M. Guy Fischer. Eh oui !

Mme Françoise Laborde. Au final, vingt-quatre entreprises du CAC 40 devront verser, cette année, une prime salariale sur les dividendes.

Si votre volonté était véritablement d’augmenter le pouvoir d’achat des Français, le moyen le plus simple et le plus direct aurait consisté à relever les salaires.

M. Guy Fischer. Très bien !

Mme Françoise Laborde. D’ailleurs, le Président de la République, lors d’un déplacement dans le Puy-de-Dôme en avril dernier, avait déclaré ceci : « Que des actionnaires gagnent de l’argent, tant mieux ! Que des entreprises gagnent de l’argent, tant mieux ! Mais je ne peux pas accepter que, pour les entreprises du CAC 40, on ait pu distribuer plus de 80 milliards d’euros de dividendes pour les actionnaires et que, en même temps, on explique qu’il n’y a pas d’argent pour les salaires. »

M. Guy Fischer. C’est se moquer du peuple !

Mme Françoise Laborde. C’est pourtant ce que vous vous apprêtez à faire !

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. Alain Vasselle, rapporteur général. Non !

Mme Françoise Laborde. Cette année encore, le rythme de progression des salaires sera identique à celui de 2010, c’est-à-dire le plus faible enregistré depuis 2000.

M. Guy Fischer. Effectivement !

Mme Françoise Laborde. Si l’on tient compte de l’inflation, le salaire mensuel de base ne devrait progresser que de 0,3 %. En outre, plus de 40 % des salariés n’ont pas été augmentés depuis cinq ans.

Le SMIC reste bloqué sur l’inflation, alors que le coût réel de la vie croît plus vite que celle-ci.

En revanche, les patrons du CAC 40 ont gagné en moyenne 152 fois le SMIC en 2010 et les rémunérations des dirigeants des quarante plus grandes entreprises cotées à la bourse de Paris ont progressé de 24 % par rapport à 2009.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, la majorité des sénateurs du groupe Rassemblement démocratique et social européen voteront contre ce projet de loi de financement rectificative. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Cela va chauffer !

M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour la première fois depuis seize ans qu’existent les lois de financement de la sécurité sociale, nous sommes amenés à examiner un projet de loi de financement rectificative.

Cet événement exceptionnel, dont on pourrait croire qu’il résulte d’une situation qui l’est tout autant, n’est en réalité que la conséquence d’une campagne médiatique destinée à permettre à Nicolas Sarkozy d’endosser une nouvelle fois le costume du candidat du pouvoir d’achat, costume qui, il faut le reconnaître, lui allait bien pendant la campagne, mais qu’il avait retiré sitôt élu.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Là, il le reprend !

M. Guy Fischer. Il n’aura d’ailleurs échappé à personne que c’est dans les Ardennes, là même où il avait lancé sa campagne en direction du peuple qui travaille, qu’il a annoncé qu’une prime serait instaurée. Or, j’y reviendrai, cette prime n’a cessé de se réduire comme une peau de chagrin, en ce qui concerne tant son montant que le nombre de ses bénéficiaires.

Or cette prime, que Nicolas Sarkozy présente comme la réponse aux grandes difficultés que rencontrent nos concitoyens, est déjà en elle-même un renoncement. Souvenez-vous du débat télévisé du 5 février 2009, au cours duquel un panel de citoyens, dont un agriculteur, me semble-t-il, l’interrogeaient sur leurs dures conditions de survie.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. En parlant de survie, pour les agriculteurs, vous avez raison.

M. Guy Fischer. Nicolas Sarkozy annonçait, reprenant une idée de Serge Dassault, qui est parmi nous cet après-midi, que la règle des trois tiers est « une bonne règle » : 33 % pour les salariés, 33 % pour les actionnaires, 33 % réservés aux investissements de l’entreprise. Et il ajoutait : « C’est un ordre d’idée, il faut mettre de la souplesse dans tout ça. »

En lieu et place de ce partage, qui n’était pas satisfaisant mais qui était tout de même plus ambitieux que ce que l’on nous propose aujourd’hui, le Gouvernement a, dans la cacophonie la plus totale, annoncé la création d’une prime.

Ainsi, le 13 avril dernier, M. Baroin annonçait, sur Europe 1, la mise en place d’une prime d’au moins 1 000 euros ; le montant de 1 200 euros a même été évoqué. Il semble aujourd’hui que la moyenne des primes versées sera de l’ordre de 700 euros.

