Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe ne cesse de s’américaniser, pour le meilleur et pour le pire. En l’occurrence, puisqu’il est question d’obésité, ce n’est certainement pas pour le meilleur.

Le développement de l’obésité en France est une réalité de plus en plus préoccupante. Comme l’a très bien rappelé notre collègue Brigitte Bout, les chiffres parlent d’eux-mêmes et sont frappants. La France compte aujourd’hui 16,9 % d’adultes obèses, avec une augmentation de la prévalence de l’obésité de presque 6 % par an ; 3,5 % des enfants sont obèses, soit quatre fois plus qu’en 1960, tandis que 14,3 % des enfants sont en surpoids.

Et encore ne s’agit-il là que de statistiques globales qui ne disent rien des écarts observables au sein de la population française : écarts entre les sexes – l’obésité touche deux fois plus les femmes que les hommes – ; écarts entre catégories socioprofessionnelles, bien sûr ; écarts géographiques, aussi. C’est la raison pour laquelle le problème me tient très à cœur : l’obésité touche l’outre-mer et surtout la Réunion, dont je suis élue, de manière particulièrement forte. En effet, l’île de la Réunion ne fait pas exception à l’épidémie mondiale de l’obésité, considérée par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, comme « l’épidémie du siècle ».

Dans les différentes études réalisées localement, on observe une différence nette entre les sexes. La fréquence du surpoids est plus élevée dans la population masculine : près de 40 % contre 33 % chez les femmes. En revanche, les prévalences de l’obésité sont sensiblement plus élevées chez les femmes, contrairement à ce qui est observé dans les différentes enquêtes nationales. Ainsi, les prévalences locales de l’obésité sont respectivement d’environ 10 % chez les hommes et de 20 % chez les femmes. En métropole, elles avoisinent 11 % chez les hommes comme chez les femmes.

Je m’inquiète particulièrement de l’obésité chez l’enfant.

En effet, la surcharge pondérale touche 15 % à 20 % des enfants à la Réunion et la prévalence de l’obésité infantile a quintuplé en moins de vingt ans. Les trois quarts de ces enfants resteront obèses à l’âge adulte et connaîtront les complications liées à l’obésité.

La Réunion a subi une évolution rapide des modes de vie qui définit un contexte propice à la prise de poids et par conséquent au développement de maladies liées à la nutrition : diabète et hypertension artérielle, ou HTA, notamment dont l’obésité est l’un des facteurs de risque bien identifiés.

Le retentissement de l’obésité est ainsi important en matière de mortalité et de morbidité. Le taux standardisé de mortalité due au diabète et à ses complications est de 62,8 pour 100 000 habitants en Guadeloupe, 63,3 en Martinique, 65,7 en Guyane, 108,3 à la Réunion, contre 32 pour 100 000 habitants en métropole.

Ainsi, tous les Français ne sont pas égaux face à l’obésité.

L’obésité est un phénomène dont l’impact néfaste est multiple : impact psychologique pour les personnes obèses qui ont du mal à s’accepter, impact social pour les victimes d’une maladie qui sont souvent stigmatisées, impact de santé publique, évidemment. Les pathologies liées à l’obésité sont en effet connues et nombreuses : diabète, risques cardiovasculaires, stéatose hépatique, certains cancers aussi. L’impact de l’obésité est aussi financier, évidemment : l’obésité représente un coût de plus en plus considérable pour l’assurance maladie.

Dans ces conditions, on le comprend, prévenir et traiter l’obésité doit être une priorité absolue de santé publique. Cela n’a pas échappé au Président de la République, qui a créé en octobre 2009 une commission pour la prévention de l’obésité dont les recommandations ont imprégné le programme national nutrition santé.

Mais combattre efficacement la maladie suppose bien sûr de la comprendre. D’où l’enjeu clé de la recherche.

Je félicite au passage notre collègue Brigitte Bout pour l’excellent rapport qu’elle a rendu public le 8 décembre dernier au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, à la suite de la saisine de cet office par notre commission des affaires sociales sur ce thème.

