M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je m’associe aux excellents propos que viennent de tenir mes collègues.

Évidemment, la position du juge constitutionnel n’a pas échappé à notre commission et c’est la raison pour laquelle elle a supprimé l’article 37 de ce projet de loi.

À l’heure actuelle, le Gouvernement est dans l’obligation de modifier la législation relative à la garde à vue, car l’absence, dès la première heure, d’un défenseur aux côtés d’une personne retenue, c’est-à-dire privée de liberté, n’est pas conforme aux principes fondamentaux de notre droit.

De même, notre système judiciaire est critiqué, puisque le juge chargé de contrôler la garde à vue n’est pas indépendant de l’exécutif, au sens où l’on entend communément cette indépendance.

Or le Gouvernement et sa majorité manifestent une très grande réticence à admettre que notre système de contrôle de la privation de liberté n’est pas conforme aux droits élémentaires de la personne, qu’il s’agisse du respect des droits de la défense ou de l’intervention d’un juge indépendant.

Si le Sénat devait adopter l’amendement déposé par M. Longuet, qui s’est empressé de proposer le rétablissement de l’article 37, nous irions de nouveau, cette fois en matière de rétention, à l’encontre des règles communément admises dans le domaine du contrôle de la privation de liberté. De plus, nous manifesterions, à l’égard des étrangers, la volonté de violer allègrement les principes fondamentaux relatifs à la garantie des droits de la défense, d’une part, et au respect des droits des personnes privées de liberté, d’autre part.

Nous devrions donc avoir la sagesse, comme nous l’avons fait tout à l’heure, lors de la discussion de l’article 30, de nous conformer le plus possible à la formule qui préserve un minimum de garanties dans le contrôle de la privation de liberté. Il me paraîtrait tout à fait déplorable de forcer les principes comme le Gouvernement tente de le faire.

M. le président. L’amendement n° 1 rectifié ter, présenté par MM. Longuet, Nègre et Demuynck, Mme Dumas et MM. Courtois, J. Gautier, César et Garrec, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article L. 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :

1° À la première phrase, les mots : « de quarante-huit heures » sont remplacés par les mots : « de cinq jours » ;

2° À la deuxième phrase, les mots : « Il statue » sont remplacés par les mots : « Le juge statue dans les vingt-quatre heures de sa saisine ».

La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Je n’aurai pas la prétention, à cet instant, de retracer l’histoire républicaine de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire. Depuis 1790, ces deux ordres sont séparés et la République ne s’en est pas plainte.

Le code de l’entrée du séjour des étrangers et du droit d’asile est de nature administrative et les services chargés de son application sont placés sous le contrôle du juge administratif. Le droit français a toujours reconnu à l’autorité administrative, dans des cas limités mais parfaitement définis, la possibilité de prendre des décisions entraînant des mesures privatives de liberté, en l’occurrence, s’agissant d’un étranger qui demande l’accès au territoire et dont la situation devrait être vérifiée, une mesure de rétention.

Le Conseil constitutionnel, reprenant une jurisprudence relative au rôle du juge judiciaire gardien des libertés, estime impensable qu’un juge judiciaire n’intervienne point dans un délai d’au moins sept jours. Il ne porte pas d’autre jugement et donne la possibilité à l’administration d’exercer sa responsabilité.

Je propose donc, en déposant cet amendement, de permettre à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif, d’assurer une mission de service public au bénéfice de la collectivité tout entière.

Cette initiative s’inspire des conclusions de la commission présidée par Pierre Mazeaud, ancien parlementaire et juge de l’ordre judiciaire, qui avait su parfaitement restituer, dans ses propositions, la distinction entre le rôle de l’autorité administrative, placée sous le contrôle du juge administratif, et le rôle du juge judiciaire, qui peut être saisi au-delà d’un délai de cinq jours. Mais à quoi servirait-il de donner des responsabilités à l’autorité administrative, placée sous le contrôle du juge administratif, si les décisions de cette autorité étaient contrecarrées, dans les faits, par des décisions judiciaires ? Ces dernières décisions sont d’ailleurs d’une autre nature, puisqu’elles portent sur le principe de la rétention et non sur l’application du droit d’accueil.

