M. Michel Mercier, garde des sceaux. C’était difficile…

M. Nicolas Alfonsi, rapporteur pour avis. … et je n’en avais d’ailleurs pas l’ambition. Elle a donc émis un avis défavorable sur les crédits consacrés à la PJJ dans le projet de loi de finances pour 2012. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de lUCR, de l’UMP et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle aussi qu’en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, certes les crédits inscrits à la mission « Justice » connaissent une augmentation de 3,5 %, soit 1,5 % hors inflation. Malgré cette hausse, ils n’en demeurent pas moins dramatiquement insuffisants par rapport aux besoins. De plus, les orientations de ce budget sont contestables.

En effet, cette petite croissance est principalement due à la nécessité d’octroyer des moyens pour faire suite aux réformes et aux projets de nouvelles prisons, à la suite de l’inflation législative sur l’enfermement intervenue au détriment de la prévention et de la promotion de solutions de remplacement à la prison.

J’émets le vœu que, un jour prochain, un prochain gouvernement, quel qu’il soit, s’interdise d’instrumentaliser un drame…

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … pour afficher une posture et pour présenter une énième loi d’affichage, tout particulièrement lorsque ce drame nous touche au plus profond de nous-mêmes et suscite une vive émotion parce qu’il concerne un mineur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et sur certaines travées du RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. Éric Doligé. Il y a beaucoup de choses à faire !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il ne faut pas plus de lois, mais il faut des moyens !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je dirai un mot du programme « Justice judiciaire ».

Nombre de réformes ont des incidences sur le fonctionnement des juridictions et l’ampleur de leur activité. De 2002 à 2010, le nombre des affaires pénales a augmenté de 46 %, et celles du ressort des tribunaux d’instance de 21 %. Or les crédits dévolus à ce programme progressent de 0,62 % : le compte n’y est pas !

Les créations nettes d’emplois se montent à 282 postes, dont 84 postes de magistrat : vous en avez supprimé 76 en 2011.

La création de 370 postes de greffiers ajoutés aux 30 fonctionnaires de catégorie B est pour une large part annihilée par la suppression de 226 postes de fonctionnaires de catégorie C.

Ainsi, si l’évolution du ratio entre les greffiers et les magistrats s’améliore – certes de très peu –, l’évolution du ratio entre les fonctionnaires et les magistrats se détériore.

En outre, l’instauration des jurys populaires et la loi sur la psychiatrie exigent 145 magistrats et 110 greffiers. Cela ramène l’augmentation dont vous vous targuez à sa juste mesure.

Les frais de justice croissent, surtout en matière pénale, en lien notamment avec vos réformes qui obligent à solliciter davantage d’interventions d’experts et à recourir à des techniques d’investigation coûteuses en plus grand nombre. En matière génétique, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, ou FNAEG, recense désormais plus de 1,7 million de personnes ! Une fois encore, les crédits budgétisés sont sous-évalués. Je partage donc l’opinion selon laquelle ce budget manque de sincérité.

Les audiences par visioconférence ont augmenté de 43 %, surtout après l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2 ; c’est le résultat, entre autres, de la suppression de tribunaux avec la réforme de la carte judiciaire. Or ces audiences contredisent les droits des justiciables, et nous y sommes donc opposés.

Les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » progressent de 7,7 %, pour l’essentiel en raison de la réforme de la garde à vue. Est-ce suffisant ? Manifestement, non ! Pour pallier cette situation, le Gouvernement a décidé de faire supporter aux justiciables une taxe de 35 euros. Elle s’ajoute aux droits de plaidoirie, aux 150 euros pour se pourvoir en appel ; le coût d’accès à la justice ne fait que croître. L’accès gratuit à la justice est bien derrière nous.

Lors de votre audition devant la commission des lois, monsieur le garde des sceaux, vous avez souligné que la France était première pour ce qui était de la gratuité d’accès à la justice.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je le maintiens !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de moins en moins vrai, et cela risque de ne plus l’être du tout si l’on ne change pas de politique.

La loi pénitentiaire a aujourd’hui même deux ans et le présent projet de budget n’assurera toujours pas sa mise en œuvre. Si les crédits du programme « Administration pénitentiaire » augmentent de 7,4 %, la construction de nouvelles prisons concentrera les nouveaux moyens, y compris en personnels de surveillance, au détriment d’autres établissements et au détriment des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP.

