M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis.

M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame le rapporteur, mes chers collègues, la commission du développement durable a été saisie pour avis des dispositions de la proposition de loi relatives à l’environnement. Elle a ainsi examiné les quatre articles constituant le titre IV consacré à la problématique de l’environnement, dont la commission des lois a accepté de lui déléguer l’examen au fond. De même, il m’a été demandé de donner mon opinion, en tant que rapporteur pour avis, sur les amendements portant sur ces articles ou sur des sujets environnementaux additionnels.

Avant d’entrer dans le détail des dispositifs, je voudrais dire, à titre personnel, ma satisfaction d’intervenir sur ce texte majeur pour nos collectivités et leurs élus,…

M. Charles Revet. C’est vrai qu’il est important !

M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. … quoiqu’il ait été amputé de plusieurs de ses articles essentiels depuis son passage en commission des lois.

Le constat est unanime : nos élus locaux ploient sous la charge grandissante et exorbitante des normes qu’on leur demande de respecter ou de mettre en application. Ce sujet, loin d’être nouveau, revient trop souvent au cours des réunions que nous organisons régulièrement, les uns et les autres, au sein de nos départements et dans le cadre de l’Association des maires de France. Contrairement à ce qu’a dit précédemment notre collègue Didier Guillaume, cette question n’est pas apparue lors des états généraux de la démocratie territoriale : son importance a simplement été confirmée.

Je veux saluer la qualité du travail de notre collègue Éric Doligé, initialement saisi du sujet au travers d’un rapport. Il faut rappeler que les associations d’élus avaient été très largement associées à ses travaux, dont une première traduction législative a été rejetée, en février dernier, par l’actuelle majorité de cette assemblée. Cette obstruction était plus que regrettable, sachant le caractère d’urgence de la simplification normative pour nos élus locaux. La majorité a semblé, cette fois, consentir à l’adoption du présent texte ; mais à quelles conditions ? Nous le verrons au fil de la discussion.

Le Président de la République lui-même a admis récemment que « nous ne pouvons plus accepter cette situation en termes de coût pour les collectivités, en termes de délai pour les procédures ». On ne peut évidemment que s’en réjouir.

Il a également souhaité que le droit des collectivités à expérimenter et à adapter les normes qui leur sont applicables soit étendu, ce qui est également positif. Or c’est précisément ce que prévoyait l’article 1er, que la commission des lois a souhaité supprimer.

La possibilité d’adapter les normes aux capacités des collectivités locales en fonction de la taille des communes répondait à une forte attente des élus, spécialement de ceux des départements et des communes du monde rural. Il est évident que l’application uniforme, sans aucune prise en compte de la réalité, de la loi ou du règlement sur l’ensemble du territoire crée des incohérences et des difficultés totalement injustifiées pour de petites communes !

Le président du Sénat a récemment appelé la commission des lois et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation à « lui faire de nouvelles propositions » de simplification, dont les orientations ont été données, le 6 octobre dernier, par le Président de la République.

La majorité aurait pu profiter de l’examen de cette proposition de loi de M. Doligé pour apporter une traduction législative à certaines de ces orientations et donner du temps à ce débat. Tel n’est pas le cas.

J’en viens maintenant à la présentation des quatre articles dont la commission du développement durable a été saisie pour avis.

L’article 28 tend, d’une part, à reporter de six à neuf mois le délai, à compter de la clôture de l’exercice, dans lequel le maire ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale doit présenter le rapport annuel sur le prix et la qualité du service pour ce qui concerne, notamment, les services de distribution d’eau potable et d’assainissement.

Cet article rend obligatoire, d’autre part, la transmission des données du rapport au système d’information de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA. La commission du développement durable a déposé un amendement tendant à rendre facultative cette transmission pour les communes de moins de 3 500 habitants.

L’article 29 avait pour objet de faire du service de gestion des eaux pluviales, actuellement service public administratif, un service public industriel et commercial, comme le sont déjà les services de distribution d’eau potable et d’assainissement. Cette réforme semblait, a priori, de nature à homogénéiser les conditions de fonctionnement de tous les services locaux chargés de l’eau et de l’assainissement.

