Mme Michelle Demessine. Monsieur le ministre d’État, ce projet de budget, transmis par votre prédécesseur, correspond à une politique de défense avec laquelle nous sommes en profond désaccord. De surcroît, il ne répond plus que partiellement aux grandes orientations du Livre blanc et aux engagements pris par le Gouvernement au travers de la loi de programmation militaire.

Que reste-t-il en effet de la loi de programmation militaire quand les crédits que vous nous proposez d’adopter conduiront à une réduction des effectifs, des frais de fonctionnement, des commandes ?

Cependant, mes critiques porteront essentiellement sur les priorités au nom desquelles des économies sont réalisées, le choix des secteurs touchés et le bénéfice incertain qu’apporteront ces économies et les recettes exceptionnelles.

Le montant des économies que vous envisagez de réaliser au cours des trois prochaines années s’élève à 3,6 milliards d’euros, avec une diminution des crédits de 5 milliards d'euros. Comme l’avait très justement fait remarquer le délégué général pour l’armement, avec un certain sens de l’euphémisme, ce projet de budget « marque une inflexion par rapport à la trajectoire de ressources prévue au titre de la loi de programmation militaire ». En clair, il manquera 2 milliards d’euros pour les équipements et les études en amont.

En revanche, les recettes exceptionnelles provenant des cessions immobilières et de la vente de fréquences hertziennes, par lesquelles vous comptez compenser la suppression de certains crédits, ne sont pas acquises, et nous en ignorons toujours le rythme et le montant réel.

Monsieur le ministre d’État, vous prenez ce ministère en main au moment le plus fort de la réforme engagée par votre prédécesseur, à l’heure des plus durs efforts demandés à nos armées.

La réforme que vous voulez poursuivre a un prix humain et matériel très lourd. Elle se met en place avec la disparition de 8 000 emplois par an, la suppression de nombreuses unités, la fermeture ou le déménagement de plusieurs établissements. Toutes ces dispositions ont de graves conséquences économiques et sociales pour les régions et les populations concernées.

Les économies imputées à la création des soixante bases de défense destinées à rationaliser le soutien aux armées n’ont pas été évaluées et les crédits de fonctionnement de ces bases seront amputés de 130 millions d’euros sur trois ans.

Les mesures d’économie qui pèsent sur le fonctionnement de l’ensemble de nos armées auront également des conséquences négatives dans de nombreux domaines. Cela a d’ailleurs été souligné par les différents chefs d’état-major lors de leurs auditions par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Certains redoutent ainsi la perte de savoir-faire essentiels, comme le vol sous jumelles de vision nocturne, le ravitaillement en vol, alertent sur les difficultés que nous rencontrerons en matière de surveillance maritime, par manque de moyens, ou sur les risques de baisse de la qualité de la préparation opérationnelle.

Les économies envisagées seront aussi réalisées au prix de réductions capacitaires. Plusieurs programmes d’équipement, pourtant nécessaires au maintien de nos capacités opérationnelles à un certain niveau, seront retardés : le programme FELIN du fantassin du futur, les ravitailleurs MRTT ou la rénovation des Mirage 2000-D.

Nos armées porteront aussi le poids des surcoûts ou des besoins non programmés lors de l’élaboration de la loi de programmation militaire. Je pense notamment à la création de la nouvelle base d’Abu Dhabi, à la commande de onze Rafale pour soutenir la construction aéronautique, en situation d’échec à l’exportation, aux travaux de dépollution des sites cédés, ou encore aux achats « en urgence opérationnelle » dus à l’insuffisance de certains équipements de nos troupes en Afghanistan.

Je déplore une nouvelle fois le niveau trop élevé des crédits affectés à notre force de frappe, considérant que celle-ci n’est plus adaptée aux nouvelles menaces auxquelles nous devons faire face.

Si l’on prend en compte les études, les opérations d’armement, l’entretien programmé du matériel et les infrastructures liées à la dissuasion, ce sont 3,4 milliards d’euros par an, soit près de 10 millions d’euros par jour, qui seront consacrés à l’arme nucléaire. À elles seules, nos forces nucléaires consomment 21 % des crédits d’équipement.

