M. Richard Yung, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons donc aujourd’hui le projet de loi « DDADUE », qui vise notamment à transposer une directive dite « Omnibus ». On le voit, ce texte, en dépit de son aridité, présente aussi des aspects sympathiques ! (Sourires.) Je crois d’ailleurs comprendre que, si les plans du Gouvernement se confirment, nous aurons à examiner plusieurs transpositions de textes financiers au cours de cette législature.

Comme vous le savez, la réglementation européenne en matière bancaire et financière s’est particulièrement enrichie au cours des dernières années : Solvabilité II, directive AIFM sur les fonds alternatifs, règlement sur les agences de notation, directive sur les services de paiement, etc. Tout cela nous oblige à une adaptation constante de notre droit.

Lors de la législature précédente, le Gouvernement nous a souvent demandé de procéder à cette tâche par ordonnance. En conséquence, nous étions parfois mal informés sur les différents textes européens, à moins de faire nous-mêmes le déplacement à Bruxelles. Je me réjouis donc que le Gouvernement ait préféré le vecteur d’une loi de transposition à celui d’une ordonnance, car cela nous permet d’avoir un débat. J’espère que cette méthode perdurera.

Le projet de loi transpose tout d’abord une directive de septembre 2009 sur la monnaie électronique. C’est l’élément le plus important du texte.

Comme l’a dit M. le ministre, cette transposition devient urgente, car nous sommes sous la menace d’une sanction pécuniaire.

La directive devait être transposée avant le 30 avril 2011. Nous avons donc près d’un an et demi de retard. Le précédent gouvernement avait obtenu du Parlement deux habilitations à procéder par ordonnance, dont aucune n’a abouti.

Le texte que nous étudions aujourd’hui est donc en réalité celui d’une ordonnance qui n’a jamais pu être publiée – l’ordonnance « perdue », en quelque sorte. (M. le ministre sourit.)

Quoi qu’il en soit, la Commission européenne a d’ores et déjà adressé un avis motivé à la France et peut désormais saisir, à tout moment, la Cour de justice. Celle-ci ne manquerait pas de nous condamner pour une somme pouvant atteindre plusieurs millions d’euros. Dans le contexte budgétaire actuel, je pense que nous souhaitons tous éviter cette dépense inutile.

L’enjeu de ce texte, examiné par le Sénat au cours de la session extraordinaire, est donc de faire la preuve de notre bonne volonté auprès de la Commission.

La directive de 2009 sur la monnaie électronique fait en réalité partie d’un chantier européen beaucoup plus vaste en matière de paiements.

En effet, avec l’émergence du marché unique, c’est-à-dire la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux dans l’Union européenne, le nombre des paiements transfrontaliers a considérablement augmenté au fil des ans.

Le paysage des paiements en Europe a de surcroît été bouleversé en raison de deux phénomènes : l’introduction de l’euro et l’émergence du commerce électronique.

Plus récemment, ce sont les moyens de paiement eux-mêmes qui sont entrés dans une phase d’innovation. Nous connaissons tous le paiement par internet, mais d’autres formes vont se développer. Je pense notamment à la banque par téléphone portable, qui n’est pas encore très répandue en Europe, mais qui est déjà largement utilisée dans certains pays africains dépourvus d’infrastructures bancaires. Ainsi, dans une grande économie comme l’Afrique du Sud, la deuxième banque ne procède que par téléphone portable. Nul doute que ces usages vont progressivement se développer dans nos pays européens.

Dans ce contexte, les acteurs bancaires, la Commission européenne et la BCE ont entendu faire correspondre au marché unique un espace européen unique des paiements. On trouve la traduction concrète de cette volonté dans le projet SEPA – espace unique de paiement en euros – qui harmonise, pour l’euro seulement, les moyens de paiement dans toute l’Union européenne, et même au-delà, puisque 32 pays adhèrent au projet.

C’est ainsi que, au 1er février 2014, d’ici à un an et demi environ, il n’existera plus de frontières pour les virements et les prélèvements. Cette évolution, relativement silencieuse pour le grand public, s’accompagne en réalité de changements profonds qu’il a fallu plus de dix ans pour concrétiser.

Bien entendu, le cadre juridique des paiements en Europe a dû également être adapté : tel fut, en partie, l’objet de la directive de 2007 sur les services de paiement.