Ce rapport a l’immense mérite d’éclairer pour la première fois le dossier de l’obésité sous l’angle absolument déterminant de la recherche. Le présent débat est la suite logique de ce travail inédit. Et, compte tenu de l’enjeu, c’est tout à l’honneur de notre assemblée de s’en saisir de la sorte.

Alors, à l’aune des informations rassemblées et mises en perspective par le rapport Bout, quelles conclusions tirer sur l’état de la recherche en matière d’obésité ?

Nous avons beaucoup avancé, mais nous n’avons pas encore suffisamment avancé.

Nous avons beaucoup avancé parce que nous savons désormais que l’obésité doit être considérée comme une maladie à part entière, une maladie chronique à la fois complexe et grave. Ses principaux mécanismes physiologiques ont été mis au jour, même si nous avons toujours du mal à appréhender ses causes et leurs interactions, qui sont nombreuses et varient en fonction des individus. Ce constat positif me donne l’occasion de saluer l’extraordinaire travail effectué, dans des conditions parfois bien difficiles, par les chercheurs, auxquels je tiens à rendre hommage.

En revanche, il nous reste encore du chemin à parcourir parce que la recherche n’a pas encore réussi à élaborer des thérapies permettant de guérir cette maladie. Cela a été rappelé, tous les médicaments visant à réduire la prise alimentaire ont été retirés du marché compte tenu de leurs effets secondaires, alors que les médicaments jouant sur la mauvaise absorption des nutriments sont peu efficaces.

À ce jour, seule la chirurgie bariatrique – essentiellement le by-pass gastrique – a un effet spectaculaire à la fois en matière de perte durable de poids et de diminution de la mortalité.

Mais la chirurgie bariatrique demeure une solution qui peut être très éprouvante sur le plan psychologique.

Fort de ce constat global, une conclusion s’impose : il nous faut aujourd’hui mettre l’accent sur la prévention.

Ce n’est qu’à ce stade de l’analyse que je me permettrai de faire entendre une voix un peu différente par rapport aux conclusions du rapport Bout.

Le rapport fait état des résultats modestes donnés par les actions ciblées qui ont été jusqu’à présent conduites.

En conséquence, il préconise une approche beaucoup plus globale visant à réduire les inégalités dans les domaines de l’emploi, du logement, de l’éducation, de la santé et des transports, qui sont les leviers les plus puissants pour lutter contre l’obésité. C’est l’évidence même.

Il me semble que nous ne nous sommes pas donné les moyens de nos ambitions en matière de prévention ciblée de l’obésité, autrement dit en matière d’éducation nutritionnelle.

S’attaquer aux distributeurs de boisson et imposer des messages publicitaires constituent certes un premier pas encourageant, mais nous devrions aller au cœur du problème.

Nous devrions nous servir des vertus pédagogiques de l’école pour apprendre aux enfants à se nourrir. Ne rien faire c’est laisser se perpétuer l’inégalité face à l’obésité. Par nature, l’école a vocation à enrayer ce type d’inégalité.

Ainsi, nous pensons que l’éducation nutritionnelle scolaire est une voie à fortement privilégier pour lutter activement contre l’obésité. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, selon l’OMS, 1 milliard d’adultes sont en surpoids et, si rien n’est fait, ils seront plus de 1,5 milliard d’ici à 2015. Chaque année, 2,6 millions de personnes au moins meurent des conséquences du surpoids ou de l’obésité.

En France, l’obésité augmente de 5,9 % par an et concerne 16,9 % des adultes.

Autre constat terrible, l’obésité des enfants est en train d’exploser : 3,5 % des enfants sont obèses.

Aujourd’hui, nous avons un taux de croissance du surpoids comparable à celui que connaissent les Américains. Il faut souligner que deux tiers des enfants obèses le resteront à l’âge adulte. Ils risqueront donc d’avoir des problèmes cardiovasculaires multipliés par trois, des troubles articulaires, mais souffriront également d’une certaine stigmatisation qui engendrera pour eux des problèmes sociaux.

Nous sommes donc face à une progression inquiétante car elle porte sur des individus de plus en plus jeunes.

