Article 19 (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
Article 23

Article 21 ter

Le premier alinéa de l'article L. 623-1 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint. »

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.

Mme Bariza Khiari. L’article 21 ter, une fois encore issu des réflexions poussées de certains de nos collègues députés qui, manifestement, ne manquent pas d’imagination, marque à nouveau notre différence d’approche en matière d’immigration.

L’étranger serait quelqu’un dont il faudrait se méfier. Et voici donc sa malignité démontrée au travers du « mariage gris ».

On connaît le mariage, on connaît le mariage blanc ou nul. Il existe désormais une nouvelle catégorie : le « mariage gris ». Selon vous, chers collègues de la majorité, il est le fait d’étrangers qui se marient à des Français – plutôt des Françaises, d’ailleurs, dans la majorité des cas – en vue d’avoir des papiers, une carte de séjour. Il a manifestement été consommé, mais il est gris parce que l’un des deux conjoints a ou aurait trompé l’autre sur les motifs de l’union.

Je m’arrête là pour la description. J’avoue que, si des situations de ce genre peuvent éventuellement se présenter, nous sommes bien en peine, en tant que législateur, pour intervenir.

De quel droit allons-nous juger de la véracité du consentement de quelqu’un, de la validité de ses sentiments ? Quelle preuve doit-on apporter ? Cela se compte-t-il en nombre de fleurs offertes ? L’étranger devra-t-il écrire des lettres enflammées pour prouver sa passion ? (Exclamations sur les travées de lUMP.)

Mme Catherine Deroche. Cela se fait encore ? (Sourires.)

Mme Bariza Khiari. Si celles-ci sont d’une belle écriture – en français, bien sûr ! –, recevra-t-il du même coup une note satisfaisante à l’examen sur son niveau de langue ? On en revient à Voltaire…

Comment un juge pourra-t-il juger qu’un étranger « a dissimulé ses intentions à son conjoint, pour reprendre les termes de votre projet de loi » ?

À mon sens, on entre là dans des querelles privées assez difficiles à trancher.

En amour, il arrive que l’on se trompe : on croit aimer et l’on finit par se rendre compte que l’on se leurre ; on change d’avis et l’on demande alors le divorce. Nombre de couples autour de nous ont connu ce parcours : ils ne sont pas tous frauduleux pour autant ! Pourquoi une telle suspicion dès lors que le mariage implique des étrangers ?

Cela nous ferait presque rire si les peines encourues n’étaient pas si lourdes : sept ans de prison et 30 000 euros d’amende, soit autant que pour proxénétisme et traite d’êtres humains ! Croyez-vous, chers collègues, que cette peine soit en adéquation avec le délit constaté, s’il est avéré ?

Et quel pouvoir met-on ainsi entre les mains du conjoint français, qui pourra disposer aisément d’une arme contre son compagnon en cas de difficulté de couple ! Cette inégalité dans le couple me paraît dangereuse et porteuse de conflits assez malsains.

Laissons au contraire nos compatriotes faire preuve de discernement sur leurs relations. Ils sont adultes et doués de raison. Il me semble qu’on les estime capables de réfléchir avant de s’engager puisqu’on leur donne le droit de vote à dix-huit ans. Cela devrait également être valable en amour !

C’est pourquoi nous nous opposerons à l’article 21 ter et à tout amendement qui prétendrait en améliorer le dispositif.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.

M. David Assouline. Si l’on voulait bien, dans cet hémicycle, examiner cette question d’un point de vue un peu plus large, on ne pourrait que se réjouir de voir la France enregistrer 85 000 mariages mixtes, soit un tiers des mariages célébrés dans notre pays. Tous ceux qui observent le fonctionnement de nos sociétés modernes et qui s’intéressent aux mécanismes d’intégration qui y sont à l’œuvre, qui y assurent la cohésion sociale, savent qu’un tel chiffre est le signe le plus fort qui soit !

Il existe, dans le monde, des modèles qu’on appelle parfois « communautaristes » et qui ont plus particulièrement cours dans les pays anglo-saxons : les communautés y vivent en quelque sorte accolées les unes aux autres et l’on y compte très peu de mariages mixtes. La France, où l’on prétend aujourd'hui débattre sur la laïcité, offre un véritable contre-exemple de ce modèle ! En fin de compte, la proportion de mariages mixtes en France montre que, malgré toutes les difficultés que nous connaissons, malgré tout ce que l’on a fait pour concentrer un certain nombre de communautés dans des zones délimitées et qui aboutit à la constitution de ghettos, notre pays affiche tout de même une bonne performance en termes d’intégration par le biais du mariage.

Le mélange, ou du moins la possibilité du mélange, c’est aussi cela, la République ! (Mme Bariza Khiari acquiesce.)

Or on ne se rend pas compte qu’ici, à travers une disposition non essentielle, prise une fois encore parce qu’il faut à tout prix empêcher la fraude, on montre du doigt ce qui devrait être au contraire valorisé.

L’alternative est toujours la même dans ce débat : soit on joue sur les peurs, soit on cherche au contraire à favoriser tout ce qui peut renforcer la cohésion sociale et le « vivre ensemble », et ce qui est digne d’être valorisé, on ne le traque pas, on ne le considère pas avec suspicion !

Par ailleurs, cette disposition risque de créer la situation absurde décrite par Mme Khiari. Dans nos sociétés, il est difficile de juger de la sincérité des alliances. Ce qu’on sait, c’est que, d’une manière générale, en France, un mariage sur deux finit par un divorce. Les conjoints concernés n’en sont pas pour autant accusés de fraude ! Or, si cet article est adopté, en cas de désunion, on soupçonnera systématiquement les conjoints étrangers d’avoir voulu frauder.

De fait, comme l’a justement souligné Mme Khiari, cette disposition tend à donner à l’un des conjoints un pouvoir considérable sur l’autre, et un pouvoir qui pourra s’exercer de façon radicale puisque les peines encourues sont très lourdes !

On sait bien qu’une fois sur deux, lorsqu’un couple se déchire, les choses se passent très mal et que les conjoints ne se comportent pas toujours de la façon la plus noble. C’était le sujet d’un reportage diffusé lors du journal de vingt heures de France 2, il y a deux jours ; ce n’est pas la meilleure part de l’être humain qui s’exprime alors ! Dans le cas d’une union entre deux conjoints de nationalités différentes, l’un Français et l’autre étranger, cette disposition ouvrira la porte, s’il y a divorce, à tous les chantages et à tous les abus de pouvoir.

Pourquoi prendre une telle mesure ? Quel est le nombre de « mariages gris », tels qu’ils sont définis dans cet article, dont vous avez eu connaissance ? Une dizaine, tout au plus...

Il existe déjà bien des procédures, des filtres et des conditions à satisfaire pour contrôler la validité des mariages mixtes. Va-t-on encore « pourrir la vie » de milliers de nos concitoyens à cause d’une dizaine de cas de fraudes ?

Vous nous dites que cette mesure vise à renforcer la cohésion sociale, à améliorer la vie en société. C’est l’inverse qui va se produire… Mais je vois que mon temps de parole est épuisé ; je poursuivrai donc mon raisonnement à l’occasion d’une explication de vote.

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L’amendement n° 43 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L’amendement n° 155 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche.

L’amendement n° 185 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 43.

M. Richard Yung. Avec l’article 17 ter, la présente disposition est l’une des plus importantes du projet de loi, car elle est très chargée politiquement et émotionnellement. À nos yeux, c’est l’un des points les plus critiquables de ce texte.

Cet article au parcours chaotique, introduit par la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui semble avoir des lumières particulières concernant les mariages entre étrangers et Français, vise à punir les mariages dits « gris » – un nouveau concept, inventé par les députés ! – de sept ans d’emprisonnement et 30 00 euros d’amende. Ils n’y sont pas allés avec le dos de la cuiller ! Vraiment, ce n’est pas bien, pour un étranger, d’épouser un Français si jamais on a des intentions qui ne relèvent pas de l’amour véritable…

M. Jean-Patrick Courtois. Non, ce n’est pas bien !

M. Richard Yung. La commission des lois du Sénat avait considéré que cette notion de « mariage gris » ne tenait pas debout, car elle pouvait tout à fait entrer dans le cadre de la législation relative au mariage de complaisance, curieusement appelé « mariage blanc ». Ne manque plus, dans cette nomenclature, que le « mariage noir » : ce serait sans doute celui où les deux conjoints sont animés de mauvaises intentions et se trompent mutuellement ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. Richard Yung. Le « mariage blanc », je le rappelle, est puni, aux termes de l’article 623-1 du CESEDA, de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende : excusez du peu !

Pour des raisons liées, je l’imagine, à des débats internes à la majorité, l’Assemblée nationale a souhaité modifier cette rédaction et rétablir celle qu’elle avait adoptée initialement. La commission des lois du Sénat, en deuxième lecture, s’en est tenue à sa position relative au maintien des peines prévues à l’article L. 623-1 du CESEDA.

Pour nous, les choses sont claires : nous considérons que le rattachement de ces cas à la législation relative au mariage de complaisance – solution soutenue par le rapporteur, adoptée en commission, puis en séance plénière ! – est parfaitement inutile, superfétatoire, et participe d’une agitation de surface dont nous savons bien à quoi elle est destinée.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 155.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette disposition, telle qu’elle est a été rédigée par l’Assemblée nationale, est grave. Comme l’ont dit les orateurs précédents, nous avons bien compris que l’objectif était, une fois encore, de montrer du doigt les étrangers, pour des raisons politiques qui, pourtant, ne vous profitent apparemment pas tant que cela ; mais vous avez certainement vos raisons pour agir ainsi...

Cette disposition relative aux mariages entre un Français et une étrangère ou une Française et un étranger sera, par ailleurs, très difficilement applicable. Richard Yung l’a indiqué, la loi prévoit d’ores et déjà une série de procédures et de contrôles visant à vérifier qu’un mariage n’est pas contracté simplement dans le but d’obtenir des papiers. Les instruments de lutte contre les mariages de complaisance existent, et les sanctions pénales également.

Pourquoi ne pas utiliser les dispositifs existants, plutôt que de créer cette catégorie des « mariages gris », une notion assez épouvantable, qui stigmatise particulièrement les couples mixtes ? Je suis d’accord avec Richard Yung : il ne manque plus que le « mariage noir » !

Selon moi, vous ne pouvez pas créer cette nouvelle catégorie de mariages, qui ne relève pas seulement d’une subtilité sémantique, et cela pour une raison simple : pourquoi n’appliquerait-on pas aussi cette disposition à un mariage entre personnes de même nationalité ? Ainsi, un vieux monsieur qui aurait épousé une jeune femme, s’apercevant que celle-ci ne l’aime pas, pourrait invoquer un « mariage gris ». De même pour une dame âgée qui aurait convolé avec un jeune homme...

Cette disposition est donc contraire au principe de l’égalité des personnes devant le mariage. À l’évidence, cela ne tient pas !

Par ailleurs, quelle que soit la nationalité des époux, les preuves de l’escroquerie aux sentiments seront très difficiles à établir.

Enfin, vous donnez des armes aux familles, de toutes obédiences, qui refusent les mariages hors de leur communauté, sous la forme de moyens de pression considérables destinés à empêcher ces unions. Et cela, c’est vraiment très grave !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 185 rectifié.

M. Jacques Mézard. Certains voient la vie en rose, en particulier dans la partie gauche de cet hémicycle (Sourires.) ; d’autres, comme notre collègue député Claude Goasguen, rapporteur du présent texte à l’Assemblée nationale, la voient en noir. Il écrit en effet dans son rapport, pour justifier le rétablissement de la rédaction initiale : « Les dispositions retenues par le Sénat nient le caractère aggravant que constitue la dissimulation de l’objet véritable de l’union contractée à l’époux français, qui, lui, est sincère. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) C’est tout de même extraordinaire !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est indécent !

M. Jacques Mézard. Là réside tout le problème, et il est loin d’être négligeable !

Mais je veux en revenir au problème juridique important que pose cet article. Celui-ci est-il utile ? Et comment les juges pourront-ils l’appliquer ? Après tout, une loi est tout de même faite pour être mise en œuvre...

L’objectif visé au travers de cette disposition, qui, cela a été dit, n’avait pas été initialement proposée par le Gouvernement, mais qui a été introduite par l’Assemblée nationale, relève purement et simplement de l’affichage médiatique : il sera techniquement impossible d’appliquer les peines prévues, qui sont aussi lourdes que pour le proxénétisme – jusqu’à sept ans d’emprisonnement ! –, et risquent de produire, a contrario, des effets pervers.

L’article 21 ter, dans la version du Sénat, disposait : « Ces peines sont également encourues lorsque l’étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint ». La rédaction des députés est la suivante : « Les peines sont portées à sept d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende lorsque l’étranger a contracté mariage, contrairement à son époux, sans intention matrimoniale ».

Je souhaite bon courage aux magistrats qui auront à déterminer l’absence d’intention matrimoniale, surtout lorsqu’il faudra appliquer une peine qui peut atteindre sept ans d’emprisonnement ! Chacun sait que l’on ne se marie pas toujours par amour, ce qui n’est prohibé ni en droit pénal ni en droit civil. Il suffit de s’être frotté un certain temps aux affaires matrimoniales pour savoir que c’est une réalité...

Cette disposition est donc absolument inapplicable, et n’a donc d’autre intérêt que l’affichage.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je pourrais comprendre les propos des différents orateurs si le texte d’origine avait été maintenu. Or ce n’est pas le cas puisque la commission des lois, en première lecture, avait rectifié ce texte en rétablissant le droit commun, en énumérant les conditions de recevabilité du recours de droit commun et en réduisant la peine encourue de sept à cinq ans.

En deuxième lecture, la commission des lois est de nouveau revenue sur la rédaction de l’Assemblée nationale. C’est la raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

Je demande à chacun de ne pas oublier qu’en l’espèce il y a des victimes.

M. David Assouline. Le Gouvernement pourrait tout de même être plus long dans ses explications !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Je tiens à remercier M. le rapporteur des explications qu’il donne aux pages 40 et 41 du rapport, car elles sont tout à fait objectives. Seule la conclusion ne nous convient pas, c’est-à-dire le maintien de l’article 21 ter, puisque le texte qui nous est proposé vise à appliquer les peines prévues contre l’incrimination de mariage de complaisance « lorsque l’étranger qui a contracté le mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint ».

Je le répète : puisque nous nous situons ici dans le domaine pénal, comment le parquet prouvera-t-il la dissimulation des intentions ? Ce n’est pas réaliste ! Notre droit comporte déjà suffisamment de dispositions qui permettent d’appliquer des sanctions pénales en matière de mariage sans avoir besoin d’en ajouter une nouvelle, qui, d’ailleurs, n’a strictement aucun intérêt pratique, et dont l’effet d’affichage me paraît tout à fait pervers.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.

Mme Bariza Khiari. Nous ne pouvons raisonnablement pas voter une disposition aussi problématique.

Je peux éventuellement comprendre la volonté de protéger nos concitoyens, mais il me semble que, avec cet article 21 ter, on frise le ridicule.

Je rappelle que l’obtention de la citoyenneté française par mariage exige que soient réunies des conditions strictes, notamment quatre ans de vie commune. Dans ces conditions, je pense que le compatriote concerné aura tôt fait de juger si l’amour que lui témoigne son conjoint est sincère ou non. De même, le renouvellement de la carte de séjour est conditionné par la communauté de vie.

En d’autres termes, il existe déjà dans notre droit des dispositions empêchant les personnes mal intentionnées d’obtenir des droits par le mensonge ou par la fraude. Doit-on aujourd’hui aller plus loin en nous immisçant dans la vie privée d’un couple pour juger de la validité du consentement des deux époux ? Tous les couples font face à ces problèmes, ces difficultés, ces doutes.

Je suis d’avis que nous laissions à chacun le soin de discerner les raisons de l’échec d’une relation. Je doute qu’un juge puisse apprécier objectivement la réalité d’une tromperie sentimentale. Il devra pourtant le faire aux termes de cet article, qui aura pour conséquence la description exhaustive de la vie du couple en plein tribunal. Les salles d’audience ne sont pas le lieu d’un déballage aussi intime !

Oui, les mariages sans amour existent, comme on vient de le rappeler ; les mariages par intérêt se pratiquent, nous en avons tous été témoins.

M. David Assouline. Surtout dans la bourgeoisie ! (Sourires.)

Mme Bariza Khiari. On ne se marie pas toujours pour de bonnes raisons. Cela tient d’ailleurs rarement à des questions d’obtention de papiers ; ce sont plus souvent des affaires d’argent ou d’alliance entre familles qui sont en jeu. Étrangement, ces cas ne sont pas abordés ici, et ils ne font pas l’objet d’une pénalisation. Vous ne traitez que du mariage frauduleux ayant pour but l’obtention de papiers !

Qui plus est, l’étranger est seul visé, le conjoint français étant supposé de bonne foi. Pourtant, en général, les deux époux sont parfaitement conscients de la situation, car leur union tient sur cette sincérité. Croyez-vous réellement que l’on puisse mentir à quelqu’un pendant un, deux, trois, voire, pour une naturalisation, quatre ans ?

Bien sûr, on peut se tromper en amour : cela arrive ! Soyons sérieux, tâchons d’envisager un tel cas sereinement, sans impliquer l’État ni la justice, a fortiori quand les peines encourues sont équivalentes à celles qui sont réservées à la traite d’êtres humains.

Voilà pourquoi le groupe socialiste demande au Sénat de supprimer l’article 21 ter.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

M. David Assouline. Ainsi que l’indiquait notre collègue M. Mézard à l’instant, parmi les raisons que nous avons invoquées à l’appui de la demande de suppression de cet article figurent la question de la nécessité de légiférer et, bien sûr, celle de l’applicabilité d’une telle disposition.

Or, M. Mézard l’a bien démontré, cet article ne sera pas ou sera très difficilement applicable. Par conséquent, comme un certain nombre d’autres mesures figurant dans ce projet de loi, il correspond uniquement à une volonté d’affichage. Il aura toutefois des conséquences dramatiques pour beaucoup de personnes.

Monsieur le ministre, nous souhaitons comprendre très sincèrement ce qui vous motive. D’ailleurs, pour la qualité de nos débats et pour qu’ils soient bien compris, notamment par les personnes qui les suivent et les étudient, il serait souhaitable que vous soyez plus explicite et que vous ne vous contentiez pas simplement d’indiquer que vous suivez l’avis du rapporteur. Fournir des explications permet en effet à la fois d’éclairer les débats et de témoigner un certain respect à l’égard des parlementaires que nous sommes en répondant aux arguments que nous défendons.

Vous avez tenu ces propos très énigmatiques : « N’oublions pas qu’il y a des victimes ! »…

Mme Bernadette Dupont. C’est vrai !

M. David Assouline. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre ; vous savez, moi, je suis un peu bête…

M. Jean-Patrick Courtois. C’est vrai ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. David Assouline. … et je n’ai pas compris vos propos. Par conséquent, si des éléments importants ou des enjeux d’une certaine ampleur ont motivé le législateur en la matière, je vous invite à nous l’indiquer. Nous pourrons ainsi apprécier la gravité du danger existant et, le cas échéant, suivre vos recommandations sur ce point.

Permettez-moi de profiter du temps qui me reste pour faire une remarque que je n’ai pas pu avancer auparavant, mais qui vient étayer ce que nous ne cessons de vous répéter : parfois, pour afficher une certaine détermination, vous ne faites que créer de nouveaux problèmes.

Monsieur Guéant, vous nous avez confirmé hier qu’il fallait maintenant restreindre l’immigration légale, c’est-à-dire, d’une part, le nombre d’étrangers admis à venir travailler dans notre pays – ils représentent 20 000 personnes par an – et, d’autre part, les personnes admises sur notre territoire au titre du regroupement familial, soit environ 120 000 personnes.

Vous avez déjà plusieurs fois durci les conditions du regroupement familial. Toutes les lois qui ont été votées visaient d’ailleurs à éviter les fraudes et les abus. Vous souhaitez modifier de nouveau les dispositions relatives au regroupement familial, mais il est difficile d’aller plus loin en la matière sans remettre en cause le droit absolu, humain, de vivre en famille ! Il est naturel qu’un étranger venant s’installer en France pour y travailler souhaite que sa famille le rejoigne !

Comptez-vous légiférer à nouveau sur le sujet et toucher à ce droit ? J’irai même plus loin : en la matière, on a tellement touché le fond que les femmes et les enfants qui viennent en France au titre du regroupement familial le font parce qu’ils n’ont vraiment pas d’autre choix. Par conséquent, quelle que soit la nature des nouvelles dispositions qui seront prises, ils viendront.

Monsieur Guéant, que feriez-vous si, installé légalement à l’étranger, vous aviez besoin de vivre avec votre conjointe et vos enfants et que c’était votre droit ? Pour ma part, en tout cas, je sais ce que je ferais ! Vous pouvez légiférer tant que vous voulez, ces personnes viendront s’installer en France parce que le droit de vivre en famille est ce qu’il y a de plus fondamental. Or vous plongez dans l’illégalité et l’épouse et les enfants !

Dans le même temps, vous vous indignez : « Oh là là, il y a des femmes qui vivent recluses chez elles, sous la coupe d’hommes qui veulent leur faire porter la burqa ! Oh là là, il y a des enfants qui plongent dans la délinquance ! » Ceux, précisément, qu’on a marginalisés ! Vous vous offusquez de la présence toujours plus nombreuse de clandestins, de sans-papiers, de gens qui vivent en dehors des, de femmes voilées, etc. ! Mais arrêtez donc plutôt de prendre des dispositions de ce type, qui ne font qu’empêcher les étrangers de s’intégrer !

Quand on cherche à aller plus loin dans une matière – en l’espèce, l’immigration légale – qui ne constitue pas un abus et ne représente aucune menace, pour prendre une posture devant l’opinion publique, notamment à l’approche d’élections, on suscite exactement l’inverse de l’effet souhaité. C’est ce que vous ferez si vous remettez en cause l’immigration légale. (Mme Bariza Khiari applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre. Puisque M. Assouline m’invite à être plus disert dans mon explication, notamment sur le fait qu’il y ait des victimes dans ce type d’affaires, je précise que l’article 21 ter prévoit la possibilité de soumettre au juge l’appréciation d’une tromperie sur le mariage, ce qui suppose qu’une personne s’estimant victime dépose une plainte pour ce fait.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne souhaitais pas intervenir dans ce débat, mais tous ces professeurs de vertu commencent à m’exaspérer quelque peu. (Marques de vive approbation sur les travées de lUMP.) J’ai pourtant une très grande patience !

Pour ma part, je retiens trois éléments.

Premièrement, le mariage de convenance existe. Je n’ai pas entendu de maire parmi nos collègues de la gauche, mais ayant été maire pendant trente-trois ans, j’ai célébré chaque année un certain nombre de mariages de complaisance visant, pour un des conjoints, à se procurer des papiers.

Tous ceux qui ont géré une ville, quelle qu’elle soit, ces dernières décennies, l’ont constaté.

Deuxièmement, des mécanismes de règlement amiable ou des dispositions pénales permettent de lutter contre ces mariages de complaisance. Il me semble que l’Assemblée nationale est allée trop loin dans sa rédaction initiale ; ainsi que l’a très justement fait valoir M. Mézard, il est inutile d’échafauder un dispositif aussi sévère.

Troisièmement, jusqu’à l’intervention de M. le rapporteur, je n’ai entendu personne dire que la commission des lois du Sénat était revenue à un texte plus équilibré et acceptable. Depuis le début de l’examen des articles, on fait comme si l’on discutait encore du texte de l’Assemblée nationale, et non de celui de la commission ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

Mme Bariza Khiari. Pas du tout !

M. David Assouline. Vous n’avez pas écouté !