Sommaire

PrÉsidence de M. Jean-Patrick courtois

1. Procès-verbal

2. Dépôt de documents

3. Débat sur la réforme portuaire

M. Charles Revet, au nom de la commission de l’économie.

M. Robert Navarro, Mme Isabelle Pasquet, MM. Jean-Claude Merceron, Christian Bourquin, André Trillard, Mme Odette Herviaux, MM. Joël Labbé, Yannick Vaugrenard.

MM. Thierry Mariani, ministre chargé des transports ; Daniel Raoul, président de la commission de l’économie.

4. Débat sur la couverture numérique du territoire

M. Hervé Maurey, au nom de la commission de l’économie.

Mme Mireille Schurch, MM. Raymond Vall, Bruno Retailleau, Michel Teston, Daniel Dubois, Philippe Leroy, Jean-Paul Amoudry, Mme Bernadette Bourzai, M. Pierre Hérisson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Yves Rome, Jean-François Husson, Xavier Pintat, Bruno Sido.

MM. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique ; Hervé Maurey.

5. Contestation de l'élection d'un sénateur

6. Communication du Conseil constitutionnel

7. Ordre du jour

compte rendu intégral

PrÉsidence de M. Jean-Patrick courtois

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt de documents

M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat :

- en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant à la convention entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « Initiatives d’excellence en formations innovantes », publiée au Journal officiel du 26 septembre 2010 ;

- en application de l’article 46 de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le rapport sur l’opportunité d’asseoir la taxe d’enlèvement des ordures ménagères sur la taxe d’habitation.

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Le premier a été transmis à la commission des finances, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, le second à la commission des finances et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

3

Débat sur la réforme portuaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme portuaire.

La parole est à M. Charles Revet, au nom de la commission de l’économie.

M. Charles Revet, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 6 juillet dernier, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire adoptait à l’unanimité le rapport du groupe de travail sur la réforme portuaire, que j’ai eu l’honneur de présider.

Ce vote unanime témoigne de la convergence de vues entre les sénateurs, toutes tendances politiques confondues, sur le sujet essentiel de la relance de nos ports. Je salue à cette occasion l’implication de mes collègues membres du groupe de travail : Mme Odette Herviaux, MM. Louis Nègre, René Vestri, Jean-Claude Merceron, Robert Navarro et Gérard Le Cam. Je voudrais également rendre hommage à M. Jean-Paul Emorine, ancien président de la commission au nom de laquelle je m’exprime, qui avait souhaité mettre en place ce groupe de travail, et à M. Daniel Raoul, nouveau président de cette commission, qui partage la même ambition pour le développement de nos ports.

Le groupe de travail s’était fixé comme objectif de dresser un premier bilan de l’application de la loi de 2008 – texte que je connais bien pour en avoir été le rapporteur au Sénat – trois ans après son adoption, puis de formuler des recommandations pour relancer nos ports à partir des exemples étrangers. Pour ce faire, nous avons effectué de nombreux déplacements en France, à Marseille, à Sète, au Havre, à Nantes-Saint-Nazaire, à Dunkerque, à Rouen ; nous sommes également allés à Hambourg, à Rotterdam, à Tanger et à Algesiras.

La philosophie de notre démarche était simple : nous avons réfléchi sur les structures, sans jamais tomber dans la facilité d’accuser tel ou tel responsable, pour décortiquer les causes objectives du déclin des ports français et trouver des remèdes.

Pourquoi parle-t-on de déclin des ports français ?

Il faut ici rappeler quelques faits cruels pour notre pays : le tonnage total du port de Rotterdam, champion européen avec 430 millions de tonnes, équivaut pratiquement au double de celui, cumulé, de nos sept grands ports maritimes ! Le port de Marseille, premier de France et de la Méditerranée, n’occupe plus que le cinquième rang en Europe pour son trafic global et ne figure qu’à la treizième place européenne pour les conteneurs. Quant au port du Havre, premier de France pour les conteneurs et porte d’entrée naturelle pour la région parisienne, il n’arrive qu’à la huitième place européenne, loin derrière les grands ports d’Europe du Nord, si bien que le trafic normand de conteneurs représente seulement le quart de celui d’Anvers ou de Hambourg et le cinquième de celui de Rotterdam.

Ce déclin est inacceptable, car la France dispose d’atouts remarquables. Elle possède la plus grande zone économique maritime au monde, juste après celle des États-Unis, quatre façades maritimes exceptionnelles, le plus long linéaire côtier d’Europe et des accès nautiques aisés. Enfin, les ports de Marseille et du Havre détiennent une position géographique, donc stratégique, sans équivalent à l’étranger.

La loi du 4 juillet 2008 avait précisément pour objet de mettre un terme à ce paradoxe français, véritable aberration économique, sociale et environnementale pour notre pays. Deux grands objectifs étaient visés.

Premièrement, il s'agissait d’unifier la chaîne de commandement pour la manutention et de mettre fin à la séparation entre la manutention dite « verticale » pour charger et décharger les navires, assurée par les portiqueurs et les grutiers, qui sont des salariés des établissements publics portuaires, et la manutention dite « horizontale », assurée par les dockers, qui sont des salariés des entreprises de manutention. Pour ce faire, il fallait vendre tous les outillages portuaires aux entreprises de manutention et transférer les quelque 1 000 salariés du public vers les entreprises de manutention.

Deuxièmement, il s’agissait de moderniser la gouvernance des ports, en créant notamment un directoire, un conseil de surveillance et un conseil de développement.

La loi de 2008 était ciblée, moderne et pragmatique.

Elle était ciblée, car elle ne visait que les sept ports autonomes – Dunkerque, Rouen, Le Havre, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Marseille-Fos –, devenus « grands ports maritimes ». Les ports décentralisés et les ports fluviaux étaient donc exclus du champ de la loi.

Elle était moderne, puisqu’elle unifiait justement la chaîne de commandement de la manutention et mettait fin à une singularité française en Europe.

Elle était pragmatique, enfin, parce qu’elle donnait la priorité à la négociation avec les entreprises pour la vente des outillages et avec les syndicats pour le transfert des personnels.

Quel bilan peut-on tirer de l’application de la loi ?

Schématiquement, le Gouvernement a pris rapidement les décrets d’application, ce qui n’est pas courant. Les difficultés se sont concentrées sur les négociations relatives au transfert du personnel.

M. Thierry Mariani, ministre. C’est vrai !

M. Charles Revet. Un accord-cadre avait été conclu en octobre 2008, et il devait être décliné port par port pour régler les conventions de détachement de chaque salarié. Toutefois, les négociations ont été très tendues, à cause du doute sur la participation financière de l’État au dispositif et de la réforme des retraites qui s’est déroulée en parallèle.

Finalement, la nouvelle convention collective unifiée, les accords de pénibilité et les accords locaux de détachement ont été signés le même jour, le 15 avril 2011. Aujourd’hui, sur les 1 000 personnes concernées par cette évolution, environ 900 ont été effectivement transférées vers des entreprises privées, les autres ayant bénéficié du dispositif de cessation anticipée d’activité.

La loi votée il y a trois ans n’est donc effective que depuis juin dernier seulement. À l’évidence, il faudra des mois, voire des années, pour en ressentir tous les bienfaits. Pour autant, doit-on considérer que cette loi, aussi importante soit-elle, suffira à relancer nos ports ? Peut-on encore attendre, alors que nous avons déjà accumulé tant de retard ? Non, car les causes du déclin des ports français que nous avions identifiées en 2008 restent malheureusement d’actualité. Il n’existe pas une unique raison au déclin de nos ports, mais au moins quatre.

Premièrement, l’État stratège est faible. Le groupe de travail lui fait cinq reproches : il n’a pas mis en œuvre une politique ambitieuse d’investissements portuaires ; il s’est désengagé de ses obligations financières pour l’entretien des accès maritimes des ports ; il n’a pas allégé sa tutelle depuis 2008 ; il n’a toujours pas défini sa politique de dividendes ; surtout, il a failli dans l’organisation des dessertes des ports pour irriguer efficacement l’hinterland de ces derniers.

Deuxièmement, nos ports manquent de fiabilité. Ce problème est bien connu et ne doit pas être occulté, même s’il a concerné essentiellement les portiqueurs et les grutiers, et peu les dockers.

Troisièmement, les ports manquent d’ancrage sur les territoires. La nouvelle gouvernance était censée donner plus d’autonomie de décision. Manifestement, il n’en est rien et aucun projet important ne peut être engagé sans l’aval de l’État. Le statut des ports a changé, mais leur fonctionnement reste très sensiblement ce qu’il était avant la réforme.

Quatrièmement et enfin, la concurrence est faussée sur les places portuaires. Cette situation est peu connue de l’opinion publique, mais l’Autorité de la concurrence a récemment condamné des entreprises de manutention portuaire et des autorités portuaires pour entorse à la libre concurrence. Du reste, la Commission européenne vient d’ouvrir une enquête sur de possibles ententes illicites entre armateurs européens, dans sept pays de l’Union.

Comme vous le voyez, mes chers collègues, les causes du déclin des ports sont nombreuses. Les forces d’inertie existent à tous les niveaux, et il revient au pouvoir politique de prendre des mesures volontaristes pour relancer les ports.

C’est pourquoi le groupe de travail s’est rendu à l’étranger pour prendre le pouls de la compétition internationale. Nous en avons tiré trois grands enseignements.

Premier enseignement, les autorités portuaires ont adopté une gouvernance entrepreneuriale, placée sous le contrôle des pouvoirs locaux plutôt que nationaux, même lorsque, comme en Espagne, l’État est propriétaire des ports.

Deuxième enseignement, l’heure est aux investissements à grande échelle et à l’aménagement du territoire au service d’une économie maritime forte. Pour ne prendre qu’un exemple, les investissements à Rotterdam s’élèvent à 3 milliards d’euros pour le projet Maasvlakte 2, qui consiste à gagner vingt kilomètres carrés sur la mer.

Troisième enseignement, les ports concurrents offrent des services complets et intégrés, du transbordement à la desserte rapide vers l’arrière-pays, avec des équipes commerciales particulièrement importantes et sans commune mesure avec celles de nos grands ports maritimes.

J’en viens maintenant aux quinze propositions du groupe de travail, qui s’articulent selon quatre grands axes.

Le premier consiste à élaborer pour nos ports une stratégie nationale, qui s’inspire de ce qui a manifestement fait la réussite des ports étrangers visités par nous, les deux mots maîtres étant « proximité » et « autonomie ».

Malgré l’engagement des hommes et des femmes que nous avons pu rencontrer dans les ports français, force est de constater que la lourdeur des processus de décision administrative bloque le développement de ces derniers ; j’insiste beaucoup sur ce point.

Nous proposons donc de décentraliser les ports grâce à une réforme à deux étages.

Le premier étage est la poursuite et l’extension aux grands ports maritimes du mouvement de décentralisation des ports amorcé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. Cette décentralisation s’opérerait au cas par cas, de manière pragmatique, et sans idéologie car elle ferait l’objet d’une concertation.

Il nous faut repenser le système de gouvernance. Bien entendu, l’État doit conserver une mission essentielle, mais il est indispensable de donner une place plus importante aux acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités ou des organismes économiques. Ceux-ci sont en effet directement concernés, au titre tant de l’aménagement du territoire que du développement économique et de l’emploi qui en découle. La nouvelle entité portuaire gestionnaire devrait avoir pleine compétence pour la stratégie de développement, la maîtrise d’ouvrage des travaux et le financement. C’est ce qui a été mis en place en Espagne, où les ports sont propriété de l’État mais fonctionnent de manière décentralisée.

L’État conserverait la mission de police portuaire, mais aussi celle de coordination entre les ports. La compensation financière de l’État serait garantie, tant pour le volet fonctionnement que pour le volet investissement, et indexée sur la dotation globale de décentralisation.

Le second étage du changement de gouvernance consiste à créer des conseils de coordination portuaire élargis et aux pouvoirs renforcés, dont relèveraient les grands ports maritimes décentralisés, les ports fluviaux pertinents, mais aussi les ports secondaires, ce qui constituerait une nouveauté par rapport au droit en vigueur. La mission de ces conseils élargis serait double : fixer les grandes orientations stratégiques portuaires et coordonner les investissements entre les ports. L’État aurait sa place dans les grands ports décentralisés et dans les conseils de coordination élargis, mais il ne détiendrait plus la majorité des voix.

Nous proposons également d’encourager les investissements portuaires en créant des sociétés de développement local, afin que les collectivités territoriales tirent un avantage financier de leur participation au projet des ports. En effet, ces participations se font aujourd’hui à fonds perdus, pour ainsi dire, sous forme de subventions publiques, ce qui n’incite pas les collectivités territoriales à s’intéresser au développement des ports.

Par ailleurs, il convient d’élaborer une stratégie nationale de coordination portuaire qui soit cohérente avec le schéma national des infrastructures de transport, le SNIT. L’Allemagne a ainsi, en 2008, établi une « feuille de route » et fixé des objectifs clairs à ses ports ; nous devons suivre cet exemple.

Le deuxième axe vise à donner à l’État un rôle de coordonnateur et de facilitateur.

Concrètement, les ports doivent avoir la maîtrise de leur politique foncière grâce à des schémas d’aménagement stratégique qui accordent au développement économique des ports le même degré de priorité qu’à la protection de la biodiversité. S’il nous faut bien sûr préserver les zones sensibles au regard de la faune et de la flore qu’elles abritent ou du caractère exceptionnel d’un site, nous devons également déterminer les espaces appropriés et indispensables au développement économique.

Sans doute est-il déjà possible, même sur un site protégé, de réaliser des projets de développement économique. Toutefois, la lourdeur des procédures qu’implique ce classement retarde souvent de plusieurs années la finalisation des projets, ce qui constitue un handicap majeur face à la concurrence à laquelle nos ports sont confrontés.

Il est urgent d’établir, pour l’ensemble des axes relevant du développement de nos grands ports maritimes, des schémas globaux, avec, en parallèle, un classement des espaces concernés. Nous disposons aujourd’hui de tous les éléments pour mener à bien ces opérations dans des délais contraints. Cela est plus qu’urgent, compte tenu du retard que nous avons accumulé par rapport à nos concurrents étrangers. Nous ne sommes plus à l’heure des études ou des colloques, mais à celle de l’action concrète. Il nous faut fixer des objectifs ambitieux, à l’image de ceux des autres ports européens, et nous donner les moyens de nos ambitions.

Nous souhaitons également que le recours aux procédures dérogatoires soit encouragé pour réaliser les projets des ports, de Réseau ferré de France et de Voies navigables de France. Je pense notamment à la procédure des projets d’intérêt général, qui a été retenue dans le cadre de la loi relative au Grand Paris.

Il est en outre nécessaire, monsieur le ministre, de modifier rapidement la réglementation des affaires maritimes, afin de permettre la desserte de Port 2000 par des barges fluviales. Nos règles sont trop complexes, plus sévères que celles qui s’appliquent en Belgique, et elles pénalisent notre transport fluvial.

Attribuer à l’État ce rôle de coordonnateur et de facilitateur implique de poursuivre la modernisation des services douaniers, en particulier en termes de communication. D’importants efforts ont été réalisés depuis 2007, notamment en matière de régime de la TVA à l’import. Cependant, ces efforts, qui doivent être approfondis, sont méconnus des entreprises, tant et si bien que l’OCDE recommande, dans un rapport récent consacré à la compétitivité des ports français, de « résoudre les obstacles à une échelle nationale, comme pour la perception de la TVA aux frontières qui pénalise les ports français par rapport aux ports belges et néerlandais ». Depuis 2004, les services douaniers ont pris des mesures qui vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas suffisamment connues de nos entreprises.

Le développement des entreprises de manutention et des zones logistiques doit également être encouragé, notamment par la création de zones franches douanières. Pour l’heure, il n’en existe qu’une seule dans notre pays, située à Bordeaux, or l’instauration de telles zones est très positive pour l’attractivité de nos ports. Je rappelle que les grands ports maritimes représentent aujourd’hui 225 000 emplois directs, indirects et induits, et que, si l’on réussissait à doubler le nombre de conteneurs traités en France – nous demeurerions alors très loin de ce qui se fait à l’étranger –, on créerait environ 30 000 emplois. Bien entendu, avec davantage d’ambition, nous pourrions espérer beaucoup plus.

Le troisième axe de réflexion du groupe de travail porte sur la nécessité de garantir une desserte de qualité de l’arrière-pays des ports par le fer, le fleuve et la route. C’est en effet actuellement l’un des gros points faibles de nos ports, alors même que, selon un adage bien connu, « la bataille de la mer se joue à terre ».

La mise en place d’une desserte de qualité passe par une meilleure représentation des opérateurs de transport ferroviaire, fluvial et routier dans les conseils de surveillance des ports, afin de favoriser le transport ferroviaire et fluvial et de mieux coordonner les investissements. Il faut à tout prix éviter de répéter « l’erreur historique » de Port 2000, projet qui a été conçu sans que soient pris en compte, en parallèle, les transports fluvial et ferroviaire. Ainsi, lorsque la première tranche de Port 2000 a été inaugurée par M. Perben, aucun train ni aucune barge ne pouvait y accéder directement. Pourtant, selon les techniciens, des aménagements simples et peu coûteux, tels que la création d’une chatière, permettraient un accès direct des barges au port toute l’année et par tout temps.

L’amélioration de la desserte de l’arrière-pays des ports passe aussi par une réforme radicale de la gestion des sillons ferroviaires, par la création systématique, dans chaque port, d’opérateurs ferroviaires de proximité, et par la mise en place rapide des corridors de fret ferroviaire européens, comme l’impose un règlement européen de septembre 2010.

Quant au transport fluvial, son renouveau implique d’autoriser la navigation en permanence sur le réseau magistral, notamment sur la Seine, et d’imposer un tarif unique pour les manutentionnaires portuaires, quel que soit le mode d’acheminement retenu pour les marchandises. Cette mutualisation des prix est en vigueur dans le nord de l’Europe, où elle rencontre un grand succès. Encore faut-il que les nouveaux contrats proposés par les ports avec les armateurs comprennent de telles clauses incitatives…

Il faut en outre encourager le développement des ports secondaires et des ports fluviaux, par une harmonisation fiscale et une réforme de la gouvernance et de la manutention, car ces ports sont indispensables pour relayer le développement des locomotives que sont les grands ports.

Le quatrième et dernier axe de nos réflexions a trait à l’amélioration du fonctionnement des ports.

Il faut créer dans chaque port une équipe de promotion commerciale dédiée à l’international et mieux anticiper les investissements futurs. À cet égard, je ne peux que regretter le retard pris par le Gouvernement dans l’élaboration du rapport sur les nouvelles installations portuaires en vallée de Seine que j’avais demandé lors de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris ; monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur ce point.

Il convient également de garantir une saine et loyale concurrence dans les ports, notamment ultramarins, par exemple en créant une entreprise privée à capitaux publics spécialisée dans la manutention des conteneurs et qui ne soit pas affiliée à un armateur en particulier. La concentration dans le domaine du transport maritime, qui conduit à ce que des opérateurs maîtrisent, au travers de filiales, les opérations de manutention, peut aboutir à dissuader certains armateurs de choisir nos ports pour faire accoster leurs navires. Là aussi, l’organisation mise en place dans certains ports étrangers mérite que l’on s’en inspire ; je pense notamment à HHLA pour le port de Hambourg.

Monsieur le ministre, la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire a été une avancée incontestable, mais son application a montré ses limites. Tous, sur l’ensemble des travées de cet hémicycle, nous ne pouvons que constater l’immense retard pris par nos grands ports maritimes sur leurs concurrents étrangers. Il est inacceptable, je le répète, que nous soyons aujourd’hui les derniers, et de loin, alors que nous disposons du meilleur positionnement géographique, et donc stratégique, tant au nord qu’au sud de l’Europe. Il nous revient de savoir développer ces atouts en remédiant par la loi aux insuffisances ou aux incohérences que nous avons constatées.

Il y a urgence, car les autres grands ports investissent afin d’être prêts pour le redémarrage économique qui interviendra à un moment ou à un autre. Les grands opérateurs se positionnent en fonction des conditions d’accueil qui leur sont proposées. Dans cette perspective, nous devons apporter une réponse qui les incite à choisir les ports français, s'agissant tant du fonctionnement que des moyens disponibles pour l’acheminement. C’est dans cet esprit que nous avons rédigé notre rapport ; c’est dans cet esprit que nous avons élaboré les suggestions qui nous paraissent indispensables en vue d’engager la relance de nos ports. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Navarro.

M. Robert Navarro. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens en préambule à me féliciter à mon tour de l’esprit dans lequel a été menée la réflexion du groupe de travail sur la réforme portuaire : son président, Charles Revet, a fait un excellent travail, grâce à son engagement et à sa liberté d’esprit.

Mes collègues Louis Nègre, René Vestri, Jean-Claude Merceron, Gérard Le Cam et Odette Herviaux ont tous eu une approche intelligente du dossier, que l’on ne peut que saluer : nous étions animés par le souci de la France, monsieur le ministre, et voulions accomplir un travail utile, propre à mettre un terme au déclin des ports français, qui n’est pas inéluctable.

Un sujet d’une telle importance mérite en effet que l’on fasse preuve de sérieux, car, derrière la question des ports, se cache celle de la place de la France dans le monde d’aujourd'hui. Être ou ne pas être une puissance dans le monde, tel est le dilemme que nous devons affronter. Dans cet esprit, les membres du groupe de travail ont souhaité se projeter dans l’avenir avec ambition.

J’ai une conviction personnelle : la situation des ports conditionne l’état de l’ensemble de notre économie ; ils en sont les poumons, les pivots, car leur rôle est central dans la vie de l’ensemble de nos filières industrielles, sachant que de 85 % à 90 % du commerce mondial se fait par la mer, et que l’Europe est l’une des premières destinations de ce trafic.

Face à la crise, et dans un contexte de montée du chômage, les ports sont une source de croissance et d’emplois inexploitée en France. Je ne comprends pas que, depuis des décennies, tous les gouvernements successifs aient négligé un tel atout pour enrichir notre pays et améliorer la situation de l’emploi.

Nous partageons tous un même constat.

Marseille, premier port de France, n’occupe plus que le cinquième rang à l’échelon européen pour son trafic global et ne figure qu’à la treizième place pour les conteneurs.

Le Havre, premier port français pour les conteneurs, n’arrive qu’au huitième rang européen, loin derrière les grands ports du continent, pour cette activité, qui est pourtant la plus stratégique, car créatrice d’emplois par effet d’entraînement sur l’implantation des entreprises.

Aujourd’hui, la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers. Ainsi, la moitié du million de conteneurs destinés chaque année à la région francilienne sont déchargés à Anvers, d’où ils arrivent par camion : c’est une absurdité économique et écologique totalement inacceptable.

Au-delà, c’est le déclin perpétuel de nos ports et de nos industries qui est inacceptable, car la France dispose d’atouts remarquables, comme l’a souligné Charles Revet.

Dans les analyses des raisons de ce déclin régulièrement présentées, le volet social est souvent l’arbre qui cache la forêt.

La première des causes du déclin, c’est la faiblesse de l’État stratège,…

M. René Garrec. Ça ne doit pas être la première…

M. Robert Navarro. … qui ne sait ni exploiter ni valoriser le potentiel de nos ports. Son manque d’engagement traduit son manque de vision stratégique : investissements, et pis entretien, font défaut depuis des décennies, sur fond de centralisation excessive. L’arrière-pays est également très insuffisamment irrigué, sur le plan tant fluvial que ferroviaire.

Organiser un Grenelle de l’environnement ne suffit pas ; il faut se donner les moyens de changer les choses ! Le manque d’ancrage sur les territoires constitue notre plus grande faiblesse par rapport à nos voisins européens. Depuis des années, nous attendons en vain la mise en place d’une nouvelle gouvernance dotant les ports de davantage d’autonomie. Aujourd’hui encore, aucun projet important ne peut être engagé sans l’aval de l’État.

Devant ce constat, notre groupe de travail a esquissé quinze propositions, consistant en mesures volontaristes pour « doper » nos ports maritimes et pour mettre à profit tout leur potentiel.

Ces mesures sont de deux types : les unes, d’ordre réglementaire et législatif, ont un coût nul ; les autres, d’ordre financier, comportent un volet « investissements » à la hauteur de l’enjeu.

Dans le secteur maritime plus encore que dans d’autres, les investissements reflètent notre vision d’une règle d’or dynamique et vertueuse, où dette et déficits n’affectent pas les dépenses d’avenir, les investissements porteurs de richesses futures.

Pour appuyer ces propositions, je ferai appel à mon expérience d’élu local, de vice-président chargé des transports d’une région à vocation profondément maritime, le Languedoc-Roussillon.

Pour la gouvernance des ports, comme dans bien d’autres secteurs, l’État doit donner la priorité aux collectivités territoriales. Nous devons modifier immédiatement le statut des grands ports maritimes afin de donner plus de poids aux collectivités territoriales concernées par le développement portuaire.

La France reste ce qu’elle est historiquement : un pays trop centralisé. Or, on le constate jour après jour, Paris a échoué à développer les ports.

Engager une véritable décentralisation des ports, à l’instar de ce que font nos voisins en Europe, est une solution : les autorités portuaires pourraient prendre la forme d’un établissement portuaire local ou d’un syndicat mixte, selon le choix des collectivités territoriales. Surtout, celles-ci doivent avoir un intérêt à investir dans les infrastructures portuaires : elles doivent profiter financièrement de leurs investissements.

Bien sûr, nous n’échapperons pas à la question des financements. Nous sommes les héritiers de décennies d’abandon. Une stratégie ambitieuse doit reposer sur un doublement – au minimum – des moyens et suppose que les investissements dans le ferroviaire et le fluvial soient en cohérence avec le développement maritime.

Or, monsieur le ministre, les contributions de l’État aux investissements portuaires dans le cadre du SNIT manquent cruellement d’ambition. Alors que le coût total des principaux projets de développement portuaire représente près de 3 milliards d’euros, la participation de l’État ne s’élèvera qu’à environ 400 millions d’euros, soit moins de 2 % de l’enveloppe globale consacrée aux nouvelles infrastructures, le solde provenant des régions et des autres collectivités territoriales ! Malgré le Grenelle de l’environnement, le gouvernement actuel privilégie donc toujours le « tout-routier »…

Pis, l’État n’a jamais remboursé l’intégralité des dépenses d’entretien et d’exploitation des accès maritimes – chenaux, écluses, dragages –, alors qu’il s’agit d’une obligation légale. Les sommes en jeu sont considérables !

Oui, les membres du groupe de travail plaident pour que les collectivités territoriales aient davantage de responsabilités dans le développement des ports, mais, bien sûr, ils n’en souhaitent pas moins que l’État paye ses dettes, compense ses manquements et ses errements !

En conclusion, j’insisterai sur deux points.

D’une part, un port doit être au service de son pays, car il n’est pas une fin en soi : cet équipement ne doit pas être refermé sur lui-même. Un port est un outil d’aménagement qui doit être ouvert sur les territoires et les entreprises, et contribuer au développement économique.

D’autre part, le déclassement des ports français n’est pas une fatalité : l’heure est à la mobilisation de tous pour que nos ports regagnent les parts de marché perdues. La Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne ont compris l’intérêt stratégique, pour ne pas dire vital, que représentent les ports pour l’économie : notre action doit être à la hauteur du potentiel que la géographie nous a offert.

Je fais ici un rêve – accessible –, celui d’une ambition pour les ports français : Marseille doit devenir dans dix ans le premier port méditerranéen pour les conteneurs et Le Havre doit concurrencer Anvers. Si nous gagnons ce pari, nous aurons fait œuvre utile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de lUCR.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent débat s’inscrit dans une suite de travaux destinés à tirer les leçons de l’application de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire.

En 2008, les sénateurs du groupe CRC-SPG s’étaient vivement opposés à cette réforme, dénonçant l’absence d’évaluation de celle de 1992 et considérant que les auteurs du projet de loi se trompaient de diagnostic. En effet, sous couvert de moderniser les ports, la nouvelle réforme achevait la privatisation de l’outillage public et le transfert des personnels.

D’ailleurs, dès 2010, Dominique Bussereau constatait une baisse générale des trafics, plus accentuée encore dans les ports français.

Il est remarquable que l’ensemble des documents sur le sujet, que ce soit le rapport du député Roland Blum relatif à la desserte ferroviaire et fluviale des grands ports maritimes français, le rapport annuel de la Cour des comptes de février 2011 ou le rapport d’information sur le schéma national des infrastructures de transport, convergent pour souligner les faiblesses de la réforme, imputées tantôt aux mouvements sociaux, tantôt au manque d’investissements étatiques dans les infrastructures portuaires.

Le rapport d’information adopté par la commission des affaires économiques en juillet dernier confirme ces critiques, en constatant que « la réforme ne suffira pas à enrayer le déclin des ports français ».

Le rapport du groupe de travail attribue quatre causes principales à ce déclin : la faiblesse de l’État stratège, le manque de fiabilité récurrent, l’ancrage territorial insuffisant de la gouvernance des ports, la concurrence faussée sur les places portuaires.

Si nous partageons un certain nombre de constats, l’analyse des causes et celle des politiques à mettre en œuvre nous conduisent, encore une fois, à plus de sévérité dans l’appréciation des effets de la réforme sur la situation de nos grands ports.

En mai 2009, le Sénat avait été saisi d’une question orale avec débat de Charles Revet sur le bilan de l’application de la loi portant réforme portuaire. À cette occasion, mon collègue Thierry Foucaud avait formulé un certain nombre de remarques qui, malheureusement, restent d’actualité, s’agissant notamment de la faiblesse des investissements dans le développement portuaire ou du retard pris dans la réalisation des aménagements et infrastructures permettant l’intermodalité.

Sur le premier point, le groupe de suivi du SNIT a constaté que les dépenses de développement portuaire sont « modestes ». Elles représentent en effet moins de 2 % de l’enveloppe globale consacrée aux nouvelles infrastructures dans le cadre du SNIT. Plus précisément, le rapport souligne la faiblesse des montants qui seront consacrés aux ports sur les trois prochaines décennies, en les comparant aux 3 milliards d’euros investis dans le port de Rotterdam ou encore au milliard d’euros consacré au projet Port 2000 du Havre, engagé par Jean-Claude Gayssot.