On peut dire qu’actuellement l’obésité est une véritable épidémie qui frappe aussi bien les pays industrialisés que les pays en voie de développement.

Ses causes peuvent être très variables d’une personne à l’autre. On parle même d’« obésités » au pluriel.

Selon les études, plusieurs facteurs permettent d’expliquer l’obésité : les facteurs génétiques, les facteurs endocrinologiques, les facteurs environnementaux et les modifications comportementales telles que la « malbouffe », qui désigne une alimentation trop riche.

Dans les années quatre-vingt, le terme « malbouffe » désignait la nourriture des fast-foods. Aujourd’hui, il désigne davantage l’alimentation industrielle trop grasse, trop sucrée et trop salée.

Cette malbouffe s’est imposée dans nos sociétés modernes pour différentes raisons.

D’abord, les prix des fruits et légumes frais sont en augmentation alors que ceux des produits gras et sucrés restent très abordables.

Ensuite, le rythme de vie et le manque de temps font que certains sont amenés à sauter un repas ou à manger rapidement.

En outre, les étiquettes nutritionnelles des produits ne sont pas assez claires.

Enfin, la publicité fait la promotion de produits trop gras et trop sucrés.

Pour prévenir cette obésité, nous disposons de différents outils comme le dépistage avec le calcul de l’indice de masse corporelle, l’IMC, la politique nutritionnelle « Manger mieux, bouger plus » ou les actions en milieu scolaire.

Cependant, l’obésité demeure une maladie que l’on ne sait ni guérir ni prévenir efficacement.

En effet, on s’aperçoit que les comportements ont changé ces dernières années. Auparavant, on pouvait rester mince tout en absorbant des calories en abondance. Cela était possible car les activités quotidiennes étaient beaucoup plus physiques. Aujourd’hui, les populations occidentales ont tendance à consommer moins de calories et moins de graisses qu’en 1960 et, pourtant, elles grossissent. Cela s’explique par un changement du style de vie, qui devient de plus en plus sédentaire. L’homme moderne est donc devenu sédentaire. C’est la raison pour laquelle l’un des principaux objectifs des scientifiques est de découvrir comment rassasier un individu avec moins de calories.

Comment un régime alimentaire peut-il devenir plus rassasiant ? Les principales pistes qui sont explorées actuellement portent soit sur des aliments à forte teneur en glucides, soit sur la consommation de protéines en plus ou moins grande quantité.

En outre, de nombreux travaux sur l’obésité des enfants établissent aujourd'hui le lien entre surcharge pondérale et allongement du temps d’inactivité, en particulier devant la télévision.

Par ailleurs, je tiens à souligner ici que la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de revenu et le lieu d’habitation sont des déterminants importants de l’obésité. Riches et pauvres ne sont pas égaux face à l’obésité. Le risque pour un enfant d’ouvrier d’être en surpoids ou obèse reste plus important que pour un enfant de cadre.

Même s’il existe actuellement des outils pour prévenir l’obésité avant l’apparition des symptômes, on reste face à un échec. En effet, les gestes de prévention, qui sont axés sur l’équilibre alimentaire et l’activité physique, ne paraissent pas d’une efficacité suffisante face à la constante augmentation de l’obésité.

La mise en œuvre de la charte de l’industrie alimentaire et des médias télévisés sur la nutrition, qui a été signée au mois de février 2009, a été un échec.

En effet, le harcèlement publicitaire continue. La charte n’a pas permis de limiter le matraquage publicitaire pour les produits gras, sucrés ou salés. Certaines entreprises font subir un véritable harcèlement alimentaire aux enfants, qui regardent la télévision en rentrant de l’école, souvent sans contrôle parental.

Les communications nutritionnelles demeurent sans grande légitimité scientifique. Le contenu éditorial de la diffusion des programmes éducatifs reste sous la seule responsabilité de l’industrie alimentaire et des médias.

Idem pour les programmes éducatifs invisibles : le volume de diffusion des programmes développés par les professionnels de la nutrition est ridiculement faible au regard du déferlement publicitaire quotidien.

