Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas tout à fait sûr !

M. Denis Badré. La perte relative de terrain de la France sur son partenaire préféré concerne même l’agriculture. Elle transparaît à tous les niveaux, qu’il s’agisse du coût du travail, des dépenses de recherche et développement ou encore du niveau des prélèvements obligatoires, qui font la une de l’actualité.

En 2010, la politique économique allemande porte les fruits de réformes économiques et sociales courageuses. Je pense notamment à la loi Hartz IV, qui accroît la flexibilité du travail. L’Allemagne récolte aussi les fruits d’un climat social qui, au plus fort de la crise, est resté plus réaliste et plus constructif que celui qui régnait en France.

Le résultat semble sans appel. En 2010, la balance commerciale affiche un excédent de 160 milliards d'euros en Allemagne, alors qu’elle accuse un déficit de 50 milliards d'euros de l’autre côté du Rhin. Le déficit public allemand, en pourcentage du PIB, est deux fois moins important que celui de la France et diminue beaucoup plus rapidement. Le taux de chômage au mois de décembre dernier était de 6,6 % en Allemagne contre 9,7 % en France. La croissance du PIB y est de 3,6 contre 1,6 chez nous. En résumé, après des années d’atonie, la santé de l’économie allemande pourrait paraître insolente si elle n’était pas parfaitement justifiée. Considérons-là simplement comme exemplaire (Mme Nicole Bricq proteste) et essayons d’analyser ce modèle.

Avant de suivre cet exemple, prenons tout de même en compte certaines différences de structures. La recette miracle allemande n’est pas immédiatement transposable en France.

L’économie française colbertiste repose beaucoup moins sur les exportations et bien davantage sur la consommation, elle-même favorisée par une importante redistribution de richesses par l’État ou sur son initiative.

M. Jean-Pierre Chevènement. N’insultez pas Colbert ! Cela n’a rien à voir !

M. Denis Badré. Je révère Colbert, dont la statue se trouve juste derrière moi, mais il faut le révérer avec lucidité et réalisme !

Malheureusement, monsieur le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, le développement de notre consommation enrichit aussi la Chine, et pas seulement à la marge. Cela présente certains avantages, mais aussi des inconvénients. En même temps, notre penchant keynésien a permis de lisser les effets de la crise, quand les économies purement libérales étaient à la dérive. Il faut le dire !

Exportatrice, l’économie allemande est également décentralisée, caractéristique si étrangère à notre culture que, lorsque nous nous « appliquons » à décentraliser, nous le faisons toujours de manière centralisée – il nous est impossible de faire autrement – et uniforme, depuis Paris ! Le principe de subsidiarité reste peu lisible, voire incompréhensible, en France. Selon ce principe, les interventions se font au plus près du « terrain », et l’on accepte de fédérer ses efforts, ses difficultés et ses ambitions, à partir du moment où l’on est sûr de ne pas pouvoir être plus efficace autrement. Cela appelle un effort constant de notre part. Il est dommage que ce principe soit peu lisible en France, car il constitue une belle école de responsabilité pour les citoyens comme pour les dirigeants d’entreprise.

Avec ses atouts, l’Allemagne tire le parti maximum de la croissance des pays émergents, même si elle a subi plus fortement l’arrêt brutal de la demande internationale. On ne peut pas tout avoir !

En outre, les relations sociales en Allemagne sont consensuelles, d’autant plus naturellement qu’elles sont, elles aussi, décentralisées. Dans un État fédéral, la décentralisation est en effet la base de toute chose. Les négociations, enfin, sont globales, puisqu’elles portent à la fois sur le temps de travail, les salaires et l’emploi.

Un point est plus encourageant, tout de même, s’agissant des comparaisons entre nos économies : les deux pays partagent une même approche socio-libérale de l’économie. Cette profonde communauté de sensibilités permet déjà de se comprendre, ce qui est précieux. Sans ignorer les différences, il nous faut rechercher puis valoriser toutes les possibilités de convergence !