J’estime en outre que le renouvellement des deux composantes nucléaires, avec la mise en service d’un nouveau missile air-sol de moyenne portée et celle du M 51 pour la force océanique stratégique, participe plus de la modernisation et du renforcement de notre arsenal nucléaire que du maintien de sa crédibilité.

En cela, notre pays ne respecte pas non plus l’un des engagements fondamentaux du traité de non-prolifération nucléaire, que nous avons signé : ne pas procéder à des recherches sur de nouveaux systèmes d’armes nucléaires.

Mais, au-delà de ces considérations sur l’affectation des crédits dont vous disposerez, mes critiques portent sur les orientations de la politique de défense que vous mettrez en œuvre.

Certaines d’entre elles nous coûtent très cher. Elles sont la traduction d’une politique d’alignement atlantiste que je condamne.

C’est, par exemple, le cas de la guerre que nous menons en Afghanistan. Avec 1,3 million d’euros chaque jour, elle représente, à elle seule, un peu plus de la moitié des surcoûts de nos opérations extérieures.

Alors que tout démontre qu’il n’y a pas de solution militaire pour régler les problèmes de ce pays et qu’il faudrait rapidement engager le retrait progressif de nos troupes hors de ce que vous appeliez il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre d’État, le « piège afghan », vous nous demandez une rallonge de 218 millions d’euros pour prolonger notre intervention dans ce pays.

La réintégration au sein du commandement militaire de l’OTAN nous coûte aussi fort cher, environ 85 millions d’euros par an avec la mise en place de personnels français dans la structure de commandement, somme bien supérieure à celle qui avait été budgétée.

Pourtant – nous avions dénoncé ce fait à l’époque – cette réintégration, qui à mes yeux remet en cause notre autonomie stratégique, a été décidée sans que le Président de la République ait obtenu des garanties sur les deux exigences qu’il avait formulées : un accroissement significatif du poids de notre pays dans les structures de décision militaires et un renforcement de l’Europe de la défense. Je me souviens, monsieur le ministre d’État, que vous aviez d’ailleurs manifesté un certain scepticisme lorsque le Président de la République avait pris cette décision.

Le dernier sommet de l’OTAN est, à bien des points de vue, révélateur de notre perte d’autonomie stratégique, du recul de l’Europe de la défense et de l’existence de coûts financiers difficilement maîtrisables.

En avalisant le nouveau concept stratégique, le Président de la République et vous-même avez accepté de mettre notre pays au service d’une alliance politico-militaire strictement offensive. L’objectif est d’intervenir partout dans le monde, non pour établir un système de sécurité collective, mais, plus prosaïquement, pour défendre les intérêts des sociétés occidentales et de l’économie de marché.

Pour ma part, je suis convaincue que notre pays, au nom de son histoire, de ses valeurs et de ce qu’il représente dans le monde, devrait avoir une tout autre ambition que celle de jouer un rôle de gendarme dans des pays moins développés économiquement.

En outre, le principe du bouclier antimissile a également été entériné à Lisbonne. Les États-Unis ont ainsi fait accepter et payer par leurs alliés une décision qui implique la mise en place d’un système de défense extrêmement coûteux, à la fiabilité et à la doctrine d’emploi incertaines, et dont les règles d’engagement les laissent seuls maîtres des tirs. Tout cela au bénéfice quasiment exclusif de leur industrie d’armement !

Ce projet nous coûtera très cher, puisque nous devrions supporter environ 12 % des dépenses totales, dont le montant est estimé entre 80 millions et 150 millions d’euros. Participer à son développement accentuera encore la dépendance des pays européens à l’égard des États-Unis, en les plaçant à nouveau sous la protection du parapluie nucléaire américain. Ce système de défense antimissile contribuera inéluctablement, en suscitant la réaction d’agresseurs potentiels, à alimenter la course aux armements dans le monde.

