffet. Vous ne l’avez pas fait ! Vous auriez pu, pendant cet intervalle de deux ou trois ans, financer les déficits, avérés, de nos systèmes de retraite en recourant, par exemple, au Fonds de réserve pour les retraites. Mais vous avez préféré ajouter à l’injustice le pillage du Fonds de réserve constitué sous le gouvernement de Lionel Jospin.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte et, dès la semaine prochaine, nous serons aux côtés des manifestants, c’est-à-dire de la majorité de Français…

M. Jean-Pierre Caffet. … qui refusent votre réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Comme le rappelait mon collègue Caffet, la méthode employée par le Gouvernement pour élaborer et faire adopter son projet de réforme des retraites n’est sans doute pas la meilleure puisqu’elle nous a conduits à la situation déplorable dans laquelle se trouve plongé notre pays depuis quelques semaines.

Pour parvenir à une réforme efficace sur un sujet aussi sensible et crucial que celui des retraites, il aurait fallu prendre au moins la peine et le temps de négocier avec les syndicats et ne pas se contenter d’une consultation formelle.

Les syndicats sont, dans leur totalité, en désaccord frontal – et durable – avec ce projet de loi et ils ont des propositions alternatives à mettre dans le débat. Ils sont soutenus par un large mouvement social, ainsi que par l’opinion publique. Dès lors, tout plaide pour la suspension de votre réforme. Il faudrait la reprendre là par où elle aurait dû commencer : dans une concertation avec les forces syndicales.

Force est de constater que le Gouvernement a refusé de suivre ce conseil de sagesse et de modération pour s’engager dans une épreuve de force à l’issue incertaine.

Le Gouvernement, par ailleurs, a trahi les engagements pris auprès des Français au plus haut niveau de l’État. La déclaration solennelle du Président de la République concernant le maintien de l’âge du départ à la retraite à 60 ans a été évoquée à de nombreuses reprises au cours de nos échanges.

Le Gouvernement, si prompt à rappeler, à chaque fois qu’est entreprise une réforme, que cette dernière figurait au programme de campagne du candidat Sarkozy, s’est bien gardé de commenter cette anomalie, alimentant encore la perte de confiance de nos concitoyens en la parole publique.

Certes, messieurs les ministres, vous avez invoqué la crise pour expliquer ce revirement. Mais alors pourquoi n’avez-vous pas, malgré la crise ou à cause d’elle, renoncé au bouclier fiscal ?

Enfin, les débats au Parlement n’ont pas été à la hauteur des enjeux. À l’Assemblée nationale, l’opposition parlementaire comme les non-inscrits ont été réduits au silence ; ici, en dépit de l’opiniâtreté de l’opposition sénatoriale, le Gouvernement a continué de se dérober devant le débat de fond que l’on était en droit d’attendre.

Monsieur le ministre, vous nous avez répété inlassablement qu’il n’y avait pas d’alternative, comme le martelait Mme Thatcher en son temps – « There is no alternative » –, selon une méthode qui lui avait si bien réussi et qui, jusqu’à présent, vous a si peu souri. En effet, si les Français, dans leur grande majorité, et l’ensemble des organisations syndicales sont convaincus qu’une réforme du système des retraites est nécessaire, le mouvement social que vous avez suscité et qu’ils soutiennent en réclame une autre, ce qui rend encore plus incompréhensible votre obstination.

Le fond de votre réforme est doublement critiquable, car injuste et inefficace.

En effet, il n’a pas échappé à la présidente de la CNAV, par ailleurs syndicaliste, Mme Danièle Karniewicz – et ce n’est pas une gauchiste ! –, que le financement de votre réforme n’était pas assuré. Nous l’avons déjà souligné, mais il n’est pas inutile de le répéter.

Si les 15 milliards d’euros qui restent à financer à l’horizon 2020 y sont pudiquement qualifiés de « contribution nette de l’État », il n’en demeure pas moins que le recours à l’endettement ne suffira pas à assurer la pérennité de notre système de retraite par répartition.

Contrairement à ce qu’a pu déclarer le Président de la République, en l’état actuel de cette réforme, nos concitoyens ont toutes les raisons de se dire qu’ils ont des soucis à se faire pour leur avenir. D’ailleurs, la tournure que prend le mouvement social indique bien qu’ils sont plus inquiets que jamais.

Rien dans cette réforme n’est satisfaisant ! Non seulement elle ne permettra pas de sauver notre système de retraite par répartition, mais elle frappe les salariés les plus fragiles, les seniors, les femmes, les jeunes diplômés, les précaires, ceux qui exercent un métier pénible, tout en épargnant les privilégiés.

Les quelques mesures consenties par le Gouvernement et votées par le Sénat n’en changent ni la teneur injuste ni l’inefficacité ! C’est pourquoi, comme l’ensemble de mes collègues du groupe CRC-SPG, je voterai contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)