Ce qui manque à nos ports, c’est donc un niveau d’investissements publics suffisant, permettant d’accompagner les installations portuaires dans la reconquête de parts de marché et d’assurer le respect des engagements pris par l’État au titre du Grenelle de l’environnement et du Grenelle de la mer.

Quand on sait que le SNIT n’est financé qu’à hauteur de 30 % par l’État, on peut émettre des doutes quant à la réalité de la volonté de ce dernier d’améliorer la desserte des ports. Le désengagement de l’État pèse évidemment sur les collectivités locales, qui, dans la mesure où elles ne touchent aucun dividende, investissent à fonds perdus. Dans ce contexte, le renforcement de la participation des collectivités locales ne va pas sans nous inquiéter. L’État compenserait le transfert par une dotation calculée sur la base de la moyenne des investissements des dix dernières années ; cette compensation sera donc loin d’être suffisante.

Cela me conduit à aborder un autre aspect de la question : la gestion de l’arrière-pays des ports. La bataille maritime se gagne aussi à terre : ce principe admis par tous, les ports du nord de l’Europe l’ont mis en œuvre bien avant nous !

Ainsi, dans son rapport public annuel de 2011, la Cour des comptes fait l’observation suivante au sujet du grand port de Marseille : « Le GPPM n’est pas suffisamment intégré avec son arrière-pays, et ce dernier manque lui-même, au plan économique, de la vitalité nécessaire. Or, l’une des grandes forces des principaux concurrents de Marseille, en particulier des ports nord-européens, de Barcelone ou encore de Gênes, est de disposer de connexions étroites et multiples (commerciales, ferroviaires, routières, fluviales, etc.) avec un arrière-pays économiquement puissant et dynamique. Pour les grands ports européens, la bataille économique se livre désormais entre des “systèmes intégrés” et elle se gagne autant à terre que sur mer. »

Or, cette bataille, faute de politique d’envergure en matière tant de transport – plus particulièrement de fret fluvial et ferroviaire – que d’industrie, nous sommes en train de la perdre.

Sur le plan des transports, la situation est critique. Dans son rapport remis au Premier ministre, le député Roland Blum note, en ce qui concerne Marseille, qu’il est indispensable de renforcer la capacité de l’infrastructure pour que le port soit en mesure de massifier les trafics. Or, la voie unique Vigueirat - Graveleau, utilisée malgré la crise à pleine capacité, n’a pas encore été doublée. Cette absence d’investissement constitue, bien entendu, un frein à la mise en service de nouveaux terminaux.

Je rappelle que notre pays s’est assigné un double objectif : avoir fait passer la part du fret non routier et non aérien de 14 % à 25 % à l’échéance de 2022 ; atteindre, d’ici à 2012, une croissance de 25 % de ladite part modale. En outre, concernant plus particulièrement les places portuaires, un objectif ambitieux est posé : doubler la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015.

Alors qu’atteindre ces objectifs suppose la mise en place de politiques d’aménagement du territoire ambitieuses et un développement du fret ferroviaire, qui constitue un atout majeur pour le renforcement de l’attractivité et de la compétitivité des territoires, le Gouvernement a, au contraire, organisé la « casse » du transport de marchandises par le rail !

La SNCF a ainsi prévu de fermer de nombreuses gares de triage à gravité ou, au mieux, de les transformer en gares de triage à plat, technique beaucoup moins performante : la gare de Miramas, l’une des principales plateformes françaises de triage à gravité, a failli subir un tel sort ; finalement, elle a été sauvée grâce à la lutte des salariés.

Pour que nos ports retrouvent leur place parmi les grands ports internationaux, la France doit donc s’engager dans une véritable politique portuaire et de transport maritime, et non pas entretenir l’illusion que l’initiative privée serait plus efficace que l’action publique.

Nos ports, s’ils présentent des faiblesses, disposent également d’atouts. Ils assument une mission d’intérêt général en étant au service de l’économie de leur région d’implantation. Privatiser les ports, c’est renoncer à cette mission. M. Revet a fait état, dans le rapport d’information, du « gel » organisé par un opérateur privé dans le port de Dunkerque, au profit du port d’Anvers.

Il faut également veiller à ce que nos territoires ne soient pas mis en concurrence entre eux, quelques-uns seulement bénéficiant des infrastructures de transport tandis que d’autres, plus isolés, verraient leur activité économique, notamment industrielle, mise en danger.

Il faut regagner en cohérence dans la mise en œuvre des grands projets d’aménagement. Il ne semble pas logique, à titre d’exemple, que le conseil de coordination interportuaire ait été à ce point mis à l’écart du projet de canal Seine-Nord Europe.

En ce qui concerne les salariés des ports, il nous semble tout à fait déraisonnable d’imputer l’échec de la réforme portuaire aux seuls mouvements sociaux qui ont animé les ports en raison, en particulier, de cette dernière et de la réforme des retraites.

Les problèmes de productivité et de rentabilité sont imputables à l’absence de prospective commerciale, de programmation financière.

La réforme a d’ailleurs entraîné d’autres problèmes. Faute de projets de développement portuaire, les difficultés s’alourdissent pour les entreprises de manutention, qui ont des charges fixes du fait du détachement des salariés.

En outre, si le climat social semble aujourd’hui apaisé dans les ports, nous aimerions avoir l’assurance que le fruit des luttes des salariés des ports profite à l’ensemble des salariés du secteur. Ainsi, les syndicats ont demandé l’application uniforme de la convention collective unifiée aux ports de pêche, aux ports de commerce et aux ports fluviaux. Mon collègue Thierry Foucaud rappelait, dans le cadre du débat sur le Grand Paris, s’agissant notamment du secteur du canal Seine-Nord Europe, l’intérêt tout particulier d’une telle uniformisation. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous confirmer l’avancée du processus d’extension du texte conventionnel ? Il s’agit d’éviter qu’une concurrence déloyale ne s’exerce au détriment des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.

M. Jean-Claude Merceron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la tenue de ce débat sur le bilan de l’application de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire est concomitante de la publication du rapport de l’OCDE sur les ports de l’axe de la Seine, c'est-à-dire ceux de Rouen, du Havre et de Caen.

La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire a eu raison de créer un groupe de travail sur la réforme portuaire de 2008, présidé par Charles Revet. Je tiens à remercier tout particulièrement notre collègue de l’esprit de convivialité qui a toujours prévalu au sein du groupe de travail et à souligner publiquement sa compétence, ainsi que celle de nos collaborateurs.

La loi de 2008 a bien pour objet de relancer l’activité des ports autonomes français, de moderniser la manutention portuaire et de renouer le dialogue social. Alors que 90 % des échanges mondiaux de marchandises se font par voie maritime, la France, qui était voilà trente ans la cinquième puissance maritime mondiale, n’occupe plus aujourd'hui que le trentième rang.

Le contexte de la mondialisation et du développement durable est donc favorable à l’essor des activités portuaires. Nos voisins belges, néerlandais et même allemands l’ont compris depuis longtemps ! Ils se sont adaptés et restructurés et ont réussi à gagner des parts de marché. Leurs ports irriguent aujourd’hui l’ensemble du territoire européen, grâce à des infrastructures portuaires et multimodales efficaces : hubs, fret ferroviaire et fluvial, plateformes logistiques…

C’est ainsi qu’Anvers est le premier port d’arrivée de conteneurs à destination de la France ! On ne peut vraiment pas être très fier de cette situation ! En effet, la France fait pâle figure : elle sous-exploite son potentiel et sous-investit, à tel point que près de la moitié des conteneurs qui lui sont destinés transitent par des ports d’autres pays européens. Les parts de marché des ports français ont été divisées par deux entre 1989 et 2006. Pourtant, avec quatre façades maritimes, le plus long linéaire côtier d’Europe, les importantes réserves foncières de ses ports, la France dispose d’atouts exceptionnels !

Comme le soulignait avec optimisme notre collègue Charles Revet, « il n’y a pas de fatalité au déclassement des ports français ».

D’ailleurs, au cours des visites que nous avons effectuées dans le cadre des travaux de la mission d’information, je suis moi-même passé du découragement à l’espoir. D’abord impressionné par le retard de nos ports, j’ai été ensuite rassuré de voir que tous nos interlocuteurs étaient conscients du caractère indispensable de la réforme et d’une évolution forte de la gouvernance portuaire pour la relance des ports maritimes français.

Cette mission d’information a permis de cibler un certain nombre de causes du décrochage des ports français. Je pense notamment aux carences de l’État stratège, à l’insuffisant ancrage territorial des ports et au manque de fiabilité des infrastructures. Il serait facile de multiplier les critiques, mais je préfère me tourner désormais vers l’avenir, pour examiner les conditions de la renaissance des ports français.

Le premier des impératifs consiste à raccorder les ports maritimes aux réseaux ferrés, fluviaux et routiers : le combat de la mer se gagne en effet à terre ! Pour atteindre cet objectif primordial, il faut tout d’abord déployer des investissements substantiels en vue d’assurer la desserte de l’hinterland, c’est-à-dire de relier chacun des ports aux axes de fret ferroviaire ou fluvial existants. Les ports maritimes seraient donc des hubs internationaux permettant ensuite d’irriguer la France et l’Europe. Or la réalisation d’un tel investissement pour relier les ports aux réseaux de fret ne semble pas être la priorité de l’État, qui, dans le schéma national des infrastructures de transport, n’y consacre même pas 2 % des moyens.

En outre, il faut que les chambres de commerce, les collectivités concernées ou les ports eux-mêmes réalisent des études en vue de connaître les marchés de l’arrière-pays, de définir les infrastructures multimodales et les compétences permettant de créer des clusters autour de l’activité logistique.

Ainsi, Marseille pourrait devenir la façade maritime de Lyon et irriguer l’Espagne et l’Italie depuis Arles, tandis que Le Havre et Caen deviendraient celle de la région parisienne. En tant que Ligérien, je tiens à rappeler l’importance du port de Nantes-Saint-Nazaire, en particulier celle du terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne, le plus important d’Europe. Ce port de la façade atlantique doit redéployer ses activités dans le cadre du partenariat européen de l’arc atlantique.

Mais tout cela ne sera possible que si les ports sont reliés aux métropoles par des réseaux fluviaux et ferroviaires fiables. L’existence d’infrastructures multimodales sur le continent et leur connexion avec les ports est donc pour moi la première des priorités.

À l’heure où, précisément, il s’agit de déployer des projets susceptibles de relancer l’économie afin de créer des emplois et de développer durablement notre territoire, il est plus que temps de passer à l’action, par exemple en réalisant des plateformes multimodales sur des chantiers terrestres, tel celui du canal Seine-Nord Europe. La réforme prochaine de Voies navigables de France apportera, je l’espère, l’efficacité requise pour mener un projet de cette envergure.

En outre, il faut saluer la proposition de la mission d’information visant à une décentralisation de la gestion des grands ports maritimes et à la mise en œuvre d’une nécessaire logique « entrepreneuriale », qui doit accompagner la nouvelle gouvernance. Cela signifie que les collectivités territoriales doivent agir en investisseurs, chercher de nouveaux marchés pour augmenter les volumes de transit et, surtout, soutenir les investissements des ports pour adapter leur offre à une forte croissance du trafic.

Cela nécessite une nouvelle approche, commerciale, une démarche coopérative avec d’autres ports internationaux, et donc de nouvelles compétences.

Naturellement, il est normal que les collectivités ou les ports puissent récupérer les fruits de leurs investissements et de leurs efforts. Mais cela demande une autonomie accrue, or l’État freine aujourd’hui. En effet, il sur-administre les collectivités et les grandes infrastructures, il promet des financements qui n’arrivent pas, alors que les gestionnaires des ports ont besoin de souplesse, de déréglementation – à tout le moins de règles dérogatoires – et de partenariats choisis : je pense à Voies navigables de France, à Réseau ferré de France ou bien encore aux chambres consulaires.

Le volontarisme affiché par nombre des acteurs que nous avons rencontrés mérite d’être soutenu, étant donné que, de toute manière, les ports français ne sauraient être dans une situation pire que celle qu’ils connaissent aujourd’hui.

Des partenariats choisis avec les services responsables d’infrastructures, mais aussi avec des centres de recherche, ne doivent en aucun cas être empêchés par la loi, ni trop encadrés par elle. Il faut donner de l’air aux initiatives, et surtout faire confiance aux acteurs, publics ou privés, qui souhaitent mettre leur énergie au service du développement du trafic portuaire de la France.

D’un point de vue social, on peut se féliciter de ce que la réforme ait permis la réunification de la chaîne de commandement de la manutention, sous l’égide des entreprises privées, même si l’on ne peut que déplorer que ce transfert se soit déroulé dans un climat social tendu. La concomitance de la réforme des retraites n’a pas été étrangère à la montée de ces tensions, qui ont écorné un peu plus encore l’image déjà peu reluisante des ports français et nui à leur économie.

Cependant, une fois encore, rien n’est irréversible, pourvu que le développement des ports continue à faire l’objet d’un dialogue social franc et respectueux de chacune des parties, notamment lorsqu’il s’agira de favoriser la concurrence dans les activités de manutention portuaire. J’appelle à la mise en œuvre la plus rapide possible de cette concurrence, afin que le volet social et le volet économique de la réforme se déploient harmonieusement.

En conclusion, si nous sommes d’accord sur ces points fondamentaux, notamment sur la quinzaine de propositions contenues dans le rapport d’information, il faudra très vite passer à l’action, par le biais de l’élaboration d’une proposition de loi qui, je l’espère, pourra être votée dans les plus brefs délais et dans le même esprit de lucidité et de consensus que celui qui a guidé les travaux de notre mission d’information.

Les enjeux économiques et sociaux que recouvre le développement structurel de nos ports maritimes et fluviaux sont tels qu’il ne faudra pas manquer ce rendez-vous. Cela relève de notre responsabilité à tous. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin.

M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire avait pour ambition de relancer l’activité des grands ports maritimes français, ces derniers étant de plus en plus délaissés au profit d’autres grands ports européens. Trois ans après son vote, le constat du déclin progressif de nos infrastructures portuaires ne peut plus être contesté. Alors que notre pays dispose d’atouts maritimes exceptionnels, notamment un immense domaine maritime et une position stratégique en Europe, la concurrence internationale semble favoriser d’autres ports, comme ceux de Rotterdam, d’Anvers ou de Hambourg, au Nord, d’Algésiras, de Tanger ou de Valence, au Sud.

Pourquoi cette situation défavorable pour notre pays perdure-t-elle ? Là est la question. Pour trouver des éléments de réponse, la commission des affaires économiques a créé une mission d’information sur la réforme portuaire de 2008, dont les conclusions, que vous venez de rappeler, monsieur Revet, sont particulièrement alarmantes, qu’il s’agisse de l’avenir des activités portuaires ou du rôle primordial joué en ce domaine par les collectivités territoriales.

Bien entendu, il n’est pas question, pour les membres de notre groupe, de contester le bien-fondé d’entreprendre une réforme : la modernisation d’infrastructures vieillissantes s’imposait d’autant plus que les acteurs concernés la réclamaient.

Toutefois, la réforme engagée en 2008 comporte un volet important mais socialement dangereux, celui de la simplification et de la rationalisation de la manutention portuaire. Ces dispositions, complétées par un accord-cadre en date du 30 octobre 2008, prévoient le transfert à des entreprises privées de la détention et de l’exploitation des outillages et matériels de manutention. Elles ont donné lieu à un vaste mouvement national de contestation, qui s’est notamment traduit par une série de blocus affectant les principaux ports concernés. Ce mouvement social était d’autant plus justifié que les nouvelles dispositions risquaient –et risquent toujours – de fragiliser une catégorie de personnels particulièrement vulnérable (M. le ministre s’exclame), au bénéfice d’entreprises privées qui n’hésitent pas à utiliser l’arme du recours à de la main-d’œuvre étrangère à bon marché sur notre territoire.

M. Thierry Mariani, ministre. Lisez le rapport de la Cour des comptes !

M. Christian Bourquin. Même si l’accord-cadre prévoit la reprise automatique des personnels de manutention, rien n’empêche ces entreprises de faire appel à des sous-traitants permanents ou périodiques, non soumis au droit français. Voilà ce qui interpelle les républicains que nous sommes. Les conséquences économiques et sociales d’une telle pratique sont trop importantes, en termes économiques et sociaux ainsi qu’au regard de la qualité des prestations, pour que l’on puisse les passer sous silence.

Était-il réellement nécessaire de briser une logique historique, certes réformable, mais qui a toujours fait la preuve de son efficacité,…

M. Thierry Mariani, ministre. Surtout pendant les grèves !

M. Christian Bourquin. … pour imposer une logique strictement concurrentielle et ouverte à tous les excès ? Pour ma part, je ne le crois pas.

D’ailleurs, depuis trois ans, le dispositif d’ouverture à la concurrence pour les opérations de manutention a créé un profond sentiment d’injustice parmi un personnel le plus souvent peu ou mal rémunéré. (Exclamations sur les travées de lUMP.) Il suffit de mettre le nez à la fenêtre pour s’en rendre compte, mes chers collègues !

Loin d’atténuer les risques de conflits sociaux, la réforme portuaire de 2008 portait en son sein les germes de la contestation. Les négociations sociales ont été d’autant plus tendues que l’injuste réforme des retraites a été adoptée il y a moins d’un an, faisant douter les partenaires sociaux de la capacité de l’État à participer au financement du dispositif prévu par la réforme portuaire.

En outre, aujourd’hui encore, les ports décentralisés sont les grands oubliés d’une réforme qui visait à améliorer les performances des seuls grands ports, par le biais d’une nouvelle gouvernance, mais surtout de l’unité de commandement sur les terminaux.

Pis encore : afin d’affirmer le rapprochement, au sein des entreprises de manutention, de deux catégories de personnels, il a été décidé de fusionner deux conventions collectives, celle des ouvriers dockers, d’une part, et celle des personnels portuaires, d’autre part.

Puis, pour obtenir l’adhésion des organisations syndicales représentant les personnels portuaires, il a été accordé à ces derniers un régime de préretraite de deux ans au titre de la pénibilité des métiers exercés, abondé d’un an supplémentaire, sur l’ensemble des ports français.

Dès lors, non seulement les ports décentralisés n’ont pas tiré de la réforme les bénéfices attendus en termes d’améliorations de performance, mais ils doivent de surcroît supporter le poids très lourd des contreparties sociales qui ont été consenties.

Aujourd’hui, on constate que la perte de performance des ports décentralisés se traduit par un renchérissement de 10 % à 15 % des coûts de personnel, qu’il s’agisse des ouvriers dockers ou des personnels d’exploitation des établissements portuaires. Cette situation est d’autant plus dommageable que de nombreuses collectivités s’impliquent résolument dans le développement des ports secondaires.

À ceux qui contesteraient mes propos, je donnerai l’exemple de la région Languedoc-Roussillon, que j’ai l’honneur de présider et qui souhaite créer les conditions optimales d’un report modal du transport routier de marchandises vers les voies maritime et fluviale, en investissant massivement dans le développement des ports, que ce soit à Sète, à hauteur de 300 millions d’euros sur les trois ans à venir, à Port-la-Nouvelle, avec 100 millions d’euros d’investissement public pour les quatre prochaines années, ou à Port-Vendres. À cet égard, monsieur le ministre, comment ne pas déplorer que RFF veuille conserver, sur le port de Sète, les sillons d’une voie ferrée envahie par l’herbe, alors que la région est en mesure de la remettre en fonction ?… Tout concourt donc au déclin, et en l’occurrence il ne s’agit pas d’argent !

Notre région est convaincue que ces modes de transport de fret alternatifs permettront, à terme, un nouveau développement économique ouvert sur la Méditerranée.

Dans cette optique, nous accompagnons des projets visant à développer les activités des ports maritimes en finançant l’aménagement d’un nouveau terminal à conteneurs sur le port de Sète, en partenariat avec l’ensemble des acteurs économiques intéressés.

Pour y parvenir, encore faut-il que notre région puisse bénéficier d’une grande clarté et d’une totale cohérence des textes encadrant ses prérogatives dans les ports dont elle assume la gestion.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, cela est loin d’être le cas, et notre débat d’aujourd’hui est aussi l’occasion de rappeler l’urgence d’une mise en concordance des textes réglementaires applicables aux ports décentralisés relevant de la compétence des régions.

À ce propos, je formulerai deux observations.

En premier lieu, je rappellerai que, par une ordonnance du 28 octobre 2010, la partie législative du code des ports maritimes a été intégrée au code des transports. En revanche, la partie réglementaire dudit code a été maintenue en l’état. Le problème est que cette ordonnance fait totalement abstraction des ports décentralisés relevant de la compétence des régions, dans la mesure où elle ne reconnaît que la seule compétence des départements et des communes. Mes chers collègues, vous le comprendrez aisément, cette absence de reconnaissance de la région en qualité de propriétaire de ports décentralisés soulève diverses interrogations et crée de nombreuses difficultés.

En second lieu, signalons que la conclusion des conventions de terminal permet une modernisation des infrastructures et des superstructures des ports, tout en favorisant le développement économique portuaire. Pourtant, seuls les grands ports maritimes et les ports autonomes sont autorisés par le code des ports maritimes à conclure de telles conventions. Il conviendrait donc de permettre aux ports décentralisés, quelle que soit la collectivité territoriale compétente, de conclure toute convention de terminal avec un opérateur.

Eu égard aux difficultés qui sont les nôtres, monsieur le ministre, il semble établi que l’État a d’ores et déjà décidé de ne pas appliquer la réforme de 2008 à l’ensemble des ports décentralisés, sur lesquels, de toute façon, il n’a plus aucune autorité directe, du fait de leur transfert aux collectivités territoriales. Les principes de la réforme seraient pourtant tout autant valables, notamment en termes de gouvernance et d’organisation du travail, pour les ports décentralisés que pour les grands ports, les premiers étant les compléments indispensables des seconds. Il est donc essentiel, pour que les ports décentralisés puissent jouer pleinement leur rôle, que leur productivité s’améliore au même rythme que celle de leurs grands voisins. À défaut, ils dépériront, finiront par disparaître, et avec eux des centaines d’entreprises et des milliers d’emplois.

Pour illustrer mon propos, je soulignerai que le trafic a augmenté de 24 % entre 1989 et 2006 dans les ports français, tandis qu’il croissait en moyenne de 60 % dans l’ensemble des ports européens, et qu’entre un tiers et la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers : de tels chiffres doivent nous amener à nous interroger, mais surtout à examiner comment nous pouvons remédier efficacement à une telle situation.

Quand on sait que le trafic de conteneurs a doublé en France entre 1989 et 2006, pour atteindre 36 millions de tonnes, et que les parts de marché des ports français ont été divisées par deux sur ce segment, on ne peut que se poser de graves questions.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Christian Bourquin. Je vais me diriger vers la conclusion de mon intervention, monsieur le président. (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. André Trillard. C’est fini !

M. le président. Le temps qui vous était imparti est écoulé. Il vous faut conclure !

M. Christian Bourquin. Je termine, monsieur le président.

Monsieur le ministre, il nous faut passer de la réforme à la relance. C’est avant tout une affaire d’ambition pour la France. De ce point de vue, les quinze propositions formulées par le groupe de travail nous semblent réalistes et incontournables. Le Gouvernement aura-t-il les moyens financiers de les mettre en œuvre ? J’en doute ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole à M. André Trillard.

M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, en premier lieu, à rendre hommage, au nom du groupe UMP, à M. Charles Revet, qui nous a fait un exposé remarquable sur la situation des ports français, le développement portuaire et l’avancement de la réforme.

Comme à son habitude, notre collègue nous a présenté une analyse pertinente et sans concessions. Les conclusions de son rapport d’information, remis au nom du groupe de travail créé par la commission de l’économie, ne peuvent pas rester lettre morte et doivent trouver une traduction concrète.

M. Charles Revet. Très bien !

M. André Trillard. Cet excellent rapport montre combien il reste à faire pour relancer l’activité de nos ports maritimes. Il est important de souligner que son diagnostic et ses recommandations ont fait l’objet d’un large consensus au sein du groupe de travail. On ne peut que s’en féliciter.

En second lieu, je veux rappeler à quel point notre groupe se soucie du développement des ports maritimes. Ce sujet est à nos yeux très important. Le Sénat a voté en 2008 une loi portant réforme portuaire, mais il faut constater aujourd’hui que la situation n’évolue pas tout à fait comme nous pourrions le souhaiter.

S’inspirant du modèle régissant les principaux ports européens, la réforme de 2008 visait à renforcer la compétitivité des sept grands ports français, confrontés, depuis plusieurs années, à une concurrence de plus en plus vive des autres grands ports européens. Leurs parts de marché s’érodent.

Il n’y a pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit Charles Revet…

M. Bruno Sido. Comme toujours !

M. André Trillard. Je me contenterai d’insister sur deux exemples frappants, qui ont d’ailleurs déjà été cités.

Le port de Marseille, premier port de France, n’occupe plus que le cinquième rang européen pour son trafic global, et le treizième pour le trafic de conteneurs.

Le port du Havre n’arrive qu’à la huitième place sur le plan européen pour les conteneurs, loin derrière les grands ports du continent.

Pour être tout à fait complet, je rappelle que le trafic de l’ensemble des ports français est nettement inférieur à celui du seul port de Rotterdam.

La France dispose pourtant d’une vaste zone économique maritime, la seconde par la taille après celle des États-Unis, ainsi que de façades maritimes exceptionnelles. Et je ne parle pas des territoires ultramarins, qui accroissent grandement notre potentiel.

Je voudrais revenir sur une remarque très pertinente de notre collègue Charles Revet, grand spécialiste des questions portuaires. Elle résume, me semble-t-il, le problème que nous avons à résoudre : l’absence de logique commerciale et de culture d’entreprise dans nos ports est à l’origine de la mauvaise performance de nos terminaux. Nombre d’armateurs préfèrent passer par les ports belges et néerlandais, dont la performance est bien meilleure.

La réforme de 2008 comportait quatre axes principaux : recentrer l’activité des grands ports maritimes sur leurs missions régaliennes ; refonder la gouvernance des grands ports maritimes ; organiser la coordination entre les ports d’une même façade ; simplifier et rationaliser l’organisation de la manutention.

La dernière étape, la plus délicate, consistant à transférer les personnels de manutention encore employés par les établissements publics portuaires, a été achevée à la fin du mois de juin dernier. Cela signifie que la loi votée il y a trois ans n’est réellement entrée en application que depuis trois mois. Il est donc difficile d’apprécier aujourd’hui si ses dispositions seront suffisantes ou pas pour atteindre les objectifs visés.

La réforme a été votée, mise en place et achevée dans un contexte de crise économique que nous n’avions pas prévu. Elle est donc d’autant plus essentielle pour la relance économique de nos ports, qui peut entraîner la création de nombreux emplois. Cette réforme, véritable plan de relance des ports français, constitue un enjeu majeur pour notre économie. Ne la jugeons pas trop vite, car elle est à peine en marche.

M. Thierry Mariani, ministre. Merci !

M. André Trillard. Au moins 30 000 emplois sont en jeu dans les secteurs du transport et de la logistique. La compétitivité retrouvée grâce à la réforme améliorera également les capacités d’exportation de nos entreprises, car c’est une grande faiblesse, pour notre commerce extérieur, que celles-ci soient obligées de recourir aux services de ports situés au-delà de nos frontières.

Parmi d’autres raisons d’espérer, permettez-moi d’évoquer la capacité d’innovation et d’adaptation, ainsi que la réactivité, dont font montre, en maintes circonstances, tous les partenaires des communautés portuaires.

À ce titre, je m’attarderai quelques instants sur le cas du grand port de Nantes-Saint-Nazaire, qui a su tirer parti des dispositions de la loi portant création des autoroutes de la mer.

Lancée en septembre 2010 avec trois départs par semaine, la ligne Saint-Nazaire-Gijón a vu son trafic passer de 250 poids lourds embarqués par mois à 1 000 véhicules en janvier et à 1 200 en février. Cette progression se poursuit, ce qui a conduit l’armateur à mettre en service un navire de plus grande capacité et à modifier le rythme des rotations.

Dans la foulée, un phénomène imprévu est apparu, qui laisse à penser que les ports seraient enfin devenus un élément à part entière de la vie des habitants de l’hinterland : on constate que des touristes empruntent cette ligne, dont la création a favorisé en outre la mise en place de jumelages ; plus surprenant encore, la voie maritime est utilisée par des pèlerins de retour de Saint-Jacques-de-Compostelle, séduits tant par la traversée du golfe de Gascogne que par la possibilité de prendre ensuite le TGV à Saint-Nazaire ! Je veux insister sur le fait que ce projet a été respecté par tous les acteurs du port, bien qu’il ait été lancé au cœur d’une période difficile sur le plan social.

En ce qui concerne la réforme portuaire, j’ai relevé, dans la presse de Loire-Atlantique du 1er octobre dernier, une déclaration du principal syndicat portuaire. Tout en contestant la réforme portuaire, celui-ci reconnaît que « l’accord signé est une réussite ». Un de ses responsables ajoute même : « On n’y perd pas financièrement, on s’y retrouve. » Voilà qui semble témoigner d’une amélioration des relations professionnelles, dans le respect de l’adage selon lequel un bon commerce est un commerce où tout le monde gagne.

Monsieur le ministre, nous vous savons déterminé à faire en sorte que cette réforme portuaire fonctionne et tienne ses promesses sur le plan économique. Nous sommes persuadés que vous saurez prendre en considération les conclusions du rapport d’information du groupe de travail, dont le titre, « Les ports français : de la réforme à la relance », est tout à fait éloquent.

Mes collègues du groupe UMP et moi-même tenons enfin à rendre hommage à l’ensemble des membres du groupe de travail pour leur implication et l’excellence de leur analyse de la situation des ports français et de l’état de la réforme, ainsi que pour l’esprit constructif dont ils ont fait preuve. Monsieur le ministre, la balle est désormais dans votre camp !

Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire observer que la concision de mon intervention permet de compenser le dépassement de son temps de parole par l’orateur qui m’a précédé ! (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. Soyez-en remercié, monsieur Trillard !