M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est une moyenne, vous le dites vous-même !

M. Guy Fischer. Il n’aura fallu que quelques heures pour que M. Fillon apporte lui-même une modération de taille aux déclarations de son ministre du budget en indiquant que « le Gouvernement n’a pas fixé de montant à cette prime ». Ce qui s’apparentait déjà à une reculade a été fort astucieusement présenté comme devant permettre aux partenaires sociaux de négocier.

Après le montant de la prime, c’est sur les modalités de sa distribution que le Gouvernement a varié, a montré son dysfonctionnement. Alors que le Président de la République annonçait : « Quand il y a la reprise, j’affirme qu’il est normal que les salariés et les ouvriers à qui on a demandé des efforts pendant la crise bénéficient de la reprise, c’est un principe sur lequel je ne céderai pas » et qu’il ajoutait : « Le partage de la valeur, j’y tiens parce que c’est une question de justice »,…

M. Xavier Bertrand, ministre. Tout à fait !

M. Guy Fischer. … il prenait la décision de limiter l’octroi de la prime aux seuls salariés des entreprises employant plus de cinquante salariés et ayant distribué des dividendes en augmentation par rapport aux dividendes versés au cours des deux exercices précédents. Donc, on donne, mais on restreint tout de suite le nombre des bénéficiaires.

Curieuse conception de la justice sociale que celle qui vous conduit à proposer une prime à quelque 4 millions de salariés à peine sur les 24 millions que compte notre pays.

Monsieur le ministre, est-ce à dire que, pour vous, les 20 millions de salariés qui sont écartés de cette mesure ont démérité dans la construction de la richesse française ? Ont-ils produit moins de richesses, vivent-ils mieux que les rares salariés qui auront droit à cette prime ? Nous ne le croyons pas !

Nous sommes également persuadés que c’est bien à tout le peuple qui travaille que vous auriez dû garantir une hausse de son pouvoir d’achat. Contrairement à ce que certains, à droite, voudraient laisser accroire, les salariés privés d’emploi, les allocataires du RSA ou de la prestation de compensation du handicap ne vivent pas dans le luxe. Et il en est de même des bénéficiaires de la couverture maladie universelle ou de la couverture maladie universelle complémentaire. Pour ces 15 millions de Français, les fins de mois difficiles sont devenues la règle, le nombre de cas de surendettement ou de renoncement aux soins explosent. Pour autant, ces Français-là ne bénéficieront d’aucun coup de pouce et ils devront supporter les traditionnelles hausses du mois de juillet : 2,7% pour le passe Navigo en région parisienne,…

Mme Catherine Procaccia. C’est une décision du conseil régional !

M. Guy Fischer. … deux centimes pour les timbres, 2,9 % pour l’électricité et, à la SNCF, une augmentation de l’ordre de 10 centimes à 2,70 euros par billet. (Mlle Sophie Joissains s’exclame.)

Quant aux fonctionnaires, qui réalisent au quotidien un travail exemplaire pour notre pays et nos concitoyens, ils sont soumis à une rigueur financière prenant la forme d’un gel des salaires pendant deux années consécutives, jusqu’en 2014 inclus.

Tenter, comme vous le faites, de rattacher cette prime au principe de versement des dividendes vous permet de donner l’illusion d’une mesure de justice sociale. Mais il ne s’agit en fait que d’une ombre chinoise : plus on s’en approche, plus elle s’efface, s’estompe.

Monsieur le ministre, comment pouvez-vous expliquer qu’avec le dispositif actuel Total, qui est pourtant la plus grosse entreprise du CAC 40, échappera au versement de cette prime ? Et pourtant, comme l’a rappelé Françoise Laborde, le groupe a réalisé un bénéfice net de 10,288 milliards d’euros. Il a déjà prévu d’en affecter la moitié aux actionnaires : le montant du dividende versé par action a été fixé à 2,28 euros, soit un montant identique à celui de 2010. Les salariés de Total seront écartés de ce dispositif…

M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne dites pas tout sur les salariés de Total !

M. Guy Fischer. … à cause des critères que vous avez vous-même fixés, monsieur le ministre. Est-ce à dire que les salariés de cette entreprise ont démérité ou qu’ils devraient moins que les actionnaires accéder au partage des richesses qu’ils ont pourtant contribué à produire ?