Nous risquerions donc d’aboutir à des situations d’une grande complexité, sources de contradictions incompréhensibles, à la fois pour les malheureux qui sont candidats à l’accueil et, le cas échéant, pour ceux qui veulent les défendre ou les soutenir.

C’est la raison pour laquelle, en déposant cet amendement qui tend à rétablir l’article 37, je ne fais que marcher dans les pas d’un juriste éminent, Pierre Mazeaud, et restituer leurs responsabilités respectives aux autorités administrative et judiciaire.

L’autorité administrative est placée sous le contrôle du Conseil d’État, tout aussi respectueux de la liberté individuelle que le juge judiciaire – la jurisprudence du Conseil d’État le prouve, et vous le savez ! Nous voulons ensuite donner au juge judiciaire la possibilité d’examiner les situations individuelles, au terme d’un délai de cinq jours qui permet à l’administration de fonctionner, car c’est elle qui doit faire appliquer ce code. Ma démarche vise donc un objectif de clarification.

Je comprends parfaitement les oppositions, mais nous devons faire fonctionner un système, dans un pays où le juge administratif est un juge à part entière, placé sous l’autorité du Conseil d’État, juridiction ô combien exigeante et responsable en matière de respect de la liberté individuelle.

Nous ne pouvons pas accepter ce procès d’intention qui est instruit contre l’amendement de rétablissement : ne pas le voter reviendrait à désorganiser le fonctionnement d’un service qui travaille au bénéfice de la collectivité nationale tout entière, et d’abord des étrangers en situation régulière, qui sont les premières victimes de l’entrée d’étrangers en situation irrégulière. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous abordons, en cet instant, un sujet important qui touche au cœur même de ce projet de loi.

Le présent amendement, défendu par notre collègue Gérard Longuet, tend à rétablir les dispositions l’article 37 qui prévoient le report à cinq jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention en rétention, au lieu des quarante-huit heures de notre droit positif. Cet amendement est solidaire de la rédaction initiale de l’article 30, qui autorisait le préfet à placer un étranger en rétention pour une durée de cinq jours.

Au stade de l’examen en commission, en qualité de rapporteur, je n’ai pas proposé la suppression de cet article. En effet, j’avais estimé qu’il allait dans le sens d’une meilleure administration de la justice, notamment en permettant de bien distinguer le contentieux administratif du contentieux judiciaire et en créant un véritable recours en urgence contre la décision administrative de placement en rétention.

Cette meilleure séparation des deux contentieux est conforme aux préconisations du rapport Mazeaud, qui analysait les nombreux dysfonctionnements du système actuel et montrait que le statu quo en la matière n’était pas tenable.

La manière la plus efficace de résoudre ces problèmes aurait consisté, certes, à unifier les contentieux judiciaire et administratif, mais une telle unification, je le dis clairement, est impossible sans une révision constitutionnelle.

M. Gérard César. Bien sûr !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Dès lors, la solution proposée à l’article 37 du projet de loi m’était apparue comme certes peut-être imparfaite à certains égards, puisqu’elle reporte à cinq jours l’intervention du seul juge compétent pour vérifier la régularité de la privation de liberté, mais tout de même nettement préférable au statu quo.

La commission a toutefois supprimé cet article, estimant qu’un tel report présentait un risque d’inconstitutionnalité, en privant l’étranger de recours contre les conditions de sa privation de liberté – interpellation, garde à vue, notification et exercice des droits garantis par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – pendant un délai trop long.

De quels repères disposons-nous en la matière ?

En 1980, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une durée de sept jours de rétention sans contrôle de l’autorité judiciaire était excessive, en arguant que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».

