PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laurent-Perrigot.

Mme Françoise Laurent-Perrigot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, que d’espoirs aujourd’hui et quel plaisir d’être si près du vote d’une loi qui va donner à l’école un nouveau souffle, en lui permettant de remplir ses missions essentielles de réussite et d’égalité des chances pour tous !

Il était grand temps d’agir en faveur de l’école, pilier de la République, pour la rendre plus juste et plus exigeante, dans l’intérêt de chacun.

Cette loi sur la refondation nous le prouve, en lançant pour les années à venir un vaste et beau chantier en faveur de l’école et de la jeunesse et en considérant les enfants à partir de la maternelle, sans oublier aucun territoire, des zones rurales et des petits villages jusqu’aux zones urbaines et aux quartiers difficiles.

Miser sur la jeunesse, c’est miser sur l’avenir de la France. Ce nouvel élan rendra aux enseignants l’envie d’enseigner, aux élèves le plaisir d’apprendre dès la maternelle et aux parents la possibilité de s’investir dans l’école de leurs enfants.

La mobilisation et l’implication de l’ensemble des partenaires sont une force au service de l’enfant, étant entendu que le fait de replacer l’école au cœur de notre République est un objectif essentiel.

La scolarisation des enfants âgés de moins de trois ans est une chance pour le jeune et sa famille. C’est la toute première étape du parcours scolaire, le moment où l’enfant se construit, où il s’approprie le langage et découvre la vie en collectivité. Cette formation, désormais dispensée dans les écoles maternelles, va faciliter le passage à l’école élémentaire, a fortiori avec la création d’un cycle unique.

Ce vrai projet éducatif et pédagogique, adapté à l’âge de l’élève, assuré par des maîtres qualifiés et formés, fera partie intégrante de cet enseignement qui permettra à l’enfant d’être accueilli dans de bonnes conditions.

Dans le cadre de cette refondation, les moyens sont prévus – rappelons le recrutement de 60 000 personnes sur cinq ans – pour améliorer significativement les conditions d’encadrement des élèves, lesquelles se sont considérablement dégradées au cours de ces dernières années.

Ces points forts, associés au principe « plus de maîtres que de classes », seront le point de départ de la réussite pour tous.

La priorité donnée au primaire est une évidence. N’attendons plus de constater l’échec scolaire ! Agissons dès le départ, avant que le mal ne s’installe et que les inégalités ne se creusent, en appliquant le principe de prévention.

L’école maternelle va jouer pleinement son rôle. Ce qui était demandé depuis fort longtemps est pris en considération : les enfants âgés de moins de trois ans seront désormais comptabilisés lorsque seront établies les prévisions des effectifs des écoles concernées.

Monsieur le ministre, le présent projet de loi montre votre volonté d’ouvrir à chacun tout le champ des possibles. Il donne à l’école les moyens et les ressources nécessaires pour que chacun ait la même possibilité d’accéder à une vie meilleure.

Les dispositifs proposés vont permettre d’aider et de mieux accompagner les élèves, de mieux répondre à leurs besoins.

Mais vous voulez plus qu’une réussite éducative traditionnelle, car vous intégrez dans votre réforme des cours d’enseignement moral et civique, afin que les enfants soient sensibilisés dès le plus jeune âge par leurs enseignants aux valeurs de liberté, de solidarité, de laïcité, et d’esprit de justice.

Au fur et à mesure des discussions parlementaires, le présent texte s’est enrichi. Des avancées importantes ont été apportées par le Sénat. Au final, une convergence a été trouvée entre les deux assemblées, qui se sont mobilisées autour de l’école pour redresser notre système éducatif.

Ces avancées ont permis, entre autres, d’intégrer la reconnaissance des langues régionales, qui auront désormais toute leur place dans la refondation de l’école ; dorénavant, un enseignement bilingue sera assuré en français et en langue régionale. De surcroît, un élève pourra s’inscrire en dehors de sa commune de résidence dans une école dispensant cet enseignement.

Ce texte, qui ne néglige aucun domaine, a toute sa place parmi les priorités du Gouvernement. Il va donner aux générations futures, quel que soit leur milieu social, les mêmes chances d’accéder aux connaissances.