M. Xavier Bertrand, ministre. L’intéressement a augmenté de 15 % !

M. Guy Fischer. La prime que vous proposez aujourd’hui ne peut donc répondre durablement et pour toutes et tous à l’écrasement des salaires et des pensions qui entraîne un recul sans précédent du pouvoir d’achat dans notre pays. Telle est la réalité : nous n’avons jamais vu dans l’Histoire les salaires être écrasés comme ils le sont aujourd’hui, ne pas augmenter.

Contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, cette prime ne permet pas un véritable partage des richesses. Je crains même qu’elle ne vous permette en réalité d’éviter cette question en donnant l’illusion que vous vous en préoccupez.

Les organisations syndicales ne sont d’ailleurs pas dupes et toutes exigent, comme nous, une augmentation notable des salaires. Or, pour ce faire, vous devez rompre avec le programme de stabilité européen qui, au nom de la concurrence et du libéralisme, interdit les augmentations de salaires. Vous devez aussi renoncer à l’ensemble de vos politiques fiscales et sociales qui privilégient toujours les plus riches et les spéculateurs au détriment de l’immense majorité de nos concitoyens. Vous devez enfin privilégier l’emploi rémunérateur et de qualité contre les contrats précaires à temps partiels qui permettent l’accroissement des dividendes.

Bref, vous devez tout simplement rémunérer le travail à sa juste valeur, même si cela suppose de s’attaquer à la financiarisation de notre économie, mortifère pour l’emploi et, par voie de conséquence, pour la croissance et les comptes sociaux.

En 2009, année de crise, 105 milliards d’euros ont été distribués par les entreprises pour rémunérer la propriété, c’est-à-dire les dividendes et les autres revenus du capital. Cela représente un doublement en dix ans et en euros constants.

Ces sommes colossales, que l’on peine à imaginer, et qu’une poignée de privilégiés se partagent, sont sans commune mesure avec les 700 euros que 4 millions de salariés auraient au final à se partager si ce projet de loi de financement est adopté.

C’est la raison pour laquelle nous voterons contre la prime et contre l’ensemble du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Nous le ferons non parce que nous refusons que des salariés puissent bénéficier de cette prime – car dans la situation qui est la leur tout est bon à prendre –, mais parce que nous voulons que vous sachiez et que nos concitoyens prennent pleinement conscience que la création de cette prime ne peut pas s’appeler un « partage des richesses ». Aux salariés, aux ouvriers, aux précaires, vous ne laissez que les miettes d’un gâteau que d’autres, les ultra-riches, les super-riches, s’accaparent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Mme Janine Rozier applaudit.)

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur la mesure phare du texte que nous examinons aujourd’hui, à savoir la prime aux salariés.

Cette prime, c’est une façon de reconnaître et de valoriser la part du travail salarié dans la réussite des entreprises, c’est admettre que les salariés méritent d’être récompensés au même titre que les actionnaires. (Mmes Janine Rozier et Françoise Henneron ainsi que Mlle Sophie Joissains applaudissent. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

L’idée de ce partage n’est pas nouvelle. En 1959 et en 1967, le général de Gaulle, convaincu qu’une voie française originale pouvait unir le capital et le travail, instaura deux régimes d’épargne salariale : l’intéressement et la participation.

Donner une prime aux salariés quand l’entreprise réussit, à côté des dividendes versés aux actionnaires, relève de la même philosophie, du même souci d’équité.

Cette mesure concernera un large public : 4 millions de salariés, soit un quart des salariés du secteur marchand.

Certains intervenants ont critiqué, du haut de cette tribune, le fait que tous les salariés ne percevront pas cette prime.

Mme Catherine Procaccia. Mais lorsque, dans une entreprise, une prime est accordée, elle est rarement uniforme et souvent seules certaines catégories de salariés en bénéficient. Pour avoir été, pendant trente-trois ans, salariée dans une entreprise privée – aucun des orateurs qui m’ont précédée n’a travaillé dans le secteur privé (Mmes Janine Rozier, Françoise Henneron et Marie-Thérèse Bruguière applaudissent.) –, je peux vous assurer que cette prime constitue une mesure exceptionnelle, qui sera appréciée, d’autant plus qu’elle ne pourra pas se substituer à une augmentation de salaire.