Par ailleurs, il a validé en 1997 une saisine du juge judiciaire au bout de quarante-huit heures, au lieu de vingt-quatre heures, pour prolonger la rétention.

Enfin, il n’a pas eu à se prononcer sur le délai de quatre-vingt-seize heures en zone d’attente fixé par le législateur en 1992. En outre, il a considéré que la contrainte exercée en zone d’attente est moindre que celle qu’implique la rétention.

Au total, que disent ces décisions ?

Elles indiquent seulement qu’un délai de quarante-huit heures n’est pas contraire au principe du plus court délai possible, alors qu’un délai de sept jours est excessif.

Comme je l’ai déjà signalé, la commission a toutefois estimé que le délai de cinq jours présentait un risque d’inconstitutionnalité et a maintenu la suppression de l’article 37 du projet de loi.

Notre collègue Louis Mermaz l’a très justement rappelé tout l’heure et je le répète, j’étais personnellement hostile à la suppression de l’article 37. Toutefois, la commission, dont je suis ici le porte-parole, a émis un avis défavorable sur l’amendement qui vient d’être présenté par M. Longuet.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. L’article 37 constitue un point central de la réforme des procédures et contentieux de l’éloignement des étrangers. Il vise, au nom de la bonne administration de la justice, à mettre fin à l’enchevêtrement actuel des procédures, lié au fait que deux juges ont à intervenir en même temps, dans le respect de la compétence constitutionnelle des ordres de juridiction : pour les décisions administratives, le juge administratif ; pour la privation de liberté, le juge judiciaire.

Actuellement, le juge des libertés et de la détention statue avant le juge administratif, qui doit rendre sa décision au plus tard cinq jours après le placement en rétention : quarante-huit heures de délai pour engager le recours, soixante-douze heures de délai pour juger.

L’ordre d’intervention actuel du juge administratif et du juge judiciaire crée régulièrement des situations absurdes. Ainsi, il arrive qu’un juge des libertés et de la détention prolonge la rétention d’un étranger sur le fondement d’une mesure d’éloignement qui sera annulée postérieurement par le juge administratif. La rétention n’est que la conséquence logique d’une décision de reconduite à la frontière : il est donc rationnel de vérifier la légalité de la mesure de reconduite à la frontière avant d’examiner si la rétention est justifiée.

La réforme vise à mettre fin aux situations dans lesquelles un juge des libertés et de la détention peut être conduit à se prononcer sur la prolongation d’une mesure de privation de la liberté, alors même que la légalité de la décision ordonnant celle-ci est contestée et peut être annulée par le juge administratif pendant la rétention de l’étranger.

Elle permettra en outre d’avoir un véritable contrôle sur la décision administrative de placement en rétention par le juge administratif, juge naturel des décisions de l’administration. La directive Retour elle-même impose un contrôle juridictionnel effectif sur la décision de placement en rétention dès le début de celui-ci.

Comme M. Longuet l’a expliqué, la réforme suit en réalité les préconisations du rapport de la commission présidée par Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qui a dénoncé l’enchevêtrement des procédures.

Cinq jours est un délai strictement nécessaire pour permettre au juge administratif de statuer sereinement, mais rapidement. Quarante-huit heures est le délai minimum au nom du droit pour former un recours effectif. Le juge administratif disposera de soixante-douze heures, à compter de la saisine, pour examiner en urgence la légalité de cinq décisions, portant sur l’obligation de quitter le territoire français, le refus de délai de départ volontaire, le pays de renvoi, l’interdiction de retour et le placement en rétention. À l’heure actuelle, il bénéficie du même délai pour statuer sur deux ou trois points seulement : l’obligation de quitter le territoire français ou l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, le pays de renvoi, très rarement le placement en rétention.

C’est pour cette raison, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement présenté par M. Longuet et vous invite à l’adopter.