Monsieur le ministre, cette loi de refondation de l’école de la République sera demain la « loi Peillon ». Cette dénomination sera légitime, car vous avez défendu avec ardeur et conviction cette réforme particulièrement ambitieuse.

Lorsque nous admirerons, demain, le drapeau tricolore et le drapeau européen flottant sur les façades des établissements scolaires,…

M. Jean-Claude Lenoir. Le drapeau français y flotte déjà !

Mme Françoise Laurent-Perrigot. … lorsque nous lirons la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui sera désormais affichée dans les écoles et lorsque nous retrouverons sur les frontons de tous les bâtiments scolaires les mots symboliques « Liberté, Égalité, Fraternité », c’est avec bonheur, émotion et fierté que nous nous souviendrons d’avoir soutenu et voté une telle loi, qui va redonner espoir à tous les jeunes et permettre la reconstruction de l’école de la République…

M. Jean-Claude Lenoir. Vous croyez au Père Noël !

Mme Françoise Laurent-Perrigot. … dans la fidélité à ses valeurs, cette école si chère à nos cœurs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean-Claude Lenoir mime le geste du violoniste.)

M. René-Paul Savary. Un joli morceau de violon, en effet !

M. Alain Dufaut. C’était même tout un orchestre ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Vincent Peillon, ministre. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, de la diversité et de la richesse de vos interventions.

Ce qu’a dit Mme Gonthier-Maurin concerne en fait chacun d’entre nous. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’une loi permettra de résoudre tous les problèmes. Je suis bien conscient que nous devons être, collectivement, à la fois exigeants et vigilants – vous, particulièrement, puisque vous devez contrôler le travail de l’exécutif – quant à la réalisation des objectifs que nous nous sommes fixés et à la réussite des réformes que nous avons pu entreprendre.

J’imagine que certains d’entre vous ont dû se trouver dans une curieuse position lorsqu’ils ont eu à justifier leur opposition aux mesures proposées, alors que nous répondons aux attentes qui étaient déjà celles d’un certain nombre de mes prédécesseurs, aujourd'hui dans l’opposition : la priorité donnée à l’enseignement primaire, la formation des enseignants, notamment.

Il y a les faux débats et il y a les vrais débats, ainsi que cela est encore une fois apparu cet après-midi.

Les faux débats sont posés par ceux qui sont prêts à voir les choses continuer d’aller comme elles vont.

Qu’on appartienne à l’opposition ou à la majorité – je me suis moi-même trouvé dans les deux situations –, on peut bien sûr considérer que c’est l’ampleur des moyens qui est primordiale ou, au contraire, que c’est leur qualité. Pour ma part, je ne pense pas que le problème se pose en ces termes. En fait, la refondation de l’école de la République se veut d’abord axée sur la pédagogie, et cela a d’ailleurs été affirmé très tôt.

Je dis depuis de très nombreuses années que, s’il suffisait d’augmenter les moyens, cela se saurait ! Du reste, cela a été fait à certaines périodes, mais sans produire les résultats escomptés.

M. Jean-Claude Lenoir. La Cour des comptes a répondu !

M. Vincent Peillon, ministre. Je crois qu’il faut être un peu plus nuancé à l’égard des conclusions des différentes études qui sont menées, monsieur le sénateur.

La Cour des comptes a demandé un certain nombre de réformes de structures, dont la remise en place d’une formation des enseignants, qui ne constituait pas une priorité au cours des dernières années. C’en est désormais une.

Fait nouveau, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous appelez à une rupture. Eh bien, la réforme introduira une rupture en termes de pédagogie, grâce à l’enseignement dispensé aux plus jeunes, au principe « plus de maîtres que de classes », au service public du numérique éducatif, aux écoles supérieures du professorat et de l’éducation.

La réforme des concours a déjà eu lieu cette année. Je suis étonné que vous n’en soyez pas informés, car elle est publique. Les cadres communs et les exigences que nous avons fixés aux ESPE sont publics. Les réponses des ESPE, qui s’insèrent dans le cadre de l’autonomie des universités – et je sais combien celle-ci vous est chère –, sont publiques. Mes demandes relatives au nombre d’heures d’enseignement en licence, en master 1 et 2, ainsi qu’au contenu des apprentissages, sont publiques.

Donc, il y a les faux débats, qui sont éternels. Dans le fond, pour certains, il ne s’agit pas d’améliorer le niveau des élèves ou de permettre enfin la réussite d’une réforme de l’éducation dans notre pays. Au reste, chez nous, cela fait longtemps qu’une telle réforme n’a pas été à l’ordre du jour, mais je vous fais observer que certains de nos voisins ont d’ores et déjà réussi la leur.

À côté, il y a les vrais débats : ceux qui partent de l’idée selon laquelle il nous faut à la fois changer qualitativement notre enseignement et nous donner les moyens d’y parvenir.

Un certain nombre d’organismes, dont l’OCDE, ont été évoqués à plusieurs reprises, et à juste titre. Aujourd’hui même, monsieur Legendre, cette organisation indiquait que l’opposition entre qualité et quantité n’était pas pertinente. Les chiffres qu’elle a publiés à onze heures ce matin montrent que, à l’inverse de toutes vos allégations, entre 2000 et 2012, le niveau de rémunération des enseignants a baissé dans notre pays.

J’irai même plus loin : l’investissement dans l’éducation, c’est-à-dire la contribution de la richesse nationale au système d’éducation, a diminué. Seuls deux des pays avancés de l’OCDE ont abaissé leurs dépenses consacrées à l’enseignement global au cours des quinze dernières années. J’ajoute que les enseignants du primaire français travaillent beaucoup plus que ceux d’autres pays. Peut-être devriez-vous donc vous poser quelques questions…

Cependant, chacun en convient, s’il faut des moyens pour assurer les remplacements, pour permettre une entrée professionnalisante dans le métier d’enseignant, cela ne suffit pas. Il faut aussi faire des réformes de structures. C’est la synthèse de ces deux exigences que nous essayons de faire. Est-ce que ce sera facile ? Certainement pas !

Sur la réforme des rythmes scolaires, j’ai entendu des remarques étonnantes. Pour ma part, je n’invoque pas les rapports uniquement lorsqu’ils me sont utiles, mais je me dois d’indiquer que, toujours selon le même rapport de l’OCDE, le seul pays au monde pratiquant la semaine de quatre jours, c’est le nôtre ! Revenir à un enseignement sur quatre jours et demi : c’est bien ; mais il faudra aller plus loin, car la moyenne européenne est de cinq jours. Diminuer la durée des cours dispensés sur la journée, actuellement de six heures : c’est bien ; or c’est ce qu’il est le plus difficile de réaliser dans cette réforme.

Voilà ce que je retiens notamment dans le rapport de l’OCDE rendu public ce matin.

Vous dites : c’est difficile. Bien sûr ! Vouloir faire de la jeunesse une priorité, vouloir être exigeants et vigilants, c’est difficile ! Surtout dans un pays où, par le passé, avec la suppression de la formation des enseignants, avec la mise en cause des moyens accordés à l’éducation, avec la gestion du temps scolaire, on a organisé l’abandon du système éducatif.

Nous sommes donc dans une période de redressement, ce qui nécessite évidemment un effort, et un effort sur le long terme.

Madame Férat, oui, je prends l’engagement que tout jeune qui aura quinze ans avant la fin de l’année civile pourra accéder à l’apprentissage après avoir acquis le socle commun. Des instructions en ce sens ont déjà été données. Il n’y a là aucun choix idéologique ! Simplement, tous les systèmes éducatifs qui réussissent sont ceux qui sont capables d’accompagner les élèves le plus loin possible dans l’acquisition de connaissances communes.

Si l’on veut développer l’apprentissage en France, il faut lui donner une nature d’excellence. C’est bien pourquoi Xavier Bertrand et Nicolas Sarkozy ne sont pas parvenus à atteindre l’objectif des 800 000 apprentis. Je vous l’ai indiqué : en cinq ans, il n’y a pas eu un apprenti de plus ! Pour ce qui me concerne, j’ai d’ores et déjà fixé un objectif de 20 000 apprentis supplémentaires sous statut scolaire, et nous avançons.

Ne soyons pas toujours dans cette opposition entre statut scolaire et apprentissage, socle commun et orientation, pour ceux qui ne pourraient pas faire autrement.

Lorsque les dispositifs existants étaient bons, je les ai conservés et même salués. Je citerai les plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs, la lutte contre le harcèlement.

Je le répète, la question n’est pas d’ordre idéologique : il faut être efficace pour notre jeunesse.

Je rends hommage à ceux qui ont souligné que la pédagogie était un enjeu majeur. Nous savons bien que la question ne porte pas uniquement sur les moyens. Les cycles, les programmes, les évaluations, le parcours d’éducation artistique et culturelle, le parcours d’orientation, que nous allons instituer et qui constitue l’un des éléments les plus importants – Jean-Michel Baylet a d’ailleurs salué le lien entre la laïcité, et par conséquent l’émancipation, et la possibilité de se construire une orientation choisie – sont des sujets fondamentaux.

Les rapports entre les entreprises et la formation, l’orientation subie des décrocheurs – l’une des graves faiblesses du système français – sont aussi des questions déterminantes.

Je veux remercier Corinne Bouchoux et les membres du groupe écologiste de leur contribution et notamment de l’accent qu’ils ont mis sur la place centrale de la pédagogie.

J’ai d’ailleurs été frappé, monsieur Carle, des convergences qui peuvent se dégager lorsque, au-delà des postures, nous évoquons les contenus. Vous avez raison : il faut que, dans les ESPE, l’« effet maître » fasse d’emblée l’objet d’un enseignement. Nous le savons depuis des années, c’est bien la formation des enseignants qui permet, à terme, la réussite des élèves. Or, très souvent, dans notre pays, nous n’en avons pas été assez convaincus.

Dans cette formation, nous devons donc introduire aussi ces modules qui permettront aux futurs enseignants d’apprendre à leurs élèves la lecture, de les observer et de pratiquer cette pédagogie différenciée que vous appelez de vos vœux et qui, fort heureusement, est déjà adoptée par un certain nombre d’enseignants. C’est ce que nous faisons et que nous dénommons « professionnalisation du métier d’enseignant ».

Je voudrais répondre précisément aux questions de Jean-Michel Baylet sur le fonds destiné à aider les communes qui mettent en œuvre la réforme des rythmes scolaires.

Les recteurs et les directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les DASEN, sont en train d’interroger l’ensemble des maires afin de connaître la situation de leurs écoles. Ce dialogue s’achèvera début juillet et des instructions seront données pour que la première partie des sommes soit versée en octobre, la deuxième partie devant l’être au premier trimestre de l’année 2014. Il n’y aura donc pas d’attente.

Comme vous l’avez sans doute noté, la Caisse nationale des allocations familiales a indiqué qu’elle donnerait 53 euros par enfant aux communes éligibles à la dotation de solidarité urbaine-cible ou à la dotation de solidarité rurale-cible. Cela signifie que ces communes recevront en tout 143 euros par élève – la dotation forfaitaire de 50 euros, plus les 40 euros supplémentaires, plus ces 53 euros –, qui seront disponibles dès la rentrée.

Nous avons adopté une conception large de l’éligibilité : nous prendrons en compte l’éligibilité de l’année 2012, afin d’avoir la plus grande amplitude en cas de modifications. L’application du dispositif se poursuivra l’année prochaine.

Certains élus ont signalé des difficultés concernant les paiements aux établissements privés ; selon l’expression que nous avons employée tout à l'heure, ces difficultés relèvent de leur liberté de conscience. Sur ce sujet comme sur les autres, j’ai souhaité que l’équité s’applique à tous les enfants. Par conséquent, les maires auront à définir les modalités d’attribution directe ou indirecte aux établissements concernés.

Tout cela sera mis en œuvre de telle sorte que les communes qui s’engagent dès à présent dans la semaine de quatre jours et demi ne soient pas obligées d’attendre.

Dans les départements et territoires d’outre-mer, nous avons six mois pour réaliser les adaptations nécessaires. M. Laufoaulu a décrit les nombreuses spécificités de son territoire, en matière de primaire, de formation des maîtres, etc. Nous procéderons aux adaptations en liaison avec l’ensemble des élus locaux, en tenant compte des situations particulières.

J’en viens aux demandes du président Carle. L’école maternelle est l’un de nos principaux sujets de préoccupation. Vous connaissez l’histoire exemplaire de notre école maternelle. Vous savez à quel point on nous l’envie. Vous savez également qu’elle explique certaines particularités de nos dépenses éducatives et de l’organisation de notre système éducatif. Depuis l’origine, avec les premières salles d’asile, il y a toujours eu – de très beaux travaux l’ont montré – des alternances entre une vision de l’école maternelle repliée sur elle-même et une vision de l’école maternelle apprenant et préparant aux apprentissages ultérieurs.

Une analyse a été effectuée par l’inspection générale et un certain nombre de praticiens. La conclusion est que, en grande section, nous avons trop développé les apprentissages cognitifs, au détriment des activités préparatoires aux apprentissages cognitifs, et qu’il serait utile de revenir là-dessus. Nous sommes là au cœur de ce qu’est la pédagogie. Nous allons demander des évaluations extrêmement précises pour nous permettre d’estimer la situation de ces apprentissages dans les premiers cycles de l’enseignement.

Comme je l’ai déjà souligné, sur ces sujets, il ne faut modifier ce qui existe que d’une main tremblante. Nous ne le ferons que si nous avons la certitude que nous sommes capables de progresser à partir des évaluations dont nous disposons. Il n’y a, de ma part, sur ce point, aucune ambivalence ni aucune position a priori.

Avec le directeur général de l’enseignement scolaire, ici présent, les inspections générales, que j’ai réunies, la direction de l’enseignement primaire, qui est très concernée, et notre conseil de l’évaluation, nous sommes déjà au travail.

Ce sujet sera au cœur de ma prochaine saisine du Conseil supérieur des programmes. Il s'agit d’articuler les cycles, les programmes – dont il faudra d'ailleurs changer la conception – et l’évaluation. C’est du reste ce qui justifie mon refus d’intégrer la question du socle commun – qui n’est pas supprimé, contrairement à ce que j’ai entendu : je souhaite le renforcer et le rendre efficace – aux discussions parlementaires, car celles-ci n’ont pas toujours permis de consolider les choses et de mener toutes ces réflexions en même temps. Or, si l’on ne procède pas ainsi, le socle doit être redéfini au bout d’un an parce qu’il n’a rien à voir avec les programmes et que ceux-ci n’ont rien à voir avec les évaluations. Cela finit par poser quelques problèmes au regard du livret personnel de compétences et du diplôme national du brevet.

Il s'agit donc de garantir la cohérence de l’ensemble, et cette méthode n’a rien à voir avec un refus d’associer les parlementaires : la preuve en est que, pour la première fois, ceux-ci seront représentés au Conseil supérieur des programmes et au Conseil national d’évaluation du système scolaire. Il me semble utile que des parlementaires travaillent avec les meilleurs spécialistes, qui auront leurs propres préoccupations, et les praticiens.

Je souhaite également aborder la question essentielle des redoublements. Je crois que, sur ce point, nous avons la même philosophie, monsieur Carle. En revanche, tous les membres de votre famille politique ne partagent pas vos positions : beaucoup considèrent que le redoublement doit être maintenu. Si j’avais décidé d’interdire le redoublement, vous savez très bien quelles auraient été les conséquences. Cela aurait aussi concerné le secondaire, dont la situation est plus complexe. Nous préciserons dans une circulaire comment il faut interpréter le terme « exceptionnel » s’agissant du redoublement, de façon qu’il n’y ait pas cette double peine que vous voulez à juste titre éviter.

Je m’inscris dans la continuité de la politique des cycles voulue par Lionel Jospin ; vous connaissez d'ailleurs mon amitié pour sa personne et ma fidélité à ses orientations. Je regrette que cette politique ait été insuffisamment mise en œuvre depuis 1989, comme je regrette que le socle ait été insuffisamment mis en œuvre depuis la loi Fillon. Nous nous assurerons que les rédactions précisent les choses pour les uns et les autres.

La question des rapports entre l’école et l’entreprise a également été soulevée. Je vous demande de ne pas rester bloqués sur des postures. Je ne fais grief à personne d’avoir davantage énoncé des objectifs que réalisé les réformes qui auraient permis des les atteindre. Pour favoriser la réussite éducative – je salue Mme la ministre déléguée à la réussite éducative, qui nous a rejoints –, nous avons le souci d’ajuster au mieux les formations, les diplômes et les métiers. C'est la raison pour laquelle, à la rentrée, nous installerons, sous la responsabilité du Premier ministre, un conseil éducation-économie, qui permettra un travail plus étroit – au demeurant, nous l’avons déjà engagé – pour adapter nos formations aux demandes de l’économie de demain.

Ce n’est pas de l’« adéquationnisme » : c’est la volonté d’assurer les trois fonctions de l’éducation nationale.

La première est de permettre l’émancipation et l’épanouissement des individus. C’est essentiel ; c’est même un des axes de la refondation : il faut que nos élèves aient plus de plaisir à apprendre et à aller à l’école. C’est une condition du succès de tous.

Pour ce qui est la deuxième mission de l’école, qui est de faire accéder les enfants à la citoyenneté, je ne vois pas pourquoi elle susciterait une opposition entre nous puisque nous nous sommes souvent accordés sur les articles qui y avaient trait, qu’il s’agisse de l’enseignement moral et civique ou de la place donnée à la devise républicaine. Tout cela a vocation à être abordé au sein de l’école parce que la République doit défendre et enseigner ses valeurs. Notre République est une république enseignante, qui croit aux vertus de l’enseignement.

Je précise toutefois, puisque des inquiétudes se sont exprimées, qu’il ne s’agira pas d’enseigner une morale d’État. Conformément au principe de laïcité, nous enseignerons le contraire d’une morale d’État : nous apprendrons aux citoyens à être des contre-pouvoirs, en offrant à chacun d’entre eux la possibilité de former et d’étayer son propre jugement.

Quant à la troisième mission de l’école, elle est d’assurer l’insertion professionnelle des jeunes. Qu’il s’agisse de l’apprentissage, du rapport au monde économique ou du parcours d’orientation, nous irons – et nous allons déjà – très au-delà de ce qui a été fait jusqu’à présent.

Monsieur Legendre, il n’y a aucun problème au sujet des internats d’excellence. Je suis en train de travailler sur la question des internats, car je crois beaucoup à la valeur de l’internat, y compris pour les familles qui ont des problèmes de mobilité. Mais combien d’études convergentes sur les internats d’excellence ! La Cour des comptes, que vous avez citée, va bientôt en publier une à son tour. Toutes les études – de celle de l’École d’économie de Paris à celle de l’inspection générale en passant par celle de la Cour des comptes – sont unanimes : les internats d’excellence coûtent trop cher au regard de leurs résultats. Cela aurait certes pu valoir le coup de montrer que l’on peut arriver à disjoindre l’origine sociale et la réussite scolaire, mais, à part en mathématiques, les internats d’excellence n’ont pas apporté de plus-value, on n’a pas constaté de progrès significatifs des élèves.

En revanche, je suis entièrement favorable à la mise en place d’une politique visant à améliorer l’offre d’internats dans tout le pays, en lien avec les régions, pour les lycées, et avec les départements, pour les collèges. Là encore, nous nous livrons à des polémiques qui ne sont pas des polémiques de spécialistes. Mon prédécesseur avait déjà amorcé ce changement de politique, car il avait pris en compte les évaluations. Nous devons poursuivre la politique de généralisation de l’excellence avec ceux qui contribuent largement à la financer. Ce n’est pas une posture idéologique, c’est une posture d’efficacité, pour la réussite de tous les élèves.

Madame Giudicelli, s’il s’était agi de choisir entre la création de postes et l’amélioration du traitement, le choix aurait été d’une extrême simplicité. La réalité, c’est qu’il n’y avait auparavant ni l’une ni l’autre, alors qu’il faut les deux.

Le rapport de l’OCDE publié ce matin nous dit que le premier problème dans ce pays est l’écart trop important entre les professeurs du primaire et les professeurs du secondaire. Que réclame-t-on depuis longtemps ? Que l’on réduise cet écart, par exemple en ouvrant de nouvelles possibilités de passage à la hors classe ou en créant une indemnité spécifique. Nous le faisons. Nous ne disons pas : « Il faut le faire », nous le faisons.

Nicolas Sarkozy lui-même avait fini par renoncer, dans l’optique d’un second quinquennat, au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Quand on regarde l’action du précédent gouvernement, on se rend compte que seulement 70 millions d'euros ont été affectés à la revalorisation des débuts de carrière, qui est un vrai sujet. Or la réforme de la formation que nous conduisons cette année coûte – mais elle rapportera tellement plus à terme ! – 800 millions d'euros à la collectivité nationale. C’est plus de dix fois ce qui a été accordé par le précédent gouvernement.

Nous ne devons pas nous opposer sur ce thème. Nos enseignants doivent avoir le soutien de la Nation. Ce soutien doit se traduire par la reconnaissance de la dignité de leur métier et le respect de leurs valeurs, mais aussi par un accompagnement matériel. Je n’oppose pas cet accompagnement à la création d’emplois. Dans un contexte budgétaire dont vous avouerez qu’il n’est pas simple, nous assumons cette double priorité.

La question des directeurs d’école est également abordée ; je l’ai dit sur un ton un peu fâché en réponse à une question d’actualité au Gouvernement. Regardons les chiffres de l’accompagnement des directeurs d’école, question qui est loin d’être accessoire, d’autant que nous leur demandons un travail important dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Comme pour l’accompagnement des enfants en situation de handicap, les choses allaient à peu près jusqu’en 2010, mais, entre 2010 et 2012, on est passé, si ma mémoire est bonne, de 23 000 à 10 000 postes d’accompagnement des directeurs d’école dans leurs tâches administratives : ce sont 13 000 postes qui ont été ainsi supprimés en deux ans !

Pour notre part, nous avons décidé de recréer 10 000 postes à la rentrée, c'est-à-dire que, en un an seulement, nous aurons presque rétabli la situation. Un groupe de travail constitué au sein de la direction générale de l’enseignement scolaire travaille avec l’ensemble des représentants des associations et des syndicats – ce ne sont pas toujours les mêmes – pour que cette question soit résolue. Nous y sommes particulièrement attentifs, ce qui n’était pas le cas, je suis au regret de vous le dire, ces dernières années.

Une question fondamentale va nous occuper dans la suite du débat : les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE. Beaucoup d’entre vous, sur différentes travées, ont affirmé que c’était l’essentiel. Vous avez raison. Nous sommes obligés de convenir que nous avons rencontré ces dernières années de très nombreuses difficultés concernant la formation des enseignants.

Ces ESPE, nous les avons conçues avec une formidable ambition et avec une méthode. Les principes, vous les connaissez : il s'agit de faire en sorte que les enseignants, qu’ils se destinent à enseigner en maternelle ou dans le supérieur, puissent passer du temps ensemble, et que ceux qui se destinent à être professeurs puissent travailler avec des éducateurs et des professionnels travaillant dans d’autres milieux. C’est l’école de demain ! Au vrai, c’est déjà l’école d’aujourd'hui.

Nous devons aussi faire en sorte que l’école du xxie siècle, c'est-à-dire celle que nous sommes en train de construire, intègre dans la formation des enseignants à la fois les disciplines et didactiques qui sont absolument indispensables et tous les éléments constituant aujourd'hui l’acte d’enseignement.

Il faut, par exemple, préparer les enseignants à l’école inclusive en leur fournissant, dans le cadre des enseignements de tronc commun, des informations sur le sujet. On peut également envisager la mise en place de modules sur l’égalité entre filles et garçons, les difficultés de la France dans ce domaine étant avérées. Il serait dans l’intérêt du pays que nous puissions garantir une réelle égalité entre filles et garçons, notamment que nous fassions en sorte qu’une bachelière de section S puisse aisément poursuivre un cursus dans les filières d’ingénieurs, et il faut préparer les enseignants à cela.

À plusieurs reprises, madame Blondin, vous avez évoqué les questions de santé. Elles sont tout à fait fondamentales.

La pédagogie n’est pas une science ; c’est un art. Il est donc nécessaire d’éduquer le regard des inspecteurs, comme celui des professeurs. Avoir à sa disposition une multitude de théories permet d’appréhender l’individu dans sa complétude. Il ne s’agit pas de se faire, ici, le promoteur de la psychanalyse, là, celui des théories de Jean Piaget ou d’Henri Wallon. Il faut simplement permettre à chacun, comme cela a pu se faire autrefois dans l’enseignement primaire, de développer une vision lui octroyant la capacité d’intervenir dans le domaine tout à la fois de la prévention, de la remédiation et des pédagogies différenciées précédemment évoquées par Jean-Claude Carle.

Ces écoles supérieures sont en train de sortir de terre, grâce à la bonne volonté de tous, et seront pleinement intégrées aux universités.

Toujours dans un souci de transparence, je présenterai lundi prochain, à Lyon, en liaison avec ma collègue Geneviève Fioraso, les résultats que nous avons obtenus à ce jour. Faut-il s’étonner, dès lors qu’on a souhaité l’autonomie des universités, que ces résultats diffèrent d’un endroit à l’autre du territoire, comme c’est d’ailleurs le cas pour la réforme des rythmes scolaires ? Non !

N’étant pas favorables aux « évaluations-sanctions », nous allons accompagner les différents acteurs pour améliorer cette situation et réaliser les objectifs que nous avons fixés. Mais nous sommes déjà très au-delà, non pas de ce qui existait voilà un ou deux ans – le dispositif avait été supprimé –, mais de ce que certains peuvent encore imaginer quant à la formation des enseignants aujourd’hui.

À cet égard, je lisais hier que nous aurions maintenu un système dans lequel il fallait faire du disciplinaire d’abord et du pédagogique ensuite. C’est le contraire ! Dès la licence, il y aura des modules professionnalisants ! Je lisais que la formation continue était abandonnée. Alors qu’elle n’entrait pas dans les prérogatives des IUFM, nous l’avons réintégrée dans celles des ESPE !

Il faut donc tout de même que les professeurs, qui ont leur pleine indépendance, mais qui doivent marquer, dans le pays, l’exigence de précision et de rigueur, aient cette même préoccupation lorsqu’ils examinent le cas des ESPE.

Cela étant dit, Madame Gonthier-Maurin, il y aura à nouveau 6 000 postes, dans le cadre du dispositif d’emploi d’avenir professeur, à la prochaine rentrée. J’y tiens beaucoup, car c’est un exemple de promotion républicaine en même temps qu’un moyen de résoudre, dans la durée, la crise du recrutement. Il nous faudra, bien entendu, être vigilants sur ce sujet.

Je n’ai absolument pas le sentiment que tous les problèmes vont être réglés. Nous en sommes loin ! Je crois toutefois que, après avoir marché dans la mauvaise direction, perdu du temps et provoqué beaucoup de découragement – un découragement que je perçois même trop souvent dans vos discours, alors même que l’école est le cœur battant de la République et que c’est d’abord à l’école qu’il faut croire –, nous nous sommes remis en mouvement et progressons désormais sur le bon chemin.

Au-delà des votes qui seront émis cet après-midi, et bien que je souhaite du fond du cœur, comme je l’ai déjà vu sur l’école, que nous puissions très largement rassembler autour de ce projet de loi, j’ai conscience que nous ne sommes qu’au début de ce chemin et qu’il faudra le poursuivre. Nous avons devant nous de grands débats ! On me reproche d’aller trop vite, et puis on me suggère d’ouvrir le collège, le lycée, l’éducation prioritaire… Eh bien, rassurez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le reste arrive ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)