Face à un tel échec, pourquoi n’impose-t-on pas la gratuité de la diffusion des campagnes de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, sur l’équilibre alimentaire ? Pourquoi n’impose-t-on pas des tarifs plus accessibles pour les campagnes des filières fruits et légumes ?

Par ailleurs, il apparaît incroyable que le Mediator, classé comme médicament pour diabétiques en surpoids, ait pu également servir de coupe-faim, alors que tous les anorexigènes avaient été interdits. En effet, le 31 août 1999, le comité des spécialités pharmaceutiques de l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments en a recommandé le retrait définitif du marché. Pourquoi le Mediator est-il resté autorisé ? Pourquoi le laboratoire a-t-il semé l’ambiguïté ?

En matière de recherche, il est, me semble-t-il, essentiel d’enrichir les connaissances sur les facteurs précis favorisant l’obésité, afin de concevoir des politiques de santé publique.

La science est-elle aujourd’hui en mesure de nous apporter toutes les causes de l’obésité ? Le Gouvernement a-t-il entrepris un nombre suffisant d’actions de prévention ? A-t-il suffisamment informé le public ?

Par ailleurs, il est pertinent d’explorer des approches visant l’amélioration de la santé mais dont l’objectif premier n’est pas la perte de poids. Est-il possible d’obtenir des succès dans le traitement de l’obésité en dehors des remèdes qui se focalisent sur le régime alimentaire ? Obtiendrions-nous plus de réussite en diversifiant nos cibles d’intervention ?

Je pense également, ici, à la nutrition précoce. La nutrition pendant la gestation et la petite enfance influencerait la santé et le développement ultérieurs de l’enfant. A-t-on mis en œuvre les mesures nécessaires suite à un tel constat ?

De plus, des travaux récents ont montré un lien entre la qualité du microbiote intestinal et le développement de l’obésité. Une série d’expériences a montré que des souris anéxiques, c'est-à-dire sans microbiote intestinal, résistent à l’obésité lorsqu’elles sont soumises à un régime gras. En revanche, si des souris saines reçoivent des bactéries intestinales de souris obèses, elles deviennent elles-mêmes obèses. Où en est-on dans ces recherches ?

Il est primordial d’avancer au niveau de la recherche afin de pouvoir prendre des mesures de santé publique.

Aujourd’hui, on peut dire qu’on ne sait pas guérir l’obésité, car c’est une maladie complexe. En l’état actuel de nos connaissances, la prévention est cruciale. Il importe de ne pas devenir obèse ; sinon, c’est pour la vie ! J’insisterai donc sur l’importance de la prévention, et je regrette que le Gouvernement ne mette pas tout en œuvre à cet égard.

Je souhaiterais attirer ici votre attention sur la question de l’équilibre nutritionnel des repas fournis dans les cantines scolaires. L’équilibre alimentaire dans la restauration scolaire constitue un axe important dans la lutte contre l’obésité, car nombreux sont les enfants qui prennent jusqu’à cinq repas par semaine à l’école. C’est d’ailleurs l’un des objets de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, dont l’article 1er impose des règles relatives à la qualité nutritionnelle des repas servis dans les écoles.

Or, le 6 janvier 2011, la Commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, a donné un avis défavorable à cette mesure. Cette décision est d’autant plus regrettable que nombre d’études ont démontré depuis dix ans l’insuffisance du volontariat en matière de restauration scolaire, seules des normes d’application obligatoire étant efficaces pour améliorer l’équilibre nutritionnel des plats. L’avis de la CCEN contredit le vote des parlementaires et les recommandations élaborées en matière de restauration scolaire par la Direction générale de la santé ou le rapport de la mission d’information sur la prévention de l’obésité.

Madame la ministre, pouvez-nous dire pourquoi cette disposition se trouve aujourd'hui bloquée ? Pouvez-vous nous indiquer à quelle date le Gouvernement compte rétablir cette mesure cruciale sur le plan sanitaire ?