Mme Janine Rozier. Très bien !

Mme Catherine Procaccia. Quant aux salariés des entreprises en difficulté, ils sont suffisamment conscients pour savoir qu’il vaut mieux un emploi pérenne qu’une prime.

Mme Isabelle Pasquet. Un bon emploi est toujours préférable à une prime !

Mme Catherine Procaccia. La pérennité : c’est, selon moi, l’immense atout de cette disposition, car la reprise économique va enfin s’installer durablement dans les années à venir, et ceux qui en 2011 ne percevront rien pourront être concernés dans les années qui viennent.

On a entendu, vu et lu tant de choses diverses dans les médias que je tenais à rappeler ces quelques principes importants.

Vous savez aussi l’attachement que je porte à la négociation collective. C’est un autre « plus » de ce projet. Si la loi ne fixe pas le montant de la prime, c’est aussi pour laisser toute sa place à la négociation collective. Les partenaires sociaux sauront, eux, tenir compte de la réalité sociale et économique de l’entreprise. En cas d’échec, vous le savez, l’employeur décidera de façon unilatérale de l’attribution de la prime.

Rappelons d’ailleurs que cette négociation est obligatoire. Le refus de négocier est passible de sanction, au même titre que pour les autres négociations obligatoires dans l’entreprise.

Enfin, une clause de rendez-vous est prévue : dans deux ans, des adaptations seront possibles.

Je tiens maintenant à évoquer la situation particulière des PME de moins de 50 salariés pour qui le versement d’une prime sera non pas obligatoire, mais facultatif. Cela me paraît justifié, car un grand nombre de PME ne peuvent supporter les mêmes charges que les grandes entreprises.

Comme le Gouvernement, j’espère que cette prime sera l’occasion d’enclencher le mouvement de partage de la valeur ajoutée, car actuellement les dispositifs d’épargne salariale concernent surtout les entreprises de plus de 500 salariés. Dans ces entreprises, 76 % des salariés en bénéficient, contre seulement 13 % dans les entreprises de moins de 50 personnes.

Selon les membres du groupe UMP, le présent projet de loi est un signal fort pour les partenaires sociaux, qui doivent avancer sur la question de la rémunération et trouver un accord, afin de mieux partager la valeur ajoutée créée au sein des entreprises. Sinon, c’est clair, et le Gouvernement le prouve à travers ce texte, c’est le Gouvernement qui continuera à intervenir.

Avant de conclure, je voudrais dire un mot sur le choix d’introduire le dispositif dans le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Il s’explique sur le plan juridique, puisque l’absence de compensation de l’exonération accordée en cas de prime ne pouvait être décidée que par une loi de financement.

Mais, surtout, le choix du Gouvernement d’instaurer cette prime pour qu’elle soit effective dès 2011, sans attendre l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, est important. J’apprécie une telle décision.

Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, de votre détermination et de la part active que vous avez prise à ce projet.

Je tiens également à saluer la qualité – habituelle – du travail de notre rapporteur général, Alain Vasselle, qui, malgré sa forte suspicion de niche fiscale et sociale, a néanmoins accepté le principe de la prime dans l’intérêt des salariés.

M. Yves Daudigny. Il a du mérite !

M. Guy Fischer. Il est bien gentil !

Mme Catherine Procaccia. Les membres du groupe UMP voteront le présent projet de loi, qui va permettre cette année à 4 millions de salariés, soit, si l’on prend en compte toutes les familles concernées, 10 à 12 millions de personnes, de voir leur pouvoir d’achat augmenter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention ne concernera que la prime de 1 000 euros intégrée dans le présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.

Permettez-moi de vous faire remarquer que le problème lié au partage des augmentations de richesses entre les entreprises et les salariés ne peut pas être correctement réglé par la distribution d’une prime attribuée uniquement en cas d’augmentation des dividendes et dépourvue de tout lien avec la variation des profits. Le versement d’une telle prime dépend non pas de l’ensemble des bénéfices réalisés, mais uniquement de la volonté des actionnaires de distribuer plus de dividendes. Si les actionnaires ne décident pas une telle hausse, les salariés n’auront rien, ce qui, selon moi, n’est pas du tout normal.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Serge Dassault. En réalité, les salariés français souhaitent une augmentation substantielle de leur réserve de participation afin de pouvoir bénéficier d’une hausse de leur pouvoir d’achat ou de leur capacité d’épargne.