Or, il manque aux SPIP un millier d’emplois pour assurer un réel suivi socio-judiciaire. En mai dernier, un rapport du groupe de travail de votre ministère préconisait d’ailleurs, de toute évidence en vain, d’accroître les recrutements de conseillers d’insertion et de probation.

La surveillance électronique, quant à elle, monte en charge et absorbe désormais 685 agents contre 110 à la fin de 2008.

Au 1er novembre, on comptait 64 700 détenus pour 56 800 places. Mais cette surpopulation carcérale croissante ne saurait justifier votre projet d’un parc pénitentiaire de 80 000 places à l’horizon 2017, si ce n’est à toujours considérer l’enfermement comme la seule sanction possible. Avec votre politique d’enfermement, plus il y aura de places de prison, plus il y aura de détenus.

Loi après loi, les peines de prison augmentent en nombre et en durée ; celle-ci est passée en moyenne de 4,3 mois en 1975 à 9,8 mois en 2010.

Vous construisez des prisons très coûteuses pour les finances publiques, surtout en raison des loyers et de la durée des partenariats public-privé, ce qui peut sembler contredire la révision générale des politiques publiques, la RGPP. En octobre dernier, la Cour des comptes écrivait, dans une communication : « outre que le “tout public” est potentiellement aussi efficace, rien n’établit que le privé soit “moins cher” ».

Il est clair qu’une évaluation précise du coût des programmes menés en partenariat public-privé est nécessaire, en tout cas pour les parlementaires. Nous vous la demanderons donc.

Il faut aussi revenir sur le choix de construire, sur des sites excentrés, des prisons de très grande capacité totalement déshumanisées.

Les établissements doivent être dotés des moyens nécessaires en détection électronique pour que les fouilles à corps cessent. Nous nous y sommes engagés au travers de la loi pénitentiaire.

Le transfert des extractions judiciaires se fait sans les moyens : seulement 800 équivalents temps plein travaillé, ou ETPT, sur trois ans. Déjà, des extractions sont annulées dans les régions d’expérimentation. Quid aussi des moyens matériels ?

Cela vous servira-t-il de prétexte à un recours accru à la vidéoconférence, dont s’inquiète le Contrôleur général des prisons et qui touche les personnes les plus vulnérables ? Comme lui, je pense que « les droits de la défense doivent l’emporter sur les considérations budgétaires ».

Les crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » stagnent à 2 %, après 6,3 % de baisse en trois ans et la suppression de 540 emplois. L’essentiel des moyens supplémentaires et les économies tirées de la fermeture de foyers classiques iront à vingt nouveaux centres éducatifs fermés.

Vous dites pourtant vouloir offrir aux magistrats une palette de réponses. De quelle palette dispose-t-on quand la seule réponse se résume aux centres éducatifs fermés ? Bien sûr, personne ne nie que de tels centres puissent être nécessaires pour des cas bien définis.

Le recentrage des missions de la PJJ sur les mineurs délinquants – c’est une conception que j’ai critiquée – s’accompagne de la suppression de 106 ETPT – en réalité 216 selon les organisations syndicales.

La mise en œuvre des décisions de justice doit s’accélérer, dites-vous. Certes, trop nombreux sont ceux qui attendent durant des mois une prise en charge. Mais cela suppose des moyens. Vous les refusez à la PJJ et au secteur associatif. En bref, vous supprimez ce qui marche.

La question lancinante des moyens de la justice, contraints par la RGPP et la LOLF, dessine les contours d’une justice de plus en plus gestionnaire, de plus en plus détachée de sa dimension sociale.

Mais le parti de l’UMP n’a-t-il pas annoncé vouloir faire du budget de la justice une grande priorité, en offrant « le marché » de l’accès à la justice aux assureurs privés et en vendant des actions d’entreprise publique pour trouver de l’argent ? Voilà des solutions que, bien entendu, nous n’approuvons pas.