L’obésité est un véritable défi sociétal, mais également économique, puisqu’elle menace à terme notre système de santé. Les attentes sont donc fortes vis-à-vis de la recherche afin d’orienter les politiques de santé publique. Elles sont également fortes vis-à-vis du Gouvernement, afin qu’il prenne aujourd’hui des mesures fortes en matière de prévention. En effet, nous sommes en retard, et il y a urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mmes Françoise Laborde et Brigitte Bout ainsi que MM. Jean-Marc Juilhard et Pierre Martin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. « On est foutu, on mange trop ! » C’est par ce refrain qu’un chanteur populaire français dénonçait au début des années quatre-vingt les ravages de la malbouffe et les excès de la consommation alimentaire de masse.

Près de trente années ont passé et l’obésité, toujours croissante au sein des populations occidentales, est devenue un véritable fléau social, du point de vue tant de la santé des personnes concernées que des conséquences financières sur les comptes de la sécurité sociale.

L’obésité, c’est d’abord l’expression du paradoxe de la modernité, qui veut que la quantité alimentaire supplante la qualité des aliments, et ce au détriment de l’équilibre physiologique des consommateurs.

On nous avait promis un monde d’opulence et de satiété, seul apte à donner à l’homme le bonheur individuel auquel il aspire. Nous vivons en fait dans un environnement où les modes de consommation et les codes sociaux créent un besoin illimité d’acquérir et de consommer ad nauseam. Peu importe que le consommateur y perde sa santé, peu importe que la satiété entraîne la frustration, voire l’exclusion sociale.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le nombre d’obèses a doublé au cours des vingt dernières années dans le monde occidental ; il a même triplé s’agissant des enfants obèses. L’obésité affecte actuellement 10 % de la population adulte en France, soit 6,5 millions de personnes, la moitié d’entre elles souffrant d’obésité dite « morbide ».

Le coût annuel de la prise en charge de l’obésité par l’assurance maladie serait de 4 milliards d’euros, et même de 10 milliards d’euros en prenant en compte les 40 % de la population en état de surpoids. Que dire de plus, hormis constater l’urgence médico-sociale du phénomène pour les individus concernés et pour la société ?

Je ne reviendrai pas dans le détail sur les conséquences de cette pathologie, qui ont déjà été évoquées par les précédents orateurs.

Nous sommes unanimes. La progression de l’obésité, en particulier chez les jeunes, est un phénomène préoccupant auquel il convient de s’atteler. La progression des régimes l’est tout autant. En effet, les périodes de restrictions alimentaires drastiques sont maintenant dénoncées par le corps médical comme des facteurs aggravants aboutissant à des courbes de poids dites « en yo-yo ». Ces successions de régime installent le surpoids et l’obésité aussi sûrement que l’anarchie alimentaire. Il est donc particulièrement inquiétant de constater que 65 % de la population déclare avoir déjà fait un régime.

Les facteurs concourant à cette situation sont multiples : culturels, économiques, sociaux ou encore médicaux.

Abstraction faite du déterminisme génétique propre à chaque individu, les modes de consommation alimentaire ont une large part de responsabilité. À travers sa banalisation dans le corpus social, l’obésité demeure l’expression la plus visible de l’état de dépression collective dans lequel baignent les sociétés de consommation occidentales ; la société française n’y fait malheureusement pas exception.

Sédentarité, stress, anxiété, pollutions ou publicités agressives sont autant de facteurs déclenchants ou aggravants. Chacun d’entre eux renvoie l’image d’une société où l’individu-roi souffre et meurt de ne manquer de rien et d’avoir besoin de tout.

L’obésité nous interroge sur nos choix sociétaux et notre vision du monde. Elle pourrait incarner le paradoxe qui oppose un Occident riche, prospère mais malade, à d’autres sociétés économiquement pauvres, politiquement instables, où les émeutes de la faim viennent régulièrement nous rappeler que l’Europe et les États-Unis consomment à eux seuls près de 80 % de la richesse mondiale. Malheureusement, la prévalence de l’obésité commence à augmenter, y compris dans les pays les moins riches.

Cette nouvelle tendance nous rappelle la responsabilité des groupes industriels de l’agroalimentaire dans la progression de ce fléau et de leurs méthodes marketing bien rodées, dans un environnement très peu réglementé.