La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sujet dont nous débattons est loin d’être mineur. Pour tous ceux qui, comme moi, souhaitent que la France porte une volonté maritime forte dans tous les domaines, ce rapport sénatorial apporte la preuve que cela est non seulement possible, mais surtout nécessaire.

Je tiens à saluer à mon tour le travail de M. Revet, dont j’approuve bien entendu les quinze propositions, même si je porterai une appréciation beaucoup plus nuancée que la sienne sur le bilan de la réforme de 2008.

De nombreux facteurs militent pour un engagement en faveur du développement de nos ports. Deux d’entre eux me paraissent particulièrement importants aujourd’hui : l’avenir économique de notre pays et de nos territoires ; le défi de la durabilité pour nos modes de transport.

Dans cet esprit, nous avons formulé des propositions opérationnelles, issues d’une vaste concertation et qui feront l’objet, je l’espère, d’une initiative parlementaire très prochainement.

Espace d’accès privilégié au cœur de l’Europe grâce à ses quatre façades maritimes, deuxième zone économique exclusive au monde grâce aux départements et aux collectivités d’outre-mer, la France apparaît toutefois ridiculement armée aujourd’hui pour faire valoir ses atouts sur le marché très concurrentiel des dispositifs portuaires.

L’histoire nous le prouve : chaque fois que la France s’est tournée vers l’extérieur et a valorisé sa position maritime, elle a connu un fort développement économique. Notre tradition historique trop continentale et la faiblesse de notre culture maritime doivent bien évidemment être prises en considération pour comprendre le sous-dimensionnement chronique de nos ambitions et de nos moyens en faveur du grand large.

À cet égard, je rappellerai que, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle avait catégoriquement refusé que le port de Brest soit concédé pour quatre-vingt-dix-neuf ans aux Américains. Nous nous étions félicités de cette décision à l’époque, mais, avec le recul, je me demande si la carte économique des ports en Europe et en France n’en aurait pas été changée…

M. Ladislas Poniatowski. C’est intéressant !

Mme Odette Herviaux. Une vision maritime peut toutefois se construire, à condition d’en avoir la volonté politique : c’est son absence que nous déplorons depuis plusieurs années, car elle condamne aujourd’hui l’une des grandes puissances maritimes d’Europe à subir l’éloignement des plateformes du commerce mondial, au détriment de son économie et de sa croissance.

Un certain nombre de chiffres, déjà cités par les orateurs qui m’ont précédée, permettent d’appréhender la gravité de la situation : entre 1989 et 2006, la croissance du trafic des ports français a été de près des deux tiers inférieure à celle des ports de nos voisins européens, et la moitié des conteneurs à destination de la France transitent par des ports étrangers. Notons, à ce propos, que la dernière réforme portuaire, censée aider les ports à reconquérir des parts de marché, ne leur a, pour l’heure – peut-être est-il encore trop tôt pour dresser un bilan définitif –, même pas permis de stabiliser leurs positions.

Néanmoins, certains responsables politiques ont pris conscience du caractère stratégique des mers et des océans. La mondialisation de la production à flux tendus et de la division sociale du travail fragmente en effet les zones de production, tout en les éloignant des centres de consommation.

Pourtant, ne l’oublions pas, le troisième armateur mondial de porte-conteneurs est français et les armements européens contrôlent 41 % de la flotte mondiale. Comment valoriser nos atouts ? L’objectif est non pas uniquement de nous livrer à une concurrence débridée avec nos voisins européens, mais avant tout de sécuriser, dans le respect des normes sociales et environnementales, l’acheminement des produits nécessaires au fonctionnement et au développement de notre économie, à l’import et à l’export.

Sans reprendre ici intégralement l’excellent argumentaire de M. Revet, je centrerai mon propos sur le rôle de l’État. Ce dernier a été le patient édificateur du réseau portuaire, conformément à la tradition française du centralisme interventionniste, qui a eu son temps et ses mérites, mais apparaît aujourd’hui totalement inadapté pour affronter les défis de l’économie mondialisée et du développement territorial durable.

M. Bruno Sido. Il fallait être là pour l’entendre !

Mme Odette Herviaux. Sans nier le rôle des conflits sociaux dans la perte de compétitivité des ports français, singulièrement des grands ports maritimes, il faut noter que les personnels ont désormais tous admis que leur avenir professionnel dépendait avant tout de la bonne santé de leur place portuaire.

M. Thierry Mariani, ministre. Très bien !

Mme Odette Herviaux. De mon point de vue, il s’est avant tout agi d’un « arbre social », habilement mis au premier plan pour cacher la forêt d’une politique de renoncement.

En matière de pilotage stratégique, tout d’abord, il est apparu flagrant que l’État n’assume pas ses responsabilités. L’éclatement et l’instabilité de l’appareil politique et administratif fragilisent grandement la conduite d’une action publique rationnelle en matière maritime et débouchent sur une démarche parfois opportuniste, menée au gré des vagues et des courants par des ministères travaillant difficilement ensemble – la mer étant quelquefois tout simplement ignorée des attributions ministérielles – et des administrations, centrales et déconcentrées, parfois en conflit entre elles et favorisant des glaciations locales…

Cette polyphonie vire parfois à la cacophonie, surtout quand elle s’accompagne d’une réduction drastique des moyens d’investissement et de fonctionnement. Dans ce cadre, l’application uniforme d’une RGPP mécanique risque de s’opposer à la mise en œuvre d’une politique concertée de long terme, seule à même de doter les ports et les acteurs du monde maritime d’outils durables pour qu’ils puissent s’affirmer véritablement à l’échelle européenne et internationale. Ainsi, le démantèlement affligeant de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, la réforme des services des douanes, encore mal connue, et la disparition des services locaux de la direction des affaires maritimes dans des régions à très forte vocation maritime constituent autant de signaux négatifs adressés aux porteurs de projets, et plus spécifiquement aux collectivités.

En matière d’investissements portuaires, ensuite, la participation de l’État, à hauteur de 15 %, n’a pas donné l’impulsion nécessaire au redécollage de nos places portuaires. Un rapport de la Cour des comptes, paru dès 2006, reconnaissait ainsi que « la proportion des investissements affectée au domaine portuaire en France est plus limitée que dans plusieurs pays européens, notamment l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne », alors même que notre retard structurel devrait nous imposer des efforts sans précédent.

De surcroît, la diminution chronique du taux de remboursement des frais engagés pour l’entretien des accès maritimes des ports, celui-ci s’établissant à 60 % en 2006, est à cet égard révélatrice des graves défaillances d’un État qui se permet de ne pas respecter les lois qu’il a lui-même édictées.

Encore une fois, les collectivités locales, en particulier les régions et les départements, se trouvent contraintes de pallier les carences d’un État qui leur fait payer le prix de sa propre inconséquence budgétaire et fiscale.

Lors de la discussion, en mai 2009, de la question orale avec débat sur le bilan d’application de la loi portant réforme portuaire, le secrétaire d’État chargé des transports de l’époque se félicitait de ce que 2,4 milliards d’euros doivent être investis entre 2009 et 2013 dans la transformation des infrastructures portuaires, en oubliant de préciser que, sur ce montant, 500 millions d’euros seulement proviendraient de l’État. Au surplus, cet investissement de 2,4 milliards d’euros, sur cinq ans et pour sept ports, est d’un tiers inférieur à celui que les Pays-Bas consacrent au seul port de Rotterdam.

Cette situation dramatique conduit petit à petit à un sous-équipement qui condamne, à court terme, les ports français, car l’on sait à quel point la fiabilité est un critère prépondérant en termes de compétitivité, bien avant même les coûts des prestations.

Tutelle pesante, rigidités réglementaires, désengagement financier : le Gouvernement a peut-être créé les conditions de la disparition de ports français d’ores et déjà relégués dans les profondeurs des palmarès internationaux. Le tonnage traité par le seul port de Rotterdam dépasse ainsi celui de nos sept grands ports maritimes réunis…

Toutes ces incohérences sont d’autant plus regrettables que le Grenelle de l’environnement et, surtout, le Grenelle de la mer avaient fait naître de grandes espérances, notamment en ce qui concerne l’éco-responsabilité portuaire et la formation, laquelle demeure trop souvent négligée lorsque l’on évoque l’avenir des ports.

Les caractéristiques des flux maritimes mondiaux et les limites de la rente pétrolière nous obligent à modifier radicalement notre conception de l’action publique au service du développement des ports français. En l’occurrence, c’est bien l’offre qui crée la demande, et une politique d’investissements massifs et durables s’impose si nous voulons franchir un cap qualitatif et quantitatif.

Il nous faut accroître très sensiblement le trafic de conteneurs afin d’amortir l’achat et le fonctionnement d’outillages et d’infrastructures performants et, ainsi, de nous conformer à l’esprit de la directive européenne du 26 juillet 2000, dont la mise en œuvre a conduit à une dissociation entre activités d’autorité publique ou d’intérêt économique général, d’une part, et activités présentant un caractère concurrentiel, d’autre part. Je rappelle une nouvelle fois que 1 000 conteneurs supplémentaires permettent de créer cinq emplois.

Mme Odette Herviaux. La massification des flux doit aussi permettre d’atteindre le seuil de rentabilité économique pour le transport combiné fluvial de conteneurs, encore très dépendant des aides publiques, car handicapé par le coût des ruptures de charge.

Ces hauts niveaux de financement – mais pas à fonds perdus –, sous maîtrise d’ouvrage publique, doivent par ailleurs s’accompagner de la mise en œuvre d’une gouvernance territorialisée des espaces portuaires et de l’inversion de la charge opérationnelle entre l’État et les collectivités. De la tutelle d’un État réglementairement omnipotent mais stratégiquement absent et financièrement désengagé, nous devons passer à une relation de confiance entre, d’une part, un État stratège, facilitateur et péréquateur, et, d’autre part, des collectivités chargées du développement économique, de l’animation territoriale et de la cohérence organisationnelle, s’appuyant sur un droit à l’expérimentation.

Dans l’intérêt de leur territoire, tant de la façade littorale que de l’arrière-pays, les collectivités pourront s’impliquer pleinement si elles sont assurées de pouvoir en retirer des bénéfices, qu’ils soient matériels ou stratégiques, notamment dans l’articulation des différents schémas d’aménagement du territoire et le pilotage de la concertation avec les représentants de toutes les structures pertinentes.

Après le transfert des ports d’intérêt national aux collectivités territoriales par la loi de 2004, il nous semble donc indispensable de poursuivre le mouvement de décentralisation en proposant un troisième acte, qui concernera aussi les grands ports maritimes. En somme, avec ce rapport et ces propositions très concrètes, nous voulons changer le regard sur les ports maritimes, en abandonnant l’approche statique en termes d’infrastructures, au profit d’une vision dynamique et globalisée pour des stratégies de développement conquérantes et mobilisatrices, au service d’une croissance économique durable et de l’emploi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, très chères et trop rares collègues sénatrices (Sourires.), chers collègues sénateurs, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai fait mon entrée, voilà quelques jours, dans cette grande maison si chargée d’histoire. M’est alors venue à l’esprit une musique portant ces mots très forts : « For the times they are a-changin’ », tirés d’une chanson des années soixante de Bob Dylan. À la même époque commençaient les travaux du Club de Rome. Cinquante ans après, les changements survenus n’ont répondu ni à l’interpellation du poète visionnaire ni à la mise en garde d’éminents scientifiques sur les limites de la croissance.

Au contraire, tout reste à faire, toutes les dérives dénoncées se sont accélérées. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence, et il est de notre responsabilité collective, en tant que représentants du peuple français, d’avoir le courage de prendre toutes les mesures qui s’imposeront. Rappelons-nous Corneille : « Nous partîmes cinq cents mais, par un prompt renfort, nous nous vîmes trois mille en arrivant au port. » On voit que c’est souvent une minorité audacieuse et éclairée qui ouvre le chemin ! Pour l’heure, nous voici donc arrivés au port, le sujet du jour !

Au nom des sénateurs écologistes, j’évoquerai le fond de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, texte ciblé sur les sept ports autonomes maritimes.

Je suis d’accord avec notre collègue Charles Revet, auteur du rapport d’information, quand il déplore la trop faible prise en compte de l’intérêt fondamental que représente le développement des ports dans notre pays, qu’il s’agisse des grands ports maritimes ou de ceux dits secondaires – je pense notamment au port de Lorient, dans notre Morbihan.

Or, le développement du transport de marchandises par voie maritime est une nécessité si l’on veut lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Ce mode de transport émet cinquante fois moins de CO2 que le transport aérien et douze fois moins que le transport routier !

L’analyse de ce rapport inspire une question simple : à quoi doivent servir le transport maritime et ses dessertes aériennes, terrestres et fluviales ?

L’un des premiers objectifs est bien l’acheminement des ressources nécessaires au fonctionnement de notre société, en affectant le moins possible notre environnement. Aujourd’hui, la majeure partie de nos importations sont débarquées dans les ports du nord de l’Europe. Il s’agit donc de rééquilibrer l’activité portuaire. L’enjeu est aussi de relier efficacement les ports à leur arrière-pays. La loi dite « Grenelle 1 » a fixé comme objectif le doublement de la part de marché du fret non routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports d’ici à 2015. Nous en sommes loin !

Là est bien l’enjeu : investir dans le transport de fret ferroviaire et fluvial en tant qu’alternative à la route, afin de relever le défi, bien réel, du réchauffement climatique. Dans cette perspective, il est absolument nécessaire de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Les effets d’annonce ne suffisent pas !

Au regard de cet enjeu, le cadeau fait à certains lobbies agricoles, notamment celui des céréaliers, est un non-sens et un scandale, monsieur le ministre. En autorisant la circulation de camions à cinq essieux de quarante-quatre tonnes…

M. Bruno Sido. Quarante-deux !

M. Joël Labbé. … au lieu de quarante actuellement et en promettant, comme l’a fait le Président de la République, d’étendre cette mesure à tous les autres secteurs avant la fin de l’année 2012, on porte un nouveau coup aux quelques avancées permises par le Grenelle de l’environnement. Où est la cohérence ?

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Joël Labbé. Il est primordial d’encourager le transport fluvial, qui ne représente aujourd’hui qu’une très faible part de la desserte des ports. Le projet initial d’autoroute de la mer entre Nantes-Saint-Nazaire et Gijón a permis de décongestionner quelque peu les routes saturées de camions. Cet effort doit être prolongé en créant des connexions maritimes à l’échelle européenne. Nous en sommes encore loin, et le risque est bien réel que, après cinq ans de subventionnement, la rentabilité soit jugée trop faible pour que l’on poursuive ce type de projets.

M. Jean Besson. C’est vrai !

M. Joël Labbé. Depuis la nuit des temps, un port est un élément structurant d’un territoire. Le renforcement du rôle des acteurs locaux dans la gestion portuaire est donc une étape essentielle en matière de développement, en vue de parvenir à un aménagement concerté de ces espaces.

Il faut poursuivre le mouvement de décentralisation. Les ports dits secondaires sont un atout pour les économies régionales, mais ils pourraient l’être davantage encore grâce à des mises en réseau efficaces. Il faut repenser la coopération et le poids des régions, notamment en associant les ports dits secondaires aux grands ports maritimes, afin d’éviter des concurrences malsaines entre les régions et entre les ports.

Avec cette réforme, la concurrence interportuaire va continuer, ainsi que la réalisation d’investissements colossaux pour des résultats bien souvent trop faibles. Ces mises en concurrence malsaines sont aussi, pour une part, responsables du manque de fiabilité de nos ports. Ce manque de fiabilité, qui est bien réel, a des causes multiples. Or le rapport met injustement l’accent sur la responsabilité des salariés grévistes, en passant sous silence celle des entreprises de manutention, pourtant évidente. Il manque, dans ce pays, une véritable culture du dialogue social. Il faudra bien que les choses évoluent à cet égard ; l’impulsion doit venir de l’État. (M. le ministre s’étonne.)

Si l’association des collectivités territoriales au développement de l’activité portuaire est un élément important en termes d’aménagement du territoire, elle doit avoir aussi pour finalité d’aboutir à des aménagements concertés et acceptés par le plus grand nombre. Or de récentes évolutions ne vont pas dans ce sens, monsieur le ministre.

Ainsi, le code de l’urbanisme permet de qualifier ces grands projets de projets d’intérêt général. De ce fait, les préfets peuvent prendre la main, au détriment des élus et de la population. Par ailleurs, le rapport plaide pour un assouplissement de l’application de la directive Natura 2000 : c’est tout simplement inenvisageable ! Il évoque également une explosion des recours formés par les associations environnementales et la nécessité de les sanctionner pénalement. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Un tel discours inquiète ! Il est fondamental que les associations, notamment locales, puissent être parties prenantes à la concertation.

J’évoquais tout à l’heure le dialogue social, mais il faut aussi créer, dans ce pays, une culture du dialogue sociétal.

Penser de manière durable le développement des ports engendrera en outre un gisement d’emplois et d’activités nouvelles. Il pourrait notamment être envisagé de créer une filière de préservation et de gestion nouvelle de l’écosystème marin, ainsi qu’une véritable filière de déconstruction et de recyclage des navires civils et militaires. La réforme de 2008 passe à côté de cet enjeu.

Pour conclure, il est nécessaire de concevoir une autre politique maritime, de penser les ports comme des outils d’un développement maîtrisé, durable et solidaire de nos territoires.

Solidarité, complémentarité : les mots sont lâchés. Il faut remettre en cause le gigantisme qui prévaut aujourd’hui, réguler le marché mondial, engager une véritable transformation écologique de notre économie, à l’échelle française, certes, mais aussi à l’échelle mondiale.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Joël Labbé. Je suis citoyen du monde. Le territoire de la commune de Saint-Nolff, dont je suis maire, a été déclaré, par délibération du conseil municipal, territoire mondial. Lorsque les enjeux sont mondiaux, une gouvernance mondiale est nécessaire : il faudra bien qu’on y arrive !

M. Thierry Mariani, ministre. N’êtes-vous pas favorable à la démondialisation ?

M. Joël Labbé. Laissez-moi finir, monsieur le ministre, vous m’interrogerez ensuite ! (Rires.)

Je donnerai un seul exemple de ce qu’il ne faudrait plus voir dans nos ports : le déchargement de soja transgénique, production qui asphyxie l’agriculture vivrière brésilienne et contribue à la destruction meurtrière de milliers d’hectares de forêt primaire. Le politique doit reprendre la main face au monde de la finance et au marché. C’est une forme de révolution, souhaitée et acceptée par les populations, qu’il nous faut mettre en marche, ou plutôt une métamorphose, pour reprendre les termes d’Edgar Morin : « L’espérance éthique et politique est de construire plus et mieux qu’une révolution, une métamorphose. »

Aujourd’hui, l’espoir est là, palpable, d’une société enfin humaine, profondément humaine. « For the times they are a-changin’ », inexorablement… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme portuaire du Gouvernement, lancée en 2008, n’a pu enrayer le déclin des ports français, en particulier face à leurs concurrents européens. Pourtant, notre pays, avec ses 4 000 kilomètres de côtes, a les moyens de devenir un des plus grands acteurs portuaires européens. Permettre à nos ports de retrouver leur place dans le trafic maritime mondial des marchandises et de prendre la dimension qui leur revient est une nécessité ; cela ne pourra se faire qu’en modifiant la gouvernance actuelle de nos ports, sans oublier de pratiquer une gestion juste des personnels y travaillant.

Quel est le constat ? Les ports français sont aujourd’hui en perte de vitesse : avec 430 millions de tonnes en 2010, le port de Rotterdam, le premier du continent, traite aujourd’hui un tonnage supérieur à celui de l’ensemble des ports français réunis. La concurrence est particulièrement rude sur le marché des conteneurs : Le Havre, premier port français sur ce segment, a traité 2,35 millions de conteneurs en 2010, mais cela ne représente que 6 % du tonnage total des six premiers ports du range nord-européen, situés sur la côte européenne entre Le Havre et Hambourg. Le port normand n’occupe que la huitième place en Europe, bien loin derrière Rotterdam, qui traite 11,1 millions de boîtes, Anvers occupant la deuxième place, avec 8,5 millions de conteneurs, et Hambourg la troisième, avec 7,9 millions.

Or, le trafic maritime en mer du Nord et dans la Manche est particulièrement important. En 2005, près de 20 % du trafic mondial des navires déclarés passait par la Manche. Ce pourcentage a encore progressé depuis. Actuellement, nous le savons, la voie maritime est certes le mode de transport le moins polluant, mais si nous ne faisons rien pour enrayer l’augmentation du trafic dans la Manche et la mer du Nord, les risques d’accidents et de catastrophes environnementaux s’accroîtront considérablement dans cette zone. Notre responsabilité est engagée, à l’échelon non seulement français, mais aussi européen.

Certaines initiatives existent, mais leur temps de mise en œuvre est trop long. Les engagements pris lors du Grenelle de l’environnement pourraient nous permettre de limiter ces risques. La création des autoroutes de la mer répond ainsi à deux d’entre eux : elles permettront de désengorger les axes routiers, en offrant la possibilité d’un important report modal, et ce transfert réduira nos émissions de gaz à effet de serre.

J’entendais tout à l’heure un orateur se féliciter de l’ouverture de la ligne maritime Nantes-Saint-Nazaire-Gijón. Elle constitue certes un motif de satisfaction sur le plan des principes, mais il ne s’agit, en l’occurrence, que de cabotage amélioré, absolument pas d’une autoroute de la mer au sens où l’entendait le Parlement européen lorsqu’il a lancé cette belle idée. Néanmoins, c’est un début : nous pouvons donc, dans cette mesure, nous en féliciter.

Réduire le trafic en mer du Nord et dans la Manche n’est pas un objectif hors de portée.

Actuellement, du fait de l’incapacité des ports français à accueillir les navires marchands dans des conditions satisfaisantes, une part importante de nos importations transite par Rotterdam. Ainsi, on estime qu’entre un tiers et la moitié des conteneurs à destination de la France sont débarqués dans des ports étrangers.

Rendre nos ports plus compétitifs permettrait d’éviter que tant de navires en provenance du continent américain transitent par Rotterdam : à l’évidence, il serait plus logique, ne serait-ce que géographiquement, que ce soit les ports de Nantes-Saint-Nazaire ou de Bordeaux qui les accueillent.

Avec un trafic extérieur annuel de l’ordre de 30 millions de tonnes, Nantes-Saint-Nazaire est le premier port de la façade atlantique française. Il peine pourtant à attirer les navires, comme les autres ports français : bien que le trafic de conteneurs ait doublé dans notre pays entre 1989 et 2006, les parts de marché de nos ports ont été divisées par deux durant la même période.

Enfin, il est à noter que les ports du range nord-européen sont saturés en termes d’extension géographique, alors que le trafic maritime ne cesse de croître. En revanche, les grands ports maritimes français possèdent des réserves foncières tout à fait considérables. Notre pays dispose d’un réseau routier et, dans une moindre mesure, fluvial et ferroviaire assurant un bon maillage du territoire. Il n’est donc pas utopique de vouloir reprendre une place de premier plan à l’échelon européen. C’est important pour la France, mais aussi pour l’Europe, si nous voulons éviter une catastrophe maritime majeure.

Dans cette perspective, la gouvernance des ports doit être revue, afin de laisser une plus grande place aux collectivités territoriales, mais sans que cela entraîne un désengagement financier de l’État et en conservant impérativement la dénomination de port d’intérêt national.

Le mouvement de décentralisation des ports amorcé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui ne concernait que les ports d’intérêt général, doit se poursuivre et s’étendre aux grands ports maritimes.

Une véritable modification de la gouvernance des établissements portuaires doit conférer une plus grande autonomie de décision aux conseils de surveillance en matière de définition des orientations et permettre une véritable implication des différents acteurs professionnels du secteur dans les diverses instances décisionnelles.

La mise en place de cette nouvelle gouvernance doit en outre s’accompagner d’une modification du mode d’intervention des collectivités territoriales. Aujourd’hui, lorsqu’elles veulent participer aux investissements portuaires, elles ne peuvent le faire que sous la forme de subventions publiques, sans jamais pouvoir récupérer les fruits des sommes investies. Bien entendu, cela n’est pas de nature à les inciter à prendre part au développement des ports ! Il serait souhaitable qu’elles puissent participer au financement des investissements portuaires au travers des sociétés de développement local, afin de pouvoir récupérer ensuite une partie de leur apport.

Cette forme de décentralisation est aujourd’hui nécessaire en vue d’une plus grande efficacité, comme a pu l’être, en d’autres temps, la dévolution de nouvelles responsabilités aux régions s’agissant des lycées ou aux départements s’agissant des collèges. Telle est l’ambition qui doit nous guider.

Toutefois, l’État doit poursuivre et renforcer son engagement financier au bénéfice des ports français. Après des décennies de « tout-routier et autoroutier », les projets présentés sont loin de constituer un rééquilibrage.

Sur le plan social, les négociations avec le personnel jouent un rôle essentiel dans la redynamisation de nos ports. En effet, à la suite des importants mouvements de grève qui ont été engagés contre la mise en place de la réforme portuaire de 2008, les escales d’un certain nombre de navires ont été déplacées vers des ports du nord de l’Europe. Cette situation, qui a touché la majorité des ports français, ne peut perdurer et doit être réglée de façon pérenne si nous voulons réellement que nos ports soient compétitifs aux échelons européen et mondial.

Les ports français ont des atouts. Ils bénéficient d’un personnel hautement qualifié, et leurs ouvriers dockers constituent une avant-garde. Avec des outillages adaptés, les personnels portuaires, notamment ceux de conduite, sauront être à la hauteur de leurs collègues des ports du nord de l’Europe. On constate que, avec des engins fiables, les cadences sont aussi bonnes chez nous qu’à Anvers ou à Rotterdam.

En conclusion, je rappellerai que l’avenir des ports français concerne aussi l’ensemble du continent européen, pour des raisons environnementales liées à la surcharge du trafic en Manche et en mer du Nord. Cet avenir dépend de l’adoption d’une meilleure approche, reposant sur une décentralisation de la gestion et sur l’engagement financier de l’État. Enfin, les objectifs évoqués ne pourront être atteints que si les aspects sociaux sont considérés comme prioritaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Thierry Mariani, ministre auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour participer à ce débat sur la réforme portuaire, désormais achevée et qui doit à présent porter tous ses fruits. L’organisation d’un tel débat témoigne de votre intérêt pour l’avenir de nos ports, qui représentent un secteur vital de notre économie.

Je tiens, à cette occasion, à remercier chaleureusement de leur action le sénateur Charles Revet, rapporteur de la loi de 2008 et fervent soutien des ports français, ainsi que l’ensemble des membres du groupe de travail sur le bilan de la réforme portuaire.

C’est pour moi une réelle satisfaction de pouvoir affirmer aujourd’hui que la réforme portuaire engagée par la loi du 4 juillet 2008 est désormais effective dans tous ses volets. Elle constituait un moyen, et non une fin en soi. Je suis tout à fait conscient qu’il reste encore beaucoup à faire ; j’y reviendrai dans la suite de mon intervention. Pour l’heure, je pense que chacun des membres de votre sage assemblée conviendra qu’il est un peu tôt pour se forger un avis définitif sur une réforme qui n’est complètement entrée en application que depuis quelques mois.

Cette réforme constituait à mes yeux une priorité, car sa mise en œuvre était vitale pour permettre à nos ports de retrouver le rang qui leur revient dans le « peloton de tête » des principaux ports d’Europe. Comme l’a souligné André Trillard, cette réforme indispensable pour renforcer la compétitivité de nos grands ports maritimes face à une concurrence toujours plus forte des autres grands ports européens ne pouvait plus attendre.

L’exemple du port de Marseille est à cet égard tout à fait éclairant : le recul de ses parts de marché en Méditerranée, qui sont passées de 28 % en 1980 à 16 % en 2010, le relègue aujourd’hui au cinquième rang des ports européens, alors qu’il est certainement l’un des mieux placés et des mieux équipés d’Europe. Il était donc urgent de se ressaisir.

C’est pourquoi le Gouvernement s’est attaché â conduire cette réforme avec une détermination sans faille, en s’appuyant sur un dialogue permanent avec l’ensemble des partenaires sociaux, afin non seulement de donner aux acteurs portuaires les moyens nécessaires à la valorisation de leurs atouts, mais aussi d’attirer dans nos grands ports maritimes de nouveaux investissements créateurs d’emplois.

L’achèvement de cette réforme souligne clairement la volonté de l’État de mener, sur la durée, une politique maritime ambitieuse, dont le développement de nos ports est une composante essentielle.

Dans ce cadre, l’objectif de créer près de 30 000 emplois a bien évidemment constitué une puissante source de motivation, tant pour le Gouvernement que pour l’ensemble de la communauté maritime.

La réforme de 2008, désormais achevée, s’organisait, je le rappelle, autour de trois axes principaux : la modernisation de la gouvernance, l’instauration d’une coordination interportuaire et le transfert des outillages et des personnels de manutention portuaires au secteur privé.

La loi de 2008 a profondément refondé le système de gouvernance des ports français, en créant de nouveaux établissements publics, baptisés « grands ports maritimes », centrés sur leurs fonctions régaliennes et d’aménagement. Leur organisation repose désormais sur trois instances : un directoire, un conseil de surveillance resserré et un conseil de développement portuaire, qui associe davantage les acteurs économiques et les collectivités territoriales.

Les mesures réglementaires nécessaires à la mise en œuvre de ce premier volet ont été prises et publiées dans leur intégralité dans le délai de six mois suivant la publication de la loi. Ainsi, et je tiens à saluer ce fait, dès le premier trimestre de 2009, toutes les instances de gouvernance des grands ports étaient opérationnelles et l’ensemble de leurs projets stratégiques avaient été adoptés, après concertation approfondie avec les acteurs portuaires et les collectivités territoriales concernés.

La réforme a par ailleurs permis la mise en place d’une véritable coordination entre ports d’une même façade maritime. Les conseils de coordination interportuaire ont déjà commencé leurs travaux, à l’instar de celui de la vallée de la Seine, qui devrait ainsi recommander prochainement la création d’un groupement d’intérêt économique associant les trois ports du Havre, de Rouen et de Paris.