En conclusion, je voudrais évoquer à ma façon, après Mme Dini qui a tout à l’heure fait un rappel au règlement sur ce point, la loi concernant les violences faites aux femmes. Cette loi que nous avons votée même si, pour notre part, nous la considérions comme insuffisante notamment en ce qui concerne les enfants, prévoit un dispositif utile pour prévenir la récidive. Cependant, ce dernier, faute de moyens, n’est pas mis en œuvre dans la plupart des cas, ce qui ne semble émouvoir personne. Pourtant, tous les jours, une femme tombe sous les coups de son conjoint ou de son compagnon. Si cette violence alimente régulièrement les chroniques, elle ne semble pas suffire à inciter le Gouvernement à prendre des mesures rapides. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord, comme l’ont fait d’autres collègues, saluer l’effort de rattrapage budgétaire qui, engagé maintenant depuis plusieurs années par les gouvernements successifs, s’est accéléré durant cette mandature. Même s’il faut faire mieux et plus, ne nous posons pas en donneurs de leçons. Nous venons de loin, nous progressons et il faut continuer à progresser.

Cet effort vous permet effectivement, monsieur le garde des sceaux, de mettre en œuvre certaines de vos priorités. J’ai notamment relevé que les crédits immobiliers permettraient non seulement de moderniser les établissements pénitentiaires, voire d’en créer de nouveaux – j’y reviendrai à la fin de mon propos – mais également, au niveau qualitatif, de poursuivre la mise en œuvre de la loi pénitentiaire, même si, comme l’a souligné M. Lecerf, des insuffisances persistent.

Les réformes que vous avez engagées bénéficieront également de ces moyens. Concernant l’exécution effective et rapide des peines prononcées, nous avons tous présent à l’esprit le rapport de l’Inspection générale des services judiciaires de 2009 : une longue pente reste à gravir mais les moyens consentis sont plus importants.

Je soulignerai également un point, peut-être presque de détail mais qui participe de l’indépendance de la justice, à laquelle nous sommes tous attachés. Même si le Conseil supérieur de la magistrature reste lui aussi perfectible, on peut se féliciter qu’il bénéficie d’une meilleure autonomie financière : il y a l’amour, mais il y a aussi les preuves d’amour !

Un autre sujet me tient très à cœur, car je l’ai pratiqué sur le terrain et y ai consacré plusieurs rapports, après d’autres parlementaires : la prévention de la délinquance.

En ce domaine aussi, un effort a été fait sur le plan budgétaire. Comme cela a déjà été dit, il ne faut pas instrumentaliser les drames de l’actualité ; il ne s’agit pas non plus de les banaliser ou de faire preuve d’angélisme ; d’ailleurs, personne ici n’est dans cet état d’esprit.

Je ferai néanmoins deux suggestions très modestes.

Tout d’abord, je pense que le « secret partagé » entre institutions peut progresser. En tant que maire, je l’ai expérimenté au titre des politiques de prévention depuis une dizaine d’années de manière innovante. Au moment où je l’ai mise en œuvre, cette démarche n’était pas vraiment dans les cultures, et j’ai dû faire face à de nombreux blocages, venant d’ailleurs de gens formidables, tels que des éducateurs, des magistrats… Ces obstacles ont été surmontés et, maintenant que cette démarche fonctionne, je peux vous assurer que la parole n’a jamais été remise en cause, que le secret a été partagé mais gardé.

À tous niveaux, c’est une démarche qu’il faut encourager. Même si le risque zéro n’existe pas, même si des drames, que nous déplorons tous, se produisent encore trop souvent, des progrès ont été accomplis et d’autres sont encore possibles. C’est là plus une question culturelle qu’une question de moyens.

Par ailleurs, un sujet ayant fait polémique, peut-être parce que des maladresses ont été commises de part et d’autre, me tient très à cœur car je l’ai abordé dans un rapport récent : il s’agit de la détection précoce des troubles du comportement.

Cette idée québécoise, dont j’ai d’ailleurs pris connaissance il y a une dizaine d’années lors d’un colloque organisé par Julien Dray à Évry et sur laquelle j’ai continué à travailler, me paraît intéressante.

Il ne s’agit nullement de parler de prédétermination de futurs délinquants, comme j’ai encore pu le vérifier au Québec voilà quelques mois, à l’instar d’autres parlementaires de tous bords qui se sont également rendus dans ce pays. Je crois qu’il y a, en France, en matière de prévention de la délinquance dès le plus jeune âge, des marges de progrès possibles.