M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

M. Richard Yung. Ce débat est à mon sens le plus important de la discussion de ce projet de loi. La question de la déchéance de la nationalité, si elle présentait un grand intérêt, avait surtout une portée médiatique : il s’agissait d’amuser la galerie… Ici, nous touchons aux principes fondamentaux, à l’organisation des pouvoirs publics et de la justice en France.

Voilà pourquoi ce débat est important. Je crois d’ailleurs que le Sénat le considère comme tel, puisqu’il mène une discussion de fond, faisant apparaître des lignes de fracture différentes des clivages politiques habituels.

Jusqu’à présent, le juge des libertés et de la détention intervenait avant le juge administratif. Le rapport Mazeaud, sans formuler de recommandations particulières en la matière, indique qu’une inversion de cet ordre pourrait être envisagée.

Quoi qu’il en soit, il est clair que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relève du juge administratif, tandis que le juge des libertés et de la détention est le garant des libertés fondamentales. Certains d’entre nous donnent la priorité au respect du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et estiment donc que le juge administratif doit intervenir en premier, tandis que d’autres, dont nous sommes, considèrent, au nom des principes fondamentaux de la République et des libertés fondamentales, que l’intervention du juge des libertés et de la détention est plus essentielle encore : c’est probablement là une ligne de fracture qui scinde notre assemblée.

Par ailleurs, alors que, selon le Conseil constitutionnel, un délai de sept jours est excessif, on nous propose de prévoir un délai de cinq jours, auquel s’ajoutent les vingt-quatre heures accordées au juge des libertés et de la détention pour prendre sa décision, soit un total de six jours…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Philippe Richert, ministre. C’est faux !

M. Richard Yung. Cette proposition semble donc avoir été pesée au trébuchet, pour satisfaire a minima aux observations du Conseil constitutionnel.

Pour notre part, nous ne sommes pas disposés à prendre de risque en la matière : un délai de cinq ou de six jours nous semble excessif, le délai actuel de deux jours étant à nos yeux tout à fait raisonnable.

J’observe enfin que ce débat de fond ne peut être abstrait du contexte politique dans lequel il s’inscrit. Les attaques répétées contre les juges, la mise en cause de leur travail ou de leur prétendu laxisme auxquelles nous assistons actuellement pourraient entraîner l’opinion publique à penser qu’il s’agit au fond, dans cette affaire, de marquer de la défiance envers les juges, de les « punir »… Même s’il n’y a aucune raison de penser que vous considériez différemment le juge administratif et le juge judiciaire, c’est bien ce message politique que vous avez essayé de faire passer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Ce débat est effectivement très intéressant, et j’ai écouté avec beaucoup d’attention les explications de M. Longuet, ainsi que celles de M. le rapporteur.

La proposition avancée, qui n’a pas été validée par la commission des lois, consiste d’abord à allonger de quarante-huit heures à cinq jours la durée du placement en rétention décidé par l’autorité administrative. Il s’agit ensuite de savoir quel juge va trancher et selon quel ordre. Pour l’heure, il est tout à fait justifié d’évoquer un enchevêtrement des procédures.

M. Longuet a souligné qu’une mission de service public devait être accomplie. Je peux entendre cet argument, mais doit-on, au nom de cette mission de service public, faire évoluer dans une mesure considérable un certain nombre de nos principes fondamentaux ? Il existe manifestement une divergence d’interprétation très nette de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Pour ma part, j’ai l’habitude de lire les excellents documents qui sont élaborés au sein de cette assemblée. À la page 34 du rapport de la commission, nous trouvons un très bon exposé de la situation.

Si j’ai bien compris les explications du Gouvernement et de M. Longuet, la proposition qui nous est faite vise à conjurer le risque que le juge des libertés et de la détention autorise la prolongation d’une mesure de rétention qui serait ensuite annulée par le juge administratif.