S’agissant des outillages de manutention, la loi du 4 juillet 2008 imposait aux ports de cesser de détenir ou d’exploiter directement ces équipements et de les transférer aux opérateurs privés dans un délai maximal de deux ans suivant l’adoption de leur projet stratégique. Le transfert des personnels concernés, au nombre de près d’un millier, devait donc être effectif à cette échéance, afin de permettre aux grands ports de se concentrer sur leurs missions d’aménageurs et aux entreprises de manutention d’assurer enfin la gestion unique de l’ensemble de leur personnel.

Enfin, la réforme en profondeur de l’organisation et du fonctionnement de nos ports, c’est aussi, et avant tout, une affaire d’hommes.

Comme vous le savez, le Gouvernement a engagé dès 2008 une négociation collective relative aux détachements de personnels. La dernière étape de la réforme concernait le transfert vers les entreprises privées des personnels de manutention encore employés par les établissements publics portuaires.

Ce volet social de la réforme demandait la remise à plat des conditions de travail, ainsi que la conclusion d’un accord sur les dispositifs de fin de carrière. Dans ce cadre, les partenaires sociaux avaient engagé dès la mi-2008, au niveau national, la négociation d’une convention collective nationale unique des personnels portuaires et des personnels de manutention. Durant cette négociation, le Gouvernement a toujours veillé à garantir un juste équilibre entre l’acceptabilité sociale du dispositif pour les salariés et sa soutenabilité économique et financière pour les ports et les entreprises de manutention.

Après trois ans d’échanges et de concertation, la nouvelle convention collective nationale unifiée « ports et manutention » a été signée par l’ensemble des partenaires sociaux le 15 avril 2011, et est entrée en vigueur le 3 mai 2011.

Elle représente une véritable avancée, notamment pour la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers portuaires, puisqu’elle permet un dispositif de départ anticipé composé de deux volets : le premier, relatif à la « pénibilité », consiste en une anticipation de deux ans sur l’âge légal de départ à la retraite, après quinze ans de carrière ; le second, relatif à la « cessation anticipée d’activité », ajoute un an, par rapport au premier volet, pour les travailleurs ayant au moins dix-huit années d’ancienneté. Ce nouveau dispositif se cumule avec le dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, dans la limite de cinq ans, et avec les dispositions relatives à la pénibilité prévues par le régime général des retraites.

À compter de l’entrée en vigueur de cette convention, les premiers détachements de personnels sont donc devenus une réalité pour les ports de Dunkerque, de La Rochelle, du Havre, de Rouen et, partiellement, pour celui de Marseille, où les détachements se sont étalés tout au long du mois de mai 2011. Les derniers détachements de personnels sont intervenus le 10 juin dernier dans les ports de Bordeaux et de Nantes-Saint-Nazaire.

Au total, ce sont près de 880 agents grutiers et portiqueurs qui ont été détachés en un mois et demi auprès des entreprises de manutention, ce qui a marqué l’achèvement de la réforme portuaire.

Cette convention, madame Pasquet, sera bien étendue à l’ensemble des ports de pêche et de commerce, dès lors qu’ils sont maritimes. Les travaux sont en cours.

Il faut désormais que cette réforme porte ses fruits et soit pleinement exploitée par les acteurs concernés. La capacité des entreprises à tirer profit de leurs nouvelles marges de manœuvre pour répondre plus efficacement aux besoins de leurs clients sera, en ce sens, fondamentale. Il est toutefois un peu tôt, j’y insiste, pour émettre un jugement sur les effets réels de cette réforme, moins de cinq mois après sa pleine entrée en application.

Aujourd’hui, la moitié des marchandises qui arrivent en France par la mer sont débarquées dans un port étranger. Mon objectif, à moyen terme, est de faire revenir au moins 50 % de ce trafic dans les ports français. On ne peut en effet que déplorer que, à l’heure actuelle, le principal port de déchargement de conteneurs destinés à la France soit situé en dehors de nos frontières.

J’en viens aux indispensables mesures d’accompagnement de la réforme. En effet, si cette dernière est achevée, ses effets ne seront pas perceptibles à très court terme. Il est donc primordial de stabiliser le dispositif, en particulier sur les plans organisationnel et social.

Parallèlement, en concertation avec les professionnels et les entités publiques concernées, nous devons réfléchir à toutes les mesures qui permettraient de renforcer la compétitivité des ports français.

Dans mon esprit et dans celui des professionnels que j’ai pu rencontrer, il ne s’agit pas de lancer une nouvelle réforme, alors que nous attendons de celle qui est actuellement en vigueur qu’elle donne ses premiers résultats. Il s’agit d’arrêter une stratégie offensive de reconquête des parts de marché perdues à l’échelon européen et de consolider la dynamique portée par la réforme. C’est dans ce sens que Charles Revet, expérimenté sur les sujets maritimes et portuaires, a été mandaté par la commission de l’économie pour présider un groupe de travail chargé de formuler des propositions opérationnelles afin de renforcer la compétitivité des grands ports maritimes.

Le rapport du groupe de travail du mois de juillet dernier comporte quinze propositions qui s’articulent autour de quatre axes : élaborer une stratégie nationale pour nos ports, donner à l’État un rôle de coordonnateur et de facilitateur, garantir une desserte de l’arrière-pays des ports par le fer, le fleuve et la route, améliorer le fonctionnement des ports.

Je n’effectuerai pas une analyse exhaustive de ce rapport, lequel, je tiens à le souligner, est très complet. Je souhaite simplement, mesdames, messieurs les sénateurs, vous livrer quelques observations sur ses principaux axes et propositions.

S’agissant de l’élaboration d’une stratégie nationale pour nos ports, je tiens à rappeler que, dans le cadre de la réforme qui a été menée, le Gouvernement a demandé à chaque port d’adopter un projet stratégique ambitieux. Pour ce faire, nous avons investi près de 174 millions d'euros supplémentaires dans les ports via le plan de relance portuaire. L’État est donc redevenu le principal financeur public des grands ports maritimes.

Tous financements confondus, l’effort en faveur de nos ports représente aujourd’hui une enveloppe globale de près de 2,4 milliards d’euros d’investissements. Monsieur Navarro, nous avons pris la mesure de plus de vingt ans de laisser-aller.

Les nouveaux manutentionnaires qui ont été constitués dans le cadre de la réforme ont eux-mêmes investi, ce qui permet aujourd’hui la mise en place de deux portiques neufs à Fos, en complément du nouveau terminal 2XL, financé par la puissance publique.

J’ajoute que cette stratégie portuaire est résolument intermodale. Je vous remercie, monsieur Trillard, d’avoir cité l’autoroute de la mer Nantes-Gijón, qui est un bon exemple des engagements tenus du Gouvernement à la suite du Grenelle de la mer, et qui est aujourd’hui une grande réussite.

Par ailleurs, les collectivités locales sont désormais beaucoup plus étroitement associées à la gouvernance des grands ports maritimes, comme vous l’aviez souhaité, monsieur Revet, en votre qualité de rapporteur, au moment de l’examen de la loi de 2008. C’est une nécessité.

Au demeurant, je crois qu’il est dans l’intérêt des ports d’élargir leur champ d’action territorial au-delà de la région et même du territoire national. La réforme portuaire a été conçue pour offrir à nos ports des outils qui leur donnent les moyens de tenir leur rang dans la compétition européenne. Car c’est bien à cet échelon que se joue aujourd’hui leur destin, et c’est la raison d’être des projets stratégiques que d’éclairer ces enjeux en y associant, bien entendu, l’ensemble des acteurs concernés.

L’amélioration de leur compétitivité nécessite une stratégie d’aménagement de l’ensemble du territoire, ce qui ne peut être porté que par l’État. Ainsi, comme l’évoque Charles Revet, la coordination renforcée entre les ports de l’axe de la Seine, du Havre jusqu’à Paris, permettra, demain, de proposer une véritable offre logistique globale face aux ports concurrents étrangers.

Alors que la réforme portuaire vient d’être achevée, la priorité du Gouvernement est aujourd’hui d’en gérer les effets, notamment de prendre en charge la nouvelle organisation mise en place. L’État entend donc continuer à accompagner les grands ports dans leur rôle clé au service d’une politique d’aménagement globale, dont l’ambition ne doit pas s’arrêter à nos frontières administratives.

Quant aux propositions visant à recentrer l’État sur son rôle de coordonnateur et de facilitateur, elles nécessitent d’être étudiées en profondeur afin que leurs effets soient évalués. Je pense notamment à la simplification des procédures administratives, au recours à des procédures dérogatoires faisant appel à la notion de projets d’intérêt général ou encore à la modernisation de la réglementation en matière de desserte des parties maritimes des ports par des barges fluviales.

Le Gouvernement étudiera avec attention ces recommandations qui enrichissent les réflexions en cours sur les améliorations possibles en termes de procédures prioritaires et les actions d’ores et déjà menées en la matière.

À juste titre a également été évoquée la nécessité de poursuivre l’effort engagé pour lutter contre les discriminations en matière de régime de TVA à l’import des marchandises. Le Gouvernement va approfondir cette voie, car elle lui paraît essentielle pour la compétitivité des ports.

Votre rapport, monsieur Revet, insiste aussi sur la promotion du transport fluvial et du développement de dessertes multimodales de qualité des grands ports. Sachez que je partage entièrement cette analyse et que cet objectif est l’une des priorités du Gouvernement. Comme le rappellent également MM. Jean-Claude Merceron et Christian Bourquin, la bataille des ports se joue en effet d’abord à terre et repose sur une offre multimodale la plus attractive possible.

Aujourd’hui, près de 85 % des marchandises sont encore acheminées par la route, alors que, dans d’autres ports européens, cette part représente moins de 60 % du trafic traité. La desserte est un enjeu primordial, car elle permet l’ouverture du port vers son hinterland. C’est pourquoi elle représente l’une des principales composantes des projets stratégiques. Dès 2008, lorsqu’ils ont reçu en pleine propriété leur réseau de voies ferrées, les ports ont mobilisé une part substantielle de leurs crédits pour moderniser et électrifier leur réseau. L’investissement consenti devrait ainsi dépasser, à terme, plusieurs centaines de millions d’euros.

Je tiens d’ailleurs à souligner que Réseau ferré de France et la SNCF, représentés dans la quasi-totalité des conseils de surveillance, sont des interlocuteurs privilégiés des grands ports. Leurs relations sont formalisées par des conventions de partenariat et ils réalisent un travail en commun sur le terrain.

Enfin, je vous rejoins, monsieur Labbé, quant à la nécessité d’établir un lien entre grands ports maritimes et ports secondaires ou décentralisés. Les premiers doivent irriguer très profondément leur hinterland, mais tout en s’appuyant sur les seconds.

Bien évidemment, le transport fluvial doit aussi être encouragé. Le Gouvernement y attache une attention particulière, notamment dans le cadre de l’actuel plan de relance de la voie d’eau ainsi que dans la perspective du prochain débat, dans cette enceinte même, relatif au projet de loi prévoyant le changement de statut de Voies navigables de France. Ce texte entend doter cet établissement des moyens nécessaires à une meilleure gestion de notre infrastructure fluviale afin de répondre aux défis d’un transport plus massifié et donc plus durable.

À cet égard, je ne m’étendrai pas sur le projet de plate-forme multimodale au Havre ou sur le projet de canal Seine-Nord Europe, mais ils constituent autant de preuves de l’engagement du Gouvernement en faveur du transport fluvial.

Monsieur Labbé, certes, votre discours était empreint de sincérité, mais si un certain ministre écologiste n’avait pas bloqué la réalisation du canal Rhin-Rhône, aujourd'hui, le port de Marseille pourrait être desservi par la voie fluviale. Au-delà des belles déclarations, des vérités historiques doivent être rappelées !

M. Alain Gournac. La vérité est bonne à dire !

M. Thierry Mariani, ministre. Le nombre de camions circulant dans ma région serait moins important à l’heure actuelle si, à l’époque, certains avaient davantage pensé au Grenelle de l’environnement, à la planète, qu’à une circonscription, qu’ils ont quittée quelques mois plus tard !

Le transport fluvial n’a donc jamais été autant soutenu par un gouvernement.

Pour ce qui concerne l’idée de profiter de l’examen du projet de loi relatif à l'Agence nationale des voies navigables pour lever certains obstacles réglementaires au transport fluvial, il vous appartient, monsieur Navarro, de présenter vos propositions devant la Haute Assemblée, puisque ce texte, qui a été adopté ce matin en commission, sera examiné par le Sénat la semaine prochaine.

Enfin, vous proposez d’améliorer le fonctionnement des ports grâce au renforcement des équipes dédiées à la promotion commerciale du port, à l’exercice d’une saine concurrence ou encore à la modernisation du dialogue social. Je rappelle que ce dernier s’exerce désormais dans un cadre entièrement nouveau, défini par la convention collective en vigueur depuis le mois de mai dernier. Il en résulte un dispositif de négociation collective unique pour l’ensemble des personnels de manutention, ce qui représente d’ores et déjà une avancée majeure en termes de cohésion sociale.

La promotion commerciale, quant à elle, doit assurément devenir un axe majeur dans la stratégie de reconquête des parts de marché de nos grands ports. Mais ne nous leurrons pas, il convient aussi que nos ports, outre un équipement de qualité et une bonne situation, aient un fonctionnement fiable, comme j’ai pu le constater lors de ma visite des grands ports étrangers, situés notamment en Asie.

M. Charles Revet. C’est un élément essentiel !

M. Thierry Mariani, ministre. Depuis quelques mois, les travailleurs portuaires font preuve de responsabilité, ce dont je les remercie. J’espère qu’ils poursuivront dans cette voie. C’est aussi grâce à un climat social apaisé que la France arrivera à retrouver la confiance des armateurs étrangers, qui, ces dernières années, ont eu quelque peu tendance à se détourner de notre pays.

L’heure est donc aujourd’hui à la restauration de la confiance des investisseurs, qui attendent beaucoup de cette réforme. Ils ont en mémoire des ports français récemment entravés par une insuffisante fiabilité sociale, une image qui doit désormais appartenir au passé.

Madame Pasquet, vous avez évoqué l’échec de la réforme portuaire. Je vous trouve bien pessimiste, alors que, je le répète, celle-ci a été achevée voilà seulement quatre mois.

Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement s’engage dès à présent à accompagner et à encourager les gestionnaires des grands ports maritimes, dans le cadre d’une stratégie offensive destinée non seulement à optimiser la chaîne de transport et les coûts de passage, mais aussi à revaloriser l’image de nos ports, par une promotion commerciale efficace et une coordination plus poussée.

J’en viens maintenant à la réforme outre-mer.

La grande réforme institutionnelle, qui nous attend désormais et qui a été annoncée par le Premier ministre lors du comité interministériel de la mer qui a eu lieu au mois de juin 2010, est celle des ports d’outre-mer, qui ne seront pas oubliés. Elle s’inspire largement des dispositions prévues par la loi portant réforme portuaire de 2008 et vise à répondre aux exigences de performance et de réactivité qu’impose l’évolution du commerce maritime international en modernisant le dispositif de gouvernance de nos ports.

Je tiens à souligner que la place des collectivités territoriales y sera nettement accrue afin que le développement des ports d’outre-mer accompagne et favorise l’évolution des territoires sur lesquels ils sont implantés. À cet effet, les trois ports d’intérêt national actuellement concédés aux chambres de commerce et d’industrie – Fort-de-France, Dégrad-des-Cannes et Port-Réunion – ainsi que le port autonome de la Guadeloupe devraient être transformés en grands ports maritimes, établissements publics nationaux.

Vous le constatez, sous cette législature, notre système portuaire aura été profondément repensé et modernisé, de manière à pouvoir répondre, sur l’ensemble du territoire, aux défis du commerce maritime mondialisé, qui, je le rappelle, constitue l’un des moteurs les plus importants de notre économie.

La réforme portuaire est une composante fondatrice de notre nouvelle politique maritime, voulue par le Président de la République après l’adoption du Grenelle de la mer.

Certes, la France est naturellement, par sa géographie, le deuxième espace maritime au monde, et, par son histoire, une grande nation maritime.

Comme la plupart d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai la profonde conviction que notre pays ne pourra devenir de nouveau une véritable puissance maritime qu’à l’aide de grands ports modernes et attractifs pour desservir ces vastes étendues et irriguer notre économie. Cette réforme n’est pas une fin en soi, je le répète ; elle n’est qu’un commencement.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Thierry Mariani, ministre. L’ambition qui l’anime ne pourra être réussie que si cette réforme est collective, autrement dit si sont associés à sa mise en œuvre les ports, les collectivités territoriales, les manutentionnaires, l’ensemble des partenaires sociaux. Un climat social apaisé dans les ports garantit à ces derniers plus d’activité, des créations d’emplois plus nombreuses ; les premiers bénéficiaires en seront les travailleurs portuaires.

MM. Charles Revet et Alain Gournac. Tout à fait !

M. Thierry Mariani, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de nos divergences, nous partageons la même ambition. Nous sommes convaincus de la vocation maritime de la France. La réforme portuaire, j’y insiste, constitue une première étape. Je veillerai personnellement, aux côtés de Nathalie Kosciusko-Morizet, à la suite de son application. Monsieur Revet, les projets relatifs à l’aménagement de l’hinterland doivent en être l’une des priorités. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je souhaite remercier la conférence des présidents d’avoir permis la tenue de ce débat, au cours duquel a pu être expliquée la tâche réalisée par le groupe de travail dont vous avez été le rapporteur, mon cher collègue Charles Revet. Je remercie également Odette Herviaux, Robert Navarro et Gérard Le Cam, qui ont travaillé efficacement à vos côtés.

Si le rapport final a été adopté à l’unanimité, c’est en raison de l’enjeu économique en cause, à savoir l’optimisation du fonctionnement et le développement de tous les ports français. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme portuaire.

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Débat sur la couverture numérique du territoire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la couverture numérique du territoire.

La parole est à M. Hervé Maurey, au nom de la commission de l’économie.

M. Hervé Maurey, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier la commission de l’économie d’avoir organisé ce débat, qui s’inscrit dans le prolongement du rapport que j’avais présenté au mois de juillet : Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes. Le fait que ce rapport ait été adopté à l’unanimité, tout comme notre débat d’aujourd’hui, témoigne de l’importance que nous accordons à ce sujet et de notre inquiétude face à la situation de notre pays en matière numérique.

La commission est convaincue que les technologies de l’information et de la communication représentent un atout indispensable pour nos territoires. Nous savons fort bien que si un territoire, même enclavé, possède une couverture numérique satisfaisante, il pourra attirer des entreprises, de nouveaux habitants, alors que, dans le cas, contraire il connaîtra un inévitable déclin. Nous savons aussi ce qu’apportent à nos territoires les technologies de l’information et de la communication en matière de services publics, d’enseignement, de « e-santé » ou de qualité de vie. Cependant, je ne développerai pas ces différents points par manque de temps.

La commission de l’économie est également sensible à l’apport des technologies de l’information et de la communication en termes économiques et de compétitivité internationale. À cet égard, je rappelle l’étude récente réalisée par le cabinet McKinsey, en mars 2011, qui fait état de la création de 700 000 emplois dans ce secteur depuis 2000 et qui prévoit 450 000 créations nettes d’emplois directes ou indirectes à l’horizon de 2015. Ce n’est donc pas un hasard si la Corée du Sud vise aujourd’hui l’ultra haut débit avec des connexions non pas à 100 mégas, comme nous l’envisageons, mais à 1 giga à l’horizon de 2012.

Cela étant, la commission est inquiète. Nous avons le sentiment que, comme trop souvent dans notre pays, on se voile la face, on se berce d’illusions et on veut croire à une réalité qui n’existe pas.

En matière de haut débit, on nous indique que 98,3 % des foyers bénéficient d’un accès à l’ADSL. Ce pourcentage est exact et peut paraître tout à fait satisfaisant, même si 450 000 foyers ne sont pas éligibles à l’ADSL, mais il faut bien savoir que ce chiffre ne recouvre que les foyers bénéficiant d’une connexion à partir de 512 kilobits par seconde. Or, M. le ministre l’a reconnu lui-même en commission, aujourd’hui, en dessous de 2 mégabits par seconde, le service n’est pas satisfaisant. Si l’on prend comme référence 2 mégabits par seconde, le taux de connexion est non plus de 98,3 % des foyers, mais de 77 % !

Quant à l’offre triple play, à laquelle aspirent bon nombre de nos concitoyens, plus de la moitié des Français ne peuvent y accéder.

J’en viens à la téléphonie mobile.

Comme l’indique le rapport de notre collègue Bruno Sido, le taux de couverture de la population par au moins un opérateur en technologie 2G est de 99 %. Reste que 100 000 personnes en sont exclues, étant entendu que la moitié d’entre elles sont regroupées sur treize départements.

Si l’on arrive à ce pourcentage, qui lui aussi peut paraître satisfaisant, c’est parce que l’instrument de mesure n’est pas adapté à la réalité. Établi il y a une quinzaine d’années lorsque la téléphonie mobile était balbutiante, celui-ci ne prend en compte que la possibilité de capter les communications à l’extérieur des bâtiments, dans des zones habitées et en position immobile, ce qui est pour le moins paradoxal !

Lorsque l’on évoque les zones blanches, c’est encore plus extraordinaire, puisqu’il suffit qu’un seul point de la commune soit couvert pour que, dans les statistiques, l’intégralité de la commune soit considérée comme desservie !

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Hervé Maurey. Nous avons déjà eu ce débat ici. À cette occasion, vous aviez vous-même reconnu, monsieur le ministre, que l’instrument de mesure n’était pas satisfaisant. C’est pourquoi la Haute Assemblée a adopté à deux reprises un amendement visant à considérer qu’une commune n’est pas intégralement couverte dès lors qu’un seul point de son territoire est desservi.

En ce qui concerne le très haut débit mobile, le Parlement estime que l’aménagement du territoire doit être l’objectif prioritaire dans l’attribution des fréquences. Vous l’avez vous-même confirmé, monsieur le ministre, mais vous avez ajouté qu’il fallait être très attentif à la valorisation de ces fréquences. Pour notre part, nous serons très attentifs à l’équilibre que vous instaurerez entre ces différentes priorités. Elles doivent en effet être hiérarchisées, car on ne peut pas tout faire en même temps.

Le point qui nous inquiète le plus concerne le très haut débit fixe. Son déploiement reste encore très embryonnaire dans notre pays, puisque seuls 1 135 000 foyers sont raccordables et 555 000 sont effectivement abonnés à la fibre. À ce rythme-là, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, estime – j’espère que c’est de l’humour – qu’il faudra cent ans pour couvrir notre territoire.

La France, contrairement à ce que vous nous avez dit en commission, monsieur le ministre, n’est pas en tête des pays comparables au nôtre, puisque, selon un classement établi par le FTTH Council, nous sommes au vingt-deuxième rang sur vingt-six dans le panel analysé par cette institution internationale.

M. Hervé Maurey. Le Président de la République a fixé en 2010 des objectifs ambitieux, ce dont nous nous réjouissons. Il a souhaité que 70 % de la population bénéficie du très haut débit en 2020 et 100 % en 2025. Malheureusement, il y a fort à parier que ces objectifs ne seront pas tenus.

M. Roland Courteau. C’est certain !

M. Hervé Maurey. En effet, le modèle de déploiement qui a été choisi ne nous paraît pas pertinent. Je le rappelle, plusieurs solutions pouvaient être envisagées.

Nous aurions pu recourir à un opérateur mutualisé, mais cette idée n’a pas été retenue voilà un peu plus de deux ans, car l’opérateur historique n’y était pas favorable. Nous aurions pu nous inspirer de l’Australie, où c’est un opérateur unique qui a été créé pour déployer la fibre sur le territoire, ou de la Finlande, où le déploiement est assuré par un partenariat public-privé. Nous aurions également pu envisager, comme nous l’avons fait avec le réseau autoroutier, des concessions à l’échelon régional. Ce choix aurait eu l’avantage de confier le déploiement de la fibre à des entreprises de travaux publics, qui sont habituées à des retours sur investissement à plus long terme et à des taux plus faibles que les opérateurs de télécommunications.

Le modèle qui a été choisi vise à favoriser l’initiative privée. Or les opérateurs privés – on ne peut pas les en blâmer – privilégieront la rentabilité. Il existe donc un risque évident d’écrémage.

Dans le cadre du programme national « très haut débit », le PNTHD, 750 millions d’euros ont été affectés au concours de l’État aux collectivités pour le déploiement de la fibre en zone rurale. Cette enveloppe a été portée à 900 millions d’euros au mois d’avril dernier. C’est mieux, certes, mais on est encore loin des besoins en la matière. Le rapport que j’ai remis voilà un an au Premier ministre montre que le Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT, devrait être alimenté à hauteur de 600 millions d’euros par an sur quinze ans pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par le Président de la République.

Mais chose beaucoup plus grave, à la suite des annonces faites lors de la conférence de presse du 27 avril dernier, vous avez fait un pas supplémentaire dans la mauvaise direction.

Au préalable, on considérait qu’une collectivité ne percevrait pas de subvention pour les projets en zones denses, mais qu’elle pourrait en percevoir pour les projets en zones non denses. Désormais, vous considérez qu’il faut punir les collectivités qui ont l’audace d’investir dans des zones denses en supprimant la subvention, même si, dans le même temps, elles interviennent en zones non denses. Cette décision interdit ipso facto toute péréquation à l’échelle d’une collectivité entre les zones rentables et les zones non rentables. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées de l’UCR, du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Gournac applaudit également.)

Cela signifie que les collectivités ne pourront intervenir que dans les zones non rentables. De plus, ce qui est extrêmement grave, il suffit qu’un opérateur annonce un déploiement dans un secteur sans la moindre assurance sur la réalité de son engagement, le calendrier, les montants investis, pour que les projets des collectivités soient totalement gelés. C’est intolérable !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. On a des noms ?

M. Hervé Maurey. Comme d’habitude, on invoque les règles de la concurrence, notamment le droit européen. Or, comme nous sommes assez dubitatifs sur ce point, la commission a saisi au début de mois de septembre l’Autorité de la concurrence, et nous attendons son analyse sur ce sujet.

Je voudrais également vous faire part de nos doutes quant à l’engagement de l’opérateur historique de couvrir 60 % des foyers d’ici à 2020 et d’investir 2 milliards d’euros. Je vous avais déjà interpellé sur ce point sans obtenir de réponse. Je ne vois pas comment on peut couvrir 60 % de la population avec 2 milliards d’euros. L’ensemble des analyses et des expertises concluent qu’il faudra environ 7 milliards d’euros !

Nous émettons également des doutes quant au réel intérêt de l’opérateur historique à déployer la fibre dès lors qu’il bénéficie de la rente sur le cuivre, c’est-à-dire d’un investissement amorti qui lui procure des revenus importants. La commission et moi-même ne sommes pas les seuls à émettre ces doutes, puisque ce constat a conduit la semaine dernière la commissaire Neelie Kroes, en charge de la stratégie numérique, à s’interroger sur ce point et à lancer une consultation publique dont l’idée serait de rendre le cuivre moins rentable pour inciter les opérateurs à investir dans la fibre. Vous le voyez, cette préoccupation est maintenant reprise à l’échelon européen.

La commission de l’économie constate que l’État s’est totalement désengagé sur ce sujet, laissant la clé de la maison aux opérateurs privés, qui font ce qu’ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR, du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Les collectivités locales vont là où les opérateurs n’ont pas envie d’aller,…

Mme Mireille Schurch. Exactement !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Je suis débordé sur ma gauche !

M. Hervé Maurey. … qui plus est sans aucune garantie d’obtenir des financements, puisque – j’y reviendrai ultérieurement – le Fonds d’aménagement numérique des territoires, que nous avons créé ici même il y a bientôt deux ans, n’est toujours pas alimenté.

Face à cette situation, la commission préconise un véritable sursaut au travers de trente-trois mesures. Je ne les détaillerai pas toutes ici, rassurez-vous, monsieur le ministre, j’insisterai néanmoins sur certaines d’entre elles.

Premier point, nous souhaitons que l’État retrouve un rôle actif sur ce sujet éminemment « politique » – au sens noble du terme – qui concerne l’aménagement du territoire. Ce n’est pas parce que la loi de 2004 a confié des compétences aux collectivités locales que l’État doit se contenter d’être un spectateur. Il doit être un acteur engagé sur ce sujet très important aussi bien à l’échelon national qu’à l’échelon local, où cette question ne fait pas partie des principales préoccupations de nos préfets.

Deuxième point important, il faut élargir le champ de compétences des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, les SDTAN. Dans la loi, ils sont facultatifs et uniquement pour le très haut débit. Nous demandons qu’ils soient obligatoires, opposables et qu’ils couvrent l’ensemble de la problématique numérique, car le haut débit, le très haut débit et la téléphonie mobile forment un tout.

Troisième point, sur la base de ces schémas, nous voulons une véritable contractualisation entre les opérateurs et les collectivités locales. Il faut que les engagements des opérateurs soient non plus, comme on dit en Normandie, des « paroles verbales », mais de véritables engagements contractuels et que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, ait le pouvoir de sanctionner les opérateurs qui ne tiendraient pas leurs engagements.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Hervé Maurey. Quatrième point, nous souhaitons que soit réaffirmé le droit des collectivités territoriales à intervenir sur la totalité de leur territoire et qu’on leur reconnaisse le statut d’opérateur de réseau.

Enfin, cinquième point, il faut changer fondamentalement la relation entre l’État et les opérateurs.

Aujourd’hui, les opérateurs sont considérés comme une source de revenus, à la fois parce que l’État est actionnaire de France Télécom et parce que, lorsqu’il a besoin d’une petite recette budgétaire supplémentaire, on crée une taxe sur les opérateurs. En revanche, on ne leur fixe aucune obligation. Selon moi, il faut faire l’inverse, à savoir arrêter de considérer les opérateurs comme des vaches à lait et leur fixer de véritables obligations de service public, afin que nos territoires aient enfin une couverture satisfaisante.

J’en viens à la téléphonie mobile.

Comme vous l’aviez vous-même reconnu, monsieur le ministre, nous devons de toute urgence nous mettre autour de la table et créer un groupe de travail ad hoc, afin de définir des critères satisfaisants et correspondant à la réalité de la couverture de nos territoires en téléphonie mobile.