Toutefois, ce changement de nature impliquerait un financement par redevance. Or, le texte de l’article 29 ne prévoyait pas d’autre ressource que l’affectation de la taxe annuelle sur les eaux pluviales, qui est facultative et d’un rendement très insuffisant. La commission du développement durable a donc proposé la suppression de cette disposition, manifestement inaboutie. M. Doligé est d’ailleurs du même avis, puisqu’il a présenté en commission un amendement de suppression de l’article 29.

L’article 30 vise à unifier à l’échelon régional, en un plan unique de prévention et de gestion des déchets, les trois catégories de plans existant actuellement : le plan régional d’élimination des déchets dangereux, le plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux, et le plan départemental de gestion des déchets issus de chantiers du bâtiments et des travaux publics.

À cet article, la commission du développement durable a apporté trois modifications : la première vise à faire siéger au sein de la commission consultative qui contribue à l’élaboration et au suivi du plan régional unifié des représentants des groupements de communes ; la deuxième tend à faire siéger des représentants des associations agréées de consommateurs, comme c’est actuellement le cas au niveau des plans départementaux ; la troisième a pour objet de supprimer une disposition qui autorisait la Corse à déroger à la limite de 60 % du volume des déchets produits fixée pour le dimensionnement des installations d’incinération et d’enfouissement des déchets ultimes.

Enfin, l’article 31, dans sa rédaction initiale, permettait aux communes de plus de 50 000 habitants, qui sont tenues d’élaborer un plan climat-énergie territorial, de confier cette mission à une intercommunalité dont elles sont membres.

À cet article, la commission du développement durable a proposé de reporter du 31 décembre 2012 au 31 décembre 2013 la date butoir pour adopter les plans climat-énergie territoriaux, afin d’introduire un peu de souplesse dans le dispositif.

Telles sont les modifications apportées à la proposition de loi par la commission du développement durable. Je donnerai aussi mon avis, au cours de la discussion des articles, sur les cinq amendements portant sur le titre IV, en m’exprimant à titre personnel puisque la commission ne s’est pas réunie pour les examiner.

J’observe avec grand intérêt que deux de ces amendements, déposés par nos collègues Hervé Maurey et Alain Houpert, abordent le problème du financement des services d’assainissement. En effet, les règles applicables en matière de service public de l’assainissement non collectif, ou SPANC, apparaissent comme un cas d’école en termes d’imposition de contraintes nouvelles aux collectivités territoriales sans que toutes les conséquences en aient été bien mesurées.

Je rappelle que le SPANC, institué par la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, devait être effectivement mis en place avant la fin de l’année 2005. Or, par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, il a fallu repousser au 31 décembre 2012 l’entrée en vigueur du premier contrôle des installations existantes et revoir le régime du SPANC.

Aujourd’hui, alors que l’échéance du 31 décembre 2012 approche, la mise en œuvre du SPANC apparaît toujours aussi problématique sur le terrain. Je peux, à cet égard, m’appuyer sur l’analyse critique faite par le Conseil d’État dans son rapport de 2010 sur le droit de l’eau. Il y est indiqué que de 70 % à 80 % des quelque 5 millions d’installations d’assainissement autonomes seraient non conformes aux normes en vigueur, ce qui implique que, au rythme actuel des réhabilitations, estimé à 30 000 par an, il faudrait cent trente ans pour parvenir à une situation normale.

Si nous pouvions contribuer, par ces deux amendements, auxquels je donnerai un avis favorable, à faire en sorte que les normes en matière d’assainissement soient un peu plus réalistes et soutenables financièrement, nous rendrions un grand service aux communes.

En revanche, je donnerai un avis défavorable à un amendement qui tend à autoriser les communes à moduler le tarif de l’eau sur l’année en cas de variation saisonnière de la consommation. Il m’est en effet apparu que son dispositif serait d’application complexe et surtout que celui-ci excédait largement son objet, puisqu’il ouvre cette faculté de modulation à toutes les communes, qu’il y ait ou non un effet saisonnier.

Enfin, même si la commission des lois est d’un avis contraire, je ne peux pas être favorable au dernier amendement, car il tend à supprimer l’article 30, que la commission du développement durable a, pour sa part, approuvé.

En conclusion, j’espère vivement que cette séance permettra l’adoption du texte d’Éric Doligé et la réintroduction de principes essentiels pour faciliter la vie quotidienne des élus. Si nous pouvions travailler à rendre les lois plus réalistes et plus propres à répondre aux besoins quotidiens de nos concitoyens, nous rendrions un grand service à nos élus et aux collectivités locales.

À l’instar de mes collègues de l’opposition, je regrette profondément que nous ne disposions que de quatre heures pour débattre de ce texte important, alors même que certains créneaux sont inexploités. Par exemple, nous aurions pu poursuivre la discussion ce soir. Est-ce cela, cette démocratie territoriale que l’on nous a tant vantée lors des récents états généraux organisés par le Sénat ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Charles Revet. Bravo, monsieur Pointereau !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, les sociétés sans normes, ce sont des sociétés soumises à l’anarchie ; une société sans règles, c’est une société inconstituée.

À quoi sert le Parlement sinon à faire inlassablement des lois, c’est-à-dire des règles, autrement dit des normes ?

M. Charles Revet. Mais pas sur tout et n’importe quoi !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous avez tout à fait raison, mon cher collègue, et c’est pourquoi le Parlement, de surcroît le Sénat, doit légiférer avec sagesse.

M. Charles Revet. La sagesse sénatoriale !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. À quoi sert la politique sinon à définir les normes, les règles du vivre ensemble ? À défaut, ni les droits, ni l’égalité, ni la justice ne seraient aucunement garantis. Aussi, je ne voudrais pas qu’un mouvement se fasse jour ici qui aurait pour effet de nier ce que nous sommes, ce que nous avons pour mission d’accomplir.

Je note quelques contradictions : les mêmes qui, le matin, protestent contre l’abondance des normes se battent, l’après-midi, amendement après amendement, pour en créer davantage ! Je me suis demandé pourquoi il en allait ainsi.

En 1529, Geoffroy Tory, imprimeur, a écrit un livre intitulé Champfleury, dans lequel il a introduit une multitude de normes : des accents circonflexes, des cédilles, de la ponctuation. Les puristes se sont alors récriés contre tous ces signes qui n’avaient rien à voir avec le génie de la langue française. Quand, trois siècles plus tard, il fut envisagé de supprimer certains de ces signes et certaines de ces normes, leurs successeurs se sont indignés qu’il fût porté atteinte à l’essence même de la langue et à ce qui faisait son génie.

Je me suis demandé pourquoi il existait finalement tant de normes. J’ai pensé que la société était sans doute toujours plus complexe.

M. Charles Revet. On la complexifie beaucoup !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ai pensé également que l’ardent désir de normes que nos concitoyens comme nous-mêmes exprimions parfois trouvait peut-être son origine – je formule là une hypothèse – dans ce principe de précaution que nous aimons tant, dit-on.

Pour ma part, je n’ai pas voté l’inscription de ce principe dans notre Constitution. Nos sociétés sont traversées d’une véritable angoisse, d’une véritable inquiétude qui les conduit à créer des normes sur tous les sujets. Le principe de précaution incite à prendre autant de précautions que nécessaire pour que personne ne puisse être accusé un jour d’avoir agi de manière irraisonnée.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’ajoute que la société sans risque n’existe pas, et qu’une telle société risque d’être aussi triste que celle régie par une multitude de normes.

Il est bon que notre collègue Éric Doligé ait fait tout ce travail.

M. Charles Revet. Un travail important qui mérite d’aboutir !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il est bon que Mme Gourault, rapporteur au fond, et MM. Bourquin, Lozach et Pointereau, rapporteurs pour avis, aient eux aussi fait tout ce travail.

D’ailleurs, je me permets de faire remarquer à M. Pointereau que la plupart des amendements qu’il a présentés, à une exception près, ont été adoptés ce matin par la commission des lois.

M. Rémy Pointereau, rapporteur pour avis. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Après tout, il n’est pas étonnant que les états généraux de la démocratie territoriale aient manifesté le même désir d’une rationalisation de ces normes, certes utiles, mais parfois exorbitantes par leur nombre.

Le souhait formulé par M. Bel de voir le Sénat tout entier reprendre et prolonger ce qui a été dit par les élus lors de ces états généraux va dans le même sens. Notre président a dit et redit, nous l’avons tous entendu, son vœu que nous nous rassemblions sur ces sujets et que des propositions soient formulées recueillant un large accord, propositions auxquelles pourrait contribuer la Sénat.

Bien entendu, je l’ai dit précédemment, ce débat s’inscrit dans ce cadre et je souhaite de tout cœur que nous aboutissions ensemble.

S’agissant du statut des élus – même si l’expression est quelque peu impropre –, il est nécessaire que des dispositions soient prises pour qu’un plus grand nombre de nos concitoyens puissent accéder aux fonctions électives. Comment ignorer, par exemple, le cas, évoqué lors de ces états généraux, de ces maires de petite commune qui n’osent pas faire voter l’indemnité à laquelle ils ont droit ou bien la situation de certains de nos collègues issus du secteur privé ou de professions libérales qui éprouvent des difficultés, lorsqu’ils ne sont pas réélus, à retrouver leur emploi ?

Toujours est-il que le président du Sénat a la volonté de faire converger des solutions, et j’espère bien que nous y parviendrons.

Mes chers collègues, le risque auquel nous confronte la présente proposition de loi est celui du syndrome des « lois Warsmann ». Lorsqu’on examine un texte qui porte sur une multitude de sujets, la tentation est grande pour tout un chacun d’en ajouter d’autres encore, au risque qu’on ne s’en sorte plus. C’est pourquoi nos collègues, à quelque groupe qu’ils appartiennent, ont été sages de ne pas multiplier les amendements comme ils auraient pu le faire.

Ensuite se pose une question centrale, celle de l’adaptabilité des normes à la taille des communes. De fait, on n’imagine pas que le code de la route s’applique différemment selon la taille des communes, selon qu’elles sont grandes, moyennes ou petites. C’est une évidence ! En matière de santé publique, de règles de sécurité, de règles de protection, on est en droit de demander que les normes s’appliquent sur tout le territoire de la République française dans le respect du principe d’égalité.

Nous ne nourrissons aucune hostilité de principe à une réflexion portant sur la proportionnalité des normes et leur adaptation à la taille des collectivités, objet de l’article 1er du texte initial, mais il nous paraît tout simplement très difficile d’envisager des règles, des normes et des lois à géométrie variable, et de surcroît je n’aime pas cette expression « la loi peut prévoir », parce qu’il va de soi que la loi peut prévoir… conformément à l’article 34 de la Constitution.

Pour autant, cela ne signifie pas qu’il ne faut pas procéder à des simplifications : la demande en la matière est forte, et tout ce qu’il sera possible de faire en ce sens sera bénéfique, même s’il faut avoir à l’esprit les limites de l’exercice qui tiennent au désir de protection, au désir de garanties, au désir de précaution, autant de désirs qui ne sont pas de simples vues de l’esprit.

Ce débat est essentiel, car il s’agit de défendre à la fois les libertés, l’esprit d’initiative et l’esprit d’entreprise – lesquels ne s’accommodent pas d’un nombre excessif de contraintes –, et, dans le même temps, ce qui fait l’essence de la politique et du travail législatif, à savoir la production de normes.

Nous sommes à la recherche de cet équilibre, cet équilibre entre le rôle de la puissance publique et la garantie des libertés et de la capacité d’initiative. Cette recherche est celle de l’esprit républicain qui nous anime toutes et tous et qui nous donne la joie d’être ici cet après-midi pour travailler sur cet important sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes appelés aujourd’hui à discuter de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales. Ce texte, déposé initialement au mois d’août 2011, faisait suite à votre mission, monsieur Doligé, au cours de laquelle vous aviez identifié pas moins de 268 mesures censées réduire les coûts et les contraintes pour les collectivités et accélérer les procédures administratives.

Votre rapport s’ajoutait à celui de votre collègue Claude Belot, qui avait évoqué, quelques mois auparavant, une maladie de la norme, et il fut suivi, en mars 2012, du rapport de M. Morel-A-L’Huissier, député de la Lozère, qui voulait, lui, simplifier les normes au service du développement des territoires ruraux. Ma collègue Anne-Marie Escoffier connaît désormais cet engagement par cœur…

Permettez-moi de réinscrire ces travaux dans leur contexte.

Dans son intervention devant le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la qualité de la loi, en juin 2010, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, indiquait que le code général des collectivités territoriales avait été modifié quarante fois en 2009, autant qu’en 2007 et en 2005. À cette date précise, c’était sans compter les modifications apportées par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle II », qui allaient être votées juste après son audition.

Tant de modifications législatives en moins de dix ans ont eu raison des meilleures volontés sur les territoires.

Pendant dix ans, les collectivités ont été vues comme une variable d’ajustement de la politique de la nation, tout juste consultées, considérées souvent comme dépensières et peu dignes de confiance, responsables, disait-on, de la situation de notre pays. On peut alors comprendre que des voix se soient élevées pour tenter de relayer l’exaspération des élus locaux, une exaspération juste, une lassitude légitime. Tous les rapports ont fait le même constat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tous ces griefs forment une réalité pour laquelle les états généraux de la démocratie territoriale, organisés par la Haute Assemblée, ont été la caisse de résonance : des élus lassés des normes illisibles et changeantes, complexes et même parfois absurdes, coûteuses et jamais négociées, d’autant plus démunis que les services de l’État reculent sur leurs territoires. Nous en sommes même arrivés à l’aube du point de rupture.

Plus rien ne passera désormais sans être examiné à la loupe par votre assemblée. C’est une bonne chose ! C’est une des raisons d’être du Sénat.

Le Gouvernement, qui a compris la situation, sera à vos côtés. Pour cela, il entend travailler sérieusement sur la question de la production normative, de son coût pour les collectivités et des moyens de limiter les effets pervers des normes existantes.

Cette réforme, nous la devons aux élus locaux, qui donnent chaque jour de leur temps et de leur volonté, souvent à titre bénévole ou en contrepartie d’une très faible indemnisation ; nous la devons aux Français ; nous vous la devons, vous qui portez la voix des élus et des citoyens de nos collectivités.

Revenons à votre proposition de loi, monsieur Doligé.

Passées au tamis de la commission des lois du Sénat et au terme d’un travail extrêmement consciencieux de Mme la rapporteur, les propositions qui figuraient dans le rapport ne sont plus très nombreuses, et ce pour plusieurs raisons.

Les premières sont de pure forme : toutes les simplifications normatives ne relèvent pas du pouvoir législatif. Certains chantiers pertinents devront en effet être menés par le Gouvernement et l’administration de l’État. Je m’y engage d’autant plus fermement que le Président de la République en a fait solennellement la demande lors des états généraux de la démocratie territoriale et que le Premier ministre, immédiatement après cette déclaration, nous a confirmé, à Anne-Marie Escoffier et moi-même, cette mission.

Des raisons politiques plus profondes expliquent également la modification de votre texte : la simplification des normes doit être conduite avec prudence, sans laisser place à la moindre suspicion de dérégulation. Ministre de la réforme de l’État, je tiens à dire ici le sens de la norme, sans doute un peu moins bien que M. le président de la commission des lois…

Héritage du droit civil romain, notre système juridique est fait de normes prescriptives, énoncées par des autorités légitimes, qui sont nombreuses sous la VRépublique et depuis la construction européenne : le législateur, les administrations centrales et locales, mais aussi l’Europe produisent de la norme. Je note d’ailleurs que la transposition d’une directive européenne en droit interne compte parfois jusqu’à quarante, cinquante, voire soixante articles, si ce n’est plus, là où un seul suffirait.

Les décisions de justice produisent elles aussi de la norme. À cet égard, Anne-Marie Escoffier a rappelé à juste titre la judiciarisation à laquelle sont confrontés nos élus locaux. Convenons-en ici, le juge lui-même dispose d’une capacité d’interprétation de la norme. Nous le savons tous, nous qui, amenés à écrire la loi en tant que législateur, avons un jour été conduits à expliciter nos intentions pour qu’elles soient bien comprises de ceux qui auraient un jour à interpréter la loi. Les normes sont le produit du système juridique propre à l’État de droit, et dans un État de droit, la norme est a priori légitime.

L’existence de nombreuses normes n’est pas non plus, en soi, la marque d’un dysfonctionnement du système. Faites l’exercice en ouvrant un code – le code de l’urbanisme, le code de la route, le tout récent code des transports – et posez-vous la question de l’origine de chacune des dispositions qui y figurent : organisation des services, exigence de sécurité, protection des personnes vulnérables. Toutes les normes ont eu pour origine la volonté de leur prescripteur de servir l’intérêt général. Dans ces conditions, rien n’est plus difficile que de revenir sur le passé, de réécrire ce qu’on a écrit sans craindre de défaire un arsenal juridique qui apportait, somme toute, quelques garanties.

Oui, souvent la norme protège, mais elle ne fait pas que protéger ! La normalisation a permis à des filières industrielles entières de faire des bonds de productivité ou d’innovation, en obligeant les acteurs à trouver de nouveaux processus de fabrication. La norme peut même se faire protectionniste. Nous pointons souvent du doigt l’utilisation qui en est faite outre-Atlantique, mais sommes-nous certains de ne pas avoir parfois la même intention ?

Anne-Marie Escoffier et moi-même avons eu l’honneur de parler aujourd’hui de ce sujet avec Alain Lambert ; je vous propose donc, au lieu de faire le procès de la norme, de réfléchir aux raisons pour lesquelles la machine s’est emballée,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. … et pourquoi certaines lois qui ont constitué de réels progrès humains, sociaux et environnementaux pèsent aujourd’hui si lourd dans le quotidien de nos collectivités. Voilà en quels termes je souhaite que soit posé le débat !

Pourquoi la loi de 2005 a-t-elle pris autant de retard dans son volet « accessibilité » ? Pourquoi n’a-t-elle pas permis le développement de nouvelles technologies, de nouveaux services ? Quelles lourdeurs, quelles rigidités ont conduit au constat d’échec que vient de faire la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois voilà quelques jours ?

Pourquoi, alors que les normes issues du Grenelle de l’environnement sont aujourd’hui montrées du doigt pour leur coût, nos collectivités, nos entreprises, les acteurs de notre territoire et l’État n’ont-ils pas réussi à s’adapter à ces nouvelles contraintes ? Que s’est-il passé entre le point de départ – une bonne volonté manifeste des uns et des autres – et le résultat, c’est-à-dire l’application de ces normes ? Trop de normes pointilleuses ? Sans doute. Peu de place laissée à la créativité ? Certainement. Est-ce un manque de confiance dans le sens de l’intérêt général et de la responsabilité des élus ? Peut-être.

Un changement de sens appelle un changement de méthode.

Ces cinq dernières années, le Parlement a examiné pas moins de quatre lois de simplification du droit portées par le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Souvenons-nous ensemble des lois Warsmann : la première a été déposée le 21 septembre 2007 ; la suivante a été déposée le 22 juillet 2008 et adoptée le 12 mai 2009. Elle contenait déjà 140 articles.

La troisième proposition a été adoptée le 14 avril 2011, au terme d’un débat de près de deux ans. La loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit contenait, en bout de course, 200 articles. Sur 41 décrets nécessaires à son application, 36 n’ont pas été publiés, ni rédigés d’ailleurs…

Le quatrième texte Warsmann de 2011 ne contient pas moins de 134 articles concernant dix-huit codes différents,…