Or, selon l’excellent rapport de la commission, « il convient toutefois de noter que ce cas est relativement peu fréquent et qu’il arrive au contraire souvent que le juge des libertés et de la détention remette un étranger en liberté du fait d’une irrégularité commise par l’administration. […] Il aurait donc sans doute fallu, pour respecter pleinement la directive, qu’un recours complet, aussi bien sur la légalité de la procédure de placement en rétention que sur la légalité de la mesure de rétention elle-même, pût être exercé en urgence. » Un peu plus loin, en caractères gras, le texte se poursuit en ces termes : « Or, l’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, est ici une nécessité constitutionnelle. »

On peut certes faire de l’exégèse sur la décision du 9 janvier 1980 du Conseil constitutionnel, mais, en définitive, celle-ci précise que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». En outre, le 24 avril 1997, le principe d’une saisine du juge judiciaire au terme d’un délai de quarante-huit heures, au lieu de vingt-quatre heures auparavant, a été établi.

Par conséquent – je cite toujours le rapport –, « si un délai de quarante-huit heures peut apparaître comme le délai “le plus court possible” compte tenu des difficultés matérielles liées à la présentation de chaque étranger retenu au juge des libertés et de la détention, il n’en irait pas nécessairement ainsi d’un délai de cinq jours ».

Le risque d’inconstitutionnalité retenu par la commission des lois est donc réel. Vous essayez en fait de passer en force : l’enchevêtrement des procédures est certes un véritable problème, mais ce projet de loi ne nous donne pas les moyens d’en sortir. Les évolutions proposées sont à mon sens tout à fait excessives et contraires aux principes dégagés par la jurisprudence. On pourra m’objecter que l’étranger retenu peut toujours faire un référé-liberté, mais on risque alors d’aboutir à une multiplication des procédures judiciaires.

Contrairement à ce que l’on nous dit, la solution qui nous est proposée ne représente pas la voie de la simplicité. Elle ne permettra pas de résoudre le problème de l’encombrement des tribunaux et nous fera courir un risque sur le plan constitutionnel, comme l’a très justement relevé la commission des lois.

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. L’amendement présenté par M. Longuet pose de vraies questions et met en lumière certaines incohérences dans le traitement du contentieux des mesures d’éloignement.

Le système actuel peut effectivement aboutir à des situations peu satisfaisantes.

Il arrive que le juge administratif se prononce sur un recours alors même que l’étranger concerné n’est plus en rétention, soit parce qu’il a été libéré à la demande du juge des libertés et de la détention, soit parce qu’il a été reconduit à la frontière, de sorte que le recours est devenu sans objet.

En outre, il peut arriver qu’un juge des libertés et de la détention prolonge la rétention d’un étranger sur le fondement d’une mesure d’éloignement qui sera annulée postérieurement par le juge administratif.

Il est donc vrai que des incohérences existent dans le système en vigueur ; nous l’avions d’ailleurs signalé lors de l’examen de l’article 30. Pour autant, la solution proposée est-elle satisfaisante ?

Cela a été rappelé, la mise en œuvre du mécanisme qui nous est soumis retarderait largement l’intervention du juge judicaire, afin de mettre fin à l’enchevêtrement des interventions des juges administratif et judiciaire. En d’autres termes, le juge judiciaire n’interviendrait qu’après l’examen des recours devant le juge administratif.

L’étranger, qui sera à la disposition immédiate de l’administration, puisque toujours retenu, pourra donc être renvoyé sans même que le juge des libertés et de la détention se soit prononcé sur la régularité de la procédure de son placement en rétention. Ce constat figure d’ailleurs à la page 34 du rapport de la commission.

Il nous apparaît indispensable de rappeler l’exigence posée par l’article 66 de la Constitution : le juge judiciaire est le gardien de la liberté individuelle.

En la matière, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Le délai de cinq jours proposé présente donc un risque évident d’inconstitutionnalité.

Prenons un autre exemple de mesure de privation de liberté : en matière de garde à vue, mes chers collègues, viendrait-il à l’idée de l’un d’entre nous de proposer que le contrôle d’un juge judiciaire n’intervienne qu’au terme de cinq jours ? Évidemment non !