La Commission européenne poursuit par ailleurs sa réflexion, puisqu’elle a soumis à consultation, en janvier 2012, un Livre vert sur les paiements par carte, par internet et par téléphone portable.

C’est un travail que nous devons suivre attentivement pour éviter que notre pays ne se trouve partiellement exclu de ces nouveaux grands marchés de paiement par voie électronique. J’en dirai un mot tout à l’heure, mais je constate que, actuellement, 95 % des paiements électroniques se font au Luxembourg, parce que la grande société de paiement par internet Paypal y est installée. Ce n’est pas normal dans un marché unifié, et la France doit essayer de jouer un rôle dans ce marché.

Dans ce contexte, j’oserai presque avancer l’idée que cette directive « monnaie électronique » est déjà en grande partie dépassée. Il arrive que les législateurs soient confrontés à ce problème.

Avant d’aller plus loin dans mon exposé, je voudrais m’arrêter un instant sur cette notion de « monnaie électronique », car il convient de préciser les concepts.

La monnaie électronique a été conçue comme un substitut aux pièces et aux billets. C’était par exemple le cas du porte-monnaie électronique Monéo, conçu comme une petite carte avec laquelle l’on pouvait payer ses achats courants, comme son journal, ses cigarettes ou ses tickets de métro.

Mais, en réalité, la « monnaie électronique » n’est pas de la monnaie au sens économique du terme. C’est, pour le dire simplement, un « moyen de paiement ». En réalité, chaque fois que l’on « émet » de la monnaie électronique, une contrepartie en monnaie existe déjà, qu’il s’agisse de billets, de pièces ou de monnaie scripturale. Il n’y a donc pas de création monétaire lors de l’émission de monnaie électronique, celle-ci étant toujours créée contre une remise de fonds.

Les applications de monnaie électronique sont nombreuses. J’ai cité le porte-monnaie électronique : cette innovation, si elle n’a pas connu beaucoup de succès en France, sans doute en raison des commissions prises par les banquiers, les intermédiaires et les émetteurs, en a connu davantage en Belgique. Mais la monnaie électronique, ce sont également les cartes-cadeaux que vous pouvez acheter dans certains magasins, notamment de produits culturels. C’est aussi de nombreuses applications internet, dont la plus célèbre est Paypal.

La monnaie électronique est à l’image de l’économie numérique : ses seules limites sont celles de l’imagination. Il s’agit, de plus en plus, d’un moyen de paiement associé à une offre de services.

Je reviens maintenant à la directive de 2009. Celle-ci remplace une première directive sur la monnaie électronique en date du 18 septembre 2000, qui avait pour ambition d’accompagner le développement du commerce électronique. Voilà douze ans, on pressentait donc déjà l’importance qu’allait prendre le commerce électronique.

Mais la monnaie électronique n’a pas connu le succès escompté. En 2008, d’après les chiffres de la Commission européenne, 20 sociétés étaient agréées comme émetteurs de monnaie électronique, tandis que 127 opéraient sous le bénéfice d’une exemption d’agrément.

Nous sommes donc en face d’un marché un peu curieux, dans lequel l’essentiel des acteurs sont exemptés d’appliquer la réglementation. S’il n’y a pas eu, à ma connaissance, de drames, cette situation n’en reste pas moins anormale et montre que, dans ce domaine, le droit est en retard sur la réalité.

Le cadre juridique n’était pas adapté. Les règles prudentielles, notamment, étaient très contraignantes : les établissements agréés devaient disposer d’au moins un million d’euros de capital, ce qui a découragé les petites structures. Or, comme il s’agissait d’un marché naissant, les entreprises opérant sur celui-ci, essentiellement des start-up, ne disposaient pas de ce capital.

La révision de la directive de 2000 était donc devenue indispensable. Elle aurait dû être refondue dans le cadre de la directive sur les services de paiement de 2007, qui crée les établissements de paiement, spécialisés dans les services de paiement. Malheureusement, nos États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur les règles de gestion, en particulier sur le minimum de fonds propres exigés pour les deux types d’établissements.

On vit donc avec deux types d’établissements, les émetteurs de monnaie électronique d’un côté et les établissements de paiement de l’autre, avec des frontières floues entre les deux. Il me semble que le principe de réalité nous conduira à revoir cette dichotomie, qui n’est pas satisfaisante.