Je terminerai mon propos sur la question de la prévention de la récidive.

Vous avez annoncé, monsieur le garde des sceaux, la création de vingt-cinq centres éducatifs fermés pour les mineurs, qui s’accompagnera du développement du suivi pédopsychiatrique. Il s’agissait là non pas d’affichage ou d’instrumentalisation, mais de la poursuite et de l’amplification d’une politique sur laquelle tout le monde peut se retrouver, ce que, d’ailleurs, personne ne conteste.

Mais au-delà de la nécessité de construire de nouvelles prisons en France pour réduire la surpopulation carcérale, pourquoi, alors que le besoin s’en fait véritablement sentir, notamment par rapport à d’autres pays, ne mettez-vous pas enfin en œuvre la prison ouverte ? Il n’y en a qu’une en France, alors qu’il y en a partout en Europe : 8 à 30 % des personnes incarcérées en Europe – je ne parle pas des alternatives à l’incarcération – bénéficient en effet de ce dispositif.

Ce dernier est bien pour les personnes incarcérées – elles travaillent pour rembourser les frais engagés et pour dédommager les victimes et leur famille, elles préparent leur sortie, puisqu’elles participent à de véritables travaux agricoles d’intérêt général – et bien également pour la collectivité. Les élus locaux y sont favorables. Je sais que vous êtes également favorable à cette idée, que vous avez d'ailleurs évoquée. Mais il faudrait qu’il y ait en France une deuxième puis une troisième prison ouverte, et qu’ainsi le mouvement s’engage.

Je pense que, là aussi, des marges de progression existent et, tant qu’à construire des prisons, pourquoi ne pas privilégier celles dont les coûts d’investissement et de fonctionnement sont moindres ? Cette perspective vous permettrait d’afficher votre volontarisme politique, monsieur le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de lUCR et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, sans démagogie aucune, j’indiquerai que le retard en crédits et en moyens du ministère de la justice vient de loin. Monsieur le ministre, vous l’avez suffisamment dit, et c’est la vérité.

C’est une raison de plus pour abonder dans le sens de Mme Borvo Cohen-Seat, qui, à l’instant, appelait de ses vœux un prochain gouvernement. Celui-ci aura des choix difficiles à faire. Je souhaite qu’il donne la priorité à la justice, car ce choix me paraît juste et profondément nécessaire.

Pour ce qui est de votre budget, monsieur le ministre, mes collègues Edmond Hervé, Catherine Tasca et Nicolas Alfonsi ont cité des chiffres et ils les ont abondamment commentés. Je me permettrai toutefois de revenir sur certains d’entre eux.

Il y a du trompe-l’œil dans ce budget ; j’ai dit que je ne ferai pas de démagogie ! Sont créés 84 postes de magistrats. Or votre étude d’impact évalue à 65 postes supplémentaires les besoins pour les citoyens-assesseurs et à 80 les postes nécessaires à la mise en œuvre de l’hospitalisation sans consentement. Il manque donc 61 postes, monsieur le ministre ! C’est très simple et chacun peut le comprendre.

En outre, compte tenu des délais de recrutement et de formation, les 84 nouveaux magistrats dont nous parlons n’entreront pas en fonction dans les juridictions avant septembre 2012.

J’en viens à présent aux juges de proximité. Robert Badinter et moi-même avions marqué nos réserves sur cette innovation. Nous avons eu raison, et vous en avez d’ailleurs tiré les conséquences.

Malheureusement – je le dis à l’adresse de M. Hyest –, les juges de proximité, qui apportaient un service très précieux dans les tribunaux d’instance, doivent cesser leurs fonctions sans être remplacés, ce qui entraînera de grandes difficultés. Monsieur le garde des sceaux, je vous invite à aller dans un tribunal d’instance pour voir dans quelles conditions sont traitées, parfois, 70 à 90 affaires en une demi-journée !

Pour ce qui est des greffiers et des personnels administratifs, le projet de budget prévoit 198 postes supplémentaires. Je vous en donne acte, mais nous savons tous que ces 198 postes ne compensent pas les 314 emplois équivalents temps plein supprimés en 2010. Vous me répondrez certainement que vous avez déjà créé 203 postes en 2011. Toutefois, un calcul mathématique élémentaire montre que, au final, le nombre de postes créés n’est que de 87, ce qui est bien évidemment très insuffisant.