Je ferai une dernière remarque, concernant le juge administratif. La question n’est pas tant de savoir si celui-ci a, de fait, un rôle protecteur des droits et des libertés, que de vérifier le respect des impératifs posés par l’article 66 de la Constitution. Si le juge administratif est bien un juge indépendant et protecteur, il ne fait aucun doute que seule l’autorité judiciaire peut légitimement contrôler les conditions de détention d’une personne.

Pour l’ensemble de ces motifs, le groupe de l’Union centriste n’est pas convaincu par le dispositif présenté par M. Longuet. Sa mise en œuvre entraînerait un recul important en matière de contrôle de la liberté individuelle par l’autorité judiciaire, qui est pourtant une exigence constitutionnelle. Nous ne voterons donc pas cet amendement.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Certains propos entendus m’amènent à formuler deux observations.

Tout d’abord, on ne peut pas comparer une procédure de garde à vue, qui obéit à des règles de procédure pénale, et la procédure, liée à un droit spécifique, celui des étrangers, qui nous occupe ce soir : le fondement juridique est autre. Établir une telle comparaison est de nature à induire en erreur.

Ensuite, il a été dit que le juge des libertés et de la détention intervenant dans la procédure serait amené à rendre sa décision au-delà du délai de cinq jours : c’est une erreur ! Sa décision devra bien être rendue dans le délai de cinq jours. (M. le ministre approuve.) Si le juge des libertés et de la détention ne statue pas dans les vingt-quatre heures du cinquième jour, la personne retenue sera immédiatement remise en liberté. À l’inverse, si le juge des libertés et de la détention est saisi le troisième ou le quatrième jour et décide avant le terme du délai de cinq jours de remettre en liberté la personne retenue, cette décision s’appliquera immédiatement.

Il faut que les choses soient bien claires : le cinquième jour est véritablement une échéance butoir.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Richert, ministre. On peut certes tout justifier, mais il me semble que certaines déclarations visent avant tout à affirmer la cohérence d’un groupe autour de postures avantageuses.

Je tiens à redire que le délai sera de cinq jours au total, et non de six ou de sept jours, comme cela a pu être affirmé à tort. Les choses sont tout à fait claires ! (M. Louis Mermaz fait un signe de dénégation.)

En outre, la procédure en question concerne non pas des personnes se trouvant en position d’accusées (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame), mais des étrangers dont on examine la situation. Ils sont placés non pas en détention, mais en rétention : ce n’est pas la même chose.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils sont privés de liberté !

M. Philippe Richert, ministre. Si l’amendement présenté par M. Longuet devait ne pas être adopté, le problème de l’enchevêtrement des interventions du juge administratif et du juge des libertés et de la détention ne serait toujours pas réglé. Or nous avons tous dit que la situation actuelle n’était pas satisfaisante.

Par ailleurs, j’ai entendu dire que les juges administratifs auraient trop de travail. Je rappelle, à cet égard, qu’un effort particulier est prévu dans le budget afin de remédier à cette situation. Je ne détaillerai pas les mesures inscrites dans le projet de loi de finances à ce titre, sachant bien que cela ne fera changer personne d’avis…

Contrairement à ce que certains ont affirmé, le maintien du statu quo n’offre pas nécessairement plus de garanties aux étrangers retenus. L’adoption de l’amendement n° 1 rectifié ter permettrait de donner plus de cohérence au système. Voilà pourquoi le Gouvernement y est favorable.

Chacun votera en son âme et conscience, mais finissons-en avec ces oppositions systématiques bloc contre bloc ! Un groupe peut parfois souhaiter se fédérer autour d’une position de principe, mais je ne suis pas persuadé que c’est en travaillant ainsi que nous pourrons améliorer le fonctionnement de nos institutions.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous nous expliquez en quelque sorte, monsieur le ministre, que, du fait du manque de juges et de l’impossibilité où ceux-ci se trouvent de statuer immédiatement, il faut prolonger le délai de rétention.