Sur le projet de loi lui-même, je ferai trois remarques. Il procède à tous les ajustements nécessaires pour prendre en compte les nouvelles règles en matière de monnaie électronique et l’apparition des établissements de monnaie électronique.

Ma première remarque porte sur les exemptions. Normalement, un établissement de monnaie électronique doit être agréé, ce qui emporte plusieurs conditions, notamment en termes de capitalisation et de protection du consommateur, à commencer par le remboursement de la monnaie électronique.

Or la directive prévoit qu’il est possible d’être exempté de l’agrément. Pour cela, la monnaie électronique émise doit servir dans un éventail « limité » de magasins, ou pour acheter un éventail « limité » de biens ou services. Imaginons que, dans une même ville, un fleuriste, un pâtissier et un vendeur de jouets exerçant non loin l’un de l’autre se mettent d’accord pour émettre une carte permettant de payer de petites sommes dans chacune de leurs trois boutiques. Telle est la définition de l’offre « limitée » : elle est circonscrite en termes de produits et de magasins. Dans un tel cas, il est prévu que les émetteurs de ces cartes n’auront pas à déposer un capital prudentiel de 350 000 euros.

Mais, évidemment, on sent bien que le concept d’« éventail limité » peut s’interpréter à géométrie variable. À tel point que, sous l’empire de la précédente directive, 90 % des entreprises de monnaie électronique travaillaient sous le régime de l’exemption.

Je souhaite donc que l’Autorité de contrôle prudentiel soit très vigilante sur ce point, d’abord en révisant les exemptions actuelles pour les faire basculer dans le régime de l’agrément, ensuite en limitant les futures autorisations d’exemption.

Ma deuxième remarque portera sur le mode de remboursement de la monnaie électronique.

La directive oblige à rembourser la monnaie électronique – c’est normal puisque ce n’est pas de la monnaie nouvelle ; elle a été déposée, elle peut être reprise –, mais reste muette sur le mode de remboursement. Le projet de loi prévoit donc que celui-ci est réalisé, à la demande du détenteur, soit en espèces, soit par virement.

On peut s’interroger sur la compatibilité d’un remboursement en espèces pour de la monnaie « électronique », c’est un peu paradoxal. Bien sûr, on comprend le souci de protection du consommateur, mais il faut aussi prendre en compte les modèles économiques des nouveaux émetteurs de monnaie électronique, qui seront, pour beaucoup, des sociétés opérant sur internet. Leur imposer un remboursement en liquide est une source de complications et de coûts supplémentaires.

Il serait plus raisonnable d’ouvrir le remboursement en liquide pour la seule monnaie électronique émise contre le versement d’espèces : j’ai remis des espèces, j’ai le droit d’être remboursé en espèces.

Je ne proposerai pas d’amendement sur cette disposition. Quand nous étudierons d’autres textes, nous pourrons, à partir du retour d’expérience, revoir cet aspect des choses.

J’en viens à ma troisième et dernière remarque relative à la lutte contre le blanchiment.

La monnaie électronique, à l’instar de la monnaie fiduciaire, risque de devenir une voie privilégiée de la fraude.

En France, les émetteurs de monnaie électronique ne sont pas soumis aux obligations de vigilance et d’identification de leurs clients dans la limite de 250 euros pour un support non rechargeable – vous avez acheté une carte, mais elle ne se recharge pas – et 2 500 euros pour un support rechargeable. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette distinction, mais c’est ainsi.

Le projet de loi renforce autant que faire se peut les dispositifs anti-blanchiment. On peut cependant s’interroger sur le maintien de l’anonymat autour de cette monnaie électronique, en particulier s’agissant de la somme de 2 500 euros, qui est tout de même significative.

Bien sûr, avec une carte non rechargeable de 30 euros, il n’y a pas trop de risques. Mais dix cartes rechargeables de 2 500 euros, cela fait 25 000 euros ! On peut même arriver à des sommes bien supérieures, nous connaissons l’imagination des mauvais citoyens, qui cherchent à blanchir des fonds bien mal acquis. Il faut, me semble-t-il, réfléchir sur ce point et on pourrait suggérer d’intégrer ces éléments lors de la prochaine révision de la directive anti-blanchiment. Voilà pour ce qui est de la monnaie électronique, qui constitue la grande partie du projet de loi.