Si cette prime était instaurée, ils devront espérer une augmentation des dividendes, et ce peut-être en vain, en cette période de difficultés économiques. En attendant, ils n’auront rien de plus. Ils ne pourront plus dire qu’ils travaillent non pas uniquement pour leur patron mais aussi pour eux.

C’est pourquoi, en attendant une réforme plus complète de la participation, que je souhaite depuis longtemps, comme l’a dit M. Fischer, je voudrais vous proposer une alternative mise à la disposition des entreprises de plus de cinquante salariés, solution d’ailleurs prévue à l’article 10 du présent projet de loi. Ou bien ces sociétés choisissent d’appliquer la prime telle que la propose le Gouvernement, ou bien elles décident d’augmenter d’au moins 20 % la réserve légale de participation et ne sont plus concernées par la prime, quelle que soit du reste la variation des dividendes. Cette proposition, je vous l’affirme, a l’agrément du MEDEF.

Pour ma part, et à regret sans succès, je souhaitais que l’augmentation de la réserve légale de participation soit supérieure à 20 %. Cependant, libre aux entreprises d’aller au-delà de ce pourcentage, sans aucune contrainte.

Comme l’a également rappelé M. Fischer, tel est d’ores et déjà mon choix, car je distribue chaque année le tiers des bénéfices à tous les salariés de Dassault Aviation. Vous pouvez le constater, mes chers collègues, avant de formuler devant vous des propositions, je les applique dans ma propre société. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, et M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Serge Dassault. Je vous présenterai ultérieurement un amendement allant dans le sens de l’alternative que je viens de vous exposer. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le présent projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale est une première. Doit-on s’en féliciter ? Le recours qu’y fait aujourd’hui le Gouvernement a l’avantage de présenter et de conserver une vision d’ensemble des comptes. Mais il en révèle dans le même temps le décalage, la disproportion et l’incohérence.

Relevons, tout d’abord, le décalage inquiétant entre l’autocongratulation que se prodigue le Gouvernement ou le compliment qui lui est fait sur le respect des règles, qu’il s’agisse de l’application anticipée de celle que prévoit le projet de loi constitutionnelle – une loi qui ne verra d’ailleurs vraisemblablement jamais le jour – et dont on a déjà dit ce que l’on pensait de son utilité sur les déficits, ou de celle de l’ONDAM, et le traitement – plus précisément l’absence de traitement – de la question de fond, à savoir celle des déficits sociaux.

Notons ensuite la contradiction majeure entre les discours et les engagements de maîtrise des déficits et, parallèlement, la création de nouvelles niches sociales adossées à la prime en cause.

Signalons enfin la disproportion entre l’ampleur des enjeux financiers que retracent les tableaux visés aux articles 2 à 15 pour l’avenir de notre protection sociale et la modestie de ceux de la prime dont l’article 1er pose le principe et les modalités de mise en œuvre.

Il existe en effet un décalage étonnant entre la multiplication des règles, des objectifs, des indicateurs de performance, qui peuvent être utiles en eux-mêmes mais n’en restent pas moins de simples instruments de mesures, et le défaut de volonté politique d’agir au fond.

Lors de l’examen des trois derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, nous n’avons pu que constater le refus de ce gouvernement de prendre quelque décision que ce soit ou d’adopter une quelconque de nos propositions, y compris de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, propres à réduire le déficit structurel.

M. Xavier Bertrand, ministre. Et la réforme des retraites ?

M. Yves Daudigny. L’ensemble du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse a connu un déficit historique de 28 milliards d’euros au cours de l’année 2010, soit une dégradation de 4,5 milliards d’euros par rapport à 2009. L’année 2011 devrait connaître une amélioration de 1,6 milliard d’euros.

Mais pour s’en réjouir, il faudrait s’abstenir de détailler les comptes et ne pas remarquer que cette amélioration table sur 400 millions d’euros de recettes au titre de la prime qui figure à l’article 1er, sur la base d’une évaluation du nombre de salariés bénéficiaires potentiels de 4 millions, d’autres estimations établissant ce nombre à 1 million. De même, il ne faudrait pas tenir compte de la suppression de 500 millions d’euros au détriment de la branche famille.