Dès lors, comment inverser la tendance ? Comment faire pour que nos enfants ne soient plus les victimes désignées de nos propres excès ?

La progression des addictions est une question rarement soulevée, mais qui mérite d’être posée, car elle nécessite une réflexion sur deux grandes questions existentielles fondamentales : la recherche du plaisir et la peur de la mort. La frontière entre le plaisir et l’excès, la santé et la maladie, le culturellement acceptable et le médicalement nécessaire est souvent très difficile à trouver, en particulier dans notre pays, où la gastronomie est un patrimoine culturel. Un élément vient compliquer davantage la tâche des personnes en surpoids. C’est une lapalissade mais je le rappelle : pour vivre, il est possible de cesser de fumer, de boire de l’alcool ou encore de se droguer, mais pas d’arrêter de manger !

C’est pour tenter de répondre à ce défi que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a dressé un bilan exhaustif et détaillé de l’état de la recherche en matière d’obésité.

Je tiens d’ailleurs à saluer le remarquable travail effectué par notre collègue Brigitte Bout, rapporteur de l’Office, dont les conclusions méritent l’attention particulière de notre assemblée.

Le rapport met en exergue deux types de recherche : en amont, par le biais d’une recherche scientifique et médicale qui traite l’obésité comme toute autre pathologie physiologique ; en aval, par des méthodes préventives susceptibles d’empêcher ou de freiner les comportements à risque et d’améliorer notre environnement quotidien.

Je laisserai le soin à mes collègues médecins de s’attarder davantage sur les nombreux aspects de la recherche médicale.

Concernant la prévention de l’obésité, je pense que l’on ne soulignera jamais assez la nécessité d’appréhender le mal à la racine par l’apprentissage de la modération et de l’équilibre chez nos enfants.

Alors que toutes les enquêtes soulignent l’excès de consommation en sucre, en dépit des efforts de communication réalisés par les pouvoirs publics sur les risques liés au surpoids, les enfants demeurent les cibles privilégiées des marques de produits à forte teneur calorique. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, le Parlement a fait preuve d’imagination et d’audace pour tenter d’endiguer cette tendance.

Ce fut notamment le cas lors de l’adoption de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique interdisant la présence dans tous les établissements scolaires de distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants et accessibles aux élèves.

On pourrait citer aussi la taxe sur les boissons sucrées proposée par notre collègue Alain Vasselle, votée au Sénat lors des débats relatifs à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, mais qui, hélas ! n’a jamais franchi le cap de la commission mixte paritaire de décembre 2007.

Rappelons également qu’un rapport parlementaire de 2008 préconisait une augmentation de la TVA sur les produits de grignotage et de snacking. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Bref, tout le monde s’accorde à penser qu’il est impératif d’éloigner les plus jeunes des tentations d’un marketing d’autant plus offensif et néfaste qu’il ne profite qu’à des entreprises, la plupart du temps multinationales, avant tout soucieuses de gagner des parts de marché.

Une telle action pourrait revêtir plusieurs formes : de l’interdiction de spots télévisuels à certaines heures à la mise en place de nouveaux programmes pédagogiques au sein des établissements scolaires, sous formes d’ateliers gastronomiques éducatifs, par exemple. Le législateur a entre les mains suffisamment d’éléments pour proposer une panoplie complète de mesures clés.

L’obésité ne doit plus être un tabou ni même un sujet de seconde catégorie. Bien au contraire, la combattre doit être un des objectifs prioritaires de santé publique, voire une cause nationale. L’homme politique, homme d’action par nature, est toujours impatient que la science lui offre la connaissance des moyens et des conséquences, mais il sait à l’avance qu’elle ne le délivrera jamais de l’obligation de devoir choisir parce que les cultures sont multiples et les valeurs sociales parfois contradictoires.