J’en viens à la directive « Omnibus I ».

La directive « Omnibus I » est un texte adopté à la suite de la mise en place des nouvelles autorités européennes de surveillance : l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des marchés financiers, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et, enfin, le Comité européen du risque systémique. Ce sont des décisions à la fois du G8, de l’Union européenne et de la zone euro pour encadrer et contrôler l’ensemble du système bancaire et financier pour éviter que ne reviennent les crises que nous avons connues.

Cette directive vient modifier onze textes sectoriels, que je me garderai de citer.

En droit français, l’article 34 du projet de loi procède à l’adaptation du code monétaire et financier afin que l’Autorité de contrôle prudentiel et l’Autorité des marchés financiers disposent d’une base juridique incontestable pour collaborer avec leurs homologues européennes. En particulier, elles peuvent être amenées à échanger des données confidentielles sur des comptes ou des personnes, il faut donc un cadre juridique.

Cette transposition intervient à un moment où les États membres sont, par ailleurs, saisis d’une proposition qui a pour objet de donner à la BCE la compétence pour la surveillance de l’ensemble des banques de la zone euro. C’est une des décisions du sommet des 28 et 29 juin derniers qui est débattue actuellement. Elle va, me semble-t-il, dans la bonne direction et elle finira sans doute par aboutir, rapidement, je l’espère, puisqu’il est prévu qu’elle entre en vigueur le 1er janvier 2013. On sent que l’Autorité bancaire européenne est dans une situation un peu difficile. Cet organisme va-t-il disparaître ? La sociologie administrative montre que les organismes disparaissent rarement, continuent à vivre leur propre vie, nous verrons comment tout cela s’organise.

Enfin, dernier point, le texte effectue la transposition du volet public de la directive contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

La directive harmonise les délais de paiement des différentes autorités publiques, qui disposeront d’un délai maximal de trente jours pour effectuer le paiement, sauf quelques cas très limités où le délai pourra être porté à soixante jours et qui ne devraient concerner que certaines entreprises publiques ou les établissements de santé.

Le projet de loi instaure, en cas de retard, une indemnité forfaitaire obligatoire d’un montant minimum de 40 euros, à titre de compensation des frais de recouvrement. Cette indemnité forfaitaire constitue la principale innovation de ce texte. Les autres points sont également importants, bien sûr, vous êtes tous familiers du débat sur les délais de paiement, mais en droit français, nous avions déjà beaucoup avancé.

En 2011, les retards de paiement ont coûté plus de 100 millions d’euros aux autorités publiques, dont 80 % pour l’État. Si les mesures dont nous discutons sont adoptées, les pénalités passeraient de 100 millions d’euros à 150 millions d’euros, des sommes importantes là encore dont il n’est pas nécessaire de faire supporter le coût par le contribuable. Les ordonnateurs et les comptables sont donc soumis à un important devoir de vigilance.

Voilà, mes chers collègues, les éléments essentiels de ce projet de loi de transposition. La commission des finances l’a examiné hier et a adopté une vingtaine d’amendements de rédaction, de correction, de précision que je ne développerai pas ici et qui sont désormais intégrés dans le texte.

Pour toutes ces raisons, parce qu’il faut, nous semble-t-il, avancer dans cette voie, nous vous proposons l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. André Gattolin et François Trucy applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de transposition, partielle ou totale, de trois directives européennes portant respectivement sur la monnaie électronique, la surveillance prudentielle des marchés financiers et la qualité des transactions engageant des personnes publiques, appelle naturellement un certain nombre d’observations.

Première d’entre elles : le fait que ce texte de loi, dont l’examen a été ajouté en dernière instance au programme de notre session extraordinaire, procède concrètement de directives dont la transposition a quelque peu tardé – cela a été évoqué –, au point d’ailleurs que, notamment pour la directive sur la monnaie électronique, nous soyons assez nettement « en dehors des clous » – si je puis me permettre cette expression familière – quant aux délais prévus par le texte de la directive lui-même.

Ce retard, régulièrement constaté, dans la transposition des textes européens dans notre législation peut être interprété de différentes manières.

On peut, comme le font un certain nombre de nos collègues, le regretter, au sens où ce retard accuserait en fait notre pays de faire partie des mauvais élèves de la classe européenne, toujours à la traîne, ou presque, quand il s’agit de tirer parti des formidables avancées du droit que constitue l’abondante production d’actes communautaires...