Il faudrait aussi oublier que, cette année encore, le déficit est transféré à la CADES,…

M. Guy Fischer. Et ce n’est pas fini ! M. le rapporteur général l’a déjà annoncé !

M. Yves Daudigny. … caisse dont ce gouvernement a prolongé l’existence, malgré une date butoir qu’il avait lui-même précédemment fixée.

Il faudrait également ne pas prendre en considération le prix payé sur le plan humain par les patients du point de vue de leur santé face à l’accentuation des inégalités sanitaires, à l’explosion des dépassements d’honoraires, qui sont passés en moyenne de 37 % en 2000 à 54 % en 2010, associés à l’augmentation des franchises et des forfaits.

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

M. Yves Daudigny. Le taux de couverture du régime général est tombé à 55 %, hors ALD et hors transferts sur les assurances complémentaires.

Il ne faudrait pas prendre davantage connaissance du rapport 2009-2010 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Il faudrait être aveugle aux situations que l’on rencontre dans nos départements. En cet instant, je souhaite attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la détresse de quelques familles confrontées au non-remboursement des frais de transport qu’elles doivent engager afin de se rendre dans certains établissements de soins.

L’ONDAM est certes respecté et maintenu à l’article 11 du présent projet de loi à 2,9 %, mais c’est à ce prix-là ! Et les déficits demeurent ! Celui du régime général s’élèverait encore à 17,7 milliards en 2014. Nous devons donc rétablir l’appréciation de l’ONDAM à sa juste valeur, celle d’un simple indicateur et nous rappeler que, entre 1997 et 2002, si l’ONDAM n’était pas respecté, les finances sociales étaient votées à l’équilibre.

Outre le décalage entre l’apparente rigueur de la forme et le laisser-faire de fond, ce projet de loi rectificative recèle aussi une contradiction majeure due à la création d’une nouvelle niche fiscale, qui viendrait s’ajouter à toutes celles qui privent déjà le budget de l’État et de la sécurité sociale de près de 120 milliards d’euros.

Et pourtant, la Cour des comptes, le Conseil des prélèvements obligatoires, le président Michel Camdessus lui-même vous exhortent à en finir avec ces exonérations et exemptions d’assiette qui ruinent nos finances publiques. La loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 vous l’impose même.

L’annexe 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale dénombre quarante-trois mesures d’exonération et vingt-six autres d’exemption d’assiette. Le Gouvernement devait procéder, pour le 30 juin, à une évaluation du coût et de l’efficacité de chacun de ces dispositifs. Mais sans attendre, vous entendez ajouter encore une mesure, non compensée au surplus !

Décalage, contradiction, disproportion aussi entre le recours à un instrument juridique qui devait rester l’exception, en cas de « modifications importantes et brutales de contexte de santé publique [...] d’une évolution économique ou d’une dérive des finances sociales d’une telle ampleur que les objectifs votés seraient devenus caducs », selon les paroles mêmes de Jacques Barrot, alors ministre du travail et des affaires sociales en 1996, et l’instauration du principe d’une prime salariale qui bénéficierait, au mieux, à 4 millions des 17 millions de salariés que compte le secteur privé, tout artisan ou agent de la fonction publique en étant exclu.

Le mois de mai coïncide avec la saison des dividendes. Après une très mauvaise année 2009, les bénéfices cumulés des sociétés du CAC 40 ont bondi en 2010 de 84 %, ce qui représente 82,3 milliards d’euros. Un hebdomadaire qui a calculé le coût de cette prime pour les patrons sur la base d’un montant effectif de 1 000 euros – or nous savons qu’il sera inférieur peut-être de moitié, voire atteindra 700 euros – a estimé que « la mesure coûterait à peine 800 millions à la crème industrielle française, soit 1 % de leurs bénéfices ».

Disproportion encore entre les déclarations initiales – « Tout le monde, tous les salariés qui participent à l’augmentation de richesses de leurs entreprises doivent pouvoir bénéficier de ce dispositif » – et le résultat. Il est vrai qu’il était aussi affirmé : « Il s’agira d’un dispositif simple ». Mais cela personne ne l’avait cru.

En réalité, avec cette prime indexée sur les dividendes, exonérée de cotisations sociales, non compensée par l’État, vous revisitez simplement la participation qui existe déjà, mais en la rendant plus complexe, plus coûteuse, plus hypothétique et, surtout, plus injuste.