Dans ce domaine aussi, monsieur le ministre d’État, vous avez opéré un très net revirement par rapport à l’époque où vous signiez dans Le Monde une tribune prônant le désarmement nucléaire mondial et soutenant les propositions faites à cet égard par le Président Obama.

La perspective d’une Europe de la défense s’éloigne, car il est vraisemblable que les sommes considérables consacrées au bouclier antimissile feront défaut au financement de programmes de recherche menés en commun avec certains de nos partenaires européens.

Enfin, les accords de défense, exclusivement bilatéraux, récemment signés à Londres avec notre partenaire britannique, au prétexte de mutualiser certaines de nos capacités, ne permettront pas de futurs programmes de coopération avec d’autres pays européens. En cela, ils empêcheront également la mise en place d’une défense européenne commune.

Monsieur le ministre d’État, telles sont les remarques critiques que je souhaitais formuler, au nom du groupe CRC-SPG, sur le projet de budget que vous nous avez présenté. Je regrette de n’y avoir pas retrouvé la marque de certaines des convictions que vous avez exprimées par le passé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier. (MM. Jacques Blanc et André Dulait applaudissent.)

M. François Trucy, rapporteur spécial de la commission des finances. Enfin un spécialiste !

M. Jacques Gautier. Monsieur le ministre d’État, je souhaite tout d’abord saluer, au nom du groupe UMP, votre nomination à la tête du ministère de la défense et des anciens combattants. Ces responsabilités vous sont conférées à un moment crucial pour notre politique de défense et nos forces armées, au plan tant national qu’international.

En effet, parallèlement à la déflation des effectifs liée à la RGPP et au nouveau format découlant de la mise en œuvre des orientations du Livre blanc, les armées ont engagé une lourde restructuration, comportant notamment la mise en place d’une nouvelle carte de stationnement des unités, la rationalisation de la fonction de soutien, la création des centres ministériels de gestion, une mutualisation accélérée, l’externalisation de certains services et, bien sûr, la création des bases de défense.

En regard de ces efforts importants, le Président de la République a tenu à ce que les économies ainsi réalisées par les armées soient sanctuarisées et affectées, d’une part, à la revalorisation de la condition militaire, et, d’autre part, à l’équipement des forces, qui a longtemps servi de variable d’ajustement.

Je veux souligner l’engagement et le sens du service des personnels placés sous votre autorité, qui subissent une réorganisation difficile, permanente, mais indispensable. Je tiens d’ailleurs à rendre un hommage appuyé à tous nos soldats en opérations extérieures et à leurs familles.

M. Jacques Blanc. Très bien !

M. Jacques Gautier. Il me paraît important de leur faire savoir que la représentation nationale les assure de son profond soutien. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

La loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014, que le groupe UMP avait votée avec enthousiasme, engage un effort sans précédent dans le domaine des équipements, permettant à nos armées de retrouver un niveau opérationnel satisfaisant et adapté à leurs missions, tant sur le territoire national qu’en opérations extérieures. De plus, des crédits satisfaisants sont enfin affectés à l’entretien de base et au maintien en condition opérationnelle, le MCO.

Si 2009 a été une année exceptionnelle, notamment pour le programme 146 cher à mon collègue Daniel Reiner, qui restera certainement sans équivalent en termes d’effort budgétaire, l’exercice 2010 a été lui aussi d’un niveau satisfaisant, bien qu’inférieur à celui de l’année précédente.

Le projet de budget de la défense que vous présentez dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 prévoit un abattement de 3,6 milliards d’euros des crédits sur trois ans par rapport à la LPM, en partie compensé par une réévaluation des recettes exceptionnelles, dont on doit espérer qu’elles seront, enfin, au rendez-vous. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)

Mais il est clair, pour chacun d’entre nous, que l’impact de la crise internationale et la nécessité de résorber les déficits budgétaires obligeront les pays européens, dont la France, à réaliser de nouvelles économies, lesquelles se feront certainement sentir durement en 2012 et en 2013. Je crains que les crédits que vous défendez ne deviennent un TOTB, un « terrible objet de tentation budgétaire », et que vous ne soyez amené, dans la perspective de la clause de revoyure du Livre blanc, à faire des choix difficiles, portant peut-être même sur le format de nos armées.

Nos rapporteurs nous ont présenté avec une grande précision l’ensemble des programmes et des crédits qui s’inscrivent dans cet environnement particulièrement tendu, en formulant des observations pertinentes. Ils ont relevé des sujets de satisfaction, mais aussi exprimé des inquiétudes et des regrets : je pense au report de la mise à niveau du système de commandement et de conduite des opérations aériennes, le SCCOA, ou du concept Scorpion, aux retards dans le domaine satellitaire, y compris en matière d’alerte avancée, ou dans la rénovation des Mirage 2000-D ; je crains même l’abandon pur et simple de cette remise à niveau, avec pour conséquence la limitation à 130 ou à 150 en 2020 du nombre d’appareils de combat multi-missions de notre armée de l’air.

Monsieur le ministre d’État, j’attire votre attention sur le risque dramatique d’un décrochage capacitaire pour notre pays. Il y a des limites à la compression budgétaire, et n’oublions pas que la défense représente 165 000 emplois directs, ainsi que des milliers d’autres dans les PME sous-traitantes.

Je ne détaillerai pas davantage les investissements et programmes retenus ou repoussés, car cela a déjà été fait, mais je voudrais mettre l’accent sur un certain nombre de dossiers qui me tiennent à cœur.

Contrairement à ma collègue Michelle Demessine, je me félicite de la conclusion du double accord franco-britannique de défense, qui garantit aux deux pays la pérennité et la souveraineté de leurs forces de dissuasion, complément et non substitut de la défense antimissile balistique. Cet accord représente aussi la première application, en vraie grandeur, d’une coopération structurée permanente, au sein d’un noyau dur d’États pilotes décidés à consacrer un effort important à leur défense et à travailler ensemble. J’espère que d’autres pays nous rejoindront ; je pense, en particulier, à l’Italie et à l’Espagne.

Le second volet de cet accord va permettre la mutualisation de certains équipements, comme le MRTT, le multi-role transport tanker, de certaines formations et de certaines opérations de MCO : je pense à l’A400M.

Ce rapprochement jette aussi les bases d’une complémentarité et d’une interopérabilité de nos groupes aéronavals, ainsi que de la création d’une brigade franco-britannique qui, en raison des similitudes d’emploi et de règles d’engagement des forces, devrait être opérationnelle et réellement projetable, contrairement à la brigade franco-allemande, dont l’existence demeure avant tout, il faut bien l’avouer, hautement symbolique.

Enfin, ce rapprochement permettra le partage des coûts de recherche et de développement, indispensable pour garantir notre souveraineté ainsi que la pérennité d’une partie importante de l’industrie de défense en France et en Europe. Cela est vrai pour le domaine nucléaire et pour les « briques » technologiques que nous pourrons apporter à la défense anti-missile balistique de l’OTAN, mais aussi pour un certain nombre de programmes majeurs restant à préciser.

Nous soutenons donc, monsieur le ministre d’État, l’engagement d’un effort annuel supplémentaire de 50 millions d’euros pour chacun des deux pays dans le domaine de la recherche et du développement, et ce dès 2011.

Je voudrais évoquer également le présent et l’avenir des drones de moyenne altitude et de longue endurance, les drones MALE. L’accord franco-britannique permet d’envisager sérieusement la mise en œuvre vers 2020-2023 d’un drone MALE de nouvelle génération et à forte capacité, issu certainement du démonstrateur Mantis de BAE Systems.