Mais on peut aussi, comme vous venez sans doute de le sentir dans les derniers mots que je viens de prononcer, se demander si la profusion des textes communautaires, mélangeant allégrement lois et règlements, intervenant dans le champ de plus en plus étendu du principe de subsidiarité et de l’intérêt communautaire, ne constitue pas l’expression des limites d’une construction européenne qui se fait par empilement de règlements, de normes et de textes dont certains ont à peine le temps d’être transposés qu’ils sont déjà contrebattus par d’autres plus récents...

Le nombre d’actes communautaires abrogés ou modifiés par la directive relative à l’Autorité européenne des marchés financiers est à ce titre assez éloquent puisque ce ne sont pas moins de onze textes antérieurs qui sont modifiés par la directive !

Notre droit est de plus en plus rempli des transpositions de textes européens, comme si cela procédait d’ailleurs d’une sorte de fatalité d’homogénéisation du droit à l’échelle de l’Union, sans que, pour autant, la moindre avancée démocratique concrète soit accordée aux habitants mêmes de l’Europe puisque c’est le traité fondant l’Union européenne dans sa version Lisbonne et, peut-être, bientôt, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, qui vont fixer le cadre général de la construction...

Venons-en cependant aux trois directives ici transposées, pour tout ou partie.

Sur la monnaie électronique, c'est-à-dire de fait la dématérialisation de la « menue monnaie », et singulièrement de la monnaie métallique ou fiduciaire, utilisée pour les achats de faible montant, la réalité commande de dire que les Français n’ont pas vraiment adopté, ces dernières années, la mode du « porte-monnaie » électronique.

Et on peut d’autant plus les comprendre que la poursuite de l’heureuse gratuité des chèques bancaires et la généralisation des cartes de crédit, utilisables même pour des montants d’opération limités, les ont dissuadés d’utiliser ce type de monnaie pour faire face à leurs dépenses courantes.

Au demeurant, même si cela n’est pas le sujet, il me semble, monsieur le ministre, qu’il y aurait lieu de s’interroger sur un phénomène de plus en plus répandu qui veut que nombre de commerçants refusent le paiement par chèque bancaire ou postal, n’acceptant de règlement qu’en espèces ou au moyen d’une carte de crédit.

Une attitude incompréhensible pour le consommateur moyen – même si le code monétaire et financier laisse une certaine latitude aux commerçants sur le sujet –, un consommateur dont la « bancarisation » a été très vivement encouragée dans les années soixante et soixante-dix, aux fins de substituer à nombre d’opérations menées précédemment en espèces des opérations par chèque ou virement.

Nous pouvons d’ailleurs craindre que la volonté affichée de relancer l’usage du porte-monnaie électronique ne se heurte, dans certains cas, aux mêmes réticences.

Pour autant, la vraie question qui nous semble devoir être évoquée est celle de l’absolue sécurité du mode de paiement.

La directive sur la monnaie électronique vise, en effet, à développer l’offre de services disponible en la matière, ce qui ne peut manquer de nous interroger sur l’absolue fiabilité de tous les opérateurs qui vont demander à intervenir sur le marché français.

L’intention affichée du texte, comme de la directive qui l’a motivé, est de faciliter le développement de ce type de services – qui ne rencontre que peu de succès et se trouve être essentiellement utilisé à partir du Luxembourg avec le service Paypal, qui a été cité – et les exigences prudentielles indiquées nous semblent tout de même un peu limitées pour que tout opérateur de monnaie électronique soit fiable à 100 %.

L’un des problèmes de la monnaie électronique, c’est sans doute qu’elle va favoriser une certaine forme de création monétaire sans contrepartie immédiate, qui ne peut manquer d’éveiller l’attention et la vigilance du consommateur, comme, d’ailleurs, du législateur.

Il pourrait, en effet, être regrettable que les placements éventuels des opérateurs, à partir des sommes passant sur leurs écritures, soient l’objet de pertes diverses, mettant en question la contrepartie de l’utilisateur.

Sur la directive relative aux marchés financiers et la définition du rôle et de l’intervention de l’Autorité européenne des marchés financiers, je remarquerai au passage que la notion de supervision, en ces temps de crise, est remise au goût du jour après plusieurs années de dérégulation, de déréglementation complètement folle dans le secteur de la finance, qui devait, nous disait-on à l’époque, donner naissance à une Europe de la prospérité pour tous et pour l’éternité !