Concernant le haut débit, il faut mettre en place pour tous un véritable accès sur la base de 2 mégabits par seconde dès 2012, puis de 8 mégabits par seconde à l’horizon de 2015. Il est impossible de parler de très haut débit lorsque des territoires ne disposent même pas aujourd’hui d’un débit de 512 kilobits par seconde. C’est tout simplement intolérable !

À la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous avons eu l’occasion, notamment sur l’initiative de notre collègue Michel Teston, de nous interroger sur la nécessité d’inclure le haut débit dans le service universel. C’est une vraie question qui devra sans doute être tranchée à l’échelon européen. En attendant, nos concitoyens doivent impérativement accéder à un véritable haut débit, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, contrairement à ce qui nous est affirmé, notamment par les opérateurs, dans nos départements respectifs.

S’agissant du très haut débit, il ne faut pas, à ce stade, envisager de changer le modèle qui a été choisi. En revanche, il convient de le rendre efficace. C’est le sens des propositions que je rappelais tout à l’heure en évoquant le schéma directeur territorial d’aménagement numérique, dont nous voulons faire un véritable instrument.

Au-delà, il est impératif, dès 2012, d’alimenter le Fonds d’aménagement numérique des territoires, et c’est possible sans créer de prélèvements supplémentaires. En effet, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, nous avions suggéré ici même d’affecter à ce fonds une partie de la recette générée par l’augmentation de la TVA sur l’offre triple play, qui a quand même dégagé 1,1 milliard d’euros supplémentaires. Mais, naturellement, nous n’avons pas été entendus.

Je signale aussi que le président de l’ARCEP a eu l’occasion de rappeler que plus de 4 milliards d’euros étaient encore aujourd’hui consacrés chaque année aux routes. Selon moi, on pourrait réduire ces crédits et accroître ceux qui sont consacrés à cet investissement d’avenir que constitue le déploiement de la fibre !

Le Fonds d’aménagement numérique des territoires devra financer les investissements des collectivités, non pas selon des règles et des ratios stricts, mais en fonction de l’importance des projets et des capacités contributives des collectivités. En effet, ce sont malheureusement souvent dans les départements les plus pauvres que l’on a affaire aux projets les plus onéreux.

Il faut encore, en priorité, assurer le déploiement en zone rurale, où les besoins et l’appétence sont beaucoup plus grands. On observe ainsi, et c’est tout à fait logique, que le taux de raccordement à la fibre dans certains départements ruraux n’a rien à voir avec celui que l’on observe en zone urbaine. Par exemple, dans l’Ain, il est de 60 %, contre seulement 5 % à Paris !

Il faudra également revoir les modalités d’utilisation du milliard d’euros du guichet A du Fonds national pour la société numérique, car proposer des prêts aux opérateurs n’a pas de sens. Mieux vaut réorienter les crédits vers du coinvestissement.

L’ARCEP devra travailler sur la tarification du très haut débit pour les professionnels. Aujourd’hui, il existe en effet des tarifs différents.

Il faut travailler à une harmonisation des référentiels techniques, afin que, d’un département à l’autre, les réseaux soient concordants et homogènes.

Enfin, en 2013, il conviendra naturellement de faire le bilan du modèle choisi pour éviter d’appliquer indéfiniment et sans aucune analyse un modèle qui ne serait pas pertinent. Le cas échéant, il ne faudra alors pas s’interdire de changer de modèle de déploiement, car le sujet est beaucoup trop important pour aller droit dans le mur !

Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais vous indiquer. Nous attendons des réponses à ces propositions ainsi qu’aux questions qui vous avaient été posées en commission de l’économie le 20 juin et que je vous ai rappelées par courrier le 23 juin. J’ai bien reçu un accusé de réception signé de votre directeur de cabinet le 19 juillet, mais aucune réponse ne m’a été apportée à ce jour. Par conséquent, permettez-moi de revenir rapidement sur ces questions qui sont importantes.

Comment le Gouvernement entend-il revoir les critères de mesure de la couverture en téléphonie mobile ? Quelles initiatives entendez-vous prendre pour résorber les zones blanches ? Comment le Gouvernement compte-t-il contrôler le respect des engagements pris par les opérateurs ?

Une dernière question m’a été soufflée par l’actualité. Monsieur le ministre, vous vous rappelez que, en application de la loi de modernisation de l’économie, le Gouvernement avait pris un décret relatif au droit à la connaissance des réseaux par les collectivités territoriales. Ce décret avait été annulé pour vice de forme. Lors de la transposition de la directive, nous avions fait en sorte de sécuriser juridiquement ce décret, afin qu’il puisse être repris à l’identique.

D’après les informations dont nous disposons – mais j’espère que vous allez nous affirmer le contraire ! –, le Gouvernement serait revenu en arrière et ne serait plus disposé à prendre une version semblable à la précédente, l’opérateur historique n’étant pas favorable à un accès trop large des collectivités à la connaissance de leurs réseaux, en tout cas à titre gratuit. Sur ce point, nous attendons donc une réponse de votre part.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos territoires ont aujourd’hui « soif de débit ». Depuis la publication du rapport, un appel à la mobilisation générale pour le très haut débit a été lancé cet été à Aurillac par des réseaux d’initiative publique, qui demandent que soient prises des mesures fortes. À cet égard, j’aimerais appeler votre attention sur un sondage qui a été réalisé par l’Association des maires ruraux et qui m’a moi-même surpris : la problématique numérique serait la première préoccupation des élus ruraux, avant même l’école et les routes ! Cela montre à quel point les territoires ruraux sont en attente d’une couverture numérique satisfaisante.

Vous le savez, monsieur le ministre, nous n’entendons pas en rester là. À l’issue de ce débat, je déposerai avec Philippe Leroy une proposition de loi, car, dans cet hémicycle, nous pensons qu’il est temps de « passer des paroles aux actes » ! (Applaudissements.)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du déploiement du haut débit et du très haut débit est au cœur des préoccupations des acteurs locaux, principalement les départements ruraux ; M. Maurey vient de le rappeler. L’enjeu me semble comparable à celui qui, au XIXe, siècle a justifié la volonté de doter tous les foyers en eau courante et en électricité. L’accès à l’information et à la communication est plus que jamais un facteur structurant comparable à celui de la desserte en infrastructures essentielles.

Cet accès est une condition certes insuffisante, mais indispensable pour que « la société de l’information » contribue au développement d’un territoire. Il s’agit non seulement de raisonner en termes d’attractivité, mais, au-delà, c’est bien l’avenir des territoires qui est en jeu, et les maires ruraux ne s’y trompent pas.

Aujourd’hui, la couverture numérique du territoire fait écho à la « métropolisation » voulue par le Gouvernement lors de sa réforme des collectivités territoriales, réforme largement désavouée par les élus locaux, qui, à juste titre, ont vu dans cette nouvelle organisation un abandon croissant d’une large fraction du territoire national.

Pour l’usager, l’accessibilité se situe à deux niveaux : un accès au réseau, c’est-à-dire l’existence d’une desserte du territoire, et un accès financièrement acceptable. Bien que la question ne soit pas nouvelle, le rapport souligne que la fracture en termes de téléphonie mobile et de haut débit n’a pas été résorbée et qu’une nouvelle fracture se fait jour en termes de très haut débit.

Pourtant, en 2010, à l’issue des Assises des territoires ruraux, le Président de la République annonçait les objectifs de son Gouvernement en matière de couverture très haut débit, à savoir 70 % de la population en 2020 et 100 % en 2025.

Pour y parvenir, le programme national « très haut débit » recommande de favoriser l’initiative privée non seulement dans les zones denses, mais même au-delà. À cet égard, je partage les inquiétudes de M. Maurey, qui a écrit dans son rapport : « En choisissant de donner la priorité à la seule initiative privée et de “faire confiance” aux opérateurs pour assurer le déploiement du réseau national très haut débit, le dispositif entier du PNTHD se retrouve soumis à la plus grande incertitude ». Vous avez détaillé ce point, mon cher collègue, ce dont je vous remercie.

Ce constat est sans appel. Selon moi, en effet, non seulement il n’est pas pertinent, mais il est même dangereux d’appuyer en priorité des initiatives privées. De plus, il est inadmissible de priver les collectivités de subventions lorsqu’elles souhaiteront couvrir des zones rentables en même temps que des zones non rentables, justement pour opérer une péréquation financière,...

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. ... comme cela a été annoncé par le Gouvernement le 27 avril 2011. Monsieur le ministre, il faudra sans doute revoir cette question.

Enfin, sur la question des schémas directeurs territoriaux devant permettre de répertorier les réseaux existants et de définir des objectifs clairs de couverture adossés à un échéancier de travaux, nous partageons votre position, monsieur Maurey. D’ailleurs, nous réitérons la demande que nous avions formulée par voie d’amendement lors de la discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique de renforcer les caractères obligatoires et contraignants de ces schémas.

Toutefois, nous pensons qu’il faut aller encore plus loin. La question de l’aménagement numérique du territoire est liée à la déréglementation du secteur et au paysage concurrentiel qui a émergé par la suite. Cela n’est pas nouveau ; c’est ce que nous constatons tous les jours pour les entreprises en réseaux, comme le transport ou l’électricité.

Aujourd’hui, comme cela a été souligné lors des auditions, l’aménagement numérique du territoire pose de façon urgente la question d’un service public des télécommunications, la reconnaissance sur laquelle il faudra bien se pencher d’un « service universel » – pour reprendre la terminologie européenne – d’accès à la téléphonie mobile, au haut et très haut débit.

À cet égard, il est précisé dans le rapport que « la concurrence n’est pas un objectif en tant que tel, mais un moyen de satisfaire l’intérêt général. En ce domaine, la concurrence ne semble pas le meilleur moyen d’atteindre cet objectif. ». Je partage ces propos.

En matière financière, alors qu’un dispositif de péréquation nationale existe dans tous les secteurs de services publics ouverts à la concurrence, le Gouvernement a estimé qu’il ne fallait pas dissuader les opérateurs privés d’investir et a donc privé le Fonds d’aménagement numérique des territoires de financements adéquats.

Or la possibilité de taxer les opérateurs privés n’est pas dangereuse, comme on l’entend souvent ; au vu des investissements nécessaires dont vous avez parlé, monsieur Maurey, elle est impérative pour irriguer l’ensemble du territoire national. Sans ressources pérennes octroyées au Fonds d’aménagement numérique des territoires, comment penser que la fracture numérique pourra être résorbée, voire être prévenue concernant le très haut débit ?

M. Roland Courteau. Évidemment !

Mme Mireille Schurch. En effet, au vu de la crise du pouvoir d’achat que nous traversons, il n’est pas socialement juste de solliciter l’usager, via une contribution de solidarité numérique, ou les consommateurs, via une taxe sur les produits électroniques grand public.

De surcroît, la proposition qui consisterait à céder des participations de l’État dans certaines entreprises publiques pour les affecter au Fonds d’aménagement numérique des territoires est pour nous inacceptable.

Nous estimons en effet qu’il est absolument urgent de plébisciter un service universel du haut débit, appuyé sur un pôle public des télécommunications capable de faire les investissements nécessaires, afin de permettre le fibrage de l’ensemble du territoire. La mise en place de réseaux publics est préférable à l’octroi de subventions à des opérateurs privés porteurs de leur seul intérêt individuel.

Le phénomène de libéralisation des télécommunications a été enclenché en 1993. L’expérience montre aujourd’hui que cela a conduit à une opacité des offres de services, à une baisse de la qualité des services de maintenance dont se plaignent nos concitoyens, à des ententes entre les opérateurs privés pour se partager les bénéfices et, surtout, à laisser sur le bord du chemin les territoires jugés non rentables économiquement. Monsieur Maurey, vous avez même évoqué le risque d’assister à un « écrémage ».

Or, comme le souligne le rapport du Conseil économique, social et environnemental Conditions pour le développement numérique des territoires, il est aujourd’hui essentiel de « faire prévaloir les critères d’aménagement du territoire sur ceux de concurrence ». C’est ce que réclament fortement les maires ruraux. C’est pourquoi nous regrettons que le rapport ne revienne pas sur le découpage du territoire national en trois espaces étanches. Nous ne souscrivons pas à cette vision qui, de fait, crée une rupture d’égalité par un mécanisme de privatisation des profits et de socialisation des pertes.

En outre, dans cette configuration en droite ligne avec la loi pour la confiance dans l’économie numérique, les collectivités locales les plus concernées seront, comme aujourd’hui, très lourdement sollicitées, alors même qu’elles payent les conséquences du désengagement de l’État.

Mme Mireille Schurch. Il est essentiel de rappeler que le coût de l’accès au numérique sur tout le territoire doit essentiellement être pris en charge à l’échelon national et non local. Attention, renforcer le rôle des collectivités ne doit pas conduire à un désengagement de l’État, qui ne peut que se traduire par l’émergence d’une France à deux vitesses ! Selon moi, l’État doit être le garant de l’intérêt général sur tout le territoire national.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. Ainsi, en tant qu’actionnaire principal de France Télécom, il doit reprendre la main et infléchir la stratégie de l’entreprise, afin d’employer les dividendes qu’il reçoit pour aider les collectivités locales. L’opérateur historique et les fournisseurs d’accès à internet dégagent des marges considérables sur cette activité depuis plusieurs années. C’est pourquoi ils ne peuvent envisager de ne faire appel qu’aux subventions des collectivités dans les zones blanches ou grises, en concentrant leurs investissements sur les zones rentables, sans contribuer au Fonds d’aménagement numérique des territoires. L’État doit imposer un critère d’aménagement du territoire !

Enfin, il faut être extrêmement vigilant sur ce point, le numérique ne doit pas servir à renforcer, voire à légitimer le retrait de l’État. Si la « e-administration » permet aux habitants des territoires ruraux d’effectuer à domicile et à toute heure une multitude de démarches administratives, elle favorise aussi l’isolement et une certaine fracture sociale. Il en est de même pour la télémédecine, qui, si elle peut s’avérer utile, dans certaines configurations très particulières, aux patients et aux médecins, ne doit pas et ne peut pas être une réponse à la désertification médicale.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Mireille Schurch. En conclusion, le modèle qui nous est proposé depuis plusieurs années a conduit aux multiples fractures dont souffre notre pays, que celles-ci soient sociales, scolaires, postales, énergétiques ou numériques. Le résultat des élections sénatoriales du 25 septembre dernier est un signal fort, qui confirme le mécontentement des élus locaux face à l’abandon de toute une partie du territoire. Il nous conforte dans l’idée que les territoires doivent être au cœur de toutes les réflexions sur les services publics en réseau, domaine dans lequel l’État doit reprendre la main. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque l’on prend la parole après M. Maurey, il est difficile d’innover dans l’argumentation. Je ne relèverai donc pas ce défi !

Je tiens à remercier la commission de l’économie, qui a permis, dès la reprise de nos travaux, l’inscription de ce débat fort important à l’ordre du jour. Je veux tout particulièrement féliciter M. Hervé Maurey de son excellent rapport et saluer les contributions de nos collègues Xavier Pintat et Bruno Sido.

Tous les sénateurs, notamment les élus des territoires ruraux, ont particulièrement à cœur la question de la couverture numérique du territoire. Le département que je représente fait partie des treize départements où les zones blanches ne disparaissent pas, ce qui se révèle une injustice inacceptable. Tous, sénateurs, députés, ministres, et jusqu’au Président de la République lui-même au cours de son discours de Morée dénoncent cet état de fait.

Alors que j’avais fait de ce discours mon livre de chevet, je m’aperçois aujourd’hui que les promesses faites n’ont pas été tenues. Pourtant, le Président de la République a récidivé hier, à Aubusson, en reprenant pratiquement mot pour mot son propos de Morée : selon lui, la nécessité d’un désenclavement numérique de nos territoires constitue une véritable révolution. Mais comment faire une révolution si les promesses de l’État restent sans suite, si les engagements, pris par deux fois, du Président de la République ne sont pas respectés ?

Une telle situation est d’autant plus inacceptable que le rapport de M. Hervé Maurey a été voté à l’unanimité, personne ne le contestant ni ne s’interrogeant sur d’éventuelles visées politiques dont il est, chacun le reconnaît, totalement dépourvu.

Dans nos territoires, nous sommes aujourd’hui confrontés aux situations que l’on nous avait prédites. Dès à présent, certaines entreprises délocalisent leurs activités faute de pouvoir disposer du haut débit. Des problématiques s’annoncent d’ores et déjà irrécupérables. Je pense bien évidemment aux problèmes des services publics, notamment à la télémédecine, dont il a été fait état.

Dans certains territoires, la désertification médicale, c’est parfois, pour nos habitants, une question de vie ou de mort ! Dans la ruralité la plus profonde, comment le médecin de permanence le week-end, dont le secteur d’intervention s’étend sur plus de cinquante kilomètres, peut-il avoir accès au dossier médical s’il ne dispose pas d’une liaison numérique satisfaisante ? Quand une personne est en attente de soins, il est nécessaire que son médecin puisse prendre connaissance de son dossier médical. Or, sur mon territoire, c’est impossible !

L’urgence à laquelle sont confrontés ces territoires les a conduits à manifester leur révolte, qui s’est traduite par le vote que nous connaissons tous.

Cette injustice est encore plus insupportable dans les régions, lesquelles doivent, à l’image de la région Midi-Pyrénées, se substituer aux compétences de l’État. Comment pouvons-nous continuer à œuvrer en faveur du désenclavement numérique, alors que nous avons déjà apporté notre contribution aux TGV, aux routes nationales à hauteur de plus de 50 % et aux maisons de service public, en particulier aux maisons de santé ? Aujourd’hui, on nous demande non seulement de compenser à nouveau le désengagement de l’État sur le terrain, mais aussi de faire face à l’anarchie qui règne entre les opérateurs. Mettre fin à cette situation serait pourtant le minimum que l’État pourrait faire !

On en arrive en effet à des situations ubuesques. On a ainsi vu l’opérateur historique installer une fibre à côté de celle qui avait été mise en place par le conseil général ou une autre collectivité, un troisième opérateur, finalement retenu, ayant par la suite logé une troisième fibre !

Nous sommes donc dans une situation inacceptable et, lors des débats qui se succèdent dans cet hémicycle, nous ne pouvons que répéter ce que nous avons déjà dit. Je vous l’affirme, monsieur le ministre, nous commençons à désespérer. Les territoires ruraux sont tout à la fois révoltés et découragés. En effet, la couverture numérique, à en croire les sondages, constitue une demande essentielle des territoires. La situation va devenir ingérable.

Comme mes collègues, je vous demande, monsieur le ministre, d’apporter des réponses aux trente-trois propositions formulées par le rapport, qui me paraissent raisonnables. Au demeurant, la première des réponses n’est-elle pas de dire que, pour mener une révolution, il faut s’en donner les moyens ? Pourquoi ne pas souscrire à l’idée de créer un véritable ministère de l’aménagement du territoire et du désenclavement numérique, qui prendrait ce problème à bras-le-corps ? Cette première décision, assez simple à prendre, nous permettrait d’avoir un interlocuteur susceptible, sur le terrain, d’apporter les réponses que nous attendons.

Monsieur le ministre, pour les territoires ruraux qui ne bénéficient même pas d’une couverture en téléphonie mobile, les inégalités trop importantes engendrent une forme de désespoir, qui ne doit pas perdurer. En effet, contrairement à ce qu’on nous a laissé croire, la France figure – triste constat ! – au vingt-deuxième rang des vingt-six pays analysés dans ce domaine. Je vous demande donc de bien vouloir nous apporter des réponses propres à nous rassurer. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la révolution numérique est une fantastique opportunité. C’est une certitude que nous partageons tous ! Elle rebat tous les jours les cartes, dans l’ensemble des domaines : économique, culturel, international. On a même dit que les révolutions arabes avaient été des « e-révolutions ».

Le mouvement s’accélère toujours plus. Il faut, pour les grands réseaux, de plus en plus de débit, de capacité et de vitesse. Le haut débit est à peine installé dans la profondeur de nos territoires que, désormais, on parle du très haut débit.

Cette révolution suscite non seulement beaucoup d’espérance, mais aussi, vous l’avez compris, monsieur le ministre, de crainte, celle du déclassement d’un certain nombre de nos territoires.

Je m’efforcerai d’apporter à ce débat un peu de réalisme et d’objectivité. En effet, dès lors que l’on évoque ces infrastructures essentielles pour préparer l’avenir de nos territoires et de notre pays, il convient de distinguer, d’une part, le mobile, et, d’autre part, le fixe.

Sur le mobile, je ne veux pas m’appesantir, car je partage très largement, monsieur Maurey, vos conclusions, ainsi que celles du rapport de Bruno Sido. Je dresserai simplement deux constats.

Premièrement, il convient de souligner les aspirations paradoxales de nos concitoyens, qui veulent toujours plus de couverture et toujours moins d’antennes !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !

M. Bruno Retailleau. Je sais que M. le président de la commission ne me démentira pas sur ce sujet.

Deuxièmement, les zones blanches doivent être supprimées le plus vite possible.

La quatrième génération est un enjeu fantastique, un virage qu’il ne faut pas louper : ce sera non seulement l’infrastructure du très haut débit mobile, mais aussi, pour un certain nombre d’années et de nombreux territoires, un ersatz à la fibre. Rappelons que les fréquences basses utilisées ont un pouvoir de couverture des territoires trois fois supérieur aux fréquences habituelles.

Je me félicite de ce que le travail mené par la commission du dividende numérique, que j’ai l’honneur de présider, par le Gouvernement et par l’ARCEP ait permis de définir les dispositions et contraintes qui prévaudront pour l’attribution des fréquences, un tel cadre n’ayant encore jamais vu le jour en France. Le critère prioritaire – les fréquences seront attribuées dans un peu plus de trois mois – est l’aménagement numérique du territoire : certaines dispositions, relatives à la couverture nationale et aux zones prioritaires, qui concerneront 80 % du territoire, comportent des obligations de mutualisation. Je me devais de rappeler ce point au cours du débat.

Le déploiement du très haut débit sera, de toute manière, multimodal et s’étalera dans le temps.

Je souhaite maintenant répondre à quelques interrogations et vous poser quelques questions, monsieur le ministre.

La notion de « modèle » a été évoquée il y a quelques instants. Or deux modèles « polaires », à mes yeux deux impasses, s’opposent : la concurrence pure et parfaite, qui nous conduirait dans le mur, puisque, on le sait, ce système ne permettrait de couvrir que 40 % du territoire, et le monopole public.

Ce dernier modèle aboutirait tout d’abord à une impasse juridique. Prenons l’exemple de l’Australie, qui a été cité par M. Maurey ; il n’aura échappé à personne que ce pays ne fait pas partie de l’Union européenne. Or la France s’inscrit dans un cadre européen, et c’est un souverainiste qui le dit ! (Sourires.)

Se poserait ensuite un problème budgétaire : où trouver l’argent – l’Australie dépensera un peu plus de 20 milliards d’euros – si l’on ne fait pas appel au secteur privé ?

En outre, je ne suis pas sûr que tout le monde ait pensé aux conséquences sur le plan technique : ce modèle suppose une séparation non seulement fonctionnelle, mais aussi structurelle de l’opérateur historique. Voulons-nous une telle séparation, chers amis ? J’en doute !

La France a donc choisi un modèle mixte : elle fait appel à l’initiative privée dans les zones denses et à l’intervention publique dans les zones non denses, avec une certaine mutualisation. Au reste, soyons réalistes : ne disons pas que le modèle choisi par la France est tout sauf un modèle mutualisé. Un simple calcul approximatif montre que 50 % des coûts de déploiement seront mutualisés en zone dense, contre 90 % ailleurs.

Cela étant, je vous rejoins, monsieur Maurey, sur le fait que le dispositif doit être stabilisé. Il s’agit en effet d’investissements lourds.

Le cadre dans lequel nous nous inscrivons, qui résulte de la loi de modernisation de l’économie, de la loi Pintat relative à la lutte contre la fracture numérique et des travaux de l’ARCEP, est donc perfectible. Il l’est d’abord s’agissant des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, et c’est également un point sur lequel je vous rejoins, monsieur Maurey. Les SDTAN doivent certainement être rendus obligatoires. Peuvent-ils être opposables ? Je ne le sais pas. Lorsque j’étais rapporteur de la proposition de loi Pintat, on nous avait objecté l’existence d’un certain nombre de contraintes constitutionnelles : tutelle impossible d’une collectivité sur une autre ou liberté du commerce et de l’industrie. En tout cas, le débat reste ouvert.

Une deuxième possibilité d’amélioration consiste à éviter les doublons. Épargnons aux collectivités la mise en place d’infrastructures déjà installées par un opérateur privé. Pour ce faire, le droit à la connaissance des réseaux est fondamental. C’est pourquoi je souhaite à mon tour que le décret soit rapidement publié.

La troisième amélioration possible porte sur la fameuse déclaration d’intention des opérateurs privés. Celle-ci doit être recadrée pour permettre un « suivi longitudinal », si vous me permettez de reprendre cette expression employée en matière de lutte contre le dopage. Il faut en effet évaluer et contrôler tous les ans leurs engagements. Sans doute faut-il aussi que cette déclaration soit rendue caduque si l’opérateur traîne trop les pieds. En la matière, il faut lever toute incertitude.

Après la question du modèle se pose celle du rôle de l’État.

Monsieur le ministre, l’État doit assurer le pilotage de ce grand chantier, qui est une cause nationale, et soutenir les collectivités locales. C’est pourquoi il faut recréer une cellule de soutien, composée de quinze à vingt collaborateurs de bon niveau. Je sais que nos jeunes hauts fonctionnaires qui connaissent bien le secteur sont partis à l’ARCEP ou chez les opérateurs privés, même si l’on en trouve parfois dans les cabinets ministériels, mais ils sont trop peu nombreux. Il faut donc que l’État reconstitue cette task force. On attend de lui qu’il soit un stratège et un accompagnateur.

Pour terminer, je veux aborder la question du financement.

Pour ce qui est du secteur privé, le guichet A existe. Mais je pense, comme M. Maurey, que c’est peu de chose par rapport à la grêle de taxes ! J’entends parler d’une nouvelle taxe COSIP destinée à alimenter le Centre national de la musique. Je dis attention ! Les opérateurs privés ont en effet besoin de leur énergie pour investir.

Quant aux collectivités, je veux simplement dire que je me suis réjoui – alors qu’ici nous avons seulement entendu des plaintes au sujet d’un État qui ne ferait rien – que 4,5 milliards d’euros provenant du grand emprunt aillent au numérique. À l’époque, j’ai ramé pour cela. C’est un point positif : autant le dire !

La qualité du financement doit reposer sur la péréquation. En fonction du taux de ruralité, le niveau du subventionnement des projets publics par le Commissariat général à l’investissement se situe entre 33 % et 45 %. Ce principe doit être conservé.

Le financement doit également être durable. Pour l’instant, il existe le Fonds d’aménagement numérique des territoires. La question ne se posera donc pas avant deux ou trois ans. Épuisons d’abord les subventions du guichet B avant de créer une taxe qui risquerait de déséquilibrer le système et de troubler les opérateurs. Pour le moment, je pense que nous disposons de la masse financière permettant aux collectivités locales d’initier un mouvement.

Le financement de l’État doit enfin être ciblé. À cet égard, je veux vous faire une proposition, monsieur le ministre. Vous le savez, les grands réseaux de transport sont assurés par les opérateurs, la boucle locale est assurée par les collectivités locales et les opérateurs. Reste le maillon manquant, à savoir les réseaux de collecte, soit 15 000 à 20 000 kilomètres pour un coût de 1 milliard d’euros. Je souhaite que le Gouvernement ou le Sénat demande à l’ARCEP de rédiger un rapport. Sur ce point, l’aide de l’État pourrait constituer un levier décisif.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai sans doute été trop technique, mais il s’agit de l’avenir de notre pays, de sa place dans le monde et, à l’intérieur de ses frontières, du beau principe de l’égalité territoriale auquel nous croyons et nous tenons tous ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’existence d’infrastructures de transport de qualité – routes, autoroutes, voies ferrées, aéroports – a longtemps été considérée comme le seul moyen efficace de désenclavement des territoires. Le développement des technologies numériques a changé la donne en faisant apparaître que les territoires bien desservis par les infrastructures de transport risquaient eux aussi de connaître le déclin s’ils ne bénéficiaient pas d’une bonne couverture numérique.

Dans les départements, notamment ruraux, où une partie du territoire est éloignée des grandes infrastructures de transport, le désenclavement numérique est un enjeu majeur. C’est pourquoi le groupe socialiste du Sénat a toujours été convaincu que le désenclavement numérique nécessitait une action forte ; cela explique les très nombreuses interventions que nous avons consacrées à ce thème en séance publique comme en commission.

Le débat d’aujourd’hui nous permet de rappeler de manière globale nos analyses et positions sur le sujet.

Parlons d’abord de la télévision numérique terrestre, la TNT.

La loi du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur a fixé l’objectif de couverture en hertzien à 95 % de la population métropolitaine, malgré nos efforts pour le porter au-delà lors des débats. Il en résulte que le taux de couverture est inférieur à 90 % dans les départements les plus ruraux. Lors de l’examen de la proposition de loi Pintat relative à la lutte contre la facture numérique, nous n’avons malheureusement pas été entendus lorsque nous avons proposé de relever l’objectif de couverture à 95 % de la population de chaque département.

M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !

M. Michel Teston. Le travail des parlementaires, particulièrement de ceux appartenant à l’opposition de l’époque, a néanmoins permis de faire bouger un peu les lignes. C’est ainsi qu’un certain nombre d’améliorations ont été apportées, même si elles sont insuffisantes.

Quelles sont-elles ? Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité de régulation en matière de communication audiovisuelle, a introduit un correctif départemental en vue de garantir que, dans chaque département, 91 % de la population soit desservie.

La puissance des émetteurs a été augmentée là où le diagramme de rayonnement pouvait être un peu élargi : le gain en taux de couverture de la population est estimé à 1,6 %.

Des dispositifs de soutien financier ont également été créés. Dans les zones couvertes par la TNT, des aides peuvent être accordées sous conditions de ressources. Ailleurs, une aide à la réception a été mise en place sans aucune condition de ressources.