Toutefois, il est indispensable d’apporter, dès 2013, une réponse pragmatique aux besoins de nos forces sur le terrain dans le domaine des drones MALE. Votre prédécesseur était sur le point d’arrêter son choix, entre le traitement des obsolescences et un achat complémentaire de drones Harfang, l’adaptation du Heron TP d’Israël Aircraft Industries à plus forte capacité ou l’achat de drones de General Atomics ayant fait leurs preuves sur le terrain et à fortes capacités d’emport. S’agissant de cette dernière option, il semblerait que nous ayons obtenu des assurances quant à l’autonomie d’emploi et à l’installation de systèmes français.

Votre choix sera difficile, car il faut prendre en compte non seulement les coûts d’achat et de maintenance, le calendrier et les retombées pour l’industrie française, mais aussi les besoins des militaires sur le terrain et l’émergence de nouvelles menaces, notamment celles d’Al-Qaïda au Maghreb islamique ou des pirates au large de la Somalie.

À Lisbonne, la France a obtenu de nombreuses avancées sur l’évolution du concept stratégique de l’OTAN, ainsi que sur la réduction des effectifs et du nombre des agences de l’Alliance. Nous devons nous féliciter de notre retour au sein du commandement intégré, sans lequel ces résultats n’auraient pu être envisagés, pas plus d’ailleurs que l’accord franco-britannique.

Je crois cependant que ce sommet témoigne d’un certain éloignement des États-Unis par rapport à la vieille Europe,…

M. Didier Boulaud. Et ce n’est pas fini !

M. Jacques Gautier. … que nos alliés Américains souhaitent voir s’engager plus avant dans sa propre défense, y compris avec la défense antimissile balistique. En effet, la priorité des États-Unis, on le sait bien, est dorénavant l’Asie, où se trouvent des pays partenaires, clients ou concurrents pouvant représenter des risques ou des menaces tangibles pour les États-Unis dans les prochaines décennies.

Au-delà du projet de loi de finances pour 2011, monsieur le ministre d’État, les difficultés budgétaires nous obligeront à aller plus loin dans les mutualisations et les rationalisations. Ce qui a été fait dans nos armées devra être étudié pour nos industries de défense, car on voit bien que l’on ne peut conserver, à l’échelon européen, une multitude d’acteurs mineurs, tributaires de leurs marchés nationaux. Il faut favoriser soit la complémentarité, comme avec « One MBDA », soit les adossements industriels bi- ou multilatéraux, en particulier pour les groupes d’armement terrestre.

À votre arrivée au ministère de la défense, vous auriez déclaré qu’il s’agissait d’une mission passionnante, dans un ministère où il y a énormément de choses à faire, avec des moyens financiers importants. Vous avez déjà pu découvrir, monsieur le ministre d’État, que votre mission est en effet particulièrement exaltante, qu’il y a énormément à faire, mais que, malheureusement, les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous…

M. Jean-Louis Carrère. Votez-lui un bon budget !

M. Jacques Gautier. … face aux défis que nous devons relever ensemble, d’autant que, derrière ces programmes et ces budgets, il y a des hommes et des femmes dévoués, au service des armes de la France, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême.

Monsieur le ministre d’État, le groupe UMP vous accorde sa totale confiance pour conduire les réformes nécessaires et vous apportera son entier soutien pour l’adoption des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

M. François Trucy, rapporteur spécial. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » pour 2011 ne correspondent pas tout à fait aux annuités prévues dans la loi de programmation militaire adoptée par le Sénat en juillet 2009. La défense contribue à la maîtrise des dépenses de l’État : par rapport aux crédits programmés jusqu’en 2014, ses dotations budgétaires sont réduites de 3,6 milliards d’euros.

Notre situation budgétaire est une contrainte qui pèse aussi sur la défense, et cela est normal. Le ministère de la défense ne peut pas s’exonérer des efforts engagés pour rétablir l’équilibre des finances publiques. Néanmoins, mes chers collègues, cette contrainte est également une véritable occasion, pourvu que nous ayons la volonté politique de la saisir.

Je concentrerai mon propos sur cette volonté politique, qui sera décisive pour la France et l’Europe dans les années à venir.

La contrainte budgétaire est une occasion de renforcer les deux piliers de la puissance militaire française : l’Union européenne et l’Alliance atlantique. Ces deux piliers sont complémentaires et ils se confortent mutuellement. Sur ce point, la doctrine centriste, qui a été portée notamment par Jean Lecanuet, a été consacrée par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Monsieur le ministre d’État, j’espère que vous partagerez cette conviction et que, comme celle de votre prédécesseur, M. Hervé Morin, votre action s’inscrira dans cette voie.

Des progrès historiques ont été accomplis ces dernières années pour construire une véritable Europe de la défense. En moins de dix ans, la politique européenne de sécurité et de défense est devenue une réalité. Depuis 2002, grâce à l’engagement de la France, plus de vingt opérations civiles et militaires se sont déployées dans les Balkans, en Afrique, en Asie, au Proche-Orient, dans le Caucase et jusque dans l’océan Indien. En moins de dix ans, près de 70 000 citoyens civils et militaires de l’Union européenne ont été employés au service de la sécurité internationale.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Conseil européen est doté d’une présidence stable. L’action extérieure de l’Union est plus cohérente, grâce à la création d’un haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.

Plus encore que les améliorations institutionnelles, ce sont les projets concrets qui font avancer la défense européenne. C’est grâce à eux que l’Europe de la défense a été relancée sous la présidence française de l’Union européenne.

La mise en œuvre d’un programme ERASMUS militaire pour les officiers, la constitution d’un groupe aéronaval européen, la création d’une flotte européenne de transport, le déploiement d’un réseau de surveillance maritime des côtes européennes : ce sont ces réalisations qui font avancer les choses. Me trouvant, voilà trois jours, au Centre satellitaire de l’Union européenne, à Torrejón, j’ai été fier de constater que l’Europe était désormais beaucoup plus compétente que les États-Unis en matière d’analyse des images satellitaires, même si celles dont elle dispose sont beaucoup moins claires.

La création, l’été dernier, par la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, d’une flottille commune d’avions de transport tactique reflète une tendance de fond à la coopération. Grâce au sauvetage pour lequel votre prédécesseur s’est battu, monsieur le ministre d’État, cette flottille doit être dotée, à terme, d’Airbus A400M.

Enfin, l’accord historique conclu avec la Grande-Bretagne le 2 novembre dernier marque une avancée considérable. La mise à disposition réciproque de matériels et de troupes par les deux principales puissances militaires de l’Union européenne n’est pas seulement le signe d’un rapprochement bilatéral ; c’est aussi un levier d’action pour renforcer l’intégration européenne.

La France et le Royaume-Uni comptent parmi les rares pays respectant le seuil de dépenses pour la défense fixé par l’OTAN à 2 % du produit national brut. Le fait que ces deux grandes puissances mutualisent certains de leurs moyens est un grand pas vers la création d’une véritable défense européenne intégrée.

Cependant, le travail à accomplir pour parvenir à développer la puissance européenne est immense, et il risque de pâtir de la réduction des moyens. Depuis plusieurs années, la diminution des crédits consacrés à la défense partout en Europe est une vraie menace pour la sécurité et l’indépendance du continent. Entre 2001 et 2009, le budget militaire des États européens membres de l’OTAN est ainsi passé de 228 milliards à 197 milliards d’euros. Cette diminution est aggravée par le manque de coopération.

À cet égard, un article récent du New York Times dressait une rapide comparaison entre l’Europe et les États-Unis : on compte vingt et un chantiers navals en Europe, contre trois aux États-Unis ; les pays de l’Union européenne ont quatre-vingt-neuf programmes d’armement différents, contre seulement vingt-sept pour les États-Unis, dont le budget de la défense est pourtant presque trois fois supérieur à l’ensemble des budgets de la défense européens ; la part de la recherche et du développement dans le budget européen de la défense a chuté de 13 % entre 2001 et 2008, alors que les États-Unis consacrent à ce secteur six fois plus de crédits que l’ensemble de l’Europe, pour un PIB presque équivalent.

La fragmentation des marchés de la défense européens coûte cher. Il est urgent de renforcer la coopération, la mutualisation et l’intégration des moyens. C’est en suivant cette voie que l’Europe de la défense progressera. Cela est nécessaire pour peser dans les affaires internationales et pour défendre nos valeurs dans le monde ; cela est nécessaire pour éviter une perte catastrophique de compétences technologiques et opérationnelles ; cela est nécessaire, enfin, pour entretenir une relation équilibrée avec nos alliés, en tout premier lieu avec les États-Unis.

Cela m’amène à évoquer le second pilier sur lequel doit reposer notre défense, l’Alliance atlantique.

J’aimerais insister sur le point suivant : le fait que la France ait rejoint le commandement intégré de l’OTAN lors du sommet de Strasbourg renforce notre capacité d’influence. La nomination du général Abrial à l’un des deux postes de commandement suprêmes n’est pas qu’un symbole.

Je salue la décision du Président de la République de revenir sur le choix fait par le général de Gaulle en 1966, dans un contexte très différent. C’est une excellente décision pour la France et je voudrais lui rendre hommage pour avoir fait « bouger les lignes ».

À ce propos, monsieur le ministre d’État, une phrase rapportée voilà quelques jours dans la presse a pu donner à penser que j’avais ironisé sur la présence, au sommet de Lisbonne, de trois anciens secrétaires généraux du RPR, porteurs de la doctrine gaulliste. Or il n’en est rien. Au contraire, je me réjouis que le Président de la République, Mme Alliot-Marie et vous-même, monsieur le ministre d’État, ayez pris part à ce sommet.

La décision prise par le Président de la République est également excellente pour l’Europe de la défense. Grâce à ce choix, le projet européen peut avancer sans être en permanence suspecté de fragiliser le lien transatlantique. Notre partenaire britannique y est sensible, et il n’est pas le seul. Les pays d’Europe de l’Est, très attachés à l’Alliance atlantique, le sont aussi. Le fait que la France ait repris toute sa place dans l’OTAN rassure la Pologne et ses voisins. L’Europe de la défense y gagne.

Cela m’amène à évoquer le renforcement nécessaire du partenariat avec la Russie, qui doit être une priorité de l’Alliance atlantique, comme l’a souligné le Président de la République lors du sommet de l’OTAN de Lisbonne, le 20 novembre dernier. La présence de la Russie auprès de l’OTAN a montré que l’épisode ouvert par la crise géorgienne est en train d’évoluer. Maintenant, il faut avancer.

L’Union européenne doit comprendre que ce rapprochement est dans son intérêt. La page de la guerre froide est tournée depuis longtemps. Les menaces ont changé de nature, elles ont aussi changé d’origine. Les chefs d’État français, allemand et russe l’ont compris. Lors de leur récente rencontre, à Deauville, ils ont manifesté leur volonté de renforcer le partenariat stratégique qui doit nous unir. La vente de missiles Mistral à la Russie est également un excellent signe. Cette volonté doit se concrétiser par des projets communs, notamment en matière de défense antimissile.

Aujourd’hui, la Russie concentre ses troupes dans le Caucase, bien sûr, mais surtout à l’est de ses frontières. À ses côtés, l’Europe de la défense doit progresser. Le monde avance vite, la Chine avance vite : cette semaine, au salon aéronautique de Zhuhai, elle a présenté sa nouvelle génération d’avions de combat, qui pourront décoller des porte-avions.

Il est urgent que l’Europe comble son retard, en matière d’exploration spatiale, de recherche avancée, de capacités rapides d’intervention. Pour associer les États membres de l’Union à cet effort, il faut une volonté politique forte.

Monsieur le ministre d’État, je crois que vous partagez cette volonté. J’espère que, sous votre direction, votre ministère continuera à faire progresser à la fois notre influence dans l’OTAN, notre partenariat avec la Russie et l’Europe de la défense : trois objectifs qui se complètent et se renforcent. Dans cet espoir, le groupe Union centriste votera pour l’adoption des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.