La réalité dure de la crise financière que l’Europe a connue en 2008, et qui se poursuit aujourd'hui, venant doper la « crise obligataire » que vivent les États de l’Union, du fait de l’explosion de leur dette publique, appelait sans doute d’autres solutions, nous semble-t-il, que celle qui consiste, notamment, à renforcer les pouvoirs d’autorités administratives indépendantes dont l’existence tend à laisser croire qu’on surveille de près le fonctionnement des marchés alors même que rien ne change quant au fond.

L’Autorité européenne ne vise rien d’autre qu’à donner des brevets de bonne conscience à tous ceux qui continuent de spéculer – y compris et surtout contre l’euro, dont on nous avait pourtant, il fut un temps, vanté les mérites anti-spéculation – et de tirer parti des régimes particuliers de traitement et « d’accueil » des placements financiers dans nombre de pays et territoires de l’Union, et pas des moindres.

Dois-je répéter une fois encore ici que la présidence de l’Eurogroupe est toujours dévolue au Premier ministre de l’un des pays de l’Union qui pratique allégrement le secret bancaire et qui doit une part importante de son PIB à des services d’optimisation fiscale, selon la formule consacrée ?

On peut alors fort bien sophistiquer les pouvoirs et les compétences de l’Autorité de surveillance, elle ne fera toujours que constater les dégâts si cette démarche ne s’appuie pas sur une volonté politique forte de tous les États membres.

Concernant la directive relative aux modalités de transaction entre personnes publiques et créanciers privés, on ne peut évidemment que souscrire aux principes visant à assurer une meilleure « fluidité » dans le règlement des prestations fournies, ce qui permet d’éviter que des entreprises ne se retrouvent en difficulté faute d’avoir été payées à temps, avec toutes les conséquences que cela implique notamment pour l’emploi.

Dans le même temps, les délais de paiement sont, de manière générale, fort bien respectés par les collectivités locales, comme l’atteste l’étude d’impact associée au projet de loi ; le rapporteur notre collègue Richard Yung évoquait hier un délai moyen de vingt-cinq jours, ce qui semble raisonnable.

Nous ne pourrions évidemment que souscrire à l’intention générale de ce texte, mais nous sommes obligés de nous demander si, au fond, tout cela ne procède pas de la clause de style.

En effet, voilà au moins trois ou quatre ans que l’Union européenne, par la voix de la Commission, appelle à la maîtrise de la dépense publique, tout en mettant peu à peu en cause quelques-unes des spécificités de notre droit de la commande publique, singulièrement sur les contingents de réservation, ou encore sur la publicité de cette commande. À se demander d’ailleurs, en dernière instance, si la directive cherche à développer de saines pratiques de gestion locale ou à permettre aux groupes spécialistes du traitement de la commande publique de percevoir plus rapidement encore le produit de leur intervention. D’autant qu’il me semble qu’il conviendrait aussi de se pencher sur les pratiques commerciales en vigueur en matière de contrats privés, quand on connaît les déséquilibres qui peuvent parfois exister dans la relation entre le client et le fournisseur.

Toutes ces observations nous conduisent, comme vous pouvez vous y attendre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à nous abstenir sur ce projet de loi.

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à transposer trois directives européennes fort différentes les unes des autres.

Certes, elles concernent toutes des questions économiques et financières, comme en atteste l’intitulé du projet de loi, mais, vous l’admettrez, mes chers collègues, la monnaie électronique, la régulation financière et les délais de paiement pour la commande publique n’ont pas grand-chose en commun. Pourtant, chacun de ces thèmes importants mériterait un véritable débat, car ils touchent au cœur de l’économie européenne et concernent directement les consommateurs et les entreprises de notre pays.

En effet, il est fort dommage – nos collègues de la commission des affaires européennes en conviendront – d’examiner les textes venant de Bruxelles dans des « paquets globaux », adoptés à la hâte, sans laisser de place à un véritable débat au sein des assemblées parlementaires, seules détentrices pourtant, faut-il le rappeler, de la souveraineté nationale.

Après ces propos liminaires, j’en viens au projet de loi que nous examinons. Que transpose-t-il exactement ?

Il transpose tout d’abord la directive du 16 septembre 2009 concernant la monnaie électronique. Permettez-moi de rappeler que cette directive aurait dû être transposée avant le 30 avril 2011. Il s’agit d’un exemple typique du retard régulier, et tout à fait regrettable, que prend notre pays dans la transposition des directives. Certes, le gouvernement auquel vous appartenez n’est pas responsable de ces errements, monsieur le ministre ; nous pouvons espérer qu’il fera mieux que ses prédécesseurs en la matière. C’est essentiel car, même si nous ne sommes pas les seuls à être régulièrement rappelés à l’ordre par la Commission européenne sur les délais de transposition, il n’en reste pas moins que nous devons plus que jamais être exemplaires à un moment où notre pays réaffirme son rôle central dans la construction et la « réorientation » de l’Europe. Comment être pris au sérieux par nos partenaires si nous sommes nous-mêmes régulièrement « en infraction » au regard du droit communautaire ?

Notre pays n’a pas seulement pris du retard dans la transposition de cette directive, il en a également pris en matière de monnaie électronique.

Depuis la première directive de 2000 sur cette question, les évolutions des technologies et des pratiques commerciales ont rendu nécessaire l’adaptation de la législation. D’ailleurs, on peut légitimement se demander si la directive de 2009 que nous allons transposer dans notre droit interne n’est pas elle-même déjà dépassée ?

Cette directive devrait néanmoins offrir de nouvelles opportunités à la monnaie électronique, un moyen de paiement encore peu développé en France, notamment du fait que son émission relevait jusqu’à présent d’un monopole des banques et qu’elle exigeait le respect de normes prudentielles très lourdes.

En créant un véritable statut pour les établissements de monnaie électronique et en prévoyant des normes prudentielles plus adaptées, ce texte met fin à un certain nombre de « barrières à l’entrée » qui pouvaient jusqu’à présent freiner le développement de ce marché.

Cette directive vise également à faire disparaître une autre limite au développement de la monnaie électronique : l’absence d’harmonisation européenne, qui résulte de grandes divergences dans la transposition de la directive précédente.

Une nouvelle chance est donc donnée à la monnaie électronique, dans un cadre mieux harmonisé, plus souple, mais sécurisé pour les consommateurs comme pour les professionnels du secteur. Car l’ouverture de ce marché à la concurrence ne doit pas nous faire oublier les exigences de sécurité qui doivent régir les transactions, ni les risques de blanchiment d’argent bien réels, par le biais de la monnaie électronique. Nous devons rester extrêmement vigilants sur ces points.

La deuxième directive que ce projet de loi vise à transposer, la directive dite « Omnibus I» de 2010, concerne les autorités européennes de supervision des marchés financiers, des banques et du secteur des assurances.

Elle clarifie les compétences de ces autorités qui sont entrées en fonction en 2011, et dont le travail est encore méconnu. Un amendement du rapporteur Richard Yung adopté en commission des finances a très justement précisé les conditions de coopération entre les autorités nationales et les autorités européennes.

C’est un premier pas, mais il faudra aller plus loin en complétant la régulation pour toute l’Union européenne, au moyen d’une supervision bancaire intégrée, pour la zone euro, comme l’a proposé récemment la Commission européenne, qui a présenté, le 12 septembre dernier, deux propositions de règlement sur ce point.

Il s’agit là de la première étape de cette union bancaire si indispensable. C’est un élément très attendu pour résoudre la crise que traverse la zone euro. Dans ce cadre, le rôle de l’Autorité bancaire européenne devra évoluer et être clarifié par rapport à celui de la BCE, chargée de la supervision des banques.

Enfin, la troisième directive que ce projet de loi prévoit de transposer constitue une avancée majeure, en particulier pour les PME, dans la mesure où elle concerne un sujet très important, à savoir l’harmonisation des délais de paiement et la lutte contre les retards de paiement pour l’ensemble de la commande publique. Rien que cela ? me direz-vous !

En conséquence et nonobstant les regrets que j’ai exprimés quant aux conditions d’examen de ces textes qui ont un fort impact sur notre quotidien et les réserves que j’ai émises sur l’efficacité de la première directive qui date d’il y a trois ans, les membres du groupe RDSE apporteront leur soutien à ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. André Gattolin applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet de transposer dans notre droit interne trois directives européennes : une directive du 16 septembre 2009 sur la monnaie électronique, une directive du 24 novembre 2010 sur l’adaptation des secteurs bancaire, des assurances et des marchés financiers à la nouvelle supervision européenne, ainsi qu’une directive du 16 février 2011 visant à lutter contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

La directive du 16 septembre 2009 dite « directive monnaie électronique » vise à développer l’usage de la monnaie électronique, qui n’a jusqu’à présent rencontré que peu de succès. Les cartes prépayées, le porte-monnaie électronique et l’ensemble des autres moyens de paiement électronique sont encore faiblement utilisés. Il faut dire que le risque de blanchiment est réel. Les sommes ont donc été limitées. Mais la faiblesse du montant rechargeable sur les instruments prépayés n’a malheureusement pas permis, jusqu’à présent, le développement de ceux-ci.

Par ailleurs, pour des Français qui voyagent à l’étranger, il n’existe pas de cadre harmonisé en matière de monnaie électronique.

La monnaie fiduciaire est harmonisée au sein de la zone euro ; la monnaie scripturale bénéficie également d’une certaine harmonisation : les virements bancaires internationaux sont possibles, les cartes bancaires sont internationales ; le paiement ou le retrait d’espèces à l’étranger est possible avec une commission relativement faible. Seul le traitement d’un chèque en euros émis dans un pays de la zone euro fait l’objet d’une commission plus importante et d’un délai de traitement relativement long.

La monnaie électronique, qui est née avec l’essor du commerce électronique, apparaît comme une forme moderne de la monnaie scripturale. La directive, dont nous nous apprêtons à voter la transposition, permettra d’en harmoniser le cadre juridique au sein de l’Union européenne. L’utilisation des moyens de paiement électronique par les consommateurs sera également davantage sécurisée.

Enfin, et surtout, le monopole bancaire en matière d’émission de monnaie électronique sera supprimé. Des établissements français de monnaie électronique, indépendants des établissements bancaires, pourront fournir de tels services de paiement. Il était temps : de tels établissements existent déjà en Grande-Bretagne ou au Luxembourg, et ils sont autorisés à exercer en France sans qu’aucun établissement français n’ait pu être agréé jusqu’à présent.

Concernant la transposition de la directive du 24 novembre 2010, dite « Omnibus I », sur les compétences des autorités européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés financiers, il était important de clarifier les compétences de ces diverses autorités.

Nous avons approuvé la création de ce nouveau système européen de surveillance financière. Il doit permettre de remédier aux carences de la supervision financière au niveau européen, mises en exergue par la crise financière, notamment le manque de coopération, de coordination et de cohérence entre les États membres dans la gestion nationale des pratiques des établissements financiers.

Les secteurs bancaire, des assurances et des marchés financiers disposent ainsi chacun d’une autorité européenne de supervision : l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, l’Autorité européenne des marchés financiers et le Comité européen du risque systémique.

La directive va donc renforcer leur coopération avec les autorités nationales de supervision, à savoir, pour la France, l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité de contrôle prudentiel, en développant notamment l’échange d’informations.

Le groupe UMP soutient cette supervision européenne, car celle-ci prend en compte les intérêts des États membres et permet de promouvoir une réponse coordonnée de l’Union européenne et de soutenir la stabilité du système financier.

Enfin, ce projet de loi transpose dans notre législation la directive du 16 février 2011 sur la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales. Nous ne pouvons qu’approuver cette directive, qui fait bénéficier les PME de meilleures conditions de paiement concernant les transactions entre les entreprises et les pouvoirs publics, dans le cadre notamment de contrats de marché public.

En cette période de graves difficultés financières pour un grand nombre d’entreprises, le délai de paiement est un élément extrêmement important pour leur trésorerie. Il y aura désormais un délai maximal de paiement, fixé par décret. En cas de retard, des intérêts moratoires seront versés à l’entreprise, ainsi qu’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement. J’ajouterai que c’est aussi extrêmement important pour les Français établis hors de France et leurs entreprises et je rappellerai que, jusqu’à une date récente et un amendement du Sénat, le droit à l’ouverture d’un compte bancaire en France ne leur était même pas garanti.

Ces trois directives apportent donc de réelles avancées. C’est la raison pour laquelle je voterai, tout comme l’ensemble du groupe UMP, ce projet de loi de transposition. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. André Gattolin.