Ces améliorations ne sont toutefois pas suffisantes. C’est ainsi qu’est dérisoire, en raison du coût élevé d’un réémetteur et de sa maintenance, la compensation de 100 euros par foyer desservi attribuée aux collectivités locales qui décident de faire fonctionner en numérique de petits réémetteurs arrêtés à l’extinction de la télévision analogique.

Si, comme nous le demandions, l’objectif de couverture en hertzien avait été fixé à 95 % de la population de chaque département, un meilleur équilibre aurait été trouvé en matière de diffusion entre l’hertzien et le satellite.

M. Michel Teston. J’en viens à la téléphonie mobile.

Selon l’ARCEP, au 1er janvier 2009, 97,8 % de la population était couverte en 2 G par les trois opérateurs mobiles ; 100 000 personnes, représentant 2,3 % de la surface du territoire métropolitain, étaient situées en zone blanche ; 50 % des zones blanches étaient concentrées dans treize départements.

Il est possible de s’interroger sur la valeur de ces statistiques, notamment parce que l’instrument de mesure utilisé est insatisfaisant ; il conduit en effet à considérer comme couverte une commune dont seul le bourg-centre est desservi.

Il est donc nécessaire de s’accorder sur des critères pertinents pour déterminer les taux de couverture. Il est tout aussi essentiel d’achever la réalisation des programmes de résorption des zones blanches et de traiter les zones grises.

La mutualisation entre opérateurs est à privilégier pour compléter les réseaux existants comme pour réaliser le futur réseau à très haut débit mobile.

L’attribution des licences de la 4 G et le déploiement de ce réseau doivent intervenir dans une logique d’aménagement du territoire, pas seulement avec l’objectif d’augmenter les ressources financières de l’État.

Or pour les licences 4 G de la bande de fréquences 2,6 gigahertz, qui viennent d’être attribuées, les taux de couverture sont certes ambitieux, mais ils doivent être atteints d’ici à quinze ans ! Ce délai me paraît bien long…

M. Michel Teston. Il risque d’en aller de même pour les licences de la bande de fréquences 800 mégahertz : celles du « dividende numérique », pour l’attribution desquelles la date de dépôt des candidatures est fixée au 15 décembre prochain.

J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur cette question essentielle.

J’en arrive au haut débit, dont le seuil minimal, selon le Gouvernement, doit être fixé à 2 mégabits par seconde et non plus à 512 kilobits par seconde. Avec ce seuil, seulement 77 % des foyers disposent d’une connexion à haut débit. En outre, la moitié de la population française ne peut pas accéder à l’offre triple play, qui nécessite un débit de 8 mégabits par seconde.

La solution satellitaire permet certes d’apporter le haut débit sur tout le territoire, mais, par rapport au réseau filaire, c’est à un coût plus élevé et pour un niveau de services inférieur.

Face à ce constat, Hervé Maurey estime, dans son récent rapport d’information Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes, qu’il est nécessaire de mettre en place un haut débit pour tous, d’abord de 2 mégabits par seconde, puis de 8 mégabits par seconde, en privilégiant le réseau filaire ; nous sommes totalement d’accord avec cette proposition.

J’en viens maintenant au très haut débit fixe.

Les projets actuels du Gouvernement en matière de déploiement de la fibre optique risquent d’engendrer une fracture entre les zones denses, très rentables pour les opérateurs privés, et les zones non denses, notamment rurales, où l’investissement sera laissé à la charge des collectivités.

Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux en matière de très haut débit : 70 % de la population métropolitaine devra être raccordable d’ici à 2020 et 100 % d’ici à 2025. En juin 2010, le Gouvernement a présenté le programme national « très haut débit », censé permettre d’atteindre cet objectif. Je rappelle que ce programme distingue trois types de zones : les zones très denses, dites zones 1, où le déploiement est laissé à l’initiative privée sans aide publique ; les zones moyennement denses, dites zones 2, où les opérateurs privés pourront bénéficier de prêts et de garanties d’emprunt ; les zones peu denses, dites zones 3, où seul l’investissement public est possible.

À l’évidence, comme M Maurey l’a dit, ce programme favorise l’initiative privée, y compris dans les zones moyennement denses. Quant aux collectivités territoriales, leur rôle est cantonné au déploiement des réseaux dans les zones rurales, sans possibilité pour elles de procéder à une péréquation territoriale.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !

M. Michel Teston. En effet, l’interprétation restrictive du PNTHD par le Gouvernement leur interdit de s’engager dans des projets intégrés associant dans un même déploiement des zones rentables et des zones non rentables. Le modèle de déploiement retenu par le Gouvernement fait donc la part belle aux opérateurs privés, dont les engagements apparaissent largement unilatéraux.

Enfin, ces opérateurs ne contribuent pas du tout au financement du déploiement des réseaux dans les zones peu denses, alors que les instruments de financement public dans les zones 3 sont largement insuffisants. Ainsi, le Fonds national pour la société numérique disposera de 4,5 milliards d’euros au titre du grand emprunt pour répondre à des besoins nécessitant des financements beaucoup plus importants. Quant au Fonds d’aménagement numérique des territoires, il n’est pas doté financièrement pour l’instant.

Pour éviter une France à deux vitesses, des mesures d’inflexion du modèle de déploiement retenu sont donc nécessaires.

Sur le plan législatif, il convient de replacer les collectivités locales au cœur de l’aménagement du territoire en reconnaissant leur statut d’opérateur dans le code des postes et des communications électroniques, à l’instar de ce qui a été fait en 2004 à travers l’article L. 1425–1 du code général des collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Il a fallu se battre !

M. Michel Teston. Il est tout aussi essentiel de reconnaître à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes le pouvoir de prendre des sanctions en cas de non-respect par les opérateurs des engagements de déploiement de la fibre.

Sur le plan réglementaire, le Gouvernement doit permettre aux projets intégrés des collectivités territoriales, projets associant desserte des zones denses et peu denses, d’être subventionnés pour la partie « zones peu denses ».

Sur le plan financier, le FANT doit être abondé de 500 à 600 millions d’euros par an, à partir de 2012. Ces concours doivent être apportés principalement par l’État, qui doit retrouver un rôle moteur dans l’aménagement du territoire, en particulier dans l’aménagement numérique du territoire.

En outre, au fur et à mesure du déploiement des réseaux dans les zones denses et moyennement denses, les opérateurs privés doivent participer à l’équipement des zones peu denses en contribuant aux deux fonds précités selon des modalités qui devront faire l’objet de mesures législatives et réglementaires.

Voilà quelles sont nos propositions. Nous aurons l’occasion de débattre en particulier sur la reconnaissance du service universel pour la téléphonie mobile, le haut débit et le très haut débit, et ce, mes chers collègues, à un moment où l’Union européenne, jusqu’à présent réticente, pourrait faire évoluer sa position. En tout cas, c’est le souhait que je forme cet après-midi. (Applaudissements.)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens moi aussi à saluer l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey. Le caractère pragmatique des propositions qu’il fait pour pallier certaines lacunes du plan du Gouvernement en faveur du numérique mérite une attention particulière.

Le plan ambitieux du Président de la République prévoit la couverture de 70 % du territoire en haut débit à l’horizon de 2020, et de 100 % en 2025. Or force est de constater que, aujourd’hui, plus de 20 % des Français n’ont pas accès à un débit de 2 mégabits par seconde, seuil minimal d’un service haut débit. Pis, des zones grises et même des zones blanches subsistent dans certains territoires, non seulement pour le haut débit, mais aussi pour la téléphonie mobile.

Les zones rurales, cela a été dit, sont bien entendu les plus affectées par l’insuffisance des infrastructures numériques, alors même que c’est dans ces zones que la couverture numérique s’avère la plus indispensable. En effet, comment les territoires ruraux pourront-ils maintenir leurs habitants s’ils n’ont pas accès, demain, dans le domaine de l’éducation, de la santé, des services publics et de l’emploi à ces technologies numériques ?

Vous le savez fort bien, mes chers collègues, à l’avenir, l’implantation de maisons médicales ne pourra s’imaginer non seulement sans médecins, mais encore sans télémédecine et sans imagerie médicale.

De même, comment pourra-t-on maintenir ou créer l’école du XXIe siècle en milieu rural sans une couverture très haut débit, laquelle est nécessaire pour le fonctionnement en réseau des tableaux blancs interactifs, des ordinateurs portables et des espaces numériques de travail ? L’absence de très haut débit signerait la mort de nos écoles rurales. Faut-il rappeler que le brevet informatique et internet est désormais obligatoire dans les collèges ?

Nous, les élus ruraux, nous devons nous prendre en main et œuvrer de concert pour moderniser nos établissements scolaires et ne pas nous limiter à maintenir une école de vingt ou trente élèves.

Enfin, la vitalité du milieu rural exige le développement de l’économie et de l’emploi ainsi que l’accès à des services administratifs équipés de très haut débit.

M. Roland Courteau. Évidemment !

M. Daniel Dubois. En effet, quelle entreprise acceptera demain de s’installer dans un territoire rural si les zones d’activités ne sont pas couvertes par le très haut débit et ne permettent pas le télétravail ?

Le développement des territoires ruraux passe donc inévitablement par leur couverture en très haut débit. Tout le monde s’accorde à le dire ; encore faut-il se donner les moyens de le faire et, surtout, de trouver des financements.

Nombre de collectivités n’ont pas attendu pour agir. Conscientes de ces enjeux, elles ont commencé à s’équiper.

Dans mon département, nous avons créé un syndicat mixte, Somme Numérique, qui a couvert le territoire d’une boucle de fibre optique de 800 kilomètres à ce jour, pour un coût de plus de 30 millions d’euros. Le modèle financier initial reposait sur le système de la péréquation.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Eh oui !

M. Daniel Dubois. Le droit d’accès à la bande passante payé par les opérateurs dans les zones urbaines permettait de financer en partie l’équipement des zones rurales. Évidemment, ce modèle permettait d’équilibrer, autant que faire se peut, les financements nécessaires.

Monsieur le ministre, pourquoi le plan national a-t-il sacrifié les réseaux d’initiative publique, dépourvus aujourd’hui de statut juridique, en supprimant la péréquation financière entre les zones urbaines et les zones rurales et en réservant l’équipement des zones denses aux opérateurs privés ?

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. C’est une bonne question !

M. Daniel Dubois. Désormais, l’État et les collectivités, déjà très endettés,…

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Tout est relatif !

M. Daniel Dubois. … vont devoir financer, à perte, les zones peu denses par un fonds dont les recettes ne sont pas assurées sur la durée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de rappeler que, sur le plan national, le financement de la couverture numérique coûtera environ 36 milliards d’euros. Si l’on retranche les 2 milliards d’euros du grand emprunt et les 5 milliards d’euros d’investissements privés, il reste 29 milliards d’euros à financer, en grande partie à la charge de l’État et des collectivités locales. Je crains fort que ce ne soient surtout ces dernières qui soient mises à contribution.

C’est pourquoi il est important d’alimenter de façon pérenne le Fonds d’aménagement numérique des territoires. Il est encore temps, face à cet enjeu majeur d’équipement des territoires, de réajuster le tir. Monsieur le ministre, je souhaite que vous vous y employiez. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste–EELV et du RDSE.)

M. Bruno Sido. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Leroy.

M. Philippe Leroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, président de conseil général pendant près de vingt ans, sénateur depuis dix ans, je m’exprimerai devant vous en homme de terrain.

Les résultats relativement satisfaisants que nous avons obtenus dans la couverture numérique de notre pays, nous les devons aux collectivités locales, qui ont pu « s’introduire » dans le modèle économique initialement retenu, et ce grâce au fameux article L. 1425–1 du code général de collectivités territoriales, inséré de manière quelque peu informelle par l’excellente loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle, dont Bruno Sido et Pierre Hérisson étaient les rapporteurs au Sénat. Jean-François Le Grand et moi-même avions alors bataillé pour faire adopter des amendements visant à autoriser les collectivités locales à prendre part au grand bal des opérateurs.

De fait, le modèle économique que nous avons créé en 2004 n’est pas seulement fondé sur les initiatives privées ; il l’est aussi sur les initiatives publiques à travers les réseaux d’initiative publique. Depuis cette date, les collectivités locales ont investi au bas mot 3 milliards d’euros. Ce n’est pas rien ! Grâce à leur action, la situation du haut débit dans notre pays, si elle n’est pas brillante, n’en est pas pour autant catastrophique.

Il est bon de rappeler quelques postulats.

Grâce à l’expérience que nous avons acquise, nous sommes tous d’accord pour considérer que tous les territoires, quels qu’ils soient, doivent bénéficier du très haut débit, en privilégiant la technologie de la fibre optique, comme on a privilégié celle du cuivre dans le passé, avec des points de mutualisation plus ou moins proches de l’abonné.

Le coût exorbitant des investissements nécessaires au déploiement du très haut débit ne doit pas être un prétexte pour laisser à l’écart certaines zones rurales ou certains départements. Cet argument n’est pas recevable. Ce serait trahir leurs habitants que de laisser ces zones en déshérence, avec des systèmes intermédiaires. Je le répète, nous devons déployer le plus rapidement possible la fibre optique, avec éventuellement des points de mutualisation.

L’expérience montre aussi que, sans l’apport des infrastructures et des réseaux exploités par les collectivités locales, les opérateurs privés ne réussiront pas seuls à satisfaire nos ambitions en la matière.

Pendant dix ans, j’ai participé avec enthousiasme à la conquête de ce nouvel eldorado que sont les nouvelles technologies. Or toute conquête d’un eldorado est dangereuse ; nous naviguons en terre largement inconnue, nous maîtrisons encore mal ces technologies et leur environnement juridique demeure incertain. En réalité, l’État a toujours eu tendance à se tenir quelque peu à l’écart de ce western, préférant généralement laisser au shérif ARCEP – quelquefois un peu solitaire – la responsabilité d’assurer la cohésion du système et de veiller au respect de la concurrence. Toujours est-il que notre richesse de demain dépendra de notre capacité à maîtriser ces nouvelles technologies.

La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dont notre collègue Élisabeth Lamure était corapporteur, reprenant une proposition de loi que j’avais déposée avec plus de soixante-dix de mes collègues, a étendu le champ de l’article L. 1425–1 du code général des collectivités territoriales. Ce fut un nouveau progrès.

La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, issue d’une proposition de loi de Xavier Pintat et dont Bruno Retailleau était le rapporteur, a créé les schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique et le Fonds d’aménagement numérique des territoires, contribuant à transformer un modèle économique entièrement privé initialement en un modèle mixte.

Depuis lors, le Gouvernement a mis en place le programme national « très haut débit », qui donne de bons résultats. En outre, la publication de l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey devrait assez rapidement déboucher sur une proposition de loi afin d’améliorer la situation actuelle. Comme on peut le constater, le paysage est sans cesse mouvant.

Cet été, j’ai présenté à Aurillac un mémorandum rédigé par sept collectivités locales de droite et de gauche. Ce mémorandum, que j’ai adressé aux membres de la commission de l’économie, tout comme le rapport de notre collègue Maurey ou les travaux de l’AVICCA, l’association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, doivent nous conduire à préparer un nouvel outil.

Monsieur le ministre, je partage l’inquiétude manifestée par certains des intervenants qui m’ont précédé. Nous redoutons ce que j’appelle une « vitrification » du territoire, c’est-à-dire un développement rapide de ces nouvelles technologies sur les territoires les plus densément peuplés et un abandon des zones moins rentables. Nous craignons d’assister à une sorte de « Yalta » des télécommunications, qui séparerait les territoires dévolus à l’initiative privée et ceux qui seraient laissés aux réseaux d’initiative publique.

Si l’on ne veut pas en arriver là, évitons de faire peser des contraintes exagérées sur les réseaux d’initiative publique et plaçons les opérateurs privés sous liberté surveillée. Le législateur doit donc rapidement moraliser ce secteur. Comme l’ont suggéré plusieurs intervenants, notamment M. Maurey, il convient de légiférer rapidement sur quelques points précis. Ainsi, il faudra doter les réseaux d’initiative publique de statuts qui leur permettent d’intervenir partout. Ils peuvent déjà le faire, mais avec des contraintes financières quelquefois lourdes. Il faudra aussi réfléchir au statut des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique.

Le bon fonctionnement du modèle mixte public-privé que nous avons choisi suppose une concurrence loyale et un suivi accentué de l’État, qui ne doit pas laisser à la seule ARCEP le pouvoir d’effectuer les choix techniques. Si nous légiférons dans ce sens, nous pourrons, à brève échéance, réaliser de larges progrès. (MM. Bruno Sido et Hervé Maurey applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.

M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux à mon tour saluer l’excellent rapport de notre collègue Hervé Maurey et remercier la commission de l’économie d’avoir organisé ce débat.

En raison d’un temps de parole très bref, je me limiterai à pointer les principales problématiques posées de mon point de vue par la mise en œuvre du programme national « très haut débit » et je me permettrai à cette fin de faire référence à l’expérience que je vis dans le département de la Haute-Savoie.

L’extrême diversité des activités de ce territoire a conduit différents bassins de vie et massifs à mener, depuis déjà longtemps, des études très poussées pour déployer la fibre optique, garantie indispensable de la pérennité de nos entreprises et emplois. Ces initiatives localisées ont été rassemblées en 2010 dans une étude de faisabilité à échelle départementale, en vue de la réalisation d’un réseau d’initiative publique très haut débit. Ainsi a été conçu un projet reposant sur des principes d’équité et de péréquation territoriale, garantissant une large ouverture aux opérateurs et aux services, et permettant de limiter la participation publique d’équilibre supportée par les collectivités publiques.

Depuis l’annonce du périmètre des zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement, ces perspectives encourageantes sont lourdement remises en question : vingt-sept communes urbaines représentant près de 40 % du potentiel démographique et économique du département sont couvertes par ce périmètre. Ainsi, malgré les aides annoncées au titre du guichet B du programme national « très haut débit », les effets conjugués de la perte de la péréquation entre zones denses et moins denses et de la disparition des financements des collectivités urbaines situées en zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement, dites zones AMII, compromettent l’équilibre économique du projet global.

Faut-il voir dans cette évolution une lecture trop restrictive du champ de l’intervention économique des collectivités, pourtant reconnue et encadrée par la loi, ou bien une application à la lettre du principe de liberté du commerce et de l’industrie ?

Nous persistons à penser que les principes d’équité territoriale et d’égalité d’accès aux services valent bien ceux de la loi Le Chapelier... Nos aïeuls, au XXe siècle – merci à eux ! –, l’avaient bien compris, eux qui ont instauré des mécanismes sans lesquels nos régions les plus reculées seraient peut-être encore privées d’électricité.

Cette hypothèse n’a d’ailleurs rien d’imaginaire lorsque l’on sait qu’aujourd’hui encore les vallées de montagne sont désespérément oubliées par la téléphonie mobile, dont le déploiement a été confié aux opérateurs privés.

Aujourd’hui, nous regrettons que l’on se refuse à appliquer pour le très haut débit des mécanismes qui ont permis à notre pays de financer son réseau de distribution électrique.

Dans le cadre ainsi tracé, comment aménager nos territoires de façon efficace et équitable ?

La première question soulevée par les élus de zones urbaines concerne les délais d’intervention et de conduite à bonne fin des réseaux par les opérateurs privés. En l’état, une simple déclaration d’intention est réclamée. Autrement dit, nul engagement, nul contrat entre collectivité et opérateur ! Comment des responsables locaux pourraient-ils se satisfaire, face à un enjeu aussi majeur, de garanties qui n’en sont pas ?

En zone frontalière, limitrophe de la métropole genevoise, le territoire et ses habitants ont, plus que partout ailleurs, un besoin urgent de très haut débit. Comment pourraient-ils attendre la fin de 2015 et au-delà pour que commence un déploiement, dont nul ne sait quand il sera achevé ?

Monsieur le ministre, ma deuxième question porte sur l’équilibre financier du réseau d’initiative publique, hors zones classées AMII. Les collectivités locales sont engagées financièrement de manière importante, mais, malgré leurs efforts, l’équilibre financier ne pourra être atteint. Alors, comment compenser ce défaut de péréquation, si ce n’est par le recours à l’Etat, initiateur du dispositif général qui nous préoccupe aujourd’hui ? Pourriez-vous préciser sur ce point les intentions du Gouvernement ?

À court terme, comment adapter le dispositif actuel afin qu’il devienne le catalyseur des déploiements des réseaux d’initiative publique ? Les projets aujourd’hui matures sont le fruit de plusieurs années de gestation. Personne n’ose imaginer qu’ils puissent être abandonnés. À long terme, quand et comment comptez-vous pérenniser les financements servant à abonder le Fonds d’aménagement numérique du territoire ?

Monsieur le ministre, je vous remercie, par avance, des réponses que vous nous apporterez et de bien vouloir prendre en compte et donner suite aux propositions constructives formulées par le Sénat dans le présent débat. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention portera sur l’accès au très haut débit dans les territoires ruraux, en particulier les plus handicapés d’entre eux : les territoires de montagne.

La semaine dernière s’est tenu à Bonneville le congrès annuel de l’Association nationale des élus de montagne, l’ANEM, qui a débattu de la couverture numérique du territoire.

Avant de revenir sur la motion qui y a été adoptée et ses suites, je souhaite présenter un exemple concret des difficultés et des inquiétudes qui caractérisent ces territoires, lesquels espèrent le très haut débit en attendant encore souvent le simple haut débit. Vous me permettrez de prendre en exemple des territoires que je connais bien : la Corrèze et la région Limousin.

Le déploiement du très haut débit y est suivi par un syndicat mixte appelé DORSAL – pour développement de l’offre régionale de services et de l’aménagement des télécommunications en Limousin –, qui est cosignataire de l’appel des Sept, publié en septembre 2011 et intitulé Très haut débit : le marché ne peut pas tout ! et dont d’autres représentants peuvent intervenir dans ce débat.

Le syndicat mixte DORSAL réunit les principales collectivités du Limousin ayant décidé de prendre en charge, ensemble, l’aménagement numérique de la région Limousin en mutualisant leurs moyens pour la mise en place d’une infrastructure haut débit.

Ce syndicat est né d’un premier constat de carence de l’initiative privée à la fin des années quatre-vingt-dix et témoigne par son existence même des problèmes que pose une telle approche pour des territoires caractéristiques de la moyenne montagne comme ceux de la région Limousin.

Les modalités du programme national « très haut débit » préparées par l’État et confirmées par M. le Premier ministre le 16 août dernier ont, vous le savez, suscité une très vive inquiétude. En effet, selon les dispositions actuelles, le programme national « très haut débit » ne permet pas aux collectivités territoriales de jouer un rôle suffisant et il risque de soumettre l’aménagement numérique de nos territoires au bon vouloir des opérateurs privés, en matière tant de zones couvertes que de délais de déploiement.

Ce constat renvoie le Limousin plus de dix ans en arrière, à la situation qui a motivé la création de DORSAL et la réalisation d’une boucle haut débit sur les trois départements qui, à ce jour, couvrent quasiment la totalité de la population de notre région.

Ainsi, en Limousin, à ce jour, les premières déclarations d’intention d’investissement des opérateurs privés excluent 659 communes sur 747 – soit 80 % du territoire régional – de tout accès à la fibre optique, technologie indispensable à la montée en débit. Ce constat corrobore les observations du récent rapport de l’ARCEP selon lesquelles les opérateurs privés sont peu enclins à déployer le très haut débit dans les zones rurales considérées comme non rentables.

De plus, en ce qui concerne le calendrier, même pour les agglomérations de Limoges et Brive, pourtant classées comme prioritaires par les opérateurs privés, le déploiement total aboutirait au mieux vers 2020, c’est-à-dire bien tardivement dans la compétition actuelle entre territoires.

Le président de DORSAL, avec qui je me suis entretenu récemment, fait valoir que le programme national « très haut débit » déstabiliserait l’économie actuelle du réseau d’initiative publique de DORSAL, en le privant d’une partie importante de ses revenus. En effet, le PNTHD autoriserait les opérateurs privés à construire un réseau de fibre optique sur les zones denses les plus rentables, en excluant toute aide de l’État aux collectivités qui voudraient intervenir dans ces mêmes zones. En Limousin, il s’agit des agglomérations de Limoges, Brive, Tulle et Guéret. Or c’est la péréquation entre zones denses et moins denses, essentiellement rurales et montagneuses, qui assure l’équilibre économique du réseau d’initiative privée de DORSAL et permet de fournir une solution d’accès à l’internet haut débit pour chaque habitant. Sans les revenus tirés des zones densément peuplées, DORSAL aura besoin de participations renforcées des collectivités membres. Autrement dit, si les collectivités sont privées d’intervention dans les zones classées AMII, dans lesquelles les opérateurs ont manifesté leurs intentions d’investissement – et on le sait, entre les intentions et la réalisation, de l’eau peut couler sous les ponts – comme le prévoit le programme national « très haut débit », qui donne la priorité absolue aux opérateurs privés sur ces zones, alors l’équilibre économique des réseaux d’initiative publique fondé sur une péréquation entre zones denses et non denses est mis à mal.

Alors que DORSAL ambitionne de faire évoluer ses réseaux publics vers le très haut débit par la fibre optique, le programme national « très haut débit » l’interdit aux collectivités sur les zones classées AMII.

De plus, devant les besoins de montée en débit à venir, qui sont de plus en plus urgents, les collectivités du Limousin ne pourront qu’être appelées à intervenir pour prémunir 80 % du territoire régional de cette nouvelle fracture numérique, bien pire que celle à laquelle DORSAL a eu à faire face initialement. Or sans péréquation dans le cadre d’un projet intégré d’aménagement à l’échelle de la région, associant territoires ruraux et urbains et pouvant, de surcroît, s’appuyer sur l’infrastructure déjà existante de DORSAL, les conditions de l’intervention des collectivités risquent malheureusement de se révéler très coûteuses.

Ainsi, nous craignons que le Fonds d’aménagement numérique des territoires, qui n’est pas encore doté de ressources pérennes par l’État, ne soit pas en mesure de pallier de manière significative les difficultés prévisibles de financement.

Cet exemple illustre parfaitement la motion de l’ANEM, votée à l’unanimité le 7 octobre dernier, par laquelle les élus de montagne demandent l’abondement immédiat, progressif et étalé sur dix ans du Fonds d’aménagement numérique des territoires, estimant que la charge financière du déploiement du très haut débit dans les zones les moins denses et à faible densité démographique ne peut être supportée uniquement par les collectivités territoriales.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Bernadette Bourzai. Face au risque de fracture numérique et considérant que l’égalité de traitement dans l’accès au haut débit entre tous les Français doit prévaloir quel que soit l’endroit où ils résident sur le territoire, les élus de montagne ont réclamé l’inscription dans la loi de l’internet à très haut débit comme une composante à part entière du service universel des communications.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Bernadette Bourzai. Les parlementaires de montagne se sont engagés à déposer des propositions de loi pour organiser un déploiement équilibré et coordonné du très haut débit, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Nous le ferons !

Parallèlement, nous vous demandons dès maintenant d’arrêter de donner la priorité absolue aux opérateurs privés sur les réseaux d’initiative publique, car il s’agit d’une aberration économique qui casse la péréquation.

Mme Bernadette Bourzai. L’État ne doit pas se désengager. Il y va de l’égalité républicaine d’accès au service public pour chacun de nos concitoyens et de l’attractivité de nos territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UCR.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.

M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux d’entre nous qui siègent dans cet hémicycle depuis 1995 au moins ont participé à l’élaboration des différents textes applicables au sujet qui nous occupe aujourd’hui et ont été confrontés aux évolutions de ces technologies, que nous dénommons désormais « communications électroniques » et non plus « téléphonie ».

Je ne me livrerai pas à un historique, mais je tiens à rappeler que la technologie a parfois incité les plus clairvoyants d’entre nous à réviser leurs positions. En effet, il n’y a pas si longtemps, on associait uniquement les zones blanches à la « téléphonie mobile », on parlait de la mutualisation des antennes, de la problématique – qui n’est toujours pas résolue – des risques induits pour la santé par les ondes hertziennes. À cet égard, la dépose des antennes-relais est parfois totalement contradictoire avec l’exigence de nos concitoyens d’une meilleure couverture du territoire. Quoi qu’il en soit, cette évolution doit être rappelée par des élus nationaux responsables.

Je veux aussi indiquer que la couverture des territoires a évolué avec l’arrivée de l’ADSL. Il n’est pas nécessaire de remonter au XIXe siècle pour constater que la connexion de 512 kilobits par seconde était déjà une première révolution, sans parler du haut débit avec une connexion à 2 mégas. Or lorsque Bruno Sido et moi-même avons présenté des textes sur le sujet, nous avons entendu ici certains spécialistes s’interroger sur la raison d’être d’une connexion de 4 mégas. Tout cela n’est pas si vieux !

L’arrivée de la fibre optique a tout chamboulé. C’est le début de la concurrence entre les différents opérateurs. À partir de ce moment-là, les publicités ont fleuri, proposant des offres à 100 mégas à 29,90 euros.

Nous assistons donc à une évolution, pour ne pas dire à une révolution, technologique permanente, ce qui m’incite – bien modestement –, pour avoir porté un certain nombre de textes sur le sujet et présidé la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques, à appeler votre attention sur les risques que nous courons à fixer des objectifs pour les dix ans, les quinze ans ou les vingt ans à venir.

Je ne prendrai qu’un exemple pour illustrer mon propos. Avez-vous souvent entendu dire que, avec la 4 G, nos tablettes ou nos téléphones mobiles auront une capacité de 30 à 50 mégas ? Pour ma part, je l’entends assez peu souvent, sauf chez les initiés qui évoquent la télévision mobile personnelle ou la transmission d’images. À ce propos, M. Dubois a indiqué à juste titre que la transmission de l’imagerie était indispensable à la couverture médicale de notre territoire.

J’en arrive à un sujet de réflexion.