Je voudrais évoquer maintenant la décision qui a été prise de faire dépendre les escortes non plus du ministère de l’intérieur, mais de celui de la justice. Aujourd'hui, celles-ci concernent 1 200 gendarmes et policiers. Si j’ai bien lu, leur transfert à la Chancellerie devrait conduire à une diminution de 400 emplois entre 2011 et 2013. Comment 800 personnes réussiront-elles à faire ce que 1 200 personnes faisaient auparavant ? J’ai d’ailleurs noté, monsieur le garde des sceaux, que vous aviez déclaré le 16 juin dernier à la presse que cette réforme n’allait « pas marcher ».

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Nous sommes au moins d’accord sur un point !

M. Jean-Pierre Sueur. J’espère que vous nous direz comment vous comptez résoudre ce problème.

Par ailleurs, j’entends partout de nombreux discours sur la nécessité d’aider les victimes, mais entre les discours et les actes, je note quelques différences…

Le projet de budget pour 2012 entérine, pour la troisième année consécutive, une baisse des crédits affectés à l’aide aux victimes. Depuis 2009, nous avons ainsi pu constater une baisse du nombre d’associations subventionnées, donc du nombre de salariés et de permanences. Dès lors, de deux choses l’une : soit on tient des discours sur l’aide aux victimes et on s’attache à augmenter les moyens qui lui sont alloués ou, à tout le moins, à maintenir son niveau ; soit on diminue le nombre d’associations aidées et, par conséquent, celui de leurs salariés et de leurs permanences, mais il est préférable, dans ce cas, d’éviter de tels discours.

Je terminerai en abordant deux points.

Premièrement, notre rapporteur pour avis Jean-René Lecerf a excellemment évoqué la question des prisons, maisons d’arrêt, centres pénitentiaires et établissements pour peines. J’ai été particulièrement intéressé par ses propos sur la question des nouveaux modes de financement des prisons.

En effet, monsieur le garde des sceaux, le recours constant aux partenariats public-privé, ou PPP, a des effets délétères.

Tout d’abord, les établissements construits sont de grande taille. Dans son rapport annuel pour 2010, Jean-Marie Delarue a indiqué que « les établissements de plus de 200 détenus génèrent des tensions et, donc, des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits. » Quelle conclusion tirez-vous de ce constat, monsieur le garde des sceaux ?

Ensuite, j’attire votre attention sur un point : nombre de personnels de l’administration pénitentiaire, y compris des cadres, regrettent certains choix d’architecture et d’aménagement. L’architecture d’une prison et les détails de sa conception relèvent, selon moi, des prérogatives régaliennes de votre ministère. Construire une prison n’est pas un acte anodin, et je regrette que l’on s’éloigne peu à peu de la maîtrise d’œuvre publique. Alors que cette mission relève toujours, je le répète, de la compétence de votre ministère, vous vous en dessaisissez de plus en plus.

M. Éric Doligé. Et alors ?

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le savez, mes chers collègues, j’ai toujours affirmé que les PPP étaient utiles dans certaines circonstances. Néanmoins, leur généralisation pourrait finir par poser des problèmes. Lorsqu’il a présenté pour la dernière fois le rapport de la Cour des comptes au Sénat, peu avant sa disparition, Philippe Séguin nous avait appelé à veiller à ce que les PPP ne deviennent pas le crédit revolving de l’État et des collectivités locales.

Monsieur le garde des sceaux, à l’heure où l’on parle beaucoup du développement durable, nous devons faire très attention à ce qu’un recours excessif à ces partenariats ne laisse pas trop de dettes durables à nos descendants. Ce que nous ne payons pas aujourd'hui, nous le payerons demain ou après-demain, et au prix fort !

M. Éric Doligé. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. Deuxièmement, je voulais revenir sur la question des faits divers, déjà abordée par plusieurs de mes collègues.

Le fait divers – je n’aime pas cette expression, que j’ai tort d’employer – qui s’est produit voilà quelques jours est tout simplement horrible. Nous avons tous de la compassion, dans cette épreuve douloureuse, pour la famille, les amis et la communauté de la jeune fille qui a été tuée. Pour autant, je suis persuadé, monsieur le garde des sceaux – je tiens à le répéter –, qu’annoncer une nouvelle loi d’affichage après chaque fait divers dramatique n’est pas de bonne méthode.

La réponse réside non pas dans l’empilement des lois, mais dans les moyens, notamment humains, que l’on consacre à une politique.

Monsieur le garde des sceaux, je ne veux pas faire de démagogie,…

Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est bien ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Jean-Pierre Sueur. … mais j’ai été surpris de lire dans la presse que vous prévoiriez l’existence de 96 000 détenus en 2014. (M. le garde des sceaux s’étonne.) Peut-être démentirez-vous ici les informations parues dans un article du Monde. Sous le titre : « Le projet de loi présenté par le garde des sceaux prévoit une hausse des effectifs et de nouvelles places de prison », le quotidien affirmait : « Le parc pénitentiaire est aujourd'hui de 57 208 places pour 64 711 détenus. Le ministère estime à 96 000 le nombre de détenus en 2014 et envisage d’étendre le parc à 80 000 places. »

Vous prévoyez donc qu’il y aura dans trois ans plus d’un tiers de prisonniers supplémentaires par rapport à aujourd'hui !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Sueur, je n’ai fait aucune déclaration à ce journal ! C’est un article de presse, qui vaut ce que valent tous les articles de presse. Je vous apporterai des précisions sur ce point tout à l’heure.

M. Jean-Pierre Sueur. Par conséquent, monsieur le garde des sceaux, vous démentez ces chiffres ?

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si nous créons des places supplémentaires, c’est pour qu’il y ait moins de détenus qui dorment sur des matelas dans les couloirs !

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait, monsieur le garde des sceaux. Toutefois, le nombre de détenus est déjà très important aujourd'hui. Si vous créez de nouvelles places, cela posera des problèmes pour les établissements, qu’ils soient anciens ou récents. Ce qu’il faut faire, cela a été dit et répété, c’est développer les alternatives à la détention, au lieu de faire du chiffre et d’annoncer pour demain une population pénitentiaire considérable, comme si cela allait rassurer les Français.

Mme Catherine Troendle. Votre temps de parole est épuisé !

M. Jean-Pierre Sueur. Le véritable problème, c’est le suivi du détenu en prison en termes d’instruction, de préparation à la sortie, d'encadrement médical.

Mme Catherine Troendle. Votre temps de parole est épuisé !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faut éviter les sorties sèches : les détenus ne doivent pas quitter la prison sans être entourés par un réseau familial ou social et sans avoir de travail.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Je termine, monsieur le président.

Pour nous, une autre politique est nécessaire, car, nous le voyons bien, il faut prévoir suffisamment de personnels pour préparer la réinsertion et éviter la récidive. Nous ne souscrivons pas à votre politique du chiffre, monsieur le garde des sceaux, et nous attendons vos explications sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail des quatre rapporteurs et la clarté de leurs explications.

Monsieur le garde des sceaux, quand des médicaments sont amers, on les entoure de sucre. Tel me semble être votre rôle au sein du Gouvernement ! (Sourires.)

On apprécie la valeur d’une action politique nationale ou locale à chaque fin de mandature en répondant à une seule question : la situation laissée est-elle meilleure que celle qui a été trouvée au début ?

Or il n’est point besoin de forcer le trait pour s’apercevoir que notre justice va mal et que son image s’est encore détériorée, souvent d’ailleurs sous les propres coups de l’exécutif.

Multiplier sans cesse les lois pour répondre aux faits divers médiatiques, aux drames du quotidien qui sont toujours trop nombreux mais qui, dans aucune société, ne seront jamais totalement éradiqués, constater qu’un pourcentage trop considérable de décisions de justice est inappliqué…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Voilà !

M. Jacques Mézard. … sans se donner les moyens d’y remédier, c’est signer une politique judiciaire inefficace, qui privilégie le message médiatique au règlement des problèmes de fond.

Monsieur le garde des sceaux, vous voulez recommencer aujourd'hui avec la récidive ce que vous fîtes avec la rétention de sûreté. Or, si je ne me trompe pas, il me semble qu’il n’y a qu’une ou deux personnes ainsi retenues dans notre pays,…