Pour toutes ces raisons, il nous appartient, mes chers collègues, de faire le choix de l’efficacité et de la prévention. La prise de conscience de la gravité du fléau qu’est l’obésité est un premier pas. Madame la ministre, nous devons désormais faire en sorte que davantage de moyens soient mobilisés pour développer la recherche dans ce secteur avant que ce mal des temps modernes ne se répande davantage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Bout et M. Pierre Martin applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Dumas.

Mme Catherine Dumas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite souligner, à l’occasion de ce débat, l’importance de l’éducation au goût et de la promotion des bonnes pratiques alimentaires, en particulier auprès du jeune public.

Comme beaucoup de mes collègues, je suis particulièrement attachée à ce que l’on ne stigmatise pas les produits en tant que tels, et à ce que l’on informe plutôt les consommateurs sur les bienfaits d’une alimentation variée et équilibrée.

Plusieurs initiatives en ce sens ont vu le jour ces dernières années, et s’engagent résolument dans la voie de la promotion d’une consommation responsable et raisonnée. Je pense notamment au formidable outil que constitue la charte du 18 février 2009 pour promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision.

Les précédentes expériences d’interdiction de la publicité à destination des enfants n’ont jamais été probantes. Le choix audacieux et très pragmatique d’encourager l’information et la sensibilisation en matière d’alimentation, et d’associer à ce programme d’actions l’ensemble des acteurs concernés doit donc être salué. Pilotée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en particulier sous l’impulsion de Christine Kelly, qui préside la mission Santé et développement durable, cette charte comporte deux volets très complémentaires.

Tout d’abord, elle fixe et renforce les règles de déontologie qui s’appliquent aux annonceurs pour le contenu de leurs messages publicitaires.

Parallèlement, elle les associe à la production de programmes courts informatifs à destination des enfants, diffusés au total près de 400 fois sur une quinzaine de chaînes en 2010.

Cette politique très volontariste semble aujourd’hui porter ses fruits. La participation active et la responsabilisation des différents partenaires est, à ce jour, une réussite ; un rapport remis en juin 2010 à la ministre de la santé souligne, d’ailleurs, la parfaite application de cette charte.

Cette initiative française, unique en Europe, est applaudie par la Commission européenne. Plusieurs pays voisins, eux aussi confrontés à l’augmentation de l’obésité, envisagent même de s’inspirer de cette expérience et de mettre en place des partenariats similaires. Au vu de cette première expérience réussie, nous devrions donc, comme pour de nombreuses autres questions de santé publique, privilégier l’éducation et la prévention dès le plus jeune âge plutôt que les interdictions et les restrictions excessives, ainsi que l’a excellemment souligné il y a quelques instants notre collègue Anne-Marie Payet.

Au sein du Club parlementaire de la table française, que j’ai le plaisir de coprésider avec deux collègues parlementaires et qui réunit plus de 330 députés et sénateurs de tous les départements et de toutes les appartenances politiques, nous sommes très attachés à la promotion de l’éducation au goût.

Dans ce cadre, l’inscription récente du repas des Français au patrimoine immatériel de l’UNESCO peut servir de sursaut pour une prise de conscience collective.

Prendre son repas assis à table, consacrer du temps aux repas, consommer des produits variés, faire du déjeuner ou du dîner un moment de lien social et de partage sont des valeurs très positives, et des composantes essentielles de notre identité alimentaire. Elles contribuent intrinsèquement à lutter contre les mauvais comportements.

La transmission de ce patrimoine commun et la défense de ses spécificités constituent, en soi, la plus simple et la plus efficace des politiques de prévention. Elles placent, d’ailleurs, la France parmi les pays industrialisés les moins affectés par les problèmes d’obésité.

Avec mes collègues membres du Club parlementaire de la table française, nous entendons rester très attentifs aux orientations qui seront prises sur cet important sujet de santé publique, qui engage l’avenir des générations futures.

Je remercie Brigitte Bout, grâce à laquelle le débat d’aujourd'hui peut avoir lieu, ainsi que Mme la ministre, qui a bien voulu apporter la contribution du Gouvernement sur la lutte contre l’obésité. Mes chers collègues, je suis certaine que ce sujet pourra nous rassembler au-delà des différents clivages politiques. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Gisèle Printz applaudit également.)