Monsieur Maurey, la Commission supérieure s’est permis d’établir une petite synthèse de votre rapport, que je tiens à votre disposition. Je salue d’ailleurs un constat qui a demandé certainement beaucoup d’énergie et de temps. Celui-ci présente l’avantage, me semble-t-il, de nous permettre de nous diriger vers l’élaboration d’une proposition de loi. Ce texte réglera certainement une partie des problèmes. Toutefois, pour avoir vécu un certain nombre d’évolutions, je pense que le moment est venu de réexaminer les lois qui ont trait à l’importante question de la richesse économique et du développement de notre territoire ainsi qu’à l’amélioration du confort de vie de nos concitoyens.

Je le rappelle, si un service public reste un service public, le service universel, c’est l’égalité de traitement des citoyens sur tous les points du territoire. Sommes-nous capables de rouvrir la discussion sur le service universel du haut débit ?

Je rappelle également que l’opérateur historique a une obligation de service universel en matière de couverture de téléphonie fixe, mais avec un réseau cuivre. Il se trouve que, au Japon, on a demandé à l’opérateur historique de remplacer le cuivre par de la fibre sur 80 % du territoire, en contrepartie d’une prolongation de sa situation de monopole sur plusieurs années.

Concernant la couverture du territoire, je vous conseille de suivre de temps à autre les dossiers de l’ARCEP. Je fais référence à l’interview de Philippe Distler, le directeur général de l’ARCEP, qui a évoqué un certain nombre de points de bon sens et a rappelé certaines réalités dans son dernier rapport.

Le premier est que la fibre optique pose non pas un problème de coût, mais de revenu. Aux États-Unis, par exemple, le raccordement coûte 80 euros. Aujourd’hui, on peut assurer la couverture de tout le territoire en fibre optique. Malheureusement, nous sommes entrés dans une logique concurrentielle, qui consiste à faire baisser en permanence, jusqu’à 29 euros, voire moins, le coût du raccordement à des réseaux de très haut débit.

Monsieur le ministre, faut-il imposer un coût de 70 euros ou de 80 euros dans notre pays ? En tout cas, on pourrait interdire le fait de descendre les prix en dessous d’un certain seuil, assorti d’une obligation d’investissement pour les opérateurs.

Si l’on peut certes établir des comparaisons avec l’électrification de la France au XIXe siècle, veillons à rester nuancés en précisant que le coût actuel du déploiement des réseaux est dû pour 10 % à la fibre optique et pour 90 % au génie civil. Quand le service universel de l’électricité a été développé sur notre territoire, l’enfouissement des lignes n’était pas imposé en même temps.

Soyons clairs, car un certain nombre de choses doivent être dites dans ce débat, les collectivités locales ont payé pendant des années l’enfouissement des réseaux de télécommunications. Aujourd’hui, la grande question peut de nouveau être posée : la séparation fonctionnelle est-elle une solution pour une plus grande transparence, une meilleure utilisation et une couverture optimale du territoire ?

Je voudrais maintenant évoquer une question qui me paraît importante. La couverture du territoire requiert en effet une complémentarité du public et du privé. Elle réclame en outre d’être attentif en permanence à l’évolution des technologies, qui permettront peut-être demain, à un coût moindre, d’installer le haut débit, voire le très haut débit dans certains secteurs.

Enfin, je terminerai sur une note un peu plus locale, en complément de ce qu’a dit Jean-Paul Amoudry.

Dans un certain nombre de départements, tels que la Haute-Savoie, certaines activités ont besoin de réseaux particuliers pour se développer, car elles sont dispersées sur le territoire. Dans ce domaine, évitons les comparaisons et sachons raison garder. Les grandes industries se sont développées dans d’autres pays en s’installant à proximité des lieux de production de l’électricité.

Aujourd’hui, il est nécessaire de dire que, dans les départements de montagne, notamment, les activités économiques ont besoin de bénéficier d’une priorité de raccordement. C’est pourquoi la méthode qui consiste à laisser aux opérateurs le soin de déterminer le calendrier de raccordement à la fibre optique est mauvaise. Cette approche ne permet pas une égalité de traitement sur tout le territoire.

Je reprendrai à mon compte les propos tenus vendredi dernier par M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire : il appartient bien à l’État, après l’électricité, les routes et les autoroutes, d’être le péréquateur de ce nouvel aménagement du territoire. Aujourd’hui, on a un peu abandonné les autoroutes de l’information, qui sont pourtant de la compétence de l’État. C’est à lui de savoir si ces opérations doivent être réalisées dans le cadre de partenariats public-privé, mais n’obligeons pas les collectivités locales, sous la pression de nos concitoyens, à engager des sommes considérables à un moment où tout le monde cherche à faire des économies. La péréquation nationale me paraît indispensable ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour souligner à quel point la réduction de la fracture numérique est un objectif majeur pour notre pays.

La fracture géographique, qui touche plus particulièrement la ruralité – cela a souvent été rappelé ce soir –, a une dimension économique très forte, et je tiens à cet égard, moi aussi, à saluer le travail de notre collègue Hervé Maurey, qui détaille de manière très convaincante les effets à la fois macroéconomiques et microéconomiques de l’aménagement numérique du territoire.

J’insisterai sur la dimension sociétale de cette fracture, qui est extrêmement forte, car le travail sur les réseaux numériques n’est pas un simple moyen de remettre les zones dépeuplées au niveau des autres ; c’est une solution au potentiel extraordinaire permettant de rapprocher socialement les populations en dépit de leur éloignement physique, et cela quel que soit le domaine concerné – cela a été rappelé –, qu’il s’agisse des services administratifs, de la santé, de l’éducation et de la formation.

Internet, c’est le monde à la portée des campagnes, c’est le voisinage à longue distance, c’est la dissolution de l’espace au profit de l’échange.

Internet, c’est en fait et avant tout un média, un moyen de communication qui comporte donc une très forte dimension culturelle, au sens large du terme.

C’est pourquoi l’accès de tous aux services et aux contenus est un enjeu majeur, comme l’avaient rappelé de nombreux intervenants lors de la table ronde sur la neutralité de l’internet organisée par notre groupe d’étude « Médias et nouvelles technologies » du Sénat en octobre 2010. Il concluait que la première règle qui doit s’appliquer afin de favoriser cet accès est celle de la mise en place d’un internet ouvert.

L’internet ouvert impose que l’ensemble des fournisseurs de contenu soient traités de la même façon sur le réseau. Cette règle de base, que nous avions introduite avec notre collègue Bruno Retailleau dans le cadre de la transposition du deuxième « paquet télécoms », favorisera les échanges entre internautes et stimulera la créativité économique et culturelle au sens large. Mais elle est évidemment conditionnée par un bon aménagement du territoire, cela a été longuement rappelé.

C’est un enjeu pour la jeunesse. En effet, il n’est pas question de laisser se créer une fracture des usages : l’utilisation de l’informatique et de l’internet ouvert est un moteur majeur de la formation et de la socialisation des jeunes. Elle constitue pour eux un moyen de s’ouvrir aisément à la culture et la voie d’accès privilégiée au savoir-faire technologique.

Aujourd’hui, au-delà de la fracture territoriale, il existe une fracture peut-être infiniment plus grave : la fracture cognitive.

Il s’agit d’un enjeu pour l’ensemble de la population. La numérisation des œuvres est en marche, et elle est très avancée : elle concerne aujourd’hui la musique, les œuvres audiovisuelles et cinématographiques et, demain, le livre.

Ces documents sont théoriquement à la portée d’un clic pour le citoyen… mais encore faut-il que du clic à l’accès au patrimoine culturel, l’attente soit désormais raisonnable.

Certes, le plan de couverture du territoire existant actuellement est incitatif, mais il reste insuffisant, comme cela vient d’être rappelé, car il peine à se mettre en place.

De par mon expérience personnelle d’élue territoriale, je peux dire que ce problème est également lié au manque d’engagement de certains acteurs locaux. L’État doit certes jouer son rôle de pilote, comme l’a rappelé Bruno Retailleau, mais les collectivités territoriales doivent également se montrer entreprenantes, au côté de l’État et des partenaires privés.

Monsieur le ministre, nous souhaitons enfin obtenir un état des lieux précis des actions mises en œuvre, des moyens à préconiser, des points de blocage et d’amélioration, région par région : en effet, nous sommes tous convaincus du bien-fondé de cette politique d’aménagement du territoire. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Rome.

M. Yves Rome. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le Sénat de me donner l’occasion de m’exprimer sur cet important sujet du très haut débit, que l’opinion publique s’est encore insuffisamment approprié, mais qui est des plus déterminants pour l’avenir de nos territoires et donc de la nation.

Mon propos sera celui d’un nouveau sénateur, certes, mais aussi celui d’un président de conseil général – l’Oise est en effet un département pionnier dans le déploiement du haut débit, comme l’a rappelé M. Leroy – et enfin, si vous me le permettez, celui du président de l’association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, l’AVICCA, qui fédère 225 collectivités ou leurs groupements, soit plus de 60 millions d’habitants sur le territoire national.

Ma conviction se résume en ces phrases qui structureront mon intervention : l’actuelle politique nationale va dans le mur, et c’est un véritable cri d’alarme qu’il nous faut pousser.

Il est urgent et impératif de replacer les collectivités territoriales au cœur de l’aménagement numérique du territoire, comme ce fut le cas par le passé.

Le choix fait par le programme national « très haut débit » de mettre les collectivités territoriales à la remorque des intérêts des opérateurs privés débouchera inéluctablement sur une impasse.

Les opérateurs privés découpent, au sein des territoires, des zones rentables où ils se déclarent investisseurs. Par suite, ils cantonnent l’intervention publique locale aux zones non rentables, dictant ainsi leurs conditions économiques au service public et le rendant mécaniquement beaucoup plus onéreux.

Comprenez-moi bien : il s’agit non pas de prôner une économie planifiée du type de l’ex-URSS, mais de sauvegarder les possibilités de conclure des partenariats avec les opérateurs privés qui organisent des péréquations couvrant les charges de service public.

Cette approche n’est pas vieillotte : au contraire, il s’agit d’un pilotage public relevant d’un mode d’intervention moderne, qui ne freine en rien les progrès technologiques et l’adaptation aux marchés, tout en préservant l’aménagement du territoire et les principes républicains.

Par ailleurs, fonder le déploiement du très haut débit sur la seule initiative des opérateurs privés relève, à mes yeux, d’une erreur d’analyse. Les milliards d’investissements requis – plus de trente ! – sont peu compatibles avec les modes de gestion financière des grands groupes privés que sont les opérateurs.

Plus généralement, les world companies, les « Gulliver » comme les qualifie l’INSEE, suivent la loi des cours boursiers à court terme et se retirent des projets à long terme, surtout lorsqu’ils sont risqués : au-delà des déclarations officielles, le niveau réel des investissements privés ne sera donc pas au rendez-vous des montants exigés, et le niveau de l’intervention publique s’en déduira nécessairement.

Dans le même sens, le marché de l’ADSL est très rentable et constitue un oligopole de fait.

Pour les opérateurs, le partage de ce marché est satisfaisant. En effet, le taux de rentabilité de ce secteur est encore à deux chiffres ! Dès lors, quel intérêt ont ces opérateurs à se lancer dans des programmes d’investissements lourds ? Quel intérêt ont-ils à changer de modèle ? Aucun.

Monsieur le ministre, pour être très honnête et vous démontrer ma capacité à nuancer cette approche, je soulignerai qu’Orange France Télécom semble chambouler quelque peu ce modèle. Face à la demande commerciale naissante de communications multiples qui nécessitent de s’appuyer sur la fibre, pour la télévision, le triple play, France Télécom ne peut s’arc-bouter sur le cuivre, sa rente historique. Elle aurait en effet un intérêt réel à investir dans la fibre optique jusqu’à l’abonné, le FTTH, même à contre-courant des logiques financières du capitalisme moderne refusant les engagements à long terme, au surplus risqués. De ce fait, elle entraînerait les autres opérateurs, SFR notamment, malgré leur peu d’appétence.

Cela dit, la réalité du déploiement du très haut débit reste la même, c'est-à-dire insuffisante. La tendance annuelle stagne toujours à 300 000 prises construites par an, malgré les annonces des opérateurs en 2007, 2008, 2009, 2010, les meilleures, celles de janvier 2011, répondant à l’appel à manifestation d’intérêts. À en croire ces annonces, 15 millions de logements devaient être couverts en 2020. N’était-ce pas magnifique ? Mais que constate-t-on ? Free réduit la voilure, SFR semble à la peine et, quand on gratte un peu, on découvre par exemple que France Télécom considère un logement « couvert » dès qu’elle a construit le premier quart du réseau : ce logement est certes « couvert », mais il n’est pas raccordable, et encore moins raccordé !

Jouer sur les mots peut certes convenir aux promoteurs du programme national, en laissant croire que les objectifs de 2020 seront tenus. Néanmoins, je souhaite qu’une autorité indépendante comme l’ARCEP ne laisse pas utiliser ce vocabulaire piégé sans réagir.

Au rythme de 300 000 prises par an, il faudrait au moins un siècle pour « fibrer » la France !

Par ailleurs, les règles fixées cet été par le programme national aboutissent à interdire les aides dans les zones non rentables en cas de péréquation organisée. Quel est le résultat ? Des schémas directeurs territoriaux qu’il faut revoir de fond en comble ; des accords locaux bâtis longuement par les régions, les départements, les syndicats d’énergie, les intercommunalités, qui doivent être renégociés : bref, une dynamique qui s’enraye.

Les dossiers déposés cette année au Fonds national pour la société numérique, le FSN, seront donc rares et ils concerneront, non pas tout un territoire, mais seulement une partie.

En outre, il existe une véritable asymétrie de traitement entre opérateurs télécom et collectivités en ce qui concerne leurs obligations de remplir les conditions du programme national « très haut débit ». Ainsi, afin d’obtenir les aides du FSN, les collectivités doivent recueillir pas moins de six validations préalables de la part des opérateurs privés ou de l’Etat avant de pouvoir lancer un réseau d’initiative publique ! À l’inverse, les opérateurs privés n’ont aucune obligation et n’encourent aucune sanction en cas de manquement à leurs engagements concernant l’étendue et les délais de couverture annoncés à l’occasion des intentions d’investissement.

On constate donc un abandon total du rôle régulateur auquel bon nombre d’intervenants appellent aujourd’hui l’État : il s’agit d’une soumission totale aux seules règles du marché.

Ces règles n’ont d’ailleurs fait l’objet d’aucun débat parlementaire. Même si elles sont modulées par un taux de ruralité assez obscur, elles imposeront aux départements les plus ruraux un coût par habitant trois fois plus élevé. À titre d’exemple, en prenant en compte les ratios, exclusions et plafonds qui limitent les aides, les études menées sur le département de la Dordogne révèlent que la part de l’État représente seulement 12 % du besoin de subvention publique !

En vertu de la loi, le Fonds d’aménagement numérique du territoire, le FANT, devait disposer d’un comité national de gestion, dont la moitié des membres étaient des représentants des collectivités et de leurs associations, nommés dans un délai de douze mois. Le texte qui a institué ce fonds résulte d’une proposition de loi sénatoriale, dont le rapporteur était M. Retailleau – que je salue –, et qui a fait l’objet de débats assez consensuels. Pourtant, le FANT n’a pas encore été créé et nous n’avons pas voix au chapitre sur les grandes orientations.

Une fois dressé ce constat, il paraît primordial de replacer les collectivités au centre de l’aménagement numérique.

Les collectivités connaissent leur territoire et savent hiérarchiser les priorités de ce long chantier. Mais, monsieur le ministre, cela suppose que l’État les accompagne mieux, qu’il ne s’acharne pas à les contraindre à rester à la remorque des intérêts de trois ou quatre opérateurs, au détriment de l’ensemble des entreprises, des services publics et des particuliers.

J’ajouterai quelques observations complémentaires à cet égard.

Réduire les collectivités à un rôle de financeur ou de supplétif des opérateurs privés trahit un a priori : elles seraient incapables de traiter ce sujet complexe dans sa plénitude. Or les multiples réussites de réseaux d’initiative publique, les RIP, apportent la preuve contraire, et quelques années suffiront pour que les expertises s’acquièrent et se développent au sein des collectivités.

À l’heure des lois de décentralisation, on ne saurait soutenir que les questions importantes en la matière devraient rester l’affaire des seuls opérateurs et du Gouvernement.

Le chantier industriel du déploiement de la fibre durera dix à quinze ans. Il doit donc être anticipé, sauf à admettre qu’il ne peut concerner que les métropoles et que, à terme, nous laisserons s’étendre des déserts numériques au sein des territoires ruraux de notre pays. Or c’est cela que nous devons éviter.

La concertation générale, des schémas directeurs – départementaux pour l’essentiel –, une coordination régionale et la réglementation nationale sont autant d’éléments qui doivent concourir efficacement à mettre en ordre de marche une volonté politique partagée, une ingénierie opérationnelle et déconcentrée qui ouvriront le chemin du très haut débit aux territoires et à la France de demain.

Dans ce cadre, les pistes de réflexion sont multiples. J’en citerai quelques-unes : privilégier la concurrence par les services et l’abandon du dogme de la concurrence par les infrastructures ; rendre éligibles aux aides les projets intégrés portés par les collectivités ; reconnaître la spécificité du statut d’opérateur d’opérateurs, dont les RIP ; donner un caractère opposable aux schémas d’aménagement numérique des territoires, à l’image de certains documents d’urbanisme ; organiser une fédération des RIP. Par ailleurs, pourquoi s’interdire une réflexion nécessaire et utile sur la séparation structurelle ou fonctionnelle de France Telecom quant à sa boucle locale de cuivre afin de financer la boucle en fibre du FTTH – Fiber to the home ?

En quelques mots, monsieur le ministre, nous vous invitons à changer votre fusil d’épaule, pour que cet enjeu de l’attractivité de nos territoires et de l’attractivité même de la nation ne soit pas obéré par une mauvaise architecture d’un schéma qui, aujourd’hui, fait preuve de son efficacité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, dans le cadre des travaux de la commission de l’économie, et à la suite des deux rapports d’information de nos collègues Bruno Sido sur la téléphonie mobile et Hervé Maurey sur la couverture numérique, vous alerter sur les enjeux essentiels de ces problématiques pour nos territoires, enjeux que j’ai pu mesurer en ma qualité d’élu d’une communauté urbaine, celle du Grand Nancy, mais aussi comme conseiller général du département de la Meurthe-et-Moselle.

La couverture numérique haut débit, et demain très haut débit, est effectivement une condition devenue primordiale pour le développement économique, éducatif et culturel des territoires. L’attractivité économique, l’efficacité des services publics et des entreprises, la performance de nos établissements d’enseignement, de santé, l’accès à la connaissance et à l’information passent, en effet, par un aménagement numérique de nos territoires de haute qualité. Cette couverture est une nécessité, tant dans les espaces urbains et périurbains, qui doivent rester compétitifs, qu’en milieu rural, pour y maintenir les services et favoriser le développement de nos territoires.

Or le coût de cette couverture peut s’avérer problématique. Dans mon département, la Meurthe-et-Moselle, la décision de construire 475 kilomètres de réseau via un partenariat public-privé et, ainsi, de déployer une offre haut débit sur l’ensemble du territoire, n’a pas été sans lourdes contraintes financières. Au-delà d’un engagement financier important, de plus de 70 millions d’euros pour notre département, les recettes attachées à la commercialisation du réseau restent faibles et menacent l’équilibre même du budget lié au partenariat public-privé. Les investissements déjà consentis par les départements engagés dans la réalisation d’infrastructures haut débit devront donc nécessairement être pris en compte lors du passage au très haut débit.

Dans la perspective d’atteindre ce très haut débit et tenant compte par ailleurs des contraintes budgétaires des départements, je voudrais à ce stade me féliciter à nouveau de l’initiative de l’État, qui, à travers le Fonds national pour la société numérique et les 2 milliards d’euros qu’il a prévu d’y consacrer, a fait du numérique l’un des principaux axes du programme « Investissements d’avenir ».

Je voudrais aussi profiter de ce débat pour évoquer la couverture téléphonie mobile, qui, au fil du temps, me semble prendre un certain retard. La persistance de zones blanches sur nos territoires, en Meurthe-et-Moselle comme dans d’autres départements, n’est aujourd’hui plus acceptable. Lors de ma dernière et récente campagne « sénatoriale », j’ai rencontré beaucoup et, pour dire la vérité, trop de communes où la téléphonie mobile ne passait toujours pas !

Les enjeux sont trop importants pour l’économie locale et les populations dites « fracturées » pour nier cette situation. L’équité territoriale, par une meilleure mutualisation des moyens des opérateurs et des co-financeurs, doit s’appliquer pour, enfin, assurer une couverture réelle et non théorique de l’ensemble du territoire.

Je salue, à ce titre, la volonté du Sénat de redéfinir la notion de « zone blanche », trop souvent erronée sur le terrain. Le fait d’avoir pendant longtemps considéré comme « couvertes » des communes qui, sur leur territoire, ne présentaient que quelques points d’accès au réseau n’était en effet pas acceptable. Couvrir l’ensemble du territoire communal est un objectif auquel nul ne peut se soustraire, certainement pas les « analystes » qui définissent les cartes des couvertures en téléphonie mobile, pas plus que les opérateurs.

Cela est indispensable pour garantir à nos usagers, à tous les habitants de nos territoires, un accès légitime au réseau téléphonique – je pense plus particulièrement au service d’incendie, de sécurité et de secours – et lutter ainsi contre le risque de désertification des territoires, notamment des territoires ruraux peu denses.

Je tenais, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à vous faire part de ces quelques éléments de réflexion, en espérant que les réponses du Gouvernement seront de nature à nous rassurer. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.

M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s’achève la mise en œuvre du plan France numérique 2012, allons-nous réussir à accélérer le déploiement des réseaux à très haut débit sur tout le territoire national, conformément au cap fixé par le Président de la République à Morez, non pas chez Hervé Maurey – même si je sais que ses compétences le conduisent à s’intéresser tout particulièrement à ces sujets –, mais à Morez, dans le Jura ? (Sourires.)

La réponse est oui, mais la France numérique n’avance pas aussi vite qu’on le souhaiterait. Début 2010, le Président de la République débloquait 4 milliards d’euros pour investir dans les autoroutes de l’information, dont 2 milliards d’euros pour le seul déploiement des réseaux. De son côté, le Parlement posait les bases législatives du déploiement des réseaux avec les lois relatives à la modernisation de l’économie et à la lutte contre la fracture numérique. En juin 2010, le Premier ministre rendait public le programme national « très haut débit » en définissant trois zones de déploiement des réseaux – zones très denses, moyennement denses et peu denses –, dans l’objectif de coordonner l’intervention des opérateurs et de rationaliser la desserte du territoire.

Les appels à projet furent donc lancés. De son côté, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes achevait fin 2010 de fixer le cadre réglementaire de ce vaste chantier. Aujourd’hui, les guichets s’installent, notamment celui destiné au financement des réseaux d’initiative publique.

Donc, oui, la France numérique avance, mais il convient également de relativiser cette montée en puissance, monsieur le ministre. En effet, deux ans après la publication de la loi sur la fracture numérique et le lancement du programme national du très haut débit, le cadre réglementaire et financier de ces dispositifs reste encore provisoire.

Ainsi, le Fonds d’aménagement numérique des territoires, dont j’avais proposé la création dans ma proposition de loi initiale, n’a toujours pas vu le jour. S’y est substitué le Fonds de soutien au numérique, qui, bien que doté de 4 milliards d’euros grâce au grand emprunt national, reste toujours en attente de ressources pérennes.

Mais je note surtout – à la suite de plusieurs intervenants, dont M. Hérisson – que le mode d’intervention de ce fonds ne favorise pas la péréquation. Il aurait fallu subordonner l’octroi des prêts accordés aux opérateurs privés à un engagement de ces mêmes opérateurs à desservir, en sus des zones denses, de très larges parties de territoires peu ou pas rentables pour minimiser, au final, l’appel aux financements nationaux du fonds de péréquation.

Au lieu de cela, le scénario retenu consiste à laisser les opérateurs écrémer la partie la plus rentable du territoire, avec finalement très peu d’exigences concernant la desserte de territoires peu denses, laissée aux seuls réseaux d’initiative publique.

M. Bruno Sido. Aucune exigence !

M. Xavier Pintat. Le futur Fonds d’aménagement numérique des territoires devra en conséquence intervenir massivement pour soutenir les réseaux d’initiative publique, qui ne bénéficieront pas du cofinancement local des opérateurs.

Ainsi se posera avec force la délicate question de l’alimentation du Fonds d’aménagement numérique des territoires prévu dans la loi. Quelles taxes pourraient venir couvrir le volume forcément plus important des besoins de financement des territoires ? À cet égard, les perspectives tracées par Hervé Maurey sont intéressantes.

En d’autres termes, cela veut dire que l’objectif de 100 % de la population française desservie en très haut débit en 2025 ne sera probablement pas atteint. Dans ces conditions, il sera sans doute nécessaire d’adapter rapidement le dispositif, en mettant en place le Fonds d’aménagement numérique des territoires, dans le respect de la péréquation de niveau départemental ou régional, et en veillant à sa juste représentativité, qui est d’ailleurs définie par la loi.

La création d’un établissement public national, assurant le portage du financement des réseaux d’initiative public, pourrait apparaître comme nécessaire à court terme.

Finalement, la réussite de la généralisation du très haut débit exige plus que jamais de l’État, des opérateurs privés et des collectivités une action concertée. Certes, sous l’impulsion du Président de la République, les lignes ont bougé. Nous commençons à disposer des outils pour réussir ce chantier d’avenir. Utilisons-les, faisons-les évoluer, mais ne retardons pas le déploiement du très haut débit. Restons sur notre objectif : la couverture du territoire, le plus rapidement possible, à 100 %. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Hervé Maurey pour son excellent rapport, qui dresse à la fois un état des lieux et trace des perspectives pour l’avenir.

Le déploiement de la fibre optique constitue en effet un très vaste chantier, et je remercie M. le ministre de s’y être attelé. Mais la tâche est ardue et le coût non négligeable, tandis que les demandes sont pressantes.

Mon département, la Haute-Marne, a pris la décision d’offrir ce service haut débit à la population sans attendre l’intervention de l’opérateur historique ou de ses concurrents. Nous avons donc commencé à poser en régie la fibre optique : mille kilomètres dans un premier temps.

Cette politique commence à porter ses fruits, et l’impatience de ceux qui ne sont pas encore servis grandit au fur et à mesure que ce déploiement se réalise.

Mais le comble de l’impatience – ou peut-être devrais-je dire de la mauvaise humeur – concerne la couverture en téléphonie mobile. Tel est précisément l’objet de mon intervention.

En effet, le 8 décembre 2010, dans le cadre de l’examen par le Sénat de la proposition de loi Marsin relative aux télécommunications, j’ai eu le plaisir et l’honneur de déposer un amendement pour améliorer le niveau de couverture en téléphonie mobile des zones rurales. En effet, à l’instar de M. Pintat, j’ai constaté qu’il subsistait d’importantes difficultés sur le territoire. Mes chers collègues, vous m’avez honoré de votre confiance en votant cet amendement à l’unanimité. Depuis, le texte a été adopté en première lecture par le Sénat, puis transmis à l’Assemblée nationale le 29 avril 2011.

Monsieur le ministre, puis-je vous demander quand ce texte sera examiné par l’Assemblée nationale et appeler votre attention sur la nécessité d’améliorer rapidement la situation de nos concitoyens en milieu rural ? Pour dire les choses plus abruptement, les ruraux en ont assez d’être traités comme des citoyens de seconde zone en matière de téléphonie mobile. Ils attendent de leurs parlementaires un engagement fort pour que l’expression « aménagement du territoire » n’existe pas seulement dans les discours mais se traduise aussi sur le terrain, concrètement, au quotidien.

Ayant nettement ressenti leur malaise au cours de ma campagne sénatoriale cet été, j’ai pris l’engagement de porter leur voix dans cet hémicycle, ce que je fais aujourd’hui. Mais le sujet ne date d’ailleurs pas d’hier, et nous y travaillons d’arrache-pied depuis dix ans, avec Pierre Hérisson et bien d’autres.

Certes, beaucoup a été fait, et je suis le premier à le reconnaître. Au cours de la session 2002-2003, par exemple, notre assemblée m’a fait l’honneur de voter à une très large majorité une proposition de loi relative à la couverture territoriale en téléphonie mobile de deuxième génération.

Comment atteindre un tel objectif ? Par la mise en œuvre prioritaire de prestations d’itinérance locale entre opérateurs.

Au mois de juillet 2003, un accord a été signé entre l’Assemblée des départements de France, l’Association des régions de France et le Gouvernement : pour distinguer les zones couvertes des zones blanches, nous avons retenu comme critère la réception dans les centres-bourgs, face à la mairie et à l’extérieur.

Cet accord a permis un développement de la couverture mobile, en trois phases successives.

La première, financée par la puissance publique – départements, régions, État, Union européenne –, a permis d’installer 50 % des pylônes nécessaires, c’est-à-dire 1 000 ou 1 200 pylônes – je ne me souviens plus du chiffre exact.

La deuxième phase – il faut le rappeler, car on l’oublie trop souvent – a été réalisée par les opérateurs et financée par une baisse du montant de la redevance prélevée sur ces derniers.

La troisième phase, qui est quasi-achevée, permet de traiter les communes dites « non couvertes », qui n’étaient pas encore desservies et qui sont encore au moins trois cents, en récupérant et installant les pylônes non utilisés lors des première et deuxième phases.

Aujourd’hui, nous sommes en 2011 ; huit ans ont passé depuis l’accord de 2003. Le critère retenu alors, à savoir la réception à l’extérieur, n’est plus pertinent. Selon l’ARCEP, il a permis de couvrir 99,8 % de la population. Or cette donnée me semble erronée. Je veux bien admettre que 99,8 % des personnes qui utilisent leur mobile en centre-bourg et face à la mairie disposent d’une couverture réseau, mais, dans nombre de communes qui sont considérées comme couvertes, il s'agit là d’un des seuls points où la réception est effective. Dès que l’on s’éloigne de la mairie, on ne capte plus !

Si l’on retient le pourcentage précité, seules 100 000 personnes ne bénéficient pas de la téléphonie mobile. En réalité, plus d’un million de nos concitoyens – et encore, ce chiffre est tout à fait sous-estimé à mon avis – en sont privés. Je le constate tous les jours dans le département de la Haute-Marne dont je suis l’élu et qui, pourtant, n’est pas si mal couvert.

Voilà pourquoi j’ai souhaité, en déposant en décembre 2008 un amendement n° 25 à la proposition de loi relative aux télécommunications de M. Daniel Marsin, que l’on vive enfin avec son temps et que toute la population française ait enfin accès à la téléphonie mobile !

Pour que cette ambition devienne réalité, la situation doit évoluer, dans la sérénité naturellement, mais en sachant, si besoin est, contraindre par la loi les opérateurs.

Mes chers collègues, n’oublions pas que, parfois, « entre le fort et le faible, […] c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Cette puissante formule de Lacordaire s’applique à mon sens à tous les territoires que les opérateurs jugent insuffisamment rentables pour y réaliser les investissements nécessaires. Et je parle non pas des zones grises, bien entendu, mais seulement des zones blanches.

Dans le cadre de la réalisation des schémas d’itinérance et de partage des infrastructures, le Parlement doit veiller à ce que les opérateurs respectent les obligations que la loi leur impose.

Or force est de constater qu’ils ne se sont pas lancés avec enthousiasme – c’est le moins que l’on puisse dire ! – dans la réalisation de ce schéma. C’est uniquement contraints et forcés qu’ils ont avancé, et encore de mauvaise grâce si j’en crois les résultats de nombreuses mesures effectuées par l’ARCEP sur le terrain. Ils se trouvent en permanence à la limite de ce qui est acceptable eu égard aux sujétions imposées par le législateur.

C’est pourquoi je propose que nous décidions de réviser la méthodologie des mesures attestant du niveau de couverture des différentes zones. Comment peut-on considérer qu’un territoire est couvert lorsqu’une seule barre apparaît sur le témoin de réception des mobiles, ce qui signifie que ces derniers ne bénéficient que d’un cinquième du plein débit ? Il devient urgent d’achever enfin la couverture du territoire en téléphonie de deuxième et troisième générations.

Enfin, mes chers collègues, je rappelle que, aux termes de l’accord conclu avec les opérateurs, ces derniers devaient remettre un rapport annuel sur chaque pylône installé dans le cadre des schémas d’itinérance ou de partage des infrastructures, pour indiquer si celui-ci était, ou non, rentable. Malgré cet engagement, les rapports n’ont jamais été transmis – à tout le moins, ils ne sont jamais parvenus au modeste parlementaire que je suis. Aujourd’hui, nous attendons toujours ces informations, avec une impatience redoublée.

Pour conclure, monsieur le ministre, tout en vous remerciant, je vous demanderai de bien vouloir nous indiquer quand l’Assemblée nationale examinera cet amendement adopté à une large majorité par le Sénat.

En effet, il me semble que nos concitoyens attendent de nous ce type d’avancées concrètes améliorant leur quotidien. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Besson, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme tous les orateurs l’ont souligné, le déploiement des réseaux numériques constitue un enjeu majeur pour la compétitivité de notre économie et l’attractivité de nos territoires.

Nous nous accordons tous pour considérer que l’accès à l’internet haut débit fixe et mobile est devenu une condition d’intégration dans notre société, notre démocratie, notre économie et notre culture. Comme l’eau ou l’électricité, internet est devenu une commodité essentielle.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vos interventions ont souligné l’attention que vous portez, à juste titre, à l’aménagement équilibré de nos territoires. Le Gouvernement partage ce souci. C’est pourquoi je souhaite vous présenter la politique ambitieuse – je maintiens ce terme en dépit d’un certain nombre de critiques que j’ai entendues cet après-midi – que nous avons mise en œuvre pour placer la France à l’avant-garde de la révolution numérique.

Cette politique se traduit tout d’abord par un soutien aux usages. Je tiens à souligner ce point, même si, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’a pas été le thème principal de vos interventions. En effet, rien ne sert d’installer des « tuyaux » s’il n’y a pas de contenus et de services pour nos concitoyens, comme l’a très bien rappelé, notamment, Mme Catherine Morin-Desailly.

Le Gouvernement consacre 2,5 milliards d’euros, au sein des investissements d’avenir, au développement des nouveaux usages. Numérisation des contenus culturels, services mobiles sans contact et « e-éducation » constituent des exemples d’innovations, développées en partenariat entre l’État et les collectivités territoriales.

J’en viens aux réseaux. Nous nous sommes dotés, grâce au plan France numérique 2012, de l’un des réseaux numériques les plus étendus et les plus compétitifs d’Europe. Nous continuerons de le développer, en franchissant de nouvelles étapes, que j’aurai l’occasion d’expliciter, grâce aux orientations du plan France numérique 2020.

M. Xavier Pintat a bien voulu souligner la réussite du plan France numérique 2012, qui visait à généraliser le haut débit fixe et mobile ainsi que la TNT. Les orientations du plan France numérique 2020 viseront, elles, à déployer le très haut débit fixe et mobile et à lancer une nouvelle étape de la TNT.

M. Xavier Pintat a également bien voulu souligner le montant sans précédent des investissements de l’État, qui s’élève à 4,5 milliards d'euros, dont 2,5 milliards d'euros pour les usages et 2 milliards d'euros pour les réseaux.

Je ferai tout d'abord un point sur la télévision numérique terrestre. Permettez-moi de rappeler avec insistance, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’en moins de quatre ans nous avons couvert 97 % de la population – 95 % en outre-mer – et que 100 % des Français reçoivent la télévision par satellite, les foyers bénéficiant d’importantes aides à l’équipement pour la réception satellitaire dans les zones où la télévision terrestre n’est pas disponible.

Ainsi, les Français qui, pour certains d’entre eux, ne recevaient voilà quelques mois ou quelques années que trois, quatre ou cinq chaînes gratuites, selon les régions, en captent aujourd'hui dix-neuf, en qualité numérique pour l’image et pour le son. Je crois qu’il s'agit d’un succès majeur en termes d’aménagement numérique du territoire. Cet après-midi, il m’est arrivé de regretter un peu de ne pas l’entendre suffisamment souligner sur ces travées…

J’en viens à présent aux réseaux mobiles. Quelque 99,8 % des Français bénéficient d’une couverture en téléphonie mobile. Le taux de pénétration a dépassé les 100 %, et même les 120 % en outre-mer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous m’ont signalé des points de difficulté que je continue de qualifier de résiduels. Je comprends votre souci et votre souhait évident de permettre à chacun d’utiliser son téléphone mobile. Toutefois, nous savons que, dans tous les pays – j’y insiste –, malgré tous les efforts déployés, il subsiste un certain nombre de zones blanches. Et celles-ci se trouvent non pas seulement dans les campagnes, mais aussi dans certaines grandes villes, et même à Paris.

En outre, comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, notamment MM. Bruno Retailleau et Pierre Hérisson, il y a quelque contradiction à ne pas supporter la présence près de chez soi d’une station de base de téléphonie mobile et à réclamer une couverture parfaite du territoire par ce service…

Au demeurant, pour parachever au mieux cette couverture, nous menons trois actions.

Premièrement, nous mettons en œuvre depuis 2003 le programme dit « zones blanches ». Avec la coopération des opérateurs et des collectivités, celui-ci a permis l’installation d’environ 2 000 stations de base couvrant près de 3 000 centres-bourgs. Quelque 279 communes doivent encore être traitées en priorité. L’investissement engagé dépasse déjà les 600 millions d’euros.

Monsieur Maurey, vous avez affirmé que nous considérions qu’une commune était couverte quand un point de son territoire l’était. Ce n’est pas exact. Le taux de couverture est calculé par l’ARCEP en fonction de l’ensemble des habitants de la commune. Sur ce sujet, je suis tout à fait prêt à constituer avec vous un groupe de travail, qui permettrait à l’autorité de régulation, si elle l’accepte, de vous présenter sa méthode et, le cas échéant, d’y apporter des modifications.

Monsieur Maurey, je vous vois sourire. Je ne comprends pas ce qui, dans mon propos, peut susciter une telle réaction…

M. Hervé Maurey. C’est l’enthousiasme ! (Sourires.)

M. Éric Besson, ministre. Celui-ci est de mise sur ces sujets, en effet.

Deuxièmement, nous veillons à faire appliquer les obligations de couverture du territoire en technologie 3G, c’est-à-dire en haut débit mobile. Les opérateurs ont déjà couvert 95 % de la population et, d’ici à la fin de l’année, ils devront avoir atteint un taux de 98 %. Malgré la relative faible densité de notre territoire, la couverture en haut débit mobile en France est largement supérieure à la moyenne européenne, qui est de 90 %.

Troisièmement, le Gouvernement a dégagé les meilleures fréquences jamais affectées aux télécommunications dans l’histoire de ce pays : celles du dividende numérique. Bruno Retailleau l’a très bien souligné : tous ensemble, nous avons réussi à dégager ces fréquences extrêmement performantes, à l'occasion de l’extinction de la télévision analogique, et à les affecter aux services mobiles d’accès à l’internet très haut débit et à l’aménagement numérique du territoire.

Je veux d'ailleurs saluer l’action menée par M. Bruno Retailleau à la tête de la Commission du dividende numérique, qui a abouti à cette décision stratégique pour nos territoires et pour leur avenir.

Avec l’attribution des premières licences 4G, la France est l’une des premières nations au monde, avec la Suède, l’Allemagne et les États-Unis, à lancer le très haut débit mobile. Et j’insiste tout particulièrement sur ce point : lors de cette attribution, le Gouvernement a retenu les critères les plus favorables à l’aménagement du territoire jamais mis en œuvre dans ce pays.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Éric Besson, ministre. Quelque 99,6 % de la population devront être couverts par l’ensemble des opérateurs dans un délai de quinze ans.

Pour la première fois, je le souligne, une obligation de couverture à l’échelon départemental est mise en place : 90 % de la population de chaque département devront être couverts dans un délai de douze ans.

Pour la première fois également, une zone de couverture prioritaire a été définie, qui représente 18 % de la population mais 60 % des territoires les plus ruraux de notre pays. Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais votre attachement légitime au respect d’un équilibre entre les villes et les campagnes. En effet, monsieur Sido, nous avons parfaitement conscience qu’il ne doit pas y avoir de citoyens de seconde zone. Or la 4G sera le premier réseau à être déployé simultanément dans les villes et dans les campagnes.

Quatre opérateurs ont déjà reçu des licences dans la bande de fréquence des 2 600 mégahertz. Cette première étape est donc un succès ! La suite se déroulera au début de l’année 2012, avec l’attribution des « fréquences en or » du dividende numérique.

Enfin, j’évoquerai les réseaux fixes. Quelque 99 % des Français ont accès au haut débit par l’ADSL et 100 % sont couverts en haut débit par satellite. Monsieur Maurey, vous affirmiez que certains territoires ne disposent même pas de 512 kilobits par seconde. Or l’offre universelle par satellite est bien de 2 mégabits par seconde. Pour la population couverte, la France se situe largement au-dessus de la moyenne européenne, qui est de 95 %.

En matière de très haut débit, permettez-moi de rappeler que 4 700 000 foyers sont couverts par câble, soit 20 % de notre population, que 1 200 000 foyers sont couverts en fibre optique jusqu’à l’abonné, ce qui représente 4 % de la population, et que 12 zones d’activité équipées en fibre optique ont déjà été labellisées par le Gouvernement.

Le 6 juillet 2011, votre commission a adopté un rapport intitulé « Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes ». Je vous l’avoue, ce titre m’a beaucoup surpris : en effet, que fait le Gouvernement depuis deux ans, sinon agir – je viens d'ailleurs de vous rappeler certaines étapes de cette action – afin de tenir les engagements que le Président de la République a pris et que nous continuons à mettre en œuvre avec détermination.

De quels actes parle-t-on ? Je voudrais répondre à Mme Schurch, qui a appelé à la reconstitution d’un grand monopole public des télécommunications. Il s’agit là, me semble-t-il, d’un contresens majeur. Jusqu’en 2002, il existait en France un quasi-monopole pour les services d’accès à internet haut débit. Avec l’ouverture à la concurrence sont apparus de nombreux acteurs – Bouygues Télécom, SFR, Neuf Télécom, Free –, qui ont formidablement stimulé le marché : en moins de dix ans, le marché français est devenu celui où le nombre d’abonnés à l’ADSL est le plus élevé, où les débits sont les plus importants et où les tarifs sont les plus bas.

Peu de secteurs illustrent aussi bien que celui de l’accès à internet haut débit combien une ouverture à la concurrence correctement régulée peut permettre le décollage d’un nouveau secteur. Je n’affirme pas que cette méthode soit systématiquement valable pour tous les secteurs : dans certains domaines à grandes infrastructures, cela peut ne pas être le cas. Cependant, concernant le secteur qui nous occupe, je crois que nous avons là une preuve irréfutable.

Je veux aussi rassurer Hervé Maurey ; j’espère qu’il m’en donnera acte. Selon nos calculs, dont nous sommes prêts à discuter avec lui, la majorité des propositions contenues dans son rapport, 24 sur 33 pour être précis, ont déjà été mises en œuvre par le Gouvernement.

M. Eric Besson, ministre. Toutefois, nous restons bien entendu à l’écoute de vos nouvelles remarques et propositions ; monsieur le sénateur.

Je voudrais également dire à MM. Pierre Hérisson, Bruno Sido et Philippe Leroy combien je partage leur analyse sur le rôle indispensable des collectivités locales pour compléter la couverture numérique des territoires. Philippe Leroy et Bruno Sido, notamment, ont joué un rôle important dans l’adoption, en 2004, de l’article L 1425-1 du code général des collectivités locales, qui constitue aujourd'hui la base juridique de l’intervention de ces dernières. Auprès de vous se trouvait alors un jeune conseiller technique qui est aujourd'hui mon directeur de cabinet.

Les collectivités locales ont déjà investi 3 milliards d'euros pour le déploiement du haut débit. Depuis juillet dernier, l’État a mis à leur disposition 900 millions d'euros de subventions, afin de les aider à déployer le très haut débit fixe, c'est-à-dire la fibre optique. J’ajoute, en réponse à une question posée plusieurs fois cet après-midi, que le Gouvernement abondera ensuite le Fonds d’aménagement numérique du territoire. Cela me permet de répondre en même temps à Yves Rome : les collectivités locales ont bien un rôle essentiel à jouer, et le soutien financier de l’État sera important.

Je voudrais également souligner combien il est contradictoire, me semble-t-il, de souhaiter à la fois, comme l’ont fait certains intervenants – je pense à Hervé Maurey, Bernadette Bourzai et Michel Teston –, inclure le haut débit, voire le très haut débit, dans la définition du service universel, et conforter le rôle des collectivités locales. En effet, si le champ du service universel était étendu, France Télécom serait, je vous le rappelle, seule en charge du déploiement de ces réseaux. Or, d’après ce que j’ai compris, ce n’est pas précisément votre souhait…

Le Gouvernement a mobilisé un investissement majeur de 2 milliards d'euros pour éviter le risque d’une fracture numérique entre les territoires. Le 27 juillet dernier, nous avons ouvert un guichet de 900 millions d'euros pour financer les projets des collectivités.

En outre, le Gouvernement a mis en place des commissions régionales pour l’aménagement numérique du territoire, qui réunissent collectivités et opérateurs sous l’égide des préfets. Les services de l’État, centraux et déconcentrés, sont entièrement mobilisés pour accompagner les collectivités dans leurs projets.

Je citerai quelques projets déjà bien avancés : celui du département du Loiret – je salue au passage l’engagement constant du sénateur et président du conseil général du Loiret, Éric Doligé, et de son vice-président, le sénateur Jean-Noël Cardoux – mais aussi ceux de la région Auvergne et du département de Seine-et-Marne. Les commissions régionales d’aménagement du territoire s’y sont déjà réunies et les demandes de financement du programme national « très haut débit » sont imminentes.

J’ajoute une réponse à une question précise posée par Pierre Hérisson : le programme national « très haut débit » comporte bien un dispositif de péréquation, puisque les départements les plus ruraux bénéficient d’un taux d’aide plus élevé.

M. Pierre Hérisson. Il faut le rappeler, monsieur le ministre !

M. Eric Besson, ministre. Je fixe aujourd’hui devant vous un objectif clair : d’ici un an, douze réseaux d’initiative publique devront avoir conclu une convention d’aide avec l’État, et d’ici à la fin de l’année au moins trois conventions seront signées. Comme vous, j’aimerais que l’on utilise le plus vite possible ces 900 millions d'euros, mais nous devons également, dans un objectif de bonne utilisation des deniers publics, respecter un certain nombre de procédures.

Je veux donc vous rassurer : lorsque ces 900 millions d’euros auront été engagés, l’État, je le répète, abondera le Fonds d’aménagement numérique du territoire. Le déploiement de la fibre optique dans les zones rurales constitue en effet, ainsi que vous l’avez souhaité, l’une de nos priorités.

J’en viens à mon deuxième point : le Gouvernement prépare le développement du très haut débit par satellite, avec 40 millions d’euros d’investissements dans la recherche et développement. Cet engagement permettra de dépasser les performances du satellite Ka-Sat, qui offre d’ores et déjà 10 mégabits par seconde sur l’ensemble de notre territoire. Il permettra également de résoudre le problème des zones qui ne pourront pas – chacun en a conscience – être desservies par le très haut débit fixe, par exemple les zones géographiques très encaissées ou éloignées de tout centre urbain.

J’aborde maintenant mon troisième point : le Gouvernement a défini une obligation d’équipement en fibre optique des immeubles collectifs neufs. Ce sont ainsi 200 000 logements qui seront équipés par les promoteurs chaque année. Je vous annonce que l’arrêté et le décret d’application viennent de recevoir un avis favorable de la Commission consultative d’évaluation des normes. Ils seront donc adoptés dans les prochains jours, dès qu’ils auront été validés par le Conseil d’État.

Je passe à mon quatrième point : le Gouvernement a défini le cadre réglementaire de la mutualisation des réseaux, avec la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 et ses décrets d’application du 15 janvier 2009, ainsi que les arrêtés du 15 janvier 2010 et du 10 janvier 2011 homologuant les décisions de l’ARCEP. Grâce à ce cadre, les opérateurs se sont engagés à ce que 57°% de la population soit couverte par la fibre optique d’ici dix ans.

J’ai entendu, cet après-midi encore, vos interrogations sur ce point. Sachez que le Gouvernement veillera chaque année à ce que ces engagements soient respectés.

M. Hervé Maurey. Comment ?

M. Eric Besson, ministre. Bruno Retailleau a insisté sur ce point avec raison, et je souhaite y revenir.

Si un opérateur privé ne respecte pas ses engagements de déploiement, les zones concernées retomberont aussitôt dans le périmètre des réseaux d’initiative publique. On ne peut donc pas soutenir de bonne foi que le non-respect de leurs engagements par les opérateurs privés est dépourvu de sanction. Je le répète : si ces engagements ne sont pas respectés, le réseau d’initiative publique reprendra ses droits. En outre, si un opérateur privé manque à ses engagements pendant trois ans, la zone concernée rentrera définitivement dans le domaine de l’initiative publique.

M. Pierre Hérisson. Très bien !

M. Eric Besson, ministre. Je vous annonce ainsi que nous allons interroger les opérateurs sur l’avancement de leurs déploiements dès le début de l’année 2012, soit un an après avoir détaillé leurs intentions d’investissement. Je serai très clair, car je sais que c’est un point essentiel : si leur engagement d’investissement n’était pas respecté, la zone d’investissement privé serait réduite pour laisser la place aux projets des collectivités.

Il ne faut pas croire qu’il s’agit d’une menace prise à la légère par les opérateurs, auxquels je ne fais aucun procès d’intention, du reste, puisque beaucoup d’entre eux tiennent à déployer la fibre optique et font de ce déploiement l’un des éléments du développement de leur chiffre d’affaires. Cependant, si l’on prend les hypothèses les plus pessimistes que certains d’entre vous ont évoquées, ne plus être l’opérateur du réseau français d’accès à internet serait une remise en cause profonde du modèle économique de l’opérateur historique. Il n’y a donc aucun intérêt pour France Télécom à abandonner son modèle d’opérateur de réseau ; certains d’entre vous ont d’ailleurs entendu ces propos dans la bouche de son président, Stéphane Richard.

Par ailleurs, MM. Hervé Maurey et Bruno Retailleau m’ont interrogé sur le décret relatif à la connaissance des réseaux. Ce décret a été adopté une première fois par le Gouvernement le 15 janvier 2009. Cette version convenait aux collectivités territoriales mais a été annulée par le Conseil d’État le 10 novembre 2010. Depuis, nous avons modifié la base juridique, par la loi du 22 mars 2011 qui a habilité le Gouvernement à transposer le « paquet télécom » par voie d’ordonnance. Le Gouvernement a ainsi pu préparer une nouvelle version du décret, solide juridiquement et pouvant être mise en œuvre rapidement. Dans les prochains jours, le Gouvernement saisira l’ARCEP de cette nouvelle version.

J’ajoute que je suis favorable à la proposition, formulée par Bruno Retailleau, de réfléchir avec l’ARCEP aux moyens de compléter notre réseau de collecte – ce « RTE » numérique, si l’on peut dire –, ce qui est indispensable pour aider les collectivités à construire leurs réseaux d’initiative publique.

Concernant l’outre-mer – c’est l’objet de mon cinquième point –, le Gouvernement a mis en place, avec la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, une procédure de défiscalisation du déploiement des câbles sous-marins. Le Gouvernement a également prévu une majoration de l’aide accordée par le programme national « très haut débit » en outre-mer. Ces actions permettront d’améliorer la qualité des connexions à haut débit en outre-mer et de faire baisser les prix de l’accès à internet.

Je sais que certains d’entre vous, et notamment Hervé Maurey, ne sont pas convaincus par le principe de complémentarité entre investissements publics et investissements privés. Son rapport préconise non pas de concentrer l’investissement public sur les zones où il y a une carence d’investissement privé, mais de le développer également dans les zones où les opérateurs privés déploieront leurs réseaux.

Permettez-moi de considérer qu’il s’agit d’une erreur, et ce pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, et ce n’est pas négligeable, cette préconisation est incompatible avec le cadre européen qui régit les aides d’État. Je voudrais rappeler que ces règles, qui ont été adoptées à l’unanimité des vingt-sept États membres, toutes tendances politiques confondues, interdisent de subventionner sur fonds publics des projets concurrents de projets privés existants. C’est un principe essentiel, car aucune entreprise privée n’investira si elle est menacée par la concurrence d’un projet bénéficiant d’aides publiques. Ce n’est que si, au bout de trois ans, le projet privé n’a pas avancé, que le projet public pourra être mis en œuvre. Il s’agit là d’une règle de bon sens, me semble-t-il, car elle permet à la fois de protéger l’initiative privée et de permettre l’initiative publique, tout en sauvegardant les deniers publics, en cas de carence de l’initiative privée.

Sur ce point, je partage l’analyse de Pierre Hérisson et même celle de celui qui s’est auto-qualifié de « souverainiste », Bruno Retailleau (M. Bruno Retailleau sourit.) : il faut un équilibre entre initiative privée et initiative publique. C’est sur ce principe que nous fondons notre action.

La saisine de l’Autorité de la concurrence par la commission de l’économie apportera un éclairage utile à cet égard. Je vous indique néanmoins que le Gouvernement avait déjà saisi l’Autorité de la concurrence et que, le 17 mars 2010, celle-ci avait rendu un avis favorable sur le programme national « très haut débit ».

La deuxième raison pour laquelle le développement de l’investissement public dans les zones où les opérateurs privés déploieront leurs réseaux me semble être une erreur est que cela conduira à la duplication des réseaux, puisque des projets publics et des projets privés seront menés en parallèle. Le coût sera donc largement supérieur aux 25 milliards d’euros prévus.

La troisième raison est que, si l’on souhaite éviter cette duplication, il faudra instaurer une priorité de l’investissement public sur l’investissement privé. Il faudrait donc remettre en cause la liberté d’installation des réseaux, qui est inscrite dans la loi, et empêcher le déploiement de réseaux par les opérateurs. Interdire l’investissement privé pour préserver des projets publics est contraire, me semble-t-il, à tous les principes de notre économie. Cette proposition conduirait à une forme de nationalisation du réseau d’accès à internet.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous alerter sur les risques de ce modèle : rappelons-nous l’échec du plan câble ou celui du Minitel, qui n’était ouvert ni à la concurrence ni à l’innovation.

C’est précisément l’ouverture à la concurrence et, j’y insiste, une régulation avisée qui ont permis l’essor de l’internet haut débit, en France comme partout dans le monde.

J’attire votre attention sur ce point : l’ensemble du cadre réglementaire et financier est aujourd’hui en place pour le déploiement du très haut débit en France.

Sa mise en place a été longue, je le sais, mais nous réalisons un chantier sans précédent : le téléphone avait été déployé en France en cinquante ans par un opérateur public en situation de monopole. Nous sommes en train de remplacer l’intégralité de cette boucle locale par de la fibre optique en à peine quinze ans et avec la participation de quatre opérateurs nationaux et de dizaines d’opérateurs locaux. Avoir mis en place ce cadre indispensable ne veut pas dire que nous ne sommes pas à l’écoute des collectivités, loin de là.

Arrêtons, en France, de nous auto-flageller en permanence !

Nous bénéficions d’ores et déjà des premières retombées de ce programme.

Le FTTH Council a identifié la France comme le pays européen où le nombre d’abonnés au très haut débit a le plus progressé, avec 550 000 abonnés et une croissance de 50 % par an.

La France est le premier pays européen en termes de foyers éligibles au très haut débit, avec plus de 5 millions de foyers éligibles, et nous bénéficions d’une croissance du nombre de logements fibrés de 33 % par an.

Nous sommes largement en avance sur les autres grands pays européens. En Allemagne, pays avec lequel il est bon de se comparer en permanence, 600 000 logements sont raccordés au très haut débit et 120 000 foyers sont abonnés. Au Royaume-Uni, seuls 500 000 logements sont éligibles et 500 foyers sont abonnés.

Pour autant, je n’en disconviens pas, monsieur Maurey, nous ne sommes pas – et ce n’est pas ce que je suis en train de dire – les champions du monde tous domaines confondus ! Vous avez cité, à juste titre, quelques pays qui sont en avance par rapport à nous, comme l’Australie, la Corée et le Japon.

Cependant, comme cela a été esquissé tout à l’heure, deux sortes de pays sont en avance sur la France : d’une part, ceux qui, comme l’Australie, ont créé un monopole public et lui ont attribué des dizaines de milliards d’euros de subventions publiques, voie qu’à ma connaissance nul ne suggère de prendre en France, où nous n’avons ni le même potentiel financier actuellement, ni les mêmes caractéristiques en termes d’aménagement du territoire ; d’autre part, ceux qui, comme la Corée ou le Japon, ont des densités urbaines parmi les plus élevées du monde, et qui, certes, ont su faire les choix d’innovation et d’investissement nécessaires, mais qu’il est plus facile d’équiper rapidement qu’un pays comme le nôtre.

Le Gouvernement, je l’ai dit, est attentif aux inquiétudes des collectivités, à la nécessité d’un dialogue permanent avec les opérateurs et aux demandes des consommateurs.

Les chiffres doivent nous encourager à poursuivre nos efforts afin que la France et l’ensemble de ses territoires entrent de plain-pied dans l’ère du très haut débit, avec, j’y insiste, les opérateurs.

Bien sûr, tous, nous devons « bousculer » nos opérateurs, leur assigner des objectifs élevés, mais, dans le même temps, nous avons besoin, en France comme dans d’autres pays, d’opérateurs puissants.

Les investissements qu’ils vont réaliser, que ce soit dans la téléphonie mobile ou dans la fibre optique, sont indispensables : il n’y aura pas de numérique fort en France avec des opérateurs faibles !

Notre objectif est clair, et il est partagé par tous ici : le très haut débit fixe et mobile pour tous. Croyez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a les mêmes ambitions que celles que vous avez assignées à l’exécutif, cet après-midi, au cours de ce débat de qualité dont je vous remercie. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Au nom de la commission de l’économie et en l’absence de son président, qui a dû se rendre à la conférence des présidents, je me permets à mon tour de remercier tous ceux qui ont participé à ce débat extrêmement intéressant.

Il ressort des différentes interventions que tous, quelles que soient les travées de cet hémicycle sur lesquelles nous siégeons, nous partageons un constat qui va dans le même sens, celui d’une situation qui n’est pas totalement satisfaisante et qui impose de s’adapter.

Je ne vais naturellement pas rouvrir le débat avec M. le ministre, mais, comme il m’a demandé pourquoi je souriais tout à l’heure à ses propos, je lui dirai que c’est parce que j’ai eu le sentiment en l’écoutant que, face à ce constat et à ce souci d’une nécessaire adaptation, il donnait lui l’impression que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Nous aurons l’occasion de revenir sur tous ces sujets puisque, comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, nous allons poursuivre notre travail, notamment grâce à cette proposition de loi qu’avec Philippe Leroy je vais déposer dans les prochains jours.

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la couverture numérique du territoire.

5

Contestation de l'élection d'un sénateur

M. le président. En application de l’article 34 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, M. le président du Sénat a été informé que le Conseil constitutionnel a été saisi d’une requête contestant les opérations électorales auxquelles il a été procédé, le 25 septembre 2011, dans le département du Nord (élection d’un sénateur).

Acte est donné de cette communication.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 12 octobre 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-205 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 18 octobre 2011 :

À quinze heures :

1. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation du protocole d’amendement à la convention du Conseil de l’Europe concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (n° 2, 2011-2012).

Rapport de Mme Nicole Bricq, fait au nom de la commission des finances (n° 13, 2011-2012).

Texte de la commission (n° 14 2011-2012).

2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 767, 2010 2011).

Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 24, 2011 2012).

Texte de la commission (n° 25, 2011-2012).

De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :

3. Questions cribles thématiques sur le malaise des territoires.

À dix-huit heures et, éventuellement, le soir :

4. Éventuellement, suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles (n° 767, 2010 2011).

5. Projet de loi relatif au plan d’aménagement et de développement durable de Corse (n° 688, 2010 2011).

Rapport de M. Alain Houpert, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 15, 2011 2012).

Texte de la commission (n° 16, 2011-2012).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART