M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis ce soir pour l’examen de la proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne.

La sécurité aérienne est un objectif fondamental, qui mobilise tous les acteurs du secteur aérien. Même si des progrès colossaux ont été accomplis, la sécurité ne doit jamais être considérée comme acquise dans les pays comme le nôtre ; les accidents les plus récents – le dernier a eu lieu en 2009 – nous le rappellent. La sécurité doit continuer à nous mobiliser.

Elle continue à me mobiliser, et c'est la raison pour laquelle j’ai souhaité que vous puissiez examiner cette proposition de loi. Les services de la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, travaillent au quotidien pour atteindre cet objectif de sécurité, en coopération étroite avec l’agence européenne de sécurité aérienne, l’AESA. Je veillerai à ce que les moyens consacrés à la surveillance de la sécurité soient préservés.

Beaucoup de chemin a déjà été parcouru. Le très bon bilan de la sécurité aérienne internationale en 2012 doit nous inciter à continuer dans cette voie. L’année dernière, en effet, on n’a déploré aucun accident mortel de transport public impliquant une compagnie française ou une compagnie étrangère sur le territoire français ; ce n’est pas nécessairement le cas dans d’autres zones géographiques. Par ailleurs, au niveau mondial, le ratio a été d’un accident d’avion pour 5,3 millions de vols, s'agissant des vols opérés par les 243 compagnies de l’association internationale du transport aérien, l’IATA, qui représentent 84 % du trafic mondial.

La France a toujours été totalement impliquée dans les efforts pour tendre vers une sécurité de plus en plus grande. Elle s’est efforcée d’entraîner dans son mouvement les instances nationales, européennes et internationales concernées. Des avancées significatives ont eu lieu ces dernières années, tout particulièrement au plan international. Des initiatives structurantes ont vu le jour, comme la création d’une liste des compagnies aériennes non communautaires dont les vols sont interdits ou restreints en Europe pour des raisons de sécurité, que les médias appellent communément la « liste noire ». Des audits sont conduits par l’organisation de l’aviation civile internationale, l’OACI, et la France milite pour la publicité de leurs résultats. La Commission européenne réalise, elle aussi, des missions d’évaluation d’États tiers et aide certains d’entre eux à améliorer leur capacité à respecter les normes de l’OACI. Ces résultats sont d’autant plus remarquables que l’action internationale est, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, complexe à mettre en place.

Cependant, si la conformité réglementaire reste indispensable, elle n’est plus suffisante pour atteindre un meilleur ratio qu’un accident grave pour 10 millions de vols. La France s’est donc engagée depuis 2006 dans une démarche fondée sur la gestion de la sécurité. Notre pays s’est ainsi doté d’un plan de sécurité de l’État dans le domaine aérien, processus qui permet d’optimiser les actions de l’État régalien en ciblant mieux ses actions sur les enjeux prioritaires de sécurité et en responsabilisant davantage les acteurs eux-mêmes. La France a aussi activement participé à la mise en place du plan de sécurité européen, qui matérialise l’engagement qu’ont pris les États de l’Union de mieux se coordonner pour permettre à l’Europe de disposer du système de transport aérien le plus sûr au monde.

Par ailleurs, la France avait, dès 2008, anticipé les règles européennes en imposant à ses opérateurs – exploitants d’aérodromes, compagnies aériennes, entreprises de maintenance, services de contrôle de la circulation aérienne et organismes de formation –, mais aussi à la DGAC, de se doter d’un mécanisme de gestion des risques, ce qui a contribué à une meilleure responsabilisation de l’ensemble des opérateurs. L’adoption d’un tel mécanisme enclenche en effet un cercle vertueux puisqu’elle permet de progresser dans la connaissance des risques puis de définir des priorités pour améliorer encore la sécurité.

Pour continuer à avancer vers plus de sécurité, le travail d’harmonisation aux niveaux international et surtout européen doit se poursuivre.

N’oublions pas que les grands progrès en matière de sécurité sont également dus aux travaux très méticuleux réalisés dans le cadre des enquêtes accidents et incidents ; je salue à cette occasion l’action du Bureau d’enquête et d’analyses, le BEA.

Cependant, qu’en est-il des compagnies étrangères dont les avions ne sont pas directement contrôlés par l’Union européenne ni par la France ? Les autorités françaises sont très attachées à ce que les ressortissants français puissent voyager avec un haut niveau de sécurité. C’est pourquoi, en complément de la surveillance exercée par les autres États souverains, la DGAC veille au respect des normes internationales de sécurité par les compagnies étrangères qui fréquentent les aéroports français. Je veux parler des contrôles Safety Assessment of Foreign Aircraf, SAFA, ces inspections techniques au sol inopinées que les services français réalisent sur des aéronefs étrangers. Les inspections SAFA, qui sont courtes, se concentrent prioritairement sur des points critiques en matière de sécurité des vols. Elles ont été définies pour permettre un diagnostic rapide de la qualité de l’exploitation de la compagnie inspectée, afin de pouvoir se retourner, le cas échéant, vers l’autorité de surveillance de la compagnie pour la rappeler à ses obligations. Les personnels de la DGAC habilités à réaliser ce type d’inspections sont les contrôleurs techniques d’exploitation, spécialement qualifiés pour détecter, lors d’une inspection de courte durée pendant une escale, des déficiences de sécurité affectant l’exploitation d’une compagnie ou la navigabilité d’un aéronef.

Ainsi, presque toutes les compagnies étrangères qui ont des programmes réguliers vers la France subissent un contrôle technique plusieurs fois par an. Parallèlement, un système de contrôle des droits de trafic et des plans de vol déposés permet un suivi efficace des compagnies qui ne viennent pas régulièrement en France. Enfin, ces inspections sont complétées par un suivi de la DGAC auprès des compagnies elles-mêmes et de l’autorité de surveillance de leur pays.

La France est l’un des leaders européens du programme SAFA : elle réalise près de 25 % de l’ensemble des contrôles SAFA effectués au niveau européen. En 2012, elle en a réalisé plus de 2 400, soit presque trois fois le quota d’inspections que demande l’AESA. Ces contrôles permettent de corriger et de prévenir les anomalies de sécurité, et d’exiger des compagnies étrangères qui souhaitent venir en France qu’elles se mettent à niveau sur les points pour lesquels elles présentent des faiblesses d’exploitation.

Ce processus SAFA contribue également à alimenter les travaux du comité européen qui se réunit deux fois par an pour faire évoluer la liste noire. Odile Saugues s’est intéressée à l’usage que l’on peut faire de cette liste noire. Elle est officiellement publiée sur les sites Internet de l’Union européenne et relayée par le site de la DGAC ; elle est donc accessible aux voyageurs. Cependant, les signataires de la proposition de loi dont Odile Saugues a pris l’initiative rappellent que les passagers peuvent être amenés à utiliser, pour les trajets dits « de bout de ligne », des compagnies qui figurent sur la liste noire. C’est une réalité que les voyageurs rencontrent parfois lors de correspondances internationales lointaines et, surtout, sur les vols intérieurs des pays figurant sur la liste européenne.

Il arrive très souvent que les passagers ne puissent pas éviter cette situation. En effet, si des solutions alternatives peuvent parfois être trouvées pour les vols internationaux, il en va différemment pour les vols intérieurs. Il est fréquent que la totalité des transporteurs d’un pays figurent sur la liste des transporteurs interdits, ce qui exclut toute alternative. Les autres moyens de transport, terrestres ou maritimes, présentent eux aussi souvent des problèmes, au mieux du fait de leur lenteur, au pis du fait de leur vétusté ou des risques liés à un environnement dans lequel la sécurité n’est pas assurée. Dans certains pays, ils sont même parfois tout simplement inexistants. Or nos citoyens sont amenés à utiliser les transports aériens dans ces pays pour de multiples raisons, notamment professionnelles ; je pense en particulier aux hommes d’affaires, aux travailleurs humanitaires et aux diplomates.

Veiller à la sécurité du transport aérien et interdire à des transporteurs potentiellement dangereux de desservir notre territoire ne peut conduire à restreindre la liberté de nos citoyens de voyager où ils le souhaitent. La liberté implique le sens des responsabilités. Il est essentiel que le passager dispose clairement des informations relatives à son voyage, en particulier à la sécurité de ce voyage, avant de prendre la décision de confirmer sa réservation ou d’y renoncer.

C’est précisément le but de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. En effet, celle-ci vient renforcer et compléter le dispositif juridique existant. Comme vous le savez, le cadre juridique en vigueur repose sur deux textes : le règlement européen n° 2111/2005 et le décret du 17 mars 2006. Ces textes ont instauré une obligation d’information sur le nom du transporteur effectif. Le défaut d’information sur ce nom est d’ores et déjà sanctionné d’une amende administrative.

Toutefois, ces dispositions ne suffisent pas, car le seul nom du transporteur n’informe pas le passager sur le fait que ce transporteur n’est pas autorisé à voler dans l’espace européen. La proposition de loi complète donc très utilement ce dispositif.

Elle impose, en France, à tous les vendeurs de billets, compagnies aériennes et agents de voyages, d’informer le passager de manière claire et non ambiguë que le transporteur figure sur la liste des transporteurs interdits d’exploitation dans l’Union européenne. De plus, le vendeur de billet doit inviter l’acheteur à rechercher une solution alternative. La sécurité des voyageurs doit primer sur les intérêts commerciaux.

Comme vous le savez, j’ai eu l’honneur de cosigner la proposition de loi qui est à l’origine du texte que vous examinez aujourd’hui. Ce fut pour moi une réelle satisfaction de voir cette proposition adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, et plusieurs membres de son gouvernement ont donc déjà validé ce texte lorsqu’ils étaient députés. Je suis particulièrement heureux que le Sénat l’examine ce soir. Je me félicite de la qualité des travaux conduits par votre rapporteur et de l’attention particulière que votre assemblée accorde à ces enjeux de sécurité. L’importance de ces enjeux doit nous inciter à conserver notre rôle de leader en matière de sécurité aérienne.

Je tiens à saluer solennellement la qualité de nos services, de nos équipes, de l’ensemble des techniciens, en somme, de toutes celles et tous ceux qui consacrent leur action à la sécurité des voyageurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés du plein soutien du Gouvernement sur cette proposition de loi. Elle répond à la nécessité d’apporter de la sérénité et de la sécurité aux déplacements aériens. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur de la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi que notre collègue députée Mme Odile Saugues a déposée en décembre 2009, à la suite de plusieurs catastrophes aériennes survenues en 2004 et en 2005.

Ces dernières avaient conduit à mettre en cause le choix des compagnies aériennes, dû en particulier à l’absence d’information des passagers sur le fait que ces compagnies étaient peu sûres. Odile Saugues, dont je tiens à saluer l’engagement constant pour la cause de la sécurité aérienne, avait donc souhaité, au travers de ce texte, inciter le législateur à s’emparer de nouveau de cette question.

Assez largement remaniée par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à sanctionner la commercialisation des titres de transport figurant sur la liste noire européenne a été adoptée en première lecture par les députés le 18 novembre 2010, à l’unanimité des groupes politiques de l’Assemblée nationale.

Cet esprit de consensus a également prévalu lors des débats devant la commission du développement durable du Sénat, ce dont je me félicite. Tous les amendements que j’ai proposés à cette occasion ont en effet été adoptés à l’unanimité des commissaires.

Je ne doute pas qu’une approche aussi consensuelle et constructive prévaudra également aujourd’hui. Améliorer la qualité de l’information fournie aux passagers concernant les vols qu’ils empruntent constitue en effet un sujet d’intérêt général qui ne peut que nous rassembler tous.

J’ajoute qu’il est bon de traiter ces sujets à froid, et pas seulement sous le coup de l’émotion, quand une catastrophe survient.

Pour comprendre les apports de cette proposition de loi, il faut commencer par rappeler brièvement le cadre législatif existant en matière de sécurité aérienne et d’information des passagers. Celui-ci est fixé par le règlement européen n° 2111/2005 du 14 décembre 2005 concernant l’établissement d’une liste communautaire des transporteurs aériens qui font l’objet d’une interdiction d’exploitation dans la Communauté – ainsi l’appelait-on à l’époque.

À l’origine de ce règlement, il y a un constat : les carences des organismes de contrôle de l’aviation civile, dans de nombreux pays, ne permettent pas d’assurer que les aéronefs et les compagnies aériennes qui y sont certifiés satisfont effectivement aux normes de sécurité édictées par l’OACI.

Cela tient à des raisons multiples et structurelles, comme la formation insuffisante des personnels de vol et des techniciens chargés de l’entretien des appareils, ou bien encore les problèmes de corruption endémique de certains pays qui font qu’on peut parfois obtenir une certification moyennant finances.

Après plusieurs accidents graves, l’Union européenne a donc décidé de se doter, en 2005, de règles destinées à protéger ses passagers contre les risques liés à ces défauts de sécurité. Le rapport d’information sur la sécurité aérienne, réalisé à l’époque par Mme Saugues et M. Gonnot, a joué un rôle dans l’adoption rapide de ces règles et je veux souligner, de nouveau, la qualité de leur travail et le cadre consensuel dans lequel celui-ci s’était déroulé.

M. le ministre délégué l’a rappelé, au cœur du dispositif européen se trouve la liste noire des compagnies aériennes interdites d’exploitation en Europe. Cette liste est établie par la Commission européenne et actualisée régulièrement. La dernière mise à jour, la vingtième, a été publiée le 4 décembre dernier. Elle inclut tous les transporteurs aériens de vingt pays, soit 287 compagnies au total, qui font l’objet d’une interdiction totale d’exploitation dans l’Union européenne.

Elle comprend aussi trois transporteurs isolés, ainsi que dix transporteurs aériens faisant l’objet non pas d’une interdiction totale, mais de restrictions d’exploitation.

Ces dispositions ont véritablement permis améliorer la confiance dans le niveau de sécurité des vols. Concrètement, aujourd’hui, l’inscription sur la liste noire a pour effet qu’un vol, régulier ou charter, au départ ou à l’arrivée de l’Union européenne, n’a plus guère de chance de se faire sur un appareil manifestement non conforme aux exigences minimales de sécurité. Le risque zéro n’existe pas et il peut toujours y avoir un appareil qui échappe aux contrôles, mais les mailles du filet se sont incontestablement resserrées depuis dix ans en Europe.

À cet égard, comme M. le ministre délégué vient de le faire à l’instant, je veux rendre hommage aux professionnels qui, en France, veillent avec beaucoup de rigueur et de constance au strict respect de ces règles.

Toutefois, des difficultés restent toujours possibles sur ce que l’on appelle les vols de « bout de ligne », c’est-à-dire ceux que les passagers empruntent lorsque, au départ ou à l’arrivée de certains pays tiers, hors de l’Union, ils doivent emprunter une correspondance locale pour commencer ou terminer leur trajet.

Dans ce cas, l’interdiction d’exploitation prononcée par la Commission européenne est sans effet puisqu’elle ne s’impose que sur le territoire européen. Par exemple, si la direction générale de l’aviation civile indonésienne autorise une compagnie sur le sol indonésien, l’Europe ne peut évidemment pas l’en empêcher, même si elle peut l’interdire sur son propre territoire.

C’est pourquoi, en complément de l’interdiction d’exploitation en Europe, le règlement du 14 décembre 2005 comporte aussi un ensemble de dispositions qui créent une obligation d’informer les voyageurs sur l’identité du transporteur aérien pour tout billet vendu en Europe.

Cette information doit être délivrée au passager au moment de la réservation du billet, quel que soit le moyen utilisé pour l’effectuer.

Si l’identité du transporteur n’est pas encore connue à ce moment-là, le vendeur veille à ce que le passager soit informé du nom des compagnies aériennes susceptibles d’assurer le vol concerné, c’est-à-dire qu’il lui communique une liste réduite de noms de compagnies parmi lesquelles, selon toute probabilité, le transporteur effectif sera finalement choisi, puis il l’informe de son identité précise dès que celle-ci est connue.

Enfin, si, en raison d’aléas divers, il apparaît que le vol aura lieu finalement sur une compagnie figurant sur la liste noire, ce qui peut effectivement se produire sur certaines correspondances de « bout de ligne », alors, le passager bénéficie du droit au remboursement ou au réacheminement prévu à l’article 8 du règlement européen.

J’apporte ici une précision : le règlement européen donne ce droit, mais ne prévoit pas explicitement que l’information donnée porte sur l’inscription de la compagnie sur la liste noire ; il prévoit seulement que le nom de la compagnie est donné, le passager pouvant alors le confronter à la liste noire. La proposition de loi que nous examinons intervient justement sur ce point afin de renforcer le système européen.

Avant de décrire précisément le dispositif de la proposition de loi, il est permis de s’interroger sur le choix stratégique fait par le législateur européen d’informer les passagers au travers d’une liste noire au lieu d’interdire purement et simplement la vente en Europe des billets émis par ce type de compagnie.

Ce choix tient au fait qu’une telle interdiction, si elle avait été décidée, serait en réalité impraticable. Dans certaines parties du monde, la seule offre de service de transport aérien disponible est en effet celle qui est proposée par des compagnies malheureusement inscrites sur la liste noire européenne. C’est le cas, par exemple, en Indonésie ou dans la République démocratique du Congo. Loin de moi l’idée de stigmatiser ces deux États, mais il s’agit de prendre des exemples significatifs de pays vastes et très peuplés.

Même quand il existe des modes de transport alternatifs, terrestres ou maritimes, ces derniers sont parfois aussi dangereux que les transports aériens locaux, sans compter qu’ils imposent des contraintes matérielles, en termes de temps de transport, qui n’en font pas une véritable solution de substitution aux avions.

Des ressortissants européens qui souhaitent ou doivent se déplacer dans ces zones, que ce soit pour des raisons touristiques ou professionnelles, n’ont donc d’autre choix que de prendre des avions interdits d’exploitation en Europe même.

En l’absence de solution réaliste de remplacement, une interdiction complète ne ferait qu’inciter les passagers à acheter leurs billets d’avion auprès de prestataires de voyages situés dans des pays tiers, ce qui est relativement simple, vous en conviendrez, à l’heure d’Internet. Le seul effet concret serait de rendre plus complexe l’organisation des voyages vers ces destinations et de déplacer la demande vers des prestataires de voyage étrangers. Au bout du compte, les risques objectivement pris par les passagers seraient les mêmes, mais surtout, ceux-ci auraient une information de moins bonne qualité que celle prévue par le droit européen.

Voilà pourquoi l’option de l’interdiction de commercialisation de ces vols en Europe a été rejetée.

Tel est, rappelé à grands traits, le cadre normatif actuel.

J’en viens maintenant à la proposition de loi : qu’apporte de plus, dans ce contexte contraint, la proposition de loi qui nous vient de l’Assemblée nationale ?

Il faut être conscient que, dans la mesure où le droit européen prime sur le droit national, les marges d’amélioration au niveau de la France sont relativement réduites. Cependant, le législateur national a tout de même la possibilité d’aller plus loin que les normes minimales fixées par l’Europe en matière d’information précontractuelle. C’est précisément ce que permet la présente proposition de loi.

Alors que le règlement européen se contente de l’obligation de donner l’identité du transporteur aérien effectif au passager, à charge pour ce dernier de vérifier par lui-même si le transporteur figure ou non sur la liste noire, cette proposition de loi impose, le cas échéant, une information écrite et explicite sur le fait que le transporteur figure sur la liste noire des compagnies aériennes. Il n’y a donc plus aucune ambiguïté possible. Tel est l’apport principal du texte.

C’est un progrès réel même si, je tiens à le souligner, les professionnels du transport aérien que j’ai auditionnés mettent d’ores et déjà en œuvre, dans leur très large majorité, l’obligation d’information prévue par le règlement européen avec beaucoup de diligence et de sens des responsabilités.

De façon générale, il faut le rappeler, les agences de voyage et les compagnies aériennes, dans notre pays, sont conscientes des enjeux de la sécurité des transports et soucieuses d’offrir à leurs clients des prestations sécurisées, ainsi qu’une information claire. Autrement dit, il ne s’agit pas, au travers de ce texte, de montrer du doigt les professionnels du secteur, mais simplement d’aller vers encore plus de transparence, ce que ces mêmes professionnels sont, je le crois, disposés à faire.

J’en viens à présent aux travaux de la commission du développement durable du Sénat.

Comme je l’ai indiqué précédemment, la commission a apporté à la rédaction de cette proposition de loi quelques modifications techniques et rédactionnelles destinées à corriger des imprécisions qui auraient pu faire obstacle à sa mise en œuvre effective.

En premier lieu, elle a défini de façon plus claire les contours de l’obligation d’information imposée aux vendeurs sur les solutions susceptibles de remplacer l’avion. L’obligation d’information sur le produit ou le service vendu est l’un des fondements du droit des consommateurs, et il faut être très strict à cet égard, mais cette proposition de loi imposait aussi au vendeur une obligation d’information très large portant sur les produits de remplacement, ce qui est très différent.

Pris à la lettre, ce texte tel qu’il nous était transmis pouvait ainsi imposer au vendeur de présenter à ses clients l’offre de ses concurrents ou bien l’obliger à les informer sur l’existence de moyens de transport, compagnies de bus ou de ferries par exemple, qui ne sont connus et commercialisés que localement.

Au surplus, informer sur les modes de transport alternatifs l’aurait obligé aussi à signaler leur niveau de dangerosité, ce qui n’est pas possible en pratique. La proposition de loi comportait ainsi le risque paradoxal d’orienter les consommateurs vers des moyens de transport encore plus dangereux que les avions inscrits sur la liste noire.

Le travail en commission a également permis de corriger une maladresse de rédaction, qui conduisait à délivrer l’information écrite précontractuelle seulement après la conclusion de la vente du billet d’avion. Il y avait en tout cas un fort doute sur ce point.

La commission a par ailleurs modifié le régime des sanctions applicables en cas de défaut d’information en instaurant une amende administrative en lieu et place d’une sanction pénale. Il est en effet à la fois plus rapide, plus efficace et plus dissuasif de procéder par la voie d’une amende administrative. Je précise cependant que cela n’empêche pas, le cas échéant, d’engager la responsabilité pénale du vendeur sur le fondement de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui ou, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi. Je fais référence ici à l’article 121-3 du code pénal.

Par ailleurs, j’ai proposé à la commission du développement durable d’introduire un délai d’entrée en vigueur pour ce texte. Il s’agit bien sûr d’aller vite, mais il faut qu’il soit effectif. Les professionnels du secteur vont en effet devoir modifier leurs systèmes informatiques de réservation à la suite de son adoption. L’amendement que j’ai proposé offre le temps nécessaire pour cela. Je souligne tout de même qu’il autorise une certaine souplesse : les professionnels du secteur pourront avoir jusqu’à un an pour s’adapter. Toutefois, le Gouvernement pourra devancer par décret la date d’entrée en vigueur s’il constate que les travaux de mise à jour avancent plus vite.

En tout état de cause, je précise que cette disposition est compatible avec une entrée en vigueur rapide de la loi ; nous souhaitons que ce soit avant l’été.

Enfin, pour aller encore plus loin dans la définition d’un dispositif précis et pleinement effectif, je vous présenterai tout à l’heure un amendement destiné à lever une ambiguïté qui pouvait subsister concernant l’identification des personnes auxquelles les agences de voyage et les compagnies aériennes sont tenues de délivrer l’information relative au transporteur aérien effectif.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telle est la position de la commission du développement durable du Sénat sur ce texte. Vous l’aurez compris, elle vous en recommande vivement l’adoption.

Pour conclure, je voudrais simplement insister sur deux préoccupations.

La première, que vous avez largement abordée tout à l’heure et sur laquelle je vous rejoins pleinement, est que la France doit continuer à développer une action volontariste pour favoriser l’amélioration de la sécurité effective des compagnies étrangères, ce qui passe bien sûr par l’OACI. La seconde préoccupation, plus immédiate, est que ce texte soit inscrit prochainement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale afin que son adoption définitive intervienne très bientôt. Mais je sais, car vous l’avez indiqué, que vous partagez ces deux objectifs. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale visant à sanctionner la commercialisation de titres de transport sur les compagnies aériennes figurant sur la liste noire de l’Union européenne.

Je tiens à saluer la qualité du rapport et des propositions de notre collègue Vincent Capo-Canellas, qui rendent plus effectives les dispositions de ce texte.

Le renforcement de la sécurité aérienne constitue un enjeu majeur et a déjà fait l’objet de plusieurs mesures concrètes, et je souhaite tout d’abord rappeler brièvement les principales avancées en matière de sécurité des transports aériens aux niveaux national et européen.

Après plusieurs accidents aériens survenus en 2004 et 2005, la direction générale de l’aviation civile a publié, en août 2005, une liste noire des compagnies aériennes.

Par ailleurs, le règlement européen du 14 décembre 2005 a prévu « l’établissement d’une liste communautaire des transporteurs aériens qui font l’objet d’une interdiction d’exploitation dans la Communauté et l’information des passagers du transport aérien sur l’identité du transporteur aérien effectif ».

Cette liste établie par la Commission européenne et rendue publique pour la première fois en mars 2006 est actualisée, en moyenne, tous les quatre mois. Il revient en effet à la Commission européenne, en lien avec les autorités des États membres chargées de l’aviation civile et avec l’Agence européenne pour la sécurité aérienne, d’examiner le niveau de sécurité offert par les compagnies aériennes lors de comités de la sécurité aérienne. Au terme de cet examen, la Commission prononce éventuellement l’inscription des compagnies sur la liste noire ou leur retrait partiel ou total de cette liste.

Ainsi, de nombreuses inspections inopinées, environ 11 000 par an, sont effectuées sur les aéroports européens, ce qui favorise un niveau de sécurité aérienne élevé. Il faut donc saluer l’établissement de cette liste noire et les contrôles qui sont menés.

Demeure néanmoins la question des vols qualifiés de « vols de bout de ligne » : il arrive que, après un vol assuré depuis un pays de l’Union européenne par une compagnie autorisée, un voyageur soit amené à effectuer une autre partie de son trajet avec un appareil d’une compagnie figurant sur la liste noire. La proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à notre examen vise à répondre à ces pratiques qui mettent en cause la sécurité des passagers.

Ce texte a en effet pour objectif d’améliorer la transparence dans la vente des titres de transport aérien et à sanctionner les pratiques contraires à ce principe. Il faut en effet rappeler que le nombre croissant de billets électroniques vendus rend plus difficile encore l’accès à l’information sur les transporteurs aériens.

Ainsi, toute personne physique ou morale commercialisant un titre de transport correspondant aux vols d’un transporteur aérien effectif et figurant sur la liste noire de l’Union européenne doit informer explicitement l’acquéreur et le passager de cette situation et doit trouver des solutions de transport de remplacement.

De plus, si le passager confirme l’achat d’un tel billet, il lui est indiqué par écrit, de manière claire et non ambiguë, qu’il voyagera sur une compagnie figurant sur la liste noire de l’Union européenne.

Comme je l’ai dit lors de la réunion de la commission, nous devrons certainement aller encore plus loin dans les règles d’information en instaurant une notation des avions et des compagnies pour mieux distinguer leur niveau de sécurité, comme cela se fait déjà aux États-Unis.

Enfin, le fait de commercialiser ou d’aider à la commercialisation d’un titre de transport sans respecter les mesures ordonnées en application des dispositions précitées est puni d’une amende administrative de 7 500 euros d’amende par titre de transport. Cette amende est doublée en cas de récidive, sans préjudice des poursuites pénales pouvant être engagées.

Par ailleurs, monsieur le ministre, je tiens à appeler votre attention sur le fait que la loi ne s’applique que sur le territoire français, alors qu’elle découle d’un règlement communautaire. Nous souhaitons vivement que la Commission européenne puisse étendre ces mesures aux autres États membres, afin de ne pas pénaliser nos compagnies nationales. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour faire avancer ce projet de règlement.

La rédaction équilibrée de ce texte va contribuer à renforcer l’information et la sécurité des passagers des transports aériens. Le groupe UMP votera donc cette proposition de loi, qui doit faire consensus puisqu’il s’agit de la sécurité de nos concitoyens. Si la sécurité a un coût et obéit à de règles, la vie, elle, n’a pas de prix ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Esnol.