Des marges de progrès existent vraiment. C’est dans ce domaine que les propositions du pacte de compétitivité franco-allemand sont évidemment les plus intéressantes. Elles peuvent paraître peu ambitieuses. Il nous reste à miser pragmatiquement, « à l’allemande », sur elles, et à avancer. Elles traduisent surtout une volonté politique commune dont l’affirmation même est déjà essentielle et déjà porteuse d’avenir.

La Cour des comptes va rendre publiques ses conclusions sur les problèmes posés en matière de convergence des fiscalités française et allemande. Ces comparaisons vont nourrir le débat, lancé pour ce semestre, sur l’évolution de notre propre fiscalité. J’ai par ailleurs noté que le Président de la République portait une grande attention à la réalité allemande et à tout ce qui pouvait resserrer cette convergence. Tant mieux !

Nous connaissons donc une conjoncture plutôt favorable pour opérer, au moins à l’échelle franco-allemande, une coordination fiscale, premier pas vers une coordination de nos politiques économiques.

Peut-être une telle initiative entraînera-t-elle d’autres économies de la zone euro à appliquer les « bonnes pratiques », telles que le plafonnement de la dette ou le rapprochement des taux d’impôt sur les sociétés, pour ne citer que ces deux exemples.

À terme – il faut l’espérer et y croire –, cette démarche intergouvernementale pourra être consacrée à l’échelon communautaire. C’est bien la méthode Schuman ! Elle se fait pas à pas, par des avancées concrètes. C’est ainsi que nous pourrons le plus solidement et irréversiblement réduire les tentations de dumping fiscal qui subsistent dans l’Union européenne. La solidarité y gagnera et, avec elle, la croissance et l’emploi de tous, au sein du grand marché européen.

La France doit l’accepter, l’environnement mondial a évolué. Que l’on en pense du bien ou du mal, c’est une réalité incontournable. C’est dans ce contexte, d’abord à l’échelle de l’Eurogroupe, puis de l’Union européenne, que de nouvelles voies doivent être ouvertes.

Parce qu’ils se situent dans cette perspective européenne, les membres du groupe de l’Union centriste ne partagent pas le scepticisme qui nourrit la proposition de résolution qui nous est soumise. Du scepticisme au pessimisme, il n’y a qu’un pas. Nous ne voudrions pas nous retrouver entraînés à le franchir, alors que, pour reprendre une formule connue, « le pessimiste se condamne à être spectateur ». Dans la compétition mondiale qui est engagée, nous entendons bien rester acteurs, avec la France et dans l’Union européenne !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Bel.

M. Jean-Pierre Bel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui, grâce à l’initiative de notre collègue Yvon Collin, traite d’un sujet capital.

Elle intervient alors que notre continent et le monde traversent l’une des pires crises économiques de l’Histoire moderne et, en tout état de cause, la pire crise que le monde ait connue depuis les années 1920.

Cette crise, d’abord financière, puis économique et sociale, met l’Europe au défi : au défi d’être à la hauteur des enjeux ; au défi de faire face ; au défi d’inventer de nouvelles politiques et de nouveaux instruments de délibération et d’action.

En effet, nous le savons, l’échelon européen est pertinent pour agir et pour obtenir des effets sur l’économie, à condition de le vouloir et de s’en donner les moyens.

Aujourd’hui, la coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne se fait essentiellement – on peut le déplorer – par des interdictions et des sanctions. C’est vrai, en particulier, pour les États membres de la zone euro, soumis au pacte de stabilité et de croissance qui encadre les politiques budgétaires des États et prévoit le déclenchement de sanctions en cas de dépassement des seuils prescrits. Il s’agit d’une sorte de coordination « par défaut ». En effet, la monnaie commune n’est pas accompagnée d’un budget commun ; seules des règles strictes, inscrites dans les textes, fixent un cadre commun pour éviter les tentations de « cavalier seul ».

Cette coordination a fait la preuve de ses limites et de ses insuffisances. Nous l’avons vu au moment de la crise grecque, dont Jean-Pierre Chevènement a écrit dans son dernier ouvrage qu’il s’agissait d’une « répétition générale des crises à venir ». Au moment où cette crise a éclaté, l’Europe était dépourvue de tout moyen de réponse rapide, adéquate et efficace. Nous le voyons chaque jour depuis des années : la coordination, telle qu’elle existe actuellement, ne permet pas à notre vieux continent de tirer le meilleur de lui-même.

Les mécanismes existants ont échoué dans la mise en place de politiques d’avenir. Ils ne permettent pas de conduire, à l’échelle du continent européen, des politiques keynésiennes. Tout le monde reconnaît pourtant aujourd’hui que ces politiques sont les seules capables de surmonter la crise, de soutenir la recherche et l’innovation, et de préparer les emplois de demain !

De nombreuses propositions sont sur la table. Je pense au paquet législatif proposé par la Commission européenne en septembre dernier. Je pense également au rapport du groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy et aux propositions du Parlement européen faites en octobre dernier. Je pense aussi aux propositions des socialistes européens qui, sur bien des points, sont proches de l’état d’esprit des mesures proposées aujourd’hui par nos amis du RDSE.

Nous plaidons pour de nouvelles modalités de coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne.

Le premier souci de la nouvelle coordination doit être celui de la démocratie. C’est, me semble-t-il, l’un des messages forts de cette proposition de résolution. Comme je l’ai indiqué, le pacte de stabilité et de croissance encadre fortement les politiques budgétaires nationales.

Le « semestre européen », institué lors du Conseil ECOFIN du 7 septembre dernier, va dans ce sens. Il prévoit en effet une mise en cohérence accrue entre les procédures budgétaires nationales et l’agenda européen.

Indispensable dans son principe, une telle coordination comporte cependant un risque évident : celui de contourner purement et simplement, en fait sinon en droit, comme l’ont dénoncé nos collègues députés européens, le Parlement européen lui-même. Un tel état de fait priverait le « semestre européen » de toute légitimité démocratique et serait, à terme, préjudiciable à sa pérennité. Il faut en conséquence conforter la dimension parlementaire nationale du « semestre européen », et le doter d’une dimension parlementaire européenne clairement assumée.

De cela découle l’importance de la tenue d’une réunion, au moins une fois par an, de représentants des parlements nationaux et du Parlement européen, afin d’avancer ensemble.

Nous devons donc parvenir à concilier deux exigences qui risquent de s’opposer : d’une part, l’exigence de souveraineté, puisque le premier rôle des parlements nationaux est bien de voter le consentement à l’impôt et le budget ; d’autre part, l’exigence d’une coordination des politiques en Europe dans un contexte tendu.

De surcroît, la coordination des politiques économiques doit être, pour nous, un moyen de sortir par le haut de la situation économique actuelle. En effet, la coordination n’est pas une fin en soi. Nous ne la souhaitons pas par simple goût des procédures. Elle doit être mise au service de politiques publiques. Ainsi, la coordination est réussie dès lors qu’elle permet aux Européens de faire face, ensemble, à des défis communs, et de tout mettre en œuvre pour aller de l’avant dans une dynamique collective. À cet égard, plusieurs pistes doivent être explorées.

D’abord, nous devons aller vers la mise en place d’un mécanisme permanent de gestion des crises. Un premier pas a été fait, il faut le reconnaître, avec la mise en place du Fonds européen de stabilité financière. Ses opérations sont encore exclusivement des plans de sauvetage – souvent assortis de contreparties drastiques –, et il ne prévoit pas encore d’instruments de convergence économique.

En outre, la question des investissements d’avenir est essentielle pour notre continent. L’investissement public et le soutien à l’investissement privé, notamment dans les secteurs de la recherche, du développement et de l’innovation, conditionnent la réussite de la stratégie Europe 2020. Leur insuffisance explique, en partie, le relatif échec de la stratégie de Lisbonne.

Pour ces raisons, il nous faut poser clairement la question d’un éventuel emprunt européen. Les États pourraient ainsi procéder collectivement à des emprunts pour financer de grands projets d’investissement d’intérêt européen.

Enfin, nous pouvons imaginer d’aller plus loin encore, en mutualisant les budgets nationaux sur des sujets d’intérêt commun en lien, ici encore, avec la stratégie Europe 2020. De telles mesures ne devraient pas être soumises aux règles du pacte de stabilité.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution aujourd’hui examinée est un marqueur.

Elle acte des principes et des propositions qui nous permettent d’aller de l’avant. À nous de suivre le bon chemin, en démocratisant la gouvernance pour la mettre au service de l’emploi et de la croissance, en remplaçant les procédures de coordination par des politiques publiques ambitieuses, en conciliant souveraineté, démocratie et volontarisme politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Mme Françoise Laborde et M. Yvon Collin applaudissent.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la crise de l’euro résulte d’une insuffisance initiale de conception tenant à l’hétérogénéité même de la zone euro. Aucune politique coordonnée de croissance économique n’a été prévue pour y porter remède.

Au contraire, l’orientation qui se dégage à l’approche du sommet de la zone euro, le 11 mars prochain, suivi d’un sommet à vingt-sept à la fin du mois, consiste à assortir la pérennisation du mécanisme de stabilisation financière de l’euro – que les traités, il est vrai, ne prévoyaient pas à l’origine – d’un « pacte de compétitivité », élaboré par le gouvernement de Mme Merkel, enrôlant à sa suite M. Sarkozy et le Gouvernement français pour imposer aux autres gouvernements européens une politique de rigueur profondément réactionnaire. Cette politique ne peut qu’enfoncer les économies européennes dans une stagnation de longue durée.

Au lieu de promouvoir, comme l’avait suggéré en 2007 le rapport d’information de MM. Bourdin et Collin sur la coordination des politiques économiques en Europe, une initiative de croissance à l’échelle européenne, qui desserrerait le carcan pesant sur les pays déficitaires, à travers une politique coordonnée de relance salariale, particulièrement en Allemagne, où la déflation salariale impulsée depuis 2000 a exercé un effet déséquilibrant sur le commerce extérieur de presque tous les pays de la zone euro, le « pacte de compétitivité » réclamé par Mme Merkel, en compensation de son acceptation d’un mécanisme de solidarité financière, vise d’abord à casser l’indexation des salaires sur les prix. L’objectif est, une fois encore, de modifier le partage entre les profits et les salaires, au détriment de ces derniers, dont la part a déjà régressé de douze points entre 1975 et 2006, comme le montrait le rapport d’information de MM. Collin et Bourdin.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. MM. Junker et Leterme eux-mêmes, les premiers ministres luxembourgeois et belge, que l’on ne peut pas qualifier de « gauchistes », s’élèvent contre cette prétention !

Ledit « pacte de compétitivité » prévoit également d’inscrire dans les constitutions l’interdiction de tout déficit budgétaire ! Keynes peut se retourner dans sa tombe ! C’est le triomphe de Milton Friedman

Croyez-vous, monsieur le secrétaire d’État, qu’une majorité des trois cinquièmes du Congrès sera trouvée, à Versailles, pour approuver une telle régression ? Vous comptez sur les socialistes, mais je ne suis pas sûr qu’ils se comportent comme au moment de l’adoption du traité de Lisbonne. Ils pourraient bien vous faire défaut !

M. Jean-Pierre Chevènement. La réglementation de l’euro, imposée en son temps au sein du groupe Delors, par le président de la Buba, Karl Otto Pöhl, était très critiquable. En effet, la Banque centrale européenne, indépendante, s’était vue interdire de racheter des titres d’État sur les marchés, dits secondaires, de la dette.

La Banque centrale européenne a certes été amenée à contourner légèrement cette interdiction en rachetant 60 milliards d’euros – promptement annulés – d’obligations grecques, irlandaises et portugaises.

Mme Nicole Bricq. Ah oui ! Elle l’a fait !

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais au lieu d’élargir cette possibilité par une réforme des statuts de la Banque centrale européenne, voilà que Mme Merkel et M. Sarkozy nous proposent que le futur fonds de stabilisation alimenté par les États, c’est-à-dire au premier chef par l’Allemagne et la France, puisse par exemple racheter de la dette grecque ou prêter à la Grèce de quoi le faire elle-même.

M. Jean-Pierre Chevènement. De toute évidence, il s’agit de préparer la restructuration de la dette grecque plutôt que d’agir en amont sur la croissance et sur la politique de la Banque centrale européenne. J’aimerais être sûr qu’il ne s’agit pas d’un premier pas pour exclure de la zone euro les pays les plus fragiles.

Le pacte de compétitivité prévoit, par ailleurs, un mécanisme automatique de relèvement de l’âge de la retraite fondé sur la démographie, comme si le problème essentiel n’était pas le rétrécissement de la base productive des économies européennes ni la diminution – à hauteur de 600 000 en France pour la période 2008-2009 – du nombre des cotisants.

M. Jean-Pierre Bel. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq. C’est un point essentiel !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d'État, cette prétendue « politique de compétitivité » n’a aucune chance de fonctionner. Visez-vous le modèle chinois ?

M. Jean-Pierre Chevènement. Si oui, à quel horizon ? Préférez-vous le modèle allemand ? Mais croyez-vous que cela ait un sens ? Si tous les autres pays de la zone suivaient l’exemple de l’Allemagne, ce serait le naufrage collectif assuré, et d’abord pour celle-ci. Si tous les pays de la zone euro voulaient, par une politique de rigueur, augmenter leur compétitivité pour gagner des parts de marché à l’exportation, ce serait la récession générale.

M. Jean-Pierre Chevènement. Quant à la France, elle est doublement pénalisée : non seulement elle est le deuxième pays contributeur juste derrière l’Allemagne, mais elle devra faire un effort de rigueur beaucoup plus important, pour faire passer son déficit de 7 % du PIB à 3 %.

M. Jean-Pierre Chevènement. La politique inspirée par le gouvernement de nos grands voisins et relayée par la Banque centrale et la Commission européennes, toutes deux prisonnières des dogmes libéraux qui ont présidé à leur fondation, nous conduit droit dans le mur !

Or, aucun exécutif européen ne se sent de taille à contester l’orthodoxie professée par le gouvernement allemand appuyé sur la Commission et sur la Banque centrale européennes Ce serait pourtant le rôle de la France, monsieur le secrétaire d'État : portez ce message à M. Sarkozy ! Mais je passe sur le mystère d’un tel égarement…

À l’évidence, le Conseil a pris la place de la Commission.

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. À certains égards, c’était inévitable : la légitimité appartient au Conseil et non à une commission où vingt-sept personnes ne peuvent pas définir l'intérêt général européen.

Dans les faits, c’est le couple franco-allemand qui prend le relais. Mais, au sein de ce dernier, c’est l’Allemagne qui paie, et donc elle qui commande ! Elle entend se servir de la troïka composée du FMI, de la Commission et de la BCE pour imposer une rigueur budgétaire sans faille allant jusqu’au blocage puis à la diminution du traitement des fonctionnaires, au recul de l’âge de la retraite, à des coupes sévères dans les dépenses publiques, à la création de nouveaux impôts, à des programmes drastiques de privatisation comme on le voit déjà en Grèce.

Le gouvernement de Mme Merkel préconise, en cas de manquement, une procédure de sanctions automatiques. Il entend également faire peser sur les créanciers privés, c’est-à-dire les banques, le poids d’éventuelles restructurations de dette, les rendant ainsi inévitables. La Chancelière allemande a fait accepter à M. Sarkozy le principe d’un pacte de compétitivité, sur le contenu duquel il semble, monsieur le secrétaire d'État, que vous manifestiez en catimini quelques réticences. En public, on aimerait vous entendre dire clairement où est l'intérêt de l'Europe, de la France,…

Mme Odette Terrade. Absolument !

M. Jean-Pierre Chevènement. … et même de l’Allemagne.

M. Nicolas Sarkozy a déclaré : « L’euro, c’est l’Europe. » Eh bien non ! L’Europe, ce n’est pas l’euro à n’importe quelle condition : ne vous laissez pas instrumenter !

Il est temps que le Gouvernement français cesse de s’inscrire dans la logique du pacte de compétitivité. Il doit, au contraire, changer de cap et proposer, en liaison avec les autres gouvernements européens, un mémorandum mettant l’accent sur trois points : une initiative de croissance européenne fondée sur la relance salariale ; le lancement de programmes de recherche et d’infrastructure financés par un grand emprunt européen ; des pouvoirs nouveaux donnés à la BCE pour racheter sur les marchés secondaires les titres de dette des États que menacerait la spéculation.

L’émission d’Eurobonds garantis à la fois par l’Allemagne et la France pourrait financer des grands programmes d’investissement. Un plan de relance européen, à l’image de celui qui est mis en œuvre aux États-Unis par l'administration Obama, permettrait une sortie coordonnée de la crise. En effet, on ne pourra résorber la dette que par la croissance.

Monsieur le secrétaire d'État, la gestion de la dette elle-même ne devrait pas être abandonnée à un panel de grandes banques qui peuvent se refinancer à coût nul auprès de la BCE et réaliser de scandaleux bénéfices. Il importe de trouver des solutions nouvelles et hétérodoxes : monétisation de la dette ; émission publique d’obligations du Trésor à durée indéterminée, instaurant ainsi un mécanisme de dette perpétuelle.

Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution déposée par le groupe du RDSE relative à la coordination des politiques économiques au sein de l'Union européenne incite à l’exigence et à l’audace : l’idée européenne est une belle idée, mais on ne la sauvera que par le haut, en la libérant d’un corset néolibéral étouffant ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe du RDSE fait écho à la tournure prise par le Conseil européen du 4 février dernier : alors qu’il devait se focaliser sur les questions d’énergie et d’innovation, le Conseil a surtout été l’occasion pour la France et l’Allemagne de soumettre aux Vingt-Sept leur projet de « pacte de compétitivité ».

La crise économique a plongé le monde et les peuples dans un gouffre de récession et d’incertitudes quant à l’avenir. Si elle a démontré une chose, c’est bien le besoin de mettre fin au système capitaliste et à sa perversité.

D’ailleurs, de nombreux dirigeants européens, à commencer par le Président de la République française, ont même affirmé, en plein cœur de la crise, vouloir « refonder », « réguler » ou encore « moraliser » le capitalisme.

Mais derrière ces effets d’annonce, malgré la disqualification totale du capitalisme, on ne constate aucune volonté sincère de changer. Pis, la teneur du sommet de Davos et le contenu du pacte de compétitivité franco-allemand attestent que les dirigeants européens sont retournés à leurs fondamentaux, qu’ils n’ont jamais vraiment voulu abandonner.

Pour l’Allemagne, soutenue par la France, il n’est en effet plus question de garantir la stabilité financière de la zone euro ni de participer au sauvetage des États membres de l’Union en difficulté sans que ces derniers acceptent des mesures de rigueur.

Ainsi, aux termes du « pacte d’austérité », les pays de la zone euro doivent viser des objectifs communs concernant, entre autres, les pensions, les salaires, les déficits, la flexibilité du travail, l’imposition sur les sociétés.

C’est ainsi qu’il est proposé de mettre fin à l’indexation des salaires sur l’inflation. Les États qui la pratiquent, comme la Belgique, le Luxembourg ou le Portugal, ont déjà fait part de leur refus. Avec une telle mesure, les salaires réels diminueraient. Faut-il rappeler que les salaires sont déjà en quasi-stagnation pour une grande part des salariés ? Faut-il rappeler aussi que la part des salaires dans la valeur ajoutée est aujourd’hui à un point historiquement bas, alors que celle des revenus versés aux actionnaires atteint des sommets ? Dans le cadre de ses travaux préparatoires, la délégation sénatoriale à la prospective le démontre d’ailleurs sans équivoque.

Le « pacte » Merkel-Sarkozy veut aussi généraliser l’âge légal de départ à la retraite à 67 ans. La réforme des retraites qui vient d’être adoptée en France est déjà marquée par une profonde injustice. Il est encore une fois évident que l’on veut demander aux salariés, au plus grand nombre, de payer les conséquences d’une crise dont la responsabilité pèse sur quelques puissants de ce monde.

Jusqu’où la droite poussera-t-elle ainsi le cynisme ?

Le troisième axe central de ce pacte est l’obligation pour les États membres d’inscrire dans leur Constitution une « règle d’or » sur le respect des règles budgétaires européennes.

Une telle mesure aurait pour conséquence de constitutionnaliser l’austérité. En gravant dans le marbre l’obligation d’une politique d’austérité, on cherche à déterminer, d’avance, les politiques des futurs gouvernements, quels qu’ils soient, rendant de ce fait sans objet le vote des citoyens. C’est une très grave atteinte à notre démocratie, à la souveraineté des parlements nationaux qui votent le budget, et à la souveraineté des peuples.

L’inscription de l’interdiction des déficits dans la Constitution marquerait une nouvelle étape, après la mise en place du « semestre européen », qui s’apparente à une véritable mainmise de la Commission sur les budgets nationaux au nom d’une prétendue meilleure gouvernance économique européenne. En effet, à partir de 2011, les gouvernements nationaux devront soumettre leurs projets de budget et de réforme à un examen collectif et à des recommandations préalables de la Commission européenne.

Le pacte de compétitivité s’appliquerait d’abord aux États membres de la zone euro. Mais des États extérieurs à la zone monétaire ou candidats à l’euro pourraient se joindre à ces mesures s’ils le désirent. De ce fait, l’austérité devient une condition nécessaire à l’adhésion à l’euro.

L’argument répété à l’envi et justifiant toutes les politiques d’austérité est indéfectiblement le même : l’ampleur des déficits.

Monsieur le secrétaire d'État, faut-il de nouveau rappeler à la majorité et au gouvernement qu’eux-mêmes sont les créateurs des déficits abyssaux qu’ils critiquent ? En effet, la majorité a une fâcheuse tendance à oublier toutes les mesures prises pour remplir les poches déjà pleines de quelques-uns.

Il en est ainsi des 73 milliards d’euros d’exonérations sociales dont ont bénéficié les entreprises en 2009, sans effet sur l’emploi d’après la Cour des comptes.

Il en est ainsi des centaines de milliards d’euros perdus par l’État du fait que le capital est moins taxé que le travail.

Il en est ainsi des taux d’imposition favorables aux plus hauts revenus, passés, pour ce qui les concerne, de 60 % à 41 % seulement.

Non seulement c’est cette majorité qui a créé le déficit, mais les mesures qui l’ont occasionné n’ont eu absolument aucun effet en termes d’emploi, de croissance ou de niveau des salaires.

Pis, en faisant le choix dogmatique de l’austérité, non seulement vous ne désendetterez pas les États, mais vous appauvrirez la grande masse de la population, ferez tomber notre pays dans la récession et le chômage massif avec, de surcroît, moins de recettes fiscales et donc plus d’endettement public.

Cette thèse est d’ailleurs soutenue par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, selon lequel, avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe.

Le pacte de compétitivité choisi comme mode de gouvernance économique européenne est une chasse aveugle aux déficits. Or d’autres logiques doivent prévaloir, d’autant que celles qui ont été mises en œuvre ont démontré leur impuissance.

À l’inverse des politiques de concurrence débridée prônée par les traités européens, la crise économique nous a montré le besoin de mettre en place de nouvelles coopérations et des mécanismes de solidarité.

C’est ainsi que la coopération économique doit se tourner vers l’instauration d’une véritable politique industrielle et de recherche.

À cet effet, la Banque centrale européenne doit jouer tout son rôle ; il convient donc de la réorienter, de la réformer en un outil public propre à venir en aide aux États en difficulté et à financer éventuellement leurs dépenses et investissements sociaux.

En France, les services publics, pourtant malmenés par le Gouvernement, ont joué un rôle d’amortisseur de la crise. La création de services publics européens pourrait ainsi constituer un champ d’action original et efficace.

Même si rien de concret ne devrait être décidé avant une prochaine réunion européenne en mars, laissant le temps au président du Conseil européen de consulter les vingt-sept gouvernements, une chose est certaine : toutes ces mesures inquiétantes seront prises dans un cadre intergouvernemental. Comme cela a déjà été dit, la Commission européenne et, surtout, le Parlement européen sont soigneusement marginalisés.

Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au regard des mesures antidémocratiques et antisociales proposées par le couple franco-allemand, la présente proposition de résolution rappelle utilement et à-propos la souveraineté des parlements nationaux en matière de budgets